Les Noviens - Guilhem L. Lucubrastel - E-Book

Les Noviens E-Book

Guilhem L. Lucubrastel

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Beschreibung

Alors que les Terriens affrontaient une menace mortelle apparue dans le système solaire en 2031, ils eurent la chance inouïe de déceler une exoplanète où ils pourraient à terme se réfugier.
L’intégralité des programmes spatiaux fut réorientée dans le but d’installer les premiers colons avant la fin de la décennie suivante, après une phase d’exploration approfondie par une équipe de reconnaissance déployée sur Terra Nova.
« Une fois sur place pour en évaluer l’habitabilité, nous découvrîmes qu’elle était vide de tout occupant, malgré des signes évidents que ses nombreuses richesses étaient exploitées. Ce constat fit planer le doute sur l’existence d’une forme de vie intelligente disparue, avant qu’une rencontre improbable remette en cause les fondements de notre civilisation.
Confrontés à une situation totalement inédite, nous avons adapté notre mission afin de préserver les valeurs que nous incarnions. En dépit de nos efforts désespérés pour éviter un affrontement inégal, nous avons été débordés par des ambitions démesurées qui ont conduit l’humanité dans une impasse. »
Carrie-Ann Bendarr, qui embarqua avec neuf autres astronautes à bord de Magellan-1 à destination de Terra Nova en 2045, narre cet épisode hypothétique de notre futur pour nous éclairer sur des réalités que nous ne devons plus ignorer.
Le roman d’anticipation humaniste qui en résulte fait largement écho aux soubresauts que traverse notre monde actuel, mais aussi aux aspirations d’une génération qui s’inquiète pour son sort et celui de la Terre.
www.lesnoviens.com




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Guilhem L. Lucubrastel

Les Noviens

Prologue

Je m’appelle Carrie-Ann Bendarr, et je viens de la planète Terre où je suis née en 2000, il y a cinquanteans.

En compagnie de deux hommes et de deux femmes, j’ai foulé en 2047 le sol de HIP 11915 c.

Délaissée pendant longtemps, cette exoplanète en orbite autour d’une étoile située à 190 années-lumière de chez nous avait été retrouvée de manière fortuite seize ans auparavant.

Une fois sur place grâce à un passage énigmatique, rien ne s’est déroulé tel que nous l’anticipions, car nous fûmes confrontés à des réalités de l’humanité que les Terriens avaient ignorées jusqu’alors.

Nous cherchions un refuge, nous avons trouvé une alternative.

Nous imaginions débarquer dans un monde inhabité, nous nous rencontrâmes nous-mêmes.

Nous étions les dépositaires de l’utopie de toute une civilisation, nous la conduisîmes involontairement dans une impasse.

Nous incarnions le futur, nous sommes restés bloqués dans le présent, après avoir ravivé le passé.

Nous sommes connectés avec des humains, et pourtant, nous avons perdu le contact avec la Terre.

J’ignore si quelqu’un sur ma planète connaîtra un jour la fin de cette aventure à laquelle j’ai été associée grâce à un enchaînement de circonstances imprévisibles.

J’ai donc à cœur d’établir cette chronique qui constitue l’unique récit complet des péripéties qui nous ont conduites sur HIP 11915 c, et des événements bouleversants dont nous avons été les témoins directs.

Au moment de partager ma vision personnelle de notre destinée collective, je ressens une profonde gratitude à l’égard des plus humanistes parmi celles et ceux qui ont, avec détermination et optimisme, forgé notre épopée envers et contretout.

Ces femmes et ces hommes engagés ont engendré une dynamique dont nous sommes toutes et tous les héritiers. Elle ne cessera jamais malgré les incertitudes sur notre existence passée et future.

Origines

LaTerre

Notre univers s’est agencé de manière totalement aléatoire. Il a pourtant accouché d’un monde unique en son genre qui constitue peut-être le stade ultime de son développement.

Notre planète est en cela un prodige absolu qui résulte de très nombreuses coïncidences. Elles tiennent du miracle, ou plus prosaïquement, d’un hasard merveilleux auquel nous devons une existence et une conscience.

Parmi ces circonstances exceptionnelles, la proximité de son orbite elliptique par rapport à son étoile, le Soleil, lui garantit une exposition quasiment idéale. Étant située à une distance adéquate, elle bénéficie d’un rayonnement relativement intense. Il lui évite d’être trop froide, mais sans être carbonisée, le destin assez courant de la plupart des astres moins chanceux.

La composition du système solaire, et notamment la présence de deux planètes gazeuses, a exercé une influence majeure sur l’émergence initiale de la Terre dans un tourbillon cosmique. La colossale Jupiter a très tôt fait le ménage, en agrégeant une grande partie des gaz et de la matière éparpillés au fur et à mesure que sa trajectoire la rapprochait du Soleil. Cette propension aurait pu s’avérer préjudiciable. Par chance, Neptune a en quelque sorte tenu ce mastodonte en laisse pour le maintenir dans une orbite excentrée, laissant ainsi le champ libre à l’apparition de nos voisines rocheuses, Mars, Vénus et Mercure.

De plus, la position assez isolée du système solaire dans la Voie lactée nous préserve de la menace d’un trou noir dont on soupçonne l’existence au cœur de notre galaxie, ou d’un risque de télescopage avec d’autres corps célestes en mouvement.

Mais l’élément fondamental dans le destin de notre planète si spéciale pourrait finalement venir de la Lune, ce satellite situé à près de 400 000 kilomètres auquel nous sommes habitués au point de ne plus y prêter vraiment attention.

Elle s’est formée à partir des débris de la collision d’un astre avec la Terre, coïncidence plus heureuse qu’il n’y paraît de prime abord. En effet, seuls des fragments résiduels auraient été satellisés si l’agresseur avait été trop petit. À l’opposé, notre planète aurait pu être pulvérisée ou être éjectée hors du système solaire en cas de choc avec un corps trop massif. Au lieu de cela, la roche projetée au moment de l’impact s’aggloméra en une sphère d’un rayon équivalent à un quart de celui de la Terre, lui restant attachée par un fil invisible.

Cette collision a entraîné plusieurs conséquences non négligeables et essentiellement positives, celle d’incliner l’axe de la Terre à 23,5 degrés, et surtout d’accélérer sa rotation. Le fait que la Terre tourne sur elle-même assez vite maintient un champ magnétique par effet d’induction du noyau métallique liquide qui se trouve en soncœur.

Il donne naissance à un bouclier qui nous isole des rayonnements nocifs émis par le Soleil, ainsi que des radiations sournoises provenant du fin fond de l’espace. Les particules qui s’insinuent au travers de ce rempart sont pour l’essentiel ionisées au contact des molécules présentes dans l’atmosphère. Ce phénomène est à l’origine d’aurores boréales, des sortes d’illuminations du ciel que l’on peut admirer en se rapprochant des pôles.

La Lune agit surtout comme le balancier qui permet au fil-de-fériste de garder son équilibre. Sans elle, la vie sur Terre telle que nous la connaissons ne se serait sans doute pas épanouie. Elle stabilise les mouvements de cette énorme boule ballotée par des forces irrésistibles. Elle lui épargne de subir des bouleversements climatiques brutaux et erratiques auxquels les êtres vivants y ayant pris racine n’auraient pas un temps suffisant pour s’adapter.

Grâce à des conditions de plus en plus clémentes, des formes de vie très simples puis complexes y ont éclos à de multiples reprises, suivant des cycles d’apogée et de déclin, parfois jusqu’à disparaitre totalement. La Terre n’est en effet pas immune à des catastrophes soudaines et dévastatrices d’ampleur globale. Cette mésaventure dramatique survint aux dinosaures qui démontrèrent malgré eux que nul n’est à l’abri de menaces cataclysmiques dans un monde apparemment accueillant.

Bien que ces reptiles fussent un succès indéniable de l’évolution, ils ont tout de même été effacés de la surface de notre planète au bout d’une longue période de domination. Après un règne sans partage pendant 230 millions d’années, ils ont commencé à décliner en raison de changements climatiques caractérisés par un refroidissement graduel. L’impact d’un astéroïde précipita leur disparition. 165 millions après leur apparition.

Il forma un immense cratère, une cicatrice toujours apparente qui est la marque minéralogique irréfutable d’un épisode loin d’être unique dans l’histoire géologique de notre planète.

Une strate noire très ancienne excavée dans plusieurs régions contient des teneurs élevées en iridium, une matière originaire de l’espace. Cette preuve permit de confondre le coupable bien que la plupart de ses victimes ne soient plus là pour porter plainte.

Les rares gros animaux qui ont perduré jusqu’à ce jour, les requins, les tortues ou les alligators sont des champions toutes catégories de la survivance. Une polyvalence extrême leur conféra des capacités d’adaptation fantastiques. Elle assura leur longévité sur la terre et dans les mers, au moins jusqu’à l’émergence d’une espèce pétrie de contradictions qui a rebattu toutes les cartes, et à laquelle rien sur Terre n’était vraiment préparé.

Homo Contradictus

Cet habitant tardif de la Terre a suivi un chemin d’évolution spécifique, et dans une large mesure, tracé par ses soins. Avec les humains, le rapport à l’environnement s’est inversé. Ils ont su un temps s’affranchir des contraintes imposées par le cadre naturel de leur existence. Ils se l’approprièrent au point d’être capable de l’adapter à leurs besoins, et finalement de parvenir à se modifier eux-mêmes jusqu’à ne plus tout à fait se reconnaître.

Cette expérience nouvelle de métamorphose d’une espèce animale a démarré avec des groupes de grands singes, au moment où ils ont quitté la protection des forêts dans lesquels ils vivaient depuis des millions d’années. Pourquoi l’ont-ils fait en prenant des risques insensés ? Tout simplement parce que le nombre d’arbres disponibles diminuait, et qu’ils y étaient aptes sur tous les plans ; physiquement en se déplaçant sur deux jambes ; mentalement en affrontant leurs peurs ; psychiquement en luttant contre un instinct qui leur dictait de rester à l’abri ; et intellectuellement, en mettant en œuvre des stratégies de survie pour se nourrir, se réchauffer et se défendre.

Ces capacités innées ou acquises sont le résultat d’un mélange entre mutation, évolution et adaptation. Un jour, les plus aventureux, les plus désespérés ou les plus curieux ont emprunté le long chemin qui allait les conduire à devenir des « Homos ».

J’éprouve de l’admiration sans bornes et de la reconnaissance infinie à l’égard de ces hominidés préhistoriques mâles et femelles qui ont eu le courage de prendre notre destinée en main. Ce faisant, ils ont écrit les toutes premières lignes de l’histoire de l’humanité.

Pendant deux millions d’années, leurs descendants ont produit les pages suivantes dont nous retrouvons seulement des bribes. Les capacités des vagues successives s’amélioreraient régulièrement comme l’indique leur nom scientifique, Homo Habilis (habile), Ergaster (artisan), Erectus (debout) et Sapiens (intelligent).

Certaines branches sont mortes, notamment celle formée par l’homme du Neandertal qui n’a pas fait le poids face à un Homo Sapiens déjà prépondérant. Ce dernier émergea il y a environ 200 000 ans et remporta haut la main le titre de vainqueur de la course de l’évolution. Il profita malencontreusement de sa domination pour s’arroger le trophée beaucoup moins enviable de prédateur majeur sur Terre.

190 000 ans de lent progrès, basé au départ essentiellement sur la maîtrise du feu, des techniques de chasse de plus en plus élaborées, et une créativité artistique et spirituelle croissante, conclurent le premier chapitre de notre histoire. L’être humain aurait pu en rester là, n’ayant eu par contraste qu’un impact relativement mineur jusque-là.

De manière troublante, notre destin s’est significativement accéléré sans raison apparente. En seulement 10 000, les Terriens passèrent de la fin de l’âge de pierre à celui des ordinateurs, alors que des millions d’années leur furent nécessaires pour quitter l’état animal. Ils chamboulèrent au passage l’équilibre de leur relation avec une nature qui avait pourvu à tous leurs besoins et au sein de laquelle ils vivaient en symbiose.

Après plusieurs millénaires d’hégémonie incontestée, un sentiment plus ou moins sournois se diffusa parmi nous au cours des premières décennies du 20e siècle. La planète qui nous hébergeait gracieusement depuis si longtemps était désormais acculée au bord d’un précipice en raison de notre présence massive et de notre style de vie. Une sixième extinction avait débuté. Elle avait pris la suite des disparitions antérieures de nombreux animaux et végétaux dans lesquelles les Terriens avaient déjà une part de responsabilité directe, et plus ou moins bien assumée.

En fin de compte, l’anthropocène se révélera n’être qu’un très bref épisode dans l’histoire de la Terre. Elle conclut une ère quaternaire marquée par l’effacement des glaces à cause d’une civilisation au destin de plus en plus indécis.

Nous dûmes admettre à regret et sur le tard que la vie telle qu’elle s’était manifestée depuis notre apparition ne serait plus jamais la même. Nous en portions toute la responsabilité, n’ayant pas été à la hauteur de notre rôle en tant qu’espèce dominante et peut-être unique en son genre dans tout l’Univers connu.

Je m’interrogeais sur les enchaînements qui nous avaient inexorablement entraînés à devenir les acteurs puis les spectateurs d’actions qui engendrent autant d’incertitudes sur notre avenir. Et surtout, je me demandais pourquoi nous avions pris un risque d’extinction désormais statistiquement possible à l’échéance de l’existence de nos enfants.

La réalisation de la chance extraordinaire que nous avions d’habiter une planète hospitalière et pleine de vie aurait dû conduire à la protéger. Au lieu de cela, nous nous entêtâmes à épuiser les ressources de la Terre, des plus abondantes aux plus rares, quitte à en gaspiller, en n’écoutant que nos envies.

Pourquoi ? Parce que l’homme demeure la seule espèce animale connue qui s’acharne à posséder plus que nécessaire pour vivre avec un minimum de confort. Les êtres humains aiment accumuler des richesses plus que tout. Cela leur permet de satisfaire toutes sortes de plaisirs qui naissent de la détention d’objets précieux ou de la capacité d’imposer en retour une autorité sans limites, souvent illusoire.

Une fois parvenus à un stade de développement plus avancé, nous ne pouvions plus nous passer des combustibles fossiles, du charbon, du pétrole et du gaz. Ces trésors terrestres étaient incontournables pour approvisionner les usines en énergie ou pour alimenter les véhicules en carburant. En seulement quelques dizaines d’années, nous avions réussi à rejeter dans l’atmosphère les milliards de tonnes de CO2 que notre sous-sol avait mis une éternité à transformer sous l’effet de la pression et de la chaleur.

La date à laquelle nous avions consommé la totalité de la production de la Terre était un peu plus précoce chaque année, dans une quasi-indifférence générale. Elle tomba le 29 juillet l’année de mes 20 ans. Cela signifiait que nous avions vécu à crédit du 30 juillet au 31 décembre. Contrairement à un emprunt bancaire, nous ne remboursions jamais rien d’utile à notre planète pour qu’elle se régénère en parallèle.

L’exploitation à outrance des ressources naturelles nécessaires à l’industrialisation galopante engendra ainsi une pollution généralisée qui devint le problème numéro un dans notre monde. La qualité de la vie s’y dégradait inexorablement avec des conséquences très néfastes sur notre santé et notre bien-être.

Malgré l’élévation régulière des températures moyennes à la surface de la Terre, et la diminution de plus en plus rapide de la biodiversité, la plupart des individus se montraient puérilement réticents à altérer leur mode d’existence. Ils étaient persuadés qu’ils pouvaient s’autoriser tous les excès, et que la technologie résoudrait l’ensemble de leurs tourments infine.

C’était devenu presque banal, d’abord nous détruisions, ensuite nous réparions, donnant l’illusion d’une éternité qui pourrait le cas échéant être étendue à l’espèce humaine. Je craignais que nous ne puissions plus nous débarrasser d’une très mauvaise habitude, celle de nous mettre en péril, tout en escomptant trouver après des solutions pour nous en sortir. Nous appliquions cette logique comme un ressort de motivation inconsciente pour recréer en permanence le contexte de notre combat victorieux pour la survie originelle.

Cette insouciance apparente provenait de plusieurs facteurs qui nous sont propres.

Faute de vision universelle, instituer un processus d’autoévaluation objective concernant notre façon de mener la barque de l’espèce humaine n’était pas imaginable. L’égoïsme individuel, communautaire ou national, primait sur l’intérêt général.

De plus, les Terriens avaient depuis toujours cultivé un sentiment d’impunité, n’ayant pas identifié de perspectives crédibles d’être collectivement jugés et condamnés pour leurs crimes et leurs négligences par le tribunal de l’univers.

Si nous avions envisagé sérieusement que nos actions en tant que civilisation pourraient un jour être évaluées par d’autres que nous, notre comportement aurait certainement été tout autre.

Risques existentiels

Au début des années 2020, nous étions parvenus à un tournant très ardu à qualifier. Aucune expression disponible ne donnait une vision intelligible de l’état du monde, mais toutes confirmaient un pessimisme croissant et la crainte d’être pris dans une spirale infernale. On parlait plus ou moins vaguement de point de bascule, critique ou de rupture. On évoquait pudiquement un moment charnière, clé ou crucial.

Nous n’arrivions pas non plus à nous entendre sur les symptômes et les remèdes pour résoudre les défis majeurs auxquels nous étions confrontés sur Terre. Nous nous sentions écartelés entre ceux qui portaient une grande part de responsabilité des impasses où nous étions acculés, et ceux qui allaient en subir les conséquences, sans être convaincus d’être en position d’inverser la tendance.

Nous avions vécu dans le déni, bercé d’illusions sur la prétendue supériorité de l’homme, plutôt que d’écouter ceux qui nous prévenaient de la nécessité de mieux prendre en compte les risques encourus par notre civilisation. Au lieu de poursuivre les politiques et les mesures garantissant la sauvegarde du patrimoine biologique et physique de la Terre, nous nous étions égarés en futilités.

Des déconvenues successives d’envergure planétaire érodaient la confiance des Terriens dans leur faculté à rebondir et à se sortir des situations les plus désespérées. Elles écornaient insensiblement le mythe d’invincibilité de l’être humain, et soulignaient notre aveuglement devenu suicidaire. Beaucoup trop d’occasions avaient été perdues. L’obscurantisme des siècles précédents et les théories délétères du complot de l’époque moderne eurent un effet pernicieux, au point de semer le doute sur notre capacité à inverser le cours de l’Histoire pour parvenir à nous sauver.

Des individus éclairés prenaient pourtant la peine de nous alerter régulièrement sur le bilan manifeste que notre mode de vie dispendieux et irrespectueux n’était bien évidemment pas viable.

Même si l’intention s’avérait avant tout métaphorique, un groupe de savants émettaient un bulletin annuel depuis les années 1940. Ils y donnaient l’heure de l’horloge avant la fin du monde fixée symboliquement à minuit. La source de la démarche des auteurs originaux, les Scientifiques Atomiques, remonte à l’époque de la réalisation que la maîtrise de l’atome pour développer des armes de plus en plus destructrices pourrait conduire à notre perte définitive.

70 ans plus tard, au lieu de se réduire, le spectre des menaces prises en compte englobait désormais le changement climatique, ainsi que les dangers d’origine biologique. Des facteurs aggravants, tels que l’explosion de la désinformation et le dénigrement de la science, affaiblissaient pernicieusement les démocraties et la crédibilité des scientifiques.

En 2021, l’horloge affichait 23 h 58 min 20 s, soit 100 secondes avant l’apocalypse. Au lieu de chercher les moyens de retarder cette échéance, un des objectifs poursuivis par ses créateurs, l’appel restait ignoré. Le désir d’éviter la fin du monde n’était pas aussi primordial que d’acheter le dernier gadget à la mode et de ne l’utiliser qu’à 10 % de ses capacités.

Alors que les menaces technologiques se multipliaient, avec en particulier des craintes grandissantes que des intelligences artificielles nous rendent esclaves, le risque biologique devint lui une réalité quotidienne. L’élevage intensif ou l’urbanisation croissante opérés au détriment de zones vierges plaça les hommes en contact permanent avec des animaux porteurs de coronavirus tels que les chauves-souris. La première pandémie majeure du 21e siècle dura plusieurs années, entraînant la mort prématurée de millions de personnes assaillies par une dizaine de variants.

En dépit du rafistolage d’un modèle d’assurance sociale exsangue après avoir dominé les cinquante ans précédents, de graves tensions apparurent. Elles étaient attisées par les populistes et les nationalistes de tous bords, et pas uniquement dans les pays les plus pauvres ou les plus touchés par les crises économiques.

La raison fondamentale de ces tensions résidait ailleurs. Elle avait lentement germé, favorisée par une ignorance volontaire. Quand détourner le regard d’une réalité prégnante ne fut plus crédible, il était bien trop tard. Le péril climatique qui menaçait l’ensemble du globe s’était enkysté au point de remettre en cause les fondements de l’humanité.

Le réchauffement de l’atmosphère engendrait une montée des océans, au début imperceptible, puis inarrêtable. Bien qu’elle planât au-dessus de la tête d’une myriade de gens survivants d’expédients dans des mégalopoles localisées sur des deltas, cette plaie fut cachée comme une maladie honteuse. Quand la vérité éclata finalement, le débat pour déterminer les mesures à engager pour inverser la tendance se transforma en mascarade.

Hélas, la réalité confirma les prédictions les plus pessimistes faites par les scientifiques en vain pendant les décades au cours desquelles nous avions tergiversé. Ce qui aurait dû rester un simple problème d’urbanisme affectant les littoraux se mua en une catastrophe planétaire. L’inertie du climat est telle que les êtres humains durent s’approprier toutes les régions émergées, ne laissant aucune place aux animaux sauvages, inéluctablement cantonnés dans deszoos.

Tragiquement, nous incarnions désormais la menace ultime pour nous-mêmes et pour toutes les espèces vivant sur Terre. Cela aurait dû demeurer l’exclusivité des cataclysmes naturels, qui s’apprêtaient d’ailleurs à nous rappeler qu’ils n’avaient pas dit leur derniermot.

Les tremblements de terre ou les éruptions volcaniques nous sont familiers, car ils ont marqué notre histoire ancienne et récente. Cependant le principal péril global pesant sur nous ne vient pas de notre planète, mais de l’espace, en l’occurrence d’un astéroïde entrant en collision avec elle. Bien que ce soit un événement rare, une fois tous les 100 000 ans en moyenne pour les petits, et beaucoup plus pour les gros, ils restent heureusement prévisibles dans une certaine mesure.

Le phénomène intriguait les hommes depuis qu’ils avaient remarqué des visiteurs lors de leur traversée régulière du ciel, dont la comète de Haley qui est une des plus visibles. Du fait de leur récurrence, ces excursions de corps célestes furent considérées comme présentant un danger pour la Terre et ses habitants. Leur surveillance constante au cas où ils auraient la mauvaise idée de s’approcher trop près de notre planète impliqua la mise en œuvre progressive de moyens scientifiques et techniques dédiés.

Les astronomes du Planetary Defense Coordination Office de la NASA suivaient la trajectoire de ces objets géocroiseurs, ou NEOs (Near Earth Objects), en orbite autour du soleil. Ils calculaient la probabilité que l’un des très nombreux visiteurs d’un jour côtoie la Terre à une distance pouvant constituer une menace. La carte de leur route ressemblait à une patinoire après un match de hockey. Cependant, le risque est infime que deux voyageurs de la taille d’un grain de poussière relativement à l’immensité de l’espace se situent exactement au même endroit à un moment donné.

Les plus téméraires frôlaient pourtant la Terre, mais en se tenant assez éloignés et sans entraîner de conséquences dommageables. Les NEOs étaient systématiquement passés au crible avant d’être évalués sur l’échelle de Turin, établie pour mesurer leur niveau de dangerosité de zéro à dix. Tous ceux connus se trouvaient au minimum, sans exception.

C’était plutôt rassurant sachant qu’aucune des stratégies imaginées pour totalement les éliminer avant qu’ils nous heurtent n’aurait de sérieuses chances de succès. Les bombarder avec un missile les égratignerait sans les dérouter. Une solution un peu plus efficace, telle que celle de poser une sonde sur un astéroïde pour y creuser un trou et le remplir d’explosifs, ne permettrait au mieux que de le casser en deux ou trois morceaux. Enfin, il restait à démontrer que l’idée de les dévier à l’aide d’engins spatiaux projetés contre eux pouvait donner les résultats probants.

Le risque nul n’existant pas, la protection de la Terre passait par le renforcement constant des capacités de détection avancées d’une menace plausible. L’information très en amont procurerait un maximum de temps pour prendre des dispositions en fonction de sa taille. Les simulations de trajectoire futures n’ayant jamais fait état de danger significatif avant plusieurs centaines d’années, tout semblait parfaitement sous contrôle.

Malgré cela, l’alerte fut soudainement lancée début 2031 grâce à la surveillance effectuée par NEOWISE, un satellite dédié au monitoring des NEOs. Un astéroïde qui n’aurait pas dû se trouver dans le Système solaire fit son apparition dans la liste des objets potentiellement nuisibles, catégorie poids lourd.

Il se révéla être une brute dense d’environ 11 km de diamètre pesant au minimum 4 billions de tonnes. Sa route croise deux fois notre planète par révolution, sur une orbite autour du Soleil appelée Aton, c’est-à-dire assez courte et pour l’essentielle située à l’intérieur de celle de la Terre.

Une première simulation de ses trajectoires futures le plaça d’abord au niveau cinq de danger sur l’échelle de Turin, correspondant à une probabilité de passage très proche, mais restant à affiner.

Il entra alors dans l’histoire en tant que 2031 WTF, blague d’un astronome facétieux qui ne fut pas relevée assezvite.

Malheureusement, les supercalculateurs confirmèrent avec une marge d’erreur infime qu’il serait susceptible de nous heurter lors de croisements en 2033 et 2075. Cette contingence le repositionna au neuvième rang de la graduation des risques. Cela dénotait en clair que le destin des dinosaures soixante-cinq millions d’années plus tôt nous pendait dorénavant aunez.

Compte tenu de sa taille et d’une vélocité estimée à 50 000 km/s, de nombreux experts prétendaient même que son potentiel de dévastation le prédestinait à atteindre le maximum de dix. Cela équivaudrait à une destruction partielle ou totale de notre planète.

La presse, toujours friande de titres sensationnels, donna le nom de Shinigami à 2031 WTF, signifiant littéralement la « personnification de la mort » en japonais, symptomatique de la nature du péril que couraient désormais les habitants de la Terre.

Une telle collision engendrerait une succession de phénomènes ravageurs, causés par l’onde funeste qui se propagerait à grande vitesse sur un rayon de milliers de kilomètres, où personne ne survivrait. Le relâchement brutal d’électrons qui crée un EMP (Electro Magnetic Pulse) « incapaciterait » la plupart des équipements électriques. Il provoquerait des tsunamis d’une puissance inimaginable, pas tant à cause du choc, même s’il avait lieu dans l’océan, mais des tremblements de terre et des glissements de terrain généralisés qui en découleraient.

Durant les heures et jours suivants, l’air serait chauffé par les débris rendus incandescents par leur redescente de la basse atmosphère et par des incendies embrasant la totalité des terres émergées. Sa température s’élèverait au-delà des 100 ° Celsius, assez pour porter l’eau à ébullition.

Une fois la fournaise atténuée, une période prolongée de refroidissement intense surviendrait. Elle serait quasiment glaciaire, le temps que les fumées et poussières qui obstruent la lumière du Soleil se dissipent en retombant sur la surface du globe.

Dans le pire des cas, la croute terrestre se fracturerait de toutes parts, rallumant les mégas volcans en sommeil depuis une éternité, notamment celui de Yellowstone.

Des dizaines de millions de personnes seraient en danger de mort immédiate, quel que soit le lieu de l’impact. Des centaines périraient au cours des semaines, mois et années suivants, sans parler des plantes et des animaux qui seraient eux aussi décimés.

Si un tel scénario se confirmait, de très nombreuses générations seraient nécessaires pour retrouver l’ancien mode de vie des humains qui repartiraient avec une population potentiellement divisée pardix.

Le fait de compter plus de sept milliards d’habitants allait finalement peut-être nous sauver de l’extinction au lieu de causer notre déchéance.

Les gouvernements annoncèrent des mesures ambitieuses pour rassurer les gens, en promettant des travaux pharaoniques destinés à construire d’immenses abris souterrains où se réfugier au cas où toutes les tentatives de détruire Shinigami resteraient vaines. Cependant, personne n’acceptait la perspective de se trouver confiné des mois, des années, voire à vie, dans une cave avec des centaines d’inconnus.

De nouvelles idées extravagantes pour stopper Shinigami émergeaient, notamment celle d’envoyer un filet tracté par quatre petites fusées pour le ralentir et le détourner. Un investisseur du Moyen-Orient promit de participer au financement en échange des droits de propriété sur les images de la saisie, et même sur l’astéroïde lui-même en cas de capture. L’autre option crédible qui consistait à percuter l’intrus avec un vaisseau assez lourd pour le dévier de sa course ferait l’objet de tests grandeur nature.

Face à un monstre tel que Shinigami, les probabilités de succès de ces ripostes restaient encore trop basses pour nous remonter le moral.

La plupart des humains ne croyaient d’ailleurs plus vraiment à toutes ces promesses de secourir une Terre déjà malmenée à cause du manque de prévoyance des autorités qui avaient trop tardé à tirer le signal d’alarme. Mais était-ce seulement la faute des politiciens ? C’est en connaissance de cause que nous avions élu les représentants qui garantissaient le maintien de notre mode de vie. Nous savions même quelles conséquences néfastes cela pouvait avoir, pour nous et nos enfants, et pourtant nous avons préféré que nos gouvernements entretiennent l’illusion que nous pouvions poursuivre notre existence en ne fournissant que quelques efforts symboliques.

Ils n’étaient plus suffisants face aux enjeux planétaires. Seuls des sacrifices fondamentaux pourraient inverser la tendance pour améliorer le quotidien pendant que nous pouvions encore en profiter.

Je faisais partie de la génération qui avait grandi dans ce monde où les menaces existentielles devenaient très concrètes, sans que la majorité des Terriens soit vraiment prête à tout faire pour nous en éviter les désagréments.

Quand je n’étais qu’une enfant, je me demandais souvent à quelle époque j’aurais aimé vivre. J’avoue que je me disais que la période actuelle me convenait. Une fois adulte, je rêvais plutôt de pouvoir retourner dans un passé moins indécis.

Parcours initial

À l’époque de ma naissance, mes parents s’étaient installés dans la Silicon Valley en Californie, à l’ouest des États-Unis d’Amérique, le plus riche pays de la Terre et l’un des plus vastes.

J’ai deux frères que j’adore, mais avec lesquels je n’ai plus partagé beaucoup de temps une fois adultes. Cela ne m’empêche pas de penser à eux en permanence, et plus encore maintenant que je ne les reverrai jamais.

Nous avons eu le bonheur de vivre au sein d’une famille stable et équilibrée, à une période où un tel environnement constituait déjà une chance exceptionnelle pour des enfants. Grâce à cela, nos parents ont pu nous transmettre les valeurs qui nous ont guidés tout au long de notre vie. Ils nous armèrent sans que nous en soyons forcément conscients pour affronter des épreuves insoupçonnées.

Ils se rencontrèrent à l’Institut de Technologie de Californie, puis s’installèrent ensemble une fois diplômés, mais sans se conformer au standard du mariage. À l’époque de ma naissance, mon père dédiait le plus clair de son temps à gérer les investissements d’un fonds de Private Equity au capital de firmes spécialisées dans les biotechnologies. Ma mère, quant à elle, dirigeait une équipe de recherche consacrant son énergie à déterminer les causes profondes de l’épidémie de myopie qui sévissait depuis plusieurs années dans la plupart des sociétés modernes.

Leurs obligations professionnelles les absorbaient, sans être une excuse pour justifier un manque d’implication dans notre développement personnel. Ils trouvaient toujours le temps de partager leur vision du monde avec nous, forgée en combinant une grosse dose de réalisme éclairé, avec un peu d’espoir et d’optimisme. J’ai d’ailleurs souvent eu l’impression qu’ils avaient à cœur de ne pas trop attiser la flamme de nos désillusions.

Ils ont créé un cadre relationnel souple, nous permettant de poursuivre nos aspirations et nos idées, quitte à nous laisser commettre de petites erreurs afin que nous en tirions nous-mêmes des leçons. Rien de grave, mais suffisamment bouleversant pour que cela n’arrive pas une deuxième fois avec des conséquences irréversibles plus dramatiques. Je n’oublierai jamais cette fois où mes frères et moi avions « pris » des planches sur un chantier de construction de maisons pour nous fabriquer une cabane. Le promoteur avait fini par porter plainte, obligeant nos parents à payer une somme ridiculement élevée pour y mettre fin. Dans nos têtes, ce n’était pas du vol, jusqu’au moment où une voiture de police remonta le petit chemin au milieu des bois dans notre direction !

Forte de cette expérience marquante, je me suis toujours efforcée d’anticiper les conséquences de mes actes pour éviter de commettre l’irréparable, certaine qu’une bonne étoile ou un ange gardien veille sur moi. Je suppose que c’est en réalité mon inconscient qui éclaire discrètement mes décisions. J’aime beaucoup l’idée de ce lien entre les valeurs qui nous ont été transmises et la qualité de notre jugement pour nous abstenir d’un mauvaispas.

Au lieu de nous forcer à aller dans une direction ou de nous influencer outre mesure, ils se sont contentés de nous prodiguer des avis précieux au moment où nous tâtonnions encore pour fixer le cap de notre vie. Ils se sont attachés à ce que mes frères et moi soyons suffisamment autonomes pour prendre notre destin en main. Nous avons ainsi bénéficié d’une grande liberté dans le choix de nos voies respectives, sécurisés par l’éclairage puissant concernant les périls et les opportunités de l’existence qui nous accompagne depuis toujours.

Pour ma part, j’ai étudié la psychologie à l’université de Stanford. Je le dois à un de mes professeurs du Lycée. Il m’avait mis cette idée en tête en me déclarant un jour « cela vous apprendra à vous connaître vous-même afin de renforcer l’impact positif que vous avez sur les autres ». Je reconnais que les rapports humains me passionnent. J’essayais au départ de comprendre pourquoi les relations sont, soit naturellement fluides, soit irrémédiablement difficiles, en fonction des individus et des circonstances. J’ai aussi abordé le problème de l’épuisement psychologique, devenu critique dans nos vies personnelles et professionnelles, avec l’ambition un peu folle de déterminer comment le prévenir et s’en prémunir. La réponse que je croyais reposer sur une notion de force mentale s’est révélée une fausse piste puisque tout le monde peut craquer. Admettre que nous avons tous des limites constitue le début de la solution.

Une fois diplômée, j’ai tiré avantage de budgets croissants pour intervenir dans le milieu pénitentiaire compte tenu de l’explosion du nombre de prisonniers des deux sexes. Je travaillais pour une organisation non gouvernementale dans le but d’aider les détenus à surmonter les traumatismes liés à l’incarcération. J’aspirais à les préparer à leur réinsertion sociale, mais au lieu de cela, le but était plus prosaïquement de préserver leur désir vacillant de se reconstruire en évitant que les individus internés se détruisent par désespoir. J’avais découvert à cette occasion que les plus démunis se livraient à des délits dès leur sortie pour retourner dans leur cellule, parce que c’était la seule vie qu’ils connaissaient.

Contrairement à leurs déclarations, la plupart des détenus que je rencontrais étaient loin d’être tous innocents. En revanche, ils étaient tous des victimes d’un modèle économique qui n’offrait que deux alternatives. La première, marcher ou crever, en cumulant trois petits boulots pour survivre. La deuxième, vivre d’expédients et commettre la faute justifiant une mise à l’écart temporaire ou définitive de la société. La ligne de démarcation entre ces alternatives est ténue. J’ai fini par réaliser que l’argent perpétuellement injecté dans un système pénitentiaire au bord de l’explosion devrait plutôt être consacré à la prévention et au soutien des personnes en difficulté avant qu’elles ne deviennent délinquantes.

J’avais bien perçu que l’administration des prisons est un business comme un autre qui doit sans cesse être alimenté en nouveaux condamnés. J’ai envisagé de m’engager pour obtenir des réformes, mais j’ai vite déchanté en constatant que les dés sont pipés par des intérêts ultras puissants. Je me suis finalement trouvé assez de bonnes raisons pour cesser de m’impliquer dans une mission à laquelle je ne croyais plus. Je ne voulais pas apporter ma caution à cette hypocrisie. Je souhaitais éperdument changer de voie après cet épisode insatisfaisant de ma vie qui perdait chaque semaine un peu plus desens.

Nous avons tous entendu un jour quelqu’un déclarer « on est si peu de chose ». Cela correspond à une certaine vérité sur le plan biologique, mais ne devrait pas servir d’excuse pour justifier l’inactivité ou des entreprises nuisibles. Je me suis insensiblement rendu compte qu’au lieu de nous considérer comme insignifiants, nous devrions assumer notre importance en tant qu’espèce vivante et relativement intelligente. Nous pourrions ainsi inverser la tendance fataliste face aux obstacles insurmontables et aux évolutions impitoyables.

Revenir aux fondamentaux et diviser les questions complexes en sous-problèmes me permet de trouver des réponses, parfois partielles, mais me mettant sur la voie de la compréhension des mécanismes sous-jacents à la réalité. Étonnamment sachant que je suis nulle en matière scientifique, l’Univers m’a aidée à graduellement entrevoir des perspectives nouvelles, l’infiniment grand me donnant des clés pour tout ordonner et pour relier les fils à ma manière.

Après de nombreuses soirées sans Lune passées avec mes parents à admirer la beauté de la voûte céleste, j’ai commencé à m’intéresser sérieusement au cosmos.

Adolescente, je m’éloignais régulièrement des zones urbaines et de leur pollution lumineuse pour me laisser envoûter par le scintillement des astres à la nuit tombée. Je guettais les étoiles filantes avec enthousiasme, même après avoir appris que c’étaient en fait des météorites devenant incandescentes au contact de l’atmosphère. Je trouvais un aspect funeste à celle du Natural History Museum de New York à cause des formes que de la lave métallifère très dense leur confère, et aussi de leur couleur sombre, presque noire.

Je prenais progressivement conscience qu’avec le ciel et tout ce qui nous entoure, les apparences sont toujours trompeuses.

Les quelques milliers d’étoiles visibles à l’œil nu depuis la surface de la Terre ne sont pas situées dans l’Univers, mais font seulement partie de la Voie lactée. Elles se comptent en milliards à la puissance 10, cependant, l’unique galaxie perceptible depuis l’hémisphère nord est Andromède, la moins éloignée denous.

L’arbre cache généralement la forêt, en l’occurrence les astres occultent le cosmos.

La Lune me fascinait tout autant, en particulier chaque fois qu’elle se trouve à son périgée, le moment où la distance qui la sépare de notre planète est la plus réduite. Elle me semblait si proche que j’essayais de la toucher du bout des doigts. J’éprouvais souvent la sensation d’un final de feu d’artifice, quand on a l’illusion que la lumière multicolore envahissant le ciel va nous transpercer.

Lors de ces moments-là, allongée sur le sol, les mains croisées derrière la tête, j’avais même l’impression de sentir le mouvement de la Terre dans sa course autour du Soleil. Je lévitais sur un tapis volant, en proie à une forme de cénesthésie stimulée par l’espace et ses composants. Je restais des heures dans cette position, troublée par l’immensité de l’Univers, mais aussi enivrée par la seule conscience d’exister pour assister à ce spectacle saisissant perpétué depuis la nuit des temps.

Mes lacunes scientifiques ne m’empêchaient pas de me poser des questions métaphysiques version cosmologiques sur son émergence il y a plusieurs milliards d’années :

Comment peut-il y avoir un « après », mais pas un « avant » ?

S’il n’y avait rien, qu’est-ce qui a déclenché sa naissance ?

La présence de rien n’est-elle pas en soi un paradoxe ?

Faute d’une théorie plus excitante, je me contentais de l’hypothèse la plus plausible. Un univers précédent avait traversé un cycle d’expansion et de déclin, avant de renaître de ses cendres, tel un phénix sidéral. Pour autant, le concept sous-jacent d’éternel recommencement ou de résurrection ne résout pas l’énigme de l’origine du premier.

J’espérerais néanmoins que chacun des mondes successifs suivait des processus aléatoires, renouvelant ainsi l’expérience de la création, car sinon la perspective que le même résultat se reproduise chaque fois serait trop affligeante.

En revanche, je n’adhère pas à l’hypothèse des univers parallèles, bien que la pluralité de destins, au lieu de leur unicité inéluctable dans un seul ensemble des possibles, ait son charme. Mon cerveau n’est jamais parvenu à bien appréhender la notion d’incommensurable, alors multiplier le problème par autant d’occurrences potentielles dépasse de très loin mes capacités de rationalisation ou d’abstraction.

Ignorant d’où viendrait le premier Univers, je me suis résolue à envisager un passé lui aussi infini pour éviter de buter sur ce point, mais sans grande conviction. L’idée que quelque chose n’a jamais commencé et ne finira jamais me perturbe assez fondamentalement.

Incontestablement, le nôtre avait beaucoup grossi depuis son éclosion, mesurant désormais la bagatelle de 90 milliards d’années-lumière d’un bord à son opposé. Il ne se remplissait plus beaucoup pour autant, ne contenant qu’une proportion limitée de matière, 5 à 30 % en fonction des modèles, sans compter les éléments soupçonnés, mais non encore observés directement.

Néanmoins, pas moins de 100 milliards d’étoiles sont dénombrées rien que dans la Voie lactée. Il y aurait d’ailleurs autant d’astres que dans tout le cosmos que de grains de sable sur notre planète, de quoi donner quelques sujets de réflexion aux astronomes !

La conquête de l’espace

Après avoir longtemps été un objet de curiosité éclairée, la science astronomique avait fini par revêtir un intérêt stratégique majeur. Elle était devenue du coup un enjeu de compétition internationale, dont la récompense allait être la conquête de l’espace, après celle de la terre, des océans et duciel.

Au cours de la première partie du 20e siècle, nous admîmes que, contrairement à la thèse alors en vigueur, la Voie lactée ne constitue pas l’intégralité de l’Univers. Elle n’est qu’une galaxie parmi les milliards qui le composent et dont Edwin Hubble a effectué la classification initiale. Elle fut complétée par des générations successives d’astronomes qui reflétèrent leur diversité et leurs particularités au fur et à mesure de leur observation, sans parvenir à un consensus sur leur origine en fonction de leur forme. Ce processus très lent d’identification des nébuleuses était un préalable cartographique indispensable avant de s’aventurer dans l’espace.

Sa conquête démarra prosaïquement par l’envoi respectivement en 1957 et 1961 d’un satellite artificiel, d’un chien et d’un cosmonaute dans une capsule en orbite autour de la Terre. L’URSS dévoila à cette occasion qu’elle savait fabriquer des fusées capables de transporter une charge au-delà de l’atmosphère. Pour le pays concerné, cette initiative visait à acquérir une hégémonie définitive, politique, économique et militaire.

Cela inquiéta copieusement les Étasuniens alors en pleine Guerre froide avec l’URSS, leur plus grand rival de l’époque. Dans ce contexte, le pouvoir de dissuasion des superpuissances dépendait de leurs aptitudes à concevoir les bombes atomiques les plus ravageuses, ainsi que des missiles de longue portée pour les emporter. Or, si les Soviétiques plaçaient des satellites en orbite, ils seraient par définition aussi capables d’envoyer une grosse charge nucléaire sur le continent nord-américain.

En sus du renforcement de leur arsenal militaire, les Étasuniens décidèrent de frapper fort en lançant un projet ayant pour objectif ambitieux de transporter et de poser des astronautes sur la Lune. À l’image d’un match de boxe, la stratégie poursuivie visait à épuiser l’adversaire sur le plan économique et financier, à coup d’uppercuts de fusées pour le mettre KO debout.

Le programme Apollo dirigé par la NASA connut des hauts et des bas, mais fut finalement couronné de succès. Il est à porter au crédit de l’ingéniosité et de la persévérance des personnes impliquées et d’un budget de 28 milliards de dollars, soit un quart de trillion de nos jours. Cela contribua à établir l’illusion que tout devient possible quand on s’en donne les moyens, y compris de survivre et de mener des activités humaines dans l’espace.

L’année de la naissance de ma mère, des êtres humains marchèrent sur la Lune. Ils y plantèrent aussi un drapeau, une sorte d’habitude, et rapportèrent des pierres autochtones, première étape vers l’exploration de nouvelles planètes, ainsi que vers la quête d’indices de notre origine. À ce propos, l’analyse des roches étaya temporairement l’hypothèse que notre satellite naturel n’a pas été capturé par effet gravitationnel à la différence de plusieurs lunes présentes dans le Système solaire. Il résulterait bien de la collision entre Théia et la Terre il y a 4,5 milliards d’années.

Ces preuves physiques n’avaient pas empêché l’émergence de théories complotistes largement manipulées. Elles visaient à accréditer l’idée d’une fabrication de toutes pièces. Elles insinuaient que les scènes d’alunissage ou de déplacement des astronautes avaient en réalité été tournées en studio. Face au dénigrement, on doit toujours se demander qui a intérêt à colporter des contre-vérités. En même temps, dans un contexte où l’information est en permanence déformée, une dose de scepticisme paraît saine. Mais semer le doute ne sert généralement que les ambitions de ceux qui tirent leur prospérité de la discorde et du chaos.

Après cet exploit extraordinaire qui permit aussi de tester de nombreux équipements cruciaux, tels que les combinaisons spatiales ou des protocoles très complexes comme celui de l’alunissage, les priorités avaient un peu évolué pour servir des desseins plus prosaïques.

Des milliers de satellites furent progressivement placés en orbite pour répondre à toutes sortes de commandes civiles et militaires. Cela nécessita la mise au point de lanceurs de plus en plus fiables et performants. Des navettes décollant et atterrissant verticalement prirent le relai des fusées à usage unique. Les plus récentes étaient emportées par des avions-cargos qui les larguaient en altitude pour assurer leurs livraisons dans la mésosphère.

Ces innovations visant à abaisser le coût de l’activité spatiale avaient entraîné une large diversification des missions pouvant être envisagées. Elles autorisaient le transport d’astronautes qui travaillaient dans l’espace pendant plusieurs mois, et le tourisme pour offrir aux plus fortunés une opportunité de visiter la bordure du vide sidéral.

L’International Space Station (ISS) qui accueillait des spationautes originaires de nombreux pays différents, le rêve absolu pour beaucoup, faisait partie de la première catégorie. L’ISS, régulièrement agrandie au point d’atteindre la taille d’un terrain de football, était visible depuis la surface. Elle permettait de comprendre les effets de l’apesanteur sur nos corps, et d’exécuter toutes sortes de tests scientifiques sans influence de la gravité terrestre. Une de ces expérimentations démontra d’ailleurs qu’une sorte de bacille survit très bien dans le vide. Cette découverte crédibilisa au passage l’éventualité que, parmi les premiers organismes vivants ayant foulé le sol de la Terre ou flotté dans les océans, certains proviennent du cosmos. On y cultivait aussi des légumes, notamment des radis afin de jeter les bases d’une agriculture spatiale.

Les sorties d’astronautes dans l’espace organisées régulièrement restaient les opérations les plus impressionnantes, longues à planifier, délicates à exécuter, mais essentielles pour acquérir les qualifications incontournables en vue d’une conquête interstellaire indispensable à notre avenir.

Ironie dusort

Alors que les ressorts qui avaient permis de maintenir une sorte de ciment social s’affaiblissaient de plus en plus, la situation sur Terre devenait très précaire. N’ayant plus rien à grappiller, les laissés-pour-compte multipliaient les pillages, signalant une régression de la soumission à l’autorité. La lutte contre la corruption perdait du terrain. Les uns monnayaient leurs pouvoirs au plus offrant, les autres étaient prêts à tous les compromis pour arriver à leurs fins, généralement se mettre à l’abri.

Les vendeurs de faux espoirs s’enrichissaient sur le dos d’individus crédules ou désemparés. Une fois rincés, ils grossissaient les rangs du contingent des plus pessimistes qui ne croyaient plus à nos chances de nous en sortir. Le signe principal de la crise que traversait l’espèce humaine fut le rapide déclin de la population à cause d’une baisse brutale de la natalité et de l’augmentation du taux de suicide. Plus personne ne voulait élever des enfants destinés à une mort inéluctable ou à vivre la vie de leurs ancêtres dans des cavernes en béton.

L’ironie est que les prévisions d’activité économique et de consommation d’énergies fossiles laissaient présager que la tendance à l’accroissement de la température moyenne sur Terre allait finir par s’inverser. Shinigami détruirait une planète assainie après tout, et dépeuplée.

Il s’apprêtait d’ailleurs à prononcer un verdict contre lequel nous étions complètement démunis malgré nos efforts tardifs et assez vains pour nous débarrasser de nos mauvaises habitudes. Cette nécessité était encore souvent vécue comme un sacrifice de nos libertés fondamentales à agir selon notre souhait.

Tous les télescopes suivaient sa progression dans le ciel quasiment heure par heure. Les simulations de sa trajectoire, mises à jour en temps réel pour être diffusées sur toutes les chaînes de télévision, stimulaient des commentateurs qui ne tarissaient pas d’imagination pour trouver des raisons supplémentaires d’alimenter la panique. L’un d’entre eux alla jusqu’à envisager que Shinigami ricocherait sur la Lune avant de nous percuter, afin de pimenter un peu les scénarios catastrophes dont nous étions matraqués.

Heureusement, notre heure n’était pas encore arrivée, uniquement repoussée.

Shinigami nous frôla à « seulement » 75 000 km le 27 février 2033, suffisamment proche pour être bien visible et que nul ne songe à occulter ce signe avant-coureur des périls immenses nous menaçant.

Après avoir pris en compte les milliers d’observations lors de son passage, en plus de celles recueillies par une sonde japonaise ancrée sur Shinigami, l’astéroïde fut définitivement catégorisé dix sur l’échelle de Turin.

Cela confirmait un cataclysme inéluctable en2075.

Paniqués, les Terriens se fixèrent comme objectif prioritaire de trouver d’urgence un refuge pérenne, quoi qu’il en coûte et quels que soient les sacrifices à consentir. Garantir la survie d’une partie de l’humanité à long terme n’avait pas deprix.

Les critiques pleuvaient évidemment contre la NASA, accusée de nous avoir laissés à la merci d’un intrus qui ne pouvait pas être apparu de nulle part par magie. Ils pointaient du doigt les manquements du Programme NEO dans la détection d’objets dangereux.

Les résultats de l’investigation diligentée par une commission parlementaire s’avérèrent néanmoins formels. Aucune défaillance technique ou humaine ne fut relevée. Les enquêteurs assermentés conclurent que nul indice n’aurait permis de déceler son existence avant 2031. Pour éviter tout soupçon de dissimulation ou de manipulation des constats, la NASA mit toutes les données analysées à la disposition des spécialités et du public.

Espérant être le premier à résoudre cette énigme inattendue, la plupart des astronomes tentaient opiniâtrement de comprendre pourquoi Shinigami n’avait jamais été détecté auparavant. En retraçant sa trajectoire, ils avaient fini par déterminer à quel point il aurait dû être observé au cours des décennies précédentes. Cet indice suffit pour spécifier d’où il avait surgi, un point non loin de l’orbite de Mercure, localisé à environ cinquante millions de kilomètres du Soleil,

À force de scruter l’espace à cet endroit, l’un d’eux remarqua un secteur où ses rayons étaient légèrement déformés, comme si du verre sans tain recouvrait cette zone, formant un disque de cinquante kilomètres de diamètre. Au centre, une étoile unique brillait tel un phare qui attire l’attention des navigateurs, bien que partiellement atténuée par une étrange perturbation.

Après des centaines d’heures d’analyse, et presque autant en débats scientifiques enflammés, les astrophysiciens conclurent à l’existence d’une singularité dont l’origine restait à élucider. Elle fut identifiée en tant que Solar System Singularity 1 ou SSS-1. Pour simplifier, les journalistes la présentèrent comme une déformation de l’espace qui formait une lentille gravitationnelle courbant légèrement la lumière. Ils s’abstinrent de la qualifier de mini trou noir puisque son fond était visible. Ils eurent l’honnêteté intellectuelle de reconnaître qu’elle ne correspondait à rien de connu, malgré des décennies d’observations du cosmos.

En revanche, les astronomes furent unanimes pour clamer que Shinigami s’était faufilé par là pour démarrer son incursion dans le système solaire, conclusion vite confirmée par la NASA. Elle fut trop contente d’être définitivement exonérée de toute erreur, et de retrouver sa crédibilité intacte au moment où un objet mystérieux requérait toute son expérience et où notre monde se cherchait une alternative.

Les agences spatiales devaient encore démontrer que des planètes de secours viables étaient accessibles. Après les sondes positionnées en orbite des principaux astres présents au cœur de notre système, et même du Soleil, les programmes d’exploration de surface à l’aide de véhicules robotisés (ou Rovers) s’étaient multipliés.

L’activité humaine sur Mars avait été particulièrement intense, notamment dans l’espoir d’y découvrir des traces de vie. S’il y en avait eu un jour sur la planète rouge, les conditions favorables de cette époque très lointaine avaient disparu depuis belle lurette, l’essentiel de l’atmosphère s’étant entre-temps dissipé. Cela n’avait néanmoins pas entamé l’enthousiasme de nombreux pays, avides de participer à une nouvelle épopée de la conquête spatiale à partir des années 2020.

Les programmes visant à envoyer des astronautes à nouveau sur la Lune, puis pour la première fois sur Mars en 2028, avaient atteint plusieurs objectifs. Ils permirent des tests en grandeur nature de nos aptitudes à entreprendre des voyages interplanétaires durant plusieurs mois. Ils donnèrent lieu à l’installation de bases dans des environnements hostiles.

Ils échouèrent en revanche à entretenir le mythe de la colonisation d’un monde à portée de vaisseau.

L’exploitation de stations fixes expérimentales mit en exergue la limite de nos capacités d’adaptation à des conditions de vie particulièrement inhospitalières. Elle démontra qu’en dehors d’individus dotés de dispositions naturelles exceptionnelles et ayant subi un entraînement très poussé, les humains n’avaient pas évolué pour vivre sur Mars, mais à Miami en Floride. Même sur la foi des scénarios les plus positifs, le constat était sans appel, les planètes du système solaire ne pourraient jamais abriter qu’un nombre très réduit de personnes. Ces dernières resteraient de plus éternellement dépendantes de la Terre pour leur approvisionnement régulier en ressources et en équipements indispensables à leur survie.

Enfin, les simulations les plus optimistes en matière de terraformation ne permettaient pas du tout d’envisager sérieusement que Mars, pourtant la moins hostile, puisse être autosuffisante un jour. C’était irréaliste, même une fois que toutes les technologies imaginables, y compris les plus hypothétiques, auraient été maîtrisées et déployées. On pouvait au mieux escompter la multiplication de postes avancés destinés à entreprendre des recherches scientifiques et à tester les capacités d’adaptation du vivant. Certains prévoyaient de pouvoir en plus les rentabiliser en y extrayant des matières rares.

Cette perspective eut au moins l’avantage de garantir que les Terriens poursuivraient leur expansion dans l’espace quand toutes nos ressources disponibles seront épuisées, ce qui finira inévitablement par arriver dans le futur.

Ainsi, le concept que nous pouvions ruiner la Terre, puis l’évacuer en cas d’urgence et tous nous en sortir indemnes d’un coup de fusée, ressemblait de plus en plus à un fantasme ou à un leurre.

Nous espérions quand même bénéficier d’une deuxième chance, sans certitude ni conviction, que nous la méritions vraiment après avoir gâché la première.

Exoplanète

Paradoxe

Par chance, l’Univers est gigantesque. Nous présumions que des solutions se trouvaient en dehors de notre système solaire qui s’avérait un peu décevant du point de vue de la qualité de l’accueil que nous pouvions en attendre.

Les espoirs de l’humanité se reportèrent donc sur l’existence d’une ou plusieurs planètes identiques à la nôtre, quelque part dans l’immensité du cosmos, et sur leur découverte avant qu’il ne soit troptard.

Un travail fastidieux de catalogage commençant par les étoiles qui sont aisément observables depuis la Terre, du moins les moins lointaines, avait été initié de longue date. Chacune était répertoriée et catégorisée en fonction de sa taille et de son type spectral. Le Soleil entre par exemple dans le groupe G (G2V), assez rare au demeurant, car comprenant seulement 7,5 % des astres connus.

Étant donné qu’on ne peut pas déceler des planètes extrasolaires dans l’espace, car elles ne sont pas assez lumineuses, leur existence demeura longtemps théorique. En revanche, elles sont détectables indirectement en interprétant leur impact gravitationnel sur une étoile, une légère oscillation, ou des changements caractéristiques de la luminosité lors de leur transit. Toutefois, les turbulences atmosphériques nuisent à la qualité des observations d’objets lointains depuis la surface à l’aide de télescopes terrestres. Grâce à leur mise en orbite hors de la stratosphère, nous avons pu déceler des variations nettement plus faibles, ouvrant grand la porte à un afflux de découvertes intrigantes.

La moisson du premier satellite de recherche d’exoplanètes lancé le 27 décembre 2006 par le CNES, CoRoT (COnvection, ROtation et Transits), fut cependant assez maigre. La méthode du transit implique en effet l’observation de nombreuses étoiles pendant un temps assez long. Trois cent soixante-cinq jours terrestres de patience seraient nécessaires, dans le pire des cas, avant d’enregistrer le passage de la Terre devant le Soleil depuis un point dans l’espace.

Le satellite spatial Kepler, géré quant à lui par la NASA, prit le relai dans le but d’accélérer le rythme et la précision de la détection de candidates. Il parcourait une orbite héliocentrique lui permettant d’étudier tous les astres dans une région située entre les constellations du Cygne et de la Lyre. Grâce à cette direction fixe, Kepler pouvait repérer des exoplanètes qui ont des périodes de révolution de plus d’une année. Bien que Kepler ait connu de multiples défaillances, sa moisson s’est néanmoins avérée fertile avec un total de deux mille trois cents cas positifs. Le butin initial fit même les gros titres dans les journaux, à l’instar de la première de toutes et très célèbre Kepler-186f.

TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) acquit une cadence similaire. Il entretint le suspense sur la perspective de tomber sur LA cible idéale parmi le nombre croissant de trouvailles plus ou moins intéressantes.

Une fois dûment confirmé, d’une taille et d’une masse suffisante lui assurent stabilité et équilibre, et à condition qu’elle soit seule sur son orbite, chaque nouvelle planète était enregistrée. Elle recevait un numéro d’identification correspondant à son étoile, auquel une lettre était ajoutée à partir de b, dans l’ordre de leur découverte.

Le catalogue ne cessait de s’agrandir, un indice additionnel que l’univers regorge de toutes sortes de planètes rocheuses. Cependant, à l’instar de Mars ou de Vénus (et sans parler de Mercure et de Neptune), la plupart sont soit trop froides, soit trop chaudes. Pour que la vie y soit possible, la présence d’eau est indispensable, idéalement à l’état liquide. Cela dépend essentiellement du type de son étoile (et donc de la chaleur qui en émane) et de la distance qui les sépare. Pour référence, elle est de 150 millions de kilomètres ou 1 Astronomical Unit (AU) entre la Terre et le Soleil. En fonction de la luminosité de chaque étoile, la zone habitable se déduit de manière fiable selon le principe que plus l’énergie reçue est élevée, plus elle est excentrée, et vice versa.

Cependant, être au bon endroit ne signifie pas automatiquement qu’une planète est viable pour la plupart des organismes vivants connus, ou pour d’autres, plus exotiques et encore hypothétiques.

Une teneur suffisante en oxygène parmi d’autres gaz dans l’air, de préférence non toxiques ou neutres comme l’hélium est requise. Le CO2 peut poser des problèmes en cas de haute concentration, auquel cas il provoque un effet de serre, qui contribue à une élévation notable des températures de surface. Si elle est limitée, c’est l’inverse, il est fort à parier que les planètes concernées seront glaciales.

Le volume et la densité ont, eux, une répercussion sur la force gravitationnelle qui impacte directement la qualité de l’atmosphère. S’ils sont trop faibles, elle a tendance à se déliter. À l’inverse, s’ils sont trop imposants, elle peut être composée d’éléments lourds et potentiellement corrosifs. Ils influencent en outre la mobilité en surface. En dehors d’un niveau de pesanteur proche de 1 comme celui de la Terre, on a, soit une propension à flotter, soit à se ratatiner, ce qui présenterait dans tous les cas pas mal d’inconvénients pour les Terriens ! La gravitation a aussi un impact sur leur dangerosité, transformant les grosses exoplanètes en aimant à objets cosmiques passants dans leur champ d’attraction.

De plus, les planètes sont par définition exposées aux quatre vents cosmiques. Elles ont besoin de la protection fournie par un bouclier magnétique assez puissant pour être vivables.

La présence de carbone accessible en quantité suffisante est également essentielle au développement de formes de vie complexes. Il possède en effet des propriétés faisant de lui l’élément clé que l’on retrouve aussi bien dans les cellules que dans la plupart des composés organiques. Cet atome constitue une brique fondamentale, car il peut facilement s’associer avec d’autres d’une façon quasi infinie pour établir des chaînes moléculaires d’une grande diversité, formant aussi bien de l’éthanol que du polystyrène.

Pour qu’elle puisse être considérée comme viable, une exoplanète doit de plus être située dans une zone favorable à l’échelle cosmique, le plus loin possible des sources de rayonnements intenses (supernovæ, trous noirs ou étoiles à neutrons). Elle doit en outre être isolée d’autres astres ou des champs d’astéroïdes nuisibles.

Étant dans l’incapacité de cocher à distance chacune des cases correspondant à toutes les conditions requises, nous avions théoriquement l’embarras du choix. En effet, sur cent planètes en orbite autour de soleils, une en moyenne est localisée au bon endroit. Hypothétiquement, cela en ferait donc un milliard rien que dans la Voie lactée, et des dizaines de milliards dans l’Univers.

Cette constatation conduisit d’ailleurs Enrico Fermi à évoquer le paradoxe portant son nom. Ce physicien insinua que l’absence totale de contact avec des aliens n’est absolument pas cohérente avec la multitude et la variété des planètes sur lesquelles des chances d’apparition de vie intelligente sont statistiquement crédibles.

La problématique de l’existence illusoire de civilisations extraterrestres dans l’Univers fut modélisée par Franck Drake à l’aide de sa fameuse équation, dont le résultat était égal à dix mille. En dehors du nombre d’exoplanètes potentiellement habitables, les paramètres pris en compte comprennent la probabilité que des organismes s’y développent, qu’ils atteignent un stade assez avancé pour pouvoir communiquer, en avoir l’envie et disposer du temps suffisant pour y parvenir. L’utilisation de valeurs pessimistes donne toujours une solution avec N > 1, dont au moins la nôtre à rajouter sur la liste hypothétique.

Le lien de causalité entre la taille de l’Univers et l’absence de contact avec des extraterrestres semble évident, d’autant qu’il est en expansion. Le berceau de chaque espèce dite intelligente s’éloigne les uns des autres irrémédiablement. La survenance d’une rencontre dans le futur serait donc fonction de la durée d’existence concomitante de deux civilisations ET de leur courbe de progrès scientifique.