Le tourbillon de la vie - Tome 2 – Partie I - Caroline Noëlle - E-Book

Le tourbillon de la vie - Tome 2 – Partie I E-Book

Caroline Noëlle

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Beschreibung

Tout juste revenu sur terre, Daniel doit affronter une dure réalité... Et il n'est pas au bout de ses surprises, quand il voit apparaître Tommy Pereira dans la vie de sa belle Émilie.
Du côté des ténèbres, Annabelle-Rose doit affronter son destin !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Caroline Noëlle est passionnée depuis toute petite par l'écriture. Elle écrit avec passion jour après jour. Son domaine de prédilection est l'imaginaire.
Passionnée de lecture, elle dévore suspense, romance et surtout fantastique...
Le tourbillon de la vie est son premier roman.

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Veröffentlichungsjahr: 2020

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Caroline Noëlle

Le tourbillon de la vie

Tome II – Partie I

La cité des anges

Roman

© Lys Bleu Éditions – Caroline Noëlle

ISBN : 979-10-377-0842-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre I

Émilie

1

Émilieentendit le tic-tac du réveil posé sur le bahut du salon. Habituellement, elle n’y prêtait pas attention, mais aujourd’hui, c’était différent. Tout lui semblait différent. L’appartement qu’elle occupait depuis des années ne lui semblait plus être le sien. Ridicule. Rien n’avait changé et il lui appartenait toujours bien.

La fenêtre de la chambre claqua d’un coup sec et elle faillit demander à Daniel de la refermer. Puis elle songea que c’était absurde, vu qu’il n’était pas là.

Elle avait froid, pourtant la chaudière tournait à plein régime depuis une semaine déjà. Pourquoi ne refermait-elle pas cette fenêtre elle-même ? Parce qu’affaiblie, elle n’en avait pas le courage, simplement !

Émilieconstatait que malgré les efforts qu’elle faisait pour garder son calme, l’angoisse de l’abandon la tenaillait toujours autant. Ce qui la mettait en rogne contre elle-même.

Des yeux, elle chercha encore. Elle avait fait le tour de l’appartement et il n’y avait personne. Elle était seule.

Emma était partie à l’école. Quel jour étions-nous ? Elle ne s’en souvenait plus. Ce n’était pas très important après tout. Ce qui l’était en revanche, c’était l’absence de son amant. Daniel n’avait pas laissé de message sur le bahut ou dans la cuisine. Rien ! C’était inaccoutumé. Quand il partait travailler, il laissait toujours une note quelque part. Alors, pourquoi n’en avait-il rien fait aujourd’hui ?

Et puis, pourquoi s’était-elle levée aussi tôt ? Elle se rappela que son estomac s’était manifesté par des nausées. Elle avait juste eu le temps de repousser les couvertures, de se précipiter dans la salle de bains pour se pencher au-dessus de la cuvette du w.c. Sacré gliome ! Tumeur dont elle avait appris l’existence un mois plutôt.

Elle hoqueta à nouveau et porta une main à sa gorge. Elle balaya le salon du regard, écouta le tic-tac de la pendulette, se frotta les bras. Nouveau claquement sec de la fenêtre. Elle ferma les yeux et serra les dents. Cette fenêtre commençait à lui taper sur les nerfs.

Sans plus prêter attention aux bruits, elle s’avança vers la baie vitrée du salon et observa la rue. Il n’y avait pas une âme. La rue était déserte. Encore une chose inhabituelle, à Paris. Étrange, comme toutes ces choses de la vie lui apparaissaient changées ! Et ce manque ! Revenons à l’absence de l’ex-Ange. Émiliehésita à passer un coup de fil à l’hôpital. Là-bas, elle tomberait certainement sur la secrétaire, qui hésiterait à lui passer le docteur. Ce que Daniel aurait désapprouvé. Elle ne devait l’appeler qu’en cas d’urgence. Si jamais elle se sentait mal ou si elle avait la moindre hallucination. Chose rare, depuis qu’elle avait appris qu’il lui restait peu de temps à vivre. À partir du moment où Daniel était revenu dans sa vie et qu’on lui avait diagnostiqué une tumeur cérébrale, Tommy, son jumeau disparu dix ans plus tôt – et dont les apparitions n’était qu’une hallucination – avait presque disparu. Presque ! Il lui apparaissait encore en rêve, mais plus dans un coin de l’appartement. En revanche, les migraines ne s’étaient pas calmées.

Émilieprenait des antalgiques pour apaiser la douleur. Combien de fois par jour ? Cela aussi, elle ne s’en souvenait plus. Elle perdait la vue par moments, avait des difficultés à comprendre certaines choses, et même à parler, mais à part tout cela, Émilieestimait qu’elle n’allait pas si mal.

Encore une fois, elle sentit son estomac se soulever et se précipita à nouveau dans la salle de bains.

***

Le sentier du jardin des Tuileries défilait sous ses pieds. Il avait à peine fait attention au chemin qu’il empruntait. Généralement, c’était toujours le même. Son cerveau avait fini par le mémoriser et il l’empruntait tous les matins pour son footing.

Tous les jours, Daniel passait par la rue Rivoli, puis le jardin des Tuileries, remontait vers le Louvre, et continuait ensuite vers les quais de la Seine pour revenir vers Notre-Dame.

À peine vêtu d’un sweat à capuche gris et d’un pantalon de training, il ne sentait pas le froid de ce début décembre. La pluie tombait finement.

Il avait quitté l’appartement comme à son habitude. C’est-à-dire, depuis quarante-cinq minutes environ. Il avait laissé Melly dormir, avait tout d’abord vérifié si elle allait bien, car la nuit n’avait pas été bonne. Elle avait gémi vers deux heures du matin et avait vomi plusieurs fois. Après avoir avalé deux antalgiques – qu’elle avait d’abord refusés puis qu’elle s’était résolue à prendre, sous la pression de Daniel –, elle s’était endormie.

Il l’avait donc quittée sereinement, le temps de faire son footing habituel. Pas si sereinement que cela, cependant. Il avait toujours une crainte de la laisser seule. Qu’il lui arrive quelque chose durant son absence, ou pire, qu’elle trépasse sans qu’il ne soit à ses côtés. Cela était inenvisageable à ses yeux. Elle ne pouvait pas mourir maintenant, alors qu’ils étaient à l’aurore de leur vie commune. Leur vie humaine.

Daniel bifurqua vers le pont Notre-Dame. Il ralentit le pas à la sortie. Il n’avait pas envisagé de s’arrêter à la cathédrale, mais celle-ci l’attirait. Au pas, il en frôla le parvis, puis poussa la lourde porte quelques instants plus tard.

La cathédrale était vide. Seuls quelques cierges peuplaient une table au fond, près de l’autel.

Il fit tomber la capuche de son sweat sur ses épaules et s’avança en direction de l’autel, au fond de l’édifice. Marquant l’arrêt à quelques pas de la grande croix dorée qui surplombait l’autel, il fixa intensément le Christ sur une plus petite croix, juste un peu plus bas. Ce n’était pas à lui qu’il avait l’intention de s’adresser, mais à son père. Au tout-puissant. Celui pour qui il avait travaillé jadis. Il n’avait pas d’autre endroit qu’ici, pour s’adresser à lui.

— Je trouve le prix un peu élevé. Pas vous ? commença-t-il, tout en fixant le Christ.

Il laissa passer un silence, comme s’il attendait une réponse, puis reprit :

— Vous vous étonnez que les mortels se détournent de vous, mais maintenant que je suis redevenu l’un des leurs, je comprends mieux. Je suis revenu pour la protéger et j’agirai comme bon me semble.

Nouveau silence. Daniel toisa l’autel : les cierges brûlaient doucement, laissant refléter une lumière tamisée.

Il entendit des pas à sa droite, il n’avait même pas besoin de tourner la tête pour voir de qui il s’agissait. Il fit l’aumône d’un faible sourire pour lui-même et… pour Dieu. Ce dernier n’avait pas tardé à lui envoyer un messager.

— Il n’y est pour rien. Tu t’es mis tout seul dans ce pétrin. Il t’a soutenu, il n’a jamais été contre toi. Il t’a d’abord accepté comme l’un des nôtres, et quand tu as enfreint le règlement, il ne t’a pas jugé. Ne lui en veux pas trop.

Daniel pivota sur sa droite, juste au moment où Haziel, son ancien collègue Ange de la mort, sortait de derrière l’une des colonnes de marbre.

— Tu as toujours été de son côté.

— Comment faire autrement lorsqu’on travaille pour lui ?

Daniel acquiesça en silence, puis posa ses yeux dans ceux d’Haziel.

— C’est donc toi ? demanda-t-il en faisant référence à l’Ange qui serait envoyé pour venir rechercher l’âme de sa bien-aimée.

— Non. Je n’ai pas d’ordre de mission. J’étais en train de prier quand tu es arrivé.

— Vous m’avez menti !

Haziel leva les deux mains en signe de rédemption, et fit un pas vers Daniel, afin que son visage soit enfin visible à la lumière.

— Je refuse d’entendre cela, dit-il. Le mensonge ne fait pas partie de mon tempérament. Je t’avais demandé de ne pas m’en vouloir.

Il avança encore, Daniel resta impassible, le visage fermé et le regard plein de haine.

— Tu as choisi ton camp. J’ai soutenu ta cause auprès de l’Archange Mickaël. J’ai réussi à avoir la fiole de vie et je suis resté avec toi dans la cabane, essayant de soulager les souffrances qui envahissaient ton corps, pendant que tu redevenais humain. Sans oublier que je t’ai ramené sur terre, près de Melly.

Daniel baissa la tête. Il se souvenait parfaitement du geste que son ami avait eu pour lui, lorsqu’il avait été banni par le parlement du paradis. Il avait alors dû vivre éloigné, dans la forêt Biscuit, ces bois situés dans la Cité des Anges. Tel aurait dû être son châtiment, à tout jamais. Mais Haziel était venu lui rendre visite, avec ce petit liquide bleu aux pouvoirs extraordinaires, dont aucun habitant de la Cité ne connaissait l’existence – mis à part quelques Célestes hauts placés, bien sûr.

Le serviteur de Dieu s’était absenté du village durant sept longs jours, veillant Dany qui avait été submergé d’atroces douleurs, sous l’effet de la transformation.

Daniel frissonna et serra les poings en repensant à la souffrance qu’il avait endurée. Il avait vécu entre le délire et la réalité durant une semaine. Haziel l’avait alors soulagé comme il le pouvait, ce qui n’avait pas été chose facile. Puis il l’avait enfin ramené sur terre, lorsqu’il avait jugé qu’il était prêt.

L’Ange s’avança à la hauteur de Daniel. Il tenait dans ses mains le bracelet noir tressé des Célestes, qui avait appartenu à l’ex-Ange jadis.

— Prends-le. Si tu as besoin de moi, il te suffira de l’actionner.

Daniel le regarda sans broncher. Il hésita. Il n’en aurait certainement pas l’utilité. Puis, sans réfléchir, il le saisit et le mit dans sa poche. Haziel approuva d’un mouvement de tête, puis disparut.

Daniel Müeller resta encore une minute, le regard levé vers le Christ, tout en serrant le bracelet dans sa poche. Puis, recula de quelques pas, et se décida enfin à tourner les talons.

***

Émilie, quivenait de vomir pour la troisième fois, ouvrit le robinet et se rinça la bouche, puis s’observa attentivement dans le miroir. La jeune femme avait mal à la tête, nonobstant la douleur était moins vive que d’habitude.

Melly entendit la porte d’entrée se refermer et se précipita dans le couloir.

— Dany !

Elle lui sauta au cou, après avoir eu si peur qu’il ne revienne pas.

Il fut surpris de la voir debout aussi tôt. Habituellement, elle était toujours sous les couvertures à son retour. Il marqua une pause et la serra contre lui. Elle fut la première à se détacher de son étreinte.

— Où étais-tu ?

Il lui caressa la joue.

— Je suis juste parti faire mon footing, comme tous les matins.

Elle esquiva un sourire. Il la trouvait plus pâle qu’à l’accoutumée. On pouvait lire sans peine sur son visage qu’elle était épuisée.

— Tu devrais aller te détendre. C’est ton jour de repos, poursuivit-il.

— J’ai cru…

— Combien de fois devrais-je te le dire ? Je ne partirai pas. Jamais.

Il déposa un chaste baiser sur son front, puis la serra contre lui.

Au même moment, la sonnerie de la porte d’entrée retentit, les sortant de leur étreinte. Melly s’écarta.

— Ma sœur, dit-elle. J’ai oublié ma sœur.

Il l’interrogea du regard.

— Eh bien, poursuivit-elle, j’étais tellement paniquée que j’ai appelé Clara. Sans bien sûr lui dire que tu étais ici.

Daniel arqua un sourcil d’amusement.

— Va t’habiller, je vais lui ouvrir.

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée.

— Je te promets de ne pas l’égorger.

Elle réfléchit un court instant, puis disparut dans la chambre.

2

Clara resta abasourdie quand la porte s’ouvrit sur Daniel. Elle ouvrit la bouche puis la referma aussitôt, tous ses sens en alerte. Elle leva d’abord l’index, cherchant ses mots, puis recula d’un pas et ouvrit à nouveau la bouche.

Daniel ne put s’empêcher de sourire. Leur dernière rencontre s’était assez mal déroulée. Avant que Daniel ne redevienne humain, Émilieavait avoué à sa sœur que ce dernier était un Ange en mission. Qu’il était arrivé dans sa vie pour prendre l’âme d’Emma, alors atteinte d’une leucémie. Depuis lors, Clara ne portait plus l’apollon dans son cœur.

— Vous ? commença-t-elle. Vous n’êtes plus le bienvenu ici ! Je pense que vous n’avez rien à faire dans cet appartement !

— C’est Émilie que vous voulez voir ?

Ce n’était bien évidemment pas une question. Il arbora un visage serein.

Il la trouvait ravissante, avec cette veste en cuir bleu marine et ce jean moulant qui mettait en valeur sa taille de guêpe, qu’elle n’avait eu aucun mal à retrouver après sa grossesse. D’ailleurs, Daniel se fit la réflexion qu’elle n’avait pas emmené son fils avec elle.

Elle le bouscula, et sans attendre d’y être invitée, pénétra dans le couloir pour rejoindre le salon.

— Je vous en prie, Clara. Après tout, vous êtes chez votre sœur.

Elle fit volte-face pour l’affronter.

— Je répète ma question…

— Il n’y avait pas vraiment de question.

— Que faites-vous là ?

Il la regarda avec douceur, alors qu’elle le fusillait du regard.

— Je suis revenu pour Melly.

Elle plissa le front et il comprit que ce qu’il venait de lui dire, portait à confusion.

— Pas revenu dans le sens où vous l’entendez.

— Retournez d’où vous venez ! Ma sœur n’a pas besoin de vous.

— Il est humain ! Comme toi et moi, intervint Émilie.

Clara se tourna vers la porte du salon, qui encadrait sa sœur ainée.

Émilie s’approcha d’elle, en laissant le silence les envelopper tous les trois. Puis répéta d’un ton plus posé :

— Il est humain, Clara.

Clara jeta un œil vers l’ex-Ange, puis vers Émilie.

— Pardon ?

— Tu as très bien entendu.

À nouveau, elle tourna les yeux vers Daniel et le détailla de la tête aux pieds, comme si elle cherchait un détail qui confirmerait les dires de sa sœur.

Ce dernier contourna Clara et déposa un doux baiser sur la joue d’Émilie.

— Il est temps de lui dire, Melly, murmura-t-il. Je vais prendre une douche et travailler. Si tu ne te sens pas bien, tu m’appelles. Et s’il te plaît, repose-toi.

La jeune femme opina d’un mouvement de la tête. Clara se tourna et suivit l’ex-Ange du regard, jusqu’à ce qu’il disparaisse de sa vue.

— Me dire quoi ?

Émilie soupira.

— Pas ici. Allons boire un verre ! J’ai besoin de prendre l’air.

3

— Ne me dis pas que tu as laissé ce type refaire surface dans ta vie ?

Elles étaient installées à l’une des tables d’un ravissant petit bistro, situé à quelques pas à peine de l’immeuble d’Émilie. C’était la première fois qu’elles y mettaient les pieds. L’endroit était modeste et très charmant. Les murs étaient peints d’un jaune soleil, ce qui donnait un côté très chaleureux à la pièce. Une dizaine de tables étaient disposées au sol, avec de jolis petits fauteuils en osier.

Le bistro était plein. Pour un jour de semaine, cela était exceptionnel. Clara avait commandé un cappuccino, tandis que sa sœur avait pris un café crème ainsi qu’une viennoiserie. Émilie s’était rendu compte en arrivant qu’elle mourrait de faim.

— Daniel est un type bien, Clara, dit-elle en mordant dans son croissant. Il a tout de même guéri Emma. Et il est revenu parce qu’il m’aime. Nous nous aimons.

Clara secoua la tête, résignée. Elle posa une main sur son front.

— J’ai compris ! Mais sache que je n’aime pas cet homme et que tu ne m’obligeras pas à l’apprécier.

Elle marqua une courte pause, puis reprit :

— Que dois-tu me dire ?

Émilie leva les yeux sur la serveuse, qui était occupée à débarrasser la table à côté de la leur. Clara suivit le regard de sa sœur, et toutes deux attendirent qu’elle ait fini pour reprendre leur conversation. L’aînée baissa les yeux sur sa tasse. Puis elle releva la tête et fixa sa cadette.

— Je vais mourir, dit-elle platement.

Clara, qui s’était penchée en avant, se redressa comme si quelqu’un venait de la repousser. Il y eut un long silence.

— Tout le monde va disparaître, Émilie.

Est-ce qu’elle pensait qu’elle était en train de plaisanter ? Elle touilla dans son café, porta la tasse à ses lèvres.

— Il ne me reste que quelques mois à vivre…

Clara n’eut aucune réaction.

La porte d’entrée tinta et Émilie regarda l’homme entrer. Il était habillé de noir et portait une capuche, ce qui l’empêchait de distinguer son visage. Il s’approcha du comptoir et commanda un verre. Elle tourna les yeux de nouveau vers sa sœur.

— Je suis atteinte d’une tumeur cérébrale, poursuivit-elle.

Clara secoua la tête et leva les mains, comme pour repousser cette idée.

— Je ne suis pas prête à entendre ça.

Émilie la regarda, effarée, puis à nouveau, son attention se porta sur l’individu accoudé au bar. Il lui tournait le dos, capuche toujours sur la tête. Il lui sembla tout à coup que quelque chose ne tournait pas rond. La serveuse continuait son tour de table.

— Il y a certainement quelque chose à faire. T’opérer, par exemple.

Elle tressaillit. Sa sœur venait de la sortir de sa torpeur.

— C’est inopérable. Je suis à un stade trop avancé. J’ai passé une biopsie, qui a bien confirmé la présence d’une masse au niveau du lobe droit.

Elle avait mal à la tête, tout à coup. C’était certainement le fait d’en parler. Elle nota que la serveuse encaissait deux tables plus loin, et que l’homme à la capuche noire portait son verre à ses lèvres, avant de déposer un billet sur le comptoir et de se lever.

Clara posa une main sur la sienne, la jeune femme accrocha son regard.

— Je m’occuperai d’Emma, si c’est cela qui t’inquiète, déclara cette dernière. Juste que je ne suis pas prête à te perdre, tu comprends ?

Elle soupira, tourna la tête à nouveau vers le comptoir. Le barman essuyait quelques verres. L’homme s’était dirigé vers les toilettes.

Elle ferma les yeux une fraction de seconde et l’image de la taverne lui sauta à la figure ; celle-ci était en feu.

***

Daniel releva la tête du dossier bleu qu’il tenait entre ses mains et sourit à l’enfant qui se trouvait assis dans le lit en face de lui. La mère de l’enfant était debout à ses côtés.

— Tu peux rentrer, Samuel. Tu n’as plus besoin de moi. Cependant, j’aimerais te revoir dans deux mois, pour faire le point.

Le gamin lui sourit. Samuel, douze ans, était entré dans le service pédiatrique pour une infection rénale. Un mois avait suffi pour qu’il soit de nouveau sur pied.

Après qu’il se fut retiré, Daniel jeta un coup d’œil au prochain dossier : Élia, cinq ans, atteinte de la maladie d’Alpers. Aucune chance pour que la fillette survive. Les derniers examens démontraient au médecin qu’un de ses anciens collègues, Ange de la mort, ne tarderait pas à se présenter auprès de l’enfant.

Il songea à l’anxiété qui avait tenaillé Émilie durant des mois, une angoisse interminable où elle avait cru perdre Emma.

Tout à coup, il fut envahi de vertige. Il prit appui sur le mur du couloir, baissa la tête et serra la mâchoire. C’était certainement dû à la mauvaise nuit qu’il avait passée, et au manque de sommeil qui le guettait. Cela durait depuis un mois, à présent. Dur de s’habituer à nouveau à une vie humaine.

Soudain, il fut frappé par l’image du bistro qu’occupaient Émilie et sa sœur : il était en feu !

Il comprit qu’elles étaient en danger.

***

Le feu avait pris dans la cuisine. Un incendie accidentel, disait-on. Mais Émilie n’y croyait guère. L’individu à la capuche noire, qui était apparu quelques minutes à peine avant que le sinistre ne se déclare, s’était ensuite redirigé vers les toilettes situées à quelques pas de la cuisine, et n’en était jamais réapparu. Les gens ne l’avaient pas vu sortir. Mais la jeune femme, si. Elle avait tourné un instant son regard vers la rue, et l’homme se tenait là. Il s’était éloigné, comme si de rien n’était. Au même moment, le barman avait crié : « Au feu ! » Les gens s’étaient d’abord rués vers la porte d’entrée, mais celle-ci était verrouillée, comme par magie.

Le barman et le cuisinier avaient cassé deux vitres par lesquelles des personnes, dont Clara et Émilie, étaient sorties.

Les sirènes des pompiers retentirent et deux camions s’immobilisèrent sur le bas-côté. Émilie s’écarta pour leur céder la place. Jamais elle n’avait assisté à un incendie d’une telle ampleur. Elle fixa l’étage et pria pour que personne n’habite l’appartement situé sous le toit. Quelque chose explosa à l’intérieur – certainement les conduites de gaz – et les flammes se mirent à croître de plus belle.

La jeune femme fit des yeux ronds, à la fois effrayée et fascinée par le spectacle. Les vitres explosèrent, ce qui la fit tressaillir. Elle suivit du regard l’échelle qui se dirigeait vers l’appartement. Au pied de l’immeuble, le pompier, une lance à la main, essayait d’éteindre le feu, tant bien que mal.

— Madame, ne restez pas là !

Un autre la poussa en arrière, et elle recula à peine. Son cerveau semblait ne pas vouloir l’alerter du danger.

Trois autres camions de pompiers, toutes sirènes hurlantes, stationnaient eux aussi sur les bas-côtés.

La foule s’était rassemblée à quelques pas de ce qui restait du bistro.

— Melly !

Émilie sursauta. Daniel dut la forcer à se retourner. Elle avait le regard vitreux.

— Est-ce que tu vas bien ?

Il lui caressa les cheveux, prit son visage entre ses mains, et appuya son front contre le sien. Il avait eu si peur quand le flash lui était apparu.

La jeune femme ne lui répondit pas. Elle laissa glisser sa tête contre son torse et s’y posa un instant. Il la laissa faire, jeta un œil vers l’immeuble en feu, et comprit très vite par l’ampleur des flammes que Satan devait être derrière tout cela.

Émilie releva la tête, soudainement inquiète et réaliste.

— Clara. Où est Clara ?

Elle se dégagea et sans réfléchir, se fraya un passage parmi les passants. Daniel courut après elle, puis la saisit par le bras.

— Elle va bien. Elle est un peu plus loin, à l’écart.

Il la prit par la taille, la forçant ainsi à être contre lui.

— Tu es certaine que tout va bien ?

Ils se regardèrent sans dire un mot, un long moment. Une autre vitre explosa derrière eux, et une nouvelle fois, la jeune femme sursauta. Elle semblait reprendre pied, doucement, dans la réalité.

— Dany… souffla-t-elle, comme si elle prenait seulement conscience qu’il était là. Que fais-tu ici ?

Il leva les yeux au ciel.

— J’ai eu… une sorte de vision.

— Oh. Une vision ?

Il hocha la tête de bas en haut d’un air grave. Émilie préféra taire qu’elle aussi avait eu une vision. Maintenant que Daniel était humain, cela lui était beaucoup plus facile de lui occulter ses pensées.

Elle se mit sur la pointe des pieds et l’embrassa.

— Je ne vais pas pouvoir rester, dit-il. J’ai quitté l’hôpital sans prévenir. Je vais vous raccompagner.

Comme une enfant, elle hocha la tête.

— Emi !

Clara la serra très fort contre elle, puis se dégagea et l’observa de la tête aux pieds.

— Tu n’as rien ?

— Non. Tout va bien. Nous ferions mieux de rentrer.

Clara jeta un œil vers son beau-frère.

— Oui, dit celle-ci.

Puis, elle se pencha plus près de Daniel et murmura :

— Il faut qu’on parle.

Daniel lui répondit par un sourire forcé. Il savait très bien quel sujet elle voulait aborder.

Aucun des trois ne vit l’émeraude du collier d’Émilie briller, scintiller, comme si quelque chose l’avait animée.

4

Le Démon balafré, attendait patiemment le Seigneur noir, son père aussi nommé Satan, dans sa horde. Il se tenait debout, immobile, telle une statue devant le trône orné de pierres et de rubis.

La pièce était sombre, juste éclairée de torches. Les murs étaient à la fois humides et chauds.

Le monstre laissa tomber la capuche noire de sa veste sur ses épaules, révélant ainsi son visage balafré du côté droit. Une large cicatrice – stigmate d’un combat – causée par le sabre de la Chasseresse : Annabelle-Rose. Un mois s’était écoulé depuis l’attaque. Et l’Ange noir s’était juré de la capturer, de lui réserver un sort bien pire encore que celui que Satan réservait aux Célestes.

La porte métallique claqua et Satan parcourut les quelques mètres qui le séparaient de son trône. Le Démon le regarda prendre place sans baisser les yeux, puis il s’inclina, la main sur sa poitrine.

— Es-tu devenu un imbécile ? demanda Lucifer, abruptement.

Le Démon ne répondit rien.

— Tu n’as pas fait exactement le travail pour lequel je t’ai employé.

— C’est-à-dire que la fille était seule. J’ai donc pensé…

— Tu as mal pensé ! Je le veux, lui. La fille m’importe peu.

Le suppôt de Satan laissa un silence passer. Il baissa les yeux, croisa les mains sur son ventre.

Lucifer porta la bague à ses lèvres et embrassa le rubis.

Le Démon ne pouvait plus détacher ses yeux de la pierre rouge. Il écoutait à peine ce que le Seigneur noir lui contait. Il revoyait encore très bien le collier, et aussi la pierre verte qui s’étaient animés à son entrée dans le bistro parisien, ce que personne d’ailleurs n’avait semblé remarquer. Il avait alors senti une tension, quelque chose qui le poussait à fuir, à rebrousser chemin. Il n’avait pas su rester dans la pièce plus de dix minutes.

— C’est la fille qui porte l’émeraude de la Custos. Je l’ai vue à son cou.

Le sourire de Lucifer disparut. Alors, elle était donc là. Il traquait l’émeraude depuis des siècles. La dernière pièce de l’échiquier. Il avait pensé que jusqu’ici, la pierre était entre les mains de Daniel. En effet, l’émeraude avait appartenu à sa mère, Guenièvre – la dernière gardienne en date. Mais toute cette histoire, Daniel l’ignorait encore. Si la fille la portait à son cou… cela signifiait qu’elle en était la gardienne à son tour.

— Je veux ce collier ! Par n’importe quel moyen, cria-t-il.

Le Malin sourit, puis ses pensées dérivèrent vers la Chasseresse. Satan n’eut alors aucun mal à décrypter ce qui le faisait sourire.

— Je te laisse t’occuper de Louis Momtbel. Fais-lui payer sa trahison. Si tu trouves Momtbel, alors tu trouveras la Chasseresse. Et rapporte-moi ce collier ! Maintenant, tu peux disposer.

Le Balafré s’inclina une nouvelle fois, puis se retira.

***

— Alors, c’est vrai ? Elle va mourir ?

Clara plongea son regard vert dans les yeux gris du médecin. Sur le conseil des pompiers, les deux sœurs avaient tout d’abord fait un détour par les urgences de l’hôpital, pour exclure toute intoxication aux fumées. Ensuite, Clara avait raccompagné sa sœur aînée avant de suivre Daniel jusqu’au cabinet pédiatrique. Ce dernier avait pris quelques minutes supplémentaires sur son planning pour écouter ce qu’elle avait à lui dire.

Clara enveloppa la pièce du regard : il s’agissait d’un petit cabinet de consultation élémentaire. Le plafond était bas, les murs peints d’un gris délavé. Ils avaient bien besoin d’une retouche de couleur. Les deux armoires métalliques n’étaient point assorties au bureau en chêne, qui devait dater du XVIIe siècle. Les dessins des enfants épinglés au mur du fond l’avaient fait sourire. Clara avait trouvé cela mignon.

L’annonce que lui avait faite sa sœur, une heure plus tôt, était un véritable choc. Après une année difficile, où sa nièce de dix ans avait contracté une leucémie dont elle était sortie indemne – un véritable miracle, avait dit le docteur Leblanc –, elle pensait à présent que l’année qui allait suivre serait plus clémente. Mais la vie ne semblait pas vouloir leur accorder du repos. Il y avait aussi eu parmi toutes ces mésaventures, la mort de leur père, sans parler de la perte du jumeau d’Émilie, dix ans plus tôt… La famille Pereira était maudite !

Clara était prête à pleurer, mais elle ne voulait pas dévoiler sa tristesse devant ce type. Elle ne voulait pas qu’il la prenne pour une faible. Même s’il était beau comme un Dieu, elle ne le détestait pas moins pour autant.

— Est-ce que Marcus le sait ? demanda-t-elle.

Marcus ! Le meilleur ami d’Émilie et le parrain d’Emma. Daniel avait eu un différend avec lui. À l’évocation de ce nom, Daniel serra la mâchoire, puis secoua la tête de gauche à droite.

— Et Emma ?

— On a pris le temps de lui expliquer. Ce n’est pas facile à entendre, pour une gamine de onze ans.

— Est-ce qu’elle consulte un psychologue ?

— Non. J’en ai touché un mot à Émilie, mais elle a refusé catégoriquement. Elle dit qu’Emma n’en a pas besoin, pour l’instant.

— Il y a certainement un traitement. Vous vivez avec elle. Vous êtes médecin. Enfin il me…

— J’ai mon diplôme de médecine, Clara !

Elle prit une grande inspiration. Balaya le bureau des yeux. Un silence pesant plana, un court instant. Le cœur de Clara se souleva de chagrin et elle sentit une boule se former dans sa gorge. Elle ferma les yeux, les ouvrit aussi vite, remplis de larmes. Elle jeta un coup d’œil vers ses mains, qui tenaient fermement son petit sac brun, et celles-ci tremblaient. Mauvais signe, pensa-t-elle. Depuis quand ce type la rendait-elle nerveuse ?

Daniel reprit :

— Melly refuse tout traitement. J’ai déjà essayé… Je n’ai pas envie de me braquer contre elle, d’autant plus qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre. Je crains qu’elle me déteste, ou que l’on se dispute, et ensuite avoir des regrets dans le futur.

Clara repoussa la chaise et se posta devant la fenêtre. Les deux mains appuyées contre le rebord de celle-ci, elle baissa la tête et laissa affluer ses pensées.

Daniel tourna son fauteuil dans sa direction.

— On ne peut pas la laisser agir de son plein gré. Elle n’est plus elle-même ces derniers temps, dit-elle.

— Cela deviendra de pis en pis. J’insiste : si je l’oblige à quoi que ce soit, elle me détestera.

— Ce qui ne serait pas une mauvaise chose, lâcha-t-elle, en se retournant pour lui faire face.

Daniel ne releva pas.

— Voulez-vous vraiment la perdre ? poursuivit la jeune sœur.

Il fixa la jeune femme.

— Melly est toute ma vie, alors ne pensez pas que sa perte ne me sera pas douloureuse.

Il se leva et se posta devant elle.

Clara recula, et se trouva ainsi coincée entre le rebord de la fenêtre et ce personnage qu’elle n’aimait guère.

Elle pouvait sentir son parfum. La tête commençait à lui tourner, tout à coup. Elle le trouvait plus qu’attrayant. Mais que lui arrivait-il ? Il avait perdu ses Dons, non ? C’est ce qu’Émilie lui avait fait sous-entendre. Il était humain ! Alors pourquoi subitement était-elle attirée par lui ? Ne l’avait-elle pas déjà été bien avant ?

— J’aime Melly, dit-il comme s’il venait de lire en elle. S’il vous venait une autre idée pour la faire changer d’avis, prévenez-moi. Je reste à votre disposition.

Elle cilla, puis réalisa qu’il parlait du traitement.

Il avait les yeux remplis de larmes. Elle crut qu’il allait craquer devant elle. Seigneur ! Il l’aimait vraiment. Elle ne sut trop quoi répondre.

Daniel se pencha en avant et elle se sentit très mal à l’aise. Jamais jusqu’à aujourd’hui, un homme ne lui avait fait tant d’effet. Même pas Roger.

Elle ferma les yeux et se pencha vers lui. Leurs lèvres étaient tellement proches, qu’elle crut qu’il allait l’embrasser. Même si ce type était l’amant de sa sœur, elle en mourait d’envie.

— L’entretien est terminé, Clara.

Elle ouvrit les yeux et fut troublée de voir qu’il avait reculé. Elle se sentit honteuse. Que venait-il d’arriver ? Maintenant qu’il était loin d’elle, elle pouvait réfléchir clairement. Elle déglutit, attrapa son sac sur la chaise, et quitta promptement la pièce.

 

 

5

 

La lettre à Élise était diffusée dans le haut-parleur de son véhicule, tandis que Daniel parcourait la route au volant de sa Mercedes.

La nuit s’était abattue depuis de longues minutes. Au loin, quelques voitures l’aveuglèrent avec leurs phares et il dut plisser les yeux pour se concentrer sur la chaussée.

Il jeta un bref coup d’œil à l’horloge du tableau de bord. Celle-ci affichait dix-neuf heures. Il avait donc encore vingt minutes. Ce qui lui laissait largement le temps de stationner son véhicule et de rejoindre Haziel au point du rendez-vous.

Il roulait à du soixante-dix kilomètres à l’heure en pleine agglomération. Chose inaccoutumée. Il prenait toujours garde à ne jamais dépasser la vitesse autorisée.

Il regardait d’un air absent la route et les repères familiers défiler. En devenant humain, il avait songé qu’il mettait Melly en sécurité. Mais, encore une fois, il l’avait mise en danger. Devait-il la quitter pour qu’elle ne coure plus aucun risque ?

Il s’arrêta au rond-point pour laisser place à quelques voitures, puis enclencha la première et redémarra. Le bip du réservoir se déclencha, et il se dit qu’il s’arrêterait sur le retour à une station-service. Le Ritz n’était plus qu’à deux kilomètres et il y serait donc rapidement.

De nouveau, ses pensées divaguèrent. Devait-il se livrer à Satan, alors qu’il n’avait plus aucun Don ? Où pouvait-on se protéger des Démons sur cette planète ?

Daniel s’interrompit devant l’entrée. Un voiturier s’empressa de prendre son véhicule pour le stationner. Il lui donna un généreux pourboire, avant de gravir les marches couvertes d’un tapis rouge épais et de rejoindre son ami.

L’Ange était accoudé au bar Hemingway. Il était assis sur un des hauts tabourets en bois du comptoir, un verre de vin rouge devant lui. Daniel prit place sur le tabouret à côté et commanda un martini.

— Ça a fait la une des journaux ! dit ce dernier, en glissant le quotidien sur le comptoir.

Haziel but une gorgée et tourna calmement la tête vers l’ex-Ange. Celui-ci fut troublé par le regard impassible de son interlocuteur.

Le barman déposa le martini et s’éloigna pour servir quelqu’un d’autre. Le verre à peine posé, Dany s’empara et en but une grande rasade.

— Je pense que c’est trop tôt pour spéculer, dit le Céleste.

Il n’avait même pas jeté un œil à l’article en première page. Celui-ci relatait l’incendie du bistro.

Daniel regarda son ex-collègue comme il aurait observé un rapace. Il avait l’aspect d’un homme de quarante ans – ce qui n’était qu’un leurre, car en réalité, Haziel était âgé de cinq cents ans. Son visage avait la vénusté des Anges et leurs yeux verts – seuls les yeux du Séraphin n’avaient pas la même couleur – et il avait la chevelure noir corbeau, tout comme l’ex-Ange. Il était vêtu d’un jean et d’une chemise vert foncé.

— Trop tôt ?

Daniel renversa la tête en arrière, puis fixa son ami et continua :

— Ils parlent d’un incendie criminel, mais toi et moi savons de qui il s’agit.

— Ce qui est, en quelque sorte, un incendie criminel.

Someone like you, d’Adele, se répercuta dans les haut-parleurs du bar et bizarrement, Daniel pensa à Annabelle-Rose. Il suivit du regard le couple qui prit place, tout sourire, à l’une des tables. Ils avaient l’air heureux, ne se souciant pas de leur avenir. Comme si aucune menace ne planait sur la terre.

— On n’a aucune nouvelle d’Anna, dit Haziel en lisant dans ses pensées. Elle a totalement disparu.

L’humain sentit son cœur se serrer. Il ferma les yeux, les ouvrit aussitôt. Il espérait que la Chasseresse allait bien. Qu’elle n’avait pas commis l’irréparable. Elle avait éprouvé des sentiments tellement forts à son égard dans le passé. Il l’avait aimée, certes, mais pas assez pour rester. Pas comme il aimait Melly.

— Il y a un moyen de la localiser.

Le serviteur de Dieu secoua la tête. Il était aussi inquiet que lui. Après tout, il s’agissait de sa sœur.

— Son bracelet est désactivé. Comme si elle n’existait plus.

Dany but une autre gorgée de son martini.

— Si elle était…

Il marqua une pause, ne voulant pas imaginer le pire, avant de continuer :

— Vous le sauriez.

— Oui. Si elle était morte, je le sentirais.

Il posa un coude sur le comptoir, puis posa son front dans sa main. Un long silence les enveloppa. Juste la voix d’Adele avec son Someone like you.

Daniel observa le liquide dans son verre, jeta un œil sur l’horloge murale. Celle-ci affichait dix-neuf heures quarante-cinq. Melly allait s’inquiéter. Il ne l’avait pas prévenue. À quoi bon la tracasser avec toutes ces histoires ?

— Pourquoi Melly ? Pourquoi elle ? reprit Daniel en faisant de nouveau allusion à l’incendie.

Haziel releva la tête et fit une grimace.

— Aucune idée. Ce n’était peut-être pas elle qui était visée.

— Alors qui ? Je n’ai plus rien que Lucifer pourrait encore convoiter. Que pense Mickaël ?

— Il n’a pas voulu s’étendre sur le sujet. Il n’en sait pas plus que toi et moi. Alors, attendons encore un peu.

— Attendre quoi ? Un autre attentat ? Je l’ai encore une fois mise en danger. Je pensais que cela serait plus simple si…

Il ne continua pas. À quoi bon ?

— Serais-tu en train d’essayer de m’annoncer que tu regrettes ?

— Non.

Il ancra son regard dans les yeux de son interlocuteur. Haziel porta son verre de vin à ses lèvres.

— Est-ce qu’on te manque ? Juste un peu ?

Daniel sourit faiblement.

— Je ne répondrai pas à la question.

— Mais, tu viens d’y répondre.

L’humain fixa un point inconnu sur le comptoir. Il avait envie d’un autre verre. Il se fit violence pour ne rien commander. Il devait reprendre le volant !

Il se leva.

— Renseigne-toi pour l’incendie. Je reste sur mes gardes. Et dès que vous aurez localisé Anna, donne-moi de ses nouvelles.

Il déposa un billet de cinq euros sur le bar, et dit au garçon de garder la monnaie.

— Éloignez-vous un moment, Dany. Si l’attaque est contre vous, alors on sera fixé. Emmène Melly loin. Je ne pense pas que la petite risque quoi que ce soit. Si Lucifer veut quelque chose, c’est certainement en rapport avec ta personne.

— Je n’en ai pas encore touché un mot à Melly. Mais j’aimerais aller voir un neurochirurgien aux États-Unis.

— Ne perds pas ton temps. Elle est condamnée.

— Je répète ; je me battrai jusqu’au bout.

Haziel le regarda s’éloigner, les yeux dans le vide. L’incendie du petit bistro du cinquième arrondissement ne lui disait rien qui vaille, et la disparition totale de sa sœur était certainement due aux forces des Ténèbres.

 

***

 

Émilie était attablée dans la cuisine. Elle fixait d’un regard vide son verre d’eau et l’assiette encore pleine qu’Emma avait laissés sur la table. En colère, sa fille avait repoussé sa chaise violemment et avait quitté la pièce. Émilie ne comprenait pas ce qui la rendait si irritable.

La mère de Camille l’avait déposée en bas de l’immeuble très tard – c’est ce qu’Emma lui avait rapporté et la jeune femme lui faisait confiance. Quand elle avait poussé la porte d’entrée, la gamine était déjà de mauvaise humeur, elle n’avait même pas dit bonsoir à sa mère et avait filé directement dans sa chambre. Lorsque sa mère était venue voir ce qui n’allait pas, Emma avait essayé de lui faire croire qu’elle se faisait des idées. Mais la mère savait parfaitement qu’elle n’avait rien imaginé. Elle n’avait pas eu la force de lutter contre la fillette. Elle avait donc fermé la porte, et avait laissé Emma à ses lubies.

Au dîner, Emma n’avait pas dit un mot. La jeune femme s’était aperçue que sa fille s’était maquillée. Un peu trop, à son goût. Emma était très jolie, elle n’avait pas besoin de tant de maquillage, et Émilie avait désapprouvé son changement. La gamine avait donc démarré au quart de tour, et avait hurlé :

— Je suis assez grande pour faire ce que j’ai envie de faire !

— Emma, baisse d’un ton, d’accord ?

La gamine avait repoussé son assiette brusquement. Quelques bouts de salade s’étaient éparpillés sous la secousse.

— Camille se maquille aussi ! Je ne suis plus un bébé !

Émilie avait soupiré et s’était massé les tempes. Elle n’avait pas envie de s’énerver. La journée avait déjà été assez épuisante comme cela. Pourquoi Daniel n’était-il pas encore rentré ? Jamais Emma n’aurait osé lever le ton devant lui. Rares avaient été les fois où ils avaient dû la remettre à sa place.

Emma était habituellement une petite fille calme et très intelligente pour son âge. Elle avait passé une année difficile, à cause de sa leucémie. Et c’était la première fois qu’Émilie avait tant de difficultés avec elle. D’accord, elle avait connu quelques crises, mais jamais d’aussi cataclysmiques.

Après que sa mère lui avait défendu tout maquillage, Emma avait repoussé sa chaise violemment et quitté la pièce. La jeune journaliste avait entendu la porte de la chambre claquer à grand bruit. Elle avait sursauté.

Emma avait onze ans, trop tôt pour une crise d’adolescence ! Tu crois ? lui susurra sa conscience. À son âge, est-ce qu’elle se serait aventurée à répondre à sa mère d’une telle façon ? Certainement pas ! Et surtout, elle n’aurait pas osé se maquiller.

Émilie prit sa tête entre ses mains et soupira. Elle songea à passer un coup de fil à la mère de Camille, pour vérifier si c’était bien elle qui avait reconduit sa fille, puis se ravisa. Il lui sembla soudain que la gamine lui mentait.

Emma mit la musique à fond. Dans dix minutes, Émilie était certaine que la sonnerie de la porte du palier allait retentir pour lui demander de baisser le volume. Est-ce que Emma allait obéir ? Vu son humeur du jour, elle en douta.

Elle entendit la clef de Daniel tourner dans la serrure et elle n’eut même pas le courage de se lever pour l’accueillir. Quelques secondes à peine plus tard, elle sentit sa présence dans son dos.

— Est-ce que ça va ?