Le secret de la Luzette - Delly - E-Book

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Delly

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Beschreibung

Extrait
| I
– Tap !... Tap !...
Dans le silence du bois, ma voix résonnait avec une intensité particulière. On devait certainement l’entendre jusqu’à la Mailleraye. Mais seul un petit écho ironique semblait se soucier de mon appel. Tap, mon compagnon fidèle, y demeurait sourd.
« Je lui donnerai une correction quand il reviendra ! » pensai-je, saisie de colère, car pareil fait n’était pas habituel chez ce brave chien recueilli par moi trois ans auparavant sur la grand-route où il gisait, une patte coupée par un de ces horribles engins de mort que l’on nomme automobiles, et soigné avec tant de sollicitude qu’il marchait de nouveau, au bout de peu de temps – sur trois pattes, cette fois.
J’aimais beaucoup Tap, mais d’une affection tyrannique et quelque peu autoritaire. Le bon chien le savait sans doute, car il me suivait comme mon ombre, et, quand je m’arrêtais, se couchait à mes pieds sans me quitter des yeux.
Mais aujourd’hui Tap était infidèle... Et sa peu patiente jeune maîtresse en ressentait une véritable colère.
À travers le feuillage des châtaigniers, le soleil se glissait et s’épandait sur le sol herbeux en longues coulées lumineuses. À mesure que j’avançais, le sentier s’élargissait, les arbres se clairsemaient, l’herbe que foulaient mes vieux souliers attachés par des lacets verdis se faisait plus drue.
Et, tout à coup, apparut la Luzette. Elle coulait très paisible, entre deux rives gazonnées. Un peu plus haut, elle était un petit torrent, elle le redevenait à quelque cent mètres en aval ; mais ici, elle se donnait le plaisir du repos, en reflétant dans ses eaux claires les beaux châtaigniers qui se dressaient sur ses bords.
D’un mouvement souple, je me laissai glisser à terre et m’étendis de tout mon long, les coudes dans l’herbe, les mains sous le menton. C’était ma position favorite lorsque je me trouvais en présence de la Luzette – mon amie la Luzette !..|

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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SOMMMAIRE

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

LE SECRET DE LA LUZETTE

DELLY

LE SECRET DE LA LUZETTE

roman

Raanan Editeur

Livre 585 | édition 1

I

– Tap !... Tap !...

Dans le silence du bois, ma voix résonnait avec une intensité particulière. On devait certainement l’entendre jusqu’à la Mailleraye. Mais seul un petit écho ironique semblait se soucier de mon appel. Tap, mon compagnon fidèle, y demeurait sourd.

« Je lui donnerai une correction quand il reviendra ! » pensai-je, saisie de colère, car pareil fait n’était pas habituel chez ce brave chien recueilli par moi trois ans auparavant sur la grand-route où il gisait, une patte coupée par un de ces horribles engins de mort que l’on nomme automobiles, et soigné avec tant de sollicitude qu’il marchait de nouveau, au bout de peu de temps – sur trois pattes, cette fois.

J’aimais beaucoup Tap, mais d’une affection tyrannique et quelque peu autoritaire. Le bon chien le savait sans doute, car il me suivait comme mon ombre, et, quand je m’arrêtais, se couchait à mes pieds sans me quitter des yeux.

Mais aujourd’hui Tap était infidèle... Et sa peu patiente jeune maîtresse en ressentait une véritable colère.

À travers le feuillage des châtaigniers, le soleil se glissait et s’épandait sur le sol herbeux en longues coulées lumineuses. À mesure que j’avançais, le sentier s’élargissait, les arbres se clairsemaient, l’herbe que foulaient mes vieux souliers attachés par des lacets verdis se faisait plus drue.

Et, tout à coup, apparut la Luzette. Elle coulait très paisible, entre deux rives gazonnées. Un peu plus haut, elle était un petit torrent, elle le redevenait à quelque cent mètres en aval ; mais ici, elle se donnait le plaisir du repos, en reflétant dans ses eaux claires les beaux châtaigniers qui se dressaient sur ses bords.

D’un mouvement souple, je me laissai glisser à terre et m’étendis de tout mon long, les coudes dans l’herbe, les mains sous le menton. C’était ma position favorite lorsque je me trouvais en présence de la Luzette – mon amie la Luzette !

Quand Tap était là, il s’étendait près de moi, et, le nez entre les pattes, semblait contempler, lui aussi, l’onde paisible à peine agitée parfois d’un léger remous. Pour la jeune créature ignorante et imaginative que j’étais, les animaux, les plantes, les éléments eux-mêmes étaient doués d’une âme, et je me figurais que Tap, comme moi, cherchait le secret caché sous le calme mystère de ces eaux vertes, d’un vert pâle et transparent, qui se faisait à certaines heures lumineux, tandis qu’à d’autres je le voyais sombre, semblant refléter quelque inquiète et sourde tristesse.

Un jour, en furetant dans les greniers de la Mailleraye, j’avais découvert un antique petit livre relatant, en un style archaïque comme son apparence, de curieuses légendes du pays limousin. J’y avais lu, entre autres choses, ceci :

« Il existait au temps jadis, perché sur un roc au-dessus d’un grand lac bleu, un château habité par un seigneur du nom de Renaud d’Arbères. Le roi des Ondins le jalousait, parce qu’il était fort beau, et surtout qu’il possédait, lui, simple mortel, les plus merveilleux yeux verts qu’eût jamais rêvés habitant des eaux. Cette jalousie devint telle que l’aquatique souverain s’en fut, un jour, chez un enchanteur qui habitait tout près de là, et lui demanda de le débarrasser du seigneur d’Arbères. L’enchanteur accepta, à condition que le roi lui donnerait en mariage la plus belle de ses filles. Le marché fut conclu. Dès le jour même, Renaud disparut. Ses serviteurs le cherchèrent en vain. Mais, en revanche, ils découvrirent à peu de distance une rivière inconnue. Jamais ils ne soupçonnèrent qu’elle n’était autre que leur maître, réduit à cet état par un enchantement.

» Pendant ce temps, la belle Élia, la fille du roi des Ondins, se consumait de désespoir à la pensée de devenir l’épouse de l’enchanteur, être affreux et cruel. Un jour, de son palais aquatique, elle avait aperçu le jeune seigneur qui se penchait vers le lac et, depuis lors, elle l’aimait. Longtemps, elle chercha le moyen de le venger, et d’éviter en même temps l’union odieuse. Elle le trouva un soir. L’enchanteur, profitant d’un admirable clair de lune qui couvrait le lac d’une clarté argentée, était venu voir sa fiancée. L’Ondine s’éleva du milieu du lac. Jamais elle n’avait été si belle que ce soir-là. Ses longs cheveux pâles et soyeux tombaient autour d’elle, sur sa robe faite d’herbes aquatiques, semée de perles et d’émeraudes. Dans son visage blanc comme l’albâtre, ses yeux verts brillaient plus encore que les gemmes précieuses.

» Elle se mit à chanter... Et cette voix était si merveilleuse et si ensorcelante, que l’enchanteur, ravi, avançait sans s’en apercevoir, tendant les bras avec extase vers Élia qui souriait, et qui chantait toujours.

» Le sol manqua tout à coup sous ses pieds. Il s’enfonça dans l’eau argentée, où les sœurs d’Élia l’attendaient pour l’entourer de longues herbes destinées à paralyser ses mouvements. Il périt étouffé, car ses enchantements, puissants sur autrui, ne pouvaient rien sur lui-même. Et la belle Ondine quitta à jamais le lac, elle alla établir sa demeure en quelque coin mystérieux, sous les eaux de cette Luzette qui était le beau Renaud aux yeux d’Ondin. Parfois, on l’a vue, aux jours de pleine lune, s’élever lentement, pâle et triste, chantant une mystérieuse lamentation. Puis, peu à peu, elle disparaît, en jetant une dernière fois sur l’eau calme le regard douloureux de ses yeux d’émeraude. »

Pour moi, cette légende était une réalité absolue.

En cette onde paisible qui coulait sous mes yeux, je voyais Renaud d’Arbères, et c’était le secret de ses pensées, le mystère de son étrange existence que je cherchais passionnément à découvrir, durant ces heures où moi, la vive et remuante Gaïta, je demeurais étendue, scrutant l’eau verte qui ondulait sur un lit de cailloux gris, polis par elle.

J’étais, en général, fort tranquille ici. Les seuls êtres humains que j’aperçusse parfois étaient quelque vieux berger, quelque paysan, une pastourelle, une vieille femme traînant un fagot. Les uns ou les autres me disaient un bonjour auquel, parfois, toute concentrée dans ma rêverie, je ne répondais pas, et passaient sans s’étonner, car il était bien connu que la Demoiselle de la Mailleraye n’était pas comme tout le monde.

Aussi, aujourd’hui, entendant un pas sur le sol herbeux, je ne me détournai même pas. Mais je tressautai quelque peu lorsqu’une voix masculine, sonore et douce, demanda :

– Pourriez-vous me dire si je suis loin de la Mailleraye ?

Je me redressai, de telle sorte que je me trouvai sur les genoux, et je penchai un peu la tête de côté pour mieux voir celui qui m’adressait la parole.

C’était un étranger, un monsieur de la ville, évidemment.

Si sauvage et inexpérimentée que je fusse, je ne pouvais confondre avec nos paysans, ni même avec l’instituteur du village ou le docteur Picon, fils de cultivateurs et demeuré fort rustique, cet inconnu très distingué, vêtu avec une correction élégante.

Il était jeune, mince et bien proportionné ; il avait une longue moustache blonde... Ce fut tout ce que, au premier moment, je m’avisai de remarquer.

Voyant que je restai silencieuse, le considérant d’un air surpris et curieux, mais aucunement intimidé, il reprit avec une légère intonation d’impatience :

– Pouvez-vous m’indiquer le plus court chemin pour me rendre à la Mailleraye, petite fille ?

L’appellation ne me froissa en aucune façon. Je ne me souciais pas du tout de mes seize ans tout fraîchement sonnés, et il m’était fort indifférent que l’on continuât à voir en moi une enfant, ce qu’autorisaient du reste ma petite taille, des cheveux courts tombant tout juste sur la nuque, et mes jupes arrivant au-dessus de la cheville, sans parler de mes manières qui étaient, bien réellement, celles d’une petite fille aucunement éduquée.

Ce qui me frappa uniquement dans l’interrogation de l’étranger, ce fut le nom de la Mailleraye, la vieille demeure où je vivais depuis ma naissance avec ma tante Amandine.

– Vous allez à la Mailleraye ?... Pour quoi faire ? m’écriai-je avec surprise.

Le fin visage de l’étranger exprima un certain étonnement. Il était évident que cette question lui semblait indiscrète.

– J’imagine que cela me regarde seul ! dit-il froidement. Pouvez-vous m’indiquer le chemin, oui ou non ?

Je m’avisai tout à coup, à ce moment, de remarquer la couleur étrange de ses yeux. Ils étaient verts, d’un vert profond et mystérieux... Et, par une soudaine association d’idées, je songeai qu’ils ressemblaient aux eaux de la Luzette.

Mais les façons impératives de cet inconnu avaient froissé mon très vif orgueil, et je ripostai d’un ton sec :

– Non, je ne vous l’indiquerai pas, parce que j’ai le droit de savoir, auparavant, qui s’en va comme cela chez nous !

– Chez vous ?

Une stupéfaction sans bornes se lisait sur la physionomie du jeune homme.

– Chez vous ! Est-ce que vous seriez... ? Mais non, ce n’est pas possible ! Mlle Valprez est déjà presque une jeune fille, d’après...

– Je suis Gaïta Valprez, voilà ! déclarai-je en me relevant d’un bond, car jusque-là j’étais restée à genoux dans l’herbe. Qui a pu vous parler de moi ?... Et qui êtes-vous ?

– Un cousin de votre père, Gildas Le Guernez.

– Un cousin de mon père ?... Ah ! dis-je d’un ton de surprise quelque peu nuancé d’indifférence.

Ce père, je ne l’avais jamais vu. Il voyageait beaucoup, s’occupait de littérature, m’avait dit ma tante Amandine. Une fois par an, celle-ci recevait une lettre très courte où il s’informait de ma santé, en m’envoyant un billet bleu que j’avais vite fait de transformer en menues douceurs et chauds vêtements pour mes protégés, les pauvres des alentours. Mais à l’égard de ce père qui n’avait jamais cherché à me connaître, je n’éprouvais que la plus complète indifférence, et même une sorte de sourde rancune, car je savais par ma tante qu’il avait rendu ma mère malheureuse.

– Alors, vous êtes Gaïta Valprez ? la fille d’Alain Valprez ?

Il avait, en prononçant ces mots, la physionomie d’un homme qui ne peut en croire ses yeux ni ses oreilles. Son regard m’enveloppait, se fixait tour à tour sur ma chevelure brune tombant en désordre autour de mon visage hâlé, sur le vieux corsage déteint, taillé à la diable par la vieille Philomène, et la jupe d’une invraisemblable nuance verdâtre, fripée, mal attachée, pendant sur le côté, qui habillaient ma maigre personne sur les affreux souliers éculés, sur les mains crevassées par les travaux très divers et les exercices variés auxquels je me livrais, comme le plus indépendant et le plus insouciant des garçons.

– Eh bien ! qu’est-ce que vous me voulez ? dis-je avec impatience.

Cette question parut le rappeler à lui-même. Il fixa les yeux sur moi... Et ce regard très ferme, très sérieux, me produisit une impression singulière que j’étais trop inexpérimentée pour analyser et définir.

– Je veux, d’abord, vous apprendre un fait que vous ignorez probablement encore : il y a huit jours, votre père est mort à Milan, entre mes bras.

Un léger tressaillement m’agita.

– Ah ! il est mort ? dis-je machinalement.

– Oui, très vite, au cours d’un voyage. Par une heureuse permission de la Providence, je me trouvais avec lui. J’ai pu lui procurer les derniers sacrements, et recevoir ses recommandations.

Je demeurai immobile et muette. Aucun regret ne s’élevait en moi. Mais la pensée de la mort mettait néanmoins quelque émoi dans mon jeune cœur sauvage.

Gildas Le Guernez continua, tout en scrutant ma physionomie :

– Il s’est montré très repentant de l’abandon dans lequel il vous a laissée, et il m’a chargé de vous le dire. À ses derniers moments, sa conscience, éclairée par la mort toute proche, a reconnu ses torts. Il a voulu réparer... Et c’est moi qu’il a chargé de cette tâche. Je suis désormais votre tuteur, ma cousine.

Je le regardai sans trop comprendre. Mon ignorance était telle que ce mot de tuteur n’avait pas de sens très précis pour moi.

Il le devina sans doute, car il m’expliqua :

– C’est moi qui m’occuperai désormais de votre fortune et aussi de vous-même, car je m’aperçois qu’il est plus que temps de songer à votre éducation, ma pauvre enfant !

Une bonté compatissante s’exprimait dans son accent, comme dans le regard qu’il attachait sur moi.

Un instinctif mouvement de défiance irritée me fit reculer de quelques pas.

– Mon éducation ?... Qu’est-ce que ça vous fait, mon éducation ?

– Cela me fait beaucoup, car j’en suis responsable maintenant... Mais voulez-vous me montrer le chemin de la Mailleraye, Gaïta ? J’ai besoin de parler à votre tante.

J’avais fort envie de lui tourner le dos et de m’enfuir. Mais ces yeux verts avaient une singulière autorité, la physionomie sérieuse et un peu fière de cet étranger en imposait même à l’indépendante Gaïta. Je murmurai un maussade « Suivez-moi », et me dirigeai vers le sentier par lequel j’étais arrivée tout à l’heure.

II

La Mailleraye datait du XVIIe siècle. Elle avait abrité d’abord une famille de petite noblesse, les Roux de Barbannes. Puis, au siècle dernier, elle était passée entre les mains des Maury par le mariage de la dernière des Barbannes avec Gustave Maury, notaire à Tulle.

Aujourd’hui, elle appartenait à ma tante Amandine, dont j’étais l’unique héritière. Comme les Maury, pas plus que jadis les Barbannes, n’avaient jamais roulé sur l’or, la vieille demeure, privée des restaurations nécessaires, s’en allait doucement en ruine. Déjà, un des corps de logis se trouvait inhabitable. Le reste, quelque peu crevassé, était couvert d’une mousse verdâtre, depuis sa base jusqu’aux toits très hauts où manquaient nombre d’ardoises. Les arbres superbes qui enserraient étroitement la maison lui communiquaient, en effet, une humidité extrême, et point n’était besoin d’aller chercher plus loin la cause des rhumatismes dont, depuis des années, se plaignaient Philomène et Nicaise, nos deux domestiques.

L’aspect morose, vraiment peu engageant de cette demeure frappa sans doute l’étranger, car je l’entendis qui murmurait entre ses dents :

– Franchement, laisser cette enfant dans un tombeau pareil !...

Au milieu de la cour mal pavée qui précédait la maison, Philomène tirait de l’eau au puits. Elle tourna vers nous son visage long et ridé, où le menton allait rejoindre la bouche édentée.

– Eh ! qui est-ce que tu nous amènes-là ? dit sa voix aigrelette, exprimant la surprise.

– Il paraît que c’est un parent de mon père. Il veut voir ma tante... Ah ! te voilà, mauvaise bête !

Je venais d’apercevoir un museau timide qui se risquait dans l’entrebâillement de la porte du bûcher. Je bondis de côté, poussai la porte toute grande et entrai.

Tap s’était réfugié derrière une pile de bois ; je ne voyais guère que son nez rose et ses bons yeux qui m’imploraient. Sur mon appel, il sortit pourtant de sa cachette, et vint en rampant se coucher à mes pieds. Alors, je lui fis un discours bien senti, qu’il écouta humblement, en secouant doucement ses longues oreilles, ce que je traduisais par « Je comprends... je comprends ».

Cela fait, je lui donnai une caresse en signe de pardon, et, tout étant ainsi réparé, je sortis du bûcher, avec mon chien sur les talons.

La cour était déserte. Philomène avait sans doute introduit le visiteur.

« Qu’il s’arrange avec ma tante ! pensai-je. Moi, je ne me soucie pas de lui. Pourquoi est-il venu ? Je n’avais pas besoin de le connaître ! »

Dans le vestibule au dallage usé et aux murs écaillés, ma vieille chatte aveugle s’étirait paresseusement. Je la pris entre mes bras et, tout en la caressant, m’en allai vers la cuisine.

Philomène écossait des haricots, en racontant à voix très haute quelque chose à Nicaise, son frère, un petit vieux aux trois quarts sourd qui entretenait tant bien que mal notre potager.

Sans m’occuper d’eux, je m’en allai vers un vieux buffet et, tenant d’une main Lilette, j’employai l’autre à ouvrir le battant.

– Tu vas encore me voler des pommes ? cria Philomène. Et les plus belles, naturellement ?

Je me détournai brusquement, la tête dressée.

– Dis donc, veux-tu employer un autre mot que ça ? Ces pommes ne sont pas à toi, j’imagine ?

– Non, pour sûr ! grommela Philomène.

Je savais de longue date les moyens à employer pour fermer la bouche à cette vieille femme, dévouée, mais hargneuse, et qui aurait souhaité me faire plier sous son autorité, comme elle le faisait à l’égard de ma tante. Mais je n’étais pas d’une pâte à me laisser dominer par elle, et, d’ailleurs, rien ne m’amusait comme l’air vexé que prenait en ces occasions-là cette brave Philomène.

Je choisis une pomme à mon gré : puis, repoussant le battant, je m’assis dans un vieux fauteuil dépaillé, en installant Lilette sur mes genoux.

Pendant un moment, on n’entendit que le grignotement de mes dents sur la pomme, le bruit des haricots tombant dans l’écuelle, le glissement des graines que triait Nicaise pour les enfermer dans des cornets de papier.

– Est-ce que tu avais entendu parler de ce parent de mon père, Philomène ? demandai-je tout à coup.