Erhalten Sie Zugang zu diesem und mehr als 300000 Büchern ab EUR 5,99 monatlich.
Une fête d’anniversaire entre copines, un coup dans le nez et une planche Ouija, Arielle, Stella et Emilie ne désiraient qu’une chose : s’amuser à appeler les esprits.
Mais leur soirée vire au cauchemar et les rires des jeunes femmes se transforment en cris d’effroi.
Leurs destins désormais entre les mains de Yasashii, un esprit bien décidé à leur faire payer leur insouciance, les trois amies se mordent les doigts d’avoir joué avec le feu.
Parviendront-elles à échapper à la funeste prédiction de l’esprit ?
Et si la mort n’était pas une fin, mais le commencement d’une nouvelle vie ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Geek invétérée, grande fan de mangas, Jessica Boutry écrit avant tout pour s'amuser. Aujourd'hui, elle souhaite partager l'univers que son cerveau farfelu a crée.
Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:
Seitenzahl: 500
Veröffentlichungsjahr: 2025
Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:
Couverture par Ecoffet Scarlett
Maquette intérieure par Ecoffet Scarlett
Correction par Emilie Diaz
© 2025 Imaginary Edge Éditions
© 2025 Jessica Boutry
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés.
Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou production intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN : 9782385722326
À tous les êtres chers que l’on a perdus, mais qui vivent toujours dans nos cœurs.
Attention, ce roman est conseillé à un lectorat adulte, celui-ci contenant des scènes de violences physiques, des viols et peut heurter la sensibilité. Il est conseillé à un public majeur.
Le livre comporte également des scènes sexuelles explicites et du langage cru et vulgaire.
Les éléments contenus dans ce roman ne servent que la fiction, la maison d’édition et l’Auteure ne cautionnent en aucun cas les propos utilisés en ce sens.
Écrire ce roman avec une héroïne atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette a été un véritable challenge pour moi. Il a fallu que je me renseigne à travers des documents et des vidéos de témoignages. Je m’excuse si jamais j’ai commis un impair en me trompant lorsque j’ai expliqué la maladie, celle-ci s’avérant beaucoup plus complexe que l’on croirait.
En effet, contrairement à ce que la plupart d’entre nous pensent, les insultes et les gestes obscènes ne sont pas les seuls symptômes qui constituent la maladie. Tics moteurs, tics sonores, troubles obsessionnels compulsifs, difficultés attentionnelles, difficultés d’apprentissage, problèmes de comportement (hyperactivité, agressivité, crise explosive) ou défenses sensorielles qui nuisent au fonctionnement scolaire et social caractérisent également le syndrome de Gilles de la Tourette.
C’est aussi pour un souci de redondance que je n’ai pas attribué tous ces symptômes à mon héroïne et que j’ai minimisé ses tics.
Apprenez qu’une personne étant atteinte du syndrome de Gilles de la Tourette peut avoir 35 000 contractions par jour !
N’hésitez pas à m’envoyer un message sur mon Facebook, sur mon Instagram ou sur mon Tik Tok pour me dire si vous avez aimé ou non mon roman. Je serais ravie d’échanger avec vous.
Depuis la nuit des temps, il est dit que les âmes des Hommes justes rejoindraient le Paradis et que celles des êtres ayant péché tomberaient en Enfer. Mais est-ce vrai ou s’agit-il d’une pure invention de la race humaine ?
Le Paradis, où les âmes sont censées connaître le bonheur parfait et infini dans la contemplation de Dieu dans son royaume existe-t-il véritablement ? Est-ce un état spirituel infigurable et indescriptible désigné comme un banquet ou un festin de noces par Jésus ? Ou correspondrait-il au Paradis terrestre, ce jardin d’Eden créé par Dieu pour Adam et Ève ? Un endroit merveilleux où poussent toutes sortes d’arbres et de plantes aux fruits délicieux, et où les animaux vivent en harmonie avec les Hommes ? Ou l’au-delà permet-il à chacun de retrouver les êtres aimés qu’il a perdus autrefois pour faire la fête avec eux ?
Et les Enfers, s’apparentent-ils à un lieu obscur avec un océan de feu où les flammes embrasent sans éclairer ni détruire les corps afin que le tourment demeure éternel ? Une fournaise où l’on entend des pleurs et des grincements de dents ? Une prison où les peines sont doubles et où les damnés subissent des supplices interminables ? Ou reflète-t-il les neuf cercles de Dante ?
Et s’il en était tout autre ? Si les maudits étaient châtiés en boucle de leurs crimes de la même manière qu’ils les avaient commis ? S’ils ressentaient les douleurs atroces qu’avaient éprouvées leurs victimes ? Si au contraire, ils y étaient accueillis comme des rois ?
Tant de questions dont seule la mort pourrait apporter les réponses.
Elle galopait à en perdre haleine. Ses poumons et les muscles de ses jambes la brûlaient. Son cœur tambourinait si puissamment dans sa poitrine qu’elle crut qu’il allait se décrocher. Elle ne pouvait pas prendre le temps d’effacer les traces de son passage, les ronces déchirant la chair de ses mollets et de ses chevilles nues. Son sang chaud, qui dégoulinait, gouttait sur le sol au fur et à mesure de son avancée. Son visage se crispa quand des épines s’enfoncèrent sous la plante de ses pieds. Malgré la douleur, elle ne devait pas s’arrêter. Le martèlement des pas derrière elle se rapprochait de plus en plus et le cri macabre des oiseaux paraissait encourager son bourreau.
Enfermée depuis des jours, elle était parvenue à s’échapper, mais l’homme s’était aperçu trop tôt de son évasion et il la pourchassait dans cette forêt lugubre. Sa course effrénée lui semblait sans fin. Les arbres défilaient et elle ne percevait pas de sortie à l’horizon. Seule la lune la guidait à travers les bois sombres. Elle était si blanche, si lumineuse…
Les larmes noyèrent ses yeux. Elle était terrifiée à l’idée de ne plus pouvoir la contempler.
Soudain, les grognements sinistres de son ravisseur fusèrent dans les ténèbres. Il était tout près. Son rythme cardiaque et sa respiration s’accélérèrent.
Dans un ultime effort, elle obligea son corps à surpasser ses limites, faisant abstraction du point de côté qui venait de surgir. La jeune femme, qui n’était plus habituée à courir aussi vite et aussi longtemps, détalait comme un lapin traqué par un prédateur.
Les branches lui fouettant le visage l’écorchèrent. D’un coup, son genou droit craqua et elle s’aplatit. Le choc avait été si rude qu’un bruit sourd résonna lorsqu’elle heurta la terre humide. Affaiblie de n’avoir rien mangé depuis son kidnapping, elle peina à se remettre debout. C’était déjà un miracle d’avoir réussi à cavaler autant.
— Allez, dépêche-toi !
Elle n’eut pas le temps de se redresser, le monstre l’avait rattrapée et se tenait face à elle. Un frisson parcourut son corps et ce ne fut pas la brise frôlant sa peau qui le lui provoqua.
Un sourire sur les lèvres, des perles de sueur sur son front dégarni, l’homme était armé d’une hache et sa lame souillée de taches rouges attestait que ce n’était pas la première fois qu’il s’en servait pour assassiner quelqu’un.
Des larmes coulèrent les joues de la jeune femme. Elle repensa à ses parents et à son petit ami avec qui elle s’était disputée juste avant de se faire enlever. Elle savait qu’elle ne les reverrait plus.
Son ravisseur brandit avec fierté sa cognée1 et l’abattit…
La sonnette retentit subitement.
Je levai le bras gauche, grimaçai, tirai la langue et coupai la télévision.
Je posai la télécommande sur le roman d’un de mes auteurs favoris que je lisais en ce moment et qui trônait sur la table basse. Je bondis ensuite de mon canapé et me dirigeai vers la porte d’entrée.
Une photo de mes parents et moi, qui datait de l’année dernière, était exposée sur l’étagère où je rangeais mes chaussures. Nous étions assis tous les trois sur le bord de la piscine. Les cheveux de ma mère caressaient ses épaules. Contrairement aux miens, qui étaient bruns, lisses, et descendaient jusqu’à mes lombaires, les siens étaient bouclés et plus clairs. Sa silhouette était parfaite, comme les tenues qu’elle revêtait pour son travail. Propriétaire d’un magasin de meubles de grande qualité, elle ne négligeait aucun détail. Il fallait que son maquillage s’assortisse avec la couleur de ses iris marron et qu’elle ne laisse pas une mèche dépasser de son chignon. Mon père, quant à lui, à la carrure bien taillée, était ouvrier sur des chantiers de construction. Il portait donc des charges lourdes, d’où son corps athlétique. Ayant nagé, ses cheveux indisciplinés noirs, qui contrastaient avec ses yeux d’un bleu céleste, étaient mouillés.
Mes parents avaient consenti à ce que je vive dans ce logement qui leur appartenait si je leur garantissais qu’en contrepartie j’obtiendrais mon diplôme de BTS2 management. Si j’échouais, je devrais alors leur rembourser chaque mois de loyer. Ils étaient durs avec moi pour me faire comprendre la valeur de l’argent. Fille unique, un lien très fort nous unissait et ce n’était pas par envie que j’avais quitté le cocon familial. Mon lycée se situant en ville, et la maison de mes parents à plus d’une heure de bus, ce n’était pas pratique pour moi. Je préférais de loin le calme de la campagne au vacarme routinier urbain, et l’odeur des vaches ou des moutons à celle des pots d’échappement. La nuit de mon emménagement, je n’avais pas fermé l’œil à cause du tapage nocturne. Dès le lendemain, je m’étais procuré des bouchons d’oreilles.
Mes tics s’agitèrent.
J’ouvris la porte et souris à mes deux amies qui me firent face.
Emilie, habillée d’une robe bleue, les ongles peints de violet, me fit la bise et je priais pour que son rouge à lèvre vermillon ne marque pas ma joue. Stella, qui s’impatientait, sautillait comme un kangourou et me dit bonjour à son tour. Son parfum à la rose me chatouilla le nez.
Elles avaient amené ce qu’il fallait pour nous « hydrater ». Vodka, bières, boissons énergisantes, de quoi se griser toute la soirée.
Je les invitai à se déchausser et à s’installer autour de la table du salon. Pendant ce temps, je cherchai des verres dans la cuisine, mais aussi des biscuits et autres à grignoter avant de les rejoindre.
Emilie jeta son dévolu sur une Faro3. Je la copiai. Stella opta pour la vodka et la Crazy Tiger à la framboise et à la fraise. Nous trinquâmes en chœur aux vingt ans d’Emilie.
J’avalai une gorgée de ma Lager4 et picorai des gâteaux qui croustillèrent sous mes dents.
— Ne bouffe pas tout, Arielle, plaisanta Stella.
— Oh que si ! m’esclaffai-je.
Nous nous tordîmes de rire. Mes amies savaient que j’avais un bon appétit et elles me taquinaient souvent. Elles m’avaient même surnommée gloutonne.
Emilie repoussa ses longs cheveux noirs en arrière. Sa main l’éventa pour chasser la chaleur qui s’était propagée dans son corps et son visage. Celui-ci, ordinairement blanc comme l’ivoire, était rouge pivoine, ce qui témoignait de la hausse de sa température interne. Stella grouina, ce qui nous fit glousser. Quand nous domptâmes nos rires, la jolie brune, après avoir gobé un œuf de caille, débuta la conversation.
— J’ai largué mon mec, hier.
Mes tics s’exprimèrent.
J’engloutis une tomate et intervins.
— Ça faisait six mois que vous étiez ensemble et vous aviez l’air sur la même longueur d’onde, m’étonnai-je.
— Un record ! lança Stella. T’as la moule dispo pour un gars plus canon maintenant, se marra-t-elle.
Nous étions si familiarisées à son langage que ses mots grossiers ne me choquaient même plus. Aussi magnifique que les mannequins de magazines de mode, elle était adulée par les hommes. Richissime, maquillée à outrance, elle minaudait devant eux en parlant de façon soutenue. Ce que tout le monde ignorait, c’était qu’elle était d’une vulgarité sans nom. Distinguée face à ses fans, ordurière par derrière. S’ils découvraient son vrai visage, ils déguerpiraient tous.
Nous bûmes encore quelques verres avant de passer à table. La pendule indiquait vingt et une heures. Nous avions cours le lendemain. Faire la fête, je validais, mais je ne voulais pas me coucher tard.
Nous nous ruâmes sur les pizzas que nous avions commandées. J’en dévorais une et demie, ce qui déchaîna les ricanements de mes amies. En même temps, le fromage fondant dans la bouche et l’effluve effleurant mes narines me faisait saliver. Qui serait capable de résister à cette saveur délicieuse ? Vous ? Non, personne ne pouvait lutter.
Le plat principal finit, je me rendis à la cuisine avec Stella, puis nous éteignîmes les lumières du salon où était restée Emilie. Seules l’ampoule allumée du réverbère et des bougies éclairaient faiblement la pièce.
Nous montions si haut dans les aigus en chantant « Joyeux Anniversaire » que nous étions à deux doigts de nous crever les tympans. Emilie souffla sur les bougies et fit vaciller toutes les flammes au troisième essai. Je l’avais filmée avec son téléphone.
La belle blonde déposa les coupes de champagne sur la table.
J’eus cinq tics.
Tout en dégustant le dessert, qui ravit mes papilles, je remplis mon estomac du vin mousseux. Nous vidâmes la bouteille assez rapidement, et avec ce que nous avions bu à l’apéritif, je visualisais sans difficulté la migraine de demain matin.
La cloche de l’horloge tinta, annonçant vingt-trois heures. Nous décidâmes de donner ses cadeaux à Emilie.
Elle commença par celui de Stella qui était enveloppé dans du papier rose et elle explosa de rire. Nous rigolâmes aussi lorsqu’elle nous exhiba la sucette en forme de pénis. La jeune femme avait le don pour offrir des trucs pourris.
Je tendis le sac à Emilie où reposait le mien et un sourire naquit sur ses lèvres.
— J’adore !
Elle noua le bracelet de cuir noir avec des pointes en acier à son poignet. Je soupirai, contente de ne pas m’être trompée. Je l’avais acheté cet après-midi.
Depuis que j’avais mon permis, je prenais rarement les transports en commun. Avant, mon corps tremblotait rien qu’en imaginant les regards se braquer sur moi. On me toisait comme si j’étais une bête curieuse. En plus de leurs yeux sardoniques, leurs remarques désagréables m’affolaient tellement que ça accentuait mes tics. Aller en cours s’apparentait à une bataille perdue d’avance.
Heureusement que j’avais rencontré Emilie et Stella, mes sauveuses. Elles m’avaient accueillie et ne s’étaient jamais moquées de moi. Par contre, elles ne se gênaient pas pour rire de mes tics. Grâce à elles, j’avais accepté ma maladie, avais de nouveau confiance en moi et ne me préoccupais plus de ces visages railleurs. J’étais fière de celle que j’étais devenue. Je me montrais même régulièrement avec un tee-shirt où était écrite l’inscription « J’ai le syndrome de Gilles de la Tourette et je vous emmerde ».
La plupart des gens se fourvoyaient en assimilant cette maladie aux injures. La coprolalie5 ne concernait qu’une infime partie de ceux atteints du syndrome de Gilles de la Tourette, tout comme la copropraxie6. Les symptômes les plus fréquents étaient les tics moteurs et vocaux.
Pour les premiers, ils se manifestaient par des contractions musculaires et des mouvements brusques, involontaires et répétés, quasi permanents. Dans mon cas, je grimaçais, tirais la langue et levais le bras gauche à me faire mal à l’épaule. Chaque patient avait sa propre particularité. Mes soubresauts pouvaient apparaître et disparaître pour être remplacés par d’autres.
Pour ce qui était des seconds, on retrouvait les cris, les reniflements, les rires incontrôlés, la fameuse coprolalie, la palilalie7, l’écholalie8, et bien plus encore. Moi, je me raclais parfois la gorge.
Si ce n’était que ça… Il y avait notamment des troubles liés à la maladie. Je vous citerais par exemple le déficit de l’attention et les TOC9.
Je ne m’étalerai pas sur le sujet, car il était trop vaste. Apprenez cependant que les symptômes advenaient entre six et huit ans. Pour diagnostiquer le syndrome de Gilles de la Tourette, le médecin se basait sur l’évolution des tics et de troubles qui pouvaient être associés. Il fallait plus d’un tic moteur et qu’au moins un tic sonore survienne à un certain moment, durant la progression de la maladie, mais aussi qu’ils soient présents à plusieurs reprises lors d’une même journée et aient lieu soit presque quotidiennement, soit par intermittence au minimum un an. Le syndrome de Gilles de la Tourette pouvait affecter le fonctionnement relationnel, familial, scolaire et/ou psychologique de l’enfant.
Gamine, j’aboyais comme un chien et étais hyperactive. Je ne supportais plus non plus de m’attacher les cheveux. Bref, cette maladie n’était pas de tout repos pour la personne atteinte, et pour ses proches.
Malgré tout, j’avais eu un petit copain. Incroyable, n’est-ce pas ? Mon éternel célibat s’était stoppé. Bon, j’avais rompu quatre mois après parce que ses crises de jalousie m’agaçaient.
Dès que je n’étais pas avec lui, mais avec mes amies, il me harcelait de SMS du genre « T’es où ? Avec qui ? » Insupportable. Une note positive ressortait tout de même de notre histoire d’amour : j’avais enfin goûté au plaisir charnel, et je devais avouer que ça me manquait de me blottir dans les bras d’un homme. Je ne pensais pas que cela m’arriverait un jour. Mes tics faisaient fuir et je me disais à l’époque qu’il fallait être dérangé pour tomber amoureux de quelqu’un de différent, quelqu’un qui attirait en constance les regards. J’étais effectivement convaincue que ma maladie se dresserait comme une barrière transparente pour s’opposer à la moindre future relation, et j’avais tort.
Emilie me redescendit sur Terre en m’appelant. Elle nous embrassa pour nous remercier.
Un sourire se dessina sur le visage de Stella. Je répondis par une série de tics, devinant que son expression n’était pas innocente.
— J’ai une surprise pour vous, les filles.
Je grommelai dans ma barbe, exaspérée de ne pas pouvoir me glisser dans mon lit. Stella était une adepte de la nuit blanche et elle avait toujours une fâcheuse tendance à emmener de drôles de jeux pour nos soirées. De quoi s’agissait-il cette fois ?
Elle récupéra un sac cabas qu’elle avait laissé à l’entrée et revint vers nous. Lorsqu’elle révéla son contenu, mes yeux noisette s’écarquillèrent. Emilie, elle, jubilait.
— Mais, où est-ce que tu as déniché ce machin ? demanda la jolie brune.
— Ça te plaît ?
— Et comment !
Je ne partageais pas l’enthousiasme des filles. Voir des écervelés utiliser ce qu’avait apporté Stella dans les films j’aimais bien, tester dans la réalité, très peu pour moi. La peur n’existait pas dans mon vocabulaire. Or s’amuser avec un objet pareil comportait des risques que je n’étais pas prête à encourir. Plus jeune, mon père en avait fait l’amère expérience avec des amis et les imiter ne me tentait pas.
Oui, Stella tenait une planche Ouija dans ses mains et ce n’était pas pour embellir la décoration.
Divers symboles étaient sculptés sur la planche Ouija où l’on retrouvait les caractéristiques propres à chacun de ces objets divinatoires : les fameux « oui » et « non » encadrés par un soleil souriant et une lune à la bouche fermée inexpressive. Au milieu étaient disposées toutes les lettres de l’alphabet, les chiffres de 1 à 9 et le 0. En bas, entouré de deux ailes d’anges déployées, était écrit « au revoir ». Entre les numéros et ce mot étaient estampés des rayons lumineux où une pyramide avec un œil ouvert à l’intérieur s’imbriquait dessus. Cela me fit penser à la représentation des Illuminati.
J’examinai le pointeur, aussi en bois, s’apparentant à une goutte. Juste sous le trou rond qui permettait de s’exprimer était gravé un pentacle de protection, une étoile à cinq branches dans un cercle.
Stella s’était apparemment renseignée sur les séances de spiritismes. Elle avait cherché les informations sur internet. J’espérais qu’elle n’avait rien raté, et surtout que ses notes étaient fiables. On ne pouvait pas dire que j’étais rassurée. Mon teint avait blanchi, n’ayant pas éprouvé une telle appréhension depuis bien longtemps, et je surpris même mon corps à trembler comme une feuille.
Je levai trois fois le bras gauche, tirai la langue et grimaçai en me remémorant la mésaventure de mon père.
La planche, ses amis et lui, les questions, la plaque d’immatriculation de la moto de mon père qui ressortait toujours, ils avaient paniqué et s’étaient rendus chez un prêtre. L’homme d’Église leur avait intimé d’arrêter de jouer avec les esprits, sinon ils courraient un grave danger. Ils n’avaient plus jamais recommencé.
Stella m’interrompit en pleine réflexion en me charriant :
— Tu éviteras de te servir de ton bras gauche pour ne pas péter le lien.
Je n’avais pas du tout envie de rire, mais de m’enfuir loin, très loin d’ici. J’essayais de contrôler mon corps qui frissonnait pour que les filles ne se moquent pas de moi. Je refusais qu’elles remarquent mon angoisse. Une personne inébranlable, voilà comment j’étais considérée, pas une peureuse, et cette image de moi devait perdurer.
Si je pouvais me concentrer pour ne pas grimacer, tirer la langue ou lever le bras, la retombée ne pardonnerait pas. Refréner mes tics, les intensifieraient par la suite.
Stella nous pria de nous asseoir autour de la table basse où reposait la planche. Le soleil et la lune paraissaient nous observer, ce qui me fit froid dans le dos. Cette sensation de malaise que je ressentais me perturbait. Pourquoi cette crainte qui m’envahissait me semblait-elle si forte ? Était-ce à cause de ce qui était arrivé à mon père ?
Je secouai la tête pour me remettre les idées en place.
Tu ne vas quand même pas être effrayée par un morceau de bois ?
Je ris toute seule de m’être laissé assaillir par la terreur. Mon père, incroyable plaisantin, avait sans doute voulu me faire peur avec son histoire. Il ne pouvait pas s’empêcher de faire des blagues idiotes et en plus il ne croyait ni aux fantômes ni à tout être surnaturel. Alors pourquoi aurait-il pratiqué une séance de spiritisme ? Et moi, j’avais bu ses paroles…
Je ne retenais donc pas la leçon ? Pourtant, j’en avais des exemples de ses farces abracadabrantes. Comme la fois où il m’avait offert un collier avec une dent de requin qu’il avait soi-disant combattu pour lui arracher… Pendant des années, je l’avais admiré avec des yeux émerveillés. Quelle naïve…
Stella exposa sur la table des bougies et les alluma avec son briquet. A priori, les violettes amélioraient la puissance psychique, et les bleus, la communication avec les esprits.
Emilie esquissait un sourire radieux en écoutant ses explications. Elle était littéralement suspendue à ses lèvres. Je la voyais bien sacrifier des poulets vivants dans sa chambre. Éclairée avec des chandelles, au centre d’un pentacle tracé avec du sang d’animal, elle murmurerait des incantations en latin ou je ne sais quelle autre langue, avec des yeux révulsés.
Je ris à nouveau. Je m’imaginais vraiment n’importe quoi. Il fallait que je cesse de regarder des films d’horreur.
Les filles me dévisagèrent avec interrogation. Je me sentis rougir, honteuse de mes pensées saugrenues.
Stella ne se préoccupa plus de moi et poursuivit son monologue en nous précisant que les bougies attiraient les esprits avec leurs lueurs et la chaleur qu’elles dégageaient. Elle nous encouragea à éteindre nos portables et à les éloigner de nous. Guère enchantée par cette exigence, je m’exécutai tout de même, et abandonnai le mien sur le meuble à l’entrée du salon. Mes amies me copièrent. Si jamais il se passait quoi que ce soit, le temps de les redémarrer…
Je soufflai pour dissiper la négativité qui me submergeait. La reine de la soirée rayonnait, se fichant de se séparer de son téléphone.
La belle blonde brûla de l’encens dans un récipient. Un parfum de cannelle inonda le séjour. J’adorais cette senteur, elle me rappelait Noël et les repas de famille. L’odeur du chapon qui embaumait la salle à manger, les rires de mes oncles, tantes, cousins et cousines, grands-parents… Toute mon enfance. Comme nous étions dorénavant tous éparpillés partout en France, les réunions familiales se perdaient et ça me manquait.
Stella décida qu’Emilie poserait les questions, puisque c’était son anniversaire. Nous serions de ce fait les catalyseurs, renforçant l’énergie produite par la séance pour l’aider à prendre contact avec les esprits.
Avant de débuter, nous devions positionner notre index sur la goutte en veillant à ce que nos doigts se touchent pour que nous soyons reliées et que l’énergie s’accumule bien. Il ne fallait pas trop appuyer dessus afin que le pointeur puisse bouger librement et que nous fermions les paupières jusqu’à ce qu’Emilie récite la formule d’ouverture.
D’une voix claire et affirmée, elle se lança :
— J’invite les esprits à nous rejoindre.
Nous rouvrîmes les yeux et elle continua de proférer :
— Y a-t-il un esprit parmi nous ? Si oui, qu’il se manifeste !
Les secondes s’écoulèrent, on n’osait plus respirer. Un silence mortel s’installa.
Stella muselait le rire qui voulait s’échapper vu le léger étirement de ses lèvres crispant ses joues. Emilie, au contraire, était sérieuse. C’en était même terrifiant. La lumière des flammes se réfléchissait sur son visage pâle lui donnant l’aspect et les traits d’une sorcière tout droit sortie d’un film d’épouvante. Si ses cheveux pendaient devant elle, on pourrait franchement se dire qu’elle était possédée.
Les minutes s’envolèrent. La pendule affichait à présent vingt-trois heures trente. La jeune femme réitéra les formules pour contacter les esprits. Nous répétâmes ce schéma quatre fois, sans succès.
— Elle est nulle ta planche, ronchonna Emilie.
— Les esprits ne débarquent pas en deux-deux, déclara Stella.
— T’as acheté une drouille10. On t’a arnaquée.
— Ouais, pesta Stella.
Elle arbora un rictus diabolique.
— Cette vieille peau, je vais la maudire !
Elles se fendirent la poire.
— Les esprits ne se montreront jamais si vous faites autant de bruit, soulignai-je.
Au fond de moi, je me réjouissais de clore cette séance pour pouvoir enfin me coucher, mais les filles étaient si enjouées d’appeler ceux du monde des morts que je prenais sur moi.
Je replaçai mon doigt sur la goutte après que j’eus tiré la langue, grimacé et levé le bras gauche, ma concentration s’étant brisée.
Les minutes défilèrent et ça ne fonctionnait toujours pas. Emilie monta en pression, sa frustration de ne pas réaliser son rêve l’agaçant. Elle soupirait, remuait avec nervosité sa cheville et tapotait ses ongles sur la table, ce qui était mauvais signe. Elle ne tarderait pas à s’emporter, et si sa fureur débordait… bonjour les dégâts.
Elle rompit le lien en se relevant avec brutalité et désigna l’objet en bois.
— Cette merde est à chier !
— Elle m’a bien escroqué…, bougonna Stella.
Leurs déceptions m’incitèrent à leur proposer de faire une ultime tentative. Elles hochèrent la tête.
Au bout d’un quart d’heure, le visage de la jolie brune se contracta. Elle allait nous piquer une crise et elle se transformait en démon lorsqu’elle était contrariée. Si je ne savais pas d’où elle détenait cette rage démesurée, quand elle surgissait, il ne fallait en aucun cas lui faire face au risque de recevoir un projectile. Dès qu’elle la déversait, elle attrapait tout ce qui était à sa portée et envoyait ce qu’elle avait saisi avec force. À mon avis, elle devrait consulter pour découvrir pourquoi elle s’énervait si facilement. J’avais entendu parler du trouble explosif intermittent11 et je soupçonnais qu’elle soit concernée, mais je n’étais pas médecin.
Stella avait aussi perçu son bouillonnement, son sourire s’étant volatilisé.
Le poing d’Emilie s’éleva et s’abattit sur la planche, faisant pirouetter la goutte qui s’écrasa sur cette dernière avec fracas. Avec Stella, nous avions juste eu le temps de retirer nos doigts.
— Cette planche, je vais la défoncer !
Elle l’empoigna et la cogna contre la table, ce qui généra un vacarme insupportable. Elle s’empara ensuite du pointeur et frappa la pièce en bois avec son arme improvisée. Nous patientâmes, immobiles. Elle se calmerait toute seule, et en restant discrètes nous n’étions pas dans son viseur.
Après avoir martyrisé la planche durant de longues secondes, elle en eut assez et catapulta la goutte. Celle-ci rebondit une fois dessus et atterrit sur le « oui ».
Elle se laissa tomber sur son coussin.
— Je me suis bien défoulée !
Elle nous scruta et rigola devant nos mines déconfites.
— Vous faites une de ces tronches !
Il valait mieux l’avoir en amie qu’en ennemie. Bon, on était habituée, et on en rirait les jours suivants. Il n’y avait pas de raison que l’on me taquine sur mes tics et pas sur ses accès de colère.
— On arrête les conneries pour aujourd’hui ? suggéra Stella.
— Ce serait une sage décision, confirmai-je.
Je levai le bras gauche, grimaçai et tirai la langue.
Mes tics allaient se décupler et dormir serait par conséquent compliqué. En plus, Stella ronflait et grinçait des dents… Cette nuit aurait été une véritable torture pour moi si je n’avais pas mes bouchons d’oreille.
Emilie gloussa, ce qui me ramena sur terre.
— Dommage, j’aurais voulu appeler Satan pour lui demander de hanter mon ex. Et s’il me remballait, je l’aurais insulté. Ha ! Ha !
Nous nous marrâmes à nous en décrocher la mâchoire. Des larmes apparurent aux coins de mes yeux et je faillis m’étouffer, ne parvenant plus à reprendre ma respiration. Stella grouina encore, ce qui redéclencha notre hilarité.
Emilie se plaignit subitement de picotements dans les doigts de sa main gauche. Elle les gratta avec frénésie.
— Je déteste quand ça démange à ce point !
Nous nous moquâmes de son nez plissé qui lui faisait une tête affreuse. Mais Emilie ne paraissait pas affectée et nous ignorait. Elle éventa son visage pour l’aérer, celui-ci ayant viré au rouge.
— J’ai une bouffée de chaleur, râla-t-elle.
Des perles de sueurs émergèrent sur son front. Je ne trouvais pas qu’il faisait si chaud que ça. Stella ne semblait pas non plus souffrir d’une hausse soudaine de la température.
Je me raclai la gorge et reposai mon regard sur Emilie. On aurait dit qu’elle surchauffait. Ses cheveux trempés étaient comme aimantés à son cou. Qu’est-ce qui lui arrivait ? Je commençais à m’inquiéter.
— Tu veux un verre d’eau ? interrogeai-je.
— Oui, s’il te plaît.
Je quittai mon coussin, me dirigeai vers la cuisine et regagnai rapidement le salon. Alors que j’étais à deux mètres de mes complices, je me stoppai net et lâchai le verre qui vola en éclats lorsqu’il atteignit le sol, causant un boucan d’enfer.
— Arielle ? Tout va bien ? questionna Stella avec un air soucieux.
Je blêmis. Une série de tics survint, puis d’une main tremblante, je montrai la planche Ouija. Les filles se pétrifièrent et devinrent si blanches qu’elles étaient presque transparentes.
La goutte dessinait des huit sur la pièce en bois, ce qui annonçait la présence d’un esprit hostile. Je l’avais vu un grand nombre de fois dans les films et je n’accepterais pas de le vivre en vrai.
— Le pointeur, vite ! Il faut l’ôter de la planche ! hurlai-je.
Les jeunes femmes tressaillirent, ne s’étant pas attendues à ce que je crie. Emilie revint à elle la première. Elle se rua sur le pointeur, et ne parvint pas à le décoller de la planche, comme s’il avait fusionné avec elle.
Brusquement, nous tressautâmes toutes. Un coup de tonnerre avait retenti et la porte de la cuisine avait claqué. Un vent polaire se propagea dans le salon malgré les fenêtres fermées. Les flammes des bougies vacillèrent jusqu’à s’éteindre. Seul l’éclairage du réverbère perçait les ténèbres qui nous englobaient.
L’atmosphère frigorifique me fit frémir. Les filles étaient dans le même état que moi. Leurs yeux terrorisés et les frissons parcourant leurs corps le prouvaient. Notre affolement s’accentua quand du givre se forma dans le séjour, s’étendant sur les murs et objets qui nous entouraient. Les craquements sinistres, de celui-ci qui se répandaient, accrurent notre effroi.
Je ravalai ma salive, consciente que ce n’était pas normal.
Mes sœurs de cœur, paralysées par la peur, enlacées dans les bras l’une de l’autre, suivaient du regard la fine couche de glace qui avait pratiquement recouvert chaque centimètre de la pièce. Notre souffle se changeait en fumée et mes doigts étaient si gelés qu’ils me brûlaient.
— Les… filles…, bredouillai-je.
Mes mots peinaient à sortir de ma gorge. L’Arielle téméraire avait disparu à cet instant. Être confrontée à ce phénomène incompréhensible réduisait à néant mon courage. Mais qui ne serait pas effaré face à cette situation ?
La jolie brune s’écroula, se détachant des bras de mon amie.
— Emilie ! criai-je en même temps que Stella.
Je me précipitai vers elles.
La jeune femme convulsait. Nos visages se décomposèrent et nous tremblotâmes. Elle se tordait dans tous les sens et sa tête heurtait le sol avec violence. Le bruit sourd des chocs résonnait autour de nous. Ses yeux se retournaient, et de l’écume dégoulinait de sa bouche.
Ne sachant pas quoi faire, nous nous contentions de hurler son prénom, penchées au-dessus d’elle, comme si cela arrêterait les spasmes.
Ayant eu une illumination, je me relevai et courus jusqu’au bahut où nous avions posé nos portables. Alors que je m’apprêtai à remettre en marche le mien pour téléphoner aux pompiers, le corps d’Emilie cessa de se tortiller.
Je me figeai. Mon smartphone glissa de ma main et percuta le parquet. L’impact fit écho dans mes oreilles.
— Arielle…, sanglota Stella.
Je débloquai mes jambes tétanisées et la rejoignis. Agenouillée et incapable de réagir, elle pleurait sur la poitrine d’Emilie. D’une main apeurée, je pris son pouls. Elle avait la peau aussi froide que celle d’un serpent, mais surtout, je constatai avec stupéfaction que son cœur ne battait plus.
Au moment même où Emilie prononce le nom de Satan, ailleurs.
Mes yeux louchaient sur les deux énormes pastèques se ballottant devant moi. Elles rebondissaient à chaque coup de reins de ma partenaire qui poussait des gémissements stridents. Beaucoup auraient voulu être à ma place et se seraient jetés dessus pour les mordiller avec entrain.
Ses cheveux bouclés noirs serpentaient sur mon torse nu et me chatouillaient. Je dus me retenir pour ne pas l’éjecter hors du plumard.
Nous n’étions pas en couple, juste deux personnes qui baisaient. Comme je répétais toujours aux gonzesses que je culbutais : pas de sentiments, que des centimètres. Sauvage et insatiable, elle se glissait régulièrement dans ma piaule pour combler son désir grandissant. C’était le genre de femme aussi excitée qu’une pute dans un champ de bites. Sans rémunération, toutefois. Et elle savait y faire. Lorsqu’elle fourrait ma queue dans sa bouche et qu’elle suçait mon gland avec ferveur, elle m’envoyait au septième ciel.
Ma cavalière, en ayant marre de me chevaucher, se retira. Elle voulait que je lui bouffe la chatte. J’avais carrément la flemme, surtout que j’étais sur le point de balancer la sauce. Je cédai malgré tout à son caprice, me redressai et m’approchai de ses cuisses bien écartées.
Quand ma langue pénétra son vagin regorgeant de cyprine, je grimaçai de dégoût. Heureusement qu’elle ne schlinguait pas. Elle, en revanche, se cambrait et émettait des cris de jouissance assourdissants. Elle n’allait tout de même pas avoir un orgasme et me laisser en plan ?
Je cessai aussitôt de lui titiller le clitoris et lui grimpai dessus. Son parfum floral, qui remonta dans mes narines, manqua de me faire gerber tellement elle s’en était aspergée.
Ma tête frôlant la sienne, elle essaya de me rouler une pelle. Je l’esquivai et lui lançai un regard noir. Nous avions convenu de ne jamais nous embrasser.
Je décidai de la bourrer en levrette. Elle me tendit son derrière avec une certaine grâce. J’avais aperçu un sourire lorsqu’elle s’était tournée.
J’enfonçai mon membre dans sa fente ruisselante. Je la ramonai en veillant à ne pas être trop brutal et lui faire mal. Ses hurlements qui me vrillèrent les oreilles attestaient qu’elle prenait son pied.
Au fur et à mesure que je la tambourinais, mon corps se crispait de plus en plus. J’éjaculerais bientôt.
Je m’efforçai de faire fi de ses cris qui montaient dans les tours, quand on toqua à la porte. Ma libido retomba dans la seconde.
Dépité, je gueulai un « entrez ! » qui fit écho dans la pièce. Mon visiteur ouvrit la porte et se retrouva face à nous. Ma partenaire, pas gênée du tout qu’on la voie à poil, ne moufeta pas.
La jolie rousse se prosterna, le visage empourpré, et me dit avec sa voix cristalline :
— Bonjour, maître. Vous devez vous rendre à la salle de téléportation.
J’observai ma queue recroquevillée et toute flasque.
Ma main droite s’appuya sur mon front. Mes bourses ne s’allégeraient pas tout de suite. Ne voulant pas que la rouquine capte qu’elle m’avait stoppé en plein élan, je grognai :
— Je suis occupé, là.
La chaudasse rit. Elle avait eu son orgasme, mais ce n’était pas mon cas et j’avais les boules.
— Je suis désolée, s’excusa la servante, les joues toujours aussi cramoisies.
Je soufflai, contrarié par l’interruption de ma partie de jambes en l’air.
— Je me fringue et j’arrive.
Elle se courba à nouveau et s’en alla.
Je fis une frite12 à la croupe de ma partenaire. Une belle marque rougeâtre apparut. Elle se bidonna et en réclama une autre.
Elle a un grain, cette meuf…
Je me levai de mon pieu, bougonnai et me dirigeai en traînant des pieds vers mon armoire pour enfiler une chemise. Mon corps bouillonnait encore et des gouttes de sueur suintaient sur mon torse. Le tissu me colla à la peau, ce qui me répugna. J’avais l’impression d’être un gros porc malpropre. Je m’habillai d’une veste ainsi que d’un pantalon tailleur noir et pétai un câble en voulant accrocher le bouton de mon froc. J’en avais ras le bol qu’on vienne me les briser en constance. Si je ne m’étais pas maîtrisé, j’aurais flanqué un coup de poing dans le mur. Ça m’aurait saoulé de le démolir maintenant qu’il était réparé.
La coquine irrassasiable quitta silencieusement la chambre.
Un relent de transpiration s’infiltra dans mon nez quand j’allongeai mon bras pour attacher le fermoir de ma montre. Je sentais vraiment le fennec. Ça me débectait, mais je n’avais pas le temps de me laver, je me doucherais à mon retour.
Je sortis de ma piaule et m’orientai là où l’on m’attendait.
Les mains dans les poches de mon fute, j’arpentai le couloir, faisant couiner les semelles de mes godasses sur les carreaux en marbre noirs tout en soupirant d’exaspération. Les servantes que je croisai s’inclinèrent à mon passage. Je les saluai et poursuivis mon avancée, la tête haute.
Je m’engageai dans une salle sur ma droite dont les gigantesques portes en bois avaient déjà été ouvertes.
Les deux femmes à la tronche identique et à la tresse blonde qui descendait jusqu’en bas de leur dos m’accueillirent avec un large sourire. Leurs robes blanches épousaient leurs corps, révélant leurs sublimes silhouettes. Pour emmerder l’autre, je les avais niquées plusieurs fois. Par contre, le sol et les murs n’étaient pas confortables, et je disposais d’un délai limité pour me les farcir avant qu’elles se barrent après avoir accompli leur mission. Même si elles savaient que je les avais tringlées pour le faire fulminer, je ne les avais pas forcées. Jamais je n’obligerais une donzelle à coucher avec moi. Elles étaient toutes consentantes.
Je me positionnai au centre de la salle, dans un cercle où était sculpté un serpent entourant un arbre fruitier. Les jumelles allumèrent des cierges qu’elles dispersèrent aux quatre coins de la pièce sur des colonnes corinthiennes en pierre sombre. Leur faible lumière éclaira l’espace jusqu’à présent obscur et une senteur vanillée se propagea. Les frangines me rejoignirent ensuite. Le tapement de leurs talons se diffusait autour de nous.
L’une se plaça à ma droite et la deuxième à ma gauche. Elles posèrent chacune la paume de leur main sur mes tempes et récitèrent une formule magique. Moi, je fermai les yeux.
Ma mâchoire se contracta lorsque des picotements envahirent mon corps. Une vague de chaleur m’assaillit. Des perles naquirent sur mon front et coulèrent le long de mon visage. J’étais blasé, j’allais encore plus puer. J’imaginai les auréoles se former sur ma chemise au niveau de mes aisselles. Quel boulot à la con !
Je me reconcentrai sur mon objectif et perçus enfin des marmonnements, mais ça ne suffisait pas pour que mon image se téléporte. Je me focalisai sur les murmures, faisant abstraction de leurs chuchotements.
Au bout d’une minute, ils devinrent des voix féminines. Le départ était imminent. Les yeux toujours fermés, mon hologramme atterrit chez les humains. Je laissai échapper un rire jaune en découvrant les trois godiches qui m’avaient appelé.
Sans déconner ? Ces nanas ont tout juste arrêté de téter les mamelles de leurs mères !
Invisible pour le trio, je pouvais quand même interagir. Mon image que je contrôlais à distance se rapprocha pour les étudier de plus près. Surpris de reconnaître l’une d’entre elles, je la fixai avec attention.
Alors, c’est elle qui l’intéresse…
Un sourire s’étira sur mes lèvres. Il ne fallait pas que je tarde à agir. Ma vacherie le ferait chier et je visualisais déjà sa trombine défaite. L’aura violette enveloppant la fille aux cheveux noirs me signifiait que c’était elle que je devais viser.
Connectée mentalement à elle, celle-ci ressentait aussi des fourmillements dans ses doigts et crevait de chaud. Je manipulai mon hologramme qui marcha jusqu’au pointeur et reproduisit des huit sur la planche Ouija. Le regard paniqué des gamines refléta la peur qu’elles éprouvaient.
Pour amplifier leur terreur, je fis retentir le tonnerre et lever le vent via une incantation. Elles sursautèrent, la porte ayant claqué. Ces pouvoirs, j’étais à même de les utiliser lorsque mon hologramme était téléporté dans le monde des humains. Je n’en restai pas là et inondai l’endroit d’un froid intense. Je me préparais à leur donner une leçon mémorable dont elles se souviendraient toute leur vie pour qu’elles pigent qu’il ne fallait plus jamais taquiner les esprits.
Ne voulant cependant pas m’éterniser pour pouvoir enfin me laver, je m’appropriai le corps de la fille aux cheveux noirs. Pour ça, j’insérai mon hologramme en elle.
Comme la personne qui subissait une possession douillait, je me magnais. Bien que ça ne me fasse pas plaisir, les amies de la brune allaient flipper.
Quand je lançai que le cœur d’Emilie ne battait plus, le mien se stoppa immédiatement. Des larmes roulèrent sur mes joues et sur celles de Stella. La jeune femme se mordit la lèvre et s’écorcha la peau avec ses ongles. Elle devait se dire que c’était de sa faute et elle s’en voudrait toute sa vie si Emilie mourait.
Je remuai la tête. Il fallait que j’essaye de sauver la jolie brune.
— Fais un massage cardiaque ! J’appelle les pompiers ! m’époumonai-je.
Mon cri bouscula le corps statufié de Stella et elle s’exécuta dans la foulée. Ses mains se positionnèrent entre les seins d’Emilie et effectuèrent des compressions. Lorsqu’elle ouvrit subitement les yeux, Stella tressaillit et tomba sur les fesses.
En composant le 18, j’eus cinq tics, bafouillai et me tétanisai face à Emilie qui se relevait avec difficulté. Elle se contorsionnait telle une marionnette inanimée et son regard paraissait vide. J’eus la chair de poule en remarquant que ses iris n’étaient plus marron foncé, mais translucides. Sa tête tourna de gauche à droite, comme si elle ne nous voyait pas. Les bras ballants, et pareillement à un zombie qui traînait la patte, elle tituba. Ses os craquaient à chacun de ses pas et elle poussait des râles d’agonie qui me donnèrent des sueurs froides.
Une odeur de cramé et une chaleur étouffante se dégageaient d’elle. Qu’est-ce qu’il se passait ? J’étais à un cheveu de mouiller ma culotte.
Je raccrochai et scrutai Stella qui observait Emilie. Nous n’osions pas bouger.
Après plusieurs secondes à hésiter, et à répéter une série de tics, je m’avançai vers elle et agitai ma main devant son visage.
— Emilie ? Je suis là. Tu m’entends ?
Elle ne réagit pas, me contourna et continua sa route.
— Elle est possédée…, murmura Stella. C’est comme ce qui était expliqué sur internet…
Moi qui symbolisais l’audace pour mes sœurs de cœur, je n’avais jamais été aussi apeurée. Ma voix chevrotante, mon corps tremblant, et mon teint qui avait blêmi me trahissaient. Mon affolement avait amorcé celui de Stella.
Même si je le voulais, je ne réussirais pas à la rassurer.
Je refusais de l’admettre, mais mon amie ne se trompait certainement pas. Si un esprit habitait bien Emilie, s’agissait-il d’un bon ou d’un mauvais ? Que nous réservait-il ? Je ravalai ma salive, priant pour qu’il soit inoffensif.
Emilie se dirigea jusqu’au bahut, ouvrit l’un des tiroirs, et attrapa un papier et un stylo.
Je levai le bras gauche, grimaçai et tirai la langue.
La jeune femme revint s’asseoir. Toujours silencieuses et effarées, nous nous installâmes en face d’elle.
J’attachai mes yeux angoissés dans ceux de la belle blonde et lui tendis ma main. Des larmes arrosèrent mes joues. La dernière fois que j’avais pleurée, c’était il y a cinq ans. Au début de l’année scolaire, Stella et Emilie m’avaient retrouvée en boule dans les vestiaires. Ce fut notre première rencontre et nous étions inséparables depuis ce jour. Des filles de notre classe s’étaient moquées de moi à cause de mes tics. Aux côtés de mes amies, en plus d’accepter ma maladie, j’avais décidé de m’inscrire à des cours de boxe. Ce sport m’avait permis de m’épanouir et avait développé mon intrépidité.
Les doigts de Stella enserrèrent les miens, comme si ce geste m’aiderait à contenir mes sanglots, et je la remerciai. Grâce à elle, je m’étais ressaisie.
Emilie écrivit de sa main gauche.
La main du diable…
Les poils des bras de Stella se hérissèrent et mes tics s’exprimèrent.
— Elle… n’est pas… droitière ? balbutia-t-elle.
Ne tremblotant désormais plus, j’acquiesçai de la tête. J’espérais qu’Emilie était habitée par un esprit farceur beaucoup moins dangereux que Satan.
La jolie brune, qui posa son stylo avec violence, nous fit tressauter. Elle esquissa un sourire qui me glaça. Qu’allait-il encore nous arriver ?
Je ne savais pas quoi faire. Si elle se ruait sur nous pour nous tuer, parviendrions-nous à nous défendre ? Serions-nous obligées de répliquer « gentiment » ou devrions-nous l’éliminer pour nous protéger ?
Mon corps frissonna en imaginant un massacre. Le sang colorant les murs et les sols, et nous, gisant avec nos yeux vitreux sous le regard diabolique d’Emilie qui nous aurait écharpées avec un couteau.
Brusquement, sa bouche s’ouvrit.
— Je vous souhaite une excellente nuit, les filles.
Sa voix n’était pas la sienne, mais celle d’un homme.
Épouvantée, Stella faillit vomir. Je ne lui montrais pas que j’étais intimidée et brandis mes poings devant moi, déterminée à riposter si besoin. J’administrerais une droite à cet esprit avant qu’il ait le temps de prononcer un mot s’il tentait quoi que ce soit.
Lorsqu’Emilie se mit debout, je sursautai puis l’imitai, prête à affronter notre amie hantée. Elle ne nous agressa pas, cligna de l’œil gauche et s’écroula. Elle convulsa à nouveau.
Tout à coup, le cerveau de Stella se réveilla et elle hurla :
— Il faut que l’on clôture la séance ! Chope sa main ! On doit appuyer toutes les trois notre index sur la goutte pour que ça fonctionne !
— Téléphonons aux pompiers en priorité ! rétorquai-je.
Elle se leva en vitesse, courut vers moi, agrippa mon bras pour m’arrêter et cria :
— Si on ne le fait pas, un autre esprit malfaisant ou frappeur risque de débarquer !
Je la dévisageai avec une expression dubitative et raccrochai. Les spasmes désarticulaient le corps d’Emilie, si bien que j’eus du mal à saisir sa main. Lorsque nous plaçâmes nos doigts sur le pointeur que nous glissâmes sur « au revoir », Stella pesta.
— Pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt ! Quand la goutte a commencé à dessiner des huit, j’aurais dû mettre fin à la séance, et cet esprit n’aurait pas pu rappliquer !
— Les regrets ce sera pour plus tard !
Elle fit oui de la tête, courut vers son sac cabas, s’empara du papier où était notée la prière pour boucler la séance ainsi que des feuilles de sauge.
Elle marmonna l’incantation tandis que je rappelais les pompiers. Un déchaînement de tics me fit presque lâcher son portable et mes yeux oscillèrent entre elle et Emilie, qui convulsait toujours. Stella brûlait des feuilles de sauge pour purifier la pièce. Leur effluve qui se propagea dans le séjour m’indisposa, mais si cela permettait de se débarrasser des esprits, je me résignais sans broncher à sacrifier mes narines. Étrangement, le givre avait disparu et la température était à présent normale.
Alors que j’allais avoir les secours au bout du fil, Emilie toussa. Elle grelottait, comme si elle était gelée. J’interrompis encore une fois ma conversation, me précipitai vers mon amie et me penchai au-dessus d’elle. Stella jeta sa coupelle sur la table basse et me copia.
— Emilie ? chuchotai-je en simultané avec la belle blonde.
La jeune femme revint à elle en douceur. Ses iris étaient redevenus marron foncé. Elle se redressa mollement. Nous nous écartâmes. Elle nous sonda de son regard interrogatif, se tint la tête et se plaignit.
— J’ai un mal de crâne horrible… Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Ma main sur son épaule, je bégayai :
— Tu ne… te souviens plus de rien ?
Ses sourcils s’arquèrent.
— Comment ça ?
Je me raclai la gorge, tortillai une mèche de mes cheveux et bredouillai :
— Tu… as été possédée…
Son visage se contracta. Elle consulta Stella qui confirma d’un hochement de tête. Ses bras gesticulèrent et elle hurla.
— Vous vous fichez de moi ? Si c’est une blague, ça ne me fait pas rire !
— On ne te ment pas.
— Tu… tu as écrit quelque chose sur un papier, désigna Stella.
Emilie toisa la table, se leva et prit la feuille qu’elle nous lut.
« Vous qui m’avez fait chier pendant que je tirais mon coup, vous allez recevoir la punition que vous méritez. Une de vous sera gravement blessée, une autre perdra un être cher, et celle à qui j’ai squatté le corps clamecera dans vingt-quatre heures max. Profitez de votre amie avant qu’elle ne bouffe les pissenlits par la racine.
Yasashii. »
Une douleur jaillit dans mon ventre. Qui était ce Yasashii ? Ce n’était donc pas Satan qui était entré dans le corps d’Emilie ? Le message me donna des frissons. Serais-je celle qui serait grièvement blessée ? Ou cette annonce concernait-elle Stella ? Laquelle de nous deux verrait un de ses proches s’éteindre ? Devions-nous prendre au sérieux l’effroyable présage de ce Yasashii ? La possession était incontestable, mais un esprit pouvait-il provoquer le décès d’un humain ou attaquer quelqu’un ?
Emilie éclata de rire et déchira le papier. Avec Stella, nous échangeâmes un regard choqué. La jolie brune nous visa avec des yeux railleurs.
— Bah quoi ? Vous ne croyez tout de même pas à ce ramassis de conneries ?
Je m’avançai vers elle et pressai mon doigt contre le haut de sa poitrine.
— Tu as été possédée ! On a énervé ce Yasashii ! Il ne faut pas minimiser sa prédiction ! Tu es en danger ! Cette séance de spiritisme était une bêtise monumentale ! Nous avons été stupides de nous amuser avec les esprits !
Nullement impressionnée, elle fit de grands mouvements avec ses bras comme si elle moulinait dans le vent.
— Il a bluffé pour nous foutre les jetons ! Les esprits ne peuvent pas interférer dans notre monde !
Je haussai encore plus le ton.
— Qu’est-ce que tu en sais ? Si ce qui est marqué est vrai, tu vas mourir ! Et nous aussi on pâtira de cette séance de spiritisme que l’on n’aurait jamais dû faire !
Le visage écarlate, elle vociféra :
— Je ne crèverai pas ! Comment tu peux gober des trucs pareils ? Cet esprit se paye notre tête ! Dans vingt-quatre heures, je serai toujours vivante, et à vous non plus il ne vous arrivera rien ! On n’est pas dans l’un de tes films qui ne valent pas un pet de lapin ! T’as la pétoche ou quoi ?
Ma mâchoire et mes mains se serrèrent. Elle ne se rendait pas compte dans quel pétrin nous nous trouvions !
Stella intervint pour apaiser l’ambiance.
— Je suis d’accord avec Emilie. Ce Yasashii, ce n’est qu’un esprit farceur qui cherche à nous effrayer. Il ne faut pas qu’on psychote.
Hors de moi, je désignai la planche et criai :
— Je n’y toucherai plus et je vous conseille d’en faire autant ! J’espère que vous avez raison ! Ce Yasashii a possédé le corps d’Emilie, alors ça ne m’étonnerait pas qu’il puisse mettre ses menaces à exécution !
La jolie brune se rapprocha de la pièce en bois et lui asséna un coup de pied. Elle s’envola et s’écrasa sur le mur, ce qui généra un bruit désagréable.
— Cette saloperie a gâché ma soirée !
Stella soupira.
— Je suis dégoûtée.
— On maraboutera la sorcière qui te l’a vendue, rigolai-je pour détendre l’atmosphère.
Nous nous marrâmes et je proposai à Emilie de téléphoner aux pompiers pour qu’ils l’examinent. Comme elle s’y opposa, nous nous couchâmes toutes les trois. Emilie se blottit dans la couette recouvrant le matelas gonflable. Je partageai mon lit avec Stella.
Mes tics se réitérèrent.
L’horloge de mon portable indiquait minuit trente.
J’avais fait mine de rien face à mes amies, mais j’étais terrifiée. Si ce Yasashii assassinait un membre de ma famille ou un de ceux de Stella, et s’il supprimait Emilie, je ne m’en remettrais pas. Les vingt-quatre prochaines heures seraient les plus longues de ma vie. Déjà que mes tics me compliquaient la tâche pour m’endormir, être stressée les multiplierait et je ne parviendrais pas à fermer les yeux avant un moment.
***
Le lendemain matin, je ne déjeunais pas. Les images de la veille me hantaient, me coupant l’appétit. Je me préparai dans la salle de bains en compagnie d’Emilie et de Stella, qui s’admirait dans le miroir en se souriant.
Nous désertâmes ensuite les lieux et nous nous orientâmes vers l’arrêt de bus. Une fois installées, Stella et moi rîmes, le regard perturbé des passagers louchant sur mes tics. Elle faisait des pitreries pour me soutenir. Emilie s’était éloignée de nous, genre « je les connais pas », mais surtout, elle dévorait des yeux Enzo, debout à moins d’un mètre de nous. Elle était amoureuse de lui depuis la seconde et n’avait jamais eu le courage de lui déclarer sa flamme.
Lorsque nous atteignîmes notre lycée, nous arpentâmes les couloirs menant à notre salle de cours. Un brouhaha incessant nous entourait. Nous n’avions pas reparlé de l’esprit sur le trajet et je me demandais si les filles étaient aussi tourmentées que moi. La sonnerie retentit, ce qui me coupa dans ma réflexion.
À la pause, nous nous apprêtâmes à nous promener dans le préau quand le portable de la belle blonde diffusa la musique d’appel dans le couloir.
Le nom « maman » s’afficha sur l’écran.
Mon cœur s’emballa ? Et si…
Ses doigts tremblotaient et elle manqua de lâcher son smartphone en le portant à son oreille. Le son était si fort que je percevais les gémissements de sa mère.
Stella pâlit. Elle n’était plus en train de se complaire à se photographier dans le canapé avec la bouche en cul-de-poule pour les poster sur les réseaux sociaux. Elle ne riait plus comme elle le faisait lorsqu’elle libérait un immonde kraken qui empuantissait les W.-C. du lycée. Non, ses yeux bleu cyan s’étaient ternis et son portable lui échappa des mains, heurta le sol, produisant un fracas épouvantable.
Mon sang se figea, Stella s’effondra sur le lino et se recroquevilla sur elle-même. Son visage enfoui dans ses mains, elle fondit en larmes et ses sanglots résonnèrent.
Des pleurs trempèrent également mes joues. Son père venait de mourir.
J’avais été incapable d’alléger le chagrin de Stella avant son départ à l’hôpital, et les deux heures de gestion m’avaient paru infinies. À midi nous fuîmes la salle de cours. Je me raclai la gorge et entamai la conversation avec Emilie en bégayant :
— C’est comme ce qui a été écrit sur le papier… Ça veut dire que c’est moi qui vais être grièvement blessée…
La jolie brune essaya de me rassurer.
— Son père était en phase terminale d’un cancer des poumons, il était sur la sellette depuis des semaines. C’est juste une coïncidence. Les menaces de ce Yasashii ne se réaliseront pas, je te le promets.
— Pauvre Stella…
Elle posa sa main sur mon épaule et braqua son regard dans le mien.
— C’est triste, oui. On devrait lui envoyer un message de condoléances.
J’eus cinq tics.
Même si Stella ne le lisait pas dans l’immédiat, je n’hésitai pas une seconde et validai la suggestion d’Emilie pour que notre amie sache que nous étions de tout cœur avec elle.
Nous nous dirigeâmes ensuite vers la cantine.
Je n’avais toujours pas faim, et je supposais que l’effluve des petits pois que haïssait Emilie n’était pas la cause de son appétit coupé. Je présumais qu’elle s’inquiétait pour Stella, et qu’elle devait avoir peur de l’esprit, bien qu’elle s’évertue à ne pas le montrer.
Je me forçais malgré tout à manger. Étant impossible de nous entendre entre les rires et de claquements de couverts cognant les assiettes, nous ne discutâmes pas.
Nous reprîmes les cours à quatorze heures. Avant et après la pause, je comptai les secondes. Quand la sonnerie de la délivrance résonna, je me dépêchai de ranger ma trousse et mes classeurs.
Emilie m’accompagna jusqu’à mon arrêt de bus.
Nous suivîmes l’essaim d’étudiants s’orientant lui aussi vers la sortie. Un brouillard intoxicant nous assaillit lorsque nous franchîmes la grande porte. Les fumeurs qui avaient allumé leurs cigarettes bavardaient et riaient.
J’enchaînai trois tics et grimaçai.
— Merci de m’avoir réconfortée ce matin.
Elle haussa les épaules.
— C’est normal. On s’écrira à minuit. Les vingt-quatre heures se seront écoulées. Et comme je te l’ai juré, il ne nous arrivera rien d’ici là.
Ses mots avaient dissipé mes dernières angoisses.
Dès que nous atteignîmes le passage piéton menant aux arrêts de bus, nous attendîmes qu’une voiture daigne se stopper pour traverser.
Un crissement de pneu, un grondement de moteur et une pétarade de pot d’échappement firent écho.
Je tournai la tête. La bouche bée, mon visage blêmit et mon corps trembla. Aucun son ne réussit à s’extirper de ma gorge. Un cabriolet fonçait à vive allure, droit sur nous. Pétrifiée, ma vie défila devant mes yeux. C’était donc vrai ? On revoyait tout ce que nous avions vécu avant de nous éteindre ?
Le chauffard klaxonnait pour contraindre ceux qui se trouveraient sur son chemin de s’écarter.
L’impact était imminent. J’avais raison depuis le début. Nous ne pouvions pas lutter contre le destin que nous avions tracé en exécutant cette séance de spiritisme. Ce Yasashii était réellement en mesure d’interagir dans le monde des vivants ? D’éliminer qui il voulait ? Je ne l’acceptais pas !
Poussée par une montée d’adrénaline, j’agrippai la manche de la robe d’Emilie et la tirai avec énergie pour la ramener sur le trottoir.
Mais je ne fus pas assez rapide.
La décapotable percuta les jambes de la brune qui hurla, me perforant presque les tympans. Je frémis quand l’impact et le craquement des os provoquèrent un bruit sourd résonnant dans mes oreilles. La violence de la collision m’avait fait lâcher Emilie. Elle virevolta deux fois sur lui-même et retomba avec lourdeur sur le bitume, telle une poupée de chiffon désarticulée.
Le roadster criminel poursuivit sa course effrénée, sans se soucier de la personne qu’il avait renversée. Je me précipitai vers mon amie qui gisait sur la chaussée.
Agenouillée à sa droite, je fis une série de tics et la secouai doucement par les épaules.
— Emilie ! Emilie !
Je faillis régurgiter mon repas du midi. Mon cœur tambourinait dans ma poitrine devant sa figure égratignée, ses bras déchiquetés et son tibia gauche qui ressortait, transperçant sa chair. Son sang se répandait sur la route et sur sa robe déchirée, la maculant de liquide pourpre.
Sous le choc, Emilie ne criait même pas. Mon corps ne cessait de trembloter, ce qui me faisait perdre mes moyens. Mes tics devenaient incontrôlables et des larmes dégoulinaient sur mes joues.
Ce Yasashii allait-il emporter Emilie ? Il pouvait vraiment arracher sa vie ? Et en plus avec une facilité déconcertante ? De quel droit osait-il tuer une personne qui ne devait pas mourir maintenant ? Quel genre de monstre était-il ? S’il s’était trouvé en face de moi, je n’aurais pas hésité pas à le rouer de coups.
Le visage contracté, mon poing frappa l’asphalte. Je maudissais Stella d’avoir apporté cette planche Ouija. Rien de tout ça ne se serait produit si l’on n’avait pas pratiqué cette séance de spiritisme.
Me sentant scrutée par les curieux regroupés autour de nous, je les observai. Certains, horrifiés par le sang et la fracture ouverte hurlaient, d’autres, des adolescents de la nouvelle génération dépourvue d’intelligence filmaient avec leurs portables, un sourire dessiné sur leurs lèvres. Comment pouvait-on se nourrir ainsi du malheur des gens ? D’un être humain à l’agonie ? Quelqu’un, à moitié caché par la foule s’entassant, semblait vomir. Aucun de ceux, qui attachaient leurs regards sur Emilie en souffrance, ne me vint en aide.
— Au lieu de rester plantés là, rendez-vous utiles et appelez les pompiers ! s’époumona subitement une voix masculine.