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Daléor est un monde aux multiples peuples qui, grâce aux conseillers-mages, vivent en paix. Mais une paix fragile qui ne tient qu’à un fil. Lorsque Lana, une jeune conseillère en devenir, est soudainement congédiée et renvoyée à Furlian, ville à laquelle elle a été arrachée étant enfant, un déséquilibre s’opère. Une alliance de royaumes, un conseil de mages et au milieu, Lana.
À PROPOS DE L'AUTEURE
Enseignante en lettres et en histoire,
Karine W. Meyer écrit depuis l'Alsace où elle puise son inspiration pour ses thrillers ou ses romans de Fantasy. Passionnée d'histoire et de culture, engagée dans de multiples causes, elle adore inventer des histoires tout en y intégrant subtilement ses thèmes de prédilection. Avec sa plume impétueuse et pertinente, Karine entraîne ses lecteurs dans les méandres de son univers en mélangeant habilement réalité et fiction.
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K. W. MEYER
Fantasy
Du même auteure
Un dernier sortilège
Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les
Éditions La Grande Vague
Site: www.editions-lagrandevague.fr
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-38460-067-0
Dépôt légal : Novembre 2022
Les Éditions La Grande Vague, 2022
« Les peuples qui ne réfléchissent pas sur leur passé sont condamnés à le revivre."
George Santayana, 20ème siècle
« On ne baigne jamais deux fois dans le même fleuve »
Héraclite, 6ème siècle avant l'ère commune
Remerciements
Ce rêve s’est accompli grâce au soutien de personnes formidables.
Martine, tu es entrée dans ma vie et tu as œuvré, année après année, pour que ce projet aboutisse. Aujourd’hui, tu es une amie inestimable, et ce roman, il te doit la vie. Merci pour tout.
Mon mari, ma fille, qui supportent mes longues heures de transe devant l’écran. Vous êtes tout pour moi.
Mes parents qui, chacun à leur façon, m’apportent un soutien infaillible.
Ces premiers lecteurs et lectrices qui m’ont fait frémir quand ils ont apporté leur premier avis, parfois sur une version de ce roman qui n’est plus que l’ombre de l’actuelle : Anaïs et sa maman, Véronique, Marine, Chris, Eliette, Evelyne, Mélie, Charlène, Elodie, Alice, Audray, Amélie, Cathozie, Anne, Amandine, Philippe, Michel, Viking ou encore ddcoucou. Vous avez tous permis à ce récit de décoller.
Natali et Yves Roumiguieres, mes éditeurs. Chaleureux, enthousiastes, toujours à l’écoute, ils représentent la maison d’édition rêvée pour chaque auteur et autrice en France.
Enfin, vous, lectrice, lecteur, qui vous êtes procurés ce roman. Je vous souhaite de tout mon cœur de frémir au gré des péripéties qui attendent les personnages des Mémoires Oubliées. J’espère vous surprendre jusqu’à la dernière ligne.
Tome 1
Les Chimères d’une Étincelle
1
Les terres de feu
« Farwel, pays du feu.
Des roches aussi rouges que les flammes, des déserts aussi arides que le cœur de son peuple.
En son centre, les chaînes des Alpoges déchirent l’air comme autant de dents acérées. Dans le cœur de cette mâchoire infernale, les canyons du Mort-Sec garantissent l’ultime voyage vers l’Abime. Les Farweliens ont construit un chemin au prix de mille vies, mais il ne fait aucun doute que l’emprunter résonne comme un pari. »
Les pérégrinations d’une Sokalienne, p.447
Des pas se rapprochèrent. Les amants retinrent leur souffle. Les pas s’éloignèrent. Un long soupir de soulagement brisa alors le silence.
La première voix, masculine, se tut. Lana pouvait presque entendre les pensées de Chelaz bourdonner. Elle savait que ses arguments ne le rassuraient pas. Sa vie en dépendait, mais il n'aurait jamais osé la contrarier. Pour éloigner ses pensées des bruits que faisaient la nouvelle arrivée à l'étage inférieur, elle tourna le visage vers son amant et l'observa.
Chelaz G'nila était sa première expérience. En quelques lunes à peine il lui avait appris tout ce qu'il savait. Elle avait par la suite largement enrichi leurs activités restées secrètes. Elle se demandait si toutes les femmes avaient ces instincts en elles, cette connaissance enfouie. Comme elle regrettait de ne pas pouvoir en parler avec les femmes de Furlian, sa mère en premier lieu. Comme elle regrettait de ne pas s'être intéressée plus tôt à ces choses passionnantes, auquel cas elle aurait eu de sacrées discussions avec ses vieilles amies...
« Elsa, Pénélope, comme vous me manquez mes sœurs... » Depuis combien de temps ne les avait-elle pas vues ? La moitié d'une année ! Que faisaient-elles, en cet instant ? Ah, si elles pouvaient la voir, étendue dans son lit en si charmante compagnie. « Elles glousseraient dans mon dos, à coup sûr ! » Cette pensée la fit sourire.
Le cœur de la jeune femme bondit dans sa poitrine. Elle se ressaisit rapidement et se dressa sur un coude.
Les bruits de pas, qu'elle n'avait cette fois pas entendus se rapprocher de la toile rabattue de sa chambre, s'éloignèrent. Rassurée, Lana se tourna vers son voisin.
Lana sourit, puis passa un doigt délicat sur les joues du jeune homme qui fronça les sourcils.
Chelaz risquait sa vie chaque fois qu’il venait la voir. Malgré le passage du temps, Lana ne s’était toujours pas habituée aux mœurs de son peuple. Après tout, elle n’était de retour que depuis six lunes ! Elle soupira de lassitude.
Le jeune homme sourit tristement. La jeune fille avait conscience de lui parler de choses qui lui paraissaient irréelles, à des années lumières de ce qu'il connaissait, de son quotidien, de son unique repère. Des fossettes se creusèrent sur la peau constellée de taches de rousseur de son amant. Elles avaient toujours ravi Lana, qui reprit :
Lana referma les yeux. La ride du lion, entre ses sourcils, se creusa et lui donna un air renfrogné.
Le jeune homme posa une main sur la poitrine de son amante. D'abord étonnée, elle apprécia le geste par un ronronnement.
Lana s’apprêtait à lui répondre, mais il verrouilla ses lèvres en la devançant :
La jeune fille éclata de rire, avant de lui envoyer mollement un coussin sur la figure.
La mine de Chelaz parut brusquement s’assombrir. « Aïe, qu’est-ce que j’ai encore dit ? » Son amant se leva alors et s’assit sur le rebord du lit. Il tournait le dos à la mage. Quand il s’adressa enfin à elle, de la tristesse teintait le timbre de sa voix.
Lana, dépitée, ne lui répondit pas. Chelaz se répétait et elle ne savait plus comment le convaincre que cette culture n'était pas la normalité. Rien n'y faisait. Il l'écoutait, mais ne cernait pas ses arguments. Lana avait fini par admettre que le jeune homme aurait souffert à essayer de changer son monde, il aurait dû s'enfuir pour ne pas payer de sa vie ses tentatives pour dessiller les yeux de ses proches. Contrairement à elle, qui passait pour une fantasque respectée grâce à son sexe et son grade, les Farweliennes ne respecteraient jamais les propos d'un homme. Et puis, il était également possible que ses propos l'effrayent. Il valait mieux pour Chelaz qu'elle taise ses idées, elles ne pouvaient lui apporter que du mal. Par leur simple relation, cachée entre les murs de sa chambre, Lana espérait lui apporter autant qu'il lui apportait.
Chelaz n'eut besoin que d'un instant pour sortir du lit et s'habiller sous le regard sérieux de sa compagne. Lorsqu'il eut fini, il se tourna vers Lana. Elle n'avait pas bougé. Ils échangèrent un dernier regard et se sourirent. Puis le jeune homme saisit son panier et enjamba la fenêtre. La jeune femme remercia les Dieux pour un détail salvateur. À Farwel, les chambres étaient toujours situées au niveau du sous-sol, protégeant ainsi ses résidents endormis de la chaleur. La chambre de la mage était localisée exceptionnellement en rez-de-chaussée, ce qui favorisait leurs rencontres. Son amant n'avait qu'à se faufiler discrètement dans le jardin avant de disparaître à l'intérieur des murs protecteurs, complices de leur histoire défendue.
Aucun passant ne devait remarquer sa sortie depuis la fenêtre. Discret comme une ombre, il rejoignit la route et redevint un homme tel qu'on les estimait dans le pays du feu.
***
« Misère de misère. »
Encore un pas.
« Misère. »
Encore un pas.
Et ce sac, dont le poids torturait la nuque d’Eskir, n’arrangeait rien. Pas plus que les brûlures sur sa peau nue, le souffle de ses voisins épuisés, ou ses lèvres sèches et craquelées. Mais coûte que coûte, Eskir devait garder une mine inexpressive.
Devant lui, sa femme menait la marche. Elle chevauchait un équidé élancé à la robe baie, qui ne semblait nullement inquiété par la chaleur ni par la durée du trajet. Sa femme, contrairement à lui, portait un turban de couleurs dont un pan lui recouvrait la moitié inférieure du visage. Des vêtements amples, bleu foncé, éloignaient les rayons brûlants de sa peau à la couleur de miel. Ponctuellement, elle hurlait quelques mots secs, sans tourner la tête. La cadence augmentait ou diminuait au son de sa voix et Eskir, pas plus qu’un autre, ne cherchait à la contrarier.
« Misère, je n’en peux plus… »
Lorsque le soleil approcha de son zénith, la femme aboya un seul mot, et la troupe s’affaissa sur un élargissement du chemin. Eskir laissa alors échapper un murmure de soulagement. La meneuse descendit de sa monture, saisit un tapis enroulé près des étriers et le déroula au sol pour s'asseoir. Sur un claquement de langue, Eskir se précipita vers son équidé et lui rapporta une longue gourde fabriquée à partir de peaux dont la fourrure brillait au soleil. Sous les regards faussement désintéressés, sa femme pencha la gourde et but à petites gorgées le liquide de vie. Elle prit son temps. Finalement, elle rendit la gourde à Eskir. Alors seulement, l'un après l'autre, les hommes se passèrent la gourde, dont le fond paraissait sans fin, pour étancher leur soif.
« Par les Dieux ! Que ça fait du bien ! »
Le groupe fit silence, moins pour admirer la vue qu'il connaissait déjà que pour savourer un repos mérité. Quand enfin leur femme se releva, les hommes bondirent sur leurs jambes et se remirent en rang.
« Dernière ligne droite. »
Une heure plus tard, la cité de Furlian faisait son apparition. Lorsqu’il put discerner ses remparts, ses champs et ses puits, Eskir retrouva un regain d’énergie. Bientôt, il pourrait apprécier un peu d’ombre. Avec un peu de chance, il aurait droit également à un brin de repos. À cette pensée, Eskir se moqua de lui-même « Haha ! Je peux toujours rêver. »
Le groupe traversa les champs de céréales et les vergers d'orangers et d'oliviers, dont la survie ne dépendait que de l'ingéniosité des hommes, sans qu'aucun travailleur ne les accoste. Une fois parvenu dans les quartiers sud de Furlian, Eskir aperçut l’élégante demeure qui avoisinait un minuscule parc de plaisance. La poussière recouvrait à peine ses façades blanches. « Enfin arrivé ! »
Lorsqu’il pénétra à l'intérieur de la demeure, il put apprécier sa fraîcheur. Eskir poussa un discret soupir de bien-être.
***
L'esprit occupé par la merveilleuse matinée passée avec Chelaz, Lana ne contredit pas Sibil. Elle ne pouvait préciser quels sentiments elle ressentait pour le jeune homme, mais elle l'aimait beaucoup. Ses moments avec lui faisaient partie des plus beaux qu'elle ait connus dans sa courte existence.
Une ombre passa. Chelaz serait bientôt le mari d’une femme dont le foyer en comptait déjà six. Une femme deux fois plus âgée que lui. Le jeune homme serait alors emprisonné dans sa nouvelle demeure, partagé entre l’éducation des plus jeunes et les services domestiques. Il lui serait impossible de s'échapper et encore moins de survivre s'il se faisait attraper auprès d'une amante. Ils en avaient longuement parlé. Le temps jouait contre eux, rendait leurs rencontres encore plus importantes.
Lana lâcha sa cuillère, qui aspergea la table d'une sauce brune acidulée. L'un des neuf maris de sa mère se précipita pour éponger le tissu protecteur et lui amener une nouvelle cuillère. Il avait réagi plus rapidement qu'une ombre. La jeune femme n'eut pas l'esprit de le remercier ni de lui faire remarquer qu'elle ne voulait pas d'un autre couvert.
« Déjà de retour ? Ils ne devaient pas revenir avant deux lunes ! »
Lana sentit son cœur tambouriner. Elle allait retrouver Eskir. Sa mère devina ses pensées, car elle lui envoya un sourire complice.
Zarabi Q'Aaykin les reçut avec chaleur dans sa grande demeure, mais elle cachait difficilement son agitation. Cette superbe femme à la chevelure blond décoloré possédait un regard d'acier. Mieux valait ne jamais la contrarier.
Lorsqu’elle vint à leur rencontre, la maîtresse des lieux ne manqua pas de houspiller un jeune garçon pour une simple lampe mal placée. Les deux invitées conclurent que l'humeur agitée de Zarabi trouvait son explication dans le motif de son retour anticipé à Furlian. Elles obtinrent des réponses dans le séjour lumineux, tandis qu'elles dévoraient de délicieux biscuits aux fruits séchés, installées sur de confortables coussins.
La famille escomptait rallier Chakraa puis la capitale, Q'kuelyan, à l'ouest du pays. Zarabi menait des négociations pour l'obtention de produits capitaux dans la lutte contre les maladies subies par les récoltes ces dernières années. Elle souhaitait récupérer elle-même les biens sur place. « On est toujours mieux servi par soi-même », répétait-elle sans arrêt.
Lana pensait que sa tante, si elle était née à l'ouest, serait probablement devenue officière dans l'armée officielle de Farwel. Sa voix puissante portait aux quatre coins de son domaine.
Sibil hocha la tête. Lana n'en pensait pas moins concernant la nécessité d'un approvisionnement, mais ne comprenait pas pourquoi les marchands de Q'kuelyan avaient annulé la transaction lorsque sa tante était revenue à Furlian. Elle aurait dû leur demander un report de leur rencontre, après l'obstacle rencontré à Akmiel. Ces marchands devaient être suffisamment intéressés par son argent pour patienter. La jeune femme ne connaissait cependant rien du commerce à Farwel, aussi garda-t-elle ses pensées pour elle. Sa tante continua, visiblement ravie de pouvoir vider son sac :
« Blabla… » Quand sa tante commençait à parler, on ne l’arrêtait plus. Mais Lana devait faire bonne figure, afficher une attention constante. Il aurait été trop étrange qu’elle fausse compagnie à sa tante alors qu’elle venait seulement d’arriver. En tant que conseillère, elle allait devoir affronter moult discours ennuyeux, autant s’habituer le plus tôt possible. Elle manifestait de l’intérêt pour ses péripéties, mais ses pensées se dirigèrent ailleurs.
Eskir. Elle était sur le point de le revoir ! Arriverait-elle enfin à lui arracher des souvenirs d’une enfance qu’elle avait oubliée ? Connaîtrait-elle un jour les circonstances de la révélation de son Don ? Eskir savait toutes ces choses, mais surtout, il vivait difficilement le fait de les lui cacher, contrairement aux autres. Elle le sentait ! La dernière fois qu’elle l’avait vu, il n’avait pas été loin de les lui raconter.
Et puis, que pouvait-elle faire d’autre ? Perdue au fin fond de Farwel, punie pour une raison qui lui échappait, privée de la présence de ses amies, de son véritable foyer, il ne lui restait plus qu’à fureter sur les traces de son passé. Ainsi, elle oubliait aussi - en partie - qu’elle ne supportait pas ce pays. Si elle écoutait son cœur, elle capturerait Chelaz et s’enfuirait à dos de zerti.
« Ma pauvre fille, il n’y a que dans les contes de Riaki que la vie est aussi simple. »
Lana prit soudain conscience du silence installé entre les femmes. Sibil et sa sœur buvaient tranquillement leurs tisanes refroidies, et elle en fit autant. « C’est le moment. »
Remerciant Zarabi, la jeune femme demanda à se retirer de la pièce pour aller respirer dans le petit jardin annexe. Sa tante devait savoir ce qu'elle tramait, mais elle n'en montra rien. L'autorisant à se retirer, elle porta son attention sur Sibil, tandis qu'un jeune homme soulevait la lourde toile de la porte pour laisser passer la jeune femme. Lana le remercia, ce qui ne choquait plus personne, et quitta le séjour.
Son père devait être dans le jardin, le jour était assez avancé pour permettre l'arrosage parcimonieux des cactus impériaux.
La jeune femme avait correctement deviné. Eskir Q'Aaykin s'occupait de l'entretien des plantes en fin de journée, et les cactus de Zarabi avait besoin d'eau quotidiennement, contrairement à leurs cousins sauvages. En contrepartie, ils présentaient des fleurs exquises, dans les couleurs chaudes, aux pétales larges et légèrement parfumés. Il s'agissait d'un luxe dans ces contrées, où l'eau était précieuse, mais Zarabi avait les moyens et les cactus demandaient peu d'entretien.
Avant de le rejoindre, Lana s’arrêta un instant près d’une colonne pour observer son père. La couleur de ses cheveux ne laissait aucun doute quant à l’ascendance de la fille unique de Sibil. Aucun autre mâle Q'Aaykin n’arborait ces cheveux flamboyants. La jeune femme fronça le nez. Dire que sa mère et sa tante avaient partagé le même homme !
À cet instant, les gestes précis d’Eskir trahissaient tout l’amour qu’il portait aux plantes. Lana trouvait dommage de devoir l’interrompre, briser le charme, mais elle n’avait pas le choix. « Aujourd’hui, je vais peut-être savoir ! » Elle inspira profondément, puis s’avança.
Lorsque la jeune femme s'approcha de lui, Eskir ne cessa pas son activité. Embrasser ou prendre la jeune fille dans ses bras aurait été une faute impardonnable. Toutefois, il ralentit la cadence afin d’accueillir sa fille avec un large sourire. Sa peau brûlée par le soleil présentait des couleurs inquiétantes, mais Lana fut surtout choquée par la présence d’une cloque sur son bras droit.
Lana aurait adoré conclure sa phrase par l'emploi du mot « père », mais l’idée était impensable. Les oreilles traînaient avec l’efficacité des serpents des sables. L'étudiante mage osa alors interroger son père sur le motif de sa visite :
L'homme ouvrit de larges yeux à l'iris clair, puis fronça les sourcils. Il devait probablement s'attendre à tout, venant d’elle.
Elle sentit grandir son remord, lutta pour le mettre de côté.
Eskir était sincère, même si Lana le suspectait de vouloir retarder la question fatidique. Le remord remonta dans sa gorge, elle l’étouffa.
« Je suis désolée Eskir, mais vous ne détournerez pas mon attention, encore moins sur les sentiments d’une femme aussi égocentrique que Zarabi… »
Lana remarqua le soudain intérêt d’Eskir pour une fleur à épines. Elle comprit qu’il cherchait désespérément une diversion, mais elle ne pouvait attendre plus longtemps dans l’incertitude. Elle avait l’âge de savoir. « Et de comprendre pourquoi on me tait mon propre passé ».
L'homme affichait une gêne manifeste. Il resta silencieux. Lana ne tarda pas à se sentir stupide, et tenta de se rattraper. « Le pauvre, je suis vraiment impitoyable… » Jetant un regard aux alentours, elle se rassura sur l’absence de proximité immédiate de toute oreille indiscrète. Elle choisit alors de tutoyer son père afin de renforcer leur lien. Comme elle se sentait ignoble, le pauvre homme avait tant de soucis à se faire ! Mais elle ne tenait plus.
Eskir afficha une mine sombre. Puis il confirma :
Une gifle n'aurait pu choquer davantage la jeune femme. Elle ne s'était absolument pas attendue à cette réponse. Elle avait pourtant mille fois envisagé de multiples hypothèses, parmi lesquelles un interdit formulé par le Conseiller Suprême à l’attention des Q'Aaykin, dans la lettre expliquant le retour momentané de Lana au pays. Face à elle, Eskir se tortillait, brusquement mal à l’aise.
Il chercha à capter son regard. Puis il cessa de gesticuler et lâcha :
Lana était perdue. Son cœur battait à tout rompre. Eskir était sage, il avait raison, et il l’étonnait toujours. L’imminence de la révélation d’un élément aussi tabou de son passé l’effraya soudain. L’information risquait de changer sa vie. N’allait-elle finalement pas le regretter ? Néanmoins, impossible de reculer, elle touchait enfin au but !
« J’attends ça depuis des lunes, je ne vais pas tourner les talons maintenant ! » Eskir remarqua son malaise.
Si elle décidait maintenant de rebrousser chemin, elle savait qu'elle allait passer le restant de ses jours à le déplorer. Il était trop tard. Et si elle voulait grandir, elle devait savoir. Sa voix tremblait quand elle répondit :
L'homme, dont les gestes étaient devenus aussi imprécis que ceux d'un vieillard, la jaugea du regard. L'angoisse évidente de sa fille le poussa visiblement à achever son attente.
Eskir marqua une pause, indécis. Sur le point d'imploser, Lana bouillonnait intérieurement et ne se souciait plus de savoir si d’autres hommes se trouvaient dans leur entourage.
Lana avait les yeux grands ouverts, perdus dans le vide. On appelait jugement la terrasse surélevée utilisée lors des annonces publiques pour la vente, au milieu de la place centrale de Furlian. Mais elle servait également de place dédiée aux sanctions infligées aux criminels ou aux délinquants. La juge annonçait alors la sentence. Il pouvait s’agir de simples corvées d’intérêt général, ou pour des particuliers, de châtiments corporels, voire de torture ou de peine de mort. Mais ces deux dernières étant très rarement appliquées. Les hommes avaient malgré tout une valeur pécuniaire. La voix d’Eskir sortit Lana de ses pensées.
La bouche sèche, la mage avait l’impression que son père lui parlait de quelqu’un d’autre. Elle ne se reconnaissait absolument pas dans la description de l’enfant cruelle qu’Eskir lui présentait.
La mage frémit.
Dans un coin de sa tête, Lana s’interrogeait sur le lien entre cette histoire et la révélation de ses pouvoirs. Toutefois, suspendue aux lèvres d’Eskir, elle le laissait dérouler sans impatience son souvenir. Elle apprenait à connaître l’enfant qu’elle avait été. Une fillette parmi d’autres dans la culture de son pays d’origine. Si la révélation de son Don ne l’avait pas tirée de Farwel, elle serait devenue une femme aussi prétentieuse et injuste que sa tante !
Son père lui répondit alors :
Si elle s’était sentie un jour impuissante ou vulnérable, Lana ne s’était jamais positionnée en victime. Le terme employé par son père l’avait perturbée.
« Ne me dites pas que la juge a déclaré un autre verdict ? Pire que ça ? »
Lana était sur le point de défaillir. Si elle avait été témoin de cette scène une fois adulte, elle ne les aurait jamais laissé faire. Elle n'aurait jamais autorisé une telle violence, encore moins sur un enfant, et encore moins pour d’aussi absurdes motivations. Elle éleva la voix.
« Quoi ? » Observant Eskir, Lana remarqua un tic de paupière. Il s’expliqua aussitôt à voix basse, à toute vitesse.
Lana resta coite.
Il déposa son arrosoir et recommença à se tortiller. Pendant que Lana réfléchissait, son père exprimait un malaise évident. Il sembla soudain regretter sa décision. La jeune fille comprit. Une douche froide la paralysa de la tête aux pieds, tandis qu’elle murmurait :
Le cœur de la mage rata quelques battements. Elle sentit ses poumons se vider. Un malaise brutal l’obligea à s’accroupir. Elle ventila. Les bruits alentours ne l’atteignirent plus, et tandis qu’elle basculait en avant, elle perdit connaissance.
Lorsque la mage se réveilla, quelques minutes lui furent nécessaires avant de se remémorer progressivement les événements récents, ainsi que les raisons de sa présence dans une chambre souterraine appartenant à sa tante. Elle se crut d'abord seule, avant de prendre conscience de la présence de l'une de ses cousines, endormie dans un fauteuil. Elle ne se soucia nullement de préserver le sommeil de cette dernière, une adolescente rondelette et toujours enjouée prénommée Kialine. On lui avait raconté que, petites, elles étaient inséparables. La cousine avait gardé de bons souvenirs. Lana, aucun. Lorsque la mémoire lui fut totalement revenue, son sang ne fit qu'un tour.
Lana se saisit les joues et ferma les yeux, elle ne cessait de répéter ces mots à voix haute. Croire aux paroles de son père était une étape, intégrer qu'elle allait vivre le restant de ses jours avec cette donnée monstrueuse sur son passé en était une autre. Son esprit refusait d'accepter les faits. Comment avait-elle pu les oublier ? Pourquoi ? Était-ce un mécanisme de défense ? Elle était si jeune lors de l'accident. Elle aurait tout donné pour effacer cette réalité insupportable. Revenir en arrière.
« Oublier ».
Revenir si loin dans le temps qu’elle n’aurait jamais refoulé le sol de Farwel…
La jeune femme interpellée tourna un regard effaré vers l'origine de la voix endormie. Kialine, à peine réveillée, s'approchait du lit. Les yeux plissés par la fatigue ne cachaient pas son appréhension. Lana se surprit à penser qu'elle s'inquiétait peut-être plus de sa réaction que de son état de santé. Elle se força à ordonner ses pensées.
La jeune fille de seize ans ne répondit pas, mais se mordit la lèvre inférieure. Elle sembla hésiter, ses doigts commencèrent à s'entremêler. Au milieu du chaos émotionnel, Lana ressentit une pointe de gêne pour sa cousine, mais elle était bien trop bouleversée pour lui venir en aide. Finalement, Kialine trouva une parade.
Lana acquiesça. Kialine courut plus qu’elle ne marcha vers les tentures de la porte, éteignant presque une torche murale sur son passage précipité, et sa disparition laissa à la jeune femme alitée l'opportunité de se concentrer pleinement sur ses émotions.
Pourquoi ne lui avait-on rien dit ? Pourquoi le Conseiller Suprême lui avait-il caché son passé ? Avaient-ils tous vraiment cru que la réalité ne rattraperait pas un jour la petite fille d'autrefois ? Ils avaient provoqué une situation insoutenable qui ne pouvait qu'arriver, celle d'apprendre à un âge trop avancé un élément de son passé qui modifiait incontestablement le regard qu’elle portait sur sa vie. Et sur elle. Un élément si terrifiant qu'il était impossible pour elle de ne pas se voir sous les traits d’une meurtrière. Certes, elle était alors une enfant, mais pour Lana, l’argument ne changeait rien.
« J’ai brûlé vif un petit garçon ! »
Et si, au fond, tous ses cauchemars étaient liés à ce traumatisme ?
L’esprit de Lana fit un bond dans un passé récent, bien loin de Farwel et des mœurs d’un peuple qu’elle ne comprenait pas…
2
L’académie
« Lorsque leur don se révèle, leur malédiction commence.
Ils perdent tout, même leur identité. En échange, leur nom accède à l’immortalité.
Ces enfants sont les garants de la paix. Sans eux, sans leurs sacrifices, la plupart des races s’éteindraient, annihilées en silence par la loi du plus puissant »
Les pérégrinations d’une Sokalienne, Tome II, p.12
Six lunes plus tôt…
Dans le couloir, de nombreux étudiants attendaient. Des humains, pour la plupart. Tous vêtus de leur vêtement de nuit, le visage inquiet.
Lana Q'Aaykin était assise dans son lit, ses yeux grands ouverts perdus dans le vide. Ses cheveux de feu et sa chemise de nuit étaient collés à sa peau couleur miel, révélant sa maigreur inquiétante. La mage de seize ans les avait encore réveillés, hurlant à la nuit comme à chacune de ses périodes de cauchemars inexplicables. Depuis, elle restait statique, insensible aux tentatives de ses amies pour la ramener à elle.
Face à elle, son aînée de près de dix années, Pénélope Kiosa, noire de peau comme de cheveux, transpirait presque autant que la jeune fille. Ses muscles tendus ressortaient sur ses bras et ses yeux clairs ne lâchaient pas les iris vert forêt de son amie. La télépathe usait de ses facultés pour ramener la cadette à la réalité.
En retrait, Elsa Elshedo, une jeune femme brune de l’âge de Pénélope, fixait la scène, sourcils froncés.
Quand, enfin, Lana sembla reprendre ses esprits. Elle susurra lentement :
Lana n’avait pas encore récupéré. Elle secoua doucement la tête, semblant remettre ses idées en ordre, avant de murmurer :
Lana évitait constamment d'en parler, après coup. Une fois qu'elle avait retrouvé toutes ses facultés, son esprit se refermait aussi efficacement qu'un coffre scellé, dont ses amies ne possédaient pas les clefs. Ces dernières devaient donc user de tous leurs talents pour la faire parler dans les secondes qui suivaient son retour.
Pénélope ne sut de quelle manière terminer sa phrase sans pousser Lana dans ses retranchements. Elle fut rassurée lorsque la mage du feu répondit d’une voix où perçait une certaine précaution.
Perplexe, Pénélope hocha doucement la tête.
Lana fronça les sourcils sous l’effet de la concentration et un V s'inscrivit au-dessus de son nez, sous un front encore perlé de sueur.
La jeune fille se mordit les lèvres, ferma les yeux. « La pauvre, songea la télépathe. D’abord les insomnies, puis la perte de l’appétit et sa peur constante de frôler la mort. » Quelque chose lui échappait. Quelque chose d’essentiel. Et bientôt, elle ne serait plus auprès de Lana pour lui apporter du réconfort. Elle allait la perdre, comme elle allait perdre Elsa.
Lana saisit le bras de la télépathe, avant de fermer les yeux. Elle sembla lutter contre les larmes. Maternelle, Pénélope passa une main réconfortante sur le bras de la jeune fille. Tandis que cette dernière fermait les paupières, elle se tourna vers Elsa, lui intima le silence.
La mage brune se renfrogna.
***
Le reste de la nuit s'écoula sans autre incident. Lorsque les rayons du soleil finirent par réveiller le visage pâle de Lana, cette dernière émergea d'un sommeil réparateur. Ou était-ce l’œuvre de son énergie ? Elle ne pouvait le dire.
Elle se souvint alors de son rêve, mais déjà il ne faisait plus qu’écho dans la douleur. Des événements relatés à ses amies, elle avait en tête les paroles, mais elle ne se souvenait plus les avoir vécus. Puis elle fronça les sourcils à l'idée des interrogatoires qu'elle allait subir dans la journée. Comme toujours, ils seraient vains, ne serviraient qu'à la déstabiliser et à maintenir les inquiétudes des étudiants et des enseignants à son égard. Mais il fallait bien baisser un peu les yeux, exprimer de l'humilité, lorsqu'on avait réveillé plusieurs dizaines de personnes au beau milieu de la nuit...
Enfin décidée à affronter la journée, Lana aéra son lit, poussa le volet de sa grande fenêtre, saisit du linge propre, puis quitta sa chambre. Les bains se trouvaient à l'étage supérieur, un atout non négligeable pour elle car certains résidents devaient monter ou descendre de multiples étages pour y parvenir.
Arrivée devant la pièce réservée au sexe féminin, la jeune fille poussa la lourde double porte et fit face aux immenses bains qui occupaient la salle vitrée. La décoration, humble mais largement suffisante pour les occupantes potentielles, se limitait à des plantes adaptées. La vue à trois-cent soixante degrés sur les environs accaparait tous les esprits rêveurs, surtout lors des journées où la météo se révélait clémente. Avec un regard sur les champs de coquelicots pourpres situés non loin de la tour, Lana enleva sa chemise et la jeta dans les paniers réservés à la blanchisserie. Elle réalisa alors qu'elle était seule... constat improbable à moins que l'heure ne soit plus avancée qu'il n'y paraissait. Elle tenta d'apercevoir le soleil à travers les baies vitrées, en vain. Son échec confirma la position trop haute de ce dernier. Il était donc près de midi. Malgré les cours, on l'avait laissée dormir !
Sur un haussement d'épaules, la jeune fille s'avança en direction du bassin le plus proche, jusqu'à ce que l'eau fraîche l'engloutisse complètement. Lorsque son visage ressortit de l'eau, elle songea que rien n'était plus exquis que la sensation d'être décrassée.
La journée s’annonçait belle. Elle aurait dû l’être. Puis une ombre envahit les pensées de la mage.
Elle repensa à la nuit passée. À l’inquiétude de ses amies. Ces amies qu’elle allait perdre prochainement… Mais comment s’en sortirait-elle sans elles ? Elle n’avait plus la force de supporter de nouvelles séparations ! Plus la force d’affronter ses peurs…
La jeune fille figea ses pensées durant quelques minutes. Puis elle se retira du bassin et usa de son don pour se sécher. Elle s'approchait de ses affaires quand une sensation familière l’assaillit. Une force magique tentait de franchir les barrières de son mur mental. Habituée, elle ouvrit naturellement son esprit à la télépathe.
La mage du feu éclata d’un rire franc. La joie l'envahit et elle éprouva une profonde gratitude à l’attention de son amie.
La télépathe se retira de sa tête. Lana s'offrit un sourire et s'habilla rapidement. Elle aurait aimé vivre à l’Académie toute sa vie, aux côtés de ses sœurs adoptives. Hélas…
Pénélope n'avait pas exagéré. Devant la curiosité mal dissimulée des marmitons humains, Lana avala l'équivalent de plusieurs repas et engloutit une volaille, des quantités scandaleuses de tranches de pain, quelques œufs, un demi fromage fort en goût comme en odeur, un nombre invraisemblable de figues et d'abricots séchés et une tartelette au citron, avant d'achever stoïquement le tiers restant d'une tarte aux pommes de la veille. « Pauvres marmitons, je leur donne du travail supplémentaire… » Mais face au bien-être procuré par un estomac rassasié, difficile de résister !
La gourmande se rendit ensuite devant le bureau du Conseiller Suprême. Plus rien ne pouvait la sauver d'un affrontement avec leur supérieur à tous, pas même les milliers de marches qui l'emmenaient doucement, mais sûrement, au sommet de la tour. Comment faisait-il pour les monter et les descendre, encore et encore, jour après jour ?
La porte s'ouvrit toute seule avant même que Lana ne puisse annoncer sa venue. Derrière un bureau rangé et lustré, le Conseiller Suprême s'activait à achever un écrit. La plume en action, il invita de sa main libre la jeune fille à s'installer devant lui.
Lana traversa la pièce parsemée de classeurs parfaitement alignés et ne s'étonna même plus de la présence d’un monticule de roches abritant un dragon des bois. Ces animaux nocturnes cherchaient à éviter les regards extérieurs lors de leur sommeil, non pas par crainte d'être attaqués, mais plutôt par souci d'éviter la fuite de toutes les proies potentielles qui, dans la nature, risquaient de prendre la poudre d'escampette à la vue du prédateur. La mage du feu ne vit donc pas le magnifique reptile aux couleurs sanguines, dont elle savait que la crinière pourpre entourait une tête démesurée dotées de mâchoires effrayantes. Elle était intriguée par cet étrange animal de compagnie, et jamais la peur ne l'avait saisie, même le jour où ses yeux le virent pour la première fois. Si longtemps auparavant. « Des siècles semble-t-il. »
Le fauteuil qui lui avait été indiqué se trouvait plus bas que le siège de l'hôte, une façon efficace de rappeler à tout un chacun sa place au sommet de la tour. La jeune fille résista contre une furieuse envie de s’enfuir.
Harwyn, le Conseiller Suprême des dix-sept États, était le plus âgé, le plus expérimenté et le plus puissant des habitants de cette tour. Pourtant, l'homme ne laissait rien deviner. De taille moyenne, plutôt fin et peu musclé, il avait des yeux clairs et une tête lunaire encadrée par une masse épaisse de cheveux bruns et bouclés. Son âge était impossible à déterminer. Il pouvait tout aussi bien avoir vingt ans que cinquante. Le fruit de la magie ? Ses habitudes vestimentaires, simples, ne traduisaient pas mieux son statut. Il portait toujours une robe à la couture serrée, dans les nuances de la couleur violette. Un rubis noir d'encre, porté en collier, était le seul signe visible de sa puissance.
L'homme posa sa plume et, rangeant ses papiers dans un tiroir, observa à son tour la jeune femme, qui frémit. Ses yeux violets la mettaient systématiquement mal à l'aise. Ils semblaient lire en elle comme dans un livre ouvert. Pourtant, Lana ne l'avait jamais senti tenter d'entrer dans son esprit, à l'instar de ce qui lui arrivait lorsque Pénélope voulait communiquer mentalement.
Acculée, la jeune femme relata ce qu'elle avait déjà raconté à ses deux amies. Elle doutait fortement que le Conseiller Suprême puisse en tirer quelque chose. Cependant, elle respectait assez son maître pour se plier à toutes ses demandes et elle n'ignorait pas qu'il était mille fois plus sage qu'elle. Plus mystérieux, aussi. Lorsqu'elle acheva son récit, les yeux de Harwyn la découpaient mais n'exprimaient rien de ses émotions. Après un silence pesant, durant lequel Lana ne sentit plus que le battement sauvage de son cœur, il prit la parole.
La jeune femme ferma les yeux et inspira. Elle ne voulait ni mêler Pénélope à ses démons, ni en savoir plus, ni souffrir davantage. Son inconscient devait avoir d'excellentes raisons pour garder prisonniers certains secrets. Plus elle arrivait à s'éloigner de ses cauchemars une fois éveillée, mieux elle se portait.
Pourtant, sa curiosité l'appelait à en savoir plus.
En quittant la pièce, Lana songea que le Conseiller Suprême aurait mieux fait de la laisser régler ses comptes toute seule. Elle n’oublia tout de même pas de jeter un dernier regard au monticule de roches.