9,99 €
Extrait : "L'homme qui ne sait pas lire, l'homme qui sait lire et qui ne lit pas, peut être électeur, banquier, tout ce qu'on voudra, mais n'est pas un homme, car il lui en manque la première qualité : la pensée en commun. Il n'y a pas sur cette terre, d'action plus religieuse que la lecture. Qu'est-ce que lire en effet ? C'est revivre avec tout ce qui a vécu ; c'est vivre d'avance avec tout ce qui vivra ; c'est vivre, en une minute, de toute la vie de l'humanité".
À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :
Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :
• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:
Seitenzahl: 48
Veröffentlichungsjahr: 2016
10 septembre.
Vous enseignez à lire, madame ; c’est la première fonction de l’État. Il n’y a pas de reine au-dessus de vous, par rang de mérite.
Une reine peut distribuer des faveurs à sa cour et des sourires qui sont eux-mêmes des faveurs. Vous, madame, vous ne souriez guère, vous pleurez souvent, mais vous donnez des âmes à la société. Vous faites mieux que des heureux, vous faites des hommes ; je vais trop vite en besogne, vous faites des mères qui pourront enseigner à lire à leurs enfants.
L’homme qui ne sait pas lire, ou l’homme qui sait lire et qui ne lit pas, peut être électeur, banquier, tout ce qu’on voudra, mais il n’est pas un homme, car il lui en manque la première qualité : la pensée en commun.
Il n’y a pas, sur cette terre, d’action plus religieuse que la lecture. Qu’est-ce que lire en effet ? C’est revivre avec tout ce qui a vécu ; c’est vivre d’avance avec tout ce qui vivra ; c’est vivre, en une minute, de toute la vie de l’humanité. C’est plus encore ; c’est faire soi-même l’œuvre qu’on lit. Il y a dans un même livre autant de livres qu’il y a de lecteurs ; par la raison toute simple que l’esprit de chaque lecteur mis en mouvement par l’esprit du livre rend coup pour coup en quelque sorte, sent avec le livre, pense avec le livre et ajoute ainsi au mérite de l’œuvre le mérite de sa propre imagination et de sa propre pensée. La lecture constitue donc une collaboration muette du lecteur avec l’auteur, une création nouvelle dans une création.
Bien souvent, madame, en passant devant un palais gardé par un homme à cheval, la carabine au poing, j’ai rêvé de votre petite maisonnette, blanchie au lait de chaux et tapissée d’un rosier du Bengale qui a l’ambition de monter jusqu’au grenier, pour porter, sans doute, plus près du ciel son parfum modeste comme votre existence.
Or, en songeant à cette poétique volière de l’enfance, où les petites fauvettes du village gazouillent l’alphabet sous votre direction, je me dis : c’est là que doit être le véritable palais ; et majesté pour majesté, c’est peut-être la vôtre, madame, qui compte le plus devant le Dieu de l’intelligence.
Je vous demande donc la permission de vous adresser cette relation, au jour le jour, d’une tournée littéraire en Belgique ; je tiens à vous donner cette marque de déférence, quand bien même elle devrait faire violence à votre modestie.
Si vous avez encore une minute, en toute propriété, à la fin de votre journée, vous irez lire cette correspondance, à la lisière de Maisonfort, dans cette allée rêveuse de peupliers, où le souffle du soir réveille, en remuant les feuilles, comme un bruit lointain de la mer… Vous écouterez le murmure d’en haut, et peut-être, à ce moment, vous rappellerez-vous que si le vent souffle partout, l’esprit en fait autant ; or, quand l’esprit souffle en Belgique, vous pourrez en saisir une brise au passage.
12 septembre.
Un sculpteur avait fait une statue de la France avec deux enfants.
– Pourquoi deux enfants seulement ? lui demanda quelqu’un.
– Parce que je partage la France en deux classes : les sots et les gens d’esprit.
– Et vous appelez gens d’esprit ?
– Les sculpteurs, monsieur, parce que je les connais.
Faisons comme ce brave homme, mettons-nous du côté de l’esprit. L’intelligence, sans doute, a beaucoup d’ennemis : d’abord les imbéciles, car c’est elle précisément qui fait qu’ils sont des imbéciles, et ensuite les marchands d’abus, parce qu’un abus n’est jamais spirituel, et qu’il suffit d’un homme d’esprit pour en avoir raison.
Et pourtant il n’y a que l’intelligence qui vaille la peine de rester sur la planète. Quant au reste, faites claquer votre doigt, madame ; le reste ne compte pas davantage.
Quand nous passons encore une bonne heure dans cette vie, où la passons-nous ? Est-ce chez notre notaire ou avec notre boulanger ? Non ; c’est avec un poète ou avec un philosophe, que nous tenons à la main, in-octavo, au coin du feu ou sous un berceau de chèvrefeuille.
– Je n’ai jamais eu de chagrin, disait Montesquieu, qu’un quart d’heure de lecture n’ait dissipé.
De chagrin, c’était beaucoup dire ; il n’avait qu’à mettre d’ennui, et il aurait fait la théorie de l’existence.
Ainsi, vive l’intelligence ! même pour la femme, surtout pour la femme, quoi qu’on en dise ; car bien plus que l’homme elle a besoin de faire provision de pensée pour l’heure critique de l’été de la Saint-Martin. Quand tout ce qui papillonnait autour d’elle aura pris son vol d’un autre côté, elle pourra braver le régime cellulaire de la solitude, car elle portera toujours avec elle une société aimable dans son instruction, et pourra toujours passer agréablement la journée.
Je n’en veux d’autre preuve que madame Bonnin. Vous ne la connaissez pas, à coup sûr. C’est une femme de soixante-dix-huit ans, qui a eu dans le temps une réputation de beauté. Quand elle sentit venir l’heure de la retraite, elle plia bravement bagage ; elle acheta une petite maison de paysan dans une vallée ignorée de la Champagne ; elle y transporta son piano, sa bibliothèque, et depuis ce moment elle vit avec elle-même ; elle dit avec raison qu’elle n’a jamais fréquenté meilleure compagnie.
Madame Bonnin a pour voisin de campagne un ancien ingénieur retraité, un philosophe de l’école de Jean-Jacques, botaniste, entomologiste, etc., et enfin athée, à ce que dit le curé ; traduisez panthéiste, et vous approcherez de la vérité. Il porte le nom de Bouland et un chapeau de quaker. Quand je le voyais passer avec sa belle figure méditative et sa longue barbe blanche, je croyais voir marcher une statue de Platon.