Le rubis de l’émir - Delly - E-Book

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Beschreibung

La vieille maison était fermée depuis cinquante ans. À cette époque le propriétaire, Albéric Vaudal de Fougerolles, était parti pour le Mexique où il s’était fort enrichi. De retour en France, il avait marié sa fille unique au duc de la Roche-Lausac et la demeure périgourdine des ancêtres, dédaignée, ne l’avait plus revu.
Elle datait de 1715, ainsi qu’en témoignait le millésime inscrit au-dessus de la porte cochère. Construite en solide pierre de taille, elle dressait sa belle façade un peu noircie par les siècles dans l’étroite rue de la Pierre-Percée, qui avait été la rue aristocratique de cette petite ville de Montaulieu, autrefois centre assez important de la région. Les Vaudal de Fougerolles, bonne famille de robe, y occupaient une situation prépondérante. Aujourd’hui encore, un de leurs descendants, Rémy de Grelles, y habitait, dans un logis situé en face de celui qu’on appelait toujours l’hôtel de Fougerolles.
Il était d’apparence plus modeste et moins ancienne que son vis-à-vis. Une cour sablée, fermée par une grille, le séparait de la rue. À droite se trouvait un garage où Monsieur de Grelles remisait sa petite voiture, à gauche un bâtiment dont Laurent, son fils, avait fait son atelier.
Le commandant de Grelles, officier d’artillerie, blessé en 1917 et devenu veuf peu après, s’était retiré dans cette demeure où il vivait en une relative aisance. Laurent avait établi aux environs une fabrique de poteries artistiques dont il composait les modèles. Cette famille, de vie très digne, continuait d’exercer une certaine influence dans le pays.

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Delly

LE RUBIS DE L’ÉMIR

Copyright

First published in 1951

Copyright © 2018 Classica Libris

1

La vieille maison était fermée depuis cinquante ans. À cette époque le propriétaire, Albéric Vaudal de Fougerolles, était parti pour le Mexique où il s’était fort enrichi. De retour en France, il avait marié sa fille unique au duc de la Roche-Lausac et la demeure périgourdine des ancêtres, dédaignée, ne l’avait plus revu.

Elle datait de 1715, ainsi qu’en témoignait le millésime inscrit au-dessus de la porte cochère. Construite en solide pierre de taille, elle dressait sa belle façade un peu noircie par les siècles dans l’étroite rue de la Pierre-Percée, qui avait été la rue aristocratique de cette petite ville de Montaulieu, autrefois centre assez important de la région. Les Vaudal de Fougerolles, bonne famille de robe, y occupaient une situation prépondérante. Aujourd’hui encore, un de leurs descendants, Rémy de Grelles, y habitait, dans un logis situé en face de celui qu’on appelait toujours l’hôtel de Fougerolles.

Il était d’apparence plus modeste et moins ancienne que son vis-à-vis. Une cour sablée, fermée par une grille, le séparait de la rue. À droite se trouvait un garage où Monsieur de Grelles remisait sa petite voiture, à gauche un bâtiment dont Laurent, son fils, avait fait son atelier.

Le commandant de Grelles, officier d’artillerie, blessé en 1917 et devenu veuf peu après, s’était retiré dans cette demeure où il vivait en une relative aisance. Laurent avait établi aux environs une fabrique de poteries artistiques dont il composait les modèles. Cette famille, de vie très digne, continuait d’exercer une certaine influence dans le pays.

Or, un matin de mars, Louisette, la jeune servante, entra tout agitée dans la cuisine où Meryem, la fille du commandant, confectionnait un plat pour le déjeuner.

– Mademoiselle, il y a une belle voiture arrêtée devant la maison d’en face ! Elle prend presque toute la rue. Et la porte est ouverte... Peut-être qu’on va venir l’habiter ?

– C’est possible, dit tranquillement Meryem en continuant de tourner une sauce brune à souhait.

Elle penchait vers le fourneau sa taille souple, bien prise dans une blouse de toile bleu pâle. De beaux cheveux bruns soyeux, formaient un rouleau satiné sur sa nuque. Par une porte vitrée ouverte sur le jardin entrait un rayon de soleil qui éclairait son fin profil arabe, sa carnation mate, légèrement dorée.

Un Fougerolles, autrefois – une cinquantaine d’années avant la conquête de l’Algérie – avait rendu un important service à un grand chef de ce pays qui, en retour, lui donna comme épouse une de ses filles, Meryem, et lui fit don d’un magnifique rubis. Celui-ci, par voie d’héritage dans la branche aînée, devait être aujourd’hui la propriété du duc de la Roche-Lausac. Quant à la fille de l’émir, ramenée en France, baptisée, elle était devenue une dame de Fougerolles comme les autres. Cette ascendance expliquait le type arabe qui se retrouvait chez certains membres de la famille, et le nom de Meryem parfois donné à l’une des filles.

Non découragée par l’indifférence de sa maîtresse, Louisette reprit, tout en déposant sur une table les provisions qu’elle rapportait :

– On va peut-être la louer... ? ou bien c’est le propriétaire qui vient pour l’habiter ?

– Habiter quoi ?

Une grande jeune fille blonde entrait dans la cuisine.

– De quel propriétaire parlez-vous, Louisette ?

– Celui de l’hôtel Fougerolles, mademoiselle. Il y a une auto magnifique arrêtée devant...

Ouvrant une porte, la jeune fille traversa un petit office et entra dans la salle à manger, dont les fenêtres donnaient sur la cour. Soulevant un rideau, elle considéra la longue voiture foncée, qui, ainsi que l’avait dit Louisette, tenait presque toute la largeur de la rue. Le front contre la vitre, elle resta là jusqu’au moment où, par la porte cochère restée ouverte, sortirent deux hommes. L’un, gros et court, était Maître Berger, l’un des notaires de Montaulieu ; l’autre, un homme jeune, grand, svelte, qui prit aussitôt place au volant, tandis que le notaire s’asseyait près de lui. La voiture, alors, démarra sans bruit et s’éloigna.

– Eh bien, votre curiosité est-elle satisfaite, Françoise ?

Meryem, entrée à son tour dans la salle à manger, interpellait en riant la jeune personne.

– Oh ! c’est une bien petite curiosité, ma chère amie ! Il n’y a guère de distractions, dans votre ville, et la moindre des choses prend une certaine importance.

Françoise riait aussi, d’un rire presque silencieux qui contrastait avec celui de Meryem, clair et léger.

– J’ai reconnu votre notaire qui accompagnait le propriétaire de cette voiture, un homme jeune, d’allure très distinguée, autant que j’aie pu voir si rapidement.

– Peut-être Monsieur de la Roche-Lausac. Il est possible qu’il cherche à louer cette maison. Car je ne suppose pas qu’il songe à l’habiter. Le nom de la duchesse est l’un des plus fréquemment cités dans le carnet mondain du « Figaro » et je ne la vois pas dans ce vieil hôtel dépourvu de confort, dans notre ville où, comme vous le dites, les distractions sont plutôt réduites.

– En effet, c’est assez invraisemblable. Espérons que ces hypothétiques voisins seront gens agréables, avec lesquels nous pourrons nouer des relations.

– Oh ! nous avons nos amis ! Cela nous suffit, dit Meryem.

Un sourire, nuancé de dédain, détendit les lèvres un peu épaisses de Françoise.

– Vos amis sont charmants, ma petite Meryem, mais... légèrement province. Quelque variété ne ferait pas mal dans le paysage.

Une ombre de contrariété passa dans les yeux de Meryem, si beaux, d’un brun chaud et velouté.

– Je regrette que nos amis ne vous plaisent pas...

Il y avait une note de sécheresse dans sa voix.

– Certains sont évidemment un peu vieux jeu ; mais nous les aimons ainsi, car ce sont d’excellentes gens. Colette, par contre, est gaie, agréable, et met de l’entrain partout où elle passe.

– Certes, certes, dit mollement Françoise.

Elle se détourna, pour jeter un regard vers la rue maintenant déserte.

– N’avez-vous jamais visité cette maison, Meryem ?

– Jamais. Les clefs en ont été confiées au père de Maître Berger, alors titulaire de l’étude, et celui-ci, puis après lui son fils, la faisait aérer, nettoyer de temps à autre. Il paraît qu’il y a là de beaux meubles, des tapisseries de valeur. Comme vous le savez, nous n’avons plus eu de relations avec cette branche de la famille depuis que le grand-père de Monsieur de la Roche-Lausac a quitté définitivement Montaulieu.

– C’est dommage.

– Dommage pourquoi ?

– Eh bien, mais... il est toujours utile d’avoir des relations influentes.

– Et à quoi nous serviraient-elles, je vous le demande ? Laurent a sa situation faite, qui lui suffit. Quant à moi, je n’ai nullement le désir de trouver un mari dans le cercle mondain où doivent évoluer les la Roche-Lausac ! Non, ce n’est pas cela que je souhaite !

Françoise ne répliqua rien. Ses paupières, aux cils blonds très longs, s’abaissaient sur les yeux d’un gris pâle. Meryem regardait pensivement ce visage aux traits réguliers, un peu épais, ce teint clair, cette bouche trop lourde. Et ces yeux, doux, si doux, indéchiffrables comme la nature même de Françoise. Une fois de plus, elle sentit sourdement en son âme une obscure hostilité contre cette filleule de son père.

2

Dès le lendemain, la nouvelle courut dans Montaulieu : le duc de la Roche-Lausac allait venir habiter l’hôtel de Fougerolles.

Laurent l’annonça chez lui en rentrant à l’heure du déjeuner. Le commandant faillit lâcher la fourchette avec laquelle il piquait une galette au fromage déposée sur son assiette.

– Non ? C’est vrai ? Qui te l’a dit ?

– Colette, que je viens de rencontrer. Elle le tient de Jacqueline Berger. On va faire dare-dare les réparations nécessaires, y mettre tout le confort. Et Monsieur le duc veut que ce soit prêt pour le premier mai ! Un homme de tête, d’après Maître Berger.

– Ah bien ! par exemple ! qu’est-ce qu’il peut bien venir faire par ici ?

– Peut-être a-t-il des difficultés d’argent et veut-il faire des économies en venant vivre quelque temps à Montaulieu, suggéra Françoise.

– Hum... ! oui, après tout, si belle que soit une fortune, certaines existences mondaines peuvent en venir à bout. Alors, il faut bien freiner si on ne veut faire la culbute.

Meryem dit, avec son joli sourire :

– Eh bien ! Madame de la Roche-Lausac trouvera quelque différence ici avec ses villégiatures de Deauville ou de Biarritz ! Je pense qu’elle ne tardera pas à mourir d’ennui.

– Cela va faire du mouvement dans notre vieille rue, ajouta Laurent.

C’était un garçon robuste, pas très grand, bien planté. Un front haut, sous les cheveux bruns qui frisaient légèrement, accentuait l’expression d’intelligence de cette physionomie, des yeux châtains où se discernaient la réflexion lucide, la finesse d’observation qui étaient remarquables chez lui.

Meryem dit pensivement :

– Je serais curieuse de savoir s’ils ont conservé le rubis de l’émir.

– C’est fort probable. D’autant plus qu’il s’y attache une certaine croyance superstitieuse, n’est-ce pas, mon père ?

Le commandant inclina affirmativement la tête.

– En effet, on prétend que la femme qui porte ce joyau est assurée du bonheur. J’ignore si l’expérience a confirmé ladite croyance. Mais comme tu le dis, Laurent, il est à supposer que les la Roche-Lausac l’ont conservé, puisque jusqu’ici ils paraissent avoir mené une existence qui suppose une très grosse fortune.

Des ouvriers apparurent dès le surlendemain, et ce fut le début d’un travail incessant dans le vieux logis. On dut faire des prodiges de célérité pour que tout fût prêt au jour dit. Il y eut seulement quarante-huit heures de retard. Et on vit apparaître ensuite des domestiques précédant des camions pleins de bagages. Des chevaux de selle furent amenés dans les écuries, deux automobiles furent garées dans les remises, qui donnaient sur une rue transversale. Enfin, un après-midi, la longue voiture déjà aperçue auparavant amena les maîtres du logis.

Meryem rentrait précisément de chez son amie Colette Langey. Elle distingua au passage le visage ferme, un peu dur de celui qui devait être Monsieur de la Roche-Lausac, puis trois femmes, l’une d’un certain âge, les deux autres jeunes, ainsi qu’une petite fille. Et elle passa en détournant discrètement la tête.

Un domestique, sorti de la maison, aidait les trois dames à descendre. L’une d’elles, une brune fort jolie, jeta sur la sombre façade un long regard. Ses lèvres trop rouges se serrèrent, une lueur de haine jaillit de ses beaux yeux noirs.

– Je vois que vous avez bien choisi ma prison, Aimery, dit-elle à mi-voix.

Elle s’adressait à Monsieur de la Roche-Lausac en ce moment debout près d’elle.

– C’est une prison que beaucoup envieraient, riposta-t-il froidement.

Et se tournant vers la dame plus âgée, qui semblait marcher péniblement :

– Venez vite vous reposer, ma mère... Antoine, appelez Gerbier pour qu’il rentre la voiture, puis conduisez madame et dona Elvira à leur appartement... Viens, Gisèle.

Ceci s’adressait à la petite fille de cinq à six ans qui, elle aussi, levait sur la noble et sévère façade des yeux curieux, un peu hostiles.

Elle obéit et suivit le duc sous la voûte. Mais, tout à coup, elle se détourna et, appuyant ses doigts sur sa bouche, elle envoya un baiser à la jolie femme brune. Celle-ci lui répondit en agitant la main. Puis elle se dirigea vers la droite où s’élevait un imposant escalier à rampe de fer forgé, mal éclairé par une fenêtre garnie de fort beaux vitraux.

– Elvira, c’est mortel !

La voix sortait assourdie, un peu rauque, des lèvres serrées de la jeune femme.

Sa compagne, debout au pied des marches de pierre recouvertes d’une épaisse moquette veloutée, resta d’abord silencieuse. Elle regardait autour d’elle, avec intérêt. Et elle dit enfin :

– Cette maison a beaucoup de caractère. Elle convient au genre de ton mari, Flora.

Une poussée de colère convulsa le charmant visage de la jeune duchesse.

– Le genre de mon mari ! Tu es idiote ! C’est tout ce que tu trouves à me dire quand tu sais quel effroyable supplice il m’inflige ?

– Si tu avais suivi mes conseils, tu n’en serais pas là. Il y a certains hommes qu’il ne faut pas braver. Aimery est de ce nombre. Tu n’as pas voulu le comprendre, Flora.

Une lueur de dédain passait dans les yeux sombres d’Elvira, la seule beauté de ce visage brun, anguleux, où cependant on retrouvait une ressemblance avec celui de sa sœur Flora.

Madame de la Roche-Lausac leva les épaules, avec un léger ricanement.

– Accepter bénévolement cet esclavage ? Non, non, ma chère amie. Pour le moment, il est le plus fort, mais je n’ai pas dit mon dernier mot.

– Chut, voici Antoine, murmura Elvira.

Le domestique s’avançait en demandant :

– Madame la duchesse veut-elle que je la conduise à son appartement ?

Flora acquiesça du geste et commença de gravir les degrés. Au premier étage, sur un large palier, ouvraient plusieurs portes. L’appartement désigné pour Madame de la Roche-Lausac et sa sœur donnait sur le jardin. Les pièces étaient vastes, hautes de plafond, en partie lambrissées de bois peint en gris. On les avait tendues de toiles de Jouy, et les beaux meubles anciens des Fougerolles les décoraient. L’une d’elles avait été aménagée en salle de bains. Le tout était confortable, mais sans rien de ce luxe délicat qui existait dans l’hôtel parisien de la Roche-Lausac, et dans leurs villas de Cannes et de Deauville.

Quand Flora eut fait le tour de l’appartement, elle revint à la pièce aménagée en salon. D’un ton plein de rage elle murmura :

– Et voilà donc où je dois vivre !

Elvira avait ouvert une des deux hautes fenêtres cintrées. Penchée sur le balcon, elle regardait le vieux jardin à la française aux allées ratissées, aux buis et aux ifs bien taillés. Des fleurs printanières l’égayaient, et un jardinier s’occupait de refaire les mosaïques des parterres.

– Ce n’est pas mal, Flora, pour une maison de province.

– Je te souhaite d’y rester toute la vie ! dit violemment Madame de la Roche-Lausac.

Les longues lèvres d’Elvira s’entrouvrirent en un léger sourire.