Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Extrait : "Le père Jérôme était assis tranquillement sur un vieil escabeau. Quatre petits garçons l'écoutaient à distance. Après les avoir regardés d'un œil sévère, il les interrogea ainsi. Et d'abord il s'écria, frappant le carreau du pied : – Y êtes-vous, compère Martinet ? – Oui, maître, répondit une grosse voix qui semblait sortir de dessous terre ; oui, maître ! nous y sommes. – C'est bien, répondit le père Jérôme. Les quatre enfants se regardèrent..."
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de qualité de grands livres de la littérature classique mais également des livres rares en partenariat avec la BNF. Beaucoup de soins sont apportés à ces versions ebook pour éviter les fautes que l'on trouve trop souvent dans des versions numériques de ces textes.
LIGARAN propose des grands classiques dans les domaines suivants :
• Livres rares
• Livres libertins
• Livres d'Histoire
• Poésies
• Première guerre mondiale
• Jeunesse
• Policier
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 311
Veröffentlichungsjahr: 2015
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
EAN : 9782335054828
©Ligaran 2015
Mon cher Lapointe,
J’ai toujours eu le désir de travailler pour les enfants et n’ai jamais pu réussir. C’est la littérature la plus difficile et Perrault en est resté le roi.
Vous me semblez marcher très heureusement sur ses traces. Je viens de lire vos contes et j’en suis émerveillé comme le bambin à qui pour la première fois on vient de narrer l’histoire du Petit-Poucet. Je voudrais vous voir grossir ce volume, qui, je l’espère, obtiendra le succès qu’il mérite si bien. On n’a pas été suffisamment juste envers votre dernier volume de vers, où se trouvent pourtant de remarquables morceaux d’une bonne et véritable poésie populaire. Ce que le public redoit à leur auteur, qu’il le solde à celui des contes charmants auxquels je ne fais qu’un reproche, c’est de ne s’être pas produits en plus grand nombre.
J’attends le second volume avec impatience. Dépêchez-vous ! J’ai soixante-treize ans : les enfants de cet âge n’ont pas le temps d’attendre.
Tout à vous,
BÉRANGER.
Août 1853.
À ma mère
Je voudrais que l’hommage que je te fais de ce livre fût d’un homme illustre ; malheureusement il n’en est rien : c’est simplement celui d’un fils qui t’aime pour ta bonté, et t’admire pour tes vertus modestes.
C’est ta vie si dévouée, ton caractère si élevé, qui me l’ont inspiré.
Ce livre, c’est toi.
En le mettant sous la protection de ta tendresse, tu auras l’assurance que je suis encore ton enfant, un peu plus vieux, voilà tout ; enfant qui a toujours besoin de sa mère.
Je suis heureux, en songeant que tu vas accueillir ces Contes, avec la grâce souriante dont tu encourageais mes premiers pas, voilà déjà quarante ans.
Ton fils,
SAVINIEN LAPOINTE.
Passy. – Mai 1853.
Le père Jérôme était assis tranquillement sur un vieil escabeau. Quatre petits garçons l’écoutaient à distance. Après les avoir regardés d’un œil sévère, il les interrogea ainsi. Et d’abord il s’écria, frappant le carreau du pied :
– Y êtes-vous, compère Martinet ?
– Oui, maître, répondit une grosse voix qui semblait sortir de dessous terre ; oui, maître ! Nous y sommes.
– C’est bien, répondit le père Jérôme.
Les quatre enfants se regardèrent : ils avaient grand-peur.
– Petit Jean, dit alors le père Jérôme au plus jeune des quatre, que faisiez-vous la nuit dernière, à minuit ? – Je dormais, papa.
Le père Jérôme aussitôt porta le petit doigt de sa main gauche à l’oreille : il écoutait attentivement, car ce petit doigt lui parlait tout bas.
– Vous dormiez ? fit le père Jérôme en regardant son fils
– Oui, papa.
– Vous ne dormiez pas.
– Si, papa.
– Mon petit doigt vient de me dire qu’hier, à minuit, vous avez monté au grenier pour y dérober mes pommes de reinette tandis que je dormais ; que vous en avez rempli un grand panier ; qu’ensuite vous les avez croquées avec les mauvais garnements du pays.
– Non, papa.
– La preuve, fit le père Jérôme, la preuve que mon petit doigt dit la vérité, c’est que j’aperçois encore un pépin de mes belles pommes logé là, entre vos dents, coquin !
Le petit Jean ferma la bouche avec précipitation.
– Il est trop tard, enfant, pour fermer la bouche ; mieux vous allait de ne pas l’ouvrir, dit le père Jérôme. Et frappant la terre du pied, il s’écria :
– Y êtes-vous, compère Martinet ?
– Oui, maître, nous y sommes, répondit la grosse voix.
– C’est bien ? fit le père Jérôme. Puis il passa à l’interrogatoire de Georget, son second fils.
– Et vous, Georget, qu’allez-vous faire au bois, tandis que j’étais à l’ouvrage, gagnant du pain pour vous et vos frères ?
Georget répondit :
– Je n’ai pas été au bois, papa !
– Nous allons le savoir, reprit le père Jérôme, portant son petit doigt à son oreille. Puis il s’écria :
– Georget, mon fils, vous avez été au bois.
– Moi, papa ?
– Vous y avez déniché des oiseaux ; ce qui est, je vous l’ai déjà dit, une méchante action ; puisque c’est faire à la fois de la peine à la mère des petits, et du mal aux petits de la mère.
– Papa, je n’ai rien déniché.
– C’est-à-dire, reprit le père Jérôme, que mon petit doigt mentirait ?
– Ça se peut bien, père.
Le père Jérôme interrogea encore son petit doigt ; puis, se tournant de nouveau vers Georget :
– Vous avez déniché le nid de pinsons qui était sur le pommier de la vigne ?
– Oh ! Non, papa.
– Et le nid de chardonneret qui était sur le prunier de mon jardin ?
– Ce n’est pas moi, papa.
– Qui donc ? C’est peut-être mon petit doigt ?
– Ça se pourrait bien, père.
– Est-ce aussi mon petit doigt qui a mis votre culotte et votre veste en lambeaux ? Non. Ce sont les branches du pommier où s’était logé le nid de pinsons et les branches du prunier où s’était logé le nid de chardonnerets. Qu’avez-vous fait de ces malheureux oiseaux ? demanda le père Jérôme avec colère.
– Je ne sais pas, papa, répondit le petit Georget tout troublé.
– Je vais vous le dire, moi. Ces pinsons et ces chardonnerets sont morts entre vos mains de faim et de misère. Pour cacher votre mauvaise action, vous les avez donnés à Morfouine, notre chat. Vous ayez fait le crime, pour cacher la faute.
Le père Jérôme frappa la terre du pied et s’écria :
– Y êtes-vous, compère Martinet ?
– Oui, maître, nous y sommes, répondit la grosse voix.
– C’est bien, fit le père Jérôme. Puis, s’adressant à son troisième fils :
– Joseph, qu’avez-vous fait hier et avant-hier tandis que je travaillais pour gagner votre pain et celui de vos frères ?
Joseph répondit :
– J’ai été à l’école, papa.
– Nous allons savoir ça, fit le père Jérôme en portant son petit doigt à son oreille.
– Vous n’avez pas été à l’école, enfant, lui dit le père Jérôme avec colère.
– Si, papa ! répondit le petit écolier.
– Vous avez fait l’école buissonnière.
– Non, papa ! fit le petit blondin pleurant et se dandinant, espérant, à l’aide de cette petite comédie, donner à ses paroles l’accent de la vérité.
Mais le petit doigt du père Jérôme était inflexible : il dénonça tout sans pitié.
– Enfant, reprit le père Jérôme, vous avez été le long de la grande rivière pour y faire des ricochets.
– Non, papa !
– Vous avez couru au bois cueillir des noisettes et des fraises.
– Non, papa !
– Où sont vos livres ?
– Papa… je… les ai laissés à l’école.
– Vous les avez perdus au bord du ru, où vous pêchâtes des écrevisses et des épingles.
Le petit blondin se mit à pousser les hauts cris, se voyant ainsi confondu.
Le père Jérôme frappa la terre du pied et s’écria :
– Y êtes-vous, compère Martinet ?
– Oui, maître, nous y sommes, répondit la grosse voix.
– C’est bien, fit le père Jérôme.
Puis il fit signe à son dernier fils d’approcher. C’était un gros garçon au visage rouge, aux cheveux crépus, aux grands yeux noirs et ronds. Il s’approcha de son père avec l’assurance d’un juste. Le père Jérôme cependant tenait son petit doigt à son oreille.
– Michel, tandis que j’étais occupé à travailler pour gagner du pain pour vos frères et pour vous, vous vous êtes battu avec le fils du meunier ?
– Oui, papa ! répondit Michel avec résolution.
– Pourquoi cela, s’il vous plaît !
– Parce qu’il avait conseillé à mon frère Jean de vous voler vos pommes.
– C’est tout ?
– Non, papa. Parce qu’il conseillait encore à mon frère Georget de dénicher le nid de pinçons du pommier et le nid de chardonnerets du prunier.
– C’est là tout ?
– Parce qu’il conseillait à mon frère Joseph de faire l’école buissonnière.
Il y eut un moment de silence, pendant lequel Michel se disait :
– Le petit doigt de notre père ne sait plus ce qu’il dit ; il s’embrouille.
Cependant le visage du père Jérôme s’était visiblement rembruni.
– Vous vous êtes battu, reprit le père Jérôme rompant le silence, pour avoir tiré l’âne du meunier par les oreilles, colère que vous étiez de ce que le fils de notre meunier ne voulait pas vous laisser monter sur sa bête. Parce que ce brave garçon a eu le courage de défendre son âne contre vos méchancetés.
Le gros garçon demeura interdit.
– C’est vous, continua le père Jérôme, c’est vous et non pas lui, qui avez conseillé à Jean de me voler mes pommes, à Georget de dénicher les pinsons de mon pommier et les chardonnerets de mon prunier. C’est vous qui avez conseillé à Joseph de faire l’école buissonnière.
Le père Jérôme frappa la terre du pied avec tant de colère, que la maison en trembla de la cave au grenier, et s’écria :
– Y êtes-vous, compère Martinet ?
– Oui, maître, nous y sommes.
– C’est bien, fit le père Jérôme.
C’était un personnage singulier que ce compère Martinet, avec son grand manteau noir, ses sourcils épais, ses petits yeux ronds, louches et gris ; avec son visage long et jaune, ses mains sèches, ses lèvres pincées et son regard colère.
Le père Jérôme ouvrit une trappe énorme, et prenant ses marmots par l’oreille, il les fit descendre dans le noir souterrain d’où partait la grosse voix, et s’écria :
– Compère Martinet, à vous ces quatre petits coquins !
– Merci, maître ! répondit la grosse voix.
Et la trappe s’abaissa avec bruit, et on entendit comme un sifflement de lanières et de cordes qui frappaient, qui frappaient, et la voix des quatre enfants qui hurlaient, hurlaient, hurlaient.
À ce moment, une jolie petite fille de dix ans entra riante et leste, et courut se jeter dans les bras du père Jérôme, qui l’embrassa avec tendresse. Pourtant il mit encore à son oreille le terrible petit doigt.
– Marie, lui dit-il, que fais-tu chaque matin du déjeuner que je te donne pour aller à l’école ?
– On le mange, père, fit la petite fille en rougissant.
– C’est donc pour ça que tu as si faim quand vient l’heure du dîner ? fit le père Jérôme en souriant.
– Qu’as-tu fait de la tartine de lundi ?
– Mangée, père.
– Et des confitures de mardi ?
– Mangées, père.
– Et des cerises de mercredi ?
– Mangées.
– Et des belles prunes de reine-claude de vendredi ?
– Mangées, père.
– Et du fromage à la crème de samedi ?
– Tout cela mangé, mon bon petit père.
– Oui, oui, tout cela mangé, fit le père Jérôme des larmes plein les yeux, mangé non par cette petite bouche si pure, mais bien par la bouche affamée et noire du pauvre petit ramoneur qui passe chaque matin dans le quartier.
Marie baissa les yeux.
Jérôme prit sa petite Marie dans ses bras et lui dit :
– Oui, ma fille, Dieu veut que nous cachions nos bonnes actions pour ne point humilier ceux-là qui en sont l’objet. Mais le bon Dieu nous dit encore de ne pas tout donner à la fois, mais de partager, pour que cela dure plus longtemps. Voilà, voilà le grand bavard, continua-t-il en riant, et lui montrant le petit doigt terrible ; le voilà le bavard qui m’a tout raconté…
Ici on entendit les quatre petits garçons qui se lamentaient.
– Père, qu’est-ce que c’est donc que ces cris ?
– Ce sont tes frères et le compère Martinet qui les soigne…
Marie se jeta suppliante au cou de son père.
– Non, non, s’écriait le père Jérôme, ce sont des malheureux !
Cependant, sur les prières de Marie, il rappela les quatre garnements et il leur dit :
– Remerciez votre sœur, qui a demandé grâce pour vous.
Puis, embrassant Marie :
– Tu es une bonne fille, tu seras une excellente femme ; et comme Dieu bénit au ciel ceux que les pauvres aiment sur terre, tu seras bénie du bon Dieu, ma bonne petite fille !
Puis, se tournant vers ses fils :
– Il y aura toujours des petits doigts terribles pour dénoncer les mauvaises actions, et des compères Martinet pour les punir !
Par un beau jour d’été, deux enfants, le frère et la sœur, jouaient au bord d’une grande rivière et s’y promenaient gaiement. Ils s’étaient fort éloignés de la demeure paternelle. La petite fille en fut alarmée et dit à son frère :
– Mon frère, retournons chez nous, maman nous a défendu d’aller jouer au bord de l’eau.
Le petit garçon répondit :
– Ma sœur, allons encore là-bas, sous les saules, nous reposer un peu dans l’herbe, nous nous en retournerons après. Et, voyant une nacelle amarrée au tronc d’un vieil arbre, il s’écria :
– Oh ! Le joli bateau, avec ses rames bleues et ses voiles blanches. Ah ! Ma sœur, si nous avions ce joli bateau I
Les enfants accoururent dans les saules au bord de l’eau. À peine y furent-ils assis, qu’un homme leur apparut, se dressant au milieu des herbes et des joncs.
C’était l’homme vert !
Cette apparition leur fit peur, aussi leur premier mouvement fut-il de s’enfuir. Mais l’homme vert les regarda si tendrement, d’un air si bonhomme, que les enfants, rassurés, revinrent au rivage en souriant.
L’homme vert leur dit alors :
– Pourquoi vous enfuir, enfants ? Ne craignez rien, je vous aime. Je suis le roi des eaux, j’aime les petits enfants. Venez à moi !
En même temps, il leur tendit les bras. L’eau tombait de sa barbe, de ses cheveux, et ruisselait sur ses bras, sur son corps, comme des lames d’argent et des perles blanches.
Ce spectacle attacha les enfants au rivage. Cependant la petite fille, inquiète, dit à son frère :
– Frère, maman nous a défendu de jouer au bord de l’eau. Rentrons chez nous.
Le petit garçon, qui avait grand plaisir à voir tomber l’eau de la barbe et de la chevelure de l’homme vert, n’entendit pas la voix de sa sœur.
L’homme vert dit aux enfants :
– Venez à moi, et je vous donnerai tous les coquillages bariolés qui sont dans mes sables. En même temps il plongeait et relirait des coquillages plein ses douces mains, les laissant ensuite retomber et aller au fil des eaux.
Les enfants avaient bien envie de ces jolis coquillages, mais ils n’osaient approcher, et la petite sœur ne cessait de répéter :
– Frère, maman nous a défendu de jouer au bord de l’eau. Rentrons chez nous.
L’homme vert leur dit encore, en leur montrant les fleurs blanches et roses qui flottaient à la surface des eaux :
– Venez à moi et je vous donnerai toutes ces fleurs blanches et roses que vous voyez, avec ce roseau flexible qui se courbe sur les flots. Venez à moi, je vous donnerai toutes ces libellules, fleurs vertes, bleues et argentées qui volent dans les airs. En même temps, l’homme vert agitait les herbes, les joncs, les roseaux, et les libellules s’élevèrent, voltigèrent et vinrent se poser dans la barbe et dans les cheveux de l’homme vert. Les enfants en étaient fort réjouis.
Cependant la petite fille dit encore à son frère :
– Mon frère, rentrons chez nous, maman nous a défendu de jouer au bord de l’eau.
Le petit garçon fit quelques pas vers la rive.
L’homme vert leur dit encore :
– Enfants, j’ai là, au milieu des joncs, un joli bateau avec des rames bleues et des voiles blanches ; si vous voulez venir à moi, je vous le donnerai.
Il leur dit encore :
– La chaleur est grande, le soleil darde fort. Vous avez bien chaud, venez à moi, je rafraîchirai votre gai visage, vos mains si blanches et vos pieds si mignons. Cette onde est claire comme le cristal même et son gravier est aussi fin que la poussière.
La petite, tout en pleurs, dit à son frère :
– Allons chez nous, frère, maman nous a défendu de jouer au bord de l’eau.
Le petit garçon s’avança encore un peu pour laver son visage, ses mains et ses pieds.
Alors l’homme vert leur dit d’une voix plus caressante :
– Si vous voulez venir à moi, je vous donnerai tous ces beaux poissons si vifs, qui nagent au fond de la rivière. Tous ces jolis poissons, rouges, bleus, verts et argentés.
Et l’homme vert fit passer sous les yeux des enfants une grande quantité de petits poissons, qui frétillaient, tournoyaient et sautillaient.
Le petit garçon ôta ses souliers, releva son pantalon, et s’avança dans l’eau. Puis il se mit à cueillir les fleurs blanches et roses, il s’avança encore pour prendre les libellules qui fuyaient. Il allongea les mains pour attirer à lui le joli bateau aux rames bleues, aux voiles blanches. Il avança enfin pour prendre les petits poissons qui fuyaient sous les eaux. Alors, l’homme vert agitant les vagues, l’enfant, qui avait de l’eau passé le genou, fit un cri, perdit pied et glissa, glissa sous les ondes.
– Mon frère, rentrons chez nous, maman nous a défendu de jouer au bord de l’eau ! lui criait sa sœur tout en larmes.
Le petit garçon reparut un moment à la surface, pour s’écrier :
– Adieu, ma sœur ! L’homme vert m’étouffe !
Et l’enfant disparut une seconde fois sous les flots pour ne plus reparaître.
Un long rire, un rire infernal comme celui des enfers, se mêla aux cris désespérés de la petite sœur, qui vainement implorait du secours sur le rivage tranquille.
Son frère dormait au fond des eaux, la face dans le sable. Il était mort. L’homme vert l’avait étouffé sous les ondes, au bord de la rivière.
Le lutin Flammèche n’apparaît guère chez nous que dans les longs soirs d’hiver. Quelques savants prétendent, les savants savent tout, que Flammèche est né de l’incendie d’une grande ville. Ce genre de lutin aime à se blottir dans les crevasses des cheminées, ou derrière la plaque de fer scellée au mur de l’âtre. Flammèche n’est guère plus gros que le grillon, il parle toutes les langues, connaît tous les enfants, il a des ailes qui brillent comme des paillettes d’acier. Ses jolis petits yeux bleus flambent sous sa chevelure cendrée comme de fins diamants. Son corps diaphane et léger a la couleur mate de l’argent. Quoiqu’il soit dangereux, Flammèche est fort aimé des petits garçons et des petites filles, parce qu’il les amuse et les fait rire. Cependant il n’est pas méchant, mais il est sage de s’en tenir éloigné si on ne veut pas faire comme le petit Jean qui serait encore, à l’heure qu’il est, le plus bel enfant du monde, s’il n’avait point écouté les conseils étourdis du gentil lutin Flammèche.
Petit-Jean était couché dans sa barcelonnette, sa mère était allée au marché faire les provisions. La pauvre femme croyait son enfant préservé de tout danger parce qu’elle lui avait dit :
– Jean, si tu es bien sage, si tu ne descends pas de ta barcelonnette, si tu ne vas pas autour de la cheminée, je t’apporterai une tarte aux confitures.
Jean le lui promit, et la bonne mère partit en fermant sa porte à double tour.
Elle ne fait pas plutôt au bas de l’escalier qu’une petite voix timide et douce comme celle du grillon, se fit entendre derrière la plaque de fer de la cheminée. C’était la voix du lutin Flammèche qui disait :
– Petit-Jean, dors-tu ?
– Non, répondit Petit-Jean au lutin, je ne dors pas
– Eh bien ! Viens te chauffer, ajoutait Flammèche ; et en même temps il faisait écrouler la bûche que la mère avait couverte de cendres par précaution.
Petit-Jean se tourna dans son lit, jetant un regard de côté sur la bûche qui se rallumait.
– Petit-Jean ! Lui cria le lutin, prends les grandes pincettes d’acier et viens tisonner ce feu écroulé. Petit-Jean ! Prends encore la pelle et relève la braise qui est répandue autour de l’âtre.
Petit-Jean répondit :
– J’y vais, ami lutin, attends-moi.
– Je t’attends, répondit Flammèche.
Et Petit-Jean étendit le bras vers une chaise, malheureusement placée à portée de sa main ; la tira à lui jusqu’à temps qu’elle fût tout à fait auprès de la barcelonnette, et descendit tout joyeux dans la chambre.
Le lutin recommença :
– Petit-Jean, prends les papiers qui sont là-bas, sur la table, et jette-les tous au feu.
Petit-Jean courut aux papiers qui étaient sur la table, en prit plein ses bras et les jeta sur la braise. Les papiers flambèrent avec la rapidité de l’éclair en faisant une grande flamme. Ce qui égaya beaucoup le lutin et Petit-Jean ; car on entendit des éclats de rire qui emplissaient la chambre.
– Petit-Jean ! Prends le soufflet qui est accroché à un clou dans le coin de la cheminée et souffle sur la braise, s’écria Flammèche.
Petit-Jean fit ce que lui conseillait le lutin, il souffla, et mille étincelles volèrent dans l’âtre en pétillant comme un feu d’artifice, ce qui amusa beaucoup Petit-Jean et Flammèche. Le rire redoubla.
– Lutin Flammèche, dit à son tour Petit-Jean, sors de ta cachette que je te voie. Viens avec moi dans la chambre.
– Non, répondit le lutin, si ta mère me surprenait, elle me battrait.
– Maman n’y est pas, répliqua Petit-Jean, elle est au marché. Viens, ami lutin. Viens vite.
Le lutin vint se poser joyeusement sur la pomme d’un chenet, agita ses ailes avec grâce, et s’écria :
– Me voici !
Petit-Jean se traîna sur les genoux et s’avança à quatre pattes pour regarder Flammèche de plus près.
– Petit-Jean ! lui dit encore Flammèche, voltigeant et sautillant, va dans ce cabinet au fond de la chambre, tire des harts du fagot et jette-les au feu.
Petit-Jean courut dans le cabinet, en rapporta des harts sèches, puis il les jeta dans le foyer. Les harts flambèrent en se tordant comme des couleuvres, ce qui fit rire de nouveau Flammèche et Petit-Jean.
– Petit-Jean ! Prends ces allumettes sur la cheminée, et jouons au petit bonhomme vit encore,
Petit-Jean fit ce que lui conseillait Flammèche.
– Petit-Jean ! Prends ce grand tison dans ta main, et secoue-le fortement pour en faire jaillir des ronds et des rubans de feu.
Petit-Jean prit le tison, et le voilà qui l’agite, tourne son bras, fait des cercles enflammés et des longs rubans de feu. Il allait, venait, courait ainsi à travers la chambre, à la grande satisfaction de son ami lutin. Dans le plus fort du jeu, un morceau de braise se détache du tison et lui tombe sur le pied. La douleur du feu est la plus vive et la plus rapide de toutes les douleurs. Petit-Jean fit un cri, et jeta par la chambre le tison rouge encore. Le tison vola dans la barcelonnette, le feu y prit. Petit-Jean voulut l’éteindre. Sa chemise s’enflamma. Sa mère montait l’escalier. Petit-Jean heurtait à la porte fermée. Le feu le dévorait. Flammèche avait regagné son gîte aux cris que poussait Petit-Jean. La porte de la chambre s’ouvrit. Petit-Jean se roulait sur le carreau.
– Malheureux ! s’écria la pauvre mère, arrachant la chemise en flammes du pauvre petit, malheureux, qu’as-tu fait ?
– Mère ! C’est Flammèche, répondait Jean, c’est Flammèche qui a mis le feu à mon lit, ce n’est pas moi ! Et Jean criait, se tordait dans les bras de sa mère fondant en larmes…
Cependant il en fut quitte pour quelques cloques au bras et une large cicatrice à la joue, ce qui le défigura pour le reste de ses jours.
Si jamais ce gentil lutin Flammèche se présente à mon foyer, il peut être sûr que je lui tortillerai le cou, que je mettrai le pied dessus, ou bien que je l’étoufferai sous mon large éteignoir !
Dans une boutique de la rue de Glatigny, en la Cité, à l’enseigne du Gagne-Petit, Jacques travaillait péniblement, pour subvenir aux besoins quotidiens de sa petite famille blonde et rose, encouragé par le doux sourire de Marguerite, sa femme, et l’espoir que l’on a toujours d’être plus heureux l’année prochaine. Jacques était coutelier du roi Louis XI, ce qui ne le faisait guère plus riche pour cela ; car Louis XI était tracassier, il marchandait comme aujourd’hui une petite bourgeoise de la rue Saint-Denis ; ce qui privait Jacques du bénéfice qu’un pareil titre : fournisseur de la maison du roi promet ordinairement. Louis XI, d’ailleurs, n’avait pas grand goût pour la table. Il aimait mieux acheter une conscience qu’une douzaine de couteaux ; et puis, il était si pauvre lui-même, qu’il portait des pourpoints et des hauts-de-chausses rapié ces. Le coutelier Jacques chômait donc à côté de son privilège, comme un avare à côté de son trésor.
Enfin, ce jour où nous parlons, le travail, partant la joie, était revenu dans la boutique de la rue de Glatigny. Le roi, absent depuis quelques mois, était de retour dans sa bonne ville de Paris. Les hôtels se rouvraient à la suite du roi ; les fêtes, les soupers ; et partout on faisait aiguiser les couteaux. Jacques eut sa part dans cette jubilation universelle. Et Marguerite disait, en voyant les commandes pleuvoir dans l’échoppe :
– Béni soit le bon saint Éloi, qui nous envoie tant d’ouvrage, mon cher homme !
Et Jacques et Marguerite se mirent à danser en rond dans la boutique avec leurs enfants par la main, et tout joyeux d’être de la partie. Un moment après, le front de Jacques s’était un peu rembruni : le coutelier avait calculé.
– Sans doute, disait-il, la besogne nous arrive ; mais il serait dommageable pour nous d’avoir recours à un aide : un homme de peine emporterait nos profits. Tout aussi bien, il ne faudrait pas trop compter sur un long travail : ce n’est là qu’une poussée. Si cela continuait, plus tard il serait temps de prendre quelqu’un, mais aujourd’hui il est sage de s’en passer.
– Si encore nous avions Pierrot, notre apprenti ! s’écria Marguerite.
– Ah bah ! Un petit paresseux qui ne voulait rien faire, répondit Jacques, puisqu’il a déserté la boutique ; je ne veux plus en entendre parler !
– Je vous aiderai de mon mieux, mon cher homme, avait répondu Marguerite, prenant plus conseil de son courage que de ses bras. Cette femme était d’une faiblesse extrême. Cela se devinait à sa pâleur et à sa taille mignonnette. On voyait bien qu’elle n’était point propre à tirer le soufflet de la forge, ni à tourner la roue. Jacques embrassa Marguerite et lui dit :
– Nous verrons ça ; en attendant, sers-nous la soupe.
Nous étions au mois de juillet, le ciel était beau, mais la chaleur était grande.
– Maman, s’écrièrent les deux enfants du coutelier, laisse-nous aller manger sur la porte, au soleil.
Marguerite consulta Jacques du regard.
– Allez ! Allez, répondit le coutelier, le grand air ouvre l’appétit, et le soleil donne de la force aux enfants.
Ils ne se le firent point répéter deux fois, et coururent s’asseoir, la gamelle sur les genoux, sur le pas de la boutique.
– Pour qui donc cette assiette, femme ? demanda Jacques.
Cette assiette était de trop en effet. Marguerite soupira.
– J’y suis, dit le coutelier : c’est Pierrot qui te passe par l’esprit.
– Pauvre enfant ! Peut-être n’a-t-il pas de quoi manger à l’heure qu’il est !
– Il ne fallait pas qu’il nous quitte ; qui abandonne le travail, abandonne son pain, répondit durement le mari de Marguerite.
– Je ne voudrais pourtant pas qu’il lui arrivât malheur, reprit la bonne mère de famille, en jetant sur les siens un regard attendri.
– Qui songe à cela ? répondit le coutelier ; l’ai-je renvoyé ? J’avais recommandé qu’on ne me parlât jamais de ce méchant garnement, ajouta-t-il, d’un ton qu’il rendait plus sévère qu’il ne voulait le faire paraître.
Marguerite garda le silence, et dit un moment après :
– C’est singulier, Pierrot a disparu de chez nous, le jour même où ce grand homme noir et sec, qui fait tant peur à nos enfants, est venu chercher les énormes ciseaux d’acier que nous lui avons forgés.
– C’est vrai, répondit Jacques, cet homme avait en effet un air singulier.
– Je le soupçonne fort, continua Marguerite, de nous avoir débauché notre apprenti. Ce personnage vit au milieu des bohémiens, et habite la Cour des Miracles, il pourrait bien être sorcier et suppôt du diable, et avoir enlevé l’enfant pour quelque conjuration infernale.
– Bah ! reprit le coutelier, cet homme est un pauvre vieux qui a la manie de s’entourer chez lui d’une quantité extraordinaire de chiens, qu’il passe sa vie à tondre, et dont il fait même commerce. Au surplus, c’est trop nous occuper d’un enfant paresseux et ingrat, mangeons.
Pierrot, en effet, était d’une paresse que rien ne pouvait vaincre ; ni les bontés de ses maîtres, ni les châtiments, ni le raisonnement. Un soir que Jacques le menaçait d’une juste correction, il s’enfuit de la boutique du coutelier ; malheureusement il rencontra l’homme noir qui lui adressa des paroles mielleuses, et l’entraina dans une grande cour où tous les démons de l’enfer étaient assemblés. Un moment après, un rire fermai accompagnait un chien qui s’enfuyait, une casserole attachée à la queue, battant les maisons et attirant les rires et les pierres des mauvais garnements du quartier.
– Pourtant, avait répondu Marguerite à son mari, il faut que je vous fasse part d’un songe singulier que je fis la nuit dernière. Imaginez-vous, mon cher homme, que j’ai vu en rêve la mère de Pierrot ; cette pauvre femme me disait : Mon petit garçon Pierrot vous a quittée ; c’est mal, vous qui l’aimez tant. Ça vous fait bien de la peine, chère dame ; car vous preniez un grand intérêt à ce pauvre enfant qui n’a plus ni père, ni mère, et qui n’avait que vous sur la terre pour l’aimer. Il est, à l’heure qu’il est, bien durement puni de son ingratitude ; mais, madame, vous le savez, tous les enfants sont ingrats. Quand ils sont grands, cela change, ils comprennent mieux, et devinent, par le mal qu’ils souffrent des autres, ce qu’on a souffert pour eux. Alors la reconnaissance leur vient. Espérez ; il vous reviendra un jour, le jour où un puissant personnage vous offrira une grosse somme pour un objet que je ne puis vous dire. Mon petit Pierrot vous reviendra deux fois corrigé : de sa paresse et de son ingratitude. Adieu, madame, dit-elle en souriant. Que Dieu préserve vos enfants de l’homme noir qui tond les chiens !
Jacques, qui n’était pas très superstitieux, se mit à plaisanter le rêve de sa bonne Marguerite, conseillant à sa femme d’aller faire neuvaine à Notre-Dame, ce dont la coutelière était bien capable : l’espérance justifie la foi.
Les enfants, Blanche la fille, et Jacquot le petit garçon, allaient chercher du pain et ce qui l’accompagne, quand un chien déboucha sur la place du parvis Notre-Dame, et entra précipitamment dans la rue de Glatigny.
La physionomie de cette pauvre bête était triste, inquiète, il était sale, crotté et paraissait harassé de fatigue. Sa langue ardente annonçait qu’il avait grand soif, et l’on devinait que ses flancs, rentrés et collés aux os, battaient dans le vide. Je voudrais bien pouvoir dire, pour la beauté de l’histoire, que ce chien était un beau caniche blanc et à double nez, malheureusement il n’en est rien. C’était tout simplement un montagnard à poil long, roux et dur ; à la face hargneuse, plutôt prêt à mordre qu’à caresser. Son œil brillait d’intelligence, sous les deux taches de feu qui flambaient à son arcade sourcilière. Et soit calcul, soit lassitude, il s’étendit sur la terre, au pied d’une masure faisant face à la boutique du coutelier.
Ce chien d’où venait-il ? Quels chagrins inconnus fuyait-il ? De quelles déceptions était-il atteint ? De quels sentiments trahis avait-il à se plaindre ? Telles sont les questions que se serait faites un observateur à la vue de cet animal si triste et si délaissé.
Blanche et Jacquot revinrent, du pain à la main et l’assiette pleine. À la vue des deux enfants, l’animal se releva rapidement, les jarrets tendus, remuant le nez, la queue, et faisant de l’œil.
La pantomime a son éloquence. La petite Blanche se mit à sourire à l’animal qui leur faisait fête. Enhardi par cet accueil, le montagnard s’approcha des enfants qui mangeaient, et, tout en se tenant à distance, il se mit à hurler d’un accent qui ressemblait assez à une supplique.
– C’est peut-être qu’il a faim, dit la petite Blanche à son frère.
– Tiens, Loup ! s’écria le petit Jacquot, lui jetant un os fort bon à prendre.
Le montagnard se jeta sur l’os et l’avala avec avidité, puis s’assit tranquillement en regardant les enfants, dans l’espérance d’une autre aubaine. Blanche trempa son pain dans la sauce, puis invita l’animal à venir le prendre. L’animal vint et mangea dans la main de la petite fille que cela divertissait beaucoup. Le petit garçon le fit boire dans son verre, puis, à bout de comestibles, on retourna au plat paternel.
– Les enfants ont bon appétit aujourd’hui, dit alors le coutelier remarquant que les assiettes étaient d’une netteté parfaite.
Les enfants ne se vantaient pas, il est vrai, que la langue d’un chien avait passé par là.
Le montagnard attendait le retour de ses petits bienfaiteurs. En les voyant revenir, son œil s’alluma et il se mit à bondir de joie. Cependant il attendait qu’on lui fit signe d’approcher.
– Viens, Loup, viens ! lui cria la petite Blanche en lui présentant son assiette !
L’animai cette fois vint prendre place au milieu des deux enfants et se mit à table sans façon. Blanche et Jacquot riaient aux éclats, tandis que l’animal dévorait leur dîner d’un air fort réjoui. Tous trois enfin, sur le même banc, à la même assiette, enfants et chien mangeaient au soleil.
Les rires devinrent si bruyants, que le coutelier en voulut connaître la raison. Il ne fut pas peu surpris de voir ce nouveau convive.
– Je comprends, dit-il, en se tournant vers sa femme, je comprends maintenant l’appétit de nos petits gaillards, ils ont un aide. Je n’aime pas les chiens errants, s’écria-t-il avec colère, et je vais ôter à celui-ci l’envie de revenir jamais.
En même temps Jacques allait s’armer d’un fouet. Les enfants prirent Loup dans leurs petits bras et le protégèrent de leur corps contre la mauvaise humeur paternelle. Cependant le coutelier revint armé du fouet. Le chien s’échappa des bras des enfants et alla se coucher aux pieds de Marguerite, comme pour se mettre sous l’abri de sa protection.
– À quoi bon battre ce pauvre animal ? dit Marguerite à son mari.
– Je veux ce chien, s’écria la petite Blanche, en se jetant dans les bras de son père.
– N’a-t-il pas son maître ? s’écria le coutelier.
– Non, papa, reprit Jacquot, puisqu’il mourait de faim.
La réflexion est bonne, pensa le coutelier.
– Il a l’air d’aimer les enfants, fit Marguerite.
– Je veux ce chien, s’écria de nouveau la petite Blanche.
Enfin, grâce au caprice des enfants, à la bonté de Marguerite et à la faiblesse du père, le montagnard fut admis dans la famille.
– Allons ! Entre, cria Jacques.
Le chien alors, quittant Marguerite, se mit à courir comme un fou dans la petite boutique du coutelier qu’il emplissait d’aboiements et de joie.
Le dimanche suivant, on songea qu’il serait bon de s’aller promener un peu hors la ville comme cela se pratique encore chez les populations ouvrières. Marguerite prit ses enfants par la main, Jacques siffla le montagnard et l’on partit pour les champs, non sans penser toutefois à la besogne ; car Jacques disait en observant les traits altérés de sa ménagère :
Décidément il nous faudra un homme de peine, femme, le travail te fatigue. Demain je verrai à m’en pourvoir.
Les enfants et le chien couraient, allaient, venaient et jouaient comme de bons camarades, ce qui divertissait beaucoup le coutelier. En entrant dans la campagne, ils passèrent auprès d’une petite maison tout isolée, basse et triste. Un vieillard, gai confrère de Jacques, travaillait encore. Ce bonhomme était occupé à forger quelques ustensiles ; un chien maigre et lieux l’aidait. Cette pauvre bête tournait la roue de son mieux, mais on sentait que l’homme et l’animal étaient au bout de la lutte, et quoique l’homme chantât encore, on devinait qu’ils avaient eu beaucoup de peines dans la vie.