Les Amours jaunes - Tristan Corbière - E-Book

Les Amours jaunes E-Book

Tristan Corbière

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Beschreibung

Tristan Corbière, né le 18 juillet 1845 à Ploujean et mort le 1er mars 1875 à Morlaix, est un poète français, proche du symbolisme, figure du « poète maudit ». Les Amours jaunes est l'unique recueil de poésie de Tristan Corbière. Énigmatique, le titre instaure d'emblée une dissonance qui marque tout l'ouvrage. Les termes qu'il associe procèdent d'un oxymore qui évoque le lyrisme des sentiments amoureux déclenche un « rire jaune » maladif à résonance baudelairienne. Le recueil se divise en 7 sections : Ça; Les Amours jaunes; Sérénade des sérénades; Raccrocs; Armor; Gens de mer; Rondels pour après.

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À L’AUTEUR DU NÉGRIER

T.C.

Sommaire

Tristan Corbière

I

II

III

IV

V

À Marcelle

Le Poète et la Cigale

Ça ?

Ça ?

Paris

Épitaphe

Sous un portrait de Corbière

Les Amours jaunes

À l’éternelle Madame

Féminin singulier

Bohème de chic

Gente Dame

Un Sonnet

Sonnet à sir Bob

Steam-boat

Pudentiane

Après la pluie

À une rose

À la mémoire de Zulma

Bonne fortune et fortune

À une camarade

Un Jeune qui s’en va

Insomnie

La Pipe au poète

Le Crapaud

Femme

Duel aux camélias

Fleur d’art

Pauvre Garçon

Déclin

Bonsoir

Le Poète contumace

Sérénade des sérénades

Sonnet de nuit

Guitare

Rescousse

Toit

Litanie

Chapelet

Elizir d’amor

Vénerie

Vendetta

Heures

Chanson en si

Portes et Fenêtres

Grand Opéra

Ier acte (Vêpres)

IIe acte (Sabbat)

IIIe acte (Sereno)

Pièce à carreaux

Raccrocs

Laisser-courre

À ma jument Souris

À la douce amie

À mon chien Pope

À un juvénal de lait

À une demoiselle

Décourageux

Rapsodie du sourd

Frère et soeur jumeaux

Litanie du sommeil

Idylle coupée

Le Convoi du pauvre

Déjeuner de soleil

Veder Napoli poi mori

Vésuves et Cie

Soneto a Napoli

À l’Etna

Le fils de Lamartine et de Graziella

Libertà

Hidalgo !

Paria

Armor

Paysage mauvais

Nature morte

Un Riche en Bretagne

Saint Tupetu de tu-pe-tu

La rapsode foraine et le pardon de sainte Anne

Cris d’aveugle

La pastorale de Conlie

Gens de mer

Matelots

Le Bossu bitord

Le Renégat

Aurora

Le Novice en partance et sentimental

La Goutte

Bambine

Cap’taine Ledoux

Lettre du Mexique

Le Mousse

Au vieux Roscoff

Le Douanier

Le Naufrageur

À mon cotre le négrier

Le Phare

La Fin

Rondels pour après

Sonnet posthume

Rondel

Do, l’enfant do

Mirliton

Petit mort pour rire

Mâle-Fleurette

À Marcelle

Appendice

Deux poèmes inédits

Une mort trop travaillée

Morale

Pièce sans titre et inachevée

Paris nocturne

Paris diurne

La scie d’un sourd (Variante)

Vieux frère et soeur jumeaux (Variante)

Un riche en Bretagne (Variante)

« Vedere Napoli e morire ! » (Variante)

Au Vésuve (Variante)

Tristan Corbière

Le 1er mars 1875, dans la trentième année de son âge, s’éteignait à Morlaix un pauvre être falot, rongé de phtisie, perclus de rhumatismes et si long et si maigre et si jaune que les marins bretons, ses amis, l’avaient baptisé an Ankou (la Mort).

Il portait à l’état-civil le nom prédestiné de Corbière : une « corbière », c’est, dans la langue maritime, le liseré de côtes sur lequel s’exerce la surveillance des douaniers et qui est hanté par la contrebande et la quête des épaves. Poète, il garda le nom, mais remplaça ses prénoms (Édouard-Joachim) par celui de Tristan, peut-être en souvenir de ce Tristan de Léonois qui fut la première et la plus illustre victime des fatalités de la passion, peut-être pour obéir à la mode romantique des prénoms moyenâgeux, peut-être pour se moquer de lui-même et de sa figure d’enterrement, peut-être pour toutes ces raisons à la fois. Et, par bravade ou par sympathie, il donna le même nom à son chien, le plus crotté des barbets d’Armorique. Ils n’allaient jamais l’un sans l’autre. On n’a pas encore oublié les deux Tristan à Roscoff, où se déroulèrent, de 1866 à 1872, les plus palpitants chapitres de leur carrière accidentée. La famille Corbière possédait dans ce « trou de flibustiers », près de l’église italienne de Notre-Dame de Croaz-Batz, une vieille maison du XVIesiècle qu’elle avait aménagée en villa pour ses résidences d’été ; son arrivée mettait régulièrement en fuite les deux fantoches qui, plutôt que de se plier à la régularité d’une existence bourgeoise, préféraient s’accommoder d’un simple hamac chez un pêcheur du voisinage. En automne seulement, au départ de ses hôtes, ils réintégraient la villa familiale. Tristan Corbière prenait possession du salon et y remisait son canot, dont il faisait son lit ; Tristan le chien couchait à l’avant, dans une manne à poissons !

Ces excentricités – et d’autres moins innocentes – valurent rapidement à leur auteur une manière de célébrité locale, d’assez mauvais aloi d’ailleurs. Transportées à Paris, elles n’intéressèrent que quelques artistes amis du pittoresque et, quand Tristan Corbière, dans les derniers mois de 1873, s’avisa de publier chez les frères Glady son premier et unique recueil de vers, Les Amours jaunes, le livre, malgré le tire-l’oeil du titre, passa totalement inaperçu. Corbière mourut peu après ; les Glady déposèrent leur bilan et tout parut consommé : le soleil des morts fut seul à se pencher, pendant huit longues années, sur cette ombre douloureuse et grimaçante comme les gargouilles de nos cathédrales. Il est fort possible, en effet, et j’encroirais volontiers M. Luce et M. Paterne Berrichon, qu’un exemplaire des Amours jaunes, découvert sur les quais par le dessinateur-poète Parisel, ait été communiqué d’assez bonne heure aux « Vivants », le cénacle poétique fondé en 1875 par Jean Richepin, Raoul Ponchon, et Maurice Bouchor. Mais il faut donc que les membres du cénacle aient gardé jalousement pour eux cette révélation, car il n’en transpira rien dans le public jusqu’en 1883. C’est seulement à la fin de cette année-là que Pol Kalig, pseudonyme du Dr Chenantais, cousin et ami de Corbière, parla des Amours jaunes à M. Léo Trézenic, lequel dirigeait, avec Charles Morice, une petite revue d’avantgarde nommée Lutèce où Verlaine collaborait. On sait le reste et comment Verlaine, à qui Morice et Trézenic avaient porté l’exemplaire prêté par Pol Kalig, le lut, s’enflamma et rédigea, séance tenante, l’étude fameuse qui ouvre sa série des Poètes maudits:

« Tristan Corbière fut un Breton, un marin et le dédaigneux par excellence, aes triplex… Comme rimeur et comme prosodiste il n’a rien d’impeccable, c’est-à-dire d’assommant… Son vers vit, rit, pleure très peu, se moque bien et blague encore mieux. Amer d’ailleurs et salé comme son cher Océan, nullement berceur ainsi qu’il arrive parfois à ce turbulent ami, mais roulant comme lui des rayons de soleil, de lumière et d’étoiles, dans la phosphorescence d’une houle et de vagues enragées !… Il devint Parisien un instant, mais sans le sale esprit mesquin : de la bile et de la fièvre s’exaspérant en génie et jusqu’à quelle gaieté !… »

Suivaient quelques citations : Rescousse, Épitaphe, etc.

« Du reste, ajoutait Verlaine – qui donnait cependant et avec raison la préférence au Corbière marin et breton sur le Corbière parisien, – il faudrait citer toute cette partie du volume, et tout le volume, ou plutôt il faudrait rééditer cette oeuvre unique, Les Amours jaunes, parue en 1873, aujourd’hui introuvable ou presque, où Villon et Piron se complairaient à voir un rival souvent heureux, – et les plus illustres d’entre les vrais poètes contemporains un maître à leur taille, au moins ! »

I

Sept ans devaient s’écouler avant qu’un éditeur se rendît à la sommation du « pauvre Lélian ». La gloire de Corbière, en 1891, avait pourtant commencé d’émerger à la lumière des vivants, mais ce n’était encore qu’une gloire de cénacle. Le public et l’Académie l’ignoraient. Catulle Mendès, l’éternel pasticheur dont Corbière dérangeait les ambitions rétrospectives et qui travaillait à se donner pour un précurseur du symbolisme, lui contestait – ainsi qu’à Rimbaud d’ailleurs – toute influence sur la nouvelle génération poétique et l’appelait un « Pierre Dupont bassement transposé, vilainement parodié ». Mais Charles Morice, Jules Laforgue, Gustave Geffroy, Léon Bloy, Jean Ajalbert, Sutter-Laumann, Olivier de Goureuff, d’autres que j’oublie, se rangeaient à l’opinion de Verlaine et parlaient de Corbière avec la plus sincère admiration.

Sans doute, ils n’acceptaient pas tout du poète ; ils faisaient certaines réserves sur sa syntaxe vacillante, le dégingandement de sa prosodie, l’outrance de son dandysme baudelairien. « Pas de métier », disait Laforgue. Et le des Esseintes de Huysmans s’exprimait plus librement encore sur ces Amours jaunes, « où le cocasse se mêlait à une énergie désordonnée, où des vers déconcertants éclataient dans des poèmes d’une parfaite obscurité… L’auteur parlait nègre… affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis-voyageur ; puis, tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aiguë, comme une corde de violoncelle qui se brise… »

Jugement assez dur pour Corbière, au premier abord. Prenez garde cependant que, sous sa phraséologie impressionniste, il lui accorde tout l’essentiel, la spontanéité, l’énergie, la beauté du cri ; ses fortes restrictions ne surprennent que par comparaison avec le long dithyrambe de Verlaine, dont il est contemporain, ce qui le fait antérieur de plusieurs années à la réédition de 1891. Et c’est ce jugement un peu trouble, dont on ne peut pas dire qu’il soit complètement injuste, ni qu’il soit complètement équitable, parce qu’il est beaucoup trop général, qui ralliera la plupart des lettrés et le public lui-même, admis enfin à pénétrer dans l’oeuvre du poète autrement que par des citations habilement choisies. L’un des hommes qui, avec le moins de dispositions indulgentes, ont le mieux et le plus profondément parlé de Corbière depuis qu’il nous a été restitué, M. Rémy de Gourmont, écrira, par exemple, que son « talent » est un composé d’esprit vantard, de blague impudente et d’à-coups de génie. Le génie est-il donc monnaie si courante qu’on ait le droit d’en faire fi, même à l’état d’alliage ? Mais la vérité, je crois, est qu’il importe de distinguer dans l’oeuvre de Corbière et que l’incertitude de la critique sur la valeur de cette oeuvre vient en grande partie de ce qu’elle a confondu des choses très différentes d’inspiration et d’accent.

II

Le recueil de Corbière comprend sept groupes de pièces qu’on pourrait aisément ramener à deux : dans le premier groupe on rangerait les pièces sentimentales, gouailleuses et généralement parisiennes (À Marcelle, Les Amours jaunes, – qui ont donné leur nom au recueil, – Rondels pour après) ou exotiques (Sérénade des Sérénades et Raccrocs) ; dans le second groupe, les pièces bretonnes et maritimes (Armor et Gens de mer).

Il est très rare que ces divisions empiètent les unes sur les autres. Le Poète contumace, par exemple, qui termine Les Amours jaunes, se passe « sur la côte d’Armor », mais son lyrisme tout intime le classe parmi les pièces du premier groupe. C’est d’ailleurs – avec des trous et les inévitables coq-à-l’âne – une des plus belles pièces de cette série qui en contient tant de déconcertantes et, pourquoi ne pas dire le mot, de franchement insupportables. Pour Les Amours jaunes, comme pour Sérénade, Raccrocs, etc., le verdict de Huysmans, aggravé par M. de Gourmont, serait parfaitement acceptable en somme, s’il faisait la part plus large aux beautés de premier ordre qui étincellent dans « ce fouillis ». Du petit nègre ? Ma foi oui, ou presque. La phrase s’achoppe à tout instant ou, prodigieusement elliptique, emportée dans un vent de folie, n’est plus qu’une ruée de syllabes quelconques. On s’y perd, et l’auteur n’est peut-être pas logé à meilleures enseignes que son lecteur. Il y a chez lui un besoin visible de l’ahurir et peut-être de s’étourdir lui-même. Un cliquetis perpétuel d’antithèses, les alliances de mots les plus baroques, du charabia romantique et de l’argot de barrière, des blasphèmes et des calembours, des pirouettes et des génuflexions, que ne trouve-t-on pas dans cette première partie du recueil ?

Que n’y trouve-t-on pas en effet ? Écoutez ceci, qui est la finale d’un sonnet « espagnol » intitulé Heures :

J’entends comme un bruit de crécelle :

C’est la male heure qui m’appelle.

Dans le creux des nuits tombe un glas, deux glas,

J’ai compté plus de quatorze heures.

L’heure est une larme. – Tu pleures,

Mon coeur ?… Chante encor, va ! Ne compte pas.

C’est du Verlaine tout simplement et du meilleur – et c’est du Verlaine d’avant Verlaine. Quand Corbière écrit : « Il pleut dans mon foyer ; il pleut dans mon coeur », cela ne vaut pas sans doute le délicieux, l’inoubliable andante :

Il pleure dans mon coeur

Comme il pleut sur la ville…

Et cependant, plus que l’octosyllabe de Rimbaud qui leur sert d’épigraphe, le pauvre vers boiteux des Amours jaunes ne fait-il pas songer à ses frères ailés des Romances sans paroles ?… .

Il ne faut pas s’exagérer sans doute l’influence de Corbière sur Verlaine. Il ne faut pas davantage la contester : par tout un côté de son génie étrange et maladif, Corbière a certainement retenti sur Verlaine en 1883, comme Rimbaud en 1871. Et il a retenti du même coup sur toute l’école décadente et symboliste. Tel lui a pris sa blague gamine ou féroce, – qui pouvait être d’essence baudelairienne, mais qui était bien quelquefois aussi du bel et bon esprit français, comme quand Corbière appelait Hugo « garde-national épique » ou quand il parodiait à la Banville, mais avec plus de gaieté véritable, de libre et naturel humour, Les Orientales de l’ancêtre :

N’es-tu pas dona Sabine ?

Carabine ?

Dis : Veux-tu le paradis

De l’Odéon ? Traversée

Insensée !

On emporte des radis…

Et vous trouverez chez d’autres contemporains ses césures libertines, ses hiatus, ses élisions, son dédain des règles et, chez les meilleurs, ses langueurs de rythme, ses assonances mystérieuses, ses phrases brusques, frissonnantes et sans liaison immédiatement sensible, même son vocabulaire personnel qui a fourni au symbolisme ce verbe plangorer, emprunté de la vieille souche latine et si beau et si large qu’on peut regretter qu’il n’ait pas survécu… Refuser tout métier à Corbière, comme le fait Laforgue, est une pure plaisanterie, et il aurait fallu convenir d’abord du sens qu’on donne au mot métier. Corbière avait lu les romantiques, Musset surtout et sans doute Baudelaire. On peut croire cependant que, dans sa lointaine province, les parnassiens n’avaient pas pénétré. Mais eût-il été homme à se plier au joug de leur étroite discipline ? Ce qui est vrai, c’est qu’assez fréquemment son vers excède ou ne remplit pas la mesure. Examinez-le d’un peu près : vous verrez que c’est seulement quand il contient une diphtongue. On croirait que, par esprit de contradiction, Corbière pratique la diérèse partout où les autres poètes se l’interdisent (à l’exception de Musset, qui n’était pas un très bon modèle à suivre sur ce point) et, réciproquement, qu’il fait exprès de se l’interdire là où ils se la permettent. C’est ainsi qu’il compte papiers, fi-èvre, mili-eu, pi-erre pour trois syllabes, nu-it, ci-el, pi-ed pour deux, et qu’en retour, dans tué, fiancé, diamant, muet, viatique, harmonieux, il compte la diphtongue pour une seule syllabe. Cette libre arithmétique dut fort choquer les Parnassiens, gens méticuleux, qui pesaient les diphtongues au trébuchet : nous en avons vu bien d’autres depuis Corbière, et il serait peut-être excessif de continuer à lui faire grief d’une liberté que tout le monde s’arroge aujourd’hui.

Car c’est à quoi se réduit son prétendu manque de métier. Les quelques élisions qu’on rencontre dans son oeuvre (sans voir si elle était blonde), les suppressions de pronoms (vais m’en aller, fut quelqu’un ou quelque chose), même les accrocs à la règle de l’alternance des rimes ne peuvent décemment lui être imputés pour des négligences et sont parfaitement prémédités. Corbière rompait là, délibérément, avec la prosodie romantique pour en adopter une autre, plus proche de sa nature, plus répondante à ses secrets instincts, et qui était la prosodie même des chansons populaires. Il est tout imprégné de cette poésie primitive, rondes, berceuses et complaintes, qui, à chaque instant, comme une bulle légère, remonte à la surface de son inspiration. Et cela encore, en 1873, était une nouveauté. Et c’en était peutêtre une autre, malgré La Bonne Chanson, que l’étrangeté et le trouble de l’émotion sensuelle, traduits en des rythmes d’une si extraordinaire fluidité :

Il fait noir, enfant, voleur d’étincelles !

Il n’est plus de nuits ; il n’est plus de jours.

Dors, en attendant venir toutes celles

Qui disaient : jamais ! qui disaient : toujours !…

Buona vespre! Dors. Ton bout de cierge,

On l’a posé là, puis on est parti.

Tu n’auras pas peur seul, pauvre petit ?

C’est le chandelier de ton lit d’auberge…

Poésie de clair-obscur, chuchotée plus que chantée, si musicale cependant, pleine de lointaines résonances, de prolongements mystérieux, expression d’un état d’âme inconnu de la génération parnassienne et qui allait devenir celui de la génération de 1884. Elle ne durait pas ; ce n’était qu’une rose dans les ténèbres, comme dit quelque part un personnage de Mæterlinck. Oui sans doute, et le démon du poète, son besoin morbide d’effarer le bourgeois, peut-être tout simplement sa peur du ridicule, étouffaient presque tout de suite ces adorables préludes de viole. Un vertige l’emportait. Il redevenait la proie des mots. Et il assistait, témoin impuissant, mais lucide, aux convulsions de son misérable génie :

Va donc, balancier soûl affolé dans ma tête…

Je parle sous moi…

L’effroyable aveu, quand on y songe ! Et n’avons-nous pas prononcé un peu vite tout à l’heure ? N’y a-t-il en effet que dandysme et affectation dans le « cas » de Tristan Corbière ? Vraiment on hésite et l’on a le droit d’hésiter, quand on connaît l’homme, déséquilibré de génie, incapable d’accorder les contradictions de sa nature, mais non de les analyser et celui de nos poètes qui, après Baudelaire, a porté peut-être sur lui-même le coup d’oeil le plus aigu.

III

Il était né, le 18 juillet 1845, dans la banlieue de Morlaix, à Coatcongar, domaine noble tombé en roture, et dont il ne reste que d’admirables futaies et un beau puits de la Renaissance aux colonnes doriques recoupées. Ses parents appartenaient à la meilleure bourgeoisie morlaisienne. Tour à tour corsaire, journaliste, combattant de juillet, romancier et négociant, Édouard Corbière – Corbière l’ancien, comme l’appelle M. Martineau – avait épousé en 1844, à près de cinquante ans, une jeune fille de dix-huit ans, Marie-Angélique-Aspasie Puyo. On a vu des mariages plus disproportionnés et dont les fruits n’avaient rien d’amer. C’est à cette disproportion d’âges cependant que Tristan Corbière attribuait sa disgrâce physique et les terribles crises de rhumatisme articulaire qui le déformèrent dès l’âge de seize ans. Il avait été jusque-là un enfant très normal et même presque joli – autant qu’on en peut juger du moins par une photographie de l’époque qui le représente en costume de lycéen : la maladie en fit une pauvre caricature d’homme, l’espèce d’Ankou, de spectre ambulant dont se moquaient les Roscovites et qui, par bravade, put bien se draper dans sa déchéance, mais non la pardonner complètement à ses auteurs réels ou supposés. Tout le caractère et l’oeuvre elle-même de Corbière, où tant d’ironie tapageuse est mêlée à tant d’amertume secrète, s’expliquent par une rancune de paria. Aux premières atteintes du mal, sa mère l’avait conduit dans le Midi. Mais la lumière effarouchait ce maigre oiseau des brumes, et la Bretagne, d’ailleurs, n’a-t-elle pas, aux portes mêmes de Morlaix, l’équivalent des stations méridionales les plus tempérées ? Sur les conseils d’un médecin de la famille, Roscoff fut substitué à Cannes, et Tristan n’en bougea plus jusqu’en 1868. Il prenait ses repas chez un restaurateur de la localité, M. Le Gad, qui vit encore et qui lui a gardé le plus indulgent souvenir ; des artistes, Hamon, Michel Bouquet, Besnard, Charles Jacque, Louis Noir, fréquentaient en été la pension Le Gad. Tristan les amusa par son humeur fantasque et un talent de caricaturiste qui, à s’en référer aux quelques spécimens dont nous avons pu prendre connaissance, notamment au portrait d’un capitaine blohaic’h (morbihannais), peint sur panneau et conservé chez M. Le Gad, n’était pas sans analogie avec la manière large de Daumier.

C’est à l’instigation d’un de ces artistes, breton comme lui, le peintre pompéien Jean-Louis Hamon, que Tristan, à la fin de 1868, s’embarqua pour l’Italie, visita Gênes, Rome, Capri, Naples, Palerme et poussa peut-être jusqu’à Jérusalem. Mais il ne semble pas que la séduction des pays du soleil se soit davantage exercée sur lui en 1868 qu’en 1863. On dit qu’à Naples, costumé en mendiant breton, la vielle en sautoir, il demandait l’aumône par les rues. Farce de rapin qui faillit lui coûter cher, cette tentative de concurrence à l’industrie nationale de la mendicité n’ayant que médiocrement séduit le lazzaronisme indigène ! Nous ne la rapportons ici qu’à titre de document et parce qu’elle fait éclater une fois de plus ce goût maladif de la charge qui n’était peut-être, chez Corbière, qu’une forme de sa détresse intime devant la magnificence de l’univers. « Je suis si laid ! » gémira-t-il dans Les Amours jaunes.