Le tourbillon de la vie - tome 1 - Caroline Noëlle - E-Book

Le tourbillon de la vie - tome 1 E-Book

Caroline Noëlle

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Beschreibung

Émilie fait la connaissance du médecin de sa fille, atteinte d'une leucémie. Celui-ci semble détenir des informations qu'il ne devrait pas avoir à son sujet...

Emma a dix ans. Elle est atteinte d’une leucémie lymphoblastique. À l’annonce de cette nouvelle, le monde d’Émilie Pereira, sa mère, s’effondre. La jeune femme va alors faire la connaissance de Daniel Müeller, le pédiatre de la petite fille. Le médecin est d’une beauté irréelle et semble bien trop informé sur la vie d’Émilie. Elle ne comprend pas pourquoi elle est tant attirée par lui et pourquoi celui-ci la tient à distance. Mais leur rencontre n’est pas un hasard ! Daniel Müeller appartient à un monde totalement différent où les Dons et les Pouvoirs sont légion. Un univers qui n’est pas si inconnu que cela du genre humain !

Entrez, avec le premier tome de cette romance fantastique, dans un univers doté de Dons et de Pouvoirs étranges. La rencontre de Daniel et d'Émilie semble être écrite depuis longtemps...

EXTRAIT

Au milieu d’appareillages et de perfusions, sa chevelure lui tombant en cascade sur les épaules, Emma avait l’air bien plus petite qu’une enfant ordinaire dans ce lit qui était bien trop grand pour elle.
Daniel Müeller marqua une pause à l’entrée de la chambre. Emma lui rappelait un lointain souvenir, qu’il avait préféré terrer dans un coin de sa mémoire.
L’ordre de mission serait bien différent cette fois… Pourtant, il en avait accompli tant d’autres. Sauf qu’avec la petite Emma Pereira, l’histoire serait différente…
Emma releva la tête et afficha un radieux sourire. Le pédiatre en fit de même, en venant prendre place auprès d’elle sur le lit.
— Bonjour, Emma.
L’homme prit sa petite main froide dans la sienne et derechef, laissa les souvenirs affluer à sa mémoire. — Comment te sens-tu, aujourd’hui ?
— Mieux.
Emma leva les épaules, comme si son état de santé l’indifférait. Puis, elle baissa les yeux sur ses mains, pour ensuite poser de grands yeux bleus dans ceux de Daniel. Plus triste, cette fois.
— C’est pour aujourd’hui ?
Elle le vit secouer la tête de gauche à droite.
— Non. Tu es une petite fille courageuse, Emma. Je vais faire mon possible. Je te le promets.
— C’est pour maman que je m’inquiète, dit-elle les yeux remplis de larmes.
Bien évidemment, il n’allait pas lui dire que lui aussi s’en inquiétait. Il s’était promis de voir le problème le moment venu.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Caroline Noëlle est une jeune auteure belge. Passionnée par ses nombreuses lectures, elle dévore : suspens, romance et surtout fantastique… Le tourbillon de la vie est son premier roman et il sera bientôt suivi d’un deuxième tome…

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Seitenzahl: 693

Veröffentlichungsjahr: 2019

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Caroline Noëlle

Le tourbillon de la vie

Tome 1

La Ville lumière

Roman

© Lys Bleu Éditions – Caroline Noëlle

ISBN : 978-2-37877-971-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayant cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivant du Code de la propriété intellectuelle.

Remerciement

Je voudrais remercier tous ceux qui m’ont aidée à la correction et qui m’ont soutenue dans ce projet.

Mon amie France, qui m’a poussée à achever ce livre. Sans elle, ce manuscrit traînerait toujours dans le fond de mon tiroir.

Merci à toutes ces personnes qui se sont proposées pour la correction :

À Pascale (ma belle-mère de cœur) qui a été la première et qui n’as pas eu facile, mais qui a été jusqu’au bout et m’a encouragée.

À Pascal d’avoir pris le temps de corriger et de lire ce livre.

À mon amie et collègue Emma qui a abattu et qui abat toujours un travail incroyable. Merci d’avoir la patience que tu as, merci pour tes conseils.

Merci à Élisabeth (ma belle-mère) d’avoir aussi participé à la correction.

Merci à tante Jeanine qui s’est proposée pour une dernière correction et qui m’a donné son avis.

Je tiens aussi à remercier toutes mes amies qui ont été mes premières lectrices. J’avais tellement peur de votre avis. Et au final, ils ont été tous positifs.

Merci à Marie-Rose et à Jessica d’avoir suivi cette histoire chapitres après chapitres.

Merci aussi à tante Clairette, Christine, Inès, Frédérique et mon parrain.

Sans vos soutiens, je n’aurais jamais osé publier ce livre.

Je voudrais remercier ma petite maman, qui m’a trouvé le titre du premier tome.

Sans oublier mon amoureux Sébastien. J’ai de la chance de t’avoir à mes côtés. Merci de m’avoir aidé pour la finalisation de cet ouvrage, pour l’amour que tu me portes chaque jour et de m’épauler.

Et puis j’aimerais surtout remercier en particulier mon éditeur, Benoît Couzi et l’équipe de la maison d’édition le lys bleu, de croire en moi et de réaliser mon rêve.

Une dernière chose : j’aimerais dire merci à Lydia qui a été la première, lorsque j’étais adolescente à lire mes écrits, semaine après semaine, c’est elle qui a été la première à croire en moi. Dommage qu’elle ne soit plus de ce monde pour la sortie ce premier roman. Ce livre est pour elle, mais aussi pour Paul, qui se réjouissait de sa publication et qui malheureusement, nous a quittés bien trop tôt.

Et puis, à Aslan qui a été un peu ma carte chance.

1

Émilie ne comprenait pas pourquoi cette femme se tenait dans l’encadrement de sa porte. Elle venait de lui annoncer qu’elle travaillait pour l’Assistance à l’Enfance. Cela, Émilie l’avait bien entendu, mais elle ne comprenait toujours pas pourquoi la femme se tenait devant elle.

Elle songea qu’elle s’était certainement trompée de porte. Elle était peut-être envoyée pour la voisine du quatrième où les gosses n’arrêtaient pas de crier et pleurer. Son voisin de palier lui avait déjà dit qu’il allait s’en charger, car cela devenait invivable. C’était ridicule, songea-t-elle, puisque la femme venait de lui demander si elle était bien Émilie Pereira. C’était bien à elle qu’elle voulait s’adresser. Mais pourquoi ? Cela n’avait aucun sens. Elle ne pensa même pas à Emma.D’ailleurs pourquoi aurait-elle pensé à sa fille ? La situation était vraiment grotesque. La femme se tenait là, face à elle, dans son magnifique tailleur deux pièces noir, des lunettes sur le nez et ses cheveux bruns attachés en queue de cheval. Elle arborait un visage sévère qui provoqua une inquiétude à la jeune femme. C’est fait exprès, pensa-t-elle. Ces gens sont payés pour faire paniquer les parents. Mais il n’était pas question qu’elle panique. Elle n’avait rien fait de mal. Emma n’avait rien fait de mal. Émilie fixa le dossier jaune que la femme serrait contre sa poitrine. Un simple classeur en carton, ne contenant certainement que des bricoles sans importance.

Elle n’avait pas encore prononcé un mot, mis à part le fait de s’être présentée : Amélia Terrier. Elle ne lui avait même pas serré la main. Non, elle n’était pas là pour sympathiser, bien évidemment.

Émilie n’avait vraiment pas envie de la faire entrer. Elle lui barrait le passage et son cerveau refusait de comprendre. Elle n’avait pas le temps de la recevoir. Pas aujourd’hui ni un autre jour d’ailleurs. Elle avait un travail à rentrer pour la fin de la journée et elle pensa que l’article du magazine pour lequel elle travaillait ne serait jamais terminé à temps.

Elle avait envie de refermer la porte, mais cela ne se faisait pas. Elle avait l’impression qu’elle avait affaire à un témoin de Jéhovah qui vient vous asséner des questions, du genre : « pourquoi vous ne croyez pas en Dieu ? » et tout le bla-bla habituel, et dont vous ne savez pas comment vous débarrasser… Depuis quand cela ne lui était-il plus arrivé ? Des années. Mais, ici, l’histoire était bien différente. Elle n’avait pas affaire à une secte, mais à l’Aide à l’Enfance. Maltraitance, fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. Mais elle n’avait rien à se reprocher. Non, rien du tout. Elle n’avait jamais levé la main sur Emma. Alors, elle ne comprenait pas pourquoi cette femme se tenait dans l’encadrement de sa porte. L’assistante sociale était toujours là. Muette, attendant qu’elle l’invite à entrer. Il allait falloir se décider. Avait-elle envie d’avoir ce genre de conversation sur le palier, où n’importe quel voisin pourrait les entendre ? C’était hors de question. Émilie plissa le front et fit la moue. L’assistante sociale ajusta ses lunettes sur son nez, puis resserra son étreinte sur le dossier jaune, comme si quelqu’un allait le lui dérober. Elle portait de hauts talons. Des escarpins noirs et pointus. Avait-elle quelque chose de couleur, mis à part son classeur ? D’accord, détail ridicule. Elle avait des ongles parfaitement manucurés. Cela aussi c’était un détail sans importance. La jeune femme décida de s’effacer pour la laisser entrer. Plus vite elle écouterait ce qu’elle avait à lui dire, plus vite elle en aurait fini avec elle. La femme observa le salon sous tous les angles. Sans gêne, pensa Émilie. Elle sortit un calepin et nota quelque chose. Émilie la regarda, les yeux écarquillés. Sans demander la permission, la femme prit place sur le sofa blanc et étala quelques papiers sur la table basse. Derechef, elle ajusta ses lunettes et déposa son stylo sur le classeur. Elle croisa les jambes. De longues jambes, minces et magnifiques. Ajusta sa jupe, puis fixa Émilie. Qu’attendait-elle au juste ? Celle-ci la regardait, les mains sur les hanches, plus choquée qu’autre chose. Elle ne lui avait rien proposé à boire. Pas par oubli, mais tout simplement parce qu’elle n’en avait pas envie. – Savez-vous pourquoi je suis ici, mademoiselle... (Elle jeta un œil sur le document devant elle) Pereira ?

Émilie décida de prendre place à son tour sur le sofa. Puisque la discussion allait être des plus plaisantes, autant bien s’installer. Elle croisa les jambes à son tour. Elle regrettait un peu de porter un vieux jean et un tee-shirt délavé. Mais, c’était une journée où elle était censée travailler à domicile et ne recevoir la visite de personne. Si, bien évidemment, on l’avait prévenue de l’arrivée de cette femme, elle aurait fait un effort vestimentaire, mais personne n’avait jugé utile de la prévenir et jusqu’à présent, elle n’était pas devin.

— Vous allez me l’apprendre, dit-elle sur un ton sarcastique. Cela ne sembla pas perturber la femme. Elle avait l’habitude. Elle était blindée contre ce genre d’ironie et contre bien pire encore. Elle avait dû en voir des parents durant sa carrière, des richissimes aux cas sociaux. Elle pencha la tête sur son épaule gauche et accrocha les yeux bleus d’Émilie. Son visage était fermé, dur. Souriait-elle parfois ? Cela ne devait pas arriver souvent.

— Vous habitez seule ici ? Elle engloba de nouveau la pièce du regard. Émilie suivit son geste. Qu’est-ce que c’était toutes ces questions ?

— C’est chez moi. J’ai les papiers du notaire, si vous voulez y jeter un œil ! Cette fois, son ton était froid. Austère même. Et cette dernière remarque qu’elle voulait ironique, Émilie l’avait dite sur un ton féroce.

— Vous n’êtes pas mariée ?

Mais de quoi se mêlait-elle ?

— Où voulez-vous en venir, madame Terrier ? Elle la foudroya du regard. Contrairement à elle, elle n’avait pas oublié son nom. Ni son prénom d’ailleurs. Elle avait une assez bonne mémoire pour ce genre de chose.

— Est-ce que Emma a un père ? Émilie leva de nouveau un sourcil, déconcertée par la question. Elle eut envie de lui répondre qu’Emma faisait partie de ces enfants conçus génétiquement, mais ravala ses paroles. Cela aurait aggravé son cas.

— Elle en a un, oui. Mais... (Elle hésita.) Son père est en déplacement et il ne vit pas avec nous. Cela n’était qu’un petit mensonge. La femme n’irait pas vérifier. Et même si elle vérifiait, elle verrait qu’Émilie avait en partie raison. La femme changea de place sur le sofa et croisa les mains l’une au-dessus de l’autre sur son genou droit. Elle s’éclaircit la gorge, hésita une fraction de seconde, puis décida d’être franche :

— Battez-vous votre fille, mademoiselle Pereira ? Émilie s’étrangla, tellement la question la frappa de plein fouet. Une fois le choc passé, elle ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.

Avait-elle bien entendu ? Maltraitance. Oui, c’était le mot exact. Celui qui lui avait traversé l’esprit quelques minutes plus tôt. Est-ce qu’elle était en train de faire un mauvais rêve ? Un de ces rêves si réels qu’on en a le vertige au réveil. Discrètement, elle se pinça le bras, mais rien. La femme se tenait toujours assise et reformula sa question.

— Battez-vous votre fille ? Émilie sentit la colère l’envahir. Elle n’aimait pas quand celle-ci prenait le dessus sur elle, mais c’était justifié, non ?

— Êtes-vous en train de me prendre pour une mère irresponsable et cruelle ? Elle aurait aimé hurler. Mais, hurler n’aurait que confirmé les pensées de la femme. Cette dernière secoua la tête, sans être choquée.

— Je ne fais que mon travail.

— Alors, allez faire votre travail ailleurs. Je n’ai jamais levé la main sur ma fille, madame Terrier. Jamais. Et pendant que vous perdez votre temps ici, d’autres enfants qui sont réellement martyrisés, ont besoin de vous. Je vous invite à sortir. Émilie se leva. La femme resta immobile sur le sofa. Elle se pencha en avant et prit la troisième feuille du dossier jaune. De plus près, Émilie s’aperçut qu’il s’agissait d’une photo. Pas n’importe quelle photo ! Celle de sa fille. Le cliché montrait différents hématomes au niveau du ventre. Elle en fut surprise. Jamais, elle n’avait vu ces ecchymoses. Il y en avait trois. Trois gros ronds bleus virant au mauve. La femme fixa Émilie droit dans les yeux. Celle-ci ne cilla pas quand elle releva la tête.

Plus de colère, mais de la tristesse. C’était le sentiment qui l’habitait à présent. Elle aurait pu lui dire qu’Emma avait dû se faire cela en tombant, mais n’était-ce pas ce que les parents irresponsables déclaraient ? Elle savait que quoi qu’elle dise, la femme ne la croirait pas.

— Je ne sais pas d’où cela peut venir. Ce fut au tour de la femme d’être surprise. En fait, elle n’était pas si surprise que cela. Elle feignait l’étonnement. Émilie se gratta le sourcil, réfléchissant.

— Que voulez-vous que je vous dise ? dit-elle. Je ne sais pas d’où viennent ces bleus.

— Je veux simplement que vous me disiez la vérité.

Était-elle sourde ?

— Qui vous a contacté ?

— L’école.

— Je ne comprends pas très bien...

— C’est simple, mademoiselle Pereira. L’institutrice a remarqué à plusieurs reprises qu’Emma avait des bleus sur le corps. Les bras, les jambes. Elle a fini par en parler à la directrice qui a fini par appeler le centre de l’Aide à l’Enfance.

— Je ne bats pas ma fille !

— Alors, il y a certainement une autre explication. Elle n’avait pas l’air de la croire…

— Bien sûr qu’il y en a une !

De rage, Émilie comprima le gobelet vide entre ses mains avant de le jeter dans la poubelle près du distributeur de boissons. Combien de minutes s’étaient écoulées, depuis qu’elle songeait à toute cette histoire ? Il était à peine six heures, mais cela faisait des heures qu’elle était éveillée, taraudée par l’angoisse.

Elle se tenait devant la fenêtre de la salle d’attente du service pédiatrique et fixait l’épais tapis blanc qui se déroulait devant elle à l’aurore de ce nouveau jour.

On reconnaissait à peine le parking de l’hôpital Champtilieux de Paris, sous la neige dense de ce mois de décembre glacial. Pourtant Émilie Pereira distinguait parfaitement sa petite Mini, seule sur une place de stationnement.

Elle était soulagée d’avoir passé la nuit dans l’établissement, car jamais elle n’aurait pu prendre son véhicule ce matin, pour arriver auprès d’Emma qui était hospitalisée depuis un mois, à présent. Comment sa vie avait-elle pu basculer à ce point, du jour au lendemain ? Mon Dieu, que cela s’était déroulé vite ! Elle ne se rappelait même plus de la date exacte. Elle avait beau fouiller dans sa mémoire à la recherche d’un jour, c’était sans résultat. Juste la venue de cette femme qui avait insinué qu’elle maltraitait sa fille lui remontait en mémoire.

La femme lui avait dit qu’une enquête était ouverte et qu’elle n’y échapperait pas. Émilie s’était fâchée. Elle avait rencontré la directrice de l’école le jour-même. Comment avait-elle osé lui envoyer l’Aide à l’Enfance ? Emma était dans cet établissement depuis des années et jamais jusqu’ici, les institutrices ne lui avaient trouvé des ecchymoses. Et puis, il y avait eu ce jour où, mal à l’aise, la principale de l’école lui avait téléphoné. C’était un jour où Émilie était au bureau du magazine. Elle s’en souvenait encore comme si cela datait d’hier. Mais impossible de se rappeler d’une date.

La directrice lui avait demandé de venir rechercher la petite, car Emma saignait fortement du nez. Elle était passée à l’infirmerie, mais impossible d’arrêter le saignement et l’infirmière avait préconisé que la fillette aille aux urgences.

Émilie avait eu du mal à comprendre. Il y avait eu d’abord les bleus sur le corps, puis ce saignement de nez qui était impossible à contrôler... Ensuite à son arrivée, elle avait trouvé Emma fiévreuse. Pourtant le matin quand elle l’avait déposée à l’école, la fillette semblait en bonne santé. C’était incompréhensible ! Emma ne s’était plainte de rien. Elle mangeait bien et se comportait comme une enfant ordinaire. Sans aucune hésitation, la jeune femme avait conduit la gamine aux urgences. Les urgences qui avaient été un véritable calvaire pour elle. Elles avaient patienté une heure avant qu’Emma ne soit prise en charge par le pédiatre de service. Malgré sa nervosité, la jeune femme n’avait pas arrêté de psalmodier dans sa tête que cela ne devait pas être très grave car autrement Emma aurait été prise en charge plus rapidement.

« Il va falloir cautériser le nez, avait dit le médecin après avoir ausculté la petite fille. Que s’est-il passé ? »

Elle avait levé les épaules en signe qu’elle n’en savait pas plus que lui. Le médecin s’était retourné vers elle, et l’avait scrutée un instant.

— Je vais lui faire une prise de sang. On en saura un peu plus dans une heure.

Elle avait acquiescé, soulagée. Elle avait tenu la main d’Emma et le pédiatre avait cautérisé son nez. Emma avait hurlé de douleur et avait supplié ce dernier d’arrêter. Elle avait fini par s’endormir dans la salle d’attente, en attendant les résultats de la prise de sang.

Le pédiatre l’avait reçue deux heures plus tard. Émilie était agacée de perdre du temps à l’hôpital, mais elle était taraudée par tout ce qui était en train d’arriver à Emma depuis quelques semaines. Elle avait donc pris son mal en patience. « J’aimerais effectuer une échographie de la rate et du foie », avait déclaré le médecin. Émilie l’avait regardé avec des yeux ronds. Elle lui avait donné son accord d’un signe de la tête, car les mots refusaient de sortir. Une chose parmi tant d’autres qui la tracassait encore, c’était qu’en effectuant l’échographie, il allait remarquer les bleus d’Emma. Qu’allait-elle dire ? Est-ce qu’il y avait un rapport avec tout ce qui arrivait à l’enfant ?

Quelques heures plus tard, elle avait reçu les résultats de l’analyse et l’air s’était chargé d’électricité tout à coup.

« Le nombre des plaquettes mais aussi, les globules rouges d’Emma sont trop bas, il faut que je lui fasse une ponction de moelle osseuse ; j’aimerais la garder en observation » Il avait posé les yeux sur la petite fille qui ne devait rien comprendre à ce qu’il disait – tout comme sa mère d’ailleurs. « Ma fille n’est pas un cobaye, docteur. » Il avait secoué la tête, confus et gêné. « Il y a un problème avec la santé de votre fille. Je veux m’assurer qu’elle aille bien. Laissez-moi faire mon travail. » Elle avait soupiré, passé une main dans les cheveux de la gamine, puis avait donné son accord. Deux jours plus tard, le pédiatre l’avait convoquée, seule, dans son cabinet du service hémato-oncologie. Il avait pris place, nerveusement derrière son bureau et avait croisé les mains devant lui.

Émilie l’avait observé sans broncher. Elle n’avait pas osé le regarder, tellement la tension était palpable.

— Emma est atteinte d’une leucémie lymphoblastique. Elle avait relevé la tête brusquement et l’avait regardé droit dans les yeux. Une quoi ? Son cerveau avait fait la connexion au ralenti et pendant que le médecin était en train de lui débiter tout son jargon médical – auquel elle ne comprenait pas un mot – elle avait réalisé qu’Emma avait un cancer. Emma n’avait que dix ans ! Comment une enfant de dix ans pouvait être atteinte d’une leucémie ? Ce n’était pas possible. Pas Emma ! Elle avait senti le brouillard l’envahir. Elle avait secoué la tête à son tour et lui avait demandé de répéter.

Maintenant, tout se mettait en place : les bleus, le saignement de nez, la fièvre et la pâleur inhabituelle de la petite fille qu’Émilie n’avait pas remarquée jusqu’ici.

La jeune femme se laissa tomber sur le sofa orange à la disposition des patients. Elle avait mal au dos et la fatigue commençait à prendre le dessus. Comme elle avait envie de rentrer, de se mettre sous les couvertures d’un bon lit douillet et dormir… Oublier. Surtout oublier. Prendre Emma avec elle, la serrer très fort dans ses bras et s’endormir toutes les deux, comme elles avaient l’habitude de le faire.

Elle porta ses mains à son front. La migraine ! Un début de migraine commençait à compresser son crâne. Pas ça. Pas maintenant. Comment affronter la journée avec une migraine ? Il était à peine six heures du matin. Elle passait à présent sa vie à l’hôpital. Elle avait téléphoné à son patron prétextant qu’elle était malade. Mais, c’était un mensonge. Elle ne voulait pas quitter Emma. Pas dans un état pareil. Elle avait besoin d’elle.

— Mademoiselle Pereira ?

Elle sursauta et releva les yeux. Elle fut déconcertée par l’homme à la chevelure noire en bataille et mal rasé – qu’elle n’avait jamais vu – qui se tenait dans l’encadrement de la porte. Elle pensa d’abord à l’Aide à l’Enfance, puis elle remarqua qu’il portait une blouse blanche. Il devait donc appartenir au personnel, soignant songea-t-elle.

Il était beau gosse. Sacrément beau gosse. Il avait un visage vénusté, comme si le temps n’avait pas d’emprise sur lui et semblait avoir la quarantaine. Émilie sentit son cœur s’affoler et elle se trouva ridicule.

— Je suis le docteur Müeller. Je vais remplacer le docteur Leblanc durant quelque temps.

Elle se leva d’un bond. Il n’était plus question d’être troublée par la beauté de cet homme. Pourquoi allait-il remplacer le pédiatre d’Emma ? Le docteur Leblanc était très bien et elle n’avait confiance qu’en lui.

— Mon confrère a des problèmes de santé, se sentit-il obligé d’ajouter.

Elle hocha la tête.

— Je vais accompagner Emma durant son traitement.

Le silence envahit la pièce qui était, quelques secondes plus tôt, chargée de tension et d’angoisse. Émilie bâilla, ne pouvant pas retenir la fatigue accumulée ces derniers jours.

— Vous avez besoin de repos. Allez vous reposer ! S’il y a quelque chose de nouveau je viendrai vous chercher, ajouta-t-il.

Elle ne broncha pas. À vrai dire, elle ne voulait pas laisser Emma toute seule. Pourtant c’est ce qu’elle venait de faire quelques heures plus tôt. Elle avait juste envisagé de prendre un café au distributeur et de retourner auprès d’elle, mais ses idées noires en avaient décidé autrement.

— Je vous le promets, insista le médecin. Elle hésita encore un court instant. Et si Emma avait besoin d’elle ? Mais elle n’avait plus la force de lutter. Sans protester, elle se dirigea vers le lieu de repos mis à la disposition des familles.

***

Au milieu d’appareillages et de perfusions, sa chevelure lui tombant en cascade sur les épaules, Emma avait l’air bien plus petite qu’une enfant ordinaire dans ce lit qui était bien trop grand pour elle.

Daniel Müeller marqua une pause à l’entrée de la chambre. Emma lui rappelait un lointain souvenir, qu’il avait préféré terrer dans un coin de sa mémoire.

L’ordre de mission serait bien différent cette fois… Pourtant, il en avait accompli tant d’autres. Sauf qu’avec la petite Emma Pereira, l’histoire serait différente…

Emma releva la tête et afficha un radieux sourire. Le pédiatre en fit de même, en venant prendre place auprès d’elle sur le lit.

— Bonjour, Emma.

L’homme prit sa petite main froide dans la sienne et derechef, laissa les souvenirs affluer à sa mémoire.

— Comment te sens-tu, aujourd’hui ?

— Mieux.

Emma leva les épaules, comme si son état de santé l’indifférait. Puis, elle baissa les yeux sur ses mains, pour ensuite poser de grands yeux bleus dans ceux de Daniel. Plus triste, cette fois.

— C’est pour aujourd’hui ?

Elle le vit secouer la tête de gauche à droite.

— Non. Tu es une petite fille courageuse, Emma. Je vais faire mon possible. Je te le promets.

— C’est pour maman que je m’inquiète, dit-elle les yeux remplis de larmes.

Bien évidemment, il n’allait pas lui dire que lui aussi s’en inquiétait. Il s’était promis de voir le problème le moment venu.

— On n’y est pas encore.

Emma hocha la tête

— En attendant, j’ai une surprise pour toi.

Le visage de la petite fille s’illumina,

— Je peux rentrer à la maison ?

Daniel acquiesça d’un signe de la tête, arrachant ainsi un petit rire à la gamine.

— Les deux transfusions se sont bien passées et tu es remontée un peu dans tes globules blancs. Ils ne sont pas encore vraiment comme il le faudrait mais... Je suis prêt à te laisser retourner chez toi.

Elle ouvrit de grands yeux ronds et elle encercla le cou du pédiatre.

— Merci.

***

À douze heures, la cafétéria de l’hôpital était bondée de monde. À croire que la terre entière s’était réunie dans cet établissement.

Les heures avaient défilé à une vitesse grand V et Émilie Pereira avait été très étonnée de s’éveiller, alors que sa montre indiquait midi trente. Elle avait dormi comme une souche. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas dormi ainsi. Elle avait hésité, encore ensommeillée, entre rester sous les couvertures et se lever puis, elle s’était soudainement rappelé qu’elle était dans le dortoir de l’hôpital et pour quelle raison elle s’y trouvait.

Dans le couloir, elle avait rencontré ce médecin étrange qui remplaçait le pédiatre d’Emma. Elle avait rougi et s’était sentie mal à l’aise tout à coup, sans vraiment savoir pourquoi. Il l’avait invitée pour un repas à la cafétéria et Émilie n’avait pas osé refuser.

À présent, elle se trouvait attablée face à lui, une assiette contenant le plat du jour devant elle, ne sachant quoi dire pour troubler le silence gênant qui s’était installé entre eux. Elle était encore un peu fatiguée et aurait aimé fuir à nouveau sous les couvertures sans se tracasser de rien. Mais cela était impossible.

— Vous ne mangez pas ?

Elle releva la tête et pour la première fois, arriva à soutenir son regard.

— Je n’ai pas très faim, avoua-t-elle.

Avec tout ce qui lui arrivait en ce moment, elle n’avait plus d’appétit. Le contraire aurait été étonnant !

Elle se surprit à s’attarder sur sa bouche et elle sentit son cœur s’accélérer encore un peu plus.

Cet homme était vraiment sexy.

— Vous devriez vous nourrir un peu plus. Pour finir, ce ne sera pas qu’Emma que je vais devoir garder, dit-il.

Ce qui la fit sursauter et la ramena à la réalité.

La jeune femme cligna des yeux et entreprit de piquer dans une pomme de terre. Elle ne savait pas très bien ce qui était en train de lui arriver, son cœur battait anormalement et elle avait chaud tout à coup. Elle en venait à penser que si c’était pour passer plus de temps avec lui, elle aurait volontiers signé pour une chambre.

Elle le vit sourire, et une lueur de malice illuminer ses yeux gris. Est-ce qu’il venait de lire en elle ? Ridicule !

Émilie se sentait vraiment stupide. Elle regarda le médecin prendre son verre et le porter à sa bouche avant de le reposer et d’accrocher son regard, plus sérieusement.

— J’ai une bonne nouvelle, mademoiselle Pereira.

Elle leva un sourcil, attendant. La jeune mère sut directement qu’il voulait parler d’Emma et son cœur reprit un rythme normal. Plus question de laisser ces fantasmes l’envahir.

— Emma va mieux. J’ai pensé qu’une petite pause ne lui ferait pas de mal et qu’elle pourrait rentrer pour les fêtes de fin d’année.

Émilie le regarda un instant, ahurie. Puis, comme si enfin l’information venait de l’atteindre, elle ouvrit la bouche.

— Vous êtes sûr que c’est une bonne idée ? Je ne voudrais pas qu’elle rentre trop tôt.

Daniel Müeller secoua la tête de gauche à droite.

— Il n’y a aucun risque. Laissez-la respirer, d’accord ?

2

Est-ce l’absence du sapin de Noël qui fit qu’Emma marqua une pause sur le seuil du salon ? Plus tard, elle fut certaine que c’était le cas. Sur le moment, la gamine songea simplement que quelque chose clochait dans l’appartement qu’elle avait toujours connu. Pourtant, tout était tel que dans son souvenir. Le canapé blanc qui tournait le dos à la baie vitrée, la table basse en verre et le bonsaï impeccablement taillé, posé par dessus.

Elle resta là sur le seuil, à regarder la pièce, à écouter sa mère ranger dans les placards de la cuisine, les courses qu’elles avaient eu le courage de faire sur le chemin du retour. Elle avait les joues rougies par le froid et son petit béret blanc était recouvert de neige. Elle sentait encore le bout de ses doigts congelés à travers ses petits gants de laine et son cœur battait à tout rompre, parce qu’elle était heureuse d’être enfin rentrée chez elle.

Emma ferma les yeux, comme pour mieux savourer cet instant. Elle tourna sur elle même, les bras tendus, puis ouvrit les paupières et s’aperçut qu’elle avait laissé la porte d’entrée ouverte. Elle se hâta d’aller la fermer, avant que sa mère ne lui crie de le faire. Elle refit surface dans la pièce quelques instants après à peine, essoufflée. Là, elle devait admettre qu’elle n’était plus en si bonne santé qu’avant.

— Tout va bien ?

Emma scruta sa mère qui venait de passer la tête à la porte de la cuisine et qui la regardait, encore une fois, en panique.

Elle acquiesça d’abord d’un signe de la tête, puis finit par dire un grand « Oui », exaspéré parce que sa mère insistait. Quand comptait-elle arrêter ? Elle devait comprendre que le stress qu’elle dégageait n’était que source d’inquiétude pour sa fille !

Émilie finit par sortir de la cuisine, lui prit veste, gants, et béret, en lui ordonnant d’aller se reposer, autrement c’était le retour à l’hôpital assuré.

Sans un mot, Emma consentit. Il ne servait à rien de discuter !

Dans sa chambre, elle répéta le même scénario. Mis à part qu’ici rien ne manquait. Comme si elle n’avait jamais quitté ce lieu.

Archibald, le vieil ours en peluche, qu’Emma possédait depuis qu’elle était bébé l’attendait sur son lit. Elle se rappelait très bien l’avoir posé là, le matin même de son hospitalisation. Rien n’avait changé.

Elle se jeta sur le petit lit et l’attrapa.

— Comme tu m’as manqué, dit-elle, en plongeant son nez dans les poils de l’ourson.

Archibald n’était plus qu’un vieux machin à poils courts et bruns que sa mère avait rafistolé à plusieurs reprises.

Elle marqua une pause, assise au bord du lit, la peluche serrée contre son cœur. Puis, d’un bond, elle gagna la fenêtre.

Emma regardait souvent par la fenêtre de sa chambre, s’imaginant mille et une histoires, peuplées par les gargouilles de la cathédrale Notre-Dame, qu’elle apercevait au loin.

Aujourd’hui, c’est ce qu’elle s’apprêtait à faire, mais son regard s’arrêta un bref instant, sur le tapis blanc que la neige avait formé en tombant sur la rue. Celle-ci était déserte. Chose bien rare.

Une passante déambulait d’un pas rapide, un parapluie à la main. Cela donna froid à la gamine, qui fut prise d’un long frisson. Elle entendit la chaudière se mettre en marche et l’eau couler dans le radiateur. D’ici une semaine, ce sera Noël, pensa-t-elle. Et soudain, Emma réalisa ce qui lui avait paru étrange à son arrivée. Pourquoi cette idée ne l’avait-elle pas frappée en pleine figure ? C’était une chose évidente !

— Mais bien sûr, murmura-t-elle.

D’un bond, elle tourna les talons et apparut sans crier gare dans la cuisine.

Émilie, qui venait de fermer une des portes des placards, sursauta en apercevant sa fille.

— Quelque chose ne va pas, ma puce ?

Elle acquiesça. Le visage de sa mère perdit toute couleur. Elle était sur le point de sauter dans sa voiture et de ramener l’enfant à l’hôpital !

La petite fille ne put tenir son sérieux plus longtemps et éclata d’un grand rire.

— Il faudrait faire le sapin, finit-elle par déclarer.

Émilie ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt. Ses yeux s’étaient ouverts comme des soucoupes, partagée entre le sentiment de panique et de surprise.

— Le sapin ? répéta-t-elle comme si elle avait mal entendu.

Emma hocha la tête.

Elle n’avait pas pensé au sapin. À vrai dire, Émilie n’avait pas du tout envisagé de fêter Noël. Après tout, la sortie d’Emma n’était pas du tout prévue au programme.

La jeune femme laissa échapper un soupir et sentit tous ses muscles se détendre un à un.

— OK. On va remédier à ça tout de suite.

Ce fut Emma qui resta sans voix. Elle regarda sa mère prendre les parkas dans la penderie. N’y avait-il pas un sapin artificiel dans le placard ? Celui-là aurait fait l’affaire.

— Si tu veux ton sapin, on a intérêt à s’y mettre tout de suite, dit-elle.

La gamine sentit son cœur battre à tout rompre et un radieux sourire éclaira son visage.

***

Daniel ne fit pas, attention à ses pas qui résonnaient sur le sol en marbre blanc, dans le long couloir vide qui le menait au bureau de son dirigeant.

Pour une fois, il poussa la lourde porte sans peine. Il n’avait pas pris la peine de frapper, car que la secrétaire (jolie blonde à laquelle, il n’était pas indifférent)avait annoncé sa venue quelques secondes plus tôt.

Il posa de suite son regard, sur l’homme qui était penché sur un vieux livre jauni par les siècles passés. Il connaissait la pièce par cœur. Il ne comptait plus, les fois où il avait vu les étagères prêtes à s’écrouler sous le poids de dossiers à traiter, le pupitre en désordre, qui ne changerait jamais. Avait-il, seulement, eu l’occasion de voir ce meuble rangé ? Jamais, pensa-t-il. Depuis, son premier jour ici, jamais le bureau de Mickaël avait été ordonné.

Il s’arrêta à quelques centimètres de celui-ci et attendit.

— Daniel, salua Mickaël.

Daniel répondit par un signe de la tête, resta silencieux un bref instant, puis il se décida à parler.

— Pourquoi cette convocation ?

Mickaël déposa ses lunettes sur le gros livre, ouvert à la page 1555, repoussa sa chaise et croisa les bras sur son ventre.

— Je voulais savoir si tout se passait bien.

Daniel leva un sourcil d’étonnement. Est-ce qu’il avait bien entendu ?

— Je viens à peine de commencer ! Depuis quand me demandes-tu des comptes aussi rapidement ?

Le vieil homme se pencha en arrière et resta muet.

Daniel ne l’avait plus observé depuis des mois. Ses cheveux avaient blanchi d’un coup. Les siècles avaient passé et Mickaël se faisait simplement vieux. Il lui restait, cependant, des années à vivre pour diriger encore.

— Je suis inquiet, avoua le vieil homme. J’aurais dû peut-être ne pas céder à ta demande et laisser ton collègue s’en charger comme cela était prévu.

— Je suis le mieux placé pour cette mission !

Mickaël approuva d’un mouvement de la tête.

— Je n’ai jamais échoué à aucune des missions que tu m’as confiées ! reprit Daniel. Alors, je ne vois pas pourquoi celle-ci serait différente.

— Elle l’est ! Et tu sais très bien pourquoi.

Il soupira, agacé. Oui, il savait exactement à quoi son supérieur faisait référence. Émilie ! C’était elle, le fond du problème. Mais, il avait juré, de ne jamais mettre ses sentiments en avant et de garder ses distances jusqu’au bout.

Il se mordit la joue, prêt à lancer une réponse cinglante, comme il l’avait l’habitude de le faire.

— Je peux y aller ?

— Oui. Mais sois prudent !

Daniel ferma les yeux, agacé, avant de tourner les talons et de claquer la porte sans un regard.

Mickaël resta un long instant à fixer la porte par laquelle Daniel Müeller était sorti. Il pinça les lèvres, attrapa le verre de vin rouge qui traînait sur le bureau et le porta à sa bouche, les yeux toujours rivés sur un point inconnu devant lui.

Est-ce qu’il pouvait vraiment faire confiance à Daniel ? Jusqu’ici, chaque mission avait été une vraie réussite et il s’était montré plus qu’à la hauteur. Malgré son sale caractère, Mickaël devait admettre, que Daniel était l’un des meilleurs éléments de son équipe. Mais aujourd’hui, le doute prenait possession de lui et il n’en était plus certain. L’avoir laissé prendre la place de Haziel sur cette mission, n’avait peut-être pas été la meilleure idée qu’il ait eue.

***

Une heure. Il fallut à Emma une heure pour trouver un sapin qui correspondait à ses exigences. Elle avait traîné sa mère à travers toute la jardinerie et était prête à renoncer, quand enfin, elle l’avait trouvé.

Émilie rentra soulagée chez elle, les membres complètement gelés et courbaturés par cette recherche infernale.

Tandis que sa mère ouvrait la porte d’entrée, suivie du concierge de l’immeuble – qui leur avait gentiment proposé son aide, pour remonter le sapin dans l’appartement. Emma allait pouvoir enfin fêter Noël comme il se devait !

Sur le chemin du retour, elle n’avait pas arrêté de gesticuler sur son siège, exposant mille idées pour la décoration. Sa mère lui avait donné carte blanche, à condition qu’elle ne transforme pas l’appartement en fêteforaine.

— C’est gentil, Albert, dit Émilie en déposant son sac à main sur la table du salon.

La jeune femme était soulagée que ce dernier soit venu à leurs secours avec son monospace. Comment avait-elle pu imaginer un instant, que le conifère pourrait rentrer dans sa petite voiture ?

Le concierge déposa l’arbre dans un coin du salon, recouvrit le pied de terreau et déplia les branches. Puis, tous les trois observèrent le grand conifère orné de ses magnifiques épines se dresser de toute sa hauteur dans la pièce.

— Et voilà, Mademoiselle Pereira, un magnifique sapin pour la petite.

L’homme se tourna vers Emma.

— Tu n’as plus qu’à l’habiller, maintenant.

— Merci, Albert, dit à nouveau la jeune femme, en raccompagnant ce dernier. Une fois la porte fermée elle jeta un œil à sa fille. Emma affichait un radieux sourire.

— Tu es prête ?

Elle hocha la tête les joues encore rougies par le froid, son béret toujours sur la tête et sa belle chevelure blonde, tombant en cascades sur ses épaules.

Une heure plus tard, mère et fille poussèrent un waouh d’émerveillement en même temps. Elles prirent du recul pour admirer le gigantesque sapin, égayé par les boules dorées, le grand ruban blanc et illuminé par les guirlandes électriques de couleurs différentes.

Pourquoi Émilie n’avait-elle pas pensé plus tôt au sapin ? Évidemment, elle n’avait pas envisagé le retour d’Emma aussi tôt, songeant à passer les fêtes de fin d’année au service pédiatrique.

La sonnerie de la minuterie du four les arracha à leur contemplation.

— Les pizzas sont prêtes. Allez, à table !

Sans se faire prier, Emma passa dans la cuisine et aida sa mère à dresser la table. Malgré la fatigue, elles trouvèrent encore la force de discuter tout au long du repas. Et après avoir dévoré le contenu de son assiette, comme une enfant qu’on n’aurait plus nourrie depuis des semaines, Emma embrassa sa mère et lui souhaita bonne nuit. Elle était épuisée.

Dans la salle de bains, Émilie jeta un œil au reflet que lui renvoyait le miroir. C’était à peine si elle se reconnaissait. Elle avait l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Depuis quand n’avait-elle pas eu une bonne nuit de sommeil ? Maintenant, peut-être allait-elle enfin pouvoir s’endormir sereinement, en songeant qu’Emma était dans la chambre à côté.

Elle passa une main dans sa longue chevelure blonde à la recherche d’un ou plusieurs cheveux blancs. Avait-on des cheveux blancs à trente ans ? Après tout ce qui était arrivé dernièrement cela ne l’aurait pas étonnée !

Depuis quand n’es-tu pas allée chez le coiffeur, Émilie Pereira ? Elle poussa un soupir. Fit la grimace. Et dire qu’elle était ainsi quand elle avait fait la rencontre du docteur Müeller. Elle n’avait pas envie de penser au médecin. Mais elle ne pouvait s’empêcher de revoir sa bouche, le sourire qu’il lui avait adressé lorsqu’il lui avait annoncé qu’Emma pouvait enfin rentrer. Son cœur se mit à cogner dans sa poitrine.

La sonnerie de son téléphone portable retentit pour la deuxième, peut-être la troisième fois, et elle sursauta. Sa première pensée fut évidemment pour Daniel Müeller. Il lui téléphonait peut-être pour savoir si tout allait bien pour Emma.

Quatrième ou cinquième sonnerie.

Émilie chercha son téléphone dans son sac. Il lui fallut une sonnerie supplémentaire pour le trouver et décrocher.

— Allô ?

— Enfin Emi, je m’inquiétais. C’est la deuxième fois que je t’appelle.

— Oh, je n’ai pas entendu ton premier appel, maman. Je suis désolée.

— Est-ce que tout va bien ?

— Oui, maman ! (Enfin pas vraiment) eut-elle envie de lui répondre.

— Je voulais te rappeler qu’on vous attend pour Noël la semaine prochaine. Et ta sœur revient de New-York.

Elle avait complètement oublié que généralement Noël se passait chez ses parents. Pourtant, comme tant d’autres choses, elle aurait dû s’en souvenir. Émilie leva les yeux au ciel, à l’évocation de sa cadette. Elle n’était pas d’humeur à écouter les aventures folkloriques de Clara.

Elle ferma les yeux, prit une grande inspiration.

— Maman…, commença-t-elle. On ne viendra pas cette année.

Voilà, elle venait de le lui dire. Elle avait pensé que cela aurait été bien plus pénible.

Elle entendit Marta marquer une pause à l’autre bout du fil. Sa mère ne pouvait s’empêcher d’être en boucle à chaque fois, n’écoutant qu’elle-même au fond. Mais, le coup venait de frapper.

— Pardon ? dit-elle, comme si elle avait mal compris (au fond, c’est ce qu’elle espérait) Bon, Emi, dis-moi ce qui ne va pas.

La jeune femme ouvrit la bouche, mais n’entendit aucun mot sortir. (Oui, dis-lui Emi !) Elle secoua la tête de gauche à droite.

— Rien. Tout va pour le mieux, maman.

(Ma vie est parfaite !)

Elle sentit sa voix trembler. Elle était prête à craquer, à fondre en larmes et à tout raconter. Mais, il était hors de question d’en parler. Pas maintenant. C’était trop tôt. Et puis, si elle savait éviter la présence et les coups de fil pesants de sa mère, c’était mieux ainsi.

— J’ai beaucoup de travail, voilà tout.

Marta soupira à l’autre bout du fil.

— Ton patron va te rendre malade. Crois-moi, ma petite fille il faut vraiment, qu’il apprenne ce que signifie le mot congé !

Émilie poussa un long soupir. Elle devait mettre un terme à cette conversation téléphonique avant que cela ne finisse mal.

— Maman, je dois raccrocher là.

— Promets – moi de prendre du repos. Et de t’occuper d’Emma.

— Promis, maman !

Les larmes affluèrent et une boule se forma dans sa gorge. Non ! Pas maintenant ! Sa mère ne devait rien deviner, sinon elle ne pourrait plus l’arrêter.

— Je te laisse. On sonne à la porte. Bonne soirée, maman. Je t’aime.

— Je t’aime aussi, ma chérie.

Elle raccrocha soulagée d’interrompre cette conversation. Et les larmes se mirent à couler sur ses joues.

3

D’un geste sec, Émilie referma la petite valise d’Emma. Ça y est, le deuxième mois de chimiothérapie allait débuter. Quatre blocs de quatre jours de traitement, puis trois jours de repos, en plus des médicaments que la fillette allait devoir ingurgiter matin et soir. Emma devrait rentrer après la séance. Mais par précaution, sa mère avait préparé sa valise.

Elles avaient passé les fêtes de fin d’année au calme. Emma étant très fatiguée avait préféré ne pas bouger. Marcus, son parrain, avait pris de ses nouvelles et avait été très peiné de ne pas la voir le soir du réveillon du Nouvel An, dans la luxueuse maison qu’il venait d’acheter avec son deuxième mari. Marcus était homosexuel. Ce qu’Émilie trouvait bien dommage, vu qu’il était à ses yeux, l’homme idéal.

Il était alors venu leur rendre visite, accompagné de son mari et de deux cadeaux. Emma avait poussé un cri de joie en ouvrant le premier paquet. Un jouet qu’elle convoitait depuis bien longtemps. Il avoua à Émilie, quelques instants plus tard, que Ricardo avait fait jouer ses relations américaines pour avoir ce jouet qui ne sortirait dans le commerce que trois ans plus tard. Quand elle avait demandé ce que Ricardo faisait dans la vie, Marcus avait refusé de répondre. Émilie avait souri poliment et n’avait posé aucune autre question. Le deuxième cadeau était une jolie robe rose de princesse, qu’Emma n’avait plus quittée durant une semaine. Archibald non plus, ne quittait pas la gamine une seconde et la jeune femme savait que généralement, cela se produisait lorsqu’Emma se sentait vraiment mal en point.

Émilie jeta un œil à son téléphone portable, qu’elle tenait en main depuis son arrivée dans le service. C’était peut-être la… dixième fois qu’elle le regardait. Elle n’attendait aucun coup de fil et savait parfaitement que personne ne penserait à l’appeler.

Elle fit quelques pas sur elle-même, avant de se tourner vers Emma, qui était étendue sur la table d’auscultation entourée de deux infirmières, la préparant au soin qui allait suivre.

Elle porta une main à son front, repoussant au passage quelques mèches. Emma lui sourit tristement.

La jeune femme soupira et songea pour la première fois qu’elle communiquait son mal-être à sa fille. Elle devait arrêter cela tout de suite ! Elle ferma les yeux, essaya de retrouver une certaine contenance. Pour Emma !

Derechef, elle déverrouilla son cellulaire et y jeta un œil.

— Les mobiles sont interdits dans l’hôpital, mademoiselle Pereira.

Elle sursauta et entendit son cœur s’affoler. La pièce lui sembla tout à coup étouffante. Seigneur, pourquoi cet homme lui faisait tant d’effet ?

Elle regarda, Daniel Müeller contourner la table et rejoindre Emma par la gauche.

— Je... commença-t-elle. J’attends un coup de fil important.

Quelle réponse ridicule !

Elle vit le sourire du médecin disparaître.

— Alors, attendez dehors.

Mais pour qui se prenait-il ? Elle éteignit son portable et le rangea dans son sac.

— Cela peut attendre, finit-elle par déclarer.

Mais Daniel avait déjà détourné son attention. Emma avait l’air, elle aussi, sous son charme. Émilie sourit, en voyant le visage de sa fille s’illuminer à la vue du médecin. C’était étrange cette sensation, qu’elle ressentait quand il était dans la même pièce qu’elle !

Elle croisa les bras sur la poitrine et les observa.

— Tu es prête ?

Emma hocha la tête.

— Je vais enlever ce patch anesthésiant, dit Daniel Müeller tout en exécutant le geste. Puis, je vais piquer dans la boîte qui est là (il désigna du doigt le Port-a-Carth, au niveau de la petite poitrine de l’enfant) pour administrer le médicament.

Emma se mordilla la lèvre inférieure. Son anxiété était montée d’un cran. Elle jeta un œil en direction de sa mère, n’étant plus certaine d’être courageuse, puis elle regarda le pédiatre préparer une seringue. Elle serra la table et enfonça ses petits ongles dans le papier blanc sous elle.

Daniel prit place à ses côtés et posa une main sur celle de la fillette, pour calmer son anxiété. C’est juste un mauvais moment à passer, se dit-elle. Elle sentit la tension se relâcher et parvint à afficher un faible sourire.

— Ça va aller.

Emma acquiesça d’un mouvement de la tête et ferma les yeux.

— Je pique, maintenant. Tu peux ouvrir les yeux, Emma. C’est fini.

Elle risqua un œil, puis ouvrit l’autre. Balaya la pièce du regard, chercha sa mère des yeux.

Elle n’avait rien senti. Est-ce que le pédiatre l’avait vraiment piquée ?

Sa mère n’avait pas bougé d’un millimètre. Les bras toujours croisés sur la poitrine, faisant face, cette fois au médecin. Emma n’avait pas besoin que sa mère lui dise quoi que se soit, l’effet que Daniel Müeller exerçait sur elle, se voyait comme le nez au milieu du visage.

Émilie prit une grande inspiration et elle soutint son regard.

— Je vais faire les vérifications d’usage, dit-il. Si tout est correct, Emma pourra rentrer. Il faudra repasser dans le service d’ici trois jours pour une prise de sang.

— Oui... (Elle marqua une pause). Je vais prendre rendez-vous en sortant.

Il y eut un moment de silence où Daniel plissa les yeux, l’observa et ne put s’empêcher de sourire. Émilie sentit son cœur s’affoler dans sa poitrine et se maudit d’être restée là, plantée comme une idiote !

Emma la regarda, elle aussi, comme si elle était débile, avec un large sourire béat. « Il est mignon, non ? », murmura la fillette. Ce qui la fit rougir de plus belle.

Daniel ne put retenir un sourire.

***

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Marcus regarda Émilie déposer le plateau chargé de trois tasses et d’une théière, sur la table du salon.

Emma se cacha derrière son bol de chocolat chaud, les joues en feu après avoir raconté avec enthousiasme que le nouveau pédiatre était « Boohh » comme elle l’avait mentionné, puis elle était passée au sujet le plus intéressant, c’est-à-dire que Daniel Müeller plaisait beaucoup à sa mère.

Marcus avait d’abord affiché un air effaré, sans émettre aucun son, tandis que son partenaire n’avait pu retenir un rire. Puis Marcus avait enfin retrouvé sa langue en lui demandant à quoi rimait tout cela.

Émilie interrogea d’abord Emma du regard, puis se tourna vers Marcus.

— Ta fille nous parlait de celui qui apparemment va devenir ton nouvel amant, dit Ricardo.

Comme le parrain de sa fille, Émilie afficha un air ahuri avant de rougir.

— Enfin, qu’est-ce que tu racontes, Emma ! dit-elle en prenant place sur le sofa et en servant le thé comme si de rien n’était. Mais ses mains tremblaient légèrement. Elle n’eut pas le courage de relever la tête et de poser son regard dans celui de son ami qui la fixait gravement, attendant une explication.

Un silence lourd s’installa.

— Tu comptes m’expliquer ?

Cette fois, la jeune femme releva la tête et plongea ses yeux bleus dans ceux de Marcus.

— Je n’ai aucune explication à te fournir. En quoi…

Elle s’arrêta. Elle allait lui dire « en quoi cela te regarde ? » Mais elle ne voulait pas le blesser. Marcus avait toujours été très possessif vis-à-vis de leur amitié. Émilie avait toujours essayé de calmer les choses à chaque discussion. La seule fois, où elle lui avait donné raison, c’était sur la relation qu’elle avait eue avec le père d’Emma. Et dire que c’était Marcus qui l’avait poussée à aborder Guillaume dans une soirée. Peut-être n’avait-il pas envie qu’elle commette de nouveau cette erreur.

Elle essuya ses mains moites sur son jean, puis releva la tête enfin.

Marcus se leva d’un bond, arpenta la pièce comme s’il était furieux.

— Émilie, je ne sais pas dans quoi tu vas t’aventurer. Je pense que ce n’est pas…

— Je ne m’aventure dans rien, Marcus ! Il n’est question de rien du tout entre ce médecin et moi. Emma, j’aimerais que tu arrêtes de raconter des histoires.

Elle s’était tournée vers sa fille, qui dans son petit pyjama jaune, son préféré, affichait un air penaud et regardait ce que contenait son bol. À son retour de l’hôpital, Emma s’était installée dans le sofa, un plaid sur elle et Archibald dans les bras. Elle mourait de faim et avait insisté pour avoir du chocolat chaud.

Ricardo déposa sa tasse sur le plateau, jeta un œil à son mari avant de prendre la parole d’un ton posé.

— Ne la gronde pas. Marcus est un peu sur les nerfs en ce moment.

Marcus ouvrit la bouche, jeta un œil à Emma, puis se ravisa, se rappelant subitement qu’il y avait de jeunes oreilles dans la pièce.

La jeune femme suivit son regard, se leva à son tour les mains sur les hanches.

— On va arrêter là, cette conversation, dit-elle. Emma est fort fatiguée et il est temps, pour elle de se reposer.

— Je ne suis pas fatiguée, maman.

— Emma, ne discute pas !

La fillette fit la moue.

Émilie et Marcus échangèrent un long regard. Elle n’eut aucun mal à déchiffrer ses pensées. Elle aussi pouvait se rappeler, avec lucidité cette soirée où elle avait fait la connaissance de Guillaume, le père d’Emma.

Marcus s’en voulait de l’avoir poussée à aborder ce beau gosse, accoudé à un bar. Mais, Daniel Müeller n’avait rien à voir avec Guillaume, pensa-t-elle.

Émilie se rappelait clairement, la façon dont elle avait abordé l’inconnu. C’était un pari ridicule. Mais elle ne devait pas oublier qu’elle l’avait accosté surtout parce qu’il lui plaisait.

Elle avait fini la soirée avec lui et s’était réveillée au petit matin dans un hôtel miteux. Seule ! Guillaume avait disparu. Pas de numéro de téléphone où le joindre.

Marcus secoua la tête, comme pour chasser les remords.

— On continuera cette conversation un autre jour, dit-il en embrassant Emma sur le front.

Il attrapa son blouson et se dirigea vers la gamine. Ricardo l’imita, puis embrassa Émilie sur la joue. Ce que Marcus ne fit pas, pour la première fois.

— Tu te tracasses pour rien, Marcus.

Elle les raccompagna jusqu’à la porte, écoutant à peine les recommandations de son ami. Puis soupira en refermant celle-ci.

Emma ne s’était pas fait prier pour aller au lit. Elle était épuisée.

Émilie passa la tête dans l’entrebâillement de la porte et la regarda dormir un court instant.

Elle s’installa à son tour dans le sofa, écouta le silence et son cœur cogner à un rythme qu’elle trouva anormal. Combien de temps resta-t-elle, là, comme cela, avant de se passer une main dans les cheveux et d’attraper le dernier roman de Marcus qui traînait sur un coin de la table basse ?

Cela faisait longtemps qu’elle lui avait promis de le lire et de lui donner son avis. Il allait sortir en librairie la semaine prochaine. Généralement, Émilie lisait toujours ses livres des mois avant leur parution, mais là, elle l’avait complètement oublié.

Marcus avait toujours rêvé de devenir écrivain. D’aussi loin que remontaient les souvenirs d’Émilie, son ami lui avait parlé de cette ambition, qui avait fini par occuper ses journées, au point que les parents adoptifs de Marcus avaient fini par le mettre à la porte pour l’inciter à trouver du travail. Il avait fini par se faire embaucher comme serveur dans un restaurant du coin. Mais ce travail ne comblait en rien le manque qu’il ressentait au fond de lui. Il avait besoin d’être quelqu’un, comme il disait. Il avait besoin d’écrire. De créer ! Il avait essayé de vivre une vie « normale ». Pour faire plaisir à son premier mari. Mais cela n’avait pas marché. Il avait beau essayer de refouler ses désirs et son monde imaginaire dans un coin de son cerveau, ses personnages le rappelaient toujours à l’ordre, à n’importe quel moment de la journée, comme si, eux aussi lui réclamaient une vie que seul Marcus avait le pouvoir d’animer.

Plongé dans un monde trop éloigné pour les autres,

Marcus n’avait d’abord pas remarqué les absences à répétition de celui qui partageait sa vie. Il n’avait rien vu du tout d’ailleurs. Jusqu’au jour où son mari lui annonça de but en blanc qu’il le quittait pour un autre ! Pour quelqu’un qui était plus terre à terre.

Marcus avait levé les yeux de son écran d’ordinateur et l’avait regardé en silence attendant certainement que ce dernier lui fasse une scène. Mais aucune scène ne se produisit. Alors, il avait ramassé ses valises et avait quitté l’appartement. Marcus avait attendu, dix minutes, peut-être même vingt, puis avait décroché le téléphone et avait composé le numéro d’Émilie, à qui il n’avait plus parlé depuis un an. Ils étaient restés toute la nuit au téléphone. Au matin, Marcus avait bouclé sa valise et s’était envolé pour l’Italie.

Émilie sourit en repensant à ce voyage, où aucun détail ne lui avait été épargné.

Il avait rencontré Ricardo dans une bibliothèque où celui-ci l’avait invité à boire un verre, allant droit au but.

Ils s’étaient regardés droit dans les yeux et Marcus avait déclaré que cela avait été le coup de foudre. Il avait su, à la seconde même, que Ricardo était l’homme de sa vie. Il avait quarante-cinq ans, un mètre quatre-vingt et Émilie devait avouer que c’était un beau gosse. De plus, il était charmant. Marcus emballé par cette nouvelle aventure, n’avait pas tardé à présenter son nouvel amant à son entourage et quelques mois plus tard ils annonçaient leurs fiançailles.

Émilie secoua la tête et revint à sa lecture.

***

Émilie ouvrit le frigo, s’empara du jus d’orange et du lait qu’elle versa dans son bol de céréales. Elle s’attabla dans la cuisine. Elle n’avait pas passé une bonne nuit. Emma était venue la réveiller en pleurs à trois heures du matin. La petite fille avait fait un cauchemar et elle voulait se blottir sous les couvertures auprès de sa mère. Elle avait refusé d’en parler. Elle avait juste mentionné qu’il avait été horrible. Il ne lui avait pas fallu plus de dix minutes pour se rendormir, quant à la jeune femme, elle, il lui avait fallu une heure. Elle n’avait jamais su s’endormir très vite. Déjà petite, elle tournait souvent dans son lit cherchant le sommeil, en vain.

La sonnette de la porte retentit et elle sursauta. C’était la porte du palier, pas celle de l’entrée de l’immeuble.

Certainement un voisin, se dit-elle en allant ouvrir.

Mais la surprise fut de taille quand elle découvrit le médecin sur le pas de sa porte.

Elle ferma les yeux, les ouvrit aussitôt et sourit.

Seigneur ! Et je ne suis pas présentable ! Elle était juste en « survêt », les cheveux en bataille et des cernes sous les yeux.

— Bonjour, dit-il.

Elle ne lui répondit pas, trop abasourdie par cette visite.

— Je peux entrer ? demanda-t-il en agitant une feuille blanche devant ses yeux.

Bien sûr. Quelle idiote ! Elle s’effaça. Je ne suis pas présentable ! Je ne suis vraiment pas présentable ! psalmodia-t-elle. Elle avait chaud tout à coup. Elle avait envie d’ouvrir une fenêtre, mais elle songea que cela aurait été ridicule vu qu’on était en plein hiver. Le thermostat de son corps devait certainement être déréglé.

Elle se dirigea vers la cuisine, le médecin sur les talons.

— Je suis trop tôt ?

Elle jeta un coup d’œil à l’horloge murale.

— Huit heures et trente ! Vous êtes bien matinal, Docteur.

— J’étais de garde cette nuit.

— Je vous sers un café ?

— Oui. Noir et pas de sucre.

Émilie acquiesça et prit une tasse dans l’armoire au-dessus d’elle.

— Mauvaise nuit ?

Il leva un sourcil, hésita à lui répondre.

— Un des enfants est décédé à trois heures du matin dans le service.

Comme il l’avait envisagé, Émilie se figea. Elle sentit tout d’abord son sang se glacer et la tasse lui glisser des mains. Une panique aveugle la gagna et elle éprouva soudain, le besoin d’être auprès d’Emma.

La tasse se brisa sur le carrelage. Ses yeux fixèrent les débris sur le sol. Elle resta un bref instant là, comme si le temps s’était arrêté. Sa respiration s’était accélérée, elle sentit son cœur cogner dans sa poitrine et son estomac se nouer. Elle était à deux doigts de courir.

Courir rejoindre sa fille !

Une faible douleur compressa son crâne et elle s’aperçut qu’un mal de tête la menaçait.

Comme un automate, elle s’activa et entreprit de ramasser les morceaux. Contrôle- toi !

— Émilie, est-ce que ça va ?

Pourquoi lui posait-il cette question ridicule ? Elle se laissa glisser le long de l’armoire. Les forces l’abandonnèrent. Elle luttait depuis un mois pour garder la tête hors de l’eau, essayant de ne pas envisager le pire.

Daniel la prit par les épaules, la forçant ainsi à le regarder.

— Mademoiselle Pereira, regardez-moi !

Émilie releva la tête. Elle tremblait de la tête aux pieds.

— Émilie. Je peux vous appeler Émilie ?

Elle opina de la tête. Elle ne savait rien faire d’autre. Les mots refusaient de sortir. Il poursuivit :

— Il était en phase terminale. Je ne savais rien faire pour lui. Il était à un stade bien plus avancé que votre fille.

Elle le fixa sans répondre.

— Est-ce que vous comprenez ?

Elle n’était ni sourde ni idiote. Bien sûr qu’elle comprenait.

Les larmes affluèrent et elle sentit sa gorge se faire douloureuse. Pleurer devant ce type était la dernière chose qu’elle avait envie faire, mais son corps ne semblait pas vouloir l’écouter. Elle fut secouée de spasmes et elle ne put empêcher l’angoisse de prendre possession d’elle.

Cette peur de perdre Emma…

Daniel la serra contre lui et la berça quelques instants.

Émilie posa la tête contre son épaule. Les spasmes s’atténuèrent doucement. Elle ne comprit pas très bien pourquoi le chagrin semblait la quitter aussi brutalement, mais elle n’avait nullement envie de chercher.