Le Roi des Animaux : l’Homme - Charles Richet - E-Book

Le Roi des Animaux : l’Homme E-Book

Charles Richet

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Beschreibung

Le roi des animaux, ce n’est pas le lion : c’est l’homme. Tel est, en effet, le titre que l’homme s’est donné à lui-même. Il a même imaginé un règne spécial qu’il a appelé le règne humain. Nous allons examiner, à travers ce livre, jusqu’à quel point cette prétention à l’empire est justifiée ou chimérique, et dans quelles limites elle peut et doit s’exercer. 

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Seitenzahl: 91

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Le roi des animaux : l’Homme.

Le Roi des Animaux : l’Homme

Je sais bien que l’homme, qui s’intitule volontiers le roi de la nature, n’aime guère qu’on lui rappelle par quels liens directs il tient à cette nature qu’il régit. Il est pourtant comme tous les autres animaux soumis à ces lois mystérieuses et fatales qui règlent la propagation de l’espèce, la transmission des ressemblances, des anomalies, des principes morbides, l’extension ou le dépérissement des races. Notre orgueil est chaque jour humilié par les dépendances nombreuses dont nous sentons directement les effets. Et combien d’autres dépendances cachées pèsent sur nous, comme ces chaînes auxquelles l’esclave s’est si bien accoutumé, qu’il oublie qu’il les traîne après lui ! Sachons pourtant ne pas craindre la vérité, osons étudier l’homme en naturalistes aussi bien qu’en érudits et en philosophes ; remontons à son passé le plus lointain ; cherchons-le dans ces vieux monuments où nous le voyons lutter corps à corps avec les animaux les plus farouches ; étudions les actions par lesquelles les espèces animales se subdivisent en variétés, et recueillons ainsi précieusement toutes les analogies qui peuvent nous éclairer sur l’origine des races humaines.

(Auguste Laugel, Nouvelle théorie d’histoire naturelle - L’Origine des espèces)

Le roi des animaux, ce n’est pas le lion : c’est l’homme. Tel est, en effet, le titre que l’homme s’est donné à lui-même, et à bon droit, semble-t-il. Il a même imaginé un règne spécial qu’il a appelé le règne humain. Nous allons examiner jusqu’à quel point cette prétention à l’empire est justifiée ou chimérique, et dans quelles limites elle peut et doit s’exercer.

I.

Au milieu du XVIe siècle, un naturaliste français qui avait beaucoup voyagé, beaucoup étudié, beaucoup réfléchi, Petrus Bellonius, Pierre Belon (du Mans) de son vrai nom, eut une idée géniale. Après avoir dessiné le squelette de l’homme, il plaça en face le squelette d’un oiseau, compara le crâne de l’un au crâne de l’autre, les membres de l’un aux membres de l’autre, et démontra, par le dessin plus encore que par le texte explicatif, que c’étaient mêmes os et même conformation générale. « L’affinité est grande des uns aux autres, dit-il, et la comparaison du portraict des os humains montre combien le portraict des os de l’oyseau en est prochain. »

Ainsi, qu’il s’agisse de l’oiseau ou de l’homme, c’est un même type, une même organisation. Entre l’ossature d’un homme et l’ossature d’un oiseau il est des différences, mais il n’est pas de dissemblance essentielle. Cette conception grandiose, trop profonde pour le XVIe siècle, passa alors à peu près inaperçue, et il faut en venir jusqu’à Cuvier pour trouver plus nettement exprimée l’idée de types fondamentaux communs à toute une série d’êtres. De fait, la notion d’un type uniforme est maintenant devenue banale : il n’est pas un aspirant bachelier qui ne la possède. Toute une science s’est fondée sur la comparaison des divers types de la série animale. Il existe aujourd’hui une science qui s’appelle la morphologie générale, et qui enseigne que, dans toute la série des êtres, on passe par les variations d’un seul et même type d’être. Le squelette de l’homme et le squelette d’un mammifère quelconque sont parfois tellement analogues qu’il faut, pour les distinguer, être déjà quelque peu versé dans l’anatomie. On passera facilement des mammifères aux oiseaux, des oiseaux aux reptiles et aux poissons. Le même type se retrouve toujours : des vertèbres, surmontées d’un crâne plus ou moins large ; deux membres attachés au thorax ; deux membres attachés au bassin. Voilà ce qu’on trouve chez tous les vertébrés, qu’il s’agisse de l’homme, du singe, de l’aigle, ou de la grenouille.

Par son squelette, l’homme est animal au même titre que le singe, l’aigle et la grenouille.

En est-il autrement des autres organes ? Qui oserait le prétendre ? Le tube digestif ne varie que par des détails anatomiques de peu d’importance. Un estomac d’homme et un estomac de chien se ressemblent à ce point qu’on peut s’y méprendre. Quant au cœur, il est, chez l’un et l’autre, formé de quatre cavités qui ont exactement les mêmes rapports et les mêmes fonctions. On pourrait même, quelque étrange que paraisse cette supposition, concevoir un homme qui vivrait avec un cœur de chien ou un cœur de cheval ; la circulation du sang se ferait chez cet homme-là aussi bien que chez tout autre. On pourrait encore lui supposer un poumon d’âne ou un poumon de veau : il respirerait aussi bien qu’avec son poumon d’homme.

Les tissus homologues sont chez tous les êtres vivants de même nature, ou peu s’en faut ; et leur conformité est étonnante. Muscle de cheval, de bœuf, de chien ou d’homme, c’est toujours le même tissu. Os, glandes, foie, nerfs, tous ces tissus se ressemblent dans la série animale. Entre le sang de l’homme et le sang d’un autre vertébré il n’est que des différences insignifiantes. Ce sont toujours de petits globules rouges nageant dans un sérum peu coloré. La forme est la même ; et la composition chimique est la même aussi, comme toutes les analyses le prouvent. Ce qui démontre l’extrême ressemblance des deux liquides, c’est qu’on peut remplacer notre sang humain par du sang de mouton ou du sang de veau. Qu’un homme, épuisé par des hémorragies répétées, soit sur le point de succomber, la vie reparaîtra comme par miracle si l’on fait la transfusion du sang. Un moribond renaît si l’on injecte dans ses veines du sang de mouton ou du sang de veau. Il y a donc une bien étonnante analogie entre le sang de l’homme et le sang du veau, puisque le sang de veau peut, dans l’organisme humain, fonctionner comme du sang d’homme. D’ailleurs les chimistes n’ont pas pu constater de différence, et le microscope lui-même est presque impuissant à faire de distinction. Les médecins légistes m’ont pas encore trouvé de méthode précise qui leur permette de dire avec certitude si tel linge taché de sang a été maculé par du sang humain ou par du sang d’un autre animal.

Cœur, poumon, foie, estomac, sang, œil, nerfs, muscles, squelette, tout est analogue chez l’homme et les autres vertébrés. Il y a moins de différence entre un homme et un chien qu’entre un chien et un crocodile ; il y a moins de différence entre un homme et un crocodile qu’entre un crocodile et un papillon.

Les découvertes des naturalistes établissent sur des bases chaque jour plus solides cette vérité profonde qu’Aristote, le grand maître ès choses de la nature, avait si bien exprimée : Nature ne fait point de saults. De perpétuelles transitions sont entre tous les êtres divans. De l’homme au singe, du singe au chien, du chien à l’oiseau, de l’oiseau au reptile, du reptile au poisson, au mollusque, au ver, à l’être le plus infime placé aux dernières limites du monde organique et du monde inanimé, nul passage brusque. C’est toujours une dégradation insensible. Tous les êtres se touchent, formant une chaîne de vie qui ne paraît interrompue que par suite de notre ignorance des formes éteintes ou disparues.

Dans cette hiérarchie des êtres, l’homme s’est donné le premier rang, il est au premier rang, soit ; mais il n’est pas hors rang. Par les fonctions comme par la structurale ses organes, l’homme est animal aussi bien que le ver ou l’oiseau. Non seulement il est impossible de faire de l’homme, dans le règne animal, un être à part, mais encore, entre les animaux et les végétaux, on ne peut préciser la limite : on ne peut plus retrouver la démarcation profonde à laquelle on croyait jadis comme à un article de foi. Certes le bon sens vulgaire distinguera dès l’abord un chêne, qui est une plante, d’un chien, qui est un animal. Mais si l’on veut aller plus loin, de manière à atteindre tes dernières limites de la vie, et examiner des êtres moins proches de nous que le chien ou la tortue, on ne trouvera plus de caractères qui soient propres à l’animal et qui manquent â la plante. Car, d’une part, il est des plantes, comme les algues, qui se reproduisent au moyen de corpuscules très agiles, et, d’autre part, il est des animaux, qui, pendant presque toute la durée de leur existence, restent immobiles, insensibles en apparence, n’ayant même pas, comme la sensitive, la faculté de se soustraire par un brusque mouvement aux injures extérieures.

On a dit que la matière verte qui colore les feuilles est particulière au règne végétal ; cependant quelques plantes sont dépourvues de chlorophylle, comme les champignons, tandis que certains animaux possèdent, aussi bien que la généralité des plantes, une coloration verte due à cette même substance chimique.

Les microbes universellement disséminés dans la nature, sur lesquels les mémorables découvertes de M. Pasteur ont fait connaître tant de détails importants et qu’il a démontré être un des facteurs les plus importants de l’évolution des animaux supérieurs, ces microbes, dis-je, sont probablement des végétaux. Mais il a fallu de longs efforts pour établir cette opinion. Pendant longtemps on a cru que les microbes étaient des animaux, et l’erreur était bien permise ; car les microbes sont très mobiles et paraissent sensibles. Si l’on cherche un signe précis qui sépare l’animal du végétal, on ne le trouve pas. Il n’est pas de caractère différentiel absolu entre l’animal et le végétal.

Ainsi, d’une part, l’homme et les animaux sont reliés par une chaîne sans fin ; d’autre part, il n’est pas de limite qui sépare le règne animal du règne végétal. Plus on étudie la nature, plus on trouve d’analogies entre les êtres vivants. Tous, quels qu’ils soient, par cela seul qu’ils sont vivants, sont doués de propriétés très semblables, et, si, pour le vulgaire, la distinction est nette, pour le savant qui veut approfondir les faits, cette distinction n’existe pas. Toutes les tentatives faites pour séparer l’homme des animaux ont été jusqu’ici infructueuses. A ceux qui oseraient soutenir ce paradoxe que l’homme est un être à part, une sorte de demi-dieu, différent des animaux qui l’entourent, à ceux-là on pourrait rappeler le mot de cet empereur romain qu’on adorait à l’égal d’une divinité et qui raillait ; ses adorateurs : Les miens serviteurs, disait-il, qui visitent ma garde-robe, savent bien que je ne suis pas un dieu. Il est impossible de supposer que l’homme vit autrement que les autres êtres vivants. Le sang circule de la même manière : l’air est respiré dans les mêmes proportions et par le même mécanisme. Les aliments sont de même nature, et ils sont transformés dans les mêmes viscères par les mêmes opérations chimiques.