Les miraculées - Sébastien Bailly - E-Book

Les miraculées E-Book

Sébastien Bailly

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Beschreibung

Un récit bouleversant qui nous livre avec justesse l'histoire d'un sauvetage peu communPendant plus de quinze mois, entre 1943 et 1944, le Dr Georges Lauret a caché une femme juive et ses deux petites filles dans le service d’obstétrique de l’Hospice de Rouen, au mépris de tous les risques, bravant la méfiance des médecins allemands chargés de surveiller le personnel médical français.Jamais, ni pendant, ni après la guerre, il n’a raconté ce qu’il a fait. Même à sa famille. Même à ses enfants. Longtemps après, les « Miraculées » ont obtenu qu’il soit honoré, de manière posthume. Il est le seul Juste parmi les nations de Rouen. Ses enfants ont découvert les faits à cette occasion.Une histoire vraie basée sur des témoignages et des documents inédits, où la fiction est aussi minime que le ciment qui tient un mur.EXTRAITLe sable file entre les doigts de Paulette. Elle a beau serrer le poing pour le retenir, rien n’y fait. A la fin, juste quelques grains collés à ses phalanges. Elle replonge la main dans le sable. Encore, et encore. A chaque fois, pareil. Le sable file. A quelques pas sur la plage, sa sœur Gaby creuse un trou pour se cacher. Au-delà, c’est le bassin d’Arcachon. Un morceau de mer protégé des soubresauts de l’océan par une fine langue de terre. Quelques nuages blancs en altitude, le bleu du ciel ressort plus fort. Et là, au milieu, l’île aux oiseaux. Un refuge au cœur du refuge.CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE« Sans fioriture, Sébastien Bailly retrace le courage extraordinaire de cet homme et redonne à ce juste la place qui lui est due. » – Emmanuelle Mary, Pleine Vie« Les miraculées ne laisse pas indifférent, surtout en cette période, la nôtre, tout aussi tourmentée. Un récit bouleversant, hommage à un héros, pour ne jamais oublier ! » – Emmanuelle Mary, Pleine Vie« Une histoire extraordinaire qui honore un homme, le Docteur Georges Lauret, seul Juste parmi les nations de Rouen. » – Thierry Chion, Normandie Actu« Un livre fort et intense qui relate comment le docteur Lauret a sauvé une famille juive pendant la Seconde Guerre mondiale à Rouen. Un bouquin à mettre entre toutes les mains. » – Benoit Vochelet, Le Journal d'ElbeufA PROPOS DE L’AUTEURSébastien Bailly, journaliste rouennais, est l’auteur de nombreux livres publiés aux éditions Mille et une nuits.

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Préambule

Le récit qui suit s’appuie sur des faits réels, des entretiens, des recherches dans les archives. Les personnages ont existé, et vécu les faits rapportés. La part de la fiction est minime. Elle tient à quelques circonstances, aux pensées des uns et des autres, à la teneur de certains dialogues. La fiction, comme le ciment qui tient un mur, est limitée à ce qu’il faut pour faire tenir l’histoire. Elle est toujours vraisemblable, quand la réalité des faits, elle, apparaît souvent totalement incroyable.

Sur le sable

Le sable file entre les doigts de Paulette. Elle a beau serrer le poing pour le retenir, rien n’y fait. A la fin, juste quelques grains collés à ses phalanges. Elle replonge la main dans le sable. Encore, et encore. A chaque fois, pareil. Le sable file. A quelques pas sur la plage, sa sœur Gaby creuse un trou pour se cacher. Au-delà, c’est le bassin d’Arcachon. Un morceau de mer protégé des soubresauts de l’océan par une fine langue de terre. Quelques nuages blancs en altitude, le bleu du ciel ressort plus fort. Et là, au milieu, l’île aux oiseaux. Un refuge au cœur du refuge. Quelques arbres, quelques cabanes pour les ostréiculteurs, et rien d’autre autour que les huîtres, les goélands, la lavande de mer, et les bars qui finiront grillés.

Paulette a neuf ans. Gaby, huit. Elles ont passé l’été là, avec Raphaël et Linda, leurs parents. Un bel été, finalement, pour les fillettes, malgré la guerre et le départ précipité de Rouen. Gaby avait beaucoup pleuré, au début. Des larmes chaudes. On lui avait dit qu’on partait en vacances. On fuyait la guerre qui arrivait.

C’est encore pour cela que Gaby fait des trous dans le sable, pense sa sœur. Les images du voyage lui font toujours mal. Au début, ça avait été des Belges, et puis des Français, des soldats, des familles. Elles les avaient vus traverser Rouen. Des voitures chargées, un matelas sur le toit. C’était comme des escargots, ou des tortues, qui se promenaient avec leur maison sur le dos, avait expliqué Raphaël à ses filles. Il ne fallait pas faire peur aux enfants. Des hommes et des femmes à pied, des charrettes, des voitures à bras, des blessés... Des dizaines, des centaines de milliers de personnes qui avaient traversé Rouen du nord vers le sud, en franchissant les ponts de la ville.

Raphaël a décidé de partir juste début juin. Le Préfet avait d’abord demandé à la population de rester sur place. Les Allemands avançaient, pourtant. Le front était de plus en plus proche. Il fallait mettre les filles à l’abri. Il en avait parlé avec Linda. Avec ses frères et sœurs, avec sa mère. Fermer la boutique, choisir quoi emmener, vers où aller... Le temps de s’organiser, tout le monde partait déjà. On disait les nazis aux portes de Rouen. Sur les plateaux, au nord de la ville. Ils descendraient bientôt sur la mairie.

Raphaël et sa famille étaient coincés, comme des centaines d’autres voitures, ce 6 juin 1940 au matin. Coincé rive droite, rue de la République, sans possibilité d’emprunter les ponts, qui pouvaient sauter d’une minute à l’autre, disait-on. Il n’y aurait alors plus moyen de traverser la Seine. Certains avaient choisi de remonter le fleuve, d’autres d’aller vers Le Havre, trouver un bac. Rien n’était sûr.

Et puis un homme était venu parlementer, un élu, un adjoint au maire. On l’avait vu organiser les choses pendant les bombardements. Il était responsable de la défense passive. Beaucoup le connaissaient. Il demandait qu’on rouvre les ponts, qu’on laisse les gens s’enfuir avant que la ville soit prise. Juste le temps d’évacuer. Oui, il connaissait le risque. Oui, on pourrait interrompre le flot à tout moment lorsque l’ordre serait donné de dynamiter pour empêcher les Allemands de passer eux aussi... Et les ponts avaient été ouverts. Raphaël avait pu passer et prendre la direction d’Alençon.

Au loin, la fumée noire des dépôts de carburant incendiés obscurcissait le ciel rouennais. L’incendie avait commencé à 5 heures du matin. Les réserves ne devaient pas tomber entre les mains de l’ennemi. C’était l’apocalypse. Il fallait fuir. Aller ailleurs. Le plus loin possible.

La route avait été longue et difficile. Ils partageaient leur auto avec un couple d’amis. Une auto... Cela ne leur avait pas permis d’aller plus vite que la colonne qui avançait au pas vers le sud. Comme tous, ils avaient opté pour le matelas sur le toit. Une protection contre les mitrailleuses des avions. Avancer doucement. Et s’arrêter le moins possible.

Gaby avait emmené sa poupée de chiffons. C’est sa mère qui l’avait fabriquée, avec quelques chaussettes dépareillées, sans doute. Son jouet préféré. Elle la serrait contre elle, tout le long de ce qui devenait un périple. Et elle l’avait perdue. Elle ne se le pardonnait pas. Elle s’était retenue tant qu’elle avait pu. A bout, elle avait demandé qu’on lui ouvre la portière. Faire pipi, le plus vite possible, pour ne pas perdre de temps, ne pas bloquer la voie, ne pas... A force de se presser, de penser à se dépêcher, elle avait laissé sa poupée sur place. Son seul jouet. Elle avait réclamé, mais impossible de faire demi-tour. Trop de risques d’attaques. Trop de cadavres déjà vus au bord des routes. Morts d’épuisement ou, parfois, civils atteints par l’aviation ennemie. Dans les colonnes de l’exode se cachaient aussi des soldats fuyant la capture. Des services entiers d’hôpitaux en déroute, des vieillards qui ne tenaient plus sur leurs jambes. Toute la misère humaine. Gaby devait ravaler ses larmes de petite fille. Une poupée de chiffons perdue ? Alors que ceux qui marchaient devant, derrière, avaient tout laissé...

Paulette et Gaby se souviendraient longtemps avoir dormi dans des écoles où l’on accueillait la population. Et Gaby de sa première nuit sans sa poupée, cachant les larmes qui lui montaient aux yeux.

Ils voulaient oublier ce lent cheminement vers le Sud. Les drames tout le long de la route. La faim, la soif. La peur au bruit des moteurs. Le soleil, la plage, c’est ce qu’il leur fallait.

Les nouvelles de Rouen n’étaient pas bonnes. Les Allemands avaient pris la ville. Des quartiers avaient brûlé. Les ponts avaient sauté. Des immeubles étaient effondrés. Les morts se comptaient par centaines, les blessés par milliers. Les informations arrivaient au compte-gouttes, selon qui l’on croisait, et qui ils avaient croisé.

Rien de cela n’étonnait Raphaël et Linda.

Tout ça pour quoi ? Les premiers Allemands étaient arrivés fin juin à Arcachon eux aussi. Et la situation était redevenue plus calme. « Pourquoi rester ? », a demandé un soir Linda à Raphaël. Elle voyait son mari de plus en plus inquiet de l’avenir de la boutique à Rouen. Et ils n’avaient pas les moyens de rester sans travailler plus longtemps. Ou alors partir, encore partir, comme en 1927... Ils y avaient bien pensé. Il y avait l’Amérique du Sud. Raphaël avait une sœur, là-bas. La seule qui avait préféré l’Uruguay à la France. Mais ses sept autres frères et sœurs avaient choisi Rouen. Ils avaient fui la Turquie et la pauvreté pour une terre où ils avaient du travail, un logement. Pour une terre de liberté. Ils s’y retrouvaient prisonniers.

Ils ne possédaient plus rien. Plus que la voiture. Même pas les moyens de trouver assez d’essence pour remonter jusqu’en Normandie. Alors, l’Uruguay... Rentrer à Rouen était la solution la moins coûteuse. Là, ils avaient un logement, la boutique tenue par Linda, rue d’Amiens, et Raphaël pourrait faire les marchés comme avant. Les filles pourraient retourner à l’école.

De tout sens, les Allemands de Rouen étaient les mêmes que ceux d’Arcachon.

Alors, ils avaient décidé d’abandonner la voiture contre quelques billets. De quoi payer leurs dettes à Arcachon, et le trajet en train pour rentrer.

C’était leur dernier passage sur l’île aux Oiseaux. Raphaël avait dépensé quelques francs pour louer une pinasse et ramer jusqu’à l’île. Paulette et Gaby voulaient dire au revoir aux goélands. Et, une dernière fois, monter dans ce bateau au nom étrange. La journée avait passé vite sur la plage, sans presque voir personne. Il est l’heure de partir. Déjà.

Paulette adore sentir le roulis de l’eau sous la pinasse. Sa sœur en a un peu peur. Il faut accepter de se laisser bercer. Raphaël a pris de l’assurance : il manœuvre le bateau avec calme. Le fond plat assure qu’on puisse passer presque partout. Les filles veulent voir de près, une dernière fois, les cabanes tchanquées. Le mot les fait rire. Leur préférée est à Sourdouille. Un nom bien drôle lui aussi. Une petite maison sur pilotis. A marée basse, elle repose sur un banc de sable. A marée haute, on n’y accède qu’en bateau.

« On pourra en avoir une à nous, un jour ? », demande Paulette à son père. « On serait bien là. »

— Mais de quoi vivrions-nous ?, interroge Raphaël.

— Il n’y aurait qu’à pêcher, et puis il y a les huîtres...

— Les huîtres ? Mais on ne mange pas d’animaux vivants !, s’exclame Gaby, avec une moue dégoûtée...

— Et on ne peut pas vivre que de poisson, renchérit Linda...

— On en vendrait pour s’acheter d’autres choses, propose Paulette, pratique. On serait bien, là, c’est calme, c’est à l’abri.

— C’est un joli rêve, dit son père. Un joli rêve. Mais nous avons une boutique à faire tourner. Nous reviendrons. Je te promets que nous reviendrons quand tout sera fini.

— Mais, une boutique, maman pourrait en ouvrir une ici...

A l’approche de la cabane tchanquée, Raphaël entend quelques éclats de voix. Rien de distinct. Des hommes sans doute, sur le semblant de balcon, de l’autre côté de la bâtisse. Raphaël fait le tour en douceur, pour que ses filles profitent une dernière fois avant le retour en Normandie. Le tour... C’est dès l’angle qu’il aperçoit les uniformes vert-de-gris des Allemands. L’un d’eux tient un fusil pointé vers le ciel. Les autres ont un bock à la main. Ils rient, s’invectivent. Raphaël commence à opérer un demi-tour. Les soldats ne les ont pas remarqués.

Le coup de feu claque. Une seconde plus tard, à deux mètres de la pinasse, un goéland, foudroyé, s’écrase dans l’eau et commence à couler lentement. Raphaël manœuvre pour détourner le regard de ses filles et rentrer. Trop tard. L’eau rougit déjà autour du cadavre. Et bientôt, l’oiseau n’est plus visible, emporté vers le fond. Le rire gras, puissant, des hommes, ponctue la scène. Le doigt pointé vers la pinasse, un soldat tape sur l’épaule de celui dont le fusil fume encore. Raphaël baisse la tête, appuie un peu plus fort sur les rames. Les éclats de rire se multiplient.

Sur le chemin du retour, plusieurs coups de fusil retentissent, de plus en plus lointains. Et le bruit de la chute des goélands dans l’eau. Paulette garda longtemps les poings et la mâchoire serrés. Linda essuya une larme salée sur la joue de Gaby. Le lendemain, ils étaient dans le train.

La traversée

Gaby n’est pas très rassurée. Le train ralentit, et, presque au pas, il avance sur le pont pour rejoindre Rouen. Le viaduc d’Eauplet a été détruit. Et ce pont provisoire n’est en service que depuis quelques jours. Pas sûr qu’il tienne avait dit en riant le voisin bedonnant de Raphaël. Et Gaby a entendu. Très vite pourtant, ce n’est plus l’allure du train qui retient l’attention de la famille, mais la vue. Par les vitres de gauche de la voiture-wagon, on découvre Rouen, la flèche de la cathédrale, la courbe de la Seine. C’est le moment du voyage où le Rouennais sent son cœur se serrer un peu dans sa poitrine. Il arrive chez lui, mais là...