Les Loups de Mondrepuis - Jean-Paul Raymond - E-Book

Les Loups de Mondrepuis E-Book

Jean-Paul Raymond

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Beschreibung

Durant le Moyen-âge, un noble chevalier nommé Thibaud, accompagné de sa belle et gente dame Alise, part au secours d'un enfant mystérieux...

Au XIIe siècle, fin du règne de Louis VII.
Le jeune Seigneur Thibaud, noble chevalier accompagné de la belle et impétueuse Alise, se lance au secours d’un enfant pourchassé par des hommes armés. Pour les deux Châtelains c’est le début d’un combat sans merci semé d’embûches et de dangers.
Avec l’aide inattendue de deux sauvageonnes qui vivent en forêt avec une meute de loups, parviendront-ils à libérer Laurent et à répondre à cette mystérieuse question : qui est-il et pourquoi a-t-il été enlevé ?

Un roman historique bourré d'une grande dose de suspense et d'action, où deux sauvageonnes qui vivent avec des loups aident Thibaud et Alise à libérer le jeune garçon. Mais qui est-il et pourquoi a-t-il été enlevé par ces hommes ? À dévorer dès 9 ans !

EXTRAIT

— Mais... ils se battent !
Trois hommes – ce pouvaient être des soldats – pressaient la gente Alise.
Apparemment, ces bougres malséants s’efforçaient de repousser leur toute jeune proie agile en direction d’un quatrième larron qui se tenait prêt. Il resserrait ses poings.
Toutefois, la damoiselle se démenait avec une vigueur comparable à la fulgurante vivacité d’un chat sauvage acculé. Mais comme seule arme, Alise ne disposait que d’une badine souple. La jeune châtelaine la brandissait avec une telle vivacité que ses trois agresseurs prenaient de sales coups, directement sur leur trogne !
Deux d’entre eux grimaçaient sous des balafres cuisantes, l’un au front, l’autre au cou. Le sang avait coulé sous leur cotte d’hommes de guerre.
Thibaud étouffa un cri, puis se lança au galop, usant de ses éperons. Rien ne pouvait l’arrêter... surtout lorsqu’un danger menaçait sa douce et fière compagne !

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Table des matières

Résumé

1. Thibaud de Malenghin

2. La Disparition

3. Le Moine

4. Le Château noir

5. Perron d’Ostemale

6. Aimery

7. Mondrepuis

8. Anna-aux-loups

9. La Geôle

10. Oubliettes et marais

11. Frère Thibaud

12. Les Loups de la nuit

13. Le Feu

14. Laurent

Du même auteur

Résumé

Au XIIéme siècle, fin du règne de Louis VII.

Le jeune Seigneur Thibaud, noble chevalier accompagné de la belle et impétueuse Alise, se lance au secours d’un enfant pourchassé par des hommes armés. Pour les deux Châtelains c’est le début d’un combat sans merci semé d’embûches et de dangers.

Avec l’aide inattendue de deux sauvageonnes qui vivent en forêt avec une meute de loups, parviendront-ils à libérer Laurent et à répondre à cette mystérieuse question : qui est-il et pourquoi a-t-il été enlevé ?

Jean-Paul Raymond

Les Loups de Mondrepuis

Roman Jeunesse

ISBN : 9782378736767

Collection Saute-mouton

ISSN : 2610-4024

Dépôt légal : avril 2019

© Couverture Annabel Peyrard pour Ex Æquo

© 2019 Tous droits de reproduction, d’adaptation et

de traduction intégrale ou partielle, réservés pour tous pays

Toute modification interdite

Éditions Ex Æquo

6 rue des Sybilles

***

1. Thibaud de Malenghin

En l’an de grâce 1171, un printemps sec avait succédé à un hiver particulièrement rigoureux. Les premières semences germaient. Elles couvraient les terres labourées d’une petite herbe rase, tendre et fragile.

On en était aux dernières années du règne de Louis VII. Le roi capétien avait largement dépassé la cinquantaine ce qui, pour le siècle, était un âge fort respectable.

Le Dauphin, le futur Philippe-Auguste, venait tout juste de fêter ses six ans.

***

Le cavalier solitaire tira sur ses deux brides. Son galop se ralentit avant de se faire trot, l’animal souffla plusieurs fois des naseaux et se hissa au plus haut d’une crête.

Thibaud caressa le poitrail de sa monture. Il murmura plusieurs mots doux, puis se redressa. De l’endroit où il se trouvait, il dominait la plaine. Son regard s’envolait aux confins de l’horizon.

Le château de Malenghin couronnait avec gloire un promontoire rocheux qui s’avançait fièrement en dominant le vide. Les pierres massives et les tours ramassées donnaient à l’édifice une impression de force. Au plus haut du donjon flottait une oriflamme{1}. Le pont-levis était baissé.

Le paysage que Thibaud découvrait était calme, rendu majestueux par l’expression de cette paix qu’offre le plus souvent la nature matinale. De loin en loin, des fumerolles montaient en se tirebouchonnant, à l’aplomb de plusieurs hameaux.

Dans les années pénibles de ce siècle finissant, la France était en guerre avec le Royaume d’Angleterre. Un conflit qui durait. Pourtant – les espions du Roi de France le répétaient sans cesse – l’Anglais n’en pouvait plus. Il était à bout de forces. Il avait le plus grand mal à regrouper ses mercenaires, les restes d’une armée qui ne songeait qu’à une seule chose : un prompt retour vers l’Angleterre.

Mais que de ruines ! Mais que de larmes !

— Mon fief... lança l’adolescent pour lui-même, avec une juste fierté.

D’une jeunesse extrême, Thibaud était un garçon agile, aux membres déliés. Il offrait un visage agréable, encadré de boucles claires qui cascadaient avec souplesse. La gravité tapie au fond de son regard était l’indice d’un caractère solide, la marque d’un courage indomptable.

Un peu rêveur, Thibaud laissa son cheval s’engager sur un chemin tortueux débordant de feuilles tendres et douces. Leur promenade se prolongea avec un grand bonheur. Tous deux – le garçon et l’animal – se retrouvèrent plongés dans les senteurs épaisses des végétaux humides, gorgés par cette sève ardente que le printemps rajeunissait.

Le jeune Châtelain se sentait heureux, ce qui pouvait étonner. En dépit de la guerre qui s’étendait sur le Royaume de France, l’époque se voulait douce.

À ce moment précis, Thibaud perçut un bruissement. Sa monture renâcla, avant de s’écarter devant le passage inattendu d’un chevreuil affolé. L’animal renouvela plusieurs bonds à la suite. Puis la bête disparut sous le couvert des feuillages touffus.

Thibaud suivit des yeux les branches dérangées. Le jeune Châtelain se posa la question : « Entamer la poursuite ? » Peut-être bien, après tout. Pour le plaisir d’une chevauchée effrénée au milieu des taillis ?

Thibaud en était là, lorsqu’il tressaillit, en modérant une sorte de frisson qui courait sur le poitrail de sa jument.

— Holà !... Ho !...

Des paroles plutôt douces et une main caressante furent sans grand résultat pour calmer l’animal. Négligeant le mors, le cheval renâcla, puis se dressa sur ses pattes arrière. Il hennit dans une plainte.

Thibaud tira alors. Il raffermit ses brides. Il enfonça ses pieds au fond des étriers. Un émoi le cueillit, mais une seconde seulement. Puis le sang du garçon se figea lorsqu’un second cheval – une monture sans cavalier – déboucha des sous-bois.

— Alise !...

Thibaud piqua des deux tandis que l’autre jument se montrait indécise. Elle se fouettait l’arrière-train avec sa queue tressée.

Le tout nouveau galop dura plusieurs minutes. À une cadence échevelée, le garçon se glissa à la suite des traces abandonnées par l’animal qu’il poursuivait. Il était gêné dans sa course par de nombreuses branches brisées, par des giclées de boue. Sa chevauchée se termina aux abords d’un taillis, là où le tronc d’un arbre déraciné et renversé avait couché au sol des faisceaux de jeunes branches.

— Mais... ils se battent !

Trois hommes – ce pouvaient être des soldats – pressaient la gente Alise.

Apparemment, ces bougres malséants s’efforçaient de repousser leur toute jeune proie agile en direction d’un quatrième larron qui se tenait prêt. Il resserrait ses poings.

Toutefois, la damoiselle se démenait avec une vigueur comparable à la fulgurante vivacité d’un chat sauvage acculé. Mais comme seule arme, Alise ne disposait que d’une badine{2} souple. La jeune châtelaine la brandissait avec une telle vivacité que ses trois agresseurs prenaient de sales coups, directement sur leur trogne !

Deux d’entre eux grimaçaient sous des balafres cuisantes, l’un au front, l’autre au cou. Le sang avait coulé sous leur cotte{3} d’hommes de guerre.

Thibaud étouffa un cri, puis se lança au galop, usant de ses éperons. Rien ne pouvait l’arrêter... surtout lorsqu’un danger menaçait sa douce et fière compagne !

Une douce compagne qui venait de se livrer au brutal exercice de balancer sa botte exactement sous le genou d’un de ses agresseurs, qui se mit à voltiger, et se reçut en plein sur son arrière-train, en hurlant comme un porc !

Les trois autres soldats étaient vraiment trop forts et l’évidence s’imposait : Alise allait être vaincue, violemment bastonnée, jusqu’à ne plus pouvoir bouger.

D’un seul coup, avec l’arrivée de Thibaud, tout changea. Sans douceur le garçon allait mettre fin au combat. Son cheval bouscula un premier agresseur ; si bien que le triste bougre, copieusement sonné, mit un temps infini avant de retrouver la clarté de son esprit.

À la suite, en voltige, Thibaud sauta sur les épaules d’un second malandrin. Il le bourra de coups des deux côtés de la tête. Dans le même temps, Alise s’occupa du troisième qui ne fut pas oublié : il écopa d’un magnifique horion, en plein sur son œil gauche !

Et là, l’affrontement se termina... par faute de combattants ! Clopin-clopant, les rescapés n’eurent plus qu’à fuir, cette fois au petit trot, sans demander leur reste.

— Tu as vraiment tardé, sourit Alise avec malice, en accueillant son jeune Seigneur. Encore un peu, et j’allais être obligée de les assommer moi-même… tous les quatre à la fois !

Le sourire de Thibaud illumina son visage. Pour l’heure, il retrouvait sa damoiselle affectionnée, sa bien-aimée fougueuse, d’une gaieté débordante.

— Mais maintenant, il va falloir que tu m’expliques, lui demanda le jeune châtelain.

— Plus tard, Thibaud. Plus tard. Après que je t’aurai montré quelque chose.

En fait de quelque chose, c’était un petit garçon d’une dizaine d’années, complètement apeuré, qui relevait une tête timide par-dessus les grosses branches d’un grand arbre écroulé. Lui et Thibaud se dévisagèrent une seconde, et Alise récupéra le petit inconnu de l’autre côté des fourrés encombrés. Elle se rapprocha, en tirant gentiment l’enfant par la main.

— Qui est-ce ? interrogea Thibaud.

— Je ne sais pas. Il courait seul dans la forêt, et puis il s’est jeté en face de mon cheval. Il était épuisé. Les autres allaient le rattraper. Tu imagines la suite.

Thibaud imaginait. Il connaissait Alise, toujours prête à s’enflammer pour la défense des faibles et le triomphe du bon droit.

— Approche-toi.

Le nouveau venu avait les cheveux roux, et les yeux bleu myosotis. Il portait un sarrau{4} largement déchiré. De plus, des masses d’estafilades écorchaient ses pieds nus. Mais ce qui frappait d’abord, chez lui, c’était sa maigreur stupéfiante.

Ne sachant trop quelle attitude il devait adopter, le gamin s’appuyait alternativement sur une jambe puis sur l’autre. Alise ébouriffa ses boucles courtes et, d’une main protectrice, saisit le petit inconnu en le retenant par l’épaule.

— Quel est ton nom ? lui demanda-t-elle, doucement.

— Laurent, fit-il d’une voix flûtée. Je viens de loin.

Avec la tête, il indiqua une direction, par-delà les collines, ajoutant :

— Merci, mon bon Seigneur, et vous aussi, belle Dame.

Thibaud se sentit fondre. Pour son honneur, en tant que Chevalier, il se devait de protéger les enfants et les pauvres ; si bien que le jeune Seigneur décida :

— La nuit tombe, et ce vallon me semble désert. Nous allons te prendre en croupe. Tu passeras la prochaine nuit en sécurité au château : quelques jours à te réchauffer, et à partager des repas plantureux. De la bonne viande rôtie et des miches craquantes te rempliront les joues.

Un éclat fugitif brilla tout à la fois au fond des yeux d’Alise, et dans ceux de Laurent.

— Saute ! ajouta Thibaud.

En même temps, il tendit la main. Le garçon inconnu ne pesait pas bien lourd.

***

Le château de Malenghin attendait son seigneur. À l’approche du crépuscule, les sentinelles postées en haut de la barbacane{5} avaient allumé des grosses torches qu’elles venaient de fixer entre les meurtrières dominant le pont-levis.

Lorsqu’Alise et Thibaud débouchèrent sur la plaine, une multitude d’appels les précéda. Tous dominaient le bruissement du vent, et le sifflement des chauves-souris.

— Nous sommes bien aise de votre retour, Seigneur, affirma le soldat à qui Thibaud lança sa bride.

L’homme s’en saisit et s’inclina légèrement devant Alise. Il lui maintint son étrier. La jeune châtelaine sauta à terre. Le soldat avait la tête ronde, et il louchait un peu. Enfin, apercevant Laurent qui s’accrochait tant bien que mal derrière la selle de la gracieuse Alise, il ajouta à mi-voix, comme pour lui-même :

— Quelle chasse !

— Je ne te demande rien, réagit du tac au tac Thibaud. Nos chevaux sont en sueur. Va donc à l’écurie. Il faut les bouchonner.

De son côté, Alise avait pris Laurent par la main. L’enfant suivait, sans résistance. Il paraissait toujours craintif. Il marchait doucement, en relevant la tête, impressionné par la hauteur des murailles défensives qui ceinturaient la basse-cour. La jeune châtelaine se retourna, puis elle lança par-dessus son épaule :

— Je le conduis jusqu’aux cuisines. Nous verrons mieux après.

Thibaud les regarda disparaître sous une poterne{6} en grosses pierres brutes que dominait un escalier tournant. Il souriait en lui-même, lorsqu’il entendit un appel en provenance du pont-levis :

— Messire !

Une dizaine de cavaliers franchissaient la herse. L’un d’eux, celui avec un casque noir, s’approcha de Thibaud. C’était un homme puissant, fort solidement bâti, avec des yeux francs et directs.

— Géroult ! Tu m’as l’air bien pressé.

— C’est que nous nous sommes battus. Nous ramenons un blessé. Il y a moins d’une heure, une bande de pillards nous est tombée dessus. Par bonheur, nos adversaires ont été repoussés ; et à cette heure, ils doivent encore courir à bout de souffle, très loin. Hors des limites du fief.

— Tiens, tiens... murmura Thibaud.

***

En ce siècle troublé, de nombreuses troupes armées ravageaient les provinces. Elles faisaient régner la terreur. Le plus souvent, il s’agissait de soldats perdus qui avaient déserté les armées. Ils rançonnaient les paysans pour leur propre compte. Par ailleurs, il pouvait aussi s’agir de nobles sans honneur, gourmands pour la rapine.

À l’origine, protégés par leur forteresse construite d’abord en bois et par la suite en pierres, les châtelains défendaient les paysans en leur offrant le meilleur des refuges si le danger menaçait.

Mais en échange, les nobles levaient des impôts. Aussi la distinction s’établit-elle très vite entre les familles : les unes se transmettaient l’héritage des terres et le pouvoir de commander ; les autres, les familles sans château, étaient nées pour le travail des champs, pas pour la guerre. De son côté, Thibaud organisait de très nombreuses patrouilles. Tous les jours, ses soldats parcouraient de vastes étendues. Ils se portaient aux confins du domaine.

***

— Que veux-tu dire ? s’étonna Géroult devant le visage pensif de Thibaud.

— Moi aussi j’ai fait une rencontre, et à cette occasion j’ai pu me rendre compte que ma gentille épouse a tout pour ressembler à une tigresse sauvage, farouche et indomptée !

— Alors là : entièrement d’accord ! répliqua le soldat en riant. Car notre belle Alise possède, je n’en doute pas, la force et la détermination de dix grands hommes solides !

En fait, Géroult connaissait depuis toujours la jolie châtelaine. Il l’avait vu grandir et, bien plus tard, lorsqu’Alise avait choisi d’accompagner Thibaud à l’intérieur de son château, le brave soldat avait sollicité du père de la jeune fille la permission de suivre les nouveaux épousés. Il portait au jeune couple une amitié sans faille.

— Viens avec moi, je vais te montrer quelque chose.

Géroult sauta à terre. Il flageola un court instant, car ses jambes restaient roides à la suite de sa chevauchée. Puis il déboucla son épée, avant de faire glisser son casque.

— Alise est aux cuisines. Nous allons la rejoindre.

On y voyait clair, sous les voûtes. Des chapons grillaient à la broche. Des miches se doraient dans les fournils, tandis que mille odeurs flottaient dans la grande pièce. Alise leva les bras à l’entrée des deux visiteurs. Mais elle semblait être en grande conversation avec son protégé.

Géroult fixa d’entrée le visage de Laurent. L’étrange petit garçon avait maintenant de la graisse sur les joues, le visage et jusque sur les oreilles. Une pile d’os impressionnante, en équilibre devant lui, témoignait de son appétit. Et il mangeait toujours... !

— Notre petit ami mourait complètement de faim, expliqua Alise. Au cours de ces vingt derniers jours, il ne s’est nourri que de fèves et de noisettes.

Thibaud tenta une explication :

— Nous l’avons trouvé en forêt. Il était poursuivi.

— Tu ne voudrais pas dire ?...

— Si : que les sombres gaillards qui se sont frottés à toi, et que tu as mis en fuite pas plus tard que cet après-midi, devaient rechercher ce garçon.

Géroult s’approcha encore. Il avança la main en direction de Laurent. La question fut directe :

— Qui es-tu ?

— Laurent.

— Et le nom de ton père ?

Le gamin hésita. Une ombre de terreur lui assombrit le visage. Il pressa ses petites lèvres. Il ne répondit rien. Mais Alise se leva. Elle repoussa son banc pour faire mine de protéger Laurent. Elle l’entoura avec ses bras.

— Enfin, vous l’embêtez ! Vous ne vous rendez pas compte que ce garçon est épuisé. Il répondra à vos questions demain, avec le ventre plein et après un bon bain, à la suite d’une grande nuit. Une fois le jour levé, nous y verrons plus clair.

Presque penauds, Thibaud et Géroult ne surent que répondre. Mais pourquoi donc Alise avait-elle empêché le petit garçon de parler ? Qu’est-ce que la jeune Châtelaine avait dans l’idée ?

Pendant ce temps, Laurent engloutissait, le plus vite qu’il le pouvait, une quantité de nourriture des plus étourdissante !

Plus tard, Thibaud, accompagné de Géroult, se tenait accoudé contre la margelle d’un puits creusé dans la cour haute.

— Je n’y comprends vraiment rien, fit Géroult. Ce petit étranger n’est pas un paysan... Et que devons-nous penser de ces hommes d’armes qui sont venus nombreux pour le poursuivre, jusque dans nos forêts ?

— Sans compter sa maigreur qui me semble impressionnante. Il n’a ni chair ni muscles : que des os.

— D’où vient-il ?

— Grave question, lui répondit Thibaud. Mais Damoiselle Alise va résoudre ce mystère très bientôt. D’autant, ajouta-t-il, que notre petit pensionnaire m’a donné l’impression de porter à ma mie un attachement extrême.

La nuit était profonde, et des nuages épais couvraient presque entièrement la lune. Au château, les cours s’obscurcissaient. De nombreuses silhouettes, portant des brandons{7} enflammés, se croisaient sur le chemin de ronde. On avait relevé le pont-levis. Chacun se préparait pour un sommeil profond.

— Tu n’as pas remarqué quelque chose de curieux ? questionna d’un seul coup Thibaud.

— Non, je...

— Eh bien, notre jeune ami n’est pas de ce pays. Il parle comme un Anglais.

***

2. La Disparition

Thibaud eut un mal fou à s’endormir. Au fil des heures, il n’en finissait pas de se retourner entre ses couvertures, sous ses peaux de loup. Il avait tantôt chaud, tantôt froid.

Par une fenêtre étroite qui s’ouvrait vers le sud, se glissait le vent de la nuit. Il apportait une odeur de bois mouillé, tout comme celle des bourgeons au seuil de l’éclosion.

À intervalles réguliers, les cris hurlés des sentinelles postées sur les remparts se répondaient l’un l’autre. La lune disparaissait, le plus souvent, sous les nuages.

Un bref appel de trompe{8} fit se dresser le jeune châtelain. Mais non, il n’avait pas rêvé. Quelque chose d’inhabituel venait de se produire. Le temps qu’il quitte son lit, Thibaud perçut une cavalcade. Des hommes devaient courir. De nombreux cliquetis marquaient les chocs des casques, celui des épaulières.

Il saisit son épée directement par le fourreau. À peine vêtu, il dévala un escalier avant de se retrouver sur le plancher du pont-levis protégeant le donjon.

Thibaud s’orienta. Vers l’enceinte nord, une bonne dizaine de torches illuminaient les hourds{9}. On semblait y parler haut et fort.

— Que se passe-t-il ? Pourquoi tant de tumulte ?

Des hommes lançaient des fagots enflammés par-dessus les murailles. Mais ce pauvre éclairage ne durait qu’un instant, sans compter que les foyers, dispersés par le vent, ne grignotaient l’obscurité que sur une dizaine de pas.

L’eau des douves{10} restait noire, profonde, avec ses berges touffues, débordantes de roseaux aux feuilles longues et acérées. Thibaud écarquilla les yeux. Il ne comprenait pas. Un soldat expliqua :

— Une troupe d’hommes armés rôde autour du château, et ils n’ont répondu à aucun de nos appels. Une de nos sentinelles a déclenché l’alarme.

— Avec raison ! Mais nous ne devons pas avoir peur. Nos murailles sont solides, et nos gens combatifs.

— Messire, ils sont nombreux...

Déjà, Thibaud se détournait. Il se penchait très bas à travers les créneaux au risque de perdre l’équilibre.

— Inutile, vous ne verrez rien. Dès qu’ils ont aperçu nos feux, ils se sont reculés. Je rassemble une escouade pour leur courir après ?

— Mais non, certainement pas, car ta poursuite ne servirait à rien, Géroult. Que pourrais-tu tenter au milieu d’une telle nuit... à part tomber dans une embuscade ?

Le Capitaine s’éloigna. Mais, aussitôt après, il revint sur ses pas : il marquait sa réprobation en roulant exagérément des épaules. Thibaud resta longtemps debout, au plus haut de l’enceinte. Il n’avait plus sommeil et l’air frais le revigorait. Il parla dans le noir :

— Tes adversaires d’hier ne se sont pas enfuis, ou alors ils sont revenus. Ils cherchaient quelque chose. Ils ne lâcheront pas leur proie, pas aussi facilement.

Géroult venait juste d’échanger deux ou trois mots avec une sentinelle. Il saisit son Seigneur, par le bras :

— Inutile de parler par énigmes, Thibaud. Nous savons, l’un et l’autre, pourquoi ces cavaliers sont là.

— Ou plutôt... pour qui.

— Tu as raison. Pour qui ? Pour ce jeune inconnu, ce gamin famélique, qui a l’air d’avoir peur de tout le monde.

Les solides mains de Géroult se firent alors plus dures. Il les serra toutes deux. Les ombres nocturnes sculptaient, sur son visage fermé, des grandes rides verticales. Il poursuivit :

— Dame Alise a le don d’inspirer la confiance. Qui sait quelles confidences elle a pu recueillir ? Bon sang ! Il me semble évident qu’il doit bien sortir de quelque part, ce petit inconnu ! Pour moi, c’est un fuyard. Ça ne fait aucun doute. Mais que fuit-il ?

— Tout beau, ami. Tout beau. La nuit nous porte sur les nerfs. Mais je pense que tu as raison. Alise sait beaucoup de choses. Tu as dû remarquer la manière dont elle nous a parlé, hier soir, au dîner.

— Bien sûr. Ta Dame se jouait de nous. Elle s’amusait de notre curiosité.

— Déjà un point : pour l’heure, elle dort ; et Laurent, aussi. Il n’y a rien d’autre à faire. Demain sera un autre jour.

Géroult, accompagné de Thibaud, descendit l’escalier qui conduisait directement à la plus basse des cours. Autour d’eux, désormais, l’agitation nocturne semblait avoir cessé ; seuls se détachaient les croassements des batraciens pour hacher le silence.

***

Le jour à peine levé, ils se retrouvèrent à plusieurs, équipés de pied en cap, auprès du pont-levis qui venait juste d’être abaissé. Une dizaine de paysans attendaient patiemment, de l’autre côté des douves. Chacun était chargé de plusieurs volailles, de lait et de pots en équilibre instable sous des balanciers. Les premières heures sont les meilleures pour faire un bon commerce !

Déjà, trois écuyers avançaient les chevaux. Dix hommes, tous à peine réveillés, couraient en grand désordre, bouclant à la va-vite la ceinture de leur épée.

— Allons-y, commanda Géroult.

Il fut le tout premier à passer de l’autre côté. Thibaud entreprit de le suivre. Quelque peu en arrière, les autres activaient leurs chevaux.

Des brumes stagnaient sur la forêt. Les bêtes marchaient avec précaution, évitant les pierres trop coupantes et la boue gorgée d’eau. La lourde odeur des feuilles donnait à l’air glacé une consistance poisseuse.