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Le bonheur est dans ma cité. Depuis longtemps. Malheureusement, les gens ne s'en aperçoivent pas forcément. Mais moi oui. Moi j'observe et je raconte. Je suis a l'image de ces grands livres qui traînent un peu partout dans la maison: Gros, remplis d'histoires et porteurs de mémoire. Ce que les autres ont depuis longtemps oublié, moi je le sais encore. Je me rappelle les événements avec une facilité féline. J'ai appris une chose en écoutant la vie parler au travers des autres : Toute passion et toute action s'accompagnent logiquement de plaisir et de peine. Un jour j'ai eu envie de vous faire partager ces moments. Je vous emmene ? < Ce livre fait partie d'une série autour d'Aristote, un chat philosophe, qui connaît décidément bien les humains... Le style est tres agréable, le vocabulaire délicatement choisi... On ne s'en lasse pas ! Vite la suite ... > Camille Armand sur Amazon.fr
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Seitenzahl: 85
Veröffentlichungsjahr: 2018
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À Félix et Violette Ansermoz mes grands-parents
« Je devine, à travers un murmure, Le contour subtil des voix anciennes Et dans les lueurs musiciennes Amour pâle, une aurore future ! »
Verlaine, Romances sans paroles
Ari a dit
Je me présente: je m’appelle Aristote, Ari pour les intimes.
On me dit grand matou, moi je me dis épris de liberté. On me dit gourmand alors que je suis gourmet. Et si je ne mange que peu de chose à la maison, c’est que je suis partout chez moi. Et selon les jours, les odeurs du restaurant d’en bas sont beaucoup plus intéressantes que les pauvres croquettes bio pour chat d’intérieur que je reçois dans une jolie coupelle argentée. C’est comme ça.
Le bonheur est dans ma cité. Depuis longtemps. Malheureusement, les gens ne s’en aperçoivent pas forcément. Mais moi oui. Moi j’observe et je raconte. Je suis à l’image de ces grands livres qui traînent un peu partout dans la maison : gros, rempli d’histoires et porteur de mémoire. Ce que les autres ont depuis long-temps oublié, moi je le sais encore. Je me rappelle les histoires avec une facilité féline. Je suis un sage quelque part et la sagesse me le rend bien. A chaque fois que je rencontre quelqu’un, je m’en fais un ami. C’est comme ça. Je suis socialement doué et le confident de passablement de monde dans le quartier. J’ai appris une chose en écoutant la vie parler au travers des autres : Toute passion et toute action s’accompagnent logiquement de plaisir et de peine.
J’ai envie de vous faire partager ces moments.
Je vous emmène ?
C’était son anniversaire
Un oignon m'a dit
Un rendez-vous avec Georges
Je ne manquerai de rien
Un dinosaure, un dimanche
Le garçon qui aimait les fleurs
Celui qui danse avec les abeilles
Faits divers
Sur les ailes d’un silence
Pierrot et la Lune
Hier, Pierre m’a boudé. Oh je ne sais pas pour quelle raison. C’est vrai que je me suis montrée un peu jalouse, mais juste un peu. Il faut dire qu’il regarde presque toutes les femmes qui passent. Il aime être en leur compagnie. Et ça me met en colère pour rester polie.
Pierre et moi, c’est une longue histoire de clins d’œil. Nous sommes arrivés ici à peu près en même temps. Il m’a plu dès le début. Et c’est rassurant de partager le temps avec quelqu’un qui éprouve la même angoisse que vous. C’était lors d’un dîner dans la grande salle. Notre première rencontre. Il a tourné la tête, regardé par-dessus son épaule. Il m’a vu. Je lui ai souri. Il m’a rendu mon sourire. Et là, je lui ai fait un clin d’œil. À vrai dire, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Mais son sourire s’est agrandi. Puis il s’est retourné complètement. Mon cœur se remplit de bonheur lorsque j’y repense. Il me comprend. Sans un mot. D’un simple regard. Simplement comme cela. Il m’accepte. Sans raison.
J’enfile un gilet dans le couloir. Le dîner est terminé. Il est l’heure de ma promenade. Je demande à Natacha. Elle me sourit et me dit que c’est bien. Je lui souris et je pense qu’elle devrait faire attention. Pierre l’aime bien avec sa petite blouse blanche et sa trentaine d’années. Il est devant moi, un journal sous le bras, essayant de mettre son manteau. Je lui prends le journal, le laisse s’habiller, puis le lui redonne. Il me dit merci. Ça me fait du bien. Mon cœur bat pour lui. Bat-il trop fort ? Est-ce qu’il l’entend me remplir les oreilles ?
Ils chauffent déjà les pièces au mois de septembre ! Quelques-uns se sont endormis. L’éclairage contribue à la tiédeur ambiante. L’après-midi est vieille de deux heures. Je transpire légèrement et cela me déplaît. On nous fait écouter de la musique. Classique de préférence. Aujourd’hui c’est au tour du Concerto pour piano no 1 de Rachmaninov interprété par Krystian Zimmerman. Je l’aime beaucoup. Il me fait voyager dans le temps, dans les vents qui ont bercé ma vie, mes amours.
Puis ils mettent une valse légère.
Comme les feuilles qui commencent à tomber dehors. Et te revoilà. Tu viens vers moi. Nous dansons, nous virevoltons dans l’après-midi dominicale. Ils ouvrent un peu les fenêtres. De l’air frais caresse ma peau à chaque fois que nous approchons de la clarté. Tu me tiens la taille, me guides avec ta main posée à hauteur de mon épaule. Pourquoi le monde ne peut-il cesser d’exister dans ces moments-là ? Je ferme les yeux, me laisse tourner autour de ma joie, mon extase. Je sens la chaleur de la pièce, l’odeur de ton corps, la musique, ces endroits où nos corps se touchent. Changez-moi en statue de sel maintenant ! Mais comme toute chose, le morceau a une fin. Nous nous séparons. Je te remercie. Tu me réponds que c’est toi qui me remercies, alors que tu ne sais pas combien cela m’a fait du bien. Tu m’as invitée en premier. Tu m’as choisie pour cette danse, peut-être notre dernière. Je te remercie du fond du cœur, en silence. Ma joie risque de déborder. Mon corps exploserait de bonheur. Il y aurait des morceaux de moi collés un peu partout, et surtout sur Pierre. Ainsi, il deviendrait ma terre promise, la terre où je pourrais m’endormir définitivement sans avoir peur de ne pas me réveiller le lendemain.
Tu as des soucis. Tu me les racontes. Je t’écoute, te regarde. Tu me regardes, m’écoutes te donner mes impressions, partager ton désarroi. Tu me rends utile à quelque chose. Je n’aime point te voir soucieux. Par ma présence, peut-être, j'arrive à dissiper tes tourments. Je sens que tu apprécies ma compagnie, que tu te sens bien. Le pli sur ton front a disparu. Tes doigts ne courent plus nerveusement sur la table. Ta respiration se fait plus longue. Je ne suis donc pas tout à fait inutile.
Un jour tu ne viens pas déjeuner. Tu es resté au lit, une légère baisse de tension me dit-on. Ton absence me montre l’évidence. Sans toi, tout est vide de sens.
Un autre jour, nous partageons notre repas de midi. Pendant que je mange lentement, tu me racontes tes passe-temps, tes découvertes. Tu es jeune, tu rajeunis. Pas trop s'il te plaît, car je te perdrais. Et Natacha rôde ! Je l’ai à l’œil celle-là, avec ses sourires et sa bonne humeur. A croire que rien ne lui arrive de triste dans la vie. Mais je me souviens et je commence à la comprendre. Et je rajeunis aussi. Tu me racontes tes lectures. Ton assiette refroidit lentement. J’écoute ta voix, tes intonations, ton accent. Je regarde ton visage et je lis entre les lignes que la vie a laissées en passant. L’éclat de tes yeux, ce vert pâle qui pourtant bouillonne du plaisir de partager. Ta joie de vivre me redonne du courage, m’aide à vivre ma vie, à me réjouir des petits bonheurs quotidiens. Mes sentiments pour toi grandissent tous les jours. Lorsque je te vois, ma joie revient et demeure. Et j’oublie tout le reste, ma fatigue, mon ennui, mon deuil, ma chambre blanche. Tu es là, présent pour moi.
Hier, Pierre ne m’a pas boudée. À vrai dire, je ne lui ai pas parlé. Et aujourd’hui je ne lui ai pas parlé non plus. Et pourtant c’est son jour. Ce soir je lui dirai, promis. C’est vrai qu’il ne se jettera jamais dans mes bras. Il me respecte. Il sait la distance qu’il faut à mon amour pour grandir. Il sait la maintenir. Et il m’a déjà embrassée sur la joue. Il éprouve de la tendresse pour moi. Il le démontre par les clins d’œil qu’il me fait parfois. En honneur à notre première rencontre.
Et aujourd’hui c’est son jour. Lorsqu’il soufflera ses quatre-vingts bougies ce soir, je lui dirai, c’est promis.
Je lui dirai tout.
Ari a dit
- Salut poilu ! Ça va bien ?
Chat va bien, merci. Je t’en foutrai des poils, va !
- Regarde ce que je t’ai apporté, gourmand que tu es !
Gourmet, mon vieux, gourmet !
- Attends quand-même que je sorte ce truc de la boîte… voilà… une petite coupelle… une fourchette… j’étale le tout… voilà Ari, bon appétit !
Il tourne les talons et s’en va courir après son travail. La porte claque. Silence. Je renifle un peu ce qu’il me propose et opte pour les restes de poulet du troisième. Elle est dans sa cuisine depuis ce matin et ça sent déjà bon. Je tourne donc le dos à la gamelle et vais m’installer sur le rebord de la fenêtre, au soleil.
De toute façon, il ne m’en voudra pas de ne pas avoir sauté de joie. L’amitié est une forme d’égalité comparable à la justice. Chacun rend à l’autre des bienfaits semblables à ceux qu’il a reçus. Et puis il s’en remettra. Une fois que la pâtée aura séché, il la jettera avec un grand soupir. Et la prochaine fois il me ramènera une autre boîte, d’une autre marque, sans persil (et Dieu sait que je lui suis reconnaissant pour ça) en espérant avoir découvert LA nourriture qui me conviendrait à coup sûr.
J’étais justement en train de me battre avec l’envie montante de pleurer en coupant des oignons sur la table de ma cuisine, tout en regardant d’un œil distrait la télévision que j’avais allumée afin d’avoir un peu de compagnie. Je dois dire que les nouvelles ne sont jamais vraiment encourageantes, raison pour laquelle je me suis servi une larme de Martini. En y ajoutant les glaçons, mon nez s’est libéré et j’ai pu continuer à couper de fines lamelles de nostalgie en regardant la destruction massive dont notre planète est victime. Puis il y eut un reportage sur l’Afrique et moi j’ai arrêté de couper: plus on pleure, plus ça pique et plus ça pique, plus on pleure. La solution est alors dans la fuite en abandonnant le pauvre légume à son triste sort.