Les dimensions de la reconnaissance mutuelle en droit de l'Union européenne -  - E-Book

Les dimensions de la reconnaissance mutuelle en droit de l'Union européenne E-Book

0,0
79,99 €

-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

La reconnaissance mutuelle en droit de l’Union européenne apparaît souvent comme une donnée acquise. Introduite par le truchement de la libre circulation des marchandises, elle a été par la suite mobilisée comme un élément indispensable de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Principe, méthode, valeur juridique, portée, la doctrine semble avoir fait le tour de l’analyse de la notion de reconnaissance mutuelle. Mais la reconnaissance mutuelle n’a cependant pas été envisagée comme un élément du discours juridique recelant une forte charge politique, voire symbolique dès lors qu’on l’applique aux relations entre les États membres de l’Union.

Cet ouvrage se propose de revenir aux sources de la reconnaissance mutuelle pour comprendre son épanouissement et son application originale et diversifiée dans des domaines aussi variés que le droit fiscal ou le droit international privé européen. Pour répondre à la question de savoir en quoi la reconnaissance mutuelle permet de revenir sur la méthode intégrative et quelles sont les conclusions auxquelles elle aboutit pour la construction européenne, les différents auteurs de cet ouvrage ont dû prendre la mesure de la reconnaissance mutuelle, de son importance, de sa prévalence, de sa nature, de ses fonctions d’un point de vue théorique ou plus pratique selon les hypothèses. Une première partie est consacrée aux dimensions normatives de la reconnaissance mutuelle. Une seconde partie est dédiée aux dimensions substantielles de la reconnaissance mutuelle.

Cet ouvrage s’adresse aussi bien aux praticiens qui s’intéressent au droit de l’Union européenne et aux mécanismes de la construction européenne qu’aux universitaires.

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB

Seitenzahl: 523

Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour le Groupe Larcier.Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique.Le «photoco-pillage» menace l’avenir du livre.

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

© ELS Belgium s.a., 2018 Éditions Bruylant Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 9782802760511

Collection de droit de l’union européenne – série colloques

Directeur de la collection: Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l’Union européenne, directeur du Centre de droit européen et du master 2 Droit et contentieux de l’Union européenne, président honoraire de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE).

La collection de droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et de monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la même série

1. Le mandat d’arrêt européen, sous la direction de Marie-Elisabeth Cartier, 2005.

2. L’autorité de l’Union européenne, sous la direction de Loïc Azoulai et Laurence Burgorgue-Larsen, 2006.

3. Les entreprises face au nouveau droit des pratiques anticoncurrentielles : le règlement n°1/2003 modifie-t-il les stratégies contentieuses ?, sous la direction de Laurence Idot et Catherine Prieto, 2006.

4. Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire. Une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit, sous la direction de Sophie Robin-Olivier et Daniel Fasquelle, 2008.

5. Le commun dans l’Union européenne, sous la direction de Pierre-Yves Monjal et Eleftheria Neframi, 2008.

6. Doctrine et droit de l’Union européenne, sous la direction de Fabrice Picod, 2008.

7. L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, sous la direction de Jacqueline Dutheil de la Rochère, 2009.

8. Les droits fondamentaux dans l’Union européenne. Dans le sillage de la Constitution européenne, sous la direction de Joël Rideau, 2009.

9. Dans la fabrique du droit européen. Scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des communautés européennes, sous la direction de Pascal Mbongo et Antoine Vauchez, 2009.

10. Vers la reconnaissance des droits fondamentaux aux États membres de l’Union européenne ? Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, sous la direction de Jean-Christophe Barbato et Jean-Denis Mouton, 2010.

11. L’Union européenne et les crises, sous la direction de Claude Blumann et Fabrice Picod, 2010.

12. La prise de décision dans le système de l’Union européenne, sous la direction de Marc Blanquet, 2011.

13. L’entrave dans le droit du marché intérieur, sous la direction de Loïc Azoulai, 2011.

14. Aux marges du traité. Déclarations, protocoles et annexes aux traités européens, sous la direction de Ségolène Barbou des Places, 2011.

15. Les agences de l’Union européenne, sous la direction de Joël Molinier, 2011.

16. Pédagogie judiciaire et application des droits communautaire et européen, sous la direction de Laurent Coutron, 2011.

17. La légistique dans le système de l’Union européenne. Quelle nouvelle approche ?, sous la direction de Fabienne Peraldi-Leneuf, 2012.

18. Vers une politique européenne de l’énergie, sous la direction de Claude Blumann, 2012.

19. Turquie et Union européenne. État des lieux, sous la direction de Baptiste Bonnet, 2012.

20. Objectifs et compétences dans l’Union européenne, sous la direction de Eleftheria Neframi, 2012.

21. Droit pénal, langue et Union européenne. Réflexions autour du procès pénal, sous la direction de Cristina Mauro et Francesca Ruggieri, 2012.

22. La responsabilité du producteur du fait des déchets, sous la direction de Patrick Thieffry, 2012.

23. Sécurité alimentaire. Nouveaux enjeux et perspectives, sous la direction de Stéphanie Mahieu et Katia Merten-Lentz, 2013.

24. La société européenne. Droit et limites aux stratégies internationales de développement des entreprises, sous la direction de François Keuwer-Defossez et Andra Cotiga, 2013.

25. Le droit des relations extérieures de l’Union européenne après le Traité de Lisbonne, sous la direction de Anne-Sophie Lamblin-Gourdin et Eric Mondielli, 2013.

26. Les frontières de l’Union européenne, sous la direction de Claude Blumann, 2013.

27. L’unité des libertés de circulation. In varietate concordia, sous la direction d’Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, 2013.

28. 1992-2012 : 20 ans de marché intérieur. Le marché intérieur entre réalité et utopie, sous la direction de Valérie Michel, 2014.

29. L’État tiers en droit de l’Union européenne, sous la direction d’Isabelle Bosse-Platière et Cécile Rapoport, 2014.

30. La protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne. Entre évolution et permanence, sous la direction de Romain Tinière et Claire Vial, 2015.

31. L’Union européenne, une Fédération plurinationale en devenir ?, sous la direction de Jean-Christophe Barbato et Yves Petit, 2015.

32. L’Union européenne et le fédéralisme économique. Discours et réalités, sous la direction de Stéphane de La Rosa, Francesco Martucci et Edouard Dubout, 2015.

33. L’Union bancaire, sous la direction de Francesco Martucci, 2016.

34. La Banque centrale européenne. Regards croisés, droit et économie, sous la direction de Régis Vabres, 2016.

35. Le principe majoritaire en droit de l’Union européenne, sous la direction de Fabrice Picod, 2016.

36. Les catégories juridiques du droit de l’Union européenne, sous la direction de Brunessen Bertrand, 2016.

37. La fraude et le droit de l’Union européenne, sous la direction de Dominique Berlin, Francesco Martucci, Fabrice Picod, 2017.

38. Le Brexit. Enjeux régionaux, nationaux et internationaux, sous la direction de Charles Bahurel, Elsa Bernard et Marion Ho-Dac, 2017.

39. La démocratie dans l’Union européenne, sous la direction de Catherine Haguenau-Moizard et Christian Mestre, 2017.

40. Les organismes européens de coopération internationale, sous la direction de Géraldine Bachoué Pedrouzo et Romélien Colavitti, 2018.

41. L’effectivité du droit de l’Union européenne, sous la direction d’Aude Bouveresse et Dominique Ritleng, 2018.

Liste des auteurs

Claude Blumann, Professeur émérite de l’Université Paris II, Panthéon-Assas, chaire Jean Monnet, doyen honoraire

Edouard Dubout, Professeur en droit public, Université Panthéon-Assas

Francesca Ippolito, Professeur à l’Université de Sardaigne

Maria Fartunova-Michel, Maître de conférences en droit public, UPEC

Marion Ho-Dac,Maître de conférences en droit privé à l’Université de Valenciennes

Alexandre Maitrot de la Motte, Professeur en droit public, UPEC

Claire Marzo, Maître de conférences en droit public, UPEC

Vahit Polat, Docteur en droit public, Université de Saint-Étienne

Francesco Seatzu, Professeur à l’Université de Sardaigne

Guillemine Taupiac-Nouvel, Maître de conférences en droit privé à Pau et des Pays de l’Adour

Sommaire

Liste des auteurs

Propos introductifs

La notion de reconnaissance mutuelle : entre confiance et équivalence, par MariaFartunova-MicheletClaire Marzo

Partie I Les dimensions normatives de la reconnaissance mutuelle

Le principe de reconnaissance mutuelle et la loi du pays d’origine, par Marion Ho-Dac

Au carrefour des droits européens : la dialectique de la reconnaissance mutuelle et de la protection des droits fondamentaux, par Édouard Dubout

Partie II Les dimensions substantielles de la reconnaissance mutuelle

A. Reconnaissance mutuelle et marché

The Mutual Recognition Principle: A Useful Tool for Enhancing Economic Integration in the MERCOSUR Bloc?, by Francesco Seatzu

Le principe de reconnaissance mutuelle et les libertés de circulation dans les accords d’association conclus par l’Union européenne, par Vahit Polat

Reconnaissance mutuelle et droit fiscal européen, par Alexandre Maitrot de la Motte

B. Reconnaissance mutuelle et société

Reconnaissance mutuelle et citoyenneté européenne, par Claire Marzo

L’Union européenne et la reconnaissance mutuelle dans l’Espace judiciaire européen : l’arc et la flèche, par Guillemine Taupiac-Nouvel

Reconnaissance et confiance mutuelles en matière d’immigration et d’asile : de l’in(é)volution d’un principe ?, par Francesca Ippolito

Conclusions générales, par Claude Blumann

Table des matières

Propos introductifs

La notion de reconnaissance mutuelle : entre confiance et équivalence

Maria Fartunova-Michel

et

Claire Marzo

Maîtres de conférences de droit public, UPEC

Introduction1

Largement débattue en doctrine, la reconnaissance mutuelle apparaît comme le sujet qui a été examiné sous toutes les coutures qu’il est tentant de se demander si un nouvel ouvrage sur ce thème présentait un quelconque intérêt2. Et pourtant, dans l’éditorial du n° 2 de 2017, la Common Market Law Review lançait un appel à communications s’adressant aux jeunes chercheurs dont l’objet invitait ces derniers à proposer une analyse originale sur la confiance mutuelle dans le cadre de l’intégration européenne. Intervenu quelques mois après la tenue de la journée d’étude dont les actes font l’objet du présent ouvrage, cet appel à communications confortait l’idée que la reconnaissance mutuelle demeurait un sujet non seulement d’actualité, mais aussi d’une importance pour quiconque voulait se pencher sur l’évolution de la construction européenne.

Les raisons d’être de cet engouement doctrinal pour la reconnaissance mutuelle sont multiples. Son succès doit surtout à son caractère pluridisciplinaire. La reconnaissance mutuelle a un champ d’application matériel très vaste et étendu. Elle apparaît subrepticement dans les politiques communes de l’Union européenne. Elle est également au carrefour des espaces délimités par le marché intérieur et par l’espace de liberté de sécurité de justice. Elle mêle des logiques différentes inhérentes à ces espaces et recouvre une multitude de situations dans lesquelles elle est souvent appelée à compenser le décalage entre la réalisation concrète de la libre circulation dans les faits et les règles des traités et les actes de droit dérivé qui l’instaurent. La reconnaissance mutuelle va même au-delà de leur réalisation concrète. Au nom de la libre circulation qu’elle postule, « le recours (…) [à] la reconnaissance mutuelle apparaît comme salvateur. Celle-ci est perçue comme une nouvelle voie, alternative à l’harmonisation juridique, à même de relancer »3 la construction européenne. Il est ainsi permis de considérer que « la reconnaissance mutuelle fait alors figure de pont à la fois entre marché intérieur et espace de justice, et entre leurs mises en œuvre respectives : les libertés de circulation et la coopération judiciaire »4.

D’un point de vue historique, il convient de rappeler que, dès 1957, les traités originels firent référence à la reconnaissance mutuelle dans le but de faciliter la réalisation de la liberté d’établissement à travers l’adoption « des directives visant la reconnaissance mutuelle des diplômes, certificats et autres titres. En ce domaine, la reconnaissance mutuelle s’applique à l’attestation des compétences d’une personne lui permettant d’avoir accès à certaines professions dans les autres États membres que celui dans lequel ces compétences ont été certifiées »5. De même, « l’ancien article 220 TCE prévoyait également l’élaboration d’une convention garantissant la reconnaissance mutuelle des personnes morales, le maintien de la personnalité juridique en cas de transfert du siège de pays en pays et la possibilité de fusion des sociétés relevant de législations nationales différentes »6.

Mais c’est par le biais de la jurisprudence que la reconnaissance mutuelle fera son entrée dans le droit de l’Union européenne et qui l’érigera progressivement en principe fondamental de l’intégration européenne7. En effet, dès l’origine, la reconnaissance mutuelle fut envisagée par le juge de l’Union comme un moyen d’éviter les obstacles à la libre circulation. Apparue dans cet aspect dans l’arrêt Cassis de Dijon8, la référence à la reconnaissance mutuelle est révélatrice de la difficulté à laquelle était confrontée la Cour de justice : comment devait-elle concilier les disparités, les diversités nationales avec le principe de libre circulation inhérent à l’établissement du marché intérieur ?

Plus qu’un effet d’annonce, la reconnaissance mutuelle est alors progressivement devenue un outil jurisprudentiel pour la coordination des normes nationales et européennes, tout d’abord, dans le cadre du marché intérieur et, ensuite, dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice jusqu’à sa consécration solennelle dans les traités par le traité de Lisbonne. Désormais, elle figure au nom des principes fondamentaux de la construction européenne, « pierre angulaire » de l’espace de liberté de sécurité et de justice, devenu aujourd’hui un objectif de l’Union européenne à part entière, conformément à la lettre de l’article 3 du traité UE.

Dans cette optique, la Cour de justice a contribué à renouveler la perspective d’analyse de la reconnaissance mutuelle. Dans l’arrêt Melloni9 et surtout dans l’avis 2/1310, la Cour de justice a dépassé la logique de la libre circulation en inscrivant la reconnaissance mutuelle dans un discours légitimant la construction européenne et les obligations qui en découlent à l’égard des États membres. Cette prise de position jurisprudentielle invitait alors à revenir sur la reconnaissance mutuelle, non pas pour l’étudier en détail, mais pour essayer de comprendre cette référence renouvelée à la reconnaissance mutuelle et son interaction avec les autres principes de la construction européenne.

Cette démarche n’est pour autant pas nouvelle, tellement d’écrits et d’analyses ont été consacrés à la méthode intégrative, à ses principes, à ses fonctions, voire à la qualification de l’Union de fédération. Non étrangers à toute réflexion sur la nature de l’Union européenne, ces éléments se retrouvent nécessairement dans toute étude portant sur la reconnaissance mutuelle, mais l’objectif de cette journée d’étude était de ne pas s’y focaliser de manière principale afin de ne pas éluder l’essentiel de l’analyse : l’argument tiré de la reconnaissance mutuelle et son utilisation par le législateur et le juge de l’Union européenne. Il s’est agi de comprendre la signification de la référence à la reconnaissance mutuelle dans le langage juridique européen et ce qu’elle révèle de l’évolution de la construction européenne.

Le constat selon lequel la reconnaissance mutuelle est souvent présentée comme une donnée acquise au vu de l’objectif de la libre circulation en raison de son fonctionnement, qui est relativement simple, a été le point de départ de cette réflexion commune. Qu’il s’agisse de la réalisation du marché intérieur ou de l’espace de liberté de sécurité et de justice, les disparités nationales et leurs effets négatifs sur la libre circulation déclenchent l’application de la reconnaissance mutuelle. Comme le remarque à juste titre l’avocat général Tesauro, « dans ce cas, donc, ce qui compte est la diversité des législations nationales, dans la mesure où elle a une incidence négative sur le ou les opérateurs intéressés : lorsque cette hypothèse se vérifie on rentre en substance dans le cadre logique et juridique du principe de reconnaissance mutuelle »11. L’existence d’« un certain degré de cacophonie »12 entre les législations nationales est la condition sine qua non de l’application de la reconnaissance mutuelle, elle en est son empreinte originale.

Mais au-delà de ce constat d’évidence, rien n’est pour autant très simple. La difficulté est congénitale, inhérente à la notion même de reconnaissance mutuelle. La définition de la reconnaissance mutuelle est une opération linguistique complexe. Elle requiert la définition de deux vocables : le mot « reconnaissance » et l’adjectif « mutuelle » ; vocables qui reçoivent de signification propre et dont l’étude sémantique révèle leur polysémie renforçant l’ambivalence de la reconnaissance mutuelle et en entravant ainsi le travail de sa conceptualisation comme méthode, technique, principe, dans le discours juridique européen13.

Difficulté sémantique

La difficulté est, tout d’abord, d’ordre sémantique. De manière générale14, le mot « reconnaissance » ou autrement dit « signe de ralliement », « gratitude », désigne, dans un premier temps, « le fait de reconnaître, d’identifier un objet, un être comme tel ; ce qui sert à reconnaître ». Dans ce sens, la reconnaissance est « l’acte de juger qu’un objet a déjà été connu ». Dans cette même idée, la « reconnaissance » est aussi « le fait de se reconnaître, de s’identifier mutuellement ». Le mot « reconnaissance » vise, dans un second temps, « l’action de reconnaître, d’accepter, d’admettre ». Le vocable « reconnaissance » se définit également par rapport au verbe « reconnaître »15. Celui-ci, d’un point de vue sémantique, renvoie à l’idée « de saisir (un objet) par la pensée, en reliant entre elles des images, des perceptions ; identifier par la mémoire, le jugement ou l’action ». Par ce verbe, il s’agit aussi de « penser, juger (un objet, un concept) comme compris dans une catégorie ou comme inclus dans une idée générale » ou bien d’« accepter, tenir pour vrai », d’« admettre », de « chercher à connaître, à déterminer », d’« explorer »16.

Cette rapide présentation sémantique du mot « reconnaissance » fait ressortir que, derrière son « unité lexicale unique en dépit de la multiplicité (…) des acceptations attestées au sein de lacommunauté langagière »17 se cache « une polysémie réglée du mot ‘reconnaissance’ dans ses valeurs d’usage »18.

À cette « polysémie lexicale réglée » s’ajoute la signification du vocable « reconnaissance » propre à la science juridique. Cette signification dépend, elle aussi, de plusieurs paramètres en fonction du sujet juridique du côté duquel on se place : personne, décision publique, autorité publique ou bien en fonction du domaine juridique : droit privé-droit public, droit international-droit européen. Cette multiplicité d’acteurs et de matières fait ainsi ressortir les différents sens techniques du mot « reconnaissance ». Ainsi, la reconnaissance serait « la manifestation unilatérale de volonté par laquelle une personne accepte de tenir pour établie une situation préexistante, de droit ou de fait, en vue de lui permettre de produire ses effets, voire les renforcer » ; elle serait « une décision officielle par laquelle une autorité confère ou consent à faire produire des effets juridiques à un groupement, à un titre ou un acte dont, le plus souvent après contrôle, elle admet l’existence et la valeur » ; enfin, la reconnaissance serait « l’acte unilatéral par lequel un État fait connaître qu’il admet l’existence à son égard un fait et s’engage irrévocablement à en tirer, dans ses relations extérieures, les conséquences que le droit international y attache »19. La reconnaissance est présentée en association avec d’autres termes : « reconnaissance de dette », « reconnaissance d’enfant naturel », « reconnaissance d’utilité publique », ou encore « reconnaissance d’État »20.

Dans le vocabulaire juridique, la reconnaissance désigne un « acte unilatéral »21, volontariste22. La reconnaissance a un « dynamisme propre puisqu’[elle] ne correspond à aucune situation préétablie, mais tend à la création d’une situation nouvelle, celle de la reconnaissance, de l’acceptation, de l’admission »23. La reconnaissance est par essence une action positive en raison de ses effets même si elle peut se faire soit de manière expresse, soit de manière implicite. En ce sens aussi, elle ne se définit pas par rapport à la liberté de décision que l’on exerce dans l’action de reconnaissance. Certes, celle-ci peut être spontanée, mais son caractère spontané n’empêche pas qu’elle soit forcée, voire imposée24.

L’étude sémantique et lexicale du vocable « reconnaissance » montre que la reconnaissance mutuelle en emprunte la logique profonde. Dans le droit de l’Union européenne, elle encadre la liberté de décision des États membres lorsqu’il s’agit de la reconnaissance des effets sur le territoire national d’une mesure étrangère sous le prisme de la réalisation de la libre circulation lorsqu’il n’existe pas de réglementation de l’Union. Elle est « un moyen qui se trouve à cheval entre l’intégration négative et l’intégration positive. (…) [Elle] correspond à une zone grise réunissant à la fois les compétences dévolues à l’[Union] et celles réservées par les États membres. D’une part, [elle] intervient dans les domaines où l’[Union] dispose de compétences, telles que la libre circulation des marchandises ou de services, en tant que substitut à une harmonisation plus complète. D’autre part, [elle (…) encadre] l’action unilatérale des États membres dans des domaines qui relèvent, en principe, de leurs compétences réservées, tel le domaine de la fiscalité directe »25.

La reconnaissance mutuelle intervient également au moment de la mise en œuvre du droit de l’Union européenne par les autorités nationales des États membres. Elle est alors constitutive d’une limite à l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres26. Comme le remarque Vassilis Hatzopoulos, « on assiste à une construction cyclique, dans laquelle une norme puisant, d’une part, son contenu normatif dans le droit des États membres et, d’autre part, sa force obligatoire, dans le droit [de l’Union], vient encadrer l’action des États membres, dans le respect du principe de l’autonomie institutionnelle et procédurale. (…) Le principe de (…) reconnaissance mutuelle constitue une modalité particulière de mise en œuvre décentralisée de la règle [de droit de l’Union], qui tire elle-même son contenu normatif des règles du droit national »27.

L’application de la reconnaissance mutuelle est alors conflictuelle à double titre. Tout d’abord, elle met en concurrence l’ordre juridique européen et l’ordre juridique national et soulève des interrogations plus délicates relatives aux limites de la libre circulation imposées par la préservation de l’espace juridique national28. Elle conduit à l’extension négative du champ d’application du droit de l’Union européenne en empiétant sur la marge nationale des États membres. Ensuite, la reconnaissance mutuelle confère « un droit de regard » aux États membres « reposant sur l’appréciation de la législation du pays d’origine (…) [et] conduit à une concurrence des droits nationaux, des ordres juridiques nationaux »29.

Dans ces conditions, la reconnaissance mutuelle oblige les États membres à s’identifier les uns aux autres dans leur qualité de membres. Elle vise le statut d’État membre30 tant à l’égard de l’Union européenne qu’à l’égard des autres États membres par le truchement des notions telles que le champ d’application du droit de l’Union européenne, la compétence nationale de mise en œuvre, la coopération loyale, voire la fidélité et la solidarité entre les États membres. C’est la question délicate de la protection des droits fondamentaux aux prises de l’application du droit de l’Union par les États membres qui a révélé son potentiel politique fortement intégratif31 et a conduit à l’instrumentaliser pour marquer l’originalité de la construction européenne et de sa technique de mise en œuvre décentralisée au niveau de ses États membres32.

À cet égard, l’adjectif « mutuel » déploie toute sa signification. Dans le langage courant, le vocable « mutuel » est synonyme de « réciproque » ; il « implique un rapport double et simultané, un échange d’actes, de sentiments » ou bien « suppose un échange d’actions et réactions entre deux ou plusieurs choses »33. Cependant, la référence au réciproque n’est pas tout à fait appropriée34. La reconnaissance est mutuelle, elle va au-delà du réciproque. Elle s’édifie par opposition au réciproque qui « est plus modeste que le mutuel : le terme « réciproque » fait référence à une relation bilatérale entre deux parties, qui soit se connaissent suffisamment pour que l’une reconnaisse les actes de l’autre afin que cette dernière rende la pareille dans une situation semblable, soit ont encadré les conditions de cet échange par traité bilatéral »35. L’adjectif « mutuel »implique davantage l’idée d’adhésion, de mise en commun de principes et de valeurs partagées, voire sur le terrain juridique de « règles de droit »36. Le terme« mutuel » renvoie à « l’idée d’un fonds commun préalable [qui] est ici présupposée, contrairement au cas de la réciprocité »37. Il confère ainsi une signification plus politique et symbolique à la reconnaissance mutuelle : « le mutuel reflète en définitive une confiance entre les États »38.

L’adjectif « mutuel » met « l’accent [à la fois] sur le caractère réciproque des obligations imposées aux États et (…) sur l’existence d’une certaine solidarité entre partenaires, en tant qu’origine primaire »39 de la reconnaissance mutuelle. Cela n’est possible que parce que la reconnaissance mutuelle « est organisée en vertu du droit [de l’Union] et imposée de manière uniforme sur l’ensemble des États membres »40. Comme le remarque Vassilis Hatzopoulos, son « mécanisme (…) n’est pas établi par les [États] membres »41, mais par l’Union. La reconnaissance mutuelle possède alors une dimension presque exclusivement horizontale dans son application qui « ne correspond pas à un mouvement du centre vers la périphérie, mais entre différents points de la périphérie »42.

Ce dynamisme propre à la reconnaissance mutuelle dépasse l’opération définitionnelle de la notion elle-même et entraîne un effet de débordement de ce que la reconnaissance mutuelle a été à l’origine, technique de la libre circulation, pour l’envisager comme une méthode de l’intégration européenne. Ce saut qualitatif, comme l’a qualifié Stéphane de La Rosa lors de la présidence de la journée d’étude, n’est pas unanimement partagé dans le discours doctrinal, ce qui rend plus délicate la tâche de sa conceptualisation.

Difficulté conceptuelle

La difficulté est, ensuite, d’ordre conceptuel. Si la doctrine s’accorde sur le point de savoir que la reconnaissance mutuelle est une technique43 ou principe du droit de l’Union européenne44, elle est plus réticente à la considérer comme une méthode de l’intégration européenne. En effet, le discours doctrinal se fonde sur la nature principielle de la reconnaissance mutuelle qui exclurait sa qualification de méthode45. Ce discours la fait ainsi entrer en concurrence avec d’autres méthodes de la construction européenne, comme par exemple, la citoyenneté européenne46 ou la méthode de reconnaissance propre au droit international privé47, la reconnaissance mutuelle participant à leur réalisation concrète. Or, si un tel discours doctrinal paraît justifié, il n’explique néanmoins pas pourquoi la reconnaissance mutuelle est une méthode de l’espace de la liberté de sécurité et de justice et ce, en dépit de sa structure de principe48.

Dans ces conditions, la conceptualisation de la reconnaissance mutuelle dépendra du contexte, des enjeux et surtout de la finalité que l’on voudrait lui assigner dans l’intégration européenne : d’un côté, la reconnaissance mutuelle sera une technique, voire un principe venant renforcer les grandes notions du droit de l’Union européenne ; de l’autre, une méthode reposant sur une logique propre venant amplifier le processus d’intégration lui-même. L’ambivalence de la reconnaissance mutuelle est alors aussi fonctionnelle : d’une part, technique, principe ; d’autre part, méthode. C’est selon.

L’étude de la reconnaissance mutuelle nécessitait alors de procéder à son identification dans l’ordre juridique européen (I) afin d’en appréhender la portée (II). Ce travail préalable d’identification nous a permis de l’envisager sous ses différents aspects qui ont constitué le fil conducteur de la journée d’étude (III).

I. L’identification de la reconnaissance mutuelle

L’identification de la reconnaissance mutuelle dans l’ordre juridique de l’Union européenne se fait à travers deux notions : l’équivalence et la confiance mutuelles qui sont ses éléments constitutifs. L’affirmation selon laquelle l’équivalence et la confiance sont des éléments constitutifs de la reconnaissance mutuelle repose sur l’association de ces deux notions dans l’opération d’identification de la reconnaissance mutuelle. Cependant, cette association peut ne pas attribuer à l’équivalence et à la confiance la qualité d’éléments constitutifs. En effet, la doctrine envisage l’existence autonome d’un principe d’équivalence à l’instar du principe de reconnaissance mutuelle49. Elle va même plus loin lorsqu’elle interprète la consécration de la reconnaissance mutuelle par le traité de Lisbonne de « pierre angulaire » de l’espace de liberté, de sécurité et de justice comme consolidant en réalité le principe de confiance mutuelle50 dans cet espace51. De même, il est parfois difficile de trouver de manière expresse la référence à la fois à l’équivalence et à la confiance dans l’opération d’identification de la reconnaissance mutuelle. Il en résulte un léger flou concernant, d’une part, l’autonomie de la reconnaissance mutuelle et sa capacité à fédérer dans le cadre de l’intégration européenne et, d’autre part, ses éléments constitutifs. Toutefois, si les principes d’équivalence et de confiance mutuelles ont leur logique d’application spécifique, ils ne sont pas pour autant dissociés de la reconnaissance mutuelle. L’équivalence et la confiance peuvent être appréhendées d’éléments constitutifs de la reconnaissance mutuelle dès lors qu’elles contribuent à l’identifier et à expliquer son mode opératoire dans le cadre de l’intégration européenne. L’équivalence et la confiance renvoient à des principes communs, à des valeurs partagées qui sont supposées, voire présumées et président aux rapports entre les États membres. Elles remplissent ainsi le rôle de « “métalangage” [commun aux États qui] est construit à partir de la recherche, non seulement de principes communs, mais également de “nœuds de coordination” uniformément exprimés »52 et qui se concrétisent dans le mécanisme de la reconnaissance mutuelle. L’équivalence et la confiance façonnent alors le modèle de la reconnaissance mutuelle dans l’Union européenne et révèlent son dynamisme au-delà de son aspect technique. Dans cette démarche, si l’équivalence apparaît comme une condition a minima de la reconnaissance mutuelle (A), la prévalence de la confiance nécessite d’être relativisée (B).

A. L’équivalence, une condition a minima de la reconnaissance mutuelle

1. D’un point de vue chronologique, la reconnaissance mutuelle est, en premier lieu, associée à la notion d’équivalence. En effet, l’action de reconnaître est en soi une action positive qui vise à accepter une situation juridique dont les effets sont équivalents ou au moins comparables afin d’éviter des obstacles à la libre circulation53. La relation étroite entre l’équivalence et la reconnaissance ne conduit cependant pas à confondre les deux notions. Comme le remarque Vassilis Hatzopoulos, « l’équivalence est une situation alors que la reconnaissance est une action »54. Pour le dire autrement en empruntant les mots de Guillemine Taupiac-Nouvel, « l’équivalence est un état de fait qui existe et peut être constaté, quand la reconnaissance est, au sens général du terme, une action qui révèle une situation qui ne préexistait pas auparavant (...) L’équivalence serait [alors] un complément, consubstantiel du principe de reconnaissance mutuelle sans lequel il ne peut fonctionner »55. L’équivalence fonctionne selon le mode de l’assimilation et par là-même facilite la reconnaissance, sans pour autant en devenir la condition unique : l’absence d’équivalence ne fait pas obstacle à toute forme de reconnaissance, notamment dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice56.

Dans le cadre de l’Union européenne, l’irruption de la notion d’équivalence a été justifiée par les nécessités de la libre circulation et a permis de neutraliser l’application de la législation de l’État membre de destination. Ce constat donne des indications utiles quant à l’utilisation de la notion d’équivalence et sa signification.

Ainsi, on peut dire que la notion d’équivalence est, tout d’abord, utilisée comme un étalon de mesure, de test de la législation nationale et des garanties que cette dernière accorde. Ce test de comparabilité exercé par l’État membre de destination vise à s’assurer que la législation de l’État membre d’origine est équivalente auquel cas l’État membre de destination ne peut pas « opposer sa propre réglementation [pour] (…) la satisfaction d’un motif d’intérêt général »57. Dans un tel contexte, l’entrave qui en résulte est soumise au « test de l’équivalence »58 qui intervient dans l’examen de la proportionnalité de la mesure nationale de l’État membre de destination59. L’équivalence ici est recherchée par rapport aux effets de la législation nationale de l’État d’origine et non pas par rapport à sa dénomination ni constitution formelle.

Ensuite, la notion est utilisée pour justifier l’équivalence des législations nationales des États membres et, par conséquent, pour obliger les autorités nationales à admettre sur le territoire national, au titre de la libre circulation, des produits, des services de provenance d’autres États membres, voire même à reconnaître des situations acquises selon le droit national d’un autre État membre. Dans un tel contexte, la notion d’équivalence a été à l’origine d’une nouvelle approche de la Cour de justice60 et du législateur de l’Union61. Elle a ainsi été associée à la méthode d’harmonisation, aux mécanismes de coopération administrative entre les autorités nationales62 et à la mise en œuvre concrète du droit de l’Union européenne63.

Enfin, le lien étroit de l’équivalence avec la libre circulation a fait ressortir le caractère indéterminé et abstrait de la notion qui s’adapte aux nécessités tant du marché intérieur que de l’espace de liberté de sécurité et de justice. L’équivalence est alors appelée à jouer pleinement son rôle de notion-standard64. Elle vise, ainsi, non pas à gommer, mais à « accepter les différences nationales »65, inhérentes à la reconnaissance mutuelle66. En modulant la notion d’équivalence, le juge, tant national qu’européen, lui donne non seulement une nouvelle dimension dans l’identification de la reconnaissance mutuelle, mais aussi l’instrumentalise au service de la fonction régulatrice de la reconnaissance mutuelle.

Ce nouveau rôle de la notion d’équivalence a été impulsé par la notion de présomption d’équivalence. Par la présomption d’équivalence, le juge accepte qu’une législation d’un État membre ou européenne satisfait de manière comparable, similaire, de par ses effets, les exigences de son droit national ou européen. Il tient alors pour équivalentes les garanties, les procédures du système juridique de l’État membre ou européen et rejette toute contestation fondée sur le non-respect de sa propre législation. L’acceptation de l’équivalence est à la fois une action de constatation et un acte de volonté de la part du juge67 parce qu’elle est une fiction juridique inhérente au mécanisme même de la technique de présomption68. Cela explique que la présomption d’équivalence ne peut être que réfragable.

Le champ d’application de cette nouvelle formule est vaste. La présomption d’équivalence s’applique dès lors que le juge national est confronté à la difficulté d’appliquer le droit de l’Union européenne soit face à une norme nationale plus exigeante69 ou plus protectrice des droits fondamentaux70 ; soit face à la Convention européenne des droits de l’homme71.

Dans le premier cas de figure, la présomption d’équivalence joue comme une règle de conflit de loi en matière des lois de police72. Elle écarte l’application des lois de police du for au profit de la loi de police d’un autre État73. Ainsi, par exemple, s’agissant des formalités administratives particulières exigées dans l’État de destination, la présomption d’équivalence neutralise les mesures nationales par le test du « double emploi »74. Plus délicat, reste, en revanche, l’établissement de la présomption d’équivalence lorsqu’il s’agit d’une législation nationale plus protectrice. C’est la question sensible de la protection sociale des travailleurs détachés dans le cadre de la libre prestation des services qui a permis à la Cour de justice de poser le principe de la recherche d’équivalence75 des législations nationales, mais qu’il faut néanmoins interpréter à la lumière des objectifs des traités76. Toutefois, il faut rappeler qu’au nom de la protection des droits fondamentaux, la Cour de justice a admis qu’il s’agissait d’une justification possible aux restrictions apportées aux libertés de circulation dès lors qu’elle était nécessaire et proportionnée à l’objectif poursuivi77.

Dans le second cas de figure, la présomption d’équivalence devient la condition de la mise en œuvre du droit de l’Union européenne par les États membres vis-à-vis de leurs engagements envers la Convention78. L’équivalence des protections est a priori présumée79, mais fortement dépendante de la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne80, des obligations qui découlent des traités à l’égard du juge national, notamment l’obligation de saisir la Cour de justice d’une question préjudicielle81 ou de « l’insuffisance manifeste de la protection d’un droit fondamental garanti par la Convention et que le droit de l’Union européenne ne permet pas de remédier à cette insuffisance »82.

La présomption d’équivalence de protection devient alors « une notion fonctionnelle et conjoncturelle cruciale [qui permet] d’une part, d’éviter le ‘conflit constitutionnel’ entre les droits nationaux et le droit de l’Union et, d’autre part, de mettre en évidence le primat de la logique poreuse des droits fondamentaux sur celle - cloisonnée - des ordres juridiques »83.

2. La notion de présomption d’équivalence confère un statut contentieux nouveau à la notion d’équivalence. Elle devient un instrument utile de conciliation pour le juge lorsqu’il doit articuler différentes normes au contenu semblable mais avec une portée différente. La conséquence est qu’elle inscrit la reconnaissance mutuelle dans la dialectique des rapports de systèmes84.

Dans un premier temps, ce rapport de systèmes est horizontal85 puisque la présomption de protection équivalente met en concurrence les systèmes juridiques des États membres au service de la libre circulation. Par la comparaison qu’elle impose, elle oblige les autorités nationales à « faire “comme si” l’acte émanant des autorités de l’État d’origine est assimilable à un acte pris par les autorités de l’État d’accueil »86. Dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la présomption d’équivalence se rapproche davantage à l’idée d’un patrimoine commun aux États membres. Comme le remarque à juste titre Ljubcho Grozdanovski, « la disparité des droits pénaux laisse penser que c’est plus une ‘identité démocratique européenne’ qu’une équivalence normative stricto sensu qui permet de donner suite au devoir de la reconnaissance mutuelle. Il est donc possible de penser qu’à côté de l’équivalence normative en tant que faitobjectif pouvant être vérifié, apparaît un élément subjectif qui donne au devoir de reconnaissance le dynamisme voulu »87.

Toutefois, la jurisprudence de la Cour de justice va plus loin que l’approche comparée, « globale et fonctionnelle »88 de l’équivalence des législations nationales. L’analyse séquentielle des arrêts démontre que la Cour de justice interprète la présomption d’équivalence à la lumière des objectifs des traités89 et des principes d’envergure constitutionnelle de l’ordre juridique de l’Union tels que l’immédiateté, l’effet direct, la primauté, l’effectivité. Une telle démarche confère à la reconnaissance mutuelle sa singularité au sein de l’ordre juridique de l’Union européenne et justifie, par là-même, l’ampleur des obligations qui en découlent à l’égard des États membres.

L’illustration la plus frappante, dans le cadre du marché intérieur, est la neutralisation des formalités administratives nationales dans l’État d’accueil exigées à titre de preuve pour le bénéfice de la libre circulation. Cette neutralisation, outre la recherche expresse ou implicite de l’équivalence des procédures nationales de l’État d’origine, résulte de la reconnaissance de l’applicabilité directe des règles relatives à la libre circulation et de ses conséquences. Elle ne fait que rappeler le statut de mesure nationale d’exécution des formalités nationales puisqu’elle se fonde sur« l’opposition entre acte constitutif et acte déclaratif de droits. Les mesures nationales prises pour la mise en œuvre des règles relatives aux libertés de circulation et des droits qui en découlent sont des actes déclaratifs des droits et ne doivent pas être considérées comme des actes qui, par eux-mêmes, créent des droits dans le chef de l’opérateur économique. L’acte national est alors « à considérer non comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part d’un État membre, la situation individuelle d’un ressortissant d’un autre État membre au regard des dispositions » du droit de l’Union européenne. Le statut de mesure d’exécution est réaffirmé pour les modalités nationales de preuve. Elles ne sont qu’une formalité de mise en œuvre des libertés de circulation et, en tant que telles, elles ne font que constater la reconnaissance des droits directement tirés des règles relatives aux libertés fondamentales »90.

Dans le cadre de l’espace de liberté, de sécurité et de justice, la présomption d’équivalence de la protection des droits fondamentaux au sein des États membres fonde l’obligation de mettre en œuvre les actes de droit dérivé. Constamment affirmée depuis l’arrêt N. S.91,cette obligation de mise en œuvre trouve son fondement dans « la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union »92, mais aussi dans la procédure d’élaboration des actes de droit dérivé qui accorde aux États membres la possibilité de discuter des restrictions qui y sont apportées93. Librement consenties, ces restrictions ne peuvent pas être invoquées pour faire échec à la mise en œuvre des actes de droit dérivé en dehors des hypothèses qui y sont expressément prévues. Dès lors, il est possible d’affirmer que la présomption d’équivalence « satisfait à un but d’intégration [et/ou] de coopération »94. C’est en ce sens que, comme le souligne Brunessen Bertrand, la présomption d’équivalence, dans sa dimension horizontale, protège l’ordre juridique de l’Union95.

Dans un second temps, les rapports entre le système juridique national et l’ordre juridique de l’Union donnent une dimension verticale à la présomption d’équivalence. Associée à la question de la protection de droits fondamentaux, elle est exploitée au service de la recherche de l’« effectivité »96 de l’ordre juridique de l’Union devant le juge national. Dans ce contexte, « la coexistence de systèmes de protection multiples dans l’espace européen »97 conduit à envisager la présomption d’équivalence comme un moyen d’affirmer l’identité de l’Union européenne. Dégagée par la Cour européenne des droits de l’homme pour pallier son incompétence de principe de connaître des actes du droit de l’Union européenne98, la présomption de protection équivalente a, d’abord, été considérée comme un moyen pacificateur des relations entre la Cour de justice et la Cour européenne. Ce rôle résultait de la nature spécifique de l’intégration européenne, de ses mécanismes institutionnels et juridictionnels et de la place des États membres dans la mise en œuvre du droit de l’Union européenne. Ces éléments, mobilisés par la Cour européenne, confortaient l’idée selon laquelle les États membres lorsqu’ils exécutent le droit de l’Union européenne respectaient a priori les engagements pris dans le cadre de la Convention.

La présomption d’équivalence de protection a, ensuite, pris toute une autre tournure lorsque la Cour européenne des droits de l’homme exigea des États membres de s’assurer du respect des droits fondamentaux avant d’exécuter un acte de droit dérivé. Ce faisant, la Cour l’a instrumentalisée pour marquer nettement sa position sur la nature juridique de l’Union européenne. Si la présomption d’équivalence l’empêche de contrôler directement les actes du droit de l’Union, son caractère réfragable l’autorise à vérifier si les États membres de l’Union se conforment à l’obligation de protection collective découlant de l’article 1er de la Convention.99 En leur imposant de vérifier systématiquement la protection des droits garantis par la Convention, la Cour européenne des droits de l’homme fait voler en éclat les effets pacificateurs de la présomption d’équivalence. Ce faisant, elle s’immisce subrepticement dans les rapports entre les États membres et l’Union alors même qu’elle admet que la protection des droits fondamentaux est équivalente à celle assurée par la Convention. En revanche, pour la Cour de justice, la présomption d’équivalence vaut obligation de mise en œuvre, sauf en cas « d’insuffisance manifeste »100 due à une « défaillance systémique ».

Cette divergence quant à la particularité de l’Union européenne et des rapports avec ses États membres oblige désormais à penser la présomption d’équivalence intrinsèquement à la nature juridique de l’Union. Ce nouveau statut contentieux révèle que l’équivalence est consubstantielle à une identité de valeurs communes aux États membres de l’Union101. Cette identité commune fonde in fine la confiance dans leurs rapports mutuels. La notion d’équivalence se rapproche ainsi de la notion de confiance dans l’identification de la reconnaissance mutuelle.

B. La prévalence relative de la confiance dans l’identification de la reconnaissance mutuelle

L’association de la reconnaissance mutuelle à la notion de confiance est récente. En effet, si la référence à la confiance mutuelle n’est pas absente dans le cadre du marché intérieur102, c’est grâce à l’avènement de l’Espace de liberté de sécurité et de justice103 que la question de la place de la reconnaissance mutuelle dans la réalisation de cet espace s’est posée en termes de confiance mutuelle. La justification en est simple. La sensibilité politique des matières envisagées allant de la coopération judiciaire civile, commerciale et pénale des États à la politique migratoire commune, invitait à repenser la méthode communautaire afin de l’adapter à ce nouvel espace. L’harmonisation directe étant en principe exclue, il fallait trouver un palliatif que le mécanisme de reconnaissance mutuelle pouvait assurer. Si les conclusions du Conseil européen de Tempere ne firent pas expressément mention à la confiance mutuelle104, elle trouva sa place dans les instruments postérieurs qui l’érigèrent comme la condition sine qua non de la reconnaissance mutuelle105.

De la sorte, lors de l’élaboration du traité établissant une constitution pour l’Europe106, il a été envisagé de la consacrer comme principe cardinal de l’espace de liberté de sécurité et de justice afin de lui donner une valeur juridique concrète107 par les traités au lieu et place des programmes108 ou des pactes109, des mesures incitatives par excellence pour la réalisation de cet espace110. Cependant, les tentatives d’inscrire la confiance mutuelle n’ont pas abouti. L’article 81 TFUE précise que « l’Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires ».

Face à ces initiatives politiques, c’est la Cour de justice qui a progressivement façonné le statut juridique de la confiance mutuelle dans l’ordre juridique de l’Union. Si au début, la référence fut timide afin d’assoir le principe non bis in idem visé à l’article 54 du CAAS111, elle a été réitérée avec force pour pouvoir dégager un principe de confiance mutuelle au même titre que la reconnaissance mutuelle. Le point 63 de l’arrêt Melloni112 est à cet égard très clair : le mandat d’arrêt européen met en œuvre les « principes de confiance et de reconnaissance mutuelles ». Cette affirmation est confirmée par la Cour de justice dans l’avis 2/13113. La formule est déjà bien ancrée dans la jurisprudence de la Cour puisque l’interprétation du droit de l’Union européenne doit se faire dans le plein respect du « principe de confiance mutuelle »114.

Cette prise de position jurisprudentielle invite désormais à penser différemment les rapports entre la confiance mutuelle et le principe de reconnaissance mutuelle. Si elle peut se comprendre aisément par l’attractivité de la notion même de confiance, il n’en demeure pas moins qu’elle laisse en suspens la question de la nature juridique et des contours de ce nouveau principe. Cela conduira probablement à en relativiser la portée quant à son implication dans l’identification de la reconnaissance mutuelle.

1. L’attractivité de la notion de confiance est incontestablement liée à sa signification originelle peu juridique. En effet, la définition commune du vocable « confiance » renvoie à l’idée d’« espérance ferme, assurance de celui qui se fie à quelqu’un ou à quelque chose ; (…) unsentiment qui fait qu’on se fie en soi ; (…) [ou bien] un sentiment de sécurité »115. La confiance désigne un état psychologique, de l’ordre de l’intime que le droit ne peut saisir que de manière parcellaire. Cela peut expliquer que la notion de confiance est rarement définie dans le langage juridique en tant que telle. Comme le remarque à juste titre Judith Rochfeld, « si l’on recherche, (…) la signification générale de la notion de confiance pour tenter de comprendre les appels actuels qui y sont faits, on constatera qu’il faut remonter à son sens commun, le terme ne recevant pas de signification spécifique au droit. (…) Il n’y a pas trace d’une définition positive. Même si l’on se réfère au vocabulaire Capitant, on trouvera la confiance définie par opposition ou par référence à d’autres notions connues : on y relie confiance et croyance en la bonne fois, la loyauté, la sincérité et la fidélité d’autrui (un tiers, un cocontractant) : en ses capacités, compétences et qualifications professionnelles »116.

Partant de ce constat, l’on peut alors admettre que la référence à la confiance dans le langage juridique ne peut être qu’instrumentalisée. Le droit de l’Union européenne n’y échappe pas : la notion de confiance est utilisée pour contrer un état de fait : le risque de méfiance ou défiance vis-à-vis des politiques de l’Union117 ou bien de ses règles de marché118. La référence est alors de l’ordre du symbolique : légitimer l’Union à l’égard de l’ensemble des acteurs intervenant dans la construction européenne tant dans une dimension interne qu’externe119.

Dans un tel contexte, la confiance mutuelle se confond avec l’existence d’« un climat de confiance mutuelle » général. Le développement d’un tel climat passe nécessairement par le renforcement « des bases démocratiques »120 de l’Union européenne parmi lesquelles une place primordiale est accordée aux principes généraux des États membres et à leurs traditions constitutionnelles communes121. Il suppose « l’émergence d’une vision commune. La confiance est primordiale (…) [et] a une incidence politique profonde »122. « Le climat de confiance mutuelle » devient alors un objectif d’intérêt général qu’il faut à tout prix préserver.

La préservation du « climat de confiance mutuelle » influence fortement l’exercice de l’action normative de l’Union. Désormais, l’élaboration de la législation de l’Union relative au marché intérieur doit se faire autant que possible avec l’engagement du « dialogue social »123. Ce faisant, elle contribue à la consolidation de la dimension sociale de l’Union puisqu’elle « tenterait de pallier l’insuffisante construction du lien social (…) par une confiance créée ab initio »124. L’action normative de l’Union doit « accroître la confiance »125 par la mise en place de garanties ou des règles minimales. Ce faisant, elle instaure « un climat de confiance mutuelle » qui se concrétise dans le devoir de coopération loyale126 tant dans une dimension horizontale que verticale : d’une part, entre les États membres et entre les États membres et les institutions. Elle confère une lecture « fédérale »127 de la construction européenne puisqu’elle inscrit ces rapports dans une dimension constitutionnelle.

Dans ce contexte, seul le droit d’accès aux documents est à même à répondre de manière satisfaisante aux nécessités de légitimité et de transparence de l’action normative de l’Union pour le développement d’un « climat de confiance » général. Il n’est par ailleurs pas étonnant de constater que le juge de l’Union affirme que « la divulgation d’un avis [du] service juridique [de la Commission] relatif à une proposition législative » joue pleinement son rôle de catalyseur de la transparence. Celle-ci, « en permettant que les divergences entre plusieurs points de vue soient ouvertement débattues, contribue à conférer aux institutions une plus grande légitimité aux yeux des citoyens européens et à augmenter la confiance de ceux-ci. De fait, c’est plutôt l’absence d’information et de débat qui est susceptible de faire naître des doutes dans l’esprit des citoyens, non seulement quant à la légalité d’un acte isolé, mais aussi quant à la légitimité du processus décisionnel dans son entièreté. Par ailleurs, le risque que des doutes naissent dans l’esprit des citoyens européens quant à la légalité d’un acte adopté par le législateur communautaire du fait que le service juridique du Conseil ait émis un avisdéfavorable quant àcet acte ne se réaliserait le plus souvent pas si la motivation dudit acte était renforcée de façon à mettre en évidence les raisons pour lesquelles cet avis défavorable n’a pas été suivi »128.

Le juge de l’Union interprète ce droit de manière la plus étendue possible de façon à ce qu’il soit reconnu même si les documents sollicités s’inscrivent dans les rapports entre les institutions et les autorités nationales ou bien entre l’Union européenne et un État tiers au titre de ses relations extérieures. Sur ce point, la jurisprudence opte pour la mise en balance du droit d’accès aux documents avec le refus de les divulguer129. C’est la protection des objectifs de l’enquête qui est souvent prise en compte parce que sa procédure instaure un climat de confiance mutuelle dans lequel se déploie la coopération des États membres avec la Commission130 ou les organes de l’Union131. De même, c’est au nom du bon déroulement des relations internationales que la justification du refus de divulguer sera appréciée. Celui-ci, selon le juge de l’Union, vise à préserver « le climat de confiance » qui découle de la stratégie internationale de l’Union exprimée lors du processus de négociation132 avec l’État tiers concerné133. Toutefois, le juge de l’Union interprète ces exceptions à la divulgation des documents de manière stricte et n’hésite pas à procéder à un examen au cas par cas et pour chaque document sollicité134.

Le « climat de confiance mutuelle » offre un cadre à la concrétisation de la construction européenne à travers les relations de l’Union avec ses citoyens, ses États membres et les États tiers. Cette notion, par essence fonctionnelle, est étroitement liée aux interrogations relatives à l’avenir de l’Union européenne et à sa nature juridique puisqu’elle porte en elle son modèle d’intégration régionale et révèle les multiples facettes de son dynamisme. Elle est mobilisée au service de l’affirmation de la spécificité de l’ordre juridique de l’Union européenne et de son autonomie vis-vis des États membres et vis-à-vis du droit international en général et le système conventionnel en particulier135. Partant, elle en garantit la pérennité.

Or, marteler de manière constante que l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union européenne se déduit de la confiance mutuelle qui le structure conduit à l’effet inverse. L’argument autonomiste l’enferme dans un discours justificatif de rejet, de repli. Poussé jusqu’à son paroxysme, un tel discours instrumentalise la confiance mutuelle comme un moyen de fermeture et non pas d’ouverture face à l’extérieur. La conséquence en est, tout d’abord, positive : la confiance mutuelle, parce qu’elle ne se pense que dans le cadre de l’Union européenne, en est le signe distinctif tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. La conséquence en est, ensuite, négative car elle reflète « une posture de droit européen exclusive, peu conforme à la réalité d’un droit européen par essence incomplet et qui doit son existence aux rapports qu’il entretient avec les environnements nationaux et internationaux qui l’entourent »136.

Sur ce point, l’analyse attentive des arrêts et des textes démontre que ce rôle de la confiance mutuelle résulte des liens amphibologiques qu’elle entretient avec l’intégration européenne : s’agit-il d’un « préalable [non] pensé, [mais qui] doit nécessairement préexister »137 ou bien d’un supposé déduit de la construction de l’Union européenne elle-même ? Trancher en faveur de l’une ou l’autre proposition conduirait nécessairement à avoir une approche lacunaire de la confiance mutuelle. La confiance mutuelle est à la fois les deux : elle est préalable mais aussi conditionnée ; elle est spontanée mais aussi imposée ; elle est présumée mais aussi parce qu’elle est créée138.

En premier lieu, la confiance mutuelle ne peut alors se comprendre que dans une approche axiologique. Elle doit être lue à la lumière des valeurs communes, partagées par les États membres dont la méconnaissance peut être politiquement sanctionnée. La confiance mutuelle est alors un « axiome, (…) un précepte qui donne le ton aux relations d’échange entre les États membres, davantage d’ordre politique que juridique. La nature politique de la confiancemutuelle se confirme dès lors qu’elle se présente comme un postulat spontané de l’intégration européenne. Les États membres décrètent (…) d’agir dans le cadre de l’Union européenne en toute confiance, laissant ainsi de côté les réflexes de méfiance réciproque »139.

C’est cette position de principe que la Cour consolide dans l’avis 2/13140. Selon la Cour de justice, il existe au préalable une relation de confiance mutuelle entre les États membres : « Une telle construction juridique repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre »141.

En deuxième lieu, la confiance mutuelle résulte de l’application d’un acte de droit dérivé par une autorité nationale compétente désignée par l’acte de droit dérivé. L’application du droit de l’Union européenne par la juridiction nationale crée une relation de « confiance (…) [vis-à-vis de son homologue d’un autre État membre parce qu’elle est désigné[e] comme compétent[e] »142 par l’acte de droit dérivé.

Enfin, la confiance mutuelle se concrétise dans les exceptions à l’application du droit de l’Union européenne, sous certaines conditions, lorsque l’acte du droit de l’Union le prévoit ou la protection des droits fondamentaux l’exigera. La confiance mutuelle se confond avec les impératifs d’ordre public qui sont interprétés de manière restrictive à la lumière de l’élaboration des traités, des actes de droit de l’Union européenne, de mise en œuvre ou de coopération loyale ou de la protection des droits fondamentaux.

Si nous avons pu isoler ces trois axes pour systématiser la référence à la confiance mutuelle, il convient de préciser que ces trois idées directrices sont étroitement imbriquées dans le raisonnement de la Cour qu’il est parfois difficile de les considérer de manière séparée. De la sorte, les appels à la confiance mutuelle s’en trouvent tronqués, tout d’abord, parce qu’ils touchent à un domaine où la reconnaissance mutuelle n’a pas a priori vocation à s’appliquer, comme c’est le cas de la politique d’asile. À cet égard, l’arrêt NS143offre un exemple éclairant. Dans cet arrêt, la Cour rappelle que « le système européen commun d’asile (…) a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des États y participant, qu’ils soient États membres ou États tiers, respectent les droits fondamentaux (…) et que les États membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement (CE) n° 343/2003 (…) [et qu’]il en va de la raison d’être de l’Union et de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, plus particulièrement, du système européen commun d’asile, fondé sur la confiance mutuelle et une présomption de respect, par les autres États membres, du droit de l’Union et, plus particulièrement, des droits fondamentaux »144.

Or, dans le domaine de la politique migratoire, le caractère préalable et présumé de la confiance mutuelle ne s’impose pas de manière si évidente. Comme le remarque à juste titre Henry Labayle « l’importation de “la confiance mutuelle” dans le champ des politiques communes d’asile et d’immigration laisse dubitatif et elle n’est confirmée ni par l’examen du droit positif ni d’ailleurs par la place qu’y tient la reconnaissance mutuelle. (…) La confiance mutuelle en matière d’asile (…) relève d’une autre logique. Elle est une technique de régulation des compétences étatiques. (…) [Les États] s’engagent donc à user de leurs compétences dans un ‘climat’, un ‘contexte’ de confiance mutuelle, assez proche de solidarité. Cette confiance les conduit à laisser un autre État membre exercer une compétence, traiter la demande de protection, qui leur reviendrait en temps normal. Loin d’être spontané, ce partage se construit sur des règles et des procédures communes sans lesquelles il n’aurait pas lieu d’être »145.

Ensuite, dans les domaines de coopération judiciaire en matière civile et pénale où la reconnaissance mutuelle est pleinement opératoire, les appels à la confiance mutuelle peuvent surprendre en raison des effets qu’ils produisent lorsqu’ils sont liés à la question des droits fondamentaux146. Ainsi, dans l’arrêt Melloni147,la mobilisation de la confiance mutuelle est clairement au service de l’unité dans l’application du mandat d’arrêt européen et de son effectivité réduisant ainsi la marge des autorités nationales aux exceptions expressément prévues pour refuser l’exécution d’un mandat148. Or, si une telle solution peut se comprendre, il n’en demeure pas moins qu’elle laisse parfois dubitatif face au mécanisme même de la reconnaissance mutuelle dans la coopération judiciaire tant en matière civile qu’en matière pénale.

La reconnaissance mutuelle dans ce domaine est non seulement un moyen d’accepter comme équivalents aux actes nationaux les actes judiciaires émis par un autre État membre, mais aussi elle a permis d’opérer un changement notable de philosophie dans la coopération judiciaire149. Mettant désormais l’accent directement sur les autorités judiciaires nationales, elle leur confère le pouvoir de décider de déclencher les mécanismes de reconnaissance mutuelle, ce qui s’accompagne nécessairement d’une marge d’appréciation tant au moment du choix de décider de recourir aux actes de droit dérivé150 qu’en aval au moment de leur mise en œuvre. C’est sur ce dernier point que la position de la Cour de justice s’est assouplie en faveur du « droit de regard » que la reconnaissance mutuelle accorde à l’autorité dont le concours est sollicité. C’est au titre de l’examen de la proportionnalité que la marge nationale sera désormais préservée151.

Ce statut contentieux nouveau de la confiance mutuelle s’explique par « la richesse et la contradiction existentielle de (…) la confiance mutuelle que d’être aussi bien une condition préalable que le produit de l’action commune. Cette contradiction est omniprésente dans le raisonnement de la Cour »152 et rend alors délicate l’appréhension de sa nature juridique.

2. La difficulté d’appréhender la nature juridique de la confiance mutuelle résulte, en second lieu, de l’équivocité de la notion dès lors que l’on tente de l’envisager en tant que principe. Cette qualification ne fait pas l’unanimité dans la doctrine. En effet, comme nous l’avons vu, il s’agit d’une notion peu juridique à vocation politique instrumentalisée dans le langage juridique. En raison de ce potentiel symbolique fort qui structure les rapports entre les États membres, la doctrine est plus encline à penser la confiance mutuelle dans une catégorie plus ouverte. Comme le souligne Guillemine Taupiac-Nouvel, « l’axiome de la confiance mutuelle (…) ne peut être enfermé dans une définition stricte et une fonction limitée, tel un principe juridique »153. Or, comme nous l’avons vu, la Cour de justice, dans l’avis 2/13154, lui a expressément attribué la qualité de principe, affirmation réitérée depuis155. Cette affirmation invite à s’interroger sur ses conséquences quant aux rapports originels entre la confiance mutuelle et la reconnaissance mutuelle.

Dans un premier temps, il est possible de dire que la qualité de principe de la confiance mutuelle ne doit pas y avoir des incidences concrètes. Comme le souligne Henri Labayle « en raison de son lien génétique avec la reconnaissance mutuelle visée par les traités (…) [la confiance mutuelle] préexiste en effet, a minima, à la reconnaissance mutuelle puisqu’elle l’autorise, maiselle en résulte également aussi, dans un mouvement caractéristique de va-et-vient. Les textes de droit dérivé soulignent fréquemment ce processus particulier en rappelant que cette reconnaissance « contribue » à la confiance mutuelle »156 tandis que cette dernière fonde la reconnaissance mutuelle.

Dans un second temps, ce « lien génétique » de la confiance mutuelle avec la reconnaissance mutuelle est susceptible d’évoluer dès lors que l’affirmation de la qualité de principe s’accompagne d’un changement sémantique notable : le principe de confiance mutuelle se distingue de la confiance réciproque157. Il acquiert une existence autonome à la différence de la confiance réciproque qui, elle, devient le fondement de la reconnaissance mutuelle appliquée à la coopération judiciaire. Comme le remarque Marguerite Guiresse, « le principe de confiance mutuelle, semble ne pas être réduit à être le fondement du principe de reconnaissance mutuelle mais être son égal, puisque mis au même niveau par la Cour (et donc également être un objectif de l’UE ?), permettant ensemble, « la création et le maintien d’un espace sans frontières ». (…) De plus, contrairement à la confiance réciproque, le principe concernerait l’ensemble de l’UE et il créerait des obligations juridiques comme l’obligation de présomption mutuelle de respect des droits de l’UE imposée aux États membres »158.

La consécration jurisprudentielle de la confiance mutuelle en tant que principe soulève néanmoins des interrogations liées aux contours et à la nature de ce nouveau principe159. Sur ce point, la doctrine semble partagée. Certains auteurs pensent que toute précision jurisprudentielle est la bienvenue tandis que d’autres estiment que le principe de confiance mutuelle est déjà défini par la Cour au point 191 de l’avis 2/13