Les mystères d'Aezdria - Tome 1 - Caroline Meyer - E-Book

Les mystères d'Aezdria - Tome 1 E-Book

Caroline Meyer

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Beschreibung

Un monde à découvrir. Un destin à accomplir. Sam est-il vraiment celui qu'on attendait tous à Aezdria ? Est-il bien, comme certains le disent, l'Élu ?

En franchissant le passage ce matin-là, Sam ne réalise pas encore à quel point son existence en sera bouleversée. En pénétrant dans le monde magique d’Aezdria, l’adolescent se retrouve confronté à de nombreux périls. Loin du héros traditionnel, il devra surmonter ses peurs pour contrer un sorcier maléfique et survivre dans ce monde peuplé de terrifiantes créatures. Ses aventures le mèneront aux confins de l’Empire, au gré de rencontres pas toujours bienveillantes. Un énigmatique souverain, des ravisseurs à la solde d’une diabolique ensorceleuse, ou encore un vieux vampire au passé tragique… Des destins qui évoluent en parallèle et se croisent, laissant parfois Sam dans une délicate situation. Se montrera-t-il à la hauteur ?

Embarquez auprès de Sam dans cette incroyable aventure qui vous fera découvrir un tout nouveau monde rempli de magie et de dangers !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Caroline Meyer - Les Mystères d’Aezdria sont le fruit d’une passion de longue date qui s’est vraiment révélée au contact de mes enfants. Pour eux, mon imagination s’envole, le besoin d’écrire me saisit. Le point final du quatrième tome posé, il est temps pour moi de partager cette histoire qui m’a tant nourrie, afin de réaliser le rêve d’une fillette qui un jour déclara : quand je serais grande, je serais écrivain.

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Caroline Meyer

Les mystères d’Aezdria

TOME ILa magie d’Aezdria

© 2020, Caroline Meyer.

Reproduction et traduction, même partielles, interdites.Tous droits réservés pour tous les pays.

ISBN 978-2-940444-57-1

1

Sam

Lausanne, juin 2016.

–Sam ! Réveille-toi, je t’ai posé une question.

Assis au troisième rang de la salle de classe, un adolescent somnolait, le regard perdu dans le vague. La voix criarde le tira de sa torpeur. Il sentit un coup de coude dans les côtes et sursauta.

– Hein, euh… quoi ?

– Pour la troisième fois, donne-moi le cosinus de x, soupira Madame Favre.

– Heu… je… ça fait…

– Ne lui en demandez pas trop, Madame, vous savez bien qu’il n’est… disons… pas très éveillé ! ricana un élève blond à l’allure angélique. Ce n’est pas sa faute s’il est bête.

Il éclata d’un rire moqueur, suivi par la quasi-totalité de la classe, malgré les tentatives de l’institutrice pour faire revenir le calme.

Sam baissa la tête, ramena derrière l’oreille une boucle de cheveux châtains qu’il portait à hauteur d’épaule et resta silencieux. Son teint, qu’il avait habituellement plutôt pâle, vira au cramoisi. Il avait chaud à présent, très chaud, mais son état n’était pas dû à la canicule qui régnait dans la pièce.

Le garçon serra les dents. Il ôta ses lunettes qu’il essuya d’une main tremblante, réprima les larmes qui menaçaient de jaillir et crispa le poing dans sa poche. Un poing qu’il rêvait d’assener sur le nez de Julien.

Julien… Une gueule d’ange assortie à une âme de démon. Qui, depuis son arrivée dans le quartier trois mois plus tôt, prenait un malin plaisir à le torturer. Sans raison apparente, celui-ci l’avait choisi comme souffre-douleur, l’isolant peu à peu de ses camarades. Sam, qui était jusqu’alors plutôt bon élève, avait vu ses notes chuter et éprouvait désormais de grandes difficultés à se concentrer pendant les cours.

La sonnerie retentit, créant une diversion salutaire. Les cahiers se fermèrent en un claquement sec, les écoliers se précipitèrent dehors en chahutant. Sam, lui, ne partageait pas leur enthousiasme. Car il savait que sur le chemin de la maison, il n’y aurait pas de profs pour s’interposer…

Il prit son sac en soupirant, ramassa ses affaires que Julien avait éparpillées aux quatre coins de la classe et partit se réfugier aux toilettes. Il attendit que l’école se vide de son flot d’élèves, que le silence succède au tumulte provoqué par la centaine d’adolescents impatients de rentrer chez eux.

Au bout d’un laps de temps qu’il jugea suffisamment long pour espérer échapper à son tortionnaire, il se risqua enfin à entrouvrir la porte et jeta un coup d’œil inquiet dehors. Le corridor était désert.

Il respira profondément, dévala les escaliers et se rua vers la sortie. La lumière aveuglante du soleil l’éblouit. Il prit le chemin de la maison, marchant d’un pas pressé. Il avait presque atteint son quartier lorsqu’une voix le fit sursauter.

– Binoclard, tête de gros lard…

Il se figea sur place, tétanisé. Adossé contre la paroi de l’immeuble, Julien, flanqué de ses deux acolytes, Yvan et François, l’attendait, un sourire mauvais sur le visage. Il tenait un bâton qu’il tapotait nonchalamment contre sa paume.

– Alors, l’avorton, tu ne croyais quand même pas que t’allais t’en tirer comme ça ? File-moi ton pognon.

– Je… je n’ai rien, balbutia Sam, le cœur battant.

– À d’autres, rétorqua Julien. Fais-moi voir ton sac.

– Je… je t’assure, j’ai vraiment plus un rond.

Il avait déjà piqué dix francs à sa mère la veille, il ne pouvait pas en prendre plus. Elle ne roulait pas sur l’or, elle s’en apercevrait.

– Je t’assure, l’imita Julien, faisant rire les autres, mais comment il cause, ce rigolo ?

Il lui arracha le sac des mains, l’ouvrit, et déversa violemment le contenu sur la chaussée. Sam se précipita pour ramasser le flot de feuilles éparpillées sur le sol, mais Julien le chassa d’un coup de pied.

– Laisse ça, microbe. Tes notes, je les garde, ça peut toujours servir. C’est quoi, ça ? ajouta-t-il en s’emparant d’un livre, un exemplaire relié de cuir. Oh, je vois que m’sieur aime la littérature ! C’est un beau bouquin, j’en tirerai peut-être quelque chose.

– Pas le livre, s’il te plaît, supplia Sam. Je trouverai de l’argent, promis, mais laisse-le-moi.

– Hein, c’est qu’il y tient, l’avorton. Raison de plus pour le garder !

Il l’ouvrit et le feuilleta. Quelque chose tomba par terre. Il se baissa et ramassa une photographie qu’il regarda avec mépris.

– Qu’est-ce que c’est ? Putain, il te ressemble drôlement ! Ça ne serait pas ton paternel ? Il a l’air aussi abruti que toi. Pas étonnant qu’il se soit barré, avec un fils comme toi, moi j’aurais fait pareil !

Sam sentit la colère l’envahir. Il serra les poings jusqu’à ce que les jointures de ses mains blanchissent. Une veine saillante apparut sur son front.

– N’insulte pas mon père, hurla-t-il avec une rage qui le surprit lui-même, avant de se ruer contre Julien pour récupérer son bien.

Julien fut plus rapide. Plus grand, plus costaud que Sam, il esquiva sans peine l’attaque de celui-ci. Tenant d’une main la photographie en l’air, il le frappa de l’autre. Sam poussa un gémissement et se retrouva à terre.

– Ça, minus, tu vas me le payer. Tu vois, t’es même pas assez haut pour me la prendre, ricana Julien.

Il s’acharna sur Sam. Les coups pleuvaient, sous les rires d’Yvan et de François qui regardaient la scène en jubilant.

– Eh ! Arrêtez ! cria une voix grave. Ça va, p’tit ?

Sam soupira de soulagement en reconnaissant le concierge de l’immeuble. Un solide gaillard au crâne chauve entouré d’une couronne de cheveux grisonnants, des poils hirsutes et broussailleux s’échappant de son marcel taché de cambouis.

– Ça va, merci, murmura-t-il, les larmes aux yeux et le corps endolori.

– Foutez-lui la paix, les gars. Que je ne vous reprenne plus à traîner par ici, ordonna l’homme.

Sam récupéra ses affaires, remit avec précaution la photo dans le livre et partit sans demander son reste. Il eut juste le temps d’apercevoir la colère dans le regard froid de Julien qui traça de son index une ligne le long de sa gorge. Celui-ci lui ferait payer cher sa tentative de rébellion.

Sam s’enfuit au pas de course et ne s’arrêta que lorsqu’il se retrouva devant son immeuble, un HLM de pierres brunes des années cinquante. Comme d’habitude, l’ascenseur était en panne. Il monta les escaliers quatre à quatre et parvint enfin au troisième étage. Haletant, il inséra la clé dans la serrure, avant de se ruer dans son appartement, un petit quatre-pièces vieillot, qu’il partageait avec sa mère, et de refermer derrière lui à double tour.

L’endroit aurait mérité un sérieux coup de peinture et des rénovations. Il n’avait pas changé depuis le temps où sa grand-mère y habitait. Grâce à cela, ils avaient pu obtenir un loyer très modeste.

Il balança son sac sur la commode qui jouxtait l’entrée, s’adossa contre la porte et s’affala par terre. Le visage entre les mains, il éclata en sanglots qui brisèrent le silence de l’appartement désert. Sa mère était encore au travail.

Une violente nausée le saisit et il eut tout juste le temps de se ruer dans la salle de bain. Pantelant, il se releva et se rinça la bouche avant de s’examiner dans la glace. Le miroir refléta l’image d’un garçon aux yeux tristes, noyés de larmes qui dégoulinaient sur ses joues rebondies. Il les essuya de la main. Ce geste lui arracha une grimace. Une ecchymose mauve commençait à apparaître sur sa pommette.

Sam farfouilla dans la trousse de maquillage de sa mère et trouva du fond de teint qu’il appliqua dessus. Elle ne devait pas s’en apercevoir. Elle ferait tout un foin, irait voir les parents de Julien, et après, ça serait encore pire pour lui. En plus, il avait beaucoup trop honte pour le lui dire.

Soupirant, il sortit de la pièce, retourna chercher son sac, traversa le petit corridor et emprunta le raide escalier qui menait à sa chambre. Il se laissa choir sur les coussins moelleux qui jonchaient le sol et prit le livre. Il l’ausculta avec précaution. Heureusement, il n’était pas abîmé. Il y tenait beaucoup, c’était un exemplaire du « Seigneur des anneaux » qui avait appartenu à son père, Charlie Goillon. Une des rares choses qu’il conservait de lui, sa mère ayant jeté toutes ses affaires.

Il le feuilleta et en ressortit la photographie qu’il contempla. L’on y voyait un homme, yeux noisette, cheveux châtains et petites lunettes rondes, qui tenait dans ses bras un bébé de quelques mois : Sam. La seule image qu’il possédait avec son père.

Il ne l’avait pas connu, celui-ci ayant disparu peu de temps après sa naissance, il y a près de quinze ans. Selon sa mère, il était parti après une violente dispute. Il les avait abandonnés. Mais Sam ne voulait pas y croire. En voyant le regard plein d’amour que lui lançait l’homme sur la photo, il était convaincu que celui-ci ne l’aurait pas laissé de son plein gré. Il n’avait plus jamais donné signe de vie, et Sam ne pouvait envisager qu’il l’avait ainsi rayé de son existence.

Sam avait imaginé toutes sortes d’histoires à son sujet. Son père avait-il eu un accident, était-il devenu amnésique ? L’adolescent avait aussi songé à un enlèvement par des extraterrestres. Toute explication, même irrationnelle, valait mieux que l’abandon.

« C’est vrai qu’il me ressemble », pensa Sam en pressant la photo contre son cœur.

Il la reposa puis reprit le livre et se plongea dans la lecture. Il l’avait lu une dizaine de fois mais ne s’en lassait pas. Les livres lui procuraient toujours une sensation d’évasion, de liberté. Ils lui permettaient d’échapper à un quotidien triste et monotone. Loin de Julien. Loin des soucis.

La porte s’ouvrit brutalement, laissant apparaître la silhouette rondelette de sa mère, Marion. Il ne l’avait pas entendue rentrer. Elle paraissait fatiguée, des cernes noirs soulignant ses iris bruns. Sam leva à regret les yeux de son livre. Il consulta sa montre. Six heures ! Il avait lu tout ce temps !

– Salut ! dit-il simplement.

– Bonjour, mon grand, fit-elle en se penchant pour l’embrasser. Ta journée s’est bien passée ?

– Ça va, bougonna Sam, le regard fuyant.

Sa mère le toisa, pensive. Elle semblait chercher ses mots.

– On mange dans vingt minutes, murmura-t-elle finalement avant de refermer la porte.

Sam soupira. Il avait l’impression qu’elle se doutait de quelque chose, mais ne savait pas comment lui en parler. Ces temps, elle l’observait souvent comme ça, avec inquiétude.

Vingt minutes plus tard, ils se retrouvèrent attablés à la cuisine, une casserole de pâtes au pesto devant eux. Maussade, Sam pianotait dans son assiette.

– Tu ne manges pas ? s’alarma Marion en tortillant une mèche de ses cheveux blonds, comme elle en avait coutume.

– J’n’ai pas très faim.

Sa mère reposa sa fourchette et le dévisagea :

– Sam… je… y a-t-il quelque chose que tu voudrais me dire ? Est-ce que tu as des soucis ?

– Non, tout va bien, maman…

– Ne me raconte pas de mensonge, tu sais que tu peux tout me dire. Je vois bien que tu n’es plus comme avant. Tu as changé… Tu es renfermé, triste. Qu’est-ce que tu as sur la joue ? s’écria-t-elle en remarquant l’ecchymose que le fond de teint ne parvenait plus à cacher. Qui t’a fait ça ?

– Personne, je suis tombé à vélo, c’est rien.

– Parle-moi, Sam, je t’en prie. Je peux t’aider.

– Mais puisque je te dis que tout va bien ! s’énerva Sam en se levant brutalement de sa chaise, son assiette à peine entamée dans la main. Il jeta le contenu dans le compost et sortit précipitamment de la pièce afin de se réfugier dans sa chambre.

Sa mère, désemparée, resta seule à table. Elle voyait bien que ça n’allait pas, mais elle ne savait comment l’aider. Pourquoi la repoussait-il ainsi ? Que pouvait-elle faire pour qu’il parle ? Était-ce cela l’adolescence ? Ou y avait-il autre chose de plus grave ? N’y tenant plus, elle retourna auprès de son fils.

Sur la porte de sa chambre figurait l’écriteau : « Ne pas déranger ». Elle passa outre et l’ouvrit. Sam était de nouveau plongé dans un livre, affalé sur ses coussins.

– Laisse-moi tranquille !

– Sam, je m’inquiète pour toi, je suis ta mère, c’est normal…

– Ah ouais ? T’es jamais là, de toute façon.

Marion accusa le choc. Elle ne pouvait nier qu’elle travaillait beaucoup, mais son maigre salaire d’aide-soignante suffisait à peine à couvrir leurs dépenses. Elle agrémentait parfois ses fins de mois avec quelques heures de ménage.

– Tu sais bien que je n’ai pas le choix. Mais je suis là, maintenant, et j’aimerais vraiment que tu me parles.

– J’ai pas envie. Bonne nuit, laisse-moi !

Marion capitula, les larmes aux yeux. Elle se sentait impuissante. Peut-être devrait-elle s’en référer à quelqu’un. Lundi, elle appellerait l’école et demanderait à voir le directeur.

Sam entendait son pas traînant qui s’éloignait, lourd de chagrin. Il s’en voulait de lui faire du mal ainsi, mais c’était plus fort que lui. Il n’arrivait pas à lui parler, elle aurait honte de ce qu’il était devenu. Il aurait voulu la réconforter et la prendre dans ses bras, mais n’y parvenait pas. À peine essayait-elle de dialoguer qu’il se mettait en colère. Comme s’il reportait sur elle toute la rage qu’il ressentait à l’encontre de Julien, et qu’il n’osait pas extérioriser.

Il soupira. Demain, on serait samedi, et il serait encore une fois tout seul. Il aurait bien aimé aller dehors, la météo annonçait une journée ensoleillée mais il avait bien trop peur de tomber sur Julien.

Le lendemain matin le retrouva endormi, allongé sur ses coussins, le livre ouvert sur sa poitrine. Il avait lu jusqu’à l’épuisement, et n’avait même pas eu la force de rejoindre son lit. Un coup de sonnette le tira de son demi-sommeil. Il se redressa d’un bond. Qui pouvait bien venir un samedi matin ? Sa première pensée fut pour Julien, et son cœur fit une embardée, puis il se ressaisit. Jamais Julien ne sonnerait chez lui, au risque de rencontrer sa mère.

Intrigué, il se dirigea vers l’entrée, laissa la chaînette et jeta un œil à travers la porte entrebâillée. Devant lui se tenait un garçon brun aux yeux bleus qui se dandinait d’un pied sur l’autre.

– Salut, Jonas ! s’exclama Sam. Que fais-tu là ?

– Salut, Sam. Je… euh… est-ce que tu veux venir avec moi à Sauvabelin ?

Sam le regarda, surpris, et pour la première fois depuis longtemps, il sourit. Jonas, son meilleur ami. C’était le seul qui lui parlait encore, bien qu’il se montrât lui aussi de plus en plus distant.

Avec quelques copains, ils aimaient se retrouver au lac de Sauvabelin, près de la tour. Mais ça, c’était avant Julien. Les autres l’avaient depuis abandonné.

– Un peu, que je le veux ! répondit Sam, tout excité. Attends-moi là, je file m’habiller.

Il laissa Jonas dans le petit corridor obscur et se précipita dans sa chambre, enfilant à la va-vite un bermuda et un tee-shirt. Son humeur maussade avait cédé la place à une joie indescriptible. Dire qu’il pensait ne plus avoir d’ami. Il fit un rapide tour par la salle de bain, coiffa négligemment ses cheveux ondulés et retourna vers Jonas.

– J’suis prêt, allons-y !

Ils sortirent de l’immeuble d’un pas pressé, jetant des regards inquiets autour d’eux. Ils durent courir pour attraper le bus qui arrivait, de l’autre côté de la route. Il n’y avait pas grand monde à l’intérieur : un vieux monsieur s’appuyant sur une canne et une jeune maman entourée de deux marmots brailleurs qui ne tenaient pas en place.

– Tu ne peux pas savoir comme ça me fait plaisir qu’on se retrouve tous les deux aujourd’hui, dit Sam, souriant à son ami.

Celui-ci ne répondit rien et esquissa un pâle rictus. Les mains sur les genoux, il pianotait nerveusement et paraissait mal à l’aise ; de toute évidence, il n’avait pas envie de parler. Sam haussa les épaules : Jonas se calmerait sans doute une fois qu’ils seraient loin à l’abri des regards, dans les bois.

Le bus fit une halte, laissant descendre le vieux monsieur et la jeune mère devant le vivarium, puis redémarra. Ils étaient seuls, désormais. Sam s’en étonna, d’ordinaire le lac de Sauvabelin était un lieu très couru. Il comprit en arrivant pourquoi le bus était désert.

En lieu et place du joli petit lac bordé d’arbres et d’enclos de chèvres, vaches et autres animaux se tenait un vaste chantier à ciel ouvert. Les travaux de rénovation avaient commencé, ne laissant qu’un immense bourbier. Il ne restait plus grand-chose de l’endroit paisible où il aimait se ressourcer. Le restaurant était également fermé.

– Pas grave, aux moins on sera tranquille. Allons à la tour.

– Je, euh… Sam, je crois… peut-être que… répondit Jonas dans un gargouillis.

Sam le regarda, étonné. Son ami n’avait vraiment pas l’air bien. Son teint, de pâle, était devenu livide, il paraissait sur le point de s’évanouir. Une goutte de sueur perlait sur son front. Il avalait bruyamment sa salive, comme s’il cherchait à surmonter une nausée.

– Qu’est-ce qu’il t’arrive, Jonas, tu es malade ?

– Je… oui… non…, ça va aller.

– T’es sûr ? T’es vraiment bizarre, tu sais ?

Jonas passa une main fébrile dans ses cheveux. La manche de son tee-shirt glissa, dévoilant une large ecchymose sur son épaule.

– Qui t’a fait ça ? C’est Julien, c’est ça ?

– C’est rien, maugréa Jonas avec un brin d’agressivité tout en réajustant son vêtement.

Il inspira profondément, tentant de reprendre contenance.

– Allons-y, finit-il par dire, la voix tremblante.

Il poursuivit son chemin, traînant les pieds, comme s’il voulait retarder le moment d’arriver. Sam le regardait sans comprendre. Quelle mouche avait bien pu piquer Jonas ? Pourtant, il devrait être rassuré : personne ne le verrait en sa compagnie. Un léger trouble l’envahit, l’impression furtive d’un danger imminent. Quelque chose clochait, il en était certain.

Ils s’approchaient de la tour lorsque soudain Jonas s’arrêta net, puis se retourna vers Sam. Son visage était à présent totalement défait, des gouttes de sueur se mêlant à de franches larmes.

– J’suis désolé, Sam. Ils m’ont obligé ! balbutia-t-il avant de s’enfuir à toute vitesse.

Sam eut l’impression de recevoir un coup de poignard en pleine poitrine. Une onde de choc le traversa. Estomaqué, le souffle court, il se retourna et regarda Jonas, son soi-disant ami, qui l’abandonnait, le laissant seul dans les bois.

Seul ? Pas vraiment. Un mouvement dans le taillis attira son attention. Tétanisé, incapable d’esquisser un geste, ses yeux grands ouverts fixaient les trois silhouettes qui sortaient à présent de leur cachette.

– Salut, Goillon, tu ne t’attendais pas à nous voir, pas vrai ? ricana Julien en s’avançant vers lui. Tu ne croyais quand même pas que t’allais t’en tirer comme ça ? T’as eu de la chance, l’autre jour, quand le gars s’est pointé, mais ici, il n’y aura personne pour venir à ton secours !

Il éclata de rire, suivi par Yvan et François, hilares, qui se jetaient des coups de coude.

– Hein, je t’ai bien eu ! Tu pensais que t’allais te faire une petite virée avec ton « ami » ? Mais, Ducon, t’as pas d’ami. T’es tout seul, mon vieux, même ton soi-disant copain t’a laissé tomber. Aussi une poule mouillée, celui-là. T’aurais dû le voir, hier, il avait tellement peur qu’il en faisait presque dans son froc. Il n’a pas mis long avant d’accepter de me donner ce rencard avec toi !

– Ouais, même qu’il pleurnichait comme une donzelle, renchérit Yvan.

– S’il te plaît, non, je ferai tout ce que tu veux, minauda François en imitant Jonas.

Sam les regardait s’approcher, les jambes raides. Il sentait son cœur battre si fort dans sa poitrine, à la limite de l’explosion. Une main glacée serrait fermement ses tripes, leur imposant une torsion douloureuse. Ses yeux affolés clignotèrent en tous sens, à la recherche d’une aide providentielle.

Mais cette fois, elle ne viendrait pas. Il était seul face à ses bourreaux qui lui barraient le passage. Son unique issue, la forêt. Fuir, il aurait bien voulu, mais ses jambes refusaient d’avancer, clouées au sol par une lourde chape de plomb.

– Alors, poltron, on fait moins le malin ? rigola Julien. Ça va être ta fête !

– Ouais, renchérit François, on va bien s’amuser. Regardez-le donc, cette poule mouillée ! Il n’ose même plus bouger. Aussi trouillard que ton père ! Paraît que lui aussi c’était une mauviette !

Une onde de rage traversa Sam, lui donnant un regain d’énergie. Il ne supportait pas que l’on critique son père. L’adrénaline coula à flots dans son sang, libérant ses membres paralysés. Ni une ni deux, il bouscula Julien, qui s’apprêtait à lui flanquer une raclée, et prit ses jambes à son cou, à une vitesse qui le surprit lui-même. Il s’enfuit par un petit sentier qui serpentait au milieu des chênes millénaires.

– Tiens donc, le voilà qui se réveille, fit Julien, l’œil mauvais. Il croit peut-être pouvoir nous échapper, en courant comme une gonzesse ?

– Et si on faisait une partie de chasse à l’homme ? proposa Yvan. Ça mettra un peu de piment, ça serait trop facile sinon.

– Ouais, bonne idée, applaudit François.

– OK, les gars, on lui laisse quelques secondes et on lance la chasse, rigola Julien.

Quelques secondes plus tard, les trois adolescents s’élancèrent à la poursuite de leur gibier. Sam, de son côté, ne les avait pas attendus. Obnubilé par la pensée que Julien le rattrape, il fonçait tête baissée sans se retourner. Il savait que ce n’était qu’une question de temps ; il n’avait jamais été très sportif, contrairement à Julien qui faisait partie du groupe d’athlétisme. Sa poitrine le brûlait et il haletait, des gouttes de sueur perlant sur son front devenu cramoisi.

Il quitta le sentier, s’enfonçant plus profondément dans les bois. Les taillis épineux laissèrent de longues estafilades rouges le long de ses jambes nues, arrachant un pan de son bermuda. Il ne ressentait même pas la douleur, trop occupé à mettre de la distance entre lui et ses assaillants. Il pouvait les entendre à présent, ils n’étaient plus très loin derrière lui. Une voix confirma ses craintes.

– Regardez, ici ! Un bout de son short.

– Il est parti par là ! cria Julien. On arrive, Goillon, t’es foutu.

Sam continua sa course. Il ne s’arrêta que lorsqu’il se retrouva face à une barrière qui coupait la route, un haut treillis séparant le domaine de Sauvabelin du reste de la forêt. Un écriteau en interdisait l’accès. Il hésita. Passé cet obstacle, il s’engagerait dans la partie la plus sombre et la plus profonde du bois. Cet endroit avait une sinistre réputation. Il avait vaguement entendu parler d’une légende qui racontait qu’elle était peuplée de créatures étranges et qu’un monstre sanguinaire y régnait.

Il se retourna. La vue de Julien, à quelques mètres, acheva de le décider. Il le craignait bien plus qu’un hypothétique monstre. Sans réfléchir, il escalada le grillage et sauta par-dessus. Il rata sa réception et roula sur le côté sans trop de mal. Il se releva et continua sa course, s’enfonçant dans les bois de plus en plus sombres. De ce côté, le garde-forestier ne s’y aventurait jamais. La nature y était toute-puissante ; les arbres multicentenaires en rangs serrés, tels des soldats menaçants, cernaient des buissons de ronces et d’orties.

Julien marqua un temps d’hésitation avant d’escalader le grillage. S’il avait été seul, il ne s’y serait pas risqué, mais il y avait ses potes, derrière, qui l’observaient… Il leur montrerait qu’il ne craignait rien ni personne.

François et Yvan, eux, étaient restés derrière le treillis et le regardaient disparaître dans les bois avec anxiété. Une fois hors de vue, Julien ralentit le pas et scruta autour de lui, peu rassuré. Loin de sa bande, il avait un peu perdu de sa superbe. Il maudit Sam qui l’avait entraîné dans cet endroit. Il l’aperçut, au loin, se débattant avec un buisson d’aubépine qui s’était accroché à ses vêtements.

Julien afficha un sourire satisfait. Il allait lui faire passer un mauvais quart d’heure. Il s’apprêtait à lui bondir dessus quand un mouvement dans un bosquet lui glaça le sang.

Il venait de remarquer une ombre géante qui se détachait de la silhouette des sapins.

Tremblant, il fit demi-tour et détala comme un lapin rejoindre ses compagnons. Une fois arrivé à la palissade, il reprit contenance et afficha un air de vainqueur.

– Le monstre des bois s’occupera de cette vermine. Barrons-nous, il ne va pas tarder à pleuvoir.

Ses copains regardèrent le ciel qui s’était chargé de lourds nuages sombres et acquiescèrent. Ils partirent sans demander leur reste, laissant Sam à la merci de la créature.

Sam, lui, ne s’était aperçu de rien. Il ne pensait qu’à fuir. Il n’avait pas remarqué que Julien avait abandonné la partie ni vu la silhouette noire qui l’observait de loin. Une fois libéré du buisson qui avait eu raison du reste de ses vêtements, il continua sa course.

La forêt se densifiait à mesure qu’il avançait, les ronces qui jonchaient le sol devenaient plus tortueuses. Soudain, le ciel se déchira et déversa une pluie torrentielle. Les gouttes ruisselèrent sur le garçon transi, se mêlant à ses larmes.

Il poursuivit malgré tout, se retournant de temps en temps, jetant des regards inquiets par-dessus son épaule. La pente était raide, il longeait un petit escarpement rocheux. Son pied glissant sur le sol détrempé, il perdit l’équilibre et chuta. Sa tête heurta une pierre avec violence et il s’évanouit, un filet de sang s’échappant de sa bouche. L’ombre s’approcha de lui, l’enveloppant de son manteau noir.

2

Le monstre des bois

Sam reprit lentement connaissance. Tout son corps le faisait souffrir. Surtout sa tête. Il avait l’impression qu’un marteau fracassait impitoyablement son crâne. Il tenta sans succès d’ouvrir les yeux. Ses paupières lui semblaient anormalement lourdes, comme si quelque chose l’empêchait de les soulever. Une vague de panique le saisit. Il ne voyait plus rien, le noir complet. Il essaya de se relever, mais là aussi ses membres ne répondaient plus aux injonctions de son cerveau. Impossible de bouger, ne serait-ce que le petit doigt ! Il était paralysé. L’angoisse déferlait à présent sur lui tel un ouragan.

« Tétraplégique, je suis devenu aveugle et tétraplégique ! » songea-t-il avec anxiété.

Il voulut crier, mais seul un son proche du coassement sortit de sa gorge brûlante. Une quinte de toux le saisit, provoquant une douleur intense qui prit naissance dans son crâne, irradiant jusqu’à la pointe des pieds. Il crut s’évanouir à nouveau mais se ressaisit. Il venait de réaliser une chose essentielle : il avait ressenti la douleur ! Il n’était donc pas paralysé !

L’adolescent respira profondément afin de se calmer, comme il l’avait appris au cours de sophrologie. Chaque inspiration lui arrachait une grimace, ses poumons le faisant souffrir, mais il se sentit tout de même légèrement apaisé. Il reprit lentement ses esprits, tentant de se remémorer ce qui l’avait amené dans cette situation. La trahison de Jonas, le guet-apens de Julien, puis la course folle et la chute.

Après, plus rien. Le trou noir. Sans doute était-il toujours dans la forêt. Qui donc viendrait le chercher ici ? Allait-on le retrouver ?

Il réalisa, dépité, que son unique espoir résidait dans Julien et sa bande. Ceux-ci ne devaient pas être loin. Il tendit l’oreille. Personne ! L’on n’entendait même pas le piaillement des oiseaux. Seul un petit crépitement étrange, comme le bois qui se consume dans une cheminée. Il huma l’air, et l’odeur âcre et piquante du feu lui envahit les narines. Un incendie ! Il devait à tout prix sortir de là.

Malgré sa peur, il concentra toute son énergie pour tenter de bouger à nouveau. Cette fois, les doigts de sa main droite répondirent. La gauche, elle, restait désespérément inerte. Il remua ses phalanges et sentit quelque chose de doux. Il réalisa qu’un plaid le recouvrait. Rien à voir avec les branchages qui tapissaient le sol de la forêt !

Il continua son inspection, toujours à l’aveugle, de sa seule main valide. Un tissu serré emmaillotait sa jambe, et sans doute la totalité de son corps. C’est pour cela qu’il était incapable de bouger ! Quelqu’un l’avait momifié ! Il était prisonnier ! Qui donc avait pu lui faire ça ?

Julien ? Il en doutait, ce n’était pas son genre, lui préférait les poings. Une pensée le saisit, effrayante. Il se trouvait dans le coin le plus sombre de la forêt lorsqu’il avait chuté. Une légende disait que des créatures démoniaques y vivaient, et que des disparitions étranges s’y étaient produites ! Était-il la proie de l’une de ces créatures ?

Un bruit soudain le glaça de terreur. Un son sourd, puissant, comme le pas d’un pachyderme, suivi du martèlement d’un tambour.

Pam, pam, papam…

Il lui fallut quelques instants pour comprendre que c’était les battements de son cœur qui résonnaient à ses oreilles. Le bruit de pas, en revanche, était bien réel. Il se rapprochait inexorablement, faisant trembler le sol. Il devait appartenir à une créature gigantesque. Un bruissement l’accompagnait, tels des feuillages que l’on écarte, puis la sensation d’une présence à ses côtés.

Sam se figea et contrôla sa respiration, faisant semblant de dormir. Il sentit qu’on lui appliquait quelques gouttes entre ses lèvres, un breuvage amer qui lui donna envie de vomir. Il se retint. Il ne devait surtout pas montrer qu’il était réveillé. La créature se penchait sur lui, son souffle fétide le caressant. Allait-elle le dévorer ? Pourtant, elle entreprit de défaire ses bandages, libérant ses membres endoloris. C’était le moment ! Avec l’énergie du désespoir, il se redressa, tentant de s’échapper. Une douleur fulgurante le traversa, si intense, qu’il sombra à nouveau dans l’inconscience. Combien de temps ? Il n’aurait su le dire.

Lorsqu’il refit surface, la douleur s’était quelque peu estompée. Il remarqua que l’on avait resserré ses liens. Il essaya d’ouvrir les paupières. Le bandeau qui les masquait avait disparu. Malgré tout, il voyait flou : seules quelques taches noires dansaient devant ses yeux. Il tenta de se repérer dans la pénombre qui l’environnait, mais en vain. Tout juste aperçut-il une ombre qui se déplaçait à quelques mètres.

Il n’était pas seul. La créature était là ! À qui appartenait cette silhouette qui se rapprochait à présent de lui ? Et où se trouvait-il ?

L’endroit sentait le renfermé, une odeur rance de vieilles pierres humides. Une cave, peut-être, ou même une grotte ? Son imagination allait bon train. Il entendit à nouveau les pas lourds venir vers lui.

– Ah, tu es réveillé, fit une voix féminine. Ne bouge pas, tu es gravement blessé.

Sam sursauta. La voix était étrange, avec un timbre surnaturel, comme le doux murmure du vent. Il se demanda s’il n’avait pas rêvé lorsqu’elle répéta :

– Je suis désolée de t’avoir ligoté ainsi, mais j’ai dû confectionner des bandages serrés. Tu as de nombreuses fractures. Une chance que je sois passée par là, sinon, je crois que tu n’aurais pas survécu à tes blessures.

Sam voulut parler mais même sa mâchoire le faisait souffrir.

– Ne t’inquiète pas, avec mes remèdes tu seras vite sur pieds. Je vais te donner une mixture qui te soulagera.

Elle s’approcha de lui, lui soulevant doucement la tête. Il hésita un instant, puis avala lentement le liquide chaud, une gorgée après l’autre. Celui-ci était meilleur que le précédent, il sentait bon les épices. Sam reconnut de la cannelle et des clous de girofle ; pour le reste, il aurait été bien en peine de trouver les autres ingrédients. Le breuvage lui fit du bien, il avait l’impression que la douleur s’atténuait déjà.

– Qui… qui es-tu ? demanda-t-il faiblement.

– Je m’appelle Cyclopée. Mais ne parle pas, tu dois te reposer. Le remède va te faire dormir. À ton réveil, tu seras guéri.

Sam voulut répondre, mais une torpeur l’envahit. Il sentit ses yeux qui se fermaient, indépendamment de sa volonté. La potion faisait déjà effet. Il ne lutta pas longtemps avant de sombrer dans un sommeil sans rêves.

La caresse d’un rayon de soleil le réveilla. Il ouvrit les paupières et remarqua qu’il voyait à présent parfaitement bien. Étonnamment clair, pour quelqu’un qui était myope comme une taupe sans ses lunettes.

Comment était-ce possible ?

Il remua ses membres un par un, prudemment, avant de s’apercevoir avec satisfaction que la douleur avait entièrement disparu. Les soins prodigués se montraient très efficaces.

Sam regarda autour de lui et détailla rapidement la pièce. Il ne s’était pas trompé : il se trouvait bien dans une grotte d’une taille exceptionnelle. Un haut plafond de voûte orné d’une tenture de lunes et d’astres lui donnait l’impression de se retrouver sous un ciel étoilé. Des murs de pierres brutes, égayés par une tapisserie florale, le soutenaient.

Il était étendu dans un lit immense au centre de la pièce, recouvert d’un édredon de plumes et de coussins moelleux. Un grand coffre de bois d’ébène, une table ainsi que deux chaises gigantesques complétaient le tableau. Des braises finissaient de se consumer dans l’âtre, où chauffait une marmite. De petits orifices percés dans la roche laissaient passer la lumière du jour et des chandeliers à plusieurs branches prenaient la relève à la nuit tombée.

Il était seul, nulle trace de la personne qui l’avait soigné. Il avisa ses vêtements qui séchaient, suspendus devant la cheminée. Il remarqua alors qu’il n’était vêtu que de son slip. Il se leva doucement, posant avec précaution un pied au sol. La douleur redoutée ne vint pas. Le remède était d’une efficacité prodigieuse.

Sam marcha jusqu’à l’âtre et enfila rapidement ses habits. Ils étaient encore légèrement humides et collaient à sa peau mais il s’en accommoderait.

Un bruit de pas sourd le fit se retourner. Il regarda avec plus de curiosité que d’appréhension les buissons qui faisaient office de porte s’écarter, dévoilant un être surnaturel qui le laissa sans voix.

Il sentit son cœur bondir dans sa poitrine, plus du fait de l’excitation que de la peur. Si la créature avait voulu le dévorer, elle l’aurait déjà fait. À moins qu’elle ne le garde pour plus tard… mais dans ce cas, pourquoi l’avoir soigné ?

La guérisseuse était effectivement d’un physique peu commun. D’une stature immense, sa taille avoisinait les trois mètres. De forte corpulence, elle était vêtue d’une toge bordeaux parsemée de petites lunes. Ses longs cheveux couleur fauve étaient tressés et rassemblés en un énorme bouquet au-dessus de sa tête. Mais ce qui impressionnait tant Sam, c’était ce visage si particulier : un œil unique au milieu d’un front bombé, un gros nez proéminent et une minuscule bouche qui paraissait se noyer dans cet amas de chair.

Ainsi, c’était elle, le monstre dont les histoires terrorisaient les petits Lausannois ?

Pourtant, tant de bonté émanait d’elle qu’il ne ressentait plus aucune peur. Bouche bée, il sentit l’excitation croître en lui. Elle était semblable aux créatures magiques qui peuplaient ses lectures ! Se pourrait-il qu’elles existent vraiment ?

Mais ce sentiment fit rapidement place à l’incrédulité. Il devait certainement rêver. Le choc à la tête lui donnait des hallucinations.

Il se pinça le bras et grimaça. Non, il ne rêvait pas, la douleur était bien là.

– Bonjour, Sam…

– Je… euh, bonjour. Vous… connaissez mon nom ?

– Mon savoir est considérable, répondit la créature dans un mystérieux sourire. Mais tu peux me tutoyer. Tu te sens mieux ?

– Heu, beaucoup mieux, merci, je n’ai même plus mal. Mais… vous… tu… tu es vraiment réelle ?

– Aussi réelle que toi, rit la géante. Je suis une Cyclopus Orpheus, déesse de la forêt.

Elle prit place sur l’une des gigantesques chaises, l’invitant à l’y rejoindre.

– Une déesse ! Comme dans mes livres !

– Oui, l’univers de la magie existe bel et bien. Il n’est pas seulement le fruit de l’imagination de quelques écrivains. Ce que tu as pu lire dans tes ouvrages est issu de faits authentiques, du moins en partie. Les légendes et les mythologies qui peuplent ton monde ne sont que le résultat de la mémoire ancestrale des hommes.

– Tu veux dire que les démons, dragons et autres monstres existent vraiment et que les humains les ont un jour côtoyés ?

– Oui, comme je te l’ai dit, ils sont aussi réels que moi. Ne t’es-tu jamais interrogé sur les origines de toutes ces légendes ? Comment expliques-tu le fait que les mêmes histoires se retrouvent dans des civilisations et des religions aussi différentes les unes que les autres ? Tout simplement parce qu’elles ont effectivement eu lieu et que tes ancêtres en ont été les témoins.

– Incroyable ! Mais comment… pourquoi ?

Sam était si excité que les questions se bousculaient dans sa tête.

– Je vais tout te raconter, mais tu dois me promettre de garder le secret. Ton peuple a oublié ces événements de son passé. Pour lui, monstres et dragons ne sont désormais plus que des légendes, et c’est mieux ainsi.

– Je le jure !

– Très bien. Alors, ouvre grand tes oreilles : il fut un temps fort lointain, où les deux univers se côtoyaient. Tous vivaient en harmonie dans l’empire d’Aezdria. L’empereur Ormandi régnait avec bonté et justesse sur les humains tandis que le Mage Philétus gouvernait le monde magique. Mais un jour, le puissant et maléfique sorcier Gargandal tenta de s’emparer du pouvoir. Il sema la terreur avec son armée de Dragandards, et voulut réduire ton peuple en esclavage. Après de longues années de combat qui firent d’innombrables victimes, Philétus parvint enfin à vaincre les forces des ténèbres. Ne pouvant détruire Gargandal, qui était immortel, il l’emprisonna, le condamnant pour l’éternité dans un tombeau enfoui au plus profond de la terre. La paix était revenue, mais l’équilibre encore précaire.

Craignant que de telles atrocités se reproduisent, il fut décidé de séparer les deux univers afin de protéger les humains. Ceux-ci quittèrent alors l’empire d’Aezdria, sous les ordres d’Ormandi. Pour faciliter leur adaptation à leur nouveau monde, on leur retira leurs souvenirs. Seules quelques bribes perdurèrent dans leur subconscient, donnant lieu aux légendes. Puis Philétus érigea une bulle invisible qui établissait une frontière infranchissable entre les hommes et les créatures magiques. Il fut proclamé empereur et règne depuis lors sur Aezdria.

Sam l’écoutait, bouche bée. Il imaginait les événements, comme s’il les avait vécus. Le bruit de son estomac qui gargouillait le ramena à la réalité.

– Je suppose que tu as faim ? Je présume que la bouillie de crapaud ne te tente guère, que souhaites-tu manger ?

– Effectivement, je préférerais quelque chose de plus classique.

Devant ses yeux ébahis, la table croula soudain sous un monceau de victuailles. Pain, fromage, poulet croustillant, tout ce qui composait un festin réussi !

– Ouah, s’exclama-t-il, impressionné. Comment as-tu fait ça ?

– Tu sembles oublier que je suis une déesse, cela fait partie de mes pouvoirs. Heureusement, ajouta-t-elle en riant, car il n’y a pas beaucoup de supermarchés dans ces bois, et comme tu peux le voir, j’ai un gros estomac à remplir.

Sam était dévoré de curiosité et avait mille questions à lui poser, mais la faim fut la plus forte. Il se souvint qu’il n’avait même pas pris la peine de petit-déjeuner le matin. Il se rua sur le poulet grillé à souhait, les petits pains chauds et moelleux, les pommes de terre dorées qui croustillaient sous la dent. Entre deux bouchées, il la soumit à un véritable interrogatoire.

– Comment se fait-il que tu vives dans cette forêt, et non dans l’empire d’Aezdria ? Je croyais la frontière infranchissable.

– Elle aurait dû l’être, en effet. Cependant, alors que Philétus érigeait le dôme, les disciples maléfiques de Gargandal lancèrent une ultime offensive. Cela eut pour conséquence une brèche permettant le passage entre les deux mondes.

– Et cette brèche se trouve ici ?

– Oui. J’en suis la gardienne.

Sam faillit s’étouffer avec un os de poulet. Il la regarda, bouche bée, au comble de l’excitation.

– Et c’est le seul endroit pour y pénétrer ?

– Le seul permanent, en tout cas. Il est un autre lieu où une déchirure se produit parfois momentanément. Dans ces cas-là, tous ceux qui se trouvent dans le périmètre sont aspirés dans l’empire d’Aezdria.

– Et que deviennent tous ces gens ?

– Malheureusement, la plupart n’en reviennent jamais. Ceux qui survivent au transfert sont faits prisonniers.

– Prisonniers ? Mais par qui ?

– Les adeptes de Gargandal n’ont pas renoncé à leur projet de réduire en esclavage les humains. Ils essaient aujourd’hui encore de franchir la frontière. Je suis chargée d’en assurer la sécurité.

– Seule contre tous ?

Cyclopée sourit.

– Ma magie est puissante ; faire apparaître de la nourriture n’est pas mon unique talent. Et puis, des sentinelles veillent de l’autre côté. Cela suffit d’ordinaire à retenir les forces du mal, bien que parfois ils arrivent à leurs fins, ajouta-t-elle, son regard se voilant.

– Qu’advient-il des esclaves ?

– Dragonna, qui règne sur les Dragandards, utilise les hommes pour réaliser des expériences et prélever l’essence de vie de certains afin d’accéder à la jeunesse éternelle. Ceux qui restent sont employés à creuser des tunnels.

– Des tunnels ?

– Oui, Dragonna cherche à libérer Gargandal. Un sorcier aussi puissant serait en mesure de détruire la coupole protectrice et d’envahir ton monde, Sam. Paradoxalement, la magie ne peut rien pour briser le sortilège qui l’emprisonne. Seul un humain peut y parvenir. Les Dragandards font donc forer des tunnels pour accéder au tombeau enfoui au centre de la Terre. Pour cela, ils ont besoin d’une main-d’œuvre fort nombreuse. Des générations d’esclaves se sont succédé à cette tâche. Cela fait maintenant mille ans qu’ils ont entamé les travaux, ils atteindront bientôt leur but. Et ce jour-là annoncera le début d’une ère nouvelle…

– Waouh ! Et on ne peut rien faire pour les arrêter ?

Cyclopée resta un moment silencieuse et le fixa de son œil unique.

– Garder le portail intermonde n’est pas la seule raison de ma présence ici, finit-elle par dire, éludant sa question.

– Ah bon ? Et quelle est ton autre tâche ?

– Je t’attendais, Sam.

L’adolescent recracha la gorgée d’eau qu’il venait d’avaler, ce qui lui provoqua une quinte de toux.

– Tu m’attendais ?

– Oui, répondit doucement Cyclopée.

– Mais, pourquoi ?

– Il existe une prophétie qui stipule que seul un enfant né dans le monde des humains parviendrait à détruire le mal et libérer les esclaves. Son cœur doit être pur, et son âme innocente.

Il la regarda en silence, laissant son esprit s’imprégner de ses paroles.

– Et quel rapport avec moi ?

– Je pense que tu es cet enfant. Tu possèdes quelque chose de particulier en toi, que j’ai perçu dès que je t’ai vu. Je crois que tu es l’Élu.

– Tu dois te tromper. Je n’ai rien d’un héros. Je passe ma vie à courber l’échine, à essuyer les brimades des autres. Je ne suis qu’un bon à rien.

– Je te trouve bien dur avec toi-même, Sam. Je suis sûre que tu vaux beaucoup plus que ce que tu estimes. Aie confiance en toi, tu es quelqu’un de bien, je le sens. Mon œil ne me trompe jamais, répliqua Cyclopée.

Sam la regardait, dubitatif. Il ne semblait pas convaincu.

– Que sais-tu de tes origines, Sam ?

– Mes origines ?

– Oui, connais-tu la lignée de tes ancêtres ?

– Mes ancêtres ? Heu, non. Mon père a été adopté. Je ne l’ai pas connu, il a disparu peu après ma naissance.

– Il n’est pas parti de son plein gré, Sam. Il fait partie des esclaves emmenés en Aezdria.

Sam accusa le choc. Blême, il bredouilla :

– Mon père ? Prisonnier ? Mais comment…

– Lorsque je t’ai vu, qui courais comme un pauvre diable, je t’ai tout de suite reconnu. Tu lui ressembles beaucoup. Il a été enlevé il y a une quinzaine d’années humaines, sans que je ne puisse l’empêcher. Les Dragandards étaient trop nombreux. Je m’en souviens très bien, il se débattait et ses dernières paroles avant de franchir le passage furent pour toi.

Sam resta un moment silencieux. Il se sentait si perdu. Des sentiments contradictoires le tenaillaient. À la tristesse de savoir son père esclave se mêlait un certain soulagement. Il ne les avait pas abandonnés, lui et sa mère. Il n’était pas parti de son plein gré. Cela confortait ce qu’il avait toujours su au fond de lui. Pendant toutes ces années, son père était resté prisonnier dans un monde parallèle, comme il se l’était imaginé dans ses histoires. Il devait le retrouver ! Mais était-il seulement encore en vie ?

– Il faut le sauver ! Philétus ne peut-il pas intervenir ?

– Hélas ! soupira Cyclopée, Philétus n’est plus ce qu’il était. Le temps a fini par avoir raison de ses forces…

Elle n’en dit pas plus, mais Sam comprit qu’il n’aurait aucune aide à attendre venant de l’Empereur. Il ne pouvait cependant se résoudre à laisser son père aux mains de ses tortionnaires.

– Je veux le retrouver. Il doit bien exister un moyen.

– Ce moyen, Sam, c’est toi.

– Mais qu’est-ce qui te fait croire ça ?

– Comme je te l’ai dit, ton visage m’est familier. Mais pas uniquement à cause de ton père. La prophétie stipule que celui qui parviendrait à détruire Gargandal serait le descendant direct d’Ormandi.

– Ormandi ? L’empereur ?

– En personne. Tu es son portrait craché, Sam. Je l’ai bien connu, je suis immortelle…

Sam mit une main devant sa bouche et secoua la tête. Il dut se pincer à nouveau pour vérifier qu’il ne rêvait pas.

– La décision t’appartient, Sam. Tu peux rentrer chez toi maintenant, et tout ceci n’aura été qu’un songe pour toi. Tu oublieras mon existence ainsi que celle de l’empire d’Aezdria. Ou tu peux opter pour l’aventure. Mais sache que si tu choisis cette voie, le chemin sera long et semé d’embûches. Tu devras affronter mille dangers, ceci au péril de ta vie. Je ne puis garantir ton retour. Tu devras laisser derrière toi ceux que tu aimes, tout ce que tu as toujours connu. Réfléchis bien avant de prendre ta décision.

Sam se sentait complètement perdu. Les émotions se bousculaient en lui. Il songeait à sa mère, à la peine qu’il allait lui infliger s’il partait. Elle devait être morte d’inquiétude à l’heure qu’il était, le cherchant partout.

Mais rentrer chez lui signifiait retourner à son existence monotone et triste, subir encore et encore les attaques de Julien et de sa bande. Alors qu’il avait enfin la possibilité de réaliser son rêve, d’explorer ce monde ignoré de tous ! Il était l’Élu ! Le descendant d’un illustre empereur !

Et surtout, son père avait besoin de lui. À cette pensée, il sentit la confiance le gagner. Cyclopée avait foi en lui, il ne voulait pas la décevoir. Il se devait d’aller au-devant de sa destinée. Il redressa alors ses épaules qu’il gardait souvent courbées, et dit d’une voix claire et forte :

– Je suis ton homme Cyclopée. J’accepte la mission.

La déesse ne put s’empêcher de rire. En l’espace d’un instant, Sam paraissait grandi. L’adolescent faible et complexé qu’il était avait fait place à un jeune homme sûr de lui.

– Soit, si tel est ton souhait. Je te donnerai une missive que tu porteras aux sentinelles postées de l’autre côté. Ils te fourniront l’aide ainsi que les informations dont tu auras besoin pour mener à bien ton périple. Ce sont des Aezdanan, du royaume d’Azourian. J’ai entière confiance en eux.

– Des Aezdanan ? Quelle sorte de peuple est-ce ?

– Dans vos légendes, ils sont connus sous le nom d’elfes.

Sam était maintenant au comble de l’excitation. Voilà qu’il allait rencontrer ses premiers elfes !

Avec toutefois une certaine anxiété, il s’apprêta à partir. Cyclopée lui tendit alors une petite fiole contenant un liquide bleuâtre. Un fumet odorant s’en échappait.

– Bois cela.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Tu ne peux pas prendre la route ainsi, tu es beaucoup trop vulnérable. Dès que les Dragandards seront avertis, tu n’auras plus de répit. Tu serais une proie trop facile. Ce breuvage te métamorphosera en Aezdanan. Ils sont très respectés, et ce sont de grands voyageurs. Tu pourras dès lors te déplacer incognito.

Sam s’empara de la fiole et l’avala en quelques gorgées. Le liquide provoqua une sensation de chaleur tout au long de son œsophage et un goût amer emplit son palais. Un fourmillement prit naissance dans ses orteils et se propagea le long de ses jambes. Puis le changement s’opéra sur la totalité de son corps. Il pouvait sentir chacun de ses membres s’allonger, comme si une main invisible tirait dessus. Il prit ainsi une bonne quinzaine de centimètres. Ses oreilles s’affinèrent en une extrémité pointue, son visage perdit un peu de ses rondeurs, formant un ovale parfait. Même sa coupe de cheveux se modifia : il les portait à présent court sur la nuque. Sur son front, incrusté entre ses yeux étirés en amandes, un cristal en forme de losange brillait d’un pur éclat.

Il posa la main sur son front et caressa le cristal d’un air étonné.

– Qu’est-ce que c’est ?

– De l’Azranite, un diamant des plus purs. Le symbole des Aezdanan. Ils l’ont depuis la naissance. Certains disent que c’est de là qu’ils tirent leur immortalité.

La déesse sortit alors de sa malle une tenue de style médiéval que le garçon enfila aussitôt avant de s’admirer : pantalon moulant beige clair, tunique grise descendant à mi-cuisse, cintrée par une ceinture. Des bottines de cuir souples et légères, portées à mi-mollet, complétaient le tableau. Sam émit un sifflement. Être dans la peau d’un Aezdanan lui plaisait. Il se sentait plus fort, comme si la pierre lui donnait un peu de son pouvoir.

– Bien, c’est beaucoup mieux, se réjouit Cyclopée. Tiens, prends également ceci, ajouta-t-elle en lui tendant un pendentif de forme ovale serti de joyaux. C’est un talisman, il te protégera lors de ton périple.

– Merci, fit Sam en le mettant autour de son cou.

– Il est l’heure de s’en aller, à présent, le temps nous est compté. J’ai été ravie de faire ta connaissance ; puissent nos chemins un jour à nouveau se rencontrer. Que ton voyage se déroule sous les meilleurs auspices.

Elle le serra dans ses bras puis retira la tenture qui tapissait le mur de la grotte, dévoilant un vortex lumineux.

Le cœur de Sam battait la chamade. Il était impatient de partir, de découvrir ce que lui réservait l’empire d’Aezdria, mais ressentait en même temps une certaine appréhension. Quels périls allait-il devoir surmonter ?

Après avoir fait ses adieux, il avança une main légèrement tremblante et toucha le vortex. C’était gluant et visqueux. Il pouvait sentir une force, derrière, qui cherchait à l’aspirer. Il retira précipitamment ses doigts, haletant.

– Aie confiance en toi, mon garçon, tout se passera bien. La sensation est un peu étrange, je te l’accorde, mais c’est sans danger.

Sam ferma les yeux et inspira lentement, songeant à son père. Cette dernière image lui donna du courage. Il avança la main, et, cette fois, ne la retira pas. Il sentit à nouveau cette force qui l’aspirait, et son corps tout entier disparu, englouti par le vortex.

3

Azourian

Le cœur au bord de l’implosion, Sam luttait contre la nausée. Le passage à travers le vortex ne l’avait pas laissé indemne, tant la force d’aspiration était intense. Il lui fallut quelques minutes pour reprendre son souffle, puis il regarda avec intérêt le paysage qui l’entourait.

En lieu et place de la forêt touffue, une prairie couverte de fleurs multicolores ondulait au gré d’une légère brise. A