Le tourbillon de la vie - Caroline Noëlle - E-Book

Le tourbillon de la vie E-Book

Caroline Noëlle

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Beschreibung

La guerre entre Satan et Dieu n'a jamais été aussi près d'éclater.

Das E-Book Le tourbillon de la vie wird angeboten von BoD - Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
Fantasy Urbaine,amour,contemporain,anges, démons,aventure

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Seitenzahl: 553

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

Chapitre 1

Chapitre 2 : Paris

Chapitre 3 : Pandémonium

Chapitre 4 : Paris

Chapitre 5 : Pandémonium

Chapitre 6 : Paris

Chapitre 7 : Pandémonium

Chapitre 8 : Paris

Chapitre 9 : Pandémonium (quelques instants avant)

Chapitre 10: Vinsobres

Chapitre 11: Pandémonium

Chapitre 12: Pandémonium, (au même moment)

Chapitre 13: Paris

Chapitre 14: Pandémonium

Chapitre 15: Paris

Chapitre 16: Pandémonium

Chapitre 17: Paris

Chapitre 18: Pandémonium

Chapitre 19: La Cité des Anges

Chapitre 20: Pandémonium

Chapitre 21: Cité des Anges

Chapitre 22: Pandémonium

Chapitre 23: La Cité des Anges

Chapitre 24: Pandémonium

Chapitre 25: La Cité des Anges

Chapitre 26: Pandémonium

Chapitre 27: Cité des Anges

Chapitre 28: Paris

Chapitre 29: Cité des Anges

Chapitre 30: Paris

Chapitre 31: Cité des Anges

Chapitre 32: Pandémonium, le soir même

Chapitre 33: Cité des Anges

Chapitre 34: Pandémonium

Chapitre 35: Cité des Anges

Chapitre 36: Paris

Chapitre 37: La Cité des Anges

Chapitre 38: Pandémonium

Chapitre 39: Cité des Anges

Chapitre 40: Paris

Chapitre 41: Île de Samania

Chapitre 42: Cité des Anges

Chapitre 43: Île de Samania

Chapitre 44: Cité des Anges

Chapitre 45

Chapitre 46: Pandémonium

Chapitre 47: Île de Samania

Chapitre 48: Île de Samania

Chapitre 49

Chapitre 1

Le soleil se couchait sur Pandémonium. Il était de couleur sang, tachant les nuages au travers desquels il s’éteignait.

Plus bas, les sabots des chevaux appartenant aux Chevaliers noirs martelaient la route poussiéreuse qui serpentait jusqu’au château de Lucifer. Dans le silence dense, on entendait le grincement provenant du harnachement des équidés.

Un plaid sur les épaules, Emma Pereira était secouée sur le pommeau de la selle, tandis que ses deux camarades, eux, devaient se contenter de marcher derrière les bêtes, une corde nouée aux poignets.

Colin commençait à avoir mal aux pieds. Lui et Geoffrey marchaient maintenant depuis des heures. Il ne restait pas beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre la citadelle, en passant par son pont étroit, ainsi que son mur renforcé.

Emma leva des yeux remplis de larmes. Elle priait dans son for intérieur depuis leur départ, pour que quelqu’un vienne les secourir. Mais maintenant qu’ils étaient arrivés, il fallait qu’elle se rende à l’évidence… Personne ne savait qu’ils étaient ici !

Les chevaux s’arrêtèrent et Emma ne songea nullement à sauter de la selle pour s’enfuir. Pour aller où ?

L’un des Chevaliers noirs annonça leur arrivée en soufflant dans un cor. Ils attendirent un long moment, puis les chevaux se remirent en marche.

Au bout de quelques mètres, les deux cavaliers mirent pied à terre, et sans se soucier du bien-être de la gamine, l’un d’eux la balança par-dessus la selle comme un vulgaire paquet.

À l’entrée, un garde les attendait.

— C’est pourquoi ?

— Il faut qu’on voie le Seigneur noir.

Le garde jeta un œil aux enfants.

— Par ici !

Ils le suivirent le long d’un couloir sombre.

***

Tous les invités avaient été conduits dans la salle d’apparat. Une pièce gothique, voûtée et lambrissée, avec ses œuvres d’art et ses colonnes centrales portant des statues de Cerbères. C’était la pièce la plus décorée du château, et pour la fête obscure de ce soir, on y avait suspendu des tentures rouge sang. Les tables de banquet avaient été rangées sur le côté, et à leur place, étaient installées vingt chaises alignées face à une petite estrade. Puis, il y avait deux chaises hautes de couleur rouge, à têtes de lions dorées, aux côtés du trône de Lucifer orné de pierres et de rubis. C’est là qu’Annabelle-Rose et son mari prirent place, ayant une vue imprenable sur le spectacle et la foule.

La jeune femme se tenait bien droite, les bras posés sur les accoudoirs, fixant le joueur de flûte. Ce même homme qui avait combattu le dragon dans l’arène, quelques jours plus tôt.

Elle avait du mal à respirer dans son corsage baleiné noir sur un plastron plissé, sa jupe de même couleur, brodée de perles et de dentelles, la privait de ses mouvements.

Son mari et Lucifer aussi étaient très élégants dans leur ensemble justaucorps, sans col, fait de velours, l’un de couleur pêche, l’autre jaune or.

Le musicien portait également un ensemble justaucorps de velours frappé, mais le sien était d’un modèle rouge cramoisi avec baudrier. Il fermait les yeux, la flûte en bouche, vivant chaque instant de son histoire.

La foule, tout comme Annabelle-Rose, demeurait subjuguée par cet homme. Comme l’avait été le dragon, avant que l’artiste ne lui plante son épée entre les deux yeux.

Elle sentit le souffle d’Alendras effleurer son oreille. Elle garda le regard rivé droit devant.

— C’est l’histoire d’un dragon, commença Alendras à l’oreille de sa bien-aimée. Ce dragon avait trouvé refuge dans une grotte du pays Irmubis. Le pays des dragons. Beaucoup de ses frères avaient péri sous l’épée du brave chevalier royal. À mesure que ce chevalier tuait ses semblables, la colère du dragon s’amplifiait.

Annabelle-Rose plissa les yeux, et se concentra sur l’histoire que lui contait Alendras. Son cerveau enregistrait tout ce qu’il lui racontait, et la jeune femme sentait son cœur battre de plus en plus vite. Se déroulait devant elle une histoire à couper le souffle. Irmubis, un pays que personne jusqu’ici n’avait pu voir, et une légende qui traversait bien des pays. Rose se laissa envahir par la voix du joueur de flûte — une sorte de barde — qui contait son histoire en musique.

Alendras poursuivit :

— L’animal finira par se retourner contre les habitants d’Irmubis et par les terrasser les uns après les autres, continua-t-il. La légende raconte que c’est le roi lui-même qui coupa la tête du reptile. Après, bien entendu, une lutte sans merci. Le roi brandit la tête du reptile sur son balcon, à la vue de tous. Son trophée !

Annabelle-Rose se sentit mal tout à coup…

— Je ne me sens pas très bien, finit-elle par déclarer, en se levant et en posant une main sur son ventre.

Alendras se leva et jeta un œil au Seigneur noir. Ce dernier n’avait pas donné la permission à la princesse de quitter les lieux.

Annabelle fixait ses pieds, sentant son cœur au bord des lèvres. Puis, Lucifer la fixa en silence un moment et acquiesça d’un mouvement de la tête en direction de son fils, le Balafré. Celui-ci attrapa la jeune femme par un bras et l’escorta jusque dans sa chambre, la servante sur leurs talons.

La fête battait son plein. Le joueur de flûte avait fini de conter son histoire de Dragons. Les invités envahissaient la piste de danse, ils mangeaient abondamment et buvaient du bon vin.

Les bottes des Chevaliers noirs martelèrent le sol et les clochettes attachées à leurs ceintures attirèrent l’attention de tous les convives. Le silence se fit, tandis que les deux Démons fendirent la foule, poussant les gamins devant eux.

Satan ne bougea pas d’un pouce, la tête haute, le regard dur, il fixa les deux cavaliers. Ceux-ci le saluèrent de la tête, en posant une main sur leur poitrine.

Il s’écoula quelques secondes où l’on entendit plus que le bruit des doigts du Diable, pianotant le bras de son trône de ses ongles taillés en pointes. Puis, il donna enfin l’ordre aux Chevaliers noirs de relever la tête.

Alendras, qui avait repris place aux côtés du Seigneur noir, adopta la même attitude que son père.

— Sire, commença l’un des cavaliers en tenant Emma fermement par un bras. Nous avons trouvé ces gamins en chemin. Cette fille est celle de la Gardienne, Sire.

Le silence tomba à nouveau, s’étirant. Le deuxième cavalier déposa aux pieds de son maître deux petits sacs assez sombres.

— Et voici vos présents, Sire, dit-il.

Emma sentit un frisson lui parcourir l’échine. Les petits sacs noirs en question étaient remplis d’âmes d’enfants qui allaient nourrir celle de Lucifer, pour son plus grand plaisir !

Alendras les ramassa et les déposa sur les genoux de son père. Lucifer, lui, n’arrivait pas à détacher ses yeux d’Emma. Il ne jeta même pas un œil aux gamins qui l’accompagnaient.

— L’avez-vous vue ? demanda-t-il, en faisant référence à Émilie, qui n’était autre que la dernière gardienne en date.

Il avait besoin de cette pierre qu’il convoitait depuis des siècles, et qui, associée au rubis qu’il portait à son doigt, ferait basculer le monde dans un chaos total. Satan avait séduit Elywen — qui était la première gardienne des deux pierres. Il lui avait dérobé le rubis, et Elywen avait été bannie du Paradis. La légende racontait que la jeune Céleste avait trouvé refuge sur l’île de Samania. Une île magique perdue dans le firmament. Mais tout comme la plupart des Célestes, Satan n’avait aucune idée d’où Elywen pouvait bien être réellement.

— Non, Sire. Seule la fille était là sur notre route.

— Emmène-les au cachot. La Gardienne ne devrait pas tarder.

— Très bien, Sire.

Les Chevaliers noirs tournèrent finalement les talons et poussèrent les enfants devant eux.

Emma freina des pieds et on la traîna par le bras.

***

La cour du château était éclairée par des torches dès la nuit tombée. Les cris d’Emma firent écho, comme une bagarre qui éclate.

Annabelle-Rose plissa les paupières pour mieux voir. Elle était plantée devant la fenêtre, observant la grange où ses dragons étaient, eux aussi, retenus prisonniers. Et maintenant, elle regardait les enfants traverser la cour et cette petite blonde se débattant en hurlant.

La porte derrière elle claqua et la princesse jeta un œil pardessus son épaule. À la vue de son mari, la jeune femme reporta alors son regard sur les gosses au-dehors.

Alendras observa la scène, d’un air indifférent.

— Que se passe-t-il ? demanda Annabelle-Rose.

— Des prisonniers. Des enfants que les Chevaliers noirs ont ramenés. La fille est du même sang que la Gardienne. Et les Chevaliers pensent qu’elle pourrait servir de monnaie d’échange, contre l’émeraude.

— Et les autres ?

— Leurs âmes serviront de repas au Seigneur noir.

La Chasseresse se tourna brusquement vers Alendras et le toisa avec un regard dur. Il souleva les épaules d’un air complètement indifférent.

— Quel père indigne ferras-tu, Alendras ?

Il lui attrapa le menton et le serra très fort.

— Un père dont le fils sera fier ! Ne sois pas si sentimentale, Milady. Notre fils aura besoin d’apprendre à vivre.

Il relâcha sa prise et Annabelle-Rose chancela. Elle le regarda s’asseoir sur le lit et retirer ses bottes.

Elle posa une main sur son ventre. Elle avait appris la veille qu’elle était enceinte.

— Qui te dit que ce sera un garçon ?

— Il le faut !

— Et si c’est une fille ?

Alendras afficha un rictus.

— Elle ne vivra alors que quelques minutes.

La jeune femme ne lui répondit pas et le regarda se déshabiller. Elle allait devoir protéger son enfant. Qu’il soit fille ou garçon, Annabelle-Rose comptait défendre sa vie bec et ongle.

Chapitre 2 Paris

Par une belle journée de printemps, Émilie Pereira était revenue à la vie.

Depuis le moment où elle avait ouvert les yeux, la jeune femme voyait le monde différemment. Elle avait trouvé étrange cette sensation de voir le moindre détail de la peau de Daniel qui se tenait allongé à ses côtés sur leur lit. De respirer son odeur qui l’attirait comme autrefois. Pourtant, Daniel Müeller n’était plus un Ange ! Il était humain. Et maintenant… Émilie Pereira avait le sentiment que tous ses propres sens s’étaient démultipliés.

Sa nuque lui faisait moins mal qu’à son réveil. À ce moment, la jeune femme avait eu l’impression que quelqu’un lui avait enfoncé un couteau à vif dans la peau. Elle jeta un œil à Daniel qui affichait un sourire pincé. Il était toujours aussi pâle que quelques minutes plus tôt, assis dans le rocking-chair.

Émilie avait d’abord cru qu’il était mort. Elle l’avait appelé plusieurs fois, l’avait secoué, et Daniel avait mis un temps fou à émerger. Et puis, il y avait aussi cette tache de sang sur la chemise blanche de son mari, qui l’avait fait paniquer.

Et la mémoire lui était revenue, d’un coup : tout avait commencé avec sa tumeur au stade quatre et la folle idée de Daniel qui tenait tant à la sauver. L’ultime solution de l’ex-Ange n’était autre que d’avoir recours à Louis Momtbel. Un Démon ! Ensuite, il y avait eu son mariage, l’île de Samania, et l’apparition de sa grand-mère dans la chambre d’hôtel, lui demandant de retrouver cette Chasseresse magnifique qui n’avait été autre que la compagne de Daniel, jadis.

L’émeraude… Il y avait aussi ce bijou. Celui que Daniel lui avait offert le soir de son anniversaire, et qui s’avérerait être la pierre de la Gardienne, dotée de pouvoirs extraordinaires. La jeune femme avait donc appris qu’elle avait été choisie par Elywen, pour garder l’émeraude.

La pierre l’avait absorbée à Pandémonium. Tapie dans l’ombre, Émilie avait assisté au mariage entre Annabelle-Rose et le prince des ténèbres, au discours que la belle avait servi aux disciples de Satan, leur promettant de gagner la guerre contre Dieu, avec une armée de feu qu’elle seule possédait. Et ce matin-là, tout s’était achevé par l’image d’horreur où, le soir de ses noces, la Chasseresse avait décapité un Céleste ! Émilie en avait été malade !

La dernière chose dont la jeune femme se souvenait était son retour sur terre, après un bref passage au Paradis. Et la langue de Louis Momtbel se mêlant à la sienne, aspirant le peu d’oxygène qui lui restait encore, ainsi que sa tumeur. Elle avait cru y laisser la vie. Mais elle s’était réveillée miraculeusement dans son lit au petit matin, et voyait le monde tout autrement. Dans ses moindres détails. Seigneur !

À présent, il y avait Daniel, refusant de lui promettre qu’il ne se rendrait pas à Pandémonium avec Momtbel pour sauver cette foutue fille ! C’était l’accord que Tommy, jumeau d’Émilie, avait obtenu auprès du Démon Momtbel pour protéger la jeune femme.

— Annabelle-Rose est à Pandémonium et elle est au service du Diable, dit-elle.

Daniel resta immobile, à l’écouter.

— Elle ne reviendra pas. Ce qu’elle a été capable de faire… montre quel camp elle a choisi. Je remercie Louis Momtbel de nous avoir prolongé la vie, mais cela ne lui donne pas le droit de mettre en péril toute une famille, pour sauver une personne qui est irrécupérable ! Il s’est mis en tête, et toi aussi Dany, qu’Annabelle-Rose pouvait être sauvée…

— Quel mal il y a-t-il à cela ?

Elle entrouvrit la bouche et ne sut d’abord que répondre. Il ne le voyait donc pas ?

— Si tu ne comprends pas ça, alors c’est moi qui me battrai contre Momtbel. Aucun de vous n’ira à Pandémonium. D’ailleurs, où est Tommy ?

Il y eut un fracas dans le salon qui les fit sursauter tous les deux.

Émilie sauta hors du lit et se précipita dans la pièce, Daniel sur les talons. Elle ne réalisa pas encore qu’elle venait de faire cela avec une facilité et une vélocité inhabituelle. Ce qui lui aurait été impossible, quelques jours plus tôt, avec sa jambe malade.

— Ne m’approche pas ! cria Louis Momtbel en levant une main vers Émilie, qui se précipitait dans sa direction. Ce n’est pas parce que je t’ai sauvé la vie, que tu dois… me sauter au cou. Surtout avec cette chose.

Il pointa du doigt l’émeraude et la jeune femme s’arrêta net au milieu du salon. Elle avait oublié que son mari lui avait passé à nouveau le bijou autour du cou.

La pierre pouvait mettre un terme à la vie de Louis Momtbel, à tout instant.

Daniel se tenait quelques pas sur la droite d’Émilie, les bras ballants le long du corps, fixant Momtbel qui était apparu dans le séjour de l’appartement, en faisant un fracas de tonnerre. Il avait renversé le bonsaï, qui était sur la table de verre. Le malheureux petit arbre gisait à ses pieds, hors de son pot.

Quelques mèches s’étaient échappées de sa queue de cheval et il tenait dans sa main gauche une épée.

Émilie regarda l’homme face à elle de la tête aux pieds et pinça la lèvre inférieure.

— D’où sort cette créature ? demanda-t-elle.

Bien sûr, elle connaissait déjà la réponse. Ce qu’elle voulait savoir c’était : que voulait Louis Momtbel ? Mais elle avait encore du mal à trouver ses mots.

— De Pandémonium, lui répondit Daniel sans quitter le regard de Momtbel.

Elle tourna la tête vers son mari et ses yeux s’attardèrent sur la lampe de chevet, restée allumée sur le meuble du salon.

— Et devinez qui j’ai vu là-bas ? dit Louis.

— Le Diable ? lança la jeune femme d’un ton pince-sans-rire.

Louis Momtbel ne sembla pas comprendre la plaisanterie. Il ignora totalement la remarque de Melly.

— Les enfants !

Daniel plissa les yeux et Louis comprit que les amoureux ne voyaient pas du tout de qui il parlait. Il continua donc :

— Emma, Colin, et… comment s’appelle déjà le fils de Guillaume ?

Le sol sembla s’ouvrir sous les pieds d’Émilie Pereira. Elle manqua de s’effondrer. Un son étrange sortit de sa bouche. Cela ressemblait à un cri étouffé.

Elle tâtonna à la recherche d’une prise, et renversa un verre d’eau qui avait échappé à l’arrivée du Démon.

Émilie s’écroula dans le sofa blanc et prit sa tête entre ses mains. Daniel ne bougea pas, saisit d’effroi par la révélation du Démon.

Emma, songea Émilie. Mon bébé. À son réveil, elle n’avait pas songé un instant à sa fille de onze ans. Elle aurait dû être en sécurité chez Marcus. Comment Emma pouvait-elle se trouver à Pandémonium ?

Elle se balança d’avant en arrière, prise d’une angoisse incontrôlable.

Momtbel regarda tour à tour Daniel, puis Émilie.

— Personne ne compte me dire comment le fils de Guillaume Gaubert se nomme ?

— Geoffrey, dit calmement Daniel en analysant la situation.

Et elle était grave. Il serra les dents et les poings. Il n’était plus question de sauver Annabelle-Rose, à présent.

— Ils veulent l’émeraude, continua Louis sur un ton plus sérieux encore.

— Alors, donnons-leur ce qu’ils veulent.

Émilie venait de relever la tête et planta ses yeux bleus dans ceux du Démon.

Il y eut un silence, comme si Daniel n’avait pas fait attention à la discussion entre sa femme et Louis.

La jeune femme était déjà en train de détacher le collier de son cou, quand enfin Dany reprit la parole :

— Il n’en est pas question !

Melly lui jeta un regard noir et le Démon cru qu’elle allait lui sauter à la gorge. L’ex-ange poursuivit :

— Lui donner l’émeraude serait lui livrer le monde entier sur un plateau d’argent, Melly.

Elle se leva d’un bond et s’approcha de lui comme une furie. Ce dernier ne cilla pas.

— Je me fous de votre foutue guerre, qui est éternelle ! Emma est à Pandémonium ! Tu entends ? Ce qui veut dire que ma fille est entre les mains de Lucifer !

Elle s’arrêta, attendant un moment avant de reprendre, plus furieuse que jamais, mais Daniel ne lui en laissa pas l’occasion.

— J’ai entendu, Melly, dit-il sur le ton le plus calme possible.

Je rêve ! pensa-t-elle. Pour la première fois depuis leur rencontre, ils se défièrent du regard un long moment.

Louis songea qu’il était temps de mettre un terme à cet échange qui allait mal tourner. Pour une fois, il songeait bien !

— Je pourrais la ramener, dit-il.

Le couple tourna la tête vers lui.

— Évidemment, seul, je ne pourrai que ramener Emma.

Aucune réponse ne lui parvint. Il laissa Daniel dans ses réflexions. Car Louis savait parfaitement que Daniel était en train d’échafauder un plan. Seule la jolie blonde ne lui laissait pas le temps de réfléchir, et partir dans la précipitation n’était vraiment pas la meilleure solution.

— Je dois admettre que pour une fois, je suis d’accord avec ce que ton mari raconte, continua-t-il en s’adressant à Émilie. Donner la pierre à Satan serait lui livrer le monde…

— Je me fous…

— Tu te fous de cette satanée guerre éternelle et bla, bla. Je sais aussi ! Mais tu vas m’écouter !

Émilie ferma la bouche. Le ton de Louis était cassant. Il ne plaisantait plus à présent.

— Je n’ai jamais admis ce qui arrivait aux enfants qui survivent dans Pandémonium.

La jeune femme plissa le front, l’interrogeant du regard. Mais Louis ne répondit pas à sa question muette et continua :

— Je sais où ils ont été emmenés. Un endroit qui n’est accessible à personne. Je sais aussi qu’Annabelle-Rose est irrécupérable.

Il marqua une pause. Cette fois, Daniel posa les yeux sur lui.

— Elle est enceinte ! Ses yeux changent. La transformation est presque terminée.

Là, il venait de s’adresser à Dany. Une nouvelle fois, celui-ci serra les dents et Émilie sentit toute la frustration de son mari, à l’évocation que la Chasseresse portait l’enfant d’un autre.

— Je peux vous aider à les récupérer, continua Louis en faisant référence aux enfants. Mais il faut que vous m’accompagniez.

— Il est hors de question que Melly vienne avec nous.

Le Démon ne broncha pas, quant à la jeune femme, elle ouvrit de grands yeux en regardant Daniel. Elle avait l’impression qu’elle allait se réveiller d’un moment à l’autre. Cela ne pouvait pas en être autrement. Emma ! À Pandémonium ! lui souffla à nouveau sa conscience.

— Tu veux rire, j’espère ? finit-elle par lui demander.

Il se tourna face à elle et la perça d’un regard, dont elle n’aurait su dire s’il était teinté de dureté ou de douceur. Elle aussi était partagée entre deux sentiments : une part d’elle-même voulait lui sauter au cou pour l’embrasser follement, et le remercier de vouloir partir à la recherche de sa fille, et de l’autre part voulait le secouer en lui rappelant qu’elle était une femme libre, et qu’on était plus au siècle des Romains.

— Ai-je vraiment l’air de plaisanter ?

Elle détourna les yeux et secoua la tête, avant de replonger son regard dans celui de Dany, qui était toujours en train de la fixer. Louis Momtbel regardait la scène sans oser manifester sa présence.

— Je partirai avec vous. Et ce n’est pas négociable, ajoute-telle à l’adresse de son mari.

Elle le vit prendre une grande inspiration et acquiescer faiblement. Peu importe ses arguments, elle ne céderait pas.

Son téléphone sonna et Émilie ne broncha pas. Elle semblait avoir oublié la présence du cellulaire. Comme si celui-ci n’avait jamais fait partie de son existence. Il émit cinq sonneries, puis le silence envahit l’appartement, rempli de tension.

Louis Momtbel se passa une main sur le front.

— Il nous faut plus d’armes.

— Je sais qui peut nous en procurer, dit Melly, en fixant un point vers la fenêtre.

Une visite à sa grand-mère s’imposait.

***

Le téléphone portable de Clara Pereira tomba lourdement sur la table de son salon. La jeune femme passa une main dans ses cheveux blonds et fixa le cellulaire, des éclairs pleins les yeux. Elle se mordit la lèvre à sang et sentit le goût métallique envahir sa bouche.

La porte de l’appartement qu’elle occupait avec Roger claqua, et ce dernier apparut quelques secondes à peine plus tard, dans la pièce. Clara ne leva pas les yeux vers lui.

Les valises étaient prêtes, posées sur le divan. L’état des lieux avait été fait quelques heures avant, et Bruno — le bébé du couple — dormait paisiblement dans son couffin.

— Tu es prête ?

Elle se tourna enfin vers Roger. Il était de vingt ans son aîné, avait les cheveux grisonnants, et Clara trouvait que sa taille avait épaissi depuis qu’il était venu la rejoindre en France. Roger était originaire d’Oxford, il avait vécu à New York avec Charlène, son ex-femme, et ses trois enfants, avait une magnifique carrière d’avocat d’affaires là-bas, avant de tout abandonner pour rejoindre Clara Pereira en Europe, alors que celle-ci était enceinte de leur premier enfant. Après une décision difficile, il avait finalement lancé la procédure de divorce entre Charlène et lui, avait fait des efforts pour parler un français correct et avait essayé de remonter son affaire dans un petit bureau de la capitale française. Mais la vie parisienne avait été plus difficile que ce que Roger l’avait espéré. À cause de quoi ? De Daniel Müeller et de l’effet qu’il produisait sur la jeune femme. Elle l’avait embrassé !

Roger ferma les yeux et se demanda pourquoi il n’arrivait pas à chasser cette image de son esprit. Une scène à laquelle il n’avait pourtant pas assisté. Il avait entendu Clara en parler à Tommy, le jour du mariage de Daniel et d’Émilie. Le jour du mariage de sa sœur ! songea Roger.

Aujourd’hui, Clara n’avait plus de nouvelles de son aînée, depuis… Eh bien, depuis le mariage en question. Encore à l’instant, la jeune femme avait essayé de la joindre et lui avait laissé trois textos. Toujours aucune nouvelle !

Il la vit soupirer.

— Oui, tout est prêt. On devrait partir. On risque de rater notre vol.

— Très bien.

Elle agita une enveloppe dans sa main droite.

— Arrête-moi chez Émilie. Juste le temps de mettre ceci. Je ne veux pas partir sans la prévenir.

— Et ta mère ?

Elle souleva les épaules. Toujours avec cet air indifférent.

— Je ne sais pas où elle est. Elle vend le domaine. Elle est certainement retournée dans la Drôme pour régler certaines choses.

Il n’évoqua pas Tommy. Ce frère qui avait perdu la vie dix ans plutôt et qui était revenu. Inutile. Clara voulait tourner la page, comme elle l’avait si bien fait des années auparavant. C’était à cause de la mort de son frère que la jeune blonde s’était envolée pour les États-Unis, des années plus tôt. Elle se sentait responsable de cette mort. Elle avait insisté pour faire une balade à cheval. Une balade équestre qui avait viré au cauchemar.

Dès sa majorité, Clara avait pris son envol, ne revenant au Domaine Pereira que pour les fêtes de fin d’année. Aujourd’hui, elle répétait le même scénario. Mais ce n’était pas pour Tommy que la jeune femme s’en allait. Roger le savait. Quelques semaines plus tôt, Roger lui avait dit qu’il avait besoin de temps pour réfléchir à leur situation amoureuse. Après ce qu’il avait entendu dans le jardin de sa grand-mère, son compagnon n’était plus certain de vouloir continuer avec Clara. Il avait ramené Clara à l’appartement après une balade nocturne au jardin des Tuileries, et s’était réfugié à son bureau le restant de la nuit. Il lui avait inventé qu’il avait du travail. Faux ! Les affaires de Roger allaient mal ! Cela, Roger n’en avait pas touché un mot.

Au petit matin, Clara l’attendait, assise dans le fauteuil, une tasse de café entre les mains.

— Tu en veux ? lui avait-elle simplement proposé.

Roger l’avait regardée et s’était mordu la joue. Il avait toujours ce regard sombre, signe qu’il était toujours en colère contre elle. Il avait des cernes énormes sous les yeux.

Comme il ne lui répondait pas, Clara s’était dirigée vers lui. Il n’avait pas bronché.

— C’est toi qui as raison, avait-elle dit.

Il avait gardé le silence et Clara avait poursuivi :

— On s’en va, Roger.

Il avait plissé le front, et elle avait continué :

— On retourne à New York ou n’importe où, mais loin d’ici.

Elle avait posé une tendre caresse sur sa joue et Roger avait fermé les yeux. Un instant.

— Donne-moi, une chance. Une dernière.

Quand l’avocat avait posé ses yeux dans les siens, Clara avait vu toute l’hésitation dans son regard. Merde ! J’ai tout foutu en l’air, avait-elle pensé.

Il s’était dirigé vers leur chambre à coucher et n’avait émis aucune réponse, ce qui avait frustré Clara jusqu’à l’heure du déjeuner. Roger était sorti de la chambre, s’était servi une tasse de café et l’avait regardée un long moment.

— D’accord, avait-il dit enfin.

Elle avait relevé la tête, puis Roger avait ajouté :

— On part aux États-Unis. Mais c’est moi qui fixerai les règles, Clara.

Alors, le jour du grand départ arrivé, elle attrapa le couffin sur le divan, Roger descendit les bagages, et sans regarder derrière elle, Clara quitta l’appartement.

Chapitre 3 Pandémonium

L’amphithéâtre reluisait sous le soleil ardent de ce nouveau jour. Le silence était dense, égal à ce matin où Annabelle-Rose et la muette étaient venues à la rencontre de la femelle Blanche. Celle-ci gardait le trésor de Lucifer, caché dans une pièce secrète de l’arène.

Annabelle-Rose ne s’expliquait toujours pas pourquoi elle avait sombré dans un sommeil si profond au même instant que le compagnon de la femelle Blanche, qui luttait pour sauver sa vie au milieu de l’arène. Le gladiateur — qui n’était autre que le joueur de flûte — lui avait joué un morceau, et Annabelle, comme le dragon, avait lutté pour ne pas s’endormir. Mais aucun des deux n’y avait résisté.

À son réveil, la jeune femme avait appris, par la muette, que l’homme à la flûte en avait profité pour planter l’épée entre les deux yeux du reptile.

La flûte ! C’était la flûte qui l’avait endormie. Mais alors, pourquoi Anna n’avait-elle pas sombré dans le sommeil hier soir, en écoutant l’histoire de cet homme ?

Elle regarda les empreintes de ses pas se marquer sur le sable blanc de l’amphithéâtre, puis, elle releva la tête vers le ciel et plissa les yeux. Elle écouta le vent qui venait lui gifler le visage, se tourna vers les gradins pour apercevoir la vue que le dragon mâle avait eue au cours de ses dernières heures. Une vue magnifique ! pensa-t-elle. Puis, Annabelle-Rose fit face au bâtiment d’où était sorti le dragon, et se dirigea vers l’intérieur, Brindille — la muette — sur les talons.

Elle fit deux fois l’aller-retour pour retrouver le mur qui abritait l’enclos de la femme Blanche. Elle ne s’y était rendue qu’une seule fois, et Anna avait du mal à le repérer.

Comme cette fois-là, la jeune femme poussa le mur de toutes ses forces et bascula de l’autre côté, Brindille derrière elle.

Elles arrivèrent dans la salle ornée de bijoux.

La Chasseresse serra son épée un peu plus dans sa main et prépara le bouclier en acier, qu’elle n’avait pas oublié d’emporter avec elle.

Elle n’entendait plus la voix de la femelle Blanche pour la guider jusqu’à elle. Comme la première fois ! Et se demanda si son époux n’avait pas profité de ces quelques jours pour mettre fin à la vie du reptile.

Après quelques pas, elle la vit, couchée sur son tas d’or, les ailes repliées et la tête avachie, les yeux fermés et le ventre luisant de poudre dorée.

Annabelle-Rose pencha la tête sur le côté droit et la muette l’imita. Elles l’observèrent quelques secondes. La pièce n’était pas éclairée, mais le scintillement du trésor éclairait à lui seul l’habitation du dragon.

La femelle Blanche ouvrit un œil. Un œil énorme et jaune. Annabelle-Rose sursauta et en lâcha son épée, qui resta plantée dans le sable sous ses pieds.

Les deux créatures s’observèrent un long moment.

Je pensais que tu m’avais oubliée, Chasseresse. J’en venais même à regretter de t’avoir laissé la vie sauve.

Annabelle-Rose plissa les yeux et la fixa. Elle ne portait pas sa tenue de combat, ainsi, sa robe de soie bleue pouvait s’enflammer au moindre faux pas.

— J’ai eu d’autres choses à faire, dit-elle simplement.

L’animal ne répondit rien, se contentant de mettre une patte hors de son tas d’or, ce qui eut pour effet de faire trembler le sol. Puis, au bout d’un long silence, la dragonne finit par demander : Les as-tu amenés ?

— Non.

La Chasseresse entendit le cœur de la femelle Blanche battre plus vite, et le sang chaud de celle-ci prendre feu. Elle était prête à la brûler d’une minute à l’autre.

Lors de leur première et dernière entrevue, la jeune femme lui avait promis de lui présenter les bébés dragons qui n’étaient autres — elle en était certaine — que ceux de la femelle Blanche.

— J’ai un service à te demander.

Elle entendit le rire du reptile.

Un service ?

La femelle Blanche se mit à rire de plus belle. Mais la Chasseresse ne se laissa pas déstabiliser pour autant :

— Je dois tuer Alendras.

Le rire cessa et le silence tomba, aussi lourd qu’à leur arrivée.

La muette avait émis un faible cri, qu’Annabelle-Rose n’avait pas entendu, tellement la femelle Blanche riait.

— Alors ?

Impossible !

— Il le faut pourtant. Et tu vas m’y aider.

De nouveau le silence s’abattu. Si Brindille avait eu l’usage de sa langue, elle se serait écriée, prise d’horreur et d’effroi par les pensées de sa maîtresse. Elle se précipita vers celle-ci et lui agrippa les bras, si fort, qu’Annabelle-Rose la repoussa brutalement, l’incitant ainsi à se taire. Puis, elle pensa que ce qu’elle venait de lui dire était ridicule, puisqu’elle avait les lèvres cousues. Encore un acte affreux d’Alendras. « Brindille avait la langue bien pendue », lui avait-il répondu, lorsque la princesse lui avait demandé pourquoi avoir infligé ce châtiment à cette gamine de seize ans à peine.

— Je suis enceinte, dit-elle platement à la dragonne, comme si elle parlait à une copine. Je dois protéger mon petit, comme tu dois protéger les tiens.

Elle n’obtint toujours aucune réponse. La femelle Blanche l’observait de ses grands yeux jaunes, et pour la première fois depuis leur rencontre, Annabelle sentit que sa vie était en danger.

Tu fais partie d’eux, maintenant.

Elle ne voyait pas du tout où l’animal voulait en venir.

Tes yeux ont leur couleur. Rouge sang. Tu n’es plus une Céleste. Dieu va vouloir t’éliminer. Comme il veut éliminer Pandémonium. Ton mari est le mieux placé pour protéger ton petit.

— Pas si c’est une fille. Il me la dit hier : « Elle ne vivra pas plus de quelques minutes. » Et toi, Dragonne, tu vas m’y aider !

Tu auras un garçon.

— Comment peux-tu le savoir ?

Je le sais ! Mais ils te l’enlèveront.

De qui parlait-elle ? La femelle Blanche glissa de son tas d’or volontairement, et le raffut fut terrible. Le sol sous leurs pieds trembla de plus belle. La Chasseresse agrippa l’épée devant elle et se carra sur ses pieds. Brindille, derrière elle — dont Annabelle-Rose semblait avoir oublié jusqu’à l’existence — recula vers le mur pour prendre appui.

Le reptile se positionna devant la Chasseresse, et elles se fixèrent droit dans les yeux. Le nez de la dragonne était à quelques centimètres du visage de la jeune femme, mais Annabelle ne broncha pas. Elle entendait la respiration de l’animal et sentait son souffle chaud effleurer son visage.

Tu dois récupérer la pierre, continua la dragonne. Pour cela, il te faut manger le cœur de la Gardienne.

Elle fit la grimace et détourna la tête.

C’est cette fille qui t’a volé celui qui devait être ton époux ! Et c’est aussi à cause d’elle que tu te retrouves prisonnière, mariée de force au fils du Seigneur noir.

Elle lui renvoya l’image de Daniel, de leur vie passée, et de ces baisers brûlants qu’ils avaient échangés. Et l’image d’Émilie Pereira…

— Il a tué ton compagnon ! cria-t-elle en faisant référence au mâle de la dragonne.

Le reptile, qui venait de lâcher prise et qui avait tourné les talons, s’arrêta tout net et tourna la tête vers la princesse.

À la nuit tombée. Empoisonne-le.

L’animal fit rouler de sa patte une petite fiole qu’Annabelle-Rose ramassa.

— Qu’est-ce que c’est ?

Verse-le-lui dans son verre de vin, ce soir. Il mourra dans les minutes qui suivront, entendit-elle simplement.

***

La lumière filtrait à travers une meurtrière, seule source de clarté dans le cachot où les trois adolescents étaient détenus prisonniers, depuis deux jours déjà.

Personne, mis à part le geôlier qui était venu leur servir un maigre repas, n’avait encore fait attention à eux.

Emma, tout comme Geoffrey, était adossée au mur de pierre, froid et humide. Sur la pointe des pieds, ses deux mains menues serrant très fort le rebord de la meurtrière, Colin fixait le soleil couchant de cette deuxième journée, qui serait peut-être leur dernière… Aucun d’eux ne savait ce qui allait se passer. Geoffrey Gaubert, lui, ne croyait pas en Dieu, et ne pouvait pas imaginer un seul instant qu’il se trouvait ici dans le château de Satan ! C’était simplement un mauvais rêve. Comment un monde tel que l’enfer pouvait-il exister ? Son père lui avait toujours dit que l’enfer, c’était les autres.

Il plissa les paupières, aveuglé légèrement par le soleil couchant, et observa Colin. Le gamin était en train de fredonner une vieille chanson médiévale. Il la fredonnait depuis une heure à présent. La voix d’Emma se joignit à celle du gamin. Jusque quelques minutes. Puis, pour Geoffrey, la lumière se fit : ils étaient dans un village médiéval, bon sang ! L’adolescent se leva d’un bond et bouscula Colin pour regarder ce qu’il pouvait apercevoir par la meurtrière.

— Hé ! lui cria Colin, mais il n’en tint pas compte.

Des arbres à perdre de vue et au loin, à des kilomètres du château, la montagne. Dans quel village étaient-ils tombés ? C’était certainement un malentendu. Ils s’étaient retrouvés au beau milieu du tournage d’un film, et on les avait pris pour des acteurs. Voilà ce qui s’était passé ! Les pitres sur leurs chevaux volants les avaient embarqués. D’ailleurs, comment avaient-ils fait pour faire voler, ces chevaux ? Des effets spéciaux, certainement.

— Il faut qu’on sorte d’ici, dit-il en se détournant du point de lumière et en plantant son regard noisette dans celui d’Emma.

Elle était la mieux des deux, à l’écouter. Colin perdait la tête ! Il n’arrêtait pas de pleurnicher et de fredonner cette vieille chanson.

La fillette ne bougea pas, les genoux relevés contre son ventre, ses cheveux blonds encrassés et emmêlés sur son joli visage.

— Tu n’as encore rien compris ? dit-elle. Nous sommes en enfer. Il est impossible de sortir d’ici vivant.

Elle entendit Colin hoqueter, et pour la première fois, elle ne l’entoura pas de ses bras protecteurs pour le consoler. Elle avait passé deux journées entières à le rassurer, et elle haïssait son demi-frère de lui avoir fait dire ce que Colin n’aurait pas dû entendre.

Geoffrey afficha un sourire arrogant. Ils étaient tous en train de se payer sa tête.

— On arrête tout ! hurla-t-il, faisant de grands gestes avec ses bras. Emma le regarda, ahurie. Cette comédie a assez duré. Qui sont ces hommes qui nous ont emmenés ici ?

— Des Chevalier noirs.

Il ferma les yeux, serra les dents.

— Et ce type répugnant, sur son trône ?

— Lucifer.

Il émit un sifflement et soupira, exaspéré.

— Et le nom de ce village ?

Emma souleva les épaules.

— L’enfer !

Elle ne le connaissait pas sous le nom de Pandémonium. Jamais elle n’en avait entendu parler.

— J’admets que tout est parfait ! Vraiment, dit Geoffrey.

À ce moment, il lui faisait penser à leur père, il lui ressemblait beaucoup. Il continua :

— Le paysage est magnifique, les acteurs jouent à merveille leurs rôles, mais là… il est temps de rentrer.

Aucune réponse ne lui parvint. Il avait une folle envie de mettre Emma sur pied et de la secouer comme un prunier.

— On ne sortira pas d’ici vivant, martela-t-elle à nouveau.

Colin se jeta vers la meurtrière, le visage ravagé par les larmes. À nouveau, la chansonnette médiévale s’éleva. La nuit venait de tomber et au loin, quelque chose brillait.

Dans les sous-sols d’un bâtiment, une lumière était allumée. Colin crut reconnaître l’amphithéâtre devant lequel ils étaient passés en arrivant.

Le geôlier frappa sur la porte, demandant le silence, mais le gamin l’ignora.

Chapitre 4 Paris

Solène fut envahie d’un terrible doute quand elle ouvrit la porte. La vieille dame regretta même de ne pas sentir son épée attachée solidement à sa hanche.

— Bonjour, grand-mère.

Elle détailla Émilie de la tête aux pieds. Pour être surprise, elle était surprise ! Et encore bien plus par la présence de Louis Momtbel, qui se tenait aux côtés de sa petite-fille et de Daniel. Comment devait-elle réagir ? Quelle attitude devait-elle adopter ?

Elle se frotta les mains sur le vieux jean qu’elle avait enfilé pour faire du jardinage, et ajusta son pull.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-elle, tout à trac.

Louis affichait un sourire amusé, et Solène ancra son regard dans celui du Démon durant un moment, qui sembla bien trop long à Émilie. Si elle ne disait pas le motif de leur venue très vite, sa grand-mère n’allait pas tarder à affronter Louis Momtbel, ici même, sur le pas de sa porte.

— On a besoin d’armes, dit la jeune femme platement.

— Je ne comprends pas très bien.

Solène ne bougea pas d’un iota, le regard ne quittant pas celui de Momtbel.

Émilie fit un pas vers elle, et chuchota à l’oreille de sa grand-mère :

— Emma est à Pandémonium, seul ce Démon que tu vois là est apte à nous y conduire.

L’ancienne guerrière dévia son regard, pour le plonger dans celui de sa petite-fille. Elle marqua une pause, puis s’écarta pour laisser entrer le trio.

— Je pense avoir ce que vous cherchez. Suivez-moi, dit-elle tout en grimpant l’escalier qui se trouvait dans le corridor.

Les marches grincèrent sous leurs pas et ils arpentèrent la cage d’escalier mal éclairée. Sur le palier, Solène ouvrit la porte à sa droite : celle de sa chambre. Émilie fut étonnée qu’elle les entraîne dans cette pièce, mais suivit malgré tous les deux hommes devant elle.

La pièce était égale à ses souvenirs. C’est-à-dire quand j’avais huit ans ! se dit-elle in petto. Le vieux grand lit en plastique blanc défraîchi, surmonté de son couvre-lit en poil brun, n’avait pas changé de place. Et ce radio-réveil sur la commode, qui l’avait réveillé pendant tant d’années à une heure qu’Émilie avait jugée trop matinale. Puis enfin, ce portrait du Christ, accroché à la droite du lit et qui n’avait pas bougé d’un pouce lui non plus.

La jeune femme sursauta et ramena ses yeux sur la porte au fond de la pièce. Une porte ? Elle n’avait jamais vu cette porte ! Elle était cachée par un rideau noir, qui s’était confondu avec la tapisserie du mur durant toutes ces années. Pas possible, pensa Melly.

La clef tourna dans la serrure et Émilie pénétra dans la pièce, derrière Daniel et Louis.

— C’est ça que vous cherchez ? dit Solène aux deux hommes.

Quand Émilie se faufila sur la droite de Daniel, elle ouvrit de grands yeux abasourdis, tandis qu’un sourire carnassier étirait les lèvres de ses deux partenaires d’expédition à Pandémonium.

Une salle d’entraînement ! Pendant toutes ses années, cette salle avait toujours été là, devant les yeux d’Émilie, et elle n’en avait jamais rien su. Il y avait de tout. Tout ce qu’il fallait pour mener une guerre contre les forces du Malin.

— Cela nous conviendra très bien, dit Daniel en attrapant un sabre suspendu à un mur.

Il le balança à Momtbel qui l’attrapa d’une main, au vol. Et comment, que cela nous conviendra très bien !

Émilie avait la gorge sèche, ses jambes vacillèrent, et la tête lui tournait. Tout était en train de se dérouler devant elle, comme si son âme avait quitté son corps. Elles les entendaient de loin. Daniel et Louis semblaient s’entendre à merveille, comme s’ils avaient toujours combattu ensemble. Incroyable !

Elle fit le tour de la pièce, ne prêtant pas attention à la conversation qui se déroulait dans son dos. La pièce faisait deux fois la chambre de sa grand-mère. Chaque millimètre du mur était rempli d’une arme ! Épées, poignards, armures, fouets, gourdins, arcs… et tant d’autres qu’Émilie ne connaissait pas. Elle n’avait pas assez de ses deux yeux pour contempler tout ce qu’il y avait. Plusieurs épouvantails étaient placés là pour l’entraînement aux armes de combat, et dans le fond, sur une penderie, étaient rangées des tenues de combat.

Ses yeux rencontrèrent enfin les deux hommes qui prenaient un plaisir évident à examiner toutes les armes, comme si c’était de véritables jouets. Seigneur ! Émilie ferma les paupières pour les ouvrir aussitôt, et prendre une grande inspiration. Elle avait besoin d’air.

— Il va falloir te former, si tu veux nous accompagner.

Elle sursauta et plongea ses prunelles opalescentes dans celles de Daniel. Il rigole, j’espère ! Elle comprit, par le sourire espiègle de son mari, qu’il ne plaisantait pas le moins du monde. Elle crispa la mâchoire. Sa grand-mère en rajouta une couche, et Émilie crut prendre ses jambes à son coup. Mais il y avait Emma !

— Tu n’es pas prête pour Pandémonium, dit Solène. On ne s’y rend pas comme si l’on allait Disneyland, ma chérie ! Pandémonium est la profondeur de la terre. Il y a toutes sortes de monstres dont tu ne peux même pas imaginer l’existence.

— Il y a un an, je ne t’aurais pas crue, grand-mère. À présent… je ne peux qu’imaginer, en effet.

Émilie replongea son regard — qu’elle avait détourné une fraction de seconde — dans celui de Daniel.

— On va t’y préparer ! dit celui-ci.

Elle entendit son cœur battre terriblement plus vite.

***

L’épée fendait l’air de gauche à droite devant lui. Puis, de haut en bas. Daniel s’entraînait dans la salle d’armes de Solène. Il était pieds nus, juste vêtu d’un jean. Son torse nu luisait de sueur et sa respiration était courte, essoufflée par le dur entraînement qu’il faisait subir à son corps.

Il s’approcha rapidement du mannequin qui se tenait face au mur, et en un temps record, il perça l’abdomen et les yeux de celui-ci.

Appuyée contre le chambranle de la porte, Émilie l’observait, laissant tous ses fantasmes l’envahir. Elle se mordit un doigt, croisa les jambes devant elle, et ses prunelles caressèrent les formes des muscles durs et sculptés de l’abdomen de Daniel.

Bon sang, ce mec est une bombe ! Cela devrait être interdit de dégager autant de sex-appeal ! Elle vit sa conscience lever un sourcil d’étonnement et se mordre la lèvre inférieure. N’était-elle pas venue dans le but de l’observer à l’œuvre ? Juste pour détailler la position et les gestes qu’elle devrait adopter à son propre entraînement ? Tu parles !

Il s’arrêta, attrapa une bouteille d’eau sur le parquet, et en but une longue gorgée. Émilie s’attarda sur sa bouche, sur cette pomme d’Adam…

Le regard ténébreux de Daniel se tourna aussitôt dans sa direction, et la jeune femme sentit son pouls s’accélérer.

— Salut, dit-il avec un sourire si sexy.

Elle déglutit, entrouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit. Seigneur ! Garde le contrôle, Melly ! Le contrôle !

Le sourire de Daniel s’allongea de plus belle et Émilie sentit son bas-ventre prendre feu.

— Salut, finit-elle par lui répondre timidement.

Il porta à nouveau la bouteille d’eau à ses lèvres sans la quitter des yeux, puis s’avança vers elle d’un pas lent.

— Depuis quand m’observes-tu, laissant tes fantasmes envahir ce corps si brûlant ?

Merde ! Il sourit bêtement. Daniel la tira vers lui par le poignet, et l’entraîna dans la salle d’entraînement. Il la fit virevolter, et Émilie se retrouva dos contre lui.

— Aucune pensée charnelle ne devra détourner ton attention là-bas, Melly, lui souffla-t-il à l’oreille.

Il lui mit l’épée dans la main droite. Des frissons la parcoururent de toute part quand le bras de l’ex-Ange frôla le sien, et que sa main se referma sur la sienne.

— Tu dois être vigilante, souffla-t-il. Je veux que tu gardes bien ce mot à l’esprit, Melly. Nous allons récupérer les enfants, en essayant de limiter les dégâts. Compris ?

Elle hocha la tête et laissa Daniel guider l’épée vers le deuxième mannequin.

— Ne vise jamais la tête. Vise la gorge ou le cœur ! Ton geste doit être précis, si tu veux rester en vie.

Elle sentait le cœur de Daniel cogner contre son dos, son souffle haletant et chaud contre sa nuque, tout cela la rendait folle.

Les premières heures d’apprentissage, elle s’avéra maladroite. Comment Daniel arrivait-il à se montrer si patient ? Plus aucune pensée érotique n’encombra son cerveau durant l’enseignement. Ce fut une initiation rigoureuse, Daniel ne lui laissant rien passer. Il la reprenait à la moindre erreur, et lui montrait à nouveau le geste ou la position à adopter.

Elle finit par y arriver seule, et elle sentit son cœur se gonfler de fierté.

— Félicitations, madame Müeller, lui dit-il en lui prenant l’épée des mains tout en sondant son regard bleu.

Il jeta l’arme au loin et s’approcha de plus près.

— Tu as fait du bon travail.

Ses yeux brillaient d’amusement et Émilie ne pouvait que deviner la suite. Il s’avança vers elle et elle recula pour fuir toute l’attirance qu’elle ressentait pour lui ! Rien de plus normal ! Daniel était son mari ! Devant Dieu, lui souffle sa conscience. En entrant dans cette salle, elle s’était promis de garder le contrôle, Daniel lui avait bien spécifié qu’elle devait être maître d’elle-même ! Elle recula encore et son dos heurta le mur. Bordel !

— Je me demande ce qui te fait le plus peur, Melly. De mourir à Pandémonium ou… de succomber à mon corps ?

Bon sang, ce n’est pas vrai ! Quand allait-il arrêter de lire en elle comme dans un livre ouvert ? Et ce sourire lubrique sur son visage !

— Les deux !

— Intéressant.

Il posa une main sur le mur et se pencha vers ses lèvres. Elle crut que son cœur allait s’arrêter à cet instant. Ses hormones étaient déréglées, elle en était certaine.

— Je serais à tes côtés, souffla-t-il dans un murmure. Et on reviendra avec les enfants.

Émilie en eut la chair de poule et une ombre s’empara de ses prunelles.

— Et si tu meurs ?

Pourquoi pensait-elle toujours au pire ?

— Je ne m’en irai nulle part. On sortira tous de là, et vivants !

Elle laissa ses doigts remonter le long des pectoraux de son époux et fixa son torse. Quelque part dans son cerveau, elle songea à Annabelle-Rose et à son obsession de vouloir récupérer l’ex-Ange. Émilie ne pouvait que la comprendre, et une partie d’elle-même était ravie que Daniel se trouvait là, dans cette pièce avec elle, prêt à lui faire l’amour.

Elle fut prise au dépourvu quand il glissa son bassin entre ses cuisses, que sa bouche heurta ses lèvres et que sa langue se fraya un chemin jusqu’à la sienne. Son baiser était tendre, mais avide. Sa main se referma contre son dos, la plaquant abruptement contre son torse, il pouvait ainsi sentir ses tétons se durcir à travers son soutien-gorge.

Émilie passa une main dans sa chevelure noire, l’agrippant jusqu’à lui arracher un grognement. Son corps n’était plus qu’un brandon de paille, que Daniel s’apprêtait à enflammer de plus belle.

Elle chercha à déboucler la ceinture du jean de l’ex-Ange, alors que lui avait déjà déboutonné son chemisier blanc, et lui caressait avidement les seins. Il la souleva sans plus attendre, et Émilie noua ses jambes autour de sa taille tandis qu’il l’étendait tendrement sur le parquet. La main de l’ex-Ange remonta le long de sa cuisse, sous sa jupe, et ses lèvres couvrirent sa poitrine, lui arrachant des gémissements.

— Je veux que tu sois tout à moi, marmotta-t-elle.

Elle sentit sa langue remonter le long de son cou et encercler son oreille.

— Mais je suis tout à toi, Melly. Rien qu’à toi.

Elle ferma les yeux au moment où il agrippa sa culotte et la fit glisser le long de ses hanches. Son corps n’était plus que frissons, soumis à ce traitement. Elle releva les jambes pour qu’il puisse lui ôter le sous-vêtement et par la même occasion, elle fit rouler son jean et son boxer, le libérant.

Émilie l’invita à entrer en elle, étouffant ses cris en plaquant ses lèvres sur les siennes.

Tout à moi, songea-t-elle. Rien qu’à moi !

Chapitre 5 Pandémonium

La flamme de la bougie chancela, projetant des ombres qui s’étirèrent sur les murs de la chambre d’Annabelle-Rose.

Tournant le dos à son mari, la jeune femme regardait la nuit et sa lune rouge, divine et pleine, au-dessus du volcan le Riz-Jean. À ses côtés, des milliers d’étoiles pailletaient la voûte céleste.

Entre ses mains, elle tenait la fiasque noire que la dragonne lui avait donnée. Elle la faisait tournoyer entre ses deux doigts, invisible aux yeux de son conjoint qui se tenait dans un coin de la chambre, observant la carte de la Cité des Anges.

Du coin de l’œil, Anna regarda le pichet de vin rouge et les deux coupes disposées sur la commode du lit. « Verse-le-lui dans son verre de vin », lui avait conseillé la femelle Blanche.

Alendras grommela, en abattant son coutelas sur la table de bois, à quelques centimètres de la carte, ce qui fit sursauter la belle à la chevelure rouge. Le flacon qu’elle tenait entre ses mains réintégra vite son corsage, et la princesse pivota vers lui.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.

Les deux mains appuyées sur la table, penché sur la carte, le Balafré releva ses pupilles rouge sang sur Annabelle-Rose.

— Il faut que je trouve un moyen de franchir ces grandes murailles et leurs portes, marmonna-t-il.

— Hum…

La Chasseresse se tourna vers la commode, et remplit les deux coupes de vin. Par-dessus son épaule, elle jeta un œil, et voyant son époux la tête baissée, elle bénéficia alors d’un temps pour déverser le contenu du flacon dans le verre. Elle s’approcha et lui tendit la coupe mortelle. Alendras s’en saisit et la déposa à côté de son poignard, planté bien droit dans la table.

Anna se mordit la lèvre, et se fit violence pour ne pas obliger celui-ci à boire le verre d’une traite. Il finirait par l’avaler !

— Je pourrais t’aider à franchir ces portes, dit-elle, en buvant une gorgée.

Il releva la tête subitement et la foudroya d’un regard méfiant. Elle ne détacha pas ses yeux des siens, et laissa passer un silence, qui pour Alendras s’étira.

— Je suis une Céleste, finit-elle par dire.

Cette fois, il se redressa de toute sa hauteur, et bomba le torse, s’apprêtant à une attaque quelconque. Il attrapa même son coutelas sur la table.

La bougie étirait leurs ombres sur les murs. Le feu crépitait dans la cheminée et il faisait une chaleur étouffante dans cette pièce.

— Je sais qui je suis, mon tendre époux.

Il recula, sous le choc. Elle fit un pas vers lui, et lui ne bougea point, bombant toujours le torse et serrant plus fort le poignard dans sa main. Anna pointa un doigt sur la poitrine du prince.

— Une Céleste, répéta-t-elle, comme s’il avait mal entendu. Et… une Chasseresse.

Il ouvrit de grands yeux.

— Qui… qui…

— M’a dévoilé ceci ? Peu importe ! Je suis en train de te dire que je peux ouvrir ces portes.

— Pourquoi le ferais-tu ?

— Parce que je t’aime, voyons. Ma place est auprès de toi, désormais.

Alendras la scruta une minute, au bout de laquelle il ne se méfia plus et jugea de lui accorder sa confiance. Il rangea le coutelas à son ceinturon, attrapa la coupe sur la table, et en but une longue gorgée, sous l’œil malicieux de la Chasseresse. Elle ne lui avait pas menti quand elle disait qu’elle se souvenait de tout. Et cette dernière rencontre avec la femelle Blanche lui avait fait retrouver la mémoire… Dieu, le Séraphin, Daniel, leur amour, et… Émilie Pereira ! Cette fille qui avait été désignée comme la dernière gardienne de l’émeraude. Annabelle avait ressenti une haine féroce remonter en elle. C’était cette dernière image qui lui avait fait choisir son camp. La seule personne qu’elle avait oubliée était Haziel, son frère.

Elle n’était plus la même désormais. Du sang de Démon coulait dans ses veines, elle avait une armée de feu, qui ne serait jamais acceptée par Dieu et… un petit être démoniaque qui poussait en elle. Ce n’était pas pour autant qu’elle aimait Alendras. Non, elle lui avait menti pour gagner sa confiance. Il était le premier sur la liste, qu’elle allait exécuter pour protéger son petit. Et aussi, pour lui faire payer ce qu’elle était devenue. Car désormais, elle ne pouvait plus rejoindre son pays.

Elle se pencha à son tour sur la carte. Alendras suivit son mouvement.

— Mon aura de Céleste devrait encore fonctionner.

— Et si elle ne fonctionne pas ?

Elle ferma les yeux et soupira.

— Je te dis qu’elle fonctionnera ! Une fois là-bas, que comptez-vous faire ?

La réponse était pourtant évidente. Il ancra son regard dans le sien.

— Brûler la Cité.

— C’est à ça que je vais servir ?

Elle était déçue. Elle imaginait une guerre, où les épées s’entrechoqueraient et le sang coulerait.

— Ce sont tes dragons qui serviront ! Toi, tu n’es qu’une pièce sur l’échiquier.

Une raison supplémentaire pour l’éliminer, pensa-t-elle. Elle le perça d’un regard noir, mais sans relever. Alendras n’y prêta pas attention. Il n’avait même pas vu son escapade de ce matin. Elle était revenue pour le déjeuner, et s’était changée à la hâte.

Derechef, elle but une gorgée de sa coupe, et c’est avec félicité qu’elle vit son mari en faire de même. Quand le poison allait-il agir ?

Elle appliqua une main sur son ventre, il était là, elle le sentait, ce petit être. Peu importe que ce soit une fille ou un garçon, peu importe qu’il soit un Démon, Annabelle-Rose l’aimerait.

Elle sentit sa respiration devenir plus lourde, sa main descendit sur sa cuisse, et elle toucha le poignard qu’elle avait caché sous sa robe. Encore un peu de patience…

Les rires d’Athusia et de Tarius — les enfants du forgeron — la sortirent de sa transe. Elle serra les dents, prête à ouvrir la porte et à les envoyer jouer plus loin. Ils traînaient toujours dans les couloirs du château, s’imaginant certainement une vie de Seigneur.

— Demande à Brindille de nous ramener du vin, déclara Alendras.

La Chasseresse leva un sourcil d’interrogation.

— Tu en as encore dans ton verre.

— Je pense que la nuit va être longue.

Elle le regarda examiner à nouveau la carte, et un sourire funeste lui étira les lèvres.

— Oh oui, la nuit, va être longue, murmura-t-elle.

— Comment les portes peuvent-elles s’ouvrir ?

Il posa ses yeux dans les siens et la jeune femme frissonna en songeant que c’était son chuchotement qui avait attiré l’attention du Balafré. Elle fit mine d’étudier la carte.

— Deux gardes-Anges sont postés devant les portes, dit-elle. Généralement, le passage s’ouvre quand un Céleste se présente, et l’issue se referme aussitôt après. Les gardes-Anges vérifient nos identités, après quoi… on rentre dans la ville.

Alendras la regarda sans broncher un court instant, puis :

— Tu vas nous ouvrir ces portes, Milady. Les gardes, ce sera notre affaire…

Il porta une main à son cœur subitement, puis tituba jusqu’au lit, sous le regard froid de la Chasseresse. Et Alendras ancra ses yeux dans les siens. Le sourire qu’il portait quelques secondes plutôt s’était éteint, et son visage s’était vidé de tout son sang.

— Un problème ? ironisa-t-elle.

Il comprit trop tard. Son corps était en train de se vider de ses forces, et il lui était impossible d’appeler à l’aide.

— La… sorcière, essaya-t-il d’articuler.

Annabelle-Rose retira le poignard caché sous sa robe et s’approcha de lui. Elle le poussa sur le lit et l’enfourcha, le coutelas élevé bien haut.

— La sorcière est morte, Alendras. J’en ai fait mon affaire dans l’après-midi.

Elle se pencha à son oreille et lui chuchota :

— Je ne suis pas au service de la sorcière.

Ils se regardèrent droit dans les yeux. Elle pencha la tête sur le côté gauche, admirant sa victime.

La belle demoiselle suivit de la pointe de son poignard, la longue balafre sur le visage de son époux. Balafre dont elle était la créatrice.

— J’ai été créée pour tuer les Démons, siffla-t-elle.

Dans un dernier effort, le Balafré eut encore la force de relever la tête et de lui cracher au visage. Anna tourna la tête violemment sur le côté droit.