Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Lorsqu'on est une grand-mère comblée mais une femme un peu repliée sur son univers féminin, difficile de recommencer sa vie, et de quitter la ville pour la campagne ! Mais a-t-on le choix ? Le changement ne se fait pas sans soubresauts ! Et ce n'est pas le Facteur Cheval qui construisit sans perdre courage son Palais Idéal, qui vous dira le contraire ! Mais lorsque Hauterives se pare de neige et de lumières, la magie de Noël est au rendez-vous !
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 247
Veröffentlichungsjahr: 2020
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Ce roman, commencé avant la pandémie de 2020, raconte un moment de la vie de personnages tenus de quitter leur condition, leur quotidien, sommés de quitter la ville pour la campagne.
Nul doute que les événements de cette année 2020 ne manqueront pas d'accélérer ce processus. Mais peut-être est-ce un mal pour un bien...
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Epilogue
« Driiiiiiiiiing !!!! » Le téléphone mural, vert et marron, style camouflage, s'exprimait encore comme en 1970.
Giroflée Ganivet sursauta, soupira. Elle décrocha l'écouteur d'ébonite. C'était Jean-Albert.
Debout face à la fenêtre, les yeux perdus sur la grande ville qui dévale vers le Rhône, Giroflée contemplait la vacuité des jours à venir, des jours qu'elle imaginait il y encore quelques semaines, réguliers et tranquilles.
Mais des étrangers avaient décidé que ça ne se passerait pas comme ça : il fallait partir, la vétusté toute relative à son sens des vieux murs de la Croix-Rousse changeait la donne.
Gigi contemplait le décor d'une vie qui inexorablement, demandait à tourner la page.
Giroflée, Gigi pour les intimes, c'est-à-dire peu de monde : sa fille Jasmine, Louba et Carinou ses petites-filles, Mme « Deux-mains » la chère voisine pour peu de temps encore, Gigi donc, était allée à la mairie...
—Le propriétaire ne peut faire face aux travaux pour la mise en conformité, il préfère vendre, madame... avait expliqué l'employée de l'urbanisme. Mais, vous en avez été avertie depuis un bon moment, n'est-ce pas ?
—Oui, enfin... Il y a des années que nous recevons des lettres qui nous annoncent que la maison sera démolie. En fait, on n'y croyait même plus...
—Je comprends bien madame Ganivet.
N'hésitez pas à prendre rendez-vous avec notre service social. Il vous aidera assurément !
—Le propriétaire, on peut bien le rencontrer quelque part... suggérait Gigi forçant sa myopie vers le document que l'employée de mairie tenait en main.
—Hélas, madame, cette personne est décédée.
Et ses héritiers ne souhaitent pas conserver l'immeuble. Ils n'habitent pas Lyon, et c'est leur homme de loi qui s'est chargé de la transaction avec « les Résidences New Elegance.
—Parlons-en ...
L'employée soupira :
—Que voulez-vous... De nos jours, seuls de grands groupes tels celui-là peuvent rénover un pareil bâti. On ne peut pas laisser tomber en ruine ces vieilles murailles en plein cœur d'un quartier très fréquenté qui de plus est...
—Mais ces vieilles maisons de canuts, c'est quelque chose tout de même...
L'employée écarta les bras en signe d'impuissance.
—New Elegance s'engage à conserver les anciennes structures de bois qui supportaient les bistanclaques sous la charpente et ainsi sauvegarder le patrimoine, mais on ne peut guère en demander plus. Les escaliers, pour pittoresques qu'ils soient, ont un côté vertigineux qui n'est plus adapté à la vie moderne. Comme je vous l'ai dit, les travaux à entreprendre outrepassent les disponibilités des héritiers. C'est sans espoir, chère madame.
Je reste naturellement à votre disposition...
—Allo ? Allo ?
« Ah oui, Jean-Albert... »
Gigi savait déjà ce qu'allait dire Jean-Albert.
Depuis quelques temps, leurs rapports se limitaient à de rares sorties au terme desquelles son fiancé raccompagnait Gigi sur un baiser donné distraitement. Il faut dire qu'elle-même ne l'encourageait guère. Gigi se dit que cela s'était fait pour ainsi dire naturellement, sans à-coups, sans avoir rien vu venir.
Mais elle diagnostiqua que les histoires qui avaient jalonné sa vie depuis son divorce s'étaient aussi terminées comme cela. Et d'ailleurs comme son premier amour, enfin ce qu'elle avait cru être l'amour de sa vie et qui l'avait menée au mariage...
« Finalement, on n'apprend rien ... Tout recommence indéfiniment. On doit bien pouvoir stopper le processus... Mais c'est le temps qui manque pour y réfléchir... »
Elle se sentit vide, exempte de toute sensation. A quoi bon résister, puisque de toute façon, c'était le grand chambardement dans son existence.
Ainsi, Gigi ne bâtirait pas la crèche au mazet de la Maille. Puisque Jean-Albert lui avait fait savoir par SMS, qu'ils ne passeraient pas Noël ensemble, cette année. Ni les autres années à venir, si Gigi avait tout bien compris …
—Allo, Gigi ?
—Je te manque ?... susurra Gigi d'une voix un peu rauque, puis elle ajouta comme si elle lisait: « je te manque, demandait Edouard à cette chose noire, moite et froide, à cette horreur, ce sauveur : l'écouteur d'ébonite... »
—Que dis-tu ?
—Rien...C'est une réplique d'un bouquin de Sagan : le lit défait...
Jean-Albert s'éclaircit la gorge :
—Oh tu sais moi, Sagan...
Il disait cela comme lorsque Gigi évoquait Colette, Duras ou Virginia Woolf. Ouais, toutes ces bonnes femmes...
« Pourtant, les hommes en apprendraient, avec toutes ces bonnes femmes, ne serait-ce que pour mieux connaître ces êtres étranges qui partagent leur vie... et leur lit... »
Une vision de Jean-Albert au saut du lit vint s'imposer, et Gigi en demeura coite, comme si un inconnu eut traversé sa chambre à coucher en petite tenue sans y être autorisé.
« C'est comme ça qu'une... belle habitude peut devenir étrangère, oui, comme ça, du jour au lendemain... Presque désincarnée... froide... Comme c'est étrange, l'amour... En fait, à mon âge, je crois encore à l'amour... Mais alors, pour être vraiment honnête, lequel, en premier, se détache de l'autre...»
—J'espère que je ne te dérange pas, dit Jean-Albert sur un ton légèrement ennuyé. Tu excuseras ce message un peu cavalier, mais tu comprends, ma chérie, je dois accueillir la cousine par alliance de la nièce de mon parrain de la Creuse. Elle tient sa place... Elle est folle de santons, et veut écumer tous les marchés de Noël du coin. Mais je voulais tout de même m'expliquer de vive voix.
Jean-Albert exhala un énorme soupir. De soulagement, peut-être. Gigi ne dit rien, elle attendit la suite qu'elle connaissait, qu'elle pressentait depuis des mois :
—Alors, comme on n'avait rien décidé pour cette année, toi et moi, comme il me semblait que tu en avais un peu marre du mazet, ( ah bon … ), je me suis dit... On pourra y aller tous les deux quand la jeunesse sera rentrée, tous les deux en amoureux, hein, ce serait sympa... Un jour ou deux... en février, c'est tellement mieux. Tellement plus glamour, hein ?
Il fredonnait la chanson d'un Homme et une femme : « Chabadabada»
—...
—Et comme ça, tu pourras peut-être en profiter pour avoir ta fille et tes petites-filles rien qu'à toi ce Noël, puisque ça ne leur dit jamais trop de venir au mazet... Hein, Gigi, tu m'entends ?
Ça, c'est vrai... Jasmine, Louba et Jean-Albert, ça n'était pas le grand amour...
« Mamie, ton Jean-Albert et sa clique, ils ne te prendraient pas pour leur bonniche par hasard ? »
« Mais au moins, Louba, au mazet, vous pourriez vous balader au bord de la mer ... »
« Merci bien... Sans parler de ses petites-filles à Jean-Albert, des pisseuses bêtes à pleurer..Je préfère mille fois les illuminations de Lyon et le vin chaud et les beignets au coin des rues... Et puis, je m'occuperai bien de Carinou. On fera des gâteaux ! Maman travaille pour Noël : elle a un stage de première importance...»
Carinou serait déçue de ne pas jouer avec les autres petites filles, elle qui s'en faisait un plaisir. « Elle voit si peu d'enfants de son âge, hors l'école, ma Caribou d'amour. Mais après tout, elle aime autant avoir sa grande sœur Louba pour elle toute seule pendant les vacances. »
Gigi entendit « mon beau sapin », derrière Jean-Albert. Puis plus rien. Il dut mettre la main sur le téléphone, pour signifier à d'autres personnes de se taire, en fronçant les sourcils comme il devait le faire dans sa classe, avant la retraite.
— Allo, ma bichette ? Allo ?
—Oui... je suis là... »
—Oui, je disais... Qu'est-ce que je disais au juste...
—Tu disais que la cousine par alliance de la maîtresse de ton oncle du côté de tes arrières-grands-cousins venait te voir et qu'elle tenait toute la place...
—Très drôle... Si tu crois que ça m'amuse...
Tu vas tellement me manquer...
Comme pour démentir ses paroles, un éclat de rire juvénile retentit dans l'écouteur.
—Allo, mamina ? Tu vas bien ? C'est sûr que tu vas nous manquer, je ne sais pas comment on va faire pour la bouffe, bisous, on va à la supérette !
—Donne-moi ce bigophone, cria la voix de Jean-Albert, et d'abord, on ne dit pas « la bouffe », malheureuse...
Même en vacances, l'ancien instit ne faisait jamais relâche …
— Tu es déjà au mazet ?
—Eh oui, ma Gigi, tu ne me laisses même pas le temps de m'expliquer... ( c'est encore ma faute... )Ils annoncent de la neige en pagaille... Alors, autant profiter de ces tous premiers jours de vacances... Tu comprends bien que ce n'était pas la peine de rester plus longtemps à Lyon...
Grand-père idéal, va...
—Et pour toi, ça s'arrange ? Tu as trouvé quelque chose...
Gigi n'eut pas envie d'expliquer que non, ça ne s'arrangeait pas, et même, elle ne savait pas encore où elle allait échouer parce que bientôt, son appartement de la Croix-Rousse deviendrait un champ de ruines comme après la guerre, avant de se commuer en une résidence du dernier chic à ce qui se disait, et qu'elle, Gigi devrait se rabattre sur une case anonyme en banlieue.
—Oui, elle dit cependant. Ça se dessine. Et puis, je peux toujours habiter chez Jasmine.
—Evidemment...
Jean-Albert s'éclaircit la voix, et embraya prudemment sur la situation qui l'occupait :
—Alors, si tu voyais le binz, ma chérie, « ma chérie... », plus un lit de libre au mazet ! Je ne sais pas comment on va se débrouiller...
D'autant que les parisiens débarquent la semaine prochaine ! J'ai essayé de t'appeler plusieurs fois, mais je tombais tout le temps sur la messagerie…Je pensais que tu me rappellerais...
—C'est que... J'avais épuisé mon forfait...
Gigi prit une gorgée de café. Il était vraiment froid.
—Pour la téléphonie, il faudra quand même passer à quelque chose de plus performant, vois-tu...
Hé ! Je le sais bien ! Avec quel argent ?
Pensait Gigi. « Tu veux m'en payer un, peut-être, de nouveau téléphone... »
Gigi se sentit soudain pauvre, abandonnée, out !
—Et dans ton lit, elle dit, revêche, il y a encore une place de libre...
Jean-Albert ne répondit pas tout de suite ; il choisit finalement de prendre les choses à la légère. Autrefois, « autrefois ...», il se serait mis en rogne.
—Que tu es bête, ma Gigi ...
« Alors, c'est vraiment fini … Gigi, G-i, G-i, et Jean-Albert c'est fini... »
—Tu es toujours là, Jean-Albert ?
—Mais naturellement ma Gigi...
—Comment elle s'appelle la cousine par alliance ? Je la connais ?
Elle dit cela sur un ton aigre, sa voix dérailla.
Un blanc, puis :
—Oh... Ça ne te dirait rien, ma fille... ( ma fille …) Elle est de Marseille.
Un autre blanc ... « Hé oui, peuchère, qu'est-ce que tu veux dire d'autre ... »
—Bon, eh bien, bonnes vacances tout de même, prends soin de toi, ma Gigi... Je... je te fais toutes mes excuses... Pour Carina, je regrette sincèrement, mais vois-tu, je ne saurais vraiment pas comment vous loger décemment... La cousine de la nièce de mon parrain a ses enfants, des petits élevés d'une manière très stricte... Tu désapprouverais certainement, avec tes manières si libres et...
« Et surtout... pas question de lui montrer la douce et adorable Carina, l'enfant « différente », n'est-ce pas ... Pauvre type, je te souhaite bien du plaisir avec madame Psychorigide !... »
—A l'année prochaine, alors ?
Réellement, Jean-Albert pensait-il ce qu'il disait, qu'ils se retrouveraient en amoureux à la rentrée ?
— Au revoir Jean-Albert... (Elle faillit dire monsieur.) Amuse-toi bien. Embrasse pour moi le petit Andréas...
Andréas, son chouchou, celui qui, déjà grandet tétait encore son doudou. Elle le regretterait celui-là... Carina aussi.
Elle se tut, l'écouteur à la main. Jean-Albert, qui n'avait pas bien l'habitude des i-phones et compagnie, n'avait pas encore raccroché. Elle perçut sa voix dans un soupir fatigué :
—Ça y est... c'est fait...
Elle faillit susurrer dans l'appareil qu'elle avait entendu, et puis, une grande lassitude la prit.
Elle alla s'asseoir sur le canapé, étendit ses bras sur le dossier, ferma les yeux. Elle essayait de ressentir sa tristesse, son chagrin, un sentiment d'abandon, d'injustice, car c'est bien de cela qu'il s'agissait... Une sorte de licenciement... Mais elle n'éprouva rien. Sa grande fatigue sans doute. Cela viendrait plus tard, quand elle aurait vraiment le temps de se pencher sur elle-même...
Bon ! Puisqu'elle ne serait pas contrainte de revêtir une robe-arbre-de-Noël mémérisée pour plaire à Jean-Albert, inutile de se priver :
aujourd'hui, ce serait poisson, frites et Beaujolais au resto du coin !
« Et si j'invitais madame Deux-mains... »
Mme Dumain, la voisine, était une ancienne ouvrière qui avait travaillé pour de grandes maisons parisiennes et lyonnaises dans les années 60. Mme Dumain était aussi une dentellière hors pair et son carreau de travail de bois ciselé se trouvait toujours posé près de la fenêtre.
La petite bouche de Carinou ayant du mal à prononcer le nom de la vieille dame, elle avait traduit à sa façon le travail incessant des doigts habiles : Mme Dumain était devenue Mme Deux-mains, surnom que l'intéressée avait accueilli avec beaucoup de gaieté et de bonheur.
Alors, pas de mazet... Tant mieux, oui, ça vaut peut-être mieux... Finalement, elle a raison Louba, sa smala à Jean-Albert, ça va bien !
Toutes les années, il y a un nouveau-né. Et c'est mamina qui s'y colle...
Pour les enfants de Jean-Albert, ses petits-enfants, ses enfants, Gigi était mamina, celle qui n'avait pas sa pareille pour accommoder les restes, les légumes et les fruits pour concocter de goûteuses recettes que la tribu dévorait dans des grognements satisfaits au retour de la plage.
Finalement, tout le monde s'en moquait bien, du temps que mamina passait devant la chaleur du fourneau à touiller et mijoter le repas du soir.
Avec, s'il vous plaît un œil sur le petiot qui ne la quittait ni d'une semelle, ni d'un regard. Un morceau de doudou entre les dents, Andréas avait énoncé cette indéniable vérité, l'année dernière, dans un joli gazouillis bavotant :
« mamina, cro zentile... »
Elle en était restée interdite, et l'enfant et elle avaient échangé un long regard. Elle demeurait là, la cuiller en bois à la main, et lesyeux du tout petit la fixaient gravement, pleins de cette sagesse d'un autre monde que les bébés apportent des nuages en naissant, avant de la perdre quelques années plus tard lorsqu'ils prennent résolument pied dans la vie.
« Driiiiingggg !!!! » répéta l'appareil téléphonique. Gigi eut un haut-le-corps et décrocha de mauvaise grâce.
Avant qu'elle ait pu dire « allo », une musiquette de supermarché retentit, puis une voix d'aéroport lui apprit que « les résidences New Elégance ont toujours une brique d'avance. Ne quittez pas, vous allez être mis en contact avec votre correspondant.»
« Zut.... Encore les démolisseurs... »
—Madame Canivel ?
—Ganivet, avec un G ! précisa Gigi assez sèchement.
—Oui, pardon, madame... Ici, Mme Ponterfresch, chargée de projet. En fait, je vous appelais pour vous souhaiter de bonnes fêtes de fin d'année, et savoir, enfin... ce que vous avez décidé.
—Je n'ai rien arrêté encore !
—Mais vous avez bien compris que nous vous réservons, si vous en êtes d'accord, un espace dans la résidence « Nouvelle vie » de Vaulx-en-Velin.
—Oui, oui, j'ai bien compris, madame...
—Ponterfresch…Aline Ponterfresch. En fait, je suis un des bras droits de M. le Directeur de l'Agence New Elegance de Lyon.
—Un des bras droits... Parfait... Quel étage déjà ?
—Cinquième, madame Galibert, mais, il y a un ascenseur... et d'ailleurs, l'appartement que vous occupez actuellement est au troisième et … Et ça ne fait jamais que deux étages en plus, n'est-ce pas... Vous êtes encore en pleine forme et...
—Cinq étages...
—Ecoutez madame Ganiveau, nous ne sommes pas tenus de vous reloger... Comme vous le savez, c'est uniquement notre politique sociale qui fait d'ailleurs le renom de l'entreprise, qui nous dicte de prendre en compte le dérangement lié au déplacement des locataires. Nous avons aussi bien retenu les liens privilégiés qui vous lient à votre voisine, Mme Demain, nous ne sommes pas des sauvages, savez-vous...
—Les sauvages comme vous dites, ne vireraient pas leurs aïeux de leurs cases tant qu'ils sont en vie...
—Oui... Eh bien... Que voulez-vous, votre propriétaire voulait vendre avant que la vétusté de l'immeuble ne l'afflige d'une moins-value irréversible, et après son décès, ses héritiers...
« Moins-value irréversible. » Voilà, même pour Jean-Albert, je suis frappée d'une moins-value irréversible... »
—Que dites-vous madame Gabinet ?
« Je ne dis rien, je réfléchis... »
—Madame Demain est ravie de commencer une nouvelle vie à « Nouvelle vie »
—Ah bon ? Elle vous l'a dit ?
—...Ces choses-là se sentent, n'est-ce pas, quand on est du métier. Votre vieille voisine est plus raisonnable que vous !
—Madame Dumain n'est pas « une vieille voisine », comme vous dites !
Silence gêné de Mme Ponterfresch Aline, bras droit de son état, puis :
—Oui enfin, ce n'est pas un tendron de l'année, vous voyez ce que je veux dire. Je mesuis mal exprimée, excusez-moi.
—Madame Dumain a donc donné son accord ?
—Tout à fait... C'est-à-dire que... nous ne devrions pas tarder à recevoir son assentiment définitif, ainsi, vous trouverez-vous toutes deux en pays de connaissance. Vous m'entendez, allo, allo...
—Oui oui...
—Vous savez, madame, il faudra songer à prendre une décision. Les messieurs-dames du Ier, et le monsieur du « Goujon sémillant », le vieux magasin du rez-de-chaussée sont déjà partis, comme vous savez.
—Frétillant...le goujon frétillant...
—Oui, « le goujon scintillant ». C'est une sage décision, surtout avec ce que l'on vous offre : deux mois de loyers payés à la « Nouvelle vie ». Savez-vous qu'on annonce de la neige ? Vous devriez vous décider rapidement. Vous serez bien au chaud dans votre nouvelle résidence...
—Surtout cet été, me suis-je laissé dire.
Mme Ponterfresch exhala un gros soupir découragé:
—Ecoutez, le quartier va devenir désert. Il faudra être bien prudente en descendant votre escalier et en sortant. Un accident est si vite arrivé...
—C'est une menace ?
—Comme vous y allez... Bon, je vois que vous n'avez rien perdu de votre sens de l'humour. Alors, à bientôt, Mme Baliverne.
—Bonnes fêtes de fin d'année, Mme peinture fraîche.
Une chansonnette s'éleva du canapé. Gigi se précipita, soulevant les coussins, mais le téléphone portable s'ingéniait à jouer à cache-cache. Du coup, c'est le mural qui lança son appel éraillé. Gigi l'empoigna et marmonna un « allo » excédé.
—Maman, c'est Jasmine, ta fille unique préférée. Tu vas bien...
—Oui oui ma belle, ça va...
—Maman, tu sais que tu viens habiter chez moi, alors tu ne tracasses pas, hein ?Et puis, tu ne te laisses pas intimider par ces rapaces de New Elegance, tu as jusqu'en janvier pour partir, et d'ailleurs, ils ne peuvent même pas de mettre dehors avant mars, alors... !
—Mais oui, tu es gentille. Et toi, comment vas-tu ?
—Tu pars au mazet avec Jean-Albert ?
—Euh non... Mais je prends les filles tout de même, bien entendu !
Un silence.
—Un problème, ma chérie ?
—Ben... Je ne sais pas comment te dire …
—Essaie toujours...
Pour toute réponse, un sanglot étouffé. Gigi porta la main à son cœur, s'appuyant de la hanche à la table.
—Ma petite fille, qu'y a-t-il ?
—Je ne serai pas là pendant les vacances... Je … Je pars en stage...
Gigi ferma les yeux, rassurée.
—Eh bien, mais, je suis au courant ma chérie...
—Oui mais... En fait, je... Je risque de ne pas être là le soir de Noël...
—Ah...
Gigi écouta Jasmine qui se mouchait, essayant d'interpréter ce que la jeune femme n'osait pas lui dire, bafouillant de manière incompréhensible. Finalement, elle devina.
—Tu pars vraiment en stage ?
—Oui... Le... Le DRH m'a proposé...
—De poursuivre le stage plus qu'il n'est nécessaire, c'est ça ? Il est beau garçon ?
Jasmine rit, d'un rire qui se perdit dans les larmes.
—Je suis une mauvaise mère...
—Non. Tu es simplement une jeune femme qui travaille beaucoup, qui n'a pas le temps de refaire sa vie et qui aurait bien tort de laisser passer une belle occasion...
—Maman...
En attendant cet appel au secours, Gigi sentit les larmes lui monter aux yeux. Ah ! Les gosses !
—Carinou, maman... Ce sera la première fois... Elle ne comprendra pas...
Evidemment, ne pas avoir sa mère pour la nuit de Noël rendrait la fillette triste. Mais Carina avait aussi cette faculté de deviner la moindre petite chose qui ferait plaisir à sa maman adorée.
Et sa petite âme attentive qui la rendait plus âgée que ses congénères, cette gravité que l'on devinait souvent sur son visage, feraient qu'elle comprendrait que Jasmine ne l'abandonnait pas, mais que leur amour coulaitsi profond qu'il pouvait supporter la séparation.
C'est ce que tenta d'expliquer Gigi à sa fille, tandis que Jasmine réprimait des larmes qui semblèrent se tarir enfin sur un long soupir.
—Je serai là le lendemain, le 25, bien sûr...
Mais. Ce n'est pas pareil... Depuis ce coin de la Suisse, il n'y a plus de train après vingt heures et … Les dernières paroles de la jeune femme se perdirent dans un nasillement étouffé par un mouchoir.
—Que dis-tu ?
—Je disais que Waldeber, oui, il se prénomme Waldeber souhaiterait me … me présenter à sa famille...
—Waldeber... Comme c'est charmant !
—Oui...
Jasmine eut un joli rire un peu mouillé.
—Laisse-moi deviner... dit Gigi pour donner à leur échange un ton plus léger. Il est grand et mince, collé à une machine à café comme Georges Clooney et derrière lui, dans son bureau, il y un tableau qui représente le Lac de Côme tout rougeoyant de fleurs d'ibiscus.
—Il y a des ibiscus rouges au Lac de Côme ?
—Hé bien... Il me semble... En tout cas, il devrait y en avoir... S'il n'y en a pas, nous leur dirons d'en planter !
Jasmine rit de bon cœur et Gigi retrouva la fillette d'autrefois dont les petits chagrins ne résistaient jamais à l'optimisme forcené de maman Gigi.
—Les filles sont allées chercher du pain. Elle seront là dans cinq minutes. Tu me pardonnes, je suis dans les embouteillages... je me suis arrêtée en catastrophe...
—Je les réceptionne. Pars tranquillement, tout se passera bien et puis le téléphone, ça existe encore pour quelques temps, n'est-ce pas ?
—Un petit camarade de la boîte t'apportera les cadeaux de Noël demain matin. Oh ! Comme je m'en veux !
—Ecoute Jasmine, pars en paix, sois prudente sur la route et tu donnes des nouvelles.
—Et toi, maman, que vas-tu faire ? Je t'abandonne dans un des pires moments de ta vie …
—N'exagérons rien... Nous allons, les filles, madame Dumain et moi, déjeuner bien tranquillement et ensuite, disputer une partie de scrabble mémorable pendant que cuisentles biscuits de Noël...
—Hummm !!!! Les biscuits de Noël...
Soupir nostalgique de Jasmine qui se souvint de la cuisine embaumée du parfum de gâteaux dorés tout saupoudrés de neige rose...
—Alors, mon enfant, veux-tu échanger le sieur Waldemar contre un plat de biscuits maison et un thé parfumé ?
—Waldeber, maman... Eh bien... Nous les goûterons à mon retour, si tu veux bien nous recevoir...
—Ouh ! La!la ! S'exclama Gigi. Qui a parlé de te renier ? Nous ferons deux platées de plus en l'honneur du retour de l'enfant prodigue et de son preux chevalier helvète!
—En fait, Waldeber a quelque embonpoint. Il doit surveiller sa ligne...
—Ma fille, si je puis te donner un conseil que tu ne me demandes pas, laisse M. Waldeber profiter tout son saoul de Noël, et n'oublie pas que tu n'es pas sa diététicienne, mais... sa compagne.. Compris ?
—Oui, m'man... Je t'aime, m'man...
—Moi aussi mon petit trésor adoré. File maintenant, et envoie-moi les fauves...
Un impératif coup de sonnette souligna ses paroles.
—Quand on parle des louves... Allez, sois prudente au volant. On s'appelle, OK ?
—OK, maman Gigi... Gros Gros Bisous !!!
—Gros Gros Bisous ma Bella...
« Maman Gigi »
Les larmes lui montèrent aux yeux : depuis quand sa petite Jasmine n'avait-elle pas ainsi appelé sa mère ?
Une fillette tout emmitouflée de peluche rose, une paire de bois de rennes mobiles scintillant dans ses cheveux blonds, sauta au coup de Gigi.
—Mamie Gigi ! Regarde ta Caribou comme elle belle !
—Oooh !!! Mais voyez notre petite oursonne de Noël !
—Tu as vu dans mes cheveux, mamie, j'ai des oreilles de caribou !Je suis un vrai caribou maintenant ! C'est le Père Noël qui va être étonné !
Toute petite, Carina avait changé l'affectueux « Carinou »que sa petite bouche avait du mal à prononcer en « Caribou », et tout ce que Louba, maman Jasmine et mamie Gigi racontèrent sur le pays du Père Noël apporta un surcroît de magie à ce petit surnom.
—Bon, intervint Louba, poussant sa petite sœur à l'intérieur, laissons le froid dehors, comme dirait madame Ben Careh !Tu vas bien mamie Gigi ?
—Qui est madame Ben Careh ?
—Oh... la mère d'un copain...
Louba passait ses bras autour du cou de sa grand-mère, tandis que Carinou se blottissait contre le large pull de Gigi, et toutes trois restèrent ainsi enlacées dans le minuscule couloir, comme si, immobiles dans le silence, elles disaient adieu à l'appartement de ce vieux quartier qui les avait vues vivre, pleurer et rire, et grandir.
—Bon, c'est pas tout ça... dit Gigi. Que diriez-vous d'aller chercher madame Dumain et de l'emmener avec nous déjeuner au resto du coin ?
—Chouette ! Fit Carina. Comme ça on pourra voir Pitou !
Pitou était le chat, ou plutôt la chatte, de madame Dumain. Intrépide escaladeuse de toits et de gouttières, mais royale de pelage et de maintien, Pitou régnait en gardienne attentive sur la vie de madame Dumain, et d'ailleurs, de tous les autres locataires.
—.Mais madame Deux-mains, quand elle va partir, elle va bien emmener Pitou ?
S'inquiétait Carina.
—Mais bien entendu, ma chérie ! Tu imagines madame Dumain sans sa Pitou ?
—Oui mais mamie, Pitou elle est habituée à son coin bien à elle, elle va être perdue dans son nouvel endroit...
—Mais non, du moment que madame Dumain est avec elle, c'est tout ce qui compte.
—Oui mais Pitou elle est aussi habituée à toi, et si elle ne te voit plus venir chez madame Dumain avec nous, elle sera inquiète...
Carina levait vers sa grand-mère ses yeux en amandes, son petit nez spirituel, et Gigi la couvrit de baisers en la serrant bien fort.
—Tout ira bien pour Pitou, et pour tout le monde, mon petit Caribou. Et puis, on n'est pas encore parties... Et d'ailleurs, avec cette neige qui s'annonce...
—Bon, si on allait voir madame Deux-mains, proposa Louba, rejetant d'un geste léonin ses longs cheveux châtains, et abandonnant pour un temps la lecture de l'écran de son téléphone.
Carina repoussa sa capuche, balaya les fines mèches blondes scintillant sur son front.
—Mamie, comment elle s'appelle madame Deux-mains...
—On a tellement l'habitude de dire madame Dumain, qu'on lui donne assez rarement son prénom. Mme Dumain s'appelle Blanche !
—Ça, c'est très joli ! Proféra Carina d'un ton docte. Les noms des gens c'est très important !
—Attends un peu, Caribou ! lança Louba.
Regarde dans quel état est le pain, sors-le de ton sac à dos !
—Ça ne fait rien, rit Gigi. On le donnera aux oiseaux.
Carina se retourna, les mains sur les hanches, pencha sa tête aux joues roses en fronçant le nez :
—Mamie ! Il ne faut pas donner de pain aux oiseaux ! Il y a du sel dedans, ça les rend malades ! A ton âge, tu devrais savoir ça !
Gigi et Louba échangèrent pour de rire un regard qui en disait long.
—Nous voilà bien, avec la nouvelle génération écolo... soupira Gigi.
—Ben, mamie, si tu veux garder une belleplanète, il faut commencer par prendre soin des petits oiseaux !
Puis, amorçant avec un port de reine la descente du vieil escalier, Carina fit mine de repousser une traîne imaginaire :
—Je suis la Reine des Neiges ! Clama-t-elle en frappant l'air d'une baguette imaginaire .
Puis la fillette attendit que Gigi et Louba aient atteint le dernier palier pour s'emparer de leurs mains et murmurer :
—Et les petits oiseaux, mamie, sont les messagers du Père Noël.
Sa grand-mère et sa sœur la dévisageaient en souriant, et Carina haussa les épaules, comme si elle désespérait de leur faculté de compréhension :
—Ben oui ! Comme les hiboux dans Harry Potter ! Ils portent des messages !
—Tu as six ans et demi, et tu as déjà lu Harry Potter ? Questionna Louba, incrédule.
—Non ! Mais j'en ai entendu parler !
Rétorqua Carina très digne. Et j'ai vu aussi un peu du film a la télé, et maman m'a dit qu'on irait le voir au cinéma ! Et Medhi a commencé à me lire « Harry Potter à l'école des sorciers » ! Nananère !
—Medhi t'a lu Harry Potter... s'exclama Louba incrédule, légèrement rougissante.
—Oui madame ! S'écria Carina, triomphante.
—Qui est Medhi ? Demanda innocemment Gigi.
—C'est le fils de madame Ben Careh !
Répondit Carina, renseignée, avant que Louba ait pu ouvrir la bouche.
Gigi et ses petites-filles se trouvèrent dans la rue, surprises par la bise qui chahutait les passants en soulevant des bourrasques piquantes d'une neige clairsemée finement mêlée de pluie.
—Il faut courir ! Dit Carina. Comme ça, on laisse le froid dehors !
—Cette madame Ben Careh est pleine de bon sens... souffla Gigi en coulant un regard malicieux vers Louba.
Louba, l'air absent, tractant Carina accrochée à son bras, pianotait d'un doigt agile sur l'écran de son téléphone mobile. Mais il sembla bien à Gigi que le rose de ses pommettes n'était pas dû qu'au froid de la rue.