Les Merveilles du monde invisible - Wilfrid de Fonvielle - E-Book

Les Merveilles du monde invisible E-Book

Wilfrid de Fonvielle

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "Le milieu du dix-septième siècle fut une des périodes les plus glorieuses pour la pensée humaine. C'est alors que notre grand Descartes, réfugié en Hollande, publia son immortel Discours sur la méthode, qui forme, à proprement parler, la base de la philosophie moderne. À peu près à la même époque, un savant hollandais, nommé Swammerdam..."

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EAN : 9782335043341

©Ligaran 2015

ILe Stanhope

Le milieu du dix-septième siècle fut une des périodes les plus glorieuses pour la pensée humaine. C’est alors que notre grand Descartes, réfugié en Hollande, publia son immortel Discours sur la méthode, qui forme, à proprement parler, la base de la philosophie moderne. À peu près à la même époque, un savant hollandais, nommé Swammerdam, formait le noble dessein d’appliquer à l’étude du monde extérieur un instrument nouveau que nous pourrions appeler le télescope des infiniment petits.

Swammerdam fut si vivement frappé de l’ordre et de la grandeur des harmonies qui se révélèrent à ses yeux, qu’il appela Bible de la nature le grand ouvrage qu’il rédigea, le microscope en main. C’est un nom heureusement choisi, car aucun livre ne met plus victorieusement en lumière la sagesse de la Providence qui a créé le monde, et qui veille sans relâche à la conservation de son œuvre. Une sorte de révélation inattendue a ajouté ses lumières à celles de la raison naturelle. Aux yeux que nous avons reçus en naissant sont venus s’en joindre d’autres que la science nous a donnés.

Moins d’un siècle après la mort de ce grand homme les savants matérialistes, que Frédéric le Grand avait réunis autour de lui, sont parvenus à vicier la méthode essentiellement française de Descartes. Les héritiers de ces sophistes sont parvenus à tirer de l’emploi d’un instrument si propre à mettre en évidence la sagesse de Dieu des notions malheureusement erronées, qui, surtout il y a une vingtaine d’années, ont exercé une influence déplorable sur l’éducation de la jeunesse.

L’arme de la raison et du bon sens est devenue celle de l’erreur, du mensonge et de l’orgueil. Des sciences prétentieuses et vaines d’origine étrangère, ont envahi nos écoles nationales, et préparé tous nos malheurs.

Il est temps de faire cesser cette invasion des barbares de l’intelligence, et de revenir aux saines traditions qui ont fait la France si glorieuse.

Le microscope lui-même peut aider à guérir les blessures intellectuelles et morales qu’il a servi à faire. Il sera une des armes les plus précieuses de la réorganisation scientifique de la France, car nulle ne convient mieux à notre nature gauloise, vive, impressionnable, artistique, si merveilleusement douée, par conséquent, pour reconnaître les traces du passage de l’auteur de la nature.

L’éducation qui convient à un peuple libre n’est point celle dont une nation asservie peut faire ses régals peu chers. Comme le dit le grand Condorcet, l’art du professeur n’est point d’enseigner le peu qu’il sait, mais d’apprendre à ses élèves l’art d’apprendre.

Aussi notre triomphe sera-t-il complet si nous décidons ceux qui nous lisent à jeter de côté notre ouvrage et à prendre le microscope pour s’assurer que nous ne les avons point trompés, et voir par eux-mêmes au lieu de nous charger de voir pour eux.

Fig. 1Microscope Stanhope.1 Microscope monté. – 2. Tube. – 3. Pièce portant le microscope. – 4. Anguillettes du vinaigre vues avec cet instrument.

L’instrument que nous les engageons à manier est un petit appareil portant le nom de lord Stanhope, grand seigneur anglais, mort à Genève en 1816, et qu’ils pourront acheter partout pour 1 fr. 25.

Les plus utiles auxiliaires de la science microscopique sont ces marchands errants qui suspendent quelquefois au-dessus de leur boutique un tableau sur lequel on voit une goutte d’eau peinte avec les animalcules qu’ils y montrent.

Il n’y a rien d’exagéré dans les promesses que font ces honorables colporteurs scientifiques. La représentation donne et au-delà tout ce que la parade permet d’espérer et de concevoir.

J’ai été fier et heureux à la fois, quand j’ai vu que quelques-uns de ces professeurs errants montrent en étalage des exemplaires de mon monde invisible. Leur suffrage éclairé m’a complètement dédommagé des persécutions et des critiques, mieux que ne l’aurait fait un rapport favorable de l’Académie des sciences.

Ces microscopes à la Stanhope se composent essentiellement d’un petit prisme en verre, enchâssé dans un disque de cuivre. Le bout sur lequel on place l’œil a été rodé dans une matrice qui lui a donné la forme d’une petite sphère. Sur la face opposée, qui est restée droite, on colle, à l’aide d’un peu d’eau ou même d’un peu de salive, les objets que l’on veut grossir, et on regarde par transparence en se tournant du côté de la lumière.

Le disque de cuivre est placé sur un tube dont l’intérieur a été noirci, précaution qui rend la vision plus facile. En sortant de la petite lentille, la lumière qui a traversé longitudinalement le prisme, change brusquement de direction. Il en résulte que les rayons venant de la face opposée s’écartent d’une manière prodigieuse. Le grossissement ainsi obtenu est donc d’une énergie énorme, c’est comme si l’on dilatait l’objet lui-même en lui donnant des dimensions cent fois plus grandes sans changer sa forme.

Ces petits morceaux de verre se vendent à si bon marché, que M. Dagron, l’habile photographe qui a inventé la correspondance microscopique par pigeons, les fabrique à la grosse. Sur le devant il colle une petite photographie, aussi imperceptible que ses dépêches aériennes du siège. Le tout est renfermé dans un petit étui en corne et porte un petit anneau, de sorte que l’on peut s’en servir comme de breloques. Si vous n’avez pas compris les explications précédentes, démontez un de ces petits instruments, qui vous coûtera vingt ou vingt-cinq centimes, vous vous rendrez parfaitement compte du jeu du petit microscope que notre habile compatriote a si bien utilisé et par conséquent de l’instrument si simple inventé par le grand seigneur anglais.

Fig. 2Photographie Dagron.1. Lunette portant la photographie microscopique. – 2. Coupe de la lunette. – 3. Partie supérieure démontée. – 4. Verre taillé, de grandeur naturelle, montrant la photographie en vraie grandeur. – 5. Image amplifiée d’un paysage.

Si j’étais maître d’école dans un village, je m’arrangerais pour avoir toujours, dans un tiroir que j’oublierais de fermer, des microscopes Stanhope, montés dans un bouchon. Je serais heureux quand il manquerait quelques pièces, car je serais certain que mes élèves ne tarderaient pas à s’en servir en secret, croyant le faire à mon insu. J’ajouterai que cette méthode un peu la cédémonienne ne tarderait point à développer une habileté des plus remarquables, et qu’une éducation régulière, faite à coup de pensums, ne saurait jamais donner.

IILes loupes

Les loupes sont des lentilles convergentes, taillées avec soin de manière à grossir l’image des objets vus à travers. Quelquefois, lorsque les loupes ont des dimensions considérables, on les place à une distance notable. C’est ce qui arrive lorsqu’elles sont destinées à amplifier les dimensions d’une photographie et à lui donner un relief plus ou moins analogue au stéréoscope.

La situation la plus favorable pour la loupe se calcule dans tous les cas, qu’elle soit grosse ou petite, à l’aide d’une formule mathématique. Nous engageons le lecteur à la chercher par expérience ; qu’il commence par placer la loupe en contact avec l’objet, et qu’il fasse varier les distances. Après un petit nombre de tâtonnements, il saura bien vite comment se placer dans toutes les circonstances favorables pour voir l’objet qu’il étudie avec le plus d’avantage.

La planche ci-jointe montrera un certain nombre de formes usuelles, et n’a pas besoin d’être accompagnée d’explication. Nous dirons seulement que le doublet est une loupe composée de deux loupes placées lune derrière l’autre. La première est la seule qui grandisse directement l’objet, la seconde ne fait que dilater une seconde fois l’image produite par la première. Quelquefois, comme on le verra par la gravure ci-contre, les loupes simples sont au nombre de trois, que l’on peut combiner de plusieurs manières différentes, afin d’obtenir les grossissements intermédiaires.

Fig. 3Grande et petite loupe à main.

Sans tant de complications instrumentales, on se procure des lentilles d’un grand pouvoir en fondant un fil de verre très mince par une de ses extrémités. En opérant ainsi on parvient à former une gouttelette dont l’épaisseur est quelquefois réduite à un quart de millimètre.

On enchâsse ensuite cette petite gouttelette refroidie dans une petite ouverture pratiquée au milieu d’une mince lame de plomb.

Wollaston, physicien anglais très ingénieux, dont on trouve la trace dans toutes les parties de la science, a construit sur ce principe de petites loupes très puissantes, qui ont un pouvoir très considérable et une netteté très grande. Ces lentilles se composent de deux segments sphériques de verre, séparés par une feuille très mince de platine percée d’un trou. Pour se servir de ces loupes, il faut se placer très près de l’objet, ce qui est une position incommode ; mais les manches sont assez longs, comme on l’a vu page 7. Malgré la longueur du manche on éprouvera une gêne très grande quand la loupe est très forte. C’est pour remédier à cet inconvénient que l’on a inventé le microscope composé, dont nous parlerons tout à l’heure. Mais avant de faire comprendre cet instrument plus complexe, donnons encore quelques détails sur la construction des loupes elles-mêmes. Un procédé plus simple encore, consiste à employer une simple goutte d’eau suspendue sur les bords d’une petite ouverture également pratiquée au milieu d’une feuille de métal. Cette loupe naturelle est très puissante. C’est probablement la plus ancienne de toutes, et celles dont les premiers observateurs se sont servis pour découvrir des faits surprenants.

Fig. 4Loupe tabulaire simple.
Fig. 5Loupe double.
Fig. 6Loupes de différents systèmes.1. Deux loupes de différent pouvoir grossissant. – 2. Loupe double. 3. Loupe triple.

L’inconvénient de cet instrument élémentaire c’est que l’évaporation détruit rapidement la petite lentille. Un autre liquide transparent, mis à la place de l’eau, donnerait des résultats identiques, mais l’alcool ou l’essence de térébenthine disparaîtraient encore plus vite.

Plus le liquide est transparent et plus il agit sur la lumière, plus la loupe ainsi obtenue est puissante.

La découverte d’une substance diaphane, douée d’une grande puissance réfractive, permettrait d’obtenir les mêmes effets avec des lentilles qui ne s’évaporeraient point.

Malgré la difficulté que présente le travail du diamant, on est arrivé à en tailler des loupes qui produisent des effets surprenants. Mais cette substance a été accaparée par les princes et les grands, les savants ne sont point assez riches pour s’en permettre l’usage.

IIILe microscope composé

Le microscope composé est, comme nous l’avons fait pressentir, analogue à un doublet, en ce sens qu’il a la forme de deux loupes dont les effets se superposent et se complètent. Mais ces deux loupes sont d’une nature bien différente. La première, qui est voisine de l’objet, est d’un très grand pouvoir grossissant et produit une image très élargie située en arrière. C’est cette image que l’autre loupe vient reprendre et agrandir encore. Il faut donc que cette image, destinée à être ramenée sur la rétine par une réfraction nouvelle, soit bien nette, ce qui exige que l’objet soit fortement éclairé. On obtient généralement cet effet avec un miroir courbe situé en avant et qui concentre soit des rayons artificiels, soit la lumière du soleil.

Le grossissement du microscope dépend, en grande partie, de la manière dont cette lentille d’avant-garde, à laquelle on donne le nom d’objectif, a été construite. Plus son foyer est court, plus elle grossit. On peut employer dans la fabrication de cette loupe tous les procédés dont nous avons parlé tout à l’heure. Le rôle de l’oculaire n’est pas tant de grossir l’image que de permettre à l’observateur de l’apercevoir sans avoir besoin de s’approcher de la première lentille. Aussi est-il indispensable de mettre les deux lentilles d’accord. On arrive à ce résultat à l’aide de deux tubes glissant l’un dans l’autre, et tenus par celui qui porte la première lentille et qu’on nomme par conséquent le porte-objectif.

Afin d’écarter les rayons des bords, on a garni l’instrument d’un diaphragme qui répond au foyer de la première lentille.

Quand on veut se servir du stanhope on n’a, comme nous l’avons dit, qu’à coller l’objet sur la face plane avec un peu d’eau et de salive.

Lorsqu’on emploie la loupe, il faut déjà un certain tâtonnement, à moins qu’on n’ait acquis l’habitude des observations, et que l’on sache se placer d’instinct le plus convenablement possible.

La manœuvre du microscope composé est plus complexe : il faut deux mouvements successifs. Le premier consiste à faire glisser le porte-oculaire dans le tube auxiliaire jusqu’à ce que l’on voie bien distinctement le diaphragme. Le second mouvement consiste à faire glisser le tube auxiliaire jusqu’à ce qu’on voie nettement l’image. Dans cette partie du règlement, le porte-oculaire doit glisser avec le tube auxiliaire sans changer de place, relativement à ce dernier. Il faut que l’on arrive à la vision nette de l’image sans cesser de voir distinctement le diaphragme.

Ces petites manœuvres fort simples sont de la plus haute importance, et il faut s’exercer à les accomplir, sans cela on ne saurait se servir du meilleur microscope.

L’objet peut s’éloigner ou se rapprocher un peu de l’oculaire. Ces petits mouvements, nécessaires pour tirer tout le parti possible de la lentille, entraînent les mouvements du tube auxiliaire. Quant aux mouvements du porte-oculaire, ils sont indispensables, parce que le microscope ne peut être réglé à la fois pour tous les yeux ; il faut éloigner ou rapprocher l’oculaire suivant que l’observateur a la vue courte ou longue.

Le microscope, qu’on ne l’oublie pas, ne grossit point également pour tout le monde. Celui qui y voit de loin jouira avec le même instrument d’un grossissement bien supérieur.

Les objets simples, bon marché, à la portée de toutes les mains, de tous les yeux, de toutes les intelligences, voilà ce qu’il faut pour réorganiser notre éducation nationale.

Que de lui-même l’enfant devienne un disciple du monde invisible, qu’il apprenne à admirer la nature ; qu’il garde en lui l’instinct poétique, l’enthousiasme de la vérité, il apprendra à faire remonter vers le Créateur l’admiration qu’il conçoit pour la créature.

Il n’imitera pas ces pédants que le microscope composé abrutit, et qui, fussent-ils membres de l’Académie des sciences, en savent moins que le gamin des écoles primaires, s’ils voient dans la nature autre chose que l’ombre d’Allah sur la terre.

Au lieu d’une lentille dans le haut et d’une lentille dans le bas, on place généralement dans le microscope deux systèmes de lentilles. Mais ces deux systèmes de lentilles se comportent comme deux lentilles isolées.

Pour voir les objets lointains tels que les astres, on emploie le même procédé, mais on dispose les lentilles dans un ordre inverse. Alors c’est près de l’œil que se place la loupe, et c’est à l’autre bout du tube que l’on place les lentilles d’un grand rayon qui recueillent la lumière et la concentrent au foyer où la loupe permet de les voir en détail.

Ces détails techniques, quelque simples et quelque incomplets qu’ils soient, suffiront pour guider les débutants qui, une fois habitués à nager en plein infini, se lanceront d’eux-mêmes. Qu’on ne commence pas par des instruments compliqués, et si ces détails ennuient, qu’on les passe sauf à y revenir. Nous ne résolvons pas les difficultés, nous sommes comme ceux qui crient casse-cou dans le jeu de collin-maillard.

IVLes instruments de luxe

Malgré ce que nous venons de dire nous ne sommes nullement disposé à rédiger ce que l’on pourrait appeler une loi somptuaire en matière microscopique. C’est à Paris que se trouvent les plus habiles opticiens ; nous ne sommes pas assez mauvais citoyens pour nuire à une de nos plus intéressantes industries nationales. Mais pour que les instruments de luxe profitent, il faut mériter l’honneur de s’en servir.

Le microscope portatif, qui est renfermé dans une boîte de la taille d’une grosse tabatière, peut se transporter partout. Il nous servira de tremplin pour nous lancer dans les espaces inconnus.

Le microscope incliné se recommande par une disposition qui permet d’opérer les réactions chimiques avec autant de facilité que s’il n’y avait pas à la fenêtre un observateur assistant à cette lutte intime des forces de la matière.

Fig. 7Microscope portatif de Nachet, dans sa boîte.

C’est un prisme de verre placé au sommet de l’angle des deux tubes, qui permet à tous ces drames de se dérouler devant nous. Au lieu de suivre la route vulgaire, classique, le faisceau pénètre dans l’appareil par la partie supérieure du tube vertical. Il descend, puis il remonte repoussé le long de la branche inclinée par la réflexion totale, et vient frapper l’œil embusqué derrière la lentille.

Fig. 8Microscope portatif monté, de Nachet.

Il n’y a pas de cire molle aussi docile que la lumière : on peut la faire monter, descendre, entrer, sortir, de toutes les manières possibles, s’étaler et se resserrer pour s’étaler encore.

Fig. 9Microscope servant aux réactions chimiques.

Le mot « impossible » n’a pas été certainement inventé par un opticien.

La station verticale vous déplaît-elle, voulez-vous un rayon un peu penché, voilà un modèle oblique qui vous donnera l’inclinaison qui peut vous convenir. Vous le voyez bien, nous n’avons que l’embarras du choix. Quant au grossissement, il n’est point arbitraire, en ce sens qu’il ne peut pas être poussé indéfiniment loin. La lentille qui saisira l’atome n’est point encore fondue ! Maison aurait grand tort de prétendre qu’on est arrivé près des limites de grossissement, dernier, ultime. Insensés ceux qui voudraient enfermer l’optique dans un cercle d’obscurité et dire à l’œil : Toi, tu n’iras pas plus loin !

Fig. 10Microscope d’étude.

Aussi insensé serait l’astronome qui dirait : Voilà la dernière nébuleuse.

Nous sommes libres de nous mouvoir dans des limites qui devraient nous satisfaire, si le terme de notre ambition scientifique n’était la conquête de l’infini, cette toison d’or de l’intelligence. Si malheureusement nous pouvions nous débarrasser de nos appétits immenses, nous aurions à chaque instant de belles chances de nous montrer satisfaits !

Tout en conservant provisoirement ces instincts sublimes, si jamais, vous voulez vous mêler de faire le métier de chercheur, méfiez-vous des moyens compliqués, vous verrez que les outils les plus simples sont presque toujours les seuls qui puissent permettre d’arriver au but. Les Christophe Colomb ne s’embarquent pas sur des frégates cuirassées, mais sur de modestes caravelles. C’est avec des loupes vulgaires, dont nos écoliers ne voudraient pas, que les Swammerdam et les Leuwenhoek ont commencé à déchiffrer la Bible de la nature.

Qu’est-ce donc que la vue du savant ? N’est-ce point, la plupart du temps, une sorte de sublime divination ; ce que l’on voit sert pour ainsi dire de prétexte pour saisir ce que l’on parvient à comprendre, c’est-à-dire ce que l’on ne voit pas encore.

VDes erreurs qui se glissent dans les observations

La pesanteur semble une force qui, jalouse de l’étendue des êtres vivants, limite étroitement la dimension à laquelle ils peuvent arriver. Qu’est-ce en effet que la longueur de la baleine à côté de celle de notre glorieuse sphère ! Mais plus les animaux sont petits, plus ils échappent à la domination de cette tyrannie astronomique, dont la puissance despotique se fait sentir sur toutes les faces de la vie.

Dans les infiniment petits, la Nature vivifiante est véritablement chez elle et semble agir en toute liberté. On dirait qu’elle s’abandonne à ses caprices, on pourrait presque croire qu’elle ignore s’il existe une loi d’attraction découverte par un nommé Newton.

La substance gélatineuse qui lui sert à fabriquer tant d’êtres imprévus paraît une espèce de fluide vivant, d’où la grande enchanteresse tire toutes les merveilles qu’il lui prend fantaisie de réaliser. Elle improvise mille types bizarres à l’aide de cette matière équivoque, recueillie sur les limites du monde tangible, qui est bien le Protée non de la Fable, mais de la réalité. La main mystérieuse prélude sur une humble échelle aux essais d’organismes qu’elle sculptera ultérieurement à l’aide d’une chair moins flexible et moins coulante. Car nos tissus cartilagineux et musculaires sont à cette substance malléable ce que le bronzé et le fer sont à l’argile plastique, à l’aide de laquelle nos sculpteurs modèlent leurs premiers essais.

Nous serions bien coupables d’oublier que notre imagination transforme à chaque instant les impressions que nous éprouvons. Dans les circonstances les plus ordinaires de la vie, nous modifions bravement le monde extérieur, le monde vulgaire, celui que nous touchons par tous nos sens à la fois. Nous le voyons lui-même tel qu’il nous semble devoir être, et non point tel qu’il existe en réalité. Que serait-ce, si nous laissions librement travailler la folle de la maison dans ces spectacles où la Nature semble nous donner l’exemple de toutes les débauches d’imagination ? Il n’y a point jusqu’à l’éclairement de notre théâtre microscopique, qui ne soit favorable aux effets fantastiques, qui ne donne à lui seul une sorte d’hallucination.

Demandez aux curieux qui s’en vont sur le Pont-Neuf voir la goutte d’eau du micrographe en plein vent, s’ils ne croient pas entrer dans un monde imaginaire, s’ils sont bien convaincus de l’existence des monstres qui peuplent la goutte-océan. Les savants finissent par s’y habituer, ou plutôt ils croient se dégager de l’impression, mais la mise en scène a toujours quelque chose qui fait penser au sortilège.

Tous les microscopes sont associés à une lentille supplémentaire, à un réflecteur qui réunit une énorme quantité de lumière. Voilà sans doute de quoi garantir l’observateur le plus crédule contre le danger des ténèbres ? Erreur !

Car le pouvoir grossissant des lentilles du dedans étale le faisceau que les lentilles du dehors ont concentré. Comme toujours, la prodigalité n’a pas de peine à dissiper ce que l’avarice a rassemblé.

Malgré tous nos efforts, nous ne parvenons jamais à éclairer suffisamment la route et nous voyageons, constamment enveloppés dans une espèce de crépuscule.

Nous nous plongeons dans une demi-teinte que je comparerais à celle qui règne sur la terre, alors que le soleil vient de disparaître, ou plutôt lorsque le jour va revenir.

Ceux à qui les grands nombres font tourner la tête dédaignent de faire usage des microscopes modestes : ils se jettent de primesaut dans les centaines de diamètres. Mais que voient-ils avec les gigantesques instruments dont ils ne peuvent diriger le tir ? Au contraire les éclaireurs d’avant-garde n’ont jamais dédaigné de faire usage de la loupe modeste.

N’oublions point que notre artillerie optique est comme l’autre, elle est d’autant plus difficile à pointer qu’elle doit porter plus loin.

Nous sommes moins sûrs de nos sens que lorsque nous nous trouvons dans une stalle d’orchestre, en face de la rampe qui nous sépare de ce monde de convention qu’on nomme le théâtre. On se moquerait de nous, si nous soutenions que les tragédiens s’aiment, se haïssent, ou se suicident de désespoir. Devons-nous donc avoir une foi plus entière dans la grande comédie que donne devant nous la Nature, comédie dont le prologue et surtout le dénouement nous échappent ?

Tout est obstacle pour nous, rien qui ne puisse devenir chimère, matière à illusion.

Le grossissement commence naturellement par s’exercer sur l’instrument du grossissement lui-même. Le premier acte du microscope est de mettre en évidence les imperfections du verre où on l’a taillé. C’est une espèce d’aveu, de confession arrachée aux lentilles, qui commencent par se montrer indignes de leur mission. Elles semblent honteuses de se révéler avec des stries, des bulles, marques d’imperfection qu’il est presque impossible d’éviter dans les œuvres humaines qui, ayant un auteur fini, ne sont jamais parfaites que jusqu’à un certain point.

Mais ce n’est pas assez de se défier systématiquement des instruments que l’art prépare. Il faut encore apprendre l’art plus difficile de se défier de soi-même, des lentilles naturelles qu’on porte en soi.

Le cristal organique que la lumière traverse avant de frapper la rétine, est également affecté de stries, de bulles, variables comme la santé, comme les dispositions nerveuses du moment. Il suffit de quelques globules colorés se promenant dans les vaisseaux qui ne leur sont point destinés pour produire des troubles, pour montrer peut-être des monstres, des effets inattendus qui viendront renverser nos plus subtiles conceptions. Pauvre raison exposée à tomber dans des chemins de traverse, parce que les capillaires du globe de l’œil ne peuvent empêcher quelques gouttes du sang qui remplit nos veines ou nos artères de se placer entre notre rétine et le monde.

Un des plus dangereux ennemis du micrographe, ce sera surtout le micrographe lui-même. Il devra se défier de la vapeur de son haleine, de ses doigts, de celle même qu’exhalent ses yeux.

Mais il faut craindre, par-dessus tout, des objets d’autant plus terribles qu’ils sont plus petits et que, dans les observations à la vue simple, on pourrait plus franchement les dédaigner !

Redoutez, comme pouvant devenir l’origine d’une erreur grossière, la chute de ces poussières sans nom, qui voltigent dans les vagues diaphanes de l’océan aérien. Devant le microscope tout commence par prendre une forme vivante. L’intelligence déborde partout et l’inertie n’a de place nulle part.

Quelle étrange histoire n’aurait-on point à raconter si l’on recueillait toutes les erreurs de la vue multipliée par la puissance de la vision artificielle ! Faut-il s’en étonner, puisque la vue se trompe si souvent même dans le monde vulgaire, où l’on n’est point exposé à prendre cependant une fourmi pour un éléphant ?

Tantôt on reconnaîtra avec stupéfaction que les lentilles attirent des brins de laine heureusement reconnaissables à la couleur qu’ils ont reçue ; une minute après on verra apparaître des fibres de chanvre, des brins de lin et de coton, dont le microscope ne pourra pas nous donner l’histoire.

D’où viennent ces barbules de plume ? du duvet de quel oreiller se sont-elles détachées ? De quel sein le zéphyr a-t-il enlevé ces mignonnes écailles ? Voilà des globules que le vent a enlevés aux guirlandes d’une fête, et peut-être au modeste bouquet de quelque laborieuse, ouvrière. Le souffle des vents est un véhicule d’une puissance incommensurable ; à 3000 mètres au-dessus de Paris, j’ai vu un fil de la Vierge, arraché à quelque prairie, flotter autour de nous, et s’accrocher à la nacelle. Gonflez-vous en paix, avides pistils, des doux sucs du printemps : pour vous travaille la lointaine étamine ; le zéphyr qui caresse la gentille corolle donne des ailes au pollen béni !

Un jour on trouvera des poils d’animaux domestiques, qui viendront intriguer les débutants. Le lendemain l’observateur expérimenté découvrira des débris de plantes dont il lui sera impossible de dire le nom, car elles sont encore inconnues dans nos herbiers.

Si l’on pouvait faire l’analyse du butin que nous apportent les orages, on saurait décrire les pérégrinations des tempêtes. Le microscope dirait dans quelles régions elles ont dû prendre naissance. Nous devinerions peut-être ce qu’est la végétation des plages mystérieuses du pôle et la flore des contrées inconnues de l’Afrique équatoriale. Le microscope devancerait Barth, Speeke, Lambert et Franklin.

Si, à force d’habileté et de précaution, on était assuré d’arrêter tout ce qui se passe dans l’air, la paix renaîtrait dans nos académies. Mais nous ne savons encore sûrement distinguer les écailles de poissons de la légère poussière qui couvre les ailes des lépidoptères ! Qui peut être assuré jamais de saisir jusqu’au dernier de ces véhicules incompréhensibles qui, inertes eux-mêmes, transportent le feu sacré, la flamme divine, la vie !

Est-ce un germe si petit qu’il échappe au microscope qui vient donner le signal, précipiter révolution, développer une série indéfinie de transformations enchevêtrées les unes dans les autres ? Est-ce du dedans ou du dehors que se produit le choc qui fait que le tourbillon se met en branle ? La matière est-elle active ou passive ? C’est ce que le microscope nous montrera, en nous révélant partout l’usage d’un plan d’organisation dont l’être organisé n’a pas conscience. Quelquefois il ne voit pas ce qu’il fait lui-même, comment voudrait-on qu’il vît toujours ce que l’on fait sur lui ?

Pour se débarrasser des poussières, ce qu’il y a certainement de mieux à faire, c’est de plonger les objets dans l’eau ou dans un autre liquide transparent. Mais est-ce que l’on ne sera pas, par compensation, exposé à prendre pour des êtres extraordinaires les simples bulles d’air qui se trouvent emprisonnées dans ces milieux transparents ? Il y a dans la nature une telle tendance à l’organisation, que tout paraît fait de propos délibéré.

Du moment que les molécules gazeuses ont pénétré entre les filaments d’une plante fibreuse, on les voit singer les formes de la vie. Quelquefois la lame de verre qui recouvre le liquide attire de très petites gouttelettes qui se déposent avec une régularité si grande, que l’on croirait avoir sous les yeux un tissu végétal.

Il n’y a pas jusqu’aux sels contenus dans l’eau la plus pure que l’évaporation progressive ne concrète en forme régulière. Il arrive un moment où l’on voit surgir devant soi des cristaux très embarrassants quand on n’est point assez bon minéralogiste pour reconnaître leur nature. Souvent le contact de l’eau et de poussières très ténues donne naissance à des mouvements qui paraissent spontanés.

Ces trompeurs signes de vie ont été découverts, à la fin du siècle dernier, par Brown, médecin anglais de génie, qui termina dans une prison son existence malheureuse et tourmentée. Ce déshérité légua à la science, peut-être pour se venger, non une solution, mais un problème, paradoxe dont la logique académique n’a point su se délivrer.

Quel triomphe ! surprendre en flagrant délit d’action volontaire et spontanée les dernières molécules des corps, les atomes de Lucrèce ! Mais comment admettre que cette motilité, cette espèce de libre arbitre puisse se trouver dans les fragments des pierres, des métaux eux-mêmes ? Par quel miracle expliquer que ces corps acquièrent, lorsqu’ils sont réduits en particules d’un faible diamètre, les propriétés vitales dont leur ensemble est manifestement dépourvu ?

Si ces poussières vivaient, la chaleur les tuerait facilement ; mais il arrive au contraire qu’un flot de calorique les rend plus actives. N’est-ce point une révélation ? Ne voyez-vous point que ces petits corps mettent en évidence les tourbillons que le liquide le plus paisible renferme en nombre infini dans son sein ?

Souvent un infusoire qui parcourait tranquillement le champ du microscope, disparaît victime d’une espèce d’explosion intérieure. Cet être invisible, qui avait une existence individuelle aussi incontestable que le mastodonte et l’éléphant, se résout en poussière. Ne dirait-on pas que sa vie mensongère consistait précisément dans l’effort suffisant pour maintenir ensemble des molécules disposées à se fuir dès que la force générale d’agrégation se trouve supprimée ? Un ressort secret joue, le masque tombe, il reste de la matière disponible pour créer de nouveaux organismes ; soyez sans inquiétude, elle ne tardera pas à rentrer dans la grande circulation des vivants.

Voilà qui est plus fort que le loup de Hobbes : ne pouvant se dévorer, les molécules associées par une force extérieure parviennent au moins à s’éviter. Quelle est donc cette vie mystérieuse conservant l’individualité d’un être dont le corps semble toujours à la veille de faire explosion ?

Ce que nous venons de vous avouer a dû ébranler quelque peu votre confiance dans la réalité des merveilles que nous allons successivement vous décrire. « Encore si l’on pouvait regarder avec ses deux yeux, au fond de cet instrument étrange, on pourrait avoir quelque chance de ne pas se tromper, » vous exclamerez-vous sans doute avec découragement, car vous savez bien qu’on ne peut obtenir la notion du relief qu’au moyen de deux images individuelles, peintes chacune au fond d’un de nos cristallins. Avec un seul œil, vous savez bien qu’on ne voit que la projection des objets sur un plan idéal ; leur matérialité échappe ; on est exposé à confondre l’ombre des choses avec les choses elles-mêmes.

Ces critiques sont fondées, ou plutôt elles l’étaient, car les opticiens ont inventé une combinaison de deux tubes qui permet de mettre en action les deux rétines et de traiter la scène microscopique comme celle de l’Opéra, que l’on explore si commodément avec une jumelle. Le faisceau de lumière rencontre sur sa route un prisme qui le brise en deux fractions, recueillies chacune par un tube particulier muni de son oculaire et derrière lequel nous pouvons placer un de nos deux yeux.

S’il n’y avait d’autre objection que celle que vous venez de faire, vous avouerez que vous seriez guéri de vos scrupules ; mais vous connaissez le fameux proverbe : un témoin, pas de témoin. Il paraît donc indispensable de disposer le microscope de manière que plusieurs observateurs puissent simultanément assister à nos petits drames intimes. Quel intérêt ne serait point ajouté aux démonstrations, si les élèves pouvaient suivre les paroles du professeur sans perdre un seul mouvement des infusoires !

Fig. 11Microscope jumelle.

Ne suffit-il pas d’écarter les deux tubes du microscope jumelle, de les disposer de telle manière que deux observateurs puissent regarder ensemble ? Qui empêche de les multiplier, d’en mettre trois, peut-être quatre, de créer des loges pour trois ou quatre spectateurs ? Malheureusement la division du faisceau incident en deux, trois ou quatre branches, affaiblit l’éclat de la lumière qui constitue chaque image. Le nombre des loges est donc limité par la diminution de la clarté. Mais l’invention du microscope solaire a permis de faire assister des centaines, des milliers de personnes aux scènes les plus instructives, les plus émouvantes du monde microscopique.

Fig. 12Microscope à trois corps, de Nachet.

L’image qui a traversé l’objectif nous appartient comme une conquête dont nous pouvons faire jouir les autres sans diminuer la part qui nous en revient. Nous ne sommes point réduits à la recueillir sur notre rétine, un plaisir égoïste ; nous pouvons épanouir les rayons dans un cadre lumineux.

Fig. 13Microscope solaire.

Pour produire une illusion magique, il ne faut qu’une seule chose : de la lumière, toujours de la lumière ! Quand le soleil se montrera, nous lui emprunterons avec une lentille un assez large faisceau pour qu’il nous soit permis d’être prodigue de clarté !

Lorsque l’astre fera défaut, nous aurons recours au feu que l’acide sulfurique, grâce à l’acide nitrique, peut tirer du zinc roulé. Nous pourrons encore employer la flamme de la lampe oxyhydrique, telle que M. Molteni la prépare pour mes conférences. Éclairons, éclairons toujours ! jamais nous n’éblouirons les spectateurs. Il n’y a que les animalcules inondés par ce soleil qui souffrent de la chaleur que la lumière développe en se heurtant sur les objets dont elle apporte l’image jusqu’à notre cerveau. Prenons garde de répéter malgré nous l’expérience de la lampe ardente d’Archimède et de tout réduire en vapeur.

Fig. 14Microscope photographique.

Que la lumière elle-même vienne faire le métier de peintre ! Que les impressions fugitives de la chambre obscure soient rendues authentiques et indestructibles !

Une fois enregistrés par la photographie, ces aveux de la nature sont dans les griffes de la science, l’image peut être examinée à la loupe, au microscope même.

La science, trahie par le papier dont les aspérités sont innombrables, ne pouvait se servir jusqu’au bout d’une propriété aussi précieuse. Les pellicules que M. Dagron a découvertes pour la photographie de ses dépêches du siège, a permis de faire un pas de plus. Ce patriotique effort, inutile pour sauver la patrie, ne sera point perdu pour la science.

N’est-ce point la lumière qui vient au secours de la lumière ? N’est-ce point la lumière qui nous permet de descendre dans l’intérieur des objets les plus ténus ? Ce n’est point sa faute si nous échouons dans notre tentative d’arracher à la nature le secret de son organisation.

VILes jeux de la lumière

Supposons que, comme Fontenelle et Lucien, nous cherchions à décrire le séjour des sages, à donner une idée de ce lieu de délices intellectuelles. Irons-nous supposer que les Archimède, les Newton, les Socrate, les Diderot, sont obligés de se contenter de cette lumière imparfaite qui illumine nos paysages d’ici-bas.

Nous placerons dans nos Champs-Élysées un astre dont les rayons, plus lumineux que ceux de notre soleil, mettront en relief mille différences trop subtiles pour nous être révélées par la vision. Nous admettrons qu’une récompense des grands hommes qui demeurent dans ce séjour d’élite est d’apercevoir directement et sans effort les choses qui sont hors de la portée de nos sens grossiers, de saisir sans démonstration les vérités, que notre intelligence ne fait jamais qu’entrevoir après de pénibles efforts.

Pour donner aux rayons de notre soleil des facultés analogues, il n’est pas nécessaire d’avoir recours à des incantations, il suffit de les obliger à traverser un prisme de quartz hyalin. La seule précaution à prendre pour qu’ils nous peignent l’histoire du monde moléculaire est d’ajouter au microscope un écran translucide. On dirait une couche de verre, épaisse d’un millimètre ? Bien faible étape pour un courrier qui ferait sept ou huit fois le tour du monde en une seconde ! Ô merveille ! la lumière n’a paru ni diminuer ni augmenter d’intensité, cependant elle est aussi profondément transformée que l’eau lorsqu’elle a été réduite en gaz. Les deux éléments qui la composaient ont été modifiés par la plus merveilleuse des métamorphoses.

Ce n’est plus cet agent brutal qui met en relief ce que nous nommerons le gros des différences, et revêt d’une sorte de livrée uniforme les objets les plus dissemblables. Elle est devenue pareille à celle que doit rayonner le soleil des sages, dont nous parlions tout à l’heure !

Chacune des sessions de l’Association britannique se termine par une fête microscopique. La lumière polarisée fait les frais de cette splendide exhibition des propriétés intimes des choses. Les fanons de baleine, les poils, les cheveux coupés transversalement et longitudinalement, font briller de curieux détails intimes.

Employez les rayons ordinaires, vous aurez un mal infini à suivre des fils grossiers, feutrés les uns contre les autres ; mais placez notre talisman transparent entre l’objet et la lentille, vous dissiperez une sorte de brouillard qui cachait une texture merveilleuse. La prose finit, c’est la poésie qui commence.

J’ai vu à Brighton de jeunes filles aux yeux bleus, aux cheveux d’or, oublier la danse pour admirer, pendant de longs quarts d’heure, ces magnifiques franges argentines, ces étonnantes enluminures si délicates. On dirait que les pinceaux de la reine Mab ont pris plaisir à suivre les fantastiques contours.

Les instruments étaient rangés sur deux longues tables, occupant toute la longueur de la grande salle du Pavillon où le prince régent donnait des fêtes échevelées ; chaque appareil était manié par un artiste, de sorte qu’on pouvait dire que l’Association donnait dans ce palais jadis si bruyant et si profane un véritable concert de couleurs !

Quelquefois la lumière polarisée était reçue par une lame de quartz ou de sulfate de chaux. Alors les teintes de l’iris se montraient aussi distinctes que sur la pluie quand elle tombe vers l’orient lorsque le jour est près de finir. D’autres fois on apercevait une sorte de chatoiement harmonieux qui plaçait la rétine dans une sorte d’extase.

Si notre atmosphère était emprisonnée dans une enveloppe de cristal de roche que la lumière devrait traverser avant de parvenir jusqu’à nous, nous serions éclairés par cette lueur subtile, par ces rayons que les physiciens auraient dû appeler poétiques et non pas seulement extraordinaires.

Si notre cristallin était constitué d’une manière convenable, nous n’aurions alors qu’à cligner des yeux pour évoquer toutes ces teintes.