Les Poules ne savent pas voler - Pierre Ménard - E-Book

Les Poules ne savent pas voler E-Book

Pierre Ménard

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  • Herausgeber: Lucien Souny
  • Kategorie: Krimi
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2022
Beschreibung

Seul lien entre les victimes ? Aimer la musique... Qui peut bien tuer pour cette raison ?


Une femme est retrouvée morte au fond d’un ravin. Aucun indice. Aucune piste. L’affaire a toutes les chances d’être classée sans suite. Adrien Otz, chargé de l’enquête, s’entête et se met à fouiller dans les archives. Il y exhume des précédents : cinq femmes, cinq musiciennes, décédées sans mobile apparent, sauf celui d’aimer et de pratiquer la musique. On ne tue pas pour ce motif, et l’on ne tue pas par hasard non plus.
Qu’ont-elles pu faire pour pousser le meurtrier au geste fatal ? Pour comprendre le sens de cette partition qui se répète, le gendarme, mélomane de surcroît, entre dans les coulisses d’un orchestre de musique baroque. Un ensemble en quête de reconnaissance, miné par les luttes d’ego et les affrontements de ses divas…
Au-delà des représentations musicales auxquelles il aura le privilège d’assister, Adrien Otz découvrira que, derrière la beauté et l’élégance, se cachent l’ignominie et l’horreur.
Musicien et choriste, Pierre Ménard signe ici son troisième polar. Le précédent, La Mort ne résout rien (2020), a été très bien accueilli par la critique.


Un nouveau polar signé Pierre Ménard qui saura ravir tous les adeptes du genre ! 


À PROPOS DE L'AUTEUR


Journaliste spécialisé dans le sport automobile historique, Pierre Ménard est l’auteur de La grande encyclopédie de la Formule 1 ainsi qu’une série de biographies sur certaines légendes de F1, Fangio, Moss, Ascari, Lauda, Prost, Senna et d’autres encore. Après avoir écrit les histoires des autres, il a voulu raconter « ses » histoires, via le roman policier. Son premier « rampol » Le rodeur de minuit (Atelier de presse,2007) est nominé au Festival du premier roman policier de Lens en 2008, où il atteint la finale et est battu par Michel Bussi et son Omaha crimes !

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Ähnliche


Contenu

Page de titre

Information

En contrebas du village…

Quelques mois auparavant…

Le samedi matin suivant…

La place du village…

La maîtrise et le charisme…

Le mois d’avril…

Quatre jours plus tard…

Le printemps entre dans ses derniers jours…

Gildas rentre chez lui…

Les mains protégées…

Le cimetière de Treignac…

Jean-Louis Richard a tenu…

Adrien Otz enfile…

Gildas ne peut pas se défiler.

Adrien Otz achève…

L’ensemble a répété tout l’après-midi…

Le sous-officier de la gendarmerie…

Le capitaine Gerbert…

Le deuxième des concerts…

Adrien Otz est contrarié.

Au moment précis où…

Trois semaines se sont écoulées…

Quatre jours plus tard…

Trois jours après…

Après avoir passé sa matinée…

Malgré l’heure tardive…

Coiffée d’un large chapeau…

Anastasia entend…

Protégé par un gilet pare-balles…

Une seule lettre suffit…

Glossaire

Remerciements

Le mot de l'éditeur

Bonus littéraire

Dans la même collection

Copyright

Les termes suivis d’un astérisque renvoient
En contrebas du village d’Aubazine, célèbre pour son abbaye cistercienne et son canal des Moines, se trouve un étroit chemin qui part d’une petite route, en face des ruines de l’ancien monastère réservé aux femmes, et qui longe le ruisseau du Coiroux. Chemin difficilement praticable, parsemé de ronces et de végétation croissant en toute liberté, il n’offre que peu d’accès au promeneur lambda. Mais Stéphane Macheix n’est pas n’importe qui ! Depuis des années, il vient ici traquer la truite en remontant le cours de l’onde. Il connaît tous les recoins du petit torrent qui descend furieusement du plan d’eau en amont, les caves* où se planquent les salmonidés, la gueule ouverte, prêts à gober tout ce qui leur passe à proximité des mandibules. Le côté inextricable des épineux du sentier lui va bien : il est peinard pour aller plonger son devon dans les trous et le faire nager en zigzags étudiés, puis recommencer jusqu’à ce que le leurre argenté et brillant rencontre la belle dissimulée sous les rochers, dans le courant. Et là, la bestiole ne réfléchit pas trois secondes – si tant est qu’il lui arrive de réfléchir ! Elle saute dessus, et c’est tant pis pour elle ! Macheix est réputé pour être l’un des meilleurs pêcheurs de la région. Gloire locale, certes, mais gloire certaine ! Solitude, communication avec la nature et belles pièces au bout de la ligne, voilà en fait tout ce qui plaît à Stéphane Macheix dans cet endroit sauvage, surtout quand il arrive au pied du rocher dit du « saut de la Bergère ».
Il progresse lentement, détaillant attentivement les remous, sous la surface en mouvement, et guettant le moindre indice qui pourrait trahir la présence du poisson. La lumière a beaucoup baissé. Une douce soirée s’installe sur les hauteurs environnantes, en ce mois de juin ensoleillé, alors qu’une relative fraîcheur commence à envahir le fond de la petite vallée. Les conditions idéales pour que les truites prennent leur position d’affût de prédatrices aquatiques ! Stéphane s’apprête à plonger sa ligne dans une cave qui lui a souvent souri lorsqu’il entend le cri. Un cri strident ! On dirait celui d’une fille ou d’une femme. Qui vient de tout là-haut et se rapproche. Soudain, un bruit mat. Faible mais distinct. Et puis plus rien !
Quelques mois auparavant, en décembre précisément, l’Ensemble baroque de l’Ouest aquitain – communément appelé l’EBOA – s’apprête à donner un concert au château de Fajolle-Dussac, en plein Périgord noir. La bâtisse, superbement restaurée et bénéficiant d’un immense parc protecteur, propose à chaque fin d’année un festival de musique classique. Les places sont courues, tant par les artistes que par les heureux spectateurs, car la réputation de l’événement n’est plus à établir. Pour les professionnels, il convient de jouer à Fajolle-Dussac. Pour les mélomanes, il est bon de venir y écouter ce qui se fait de mieux dans la région et, accessoirement, d’y être vu.
La faible clarté du jour commence à s’estomper dans une froidure relativement clémente pour la saison, la faute du dérèglement climatique selon les informations propagées dans les médias, la faute d’un hiver pourri selon les plus pragmatiques… ou les plus sceptiques. Les lumières commencent à apparaître dans le château, notamment dans la grande salle d’armes, où aura lieu le concert tout à l’heure. Sur la façade sud de l’édifice, quelques fenêtres à meneaux s’illuminent à leur tour, hautes ouvertures élégantes donnant sur les chambres des invités – chambres allouées en cette occasion aux musiciens.
Le miroir de la pièce meublée en style Louis XIII renvoie l’image d’une femme à la prestance affirmée, qui achève de coiffer, à coups de brosse vifs et précis, sa longue chevelure brune. L’endroit n’est pas immense, mais le haut plafond à caissons fait paraître le volume plus grand et donne à l’ensemble toute la dimension intimidante qui sied aux demeures de grande classe. Sur le lit, des partitions ouvertes, sur lesquelles sont posés un violon et deux archets. Anastasia Hirigoyen incline la tête pour mieux discipliner ses amples boucles sombres, éclairées de quelques notes châtain, et fixe le reflet de ses yeux verts. Parfaitement consciente de sa beauté peu ordinaire, elle sait qu’on admire sur scène autant son art que sa plastique, ce qui n’est pas pour lui déplaire. Très indépendante et décidée depuis toujours à rompre avec le carcan des codes vestimentaires instaurés dans le monde rigide du classique, elle a choisi de laisser tomber la sempiternelle robe longue – sombre, de préférence – pour un pantalon de smoking noir avec un spencer gris passé sur un haut de même couleur. Elle avait même tenté, il y a quelques années, une veste de couleur corail, qui faisait ressortir à merveille sa peau mate de Basque fière de ses origines, mais l’initiative avait été assez fraîchement accueillie, autant par le public que par les musiciens.
Violon solo, Anastasia a toujours affirmé haut et fort ses convictions, ce qui ne lui a pas créé que des amis dans le milieu. Si la maîtrise de son instrument ne prête à aucune contestation, son attitude générale peut parfois être jugée un tantinet hautaine. Mais c’est une pro indiscutable, au jeu énergique et inspiré, qui enclenche irrémédiablement avec brio la mécanique de précision de l’orchestre. Sur ce simple fait essentiel, Anastasia réunit l’unanimité autour d’elle. À vingt-huit ans, elle se considère comme proche de son sommet artistique et estime que le moment est venu pour elle de franchir un nouveau palier, l’ultime marche : accéder à la renommée nationale, voire plus ! L’EBOA, dans lequel elle joue depuis presque un an, lui procure une certaine satisfaction quant au répertoire interprété, mais une insidieuse frustration pour ce qui concerne sa notoriété personnelle. Le programme de cette fin d’année est pourtant excitant : les Concertos pour violon de Jean-Sébastien Bach* constituent un défi de taille pour tout soliste épris de perfection. Une occasion à ne rater sous aucun prétexte si l’on veut attirer la lumière sur soi. L’orchestre est de belle facture, la partition superbe : le tableau devrait être sans taches. Il ne l’est pourtant pas.
Malgré les efforts méritoires de son chef, l’Ensemble n’arrive pas à atteindre les hautes sphères de la musique baroque, dans laquelle il s’est spécialisé, même si personne ne s’interdit de jouer Beethoven, Haydn ou Mozart lors de certains programmes. Il est grandement apprécié, dans tous les lieux où il se produit, souvent invité dans les festivals de printemps ou d’été. Il n’a aucune difficulté à remplir son calendrier, mais le fait est là : il ne sort pas d’un cadre « provincial » qui commence à peser à Anastasia. Malgré de multiples prises de contact, les salles prestigieuses des grandes villes lui restent désespérément fermées. L’éternelle différence de traitement, dans une France maladivement centralisée, entre le national et le régional, opposition absurde qui met en colère la musicienne à chaque fois qu’elle ressasse l’argument !
Elle repose la brosse devant elle et applique ses mains sur le rebord de la coiffeuse. Elle tend les bras, ferme les yeux, inspire, puis baisse les épaules en soufflant lentement et profondément. Elle puise au fond d’elle-même pour trouver la concentration nécessaire à sa performance à venir. Ses pensées vagabondent toutefois et elle ne peut s’empêcher de songer qu’il lui faudra prendre une décision sans trop attendre : le sablier du temps ne s’arrêtera pas pour elle.
Elle sent alors une présence dans son dos et des lèvres se blottir délicatement dans le creux de son cou. Elle ne peut s’empêcher de sourire.
– Je ne t’ai pas entendu arriver.
– Parce que je ne voulais pas troubler ta concentration.
– Et maintenant ?
– J’avoue que j’ai péché. Mais il nous reste une heure avant le raccord*. Largement de quoi profiter d’un doux moment de détente.
Anastasia se lève et repousse doucement l’homme élégant, en redingote sombre, venu interrompre ses méditations. Elle se dirige vers la haute fenêtre, d’où elle observe des gens déambuler paisiblement dans le calme de cette fin d’après-midi d’hiver, sous les châtaigniers plus que centenaires du parc. Des gens emmitouflés dans leur manteau ou leur doudoune, dont certains venus pour les écouter, elle et l’ensemble. Les mains masculines la rejoignent et enserrent délicatement ses épaules dénudées. Elle se dégage d’un mouvement lent, mais ferme.
– Excuse-moi, Gildas, pas maintenant. Je ne veux pas perdre ma concentration, justement.
L’homme s’éloigne légèrement, l’air ouvertement contrarié.
– Excuse-moi à mon tour, mais tu n’as pas toujours dit ça.
– Eh bien, il y a un début à tout. Désolée, réplique-t-elle un peu vertement en saisissant une partition sur la couverture du lit.
Gildas se tourne alors vers la fenêtre, l’ouvre à moitié et en profite pour sortir une cigarette, malgré le froid humide qui pénètre dans la chambre. Il l’allume tranquillement, souffle la fumée au-dehors et se retourne vers Anastasia.
– Bon, c’est quoi, le problème ?
– Tu le connais, le problème, dit-elle sans lever les yeux des portées, mais tu refuses de le voir. Toujours et encore.
Il tire une longue bouffée et ses yeux semblent se perdre dans le ciel, qui commence à se parer de pourpre.
– Et tu crois sincèrement – je dis bien « sincèrement » – que c’est le bon moment pour évoquer cela ? Je pensais que tu avais besoin de concentration. Là, je suis persuadé que tu vas, au contraire, te farcir le cerveau de questionnements pas véritablement bienvenus à l’approche d’un concert.
Anastasia laisse tomber la partition sur le lit. Elle porte la main à son front et renverse la tête comme pour essayer d’en extraire un mal puissant.
– Ce qui m’épate réellement, c’est ton… ton incroyable faculté à toujours trouver une excuse merveilleuse pour reporter toute discussion dès qu’on aborde le sujet.
– Absolument pas ! J’estime, en tant que chef, qu’un avant-concert doit surtout se dérouler dans la plus parfaite des harmonies, quelle que soit la manière dont on l’obtient. C’était un peu le but de ma visite, mais bon… c’est raté, il faut croire ! En tout cas, je ne conçois pas que ce moment privilégié puisse servir de prétexte à des arguties stériles et pourvoyeuses d’ondes négatives.
– Eh ben, voilà : des « arguties stériles » ! On y est. Ça ne sert à rien, ça n’amène à rien ! Donc, on continue à faire comme si…
– Anastasia, la coupe-t-il, si c’est d’Aline que tu veux parler, je te répète qu’il est hors de question que je la laisse tomber en l’état actuel des choses. On en a déjà discuté plusieurs fois. C’est bien pour ça que je qualifie une discussion de ce type de « stérile » et de « très mal venue » dans une préparation scénique. Je n’ai rien à t’apprendre dans ce domaine. On pourra en reparler au calme, après la tournée, mais ne te berce pas d’illusions : je n’ai pas toutes les cartes en main et je ne peux pas accéder à tes ultimes désirs pour le moment. Je te demande d’être patiente, comme je le suis, et la situation évoluera tôt ou tard. J’en suis persuadé. Maintenant, je te laisse retrouver la sérénité nécessaire à ta concentration. Moi, je vais faire un tour dans le parc, ça va m’aérer les neurones. On se retrouve dans cinquante minutes.
Il écrase sa cigarette à moitié consumée sur le rebord de la fenêtre, traverse la chambre et sort, sans avoir jeté un seul regard à celle qu’il devine bouillante.
Anastasia se laisse tomber lourdement sur le lit, les yeux écarquillés. « La tournée ! Tu parles d’une tournée : sept dates réparties entre décembre et janvier, plus trois en avril. C’est plus possible, on ne peut plus continuer comme ça ! Et dès que je veux sérieusement parler de notre avenir, je me heurte à une huître, de calibre 1. Il va falloir changer de ton, ou bien… ou bien changer d’avenir. »
Elle se redresse brusquement et saisit son instrument. Elle ferme les yeux, respire profondément, puis attaque les premières mesures du concerto en ré mineur avec une fougue et une colère qui décuplent la solennité de l’œuvre. L’archet bondit sur les cordes en un spiccato* vif et précis. Une cascade de lumière orageuse emplit la chambre tandis que le visage tourmenté d’Anastasia se crispe peu à peu et qu’une larme perle au coin de son œil. Elle lève soudainement le bras, le silence succédant à la beauté austère de la partition. Elle fixe la fenêtre et les grands arbres au loin, dont les silhouettes squelettiques se perdent sur un fond de conifères touffus. Des pensées agressives circulent à toute vitesse dans sa tête. Des pensées qui l’effraient, qu’elle tente de chasser, mais qui reviennent l’assaillir un peu plus chaque jour.
Les derniers spectateurs ont pris place sur les chaises positionnées dans la salle d’armes du château. Les pupitres des instrumentistes sont dressés devant les antiques râteliers enserrant hallebardes, lances, piques et hampes, au-dessus desquels sont accrochés deux immenses écus. Les hauts murs en pierre taillée et le plafond à caissons constituent d’excellents matériaux pour la sonorité des instruments. Les orchestres apprécient en général de se produire en ce lieu privilégié. La nuit est désormais tombée et des lustres en fer forgé, suspendus à plusieurs mètres au-dessus du public, éclairent l’imposante pièce. Tous les sièges, environ deux cents, sont maintenant occupés : outre la notoriété intrinsèque de l’EBOA, la présence de la soliste Anastasia Hirigoyen, dans l’interprétation de ces concertos de Bach, est une vraie valeur ajoutée tant ses prestations récentes ont été remarquées. Jean-François de Marchelier, propriétaire de Fajolle-Dussac et organisateur du festival estival du même nom, ainsi que des concerts d’hiver et de printemps, ne peut que se féliciter de cette soirée qui s’annonce sous les meilleurs auspices.
Les quatorze musiciens entrent un par un dans la salle et gagnent leur pupitre et le clavecin sous une ovation de circonstance. Le maître des lieux vient alors se placer devant l’orchestre pour une allocution destinée à valoriser les artistes de la soirée, et bien évidemment l’action efficace des membres de son organisation dans la pérennité des programmes musicaux du château. L’organisateur est conscient que son temps de parole doit être bref afin d’éviter d’agacer les mélomanes venus pour Bach, et non pour des discours assommants. Quelques claquements de mains polis accompagnent sa sortie, auxquels succède un moment de silence relatif, avant l’entrée d’Anastasia Hirigoyen sous des applaudissements nourris. Elle arbore une petite rose jaune à la pochette de son spencer. Elle est suivie par le chef Gildas Fauvert, tout sourire dans sa belle redingote sombre rehaussée de légers brocarts, son épaisse chevelure poivre et sel à peine disciplinée voletant, comme en apesanteur, à chacun de ses pas. Après un rapide salut au public, il se retourne vers l’orchestre et se recueille quelques secondes. Puis, bras à hauteur d’épaules, il balaie d’un regard bienveillant son Ensemble, prêt à vibrer à l’unisson, en insistant plus particulièrement sur Éléonore Desmond, le premier violon, qui jouera en duo avec Anastasia le « 1043 ». Il tourne légèrement la tête vers sa soliste altière, qui lui indique, d’un imperceptible clignement d’yeux, son attente du geste libérateur. La main droite fouette l’air et les premières mesures du majestueux Concerto en mi majeur BWV 1042 résonnent sous les voûtes de Fajolle-Dussac.
La bibliothèque du château vibre des conversations enjouées d’après-concert, lorsque les musiciens, les organisateurs, et surtout les personnalités locales se pressent autour du buffet. Jean-François de Marchelier est un épicurien : les belles choses de la vie doivent être vécues intensément et la qualité doit servir le plaisir. Il en va de la musique comme de la table. Les grandes représentations méritent d’être célébrées dignement autour de bons produits du cru, et celle de ce soir en fait assurément partie. L’EBOA a été longuement ovationné, avec une mention spéciale pour Anastasia Hirigoyen, dont la fougue dans l’interprétation n’a eu d’égale que sa prestance toujours très remarquée, surtout par la partie masculine de l’auditoire !
– C’était ma-gni-fi-que ! J’ai beau la connaître depuis un petit bout de temps maintenant, elle me scotche toujours autant quand je la vois jouer. Ah, ça envoyait grave, hein ? Bravo, mon amour !
L’homme enthousiaste, au teint légèrement rubicond et aux petites lunettes à fine monture rouge, tient Anastasia par la taille et ponctue sa tirade par un sonore baiser sur la joue de la violoniste, qui sourit du compliment. Gildas, avec à ses côtés une femme brune au visage émacié et au chignon tiré vers le haut, contemple avec une apparente bienveillance le couple d’amoureux.
– Lucas est le plus indulgent des publics : il me pardonne tout ! Il faut être plus critique : je n’ai pas été parfaite, tu le sais, ajoute Anastasia en poussant de l’index le bout du nez de son compagnon, qui rougit sous la pichenette.
Anastasia Hirigoyen et Lucas Bigeois forment un couple relativement singulier pour ceux qui les connaissent – voire incongru pour les plus sévères… ou les plus langues de vipère. Ils habitent dans une belle maison à Sarlat, où Lucas possède une florissante entreprise de jardinerie et de parcs paysagers. Ils ne sont pas mariés. Lui aimerait beaucoup, mais elle est trop indépendante pour accepter un fil à la patte. En vérité, quelque chose de plus puissant l’empêche de suivre son soupirant devant M. le maire. Elle vit avec lui depuis quelques années, à la suite d’une jolie rencontre qui s’est transformée en vie commune. Elle l’aime d’un amour que d’aucuns qualifieraient de « tranquille », mais elle n’a jamais véritablement été folle de cet homme, pourtant attentionné et parfois drôle. Or, dans tout ce qu’elle vit et entreprend, Anastasia cherche avant tout l’éclair et la fougue, qui donnent à l’existence ce goût prononcé si particulier de la surprise perpétuelle. Elle n’a rien de fondamental à reprocher à Lucas, mais il devient malheureusement manifeste à ses yeux qu’ils n’ont pas grand-chose de palpitant à partager en dehors d’une vie confortable et harmonieuse. Au début, elle pensait que leurs différences renforceraient leur complémentarité, mais très vite elle s’est rendue à l’évidence : la vie avec Lucas est agréable, il est de plus un bon partenaire dans tous les domaines de l’épicurisme, mais il manque à leur relation le sel ultime qu’amènent les grands émois artistiques. Elle n’entend rien à l’art du jardinage, encore moins à celui de la pratique commerciale intensive ; il écoute la musique d’une oreille distraite, mais préfère les sorties bowling ou pêche au gros avec ses copains « d’avant ».
Anastasia en était arrivée à se demander de plus en plus ouvertement jusqu’où cette union à la stérilité exponentielle pourrait la mener, lorsqu’elle a répondu à l’annonce de l’EBOA, à la recherche d’une « violoniste soliste pour un projet d’envergure basé sur Jean-Sébastien Bach ». Sa rencontre avec le chef Gildas Fauvert a été, en ce sens, déterminante. Une fulgurante attirance respective a débouché sur une liaison clandestine, dont la durée reste désormais à déterminer en fonction des aléas de la vie.
Lucas vide son verre de bergerac blanc, en claquant la langue, et sourit benoîtement en déclarant d’un ton convaincu, rythmé par un léger accent du Sud-Ouest :
– J’aime bien la musique, mais je ne suis pas connaisseur. Qu’est-ce que vous voulez que je lui fasse comme remarque ? C’est comme si je lui demandais comment gérer mon entreprise. Chacun son job, hein ? T’es pas d’accord avec moi, Gildas ?
Ne sachant trop quoi répondre à une aussi fine analyse, le chef se contente d’acquiescer d’un hochement de tête accompagné d’un haussement de sourcils à la Stan Laurel.
– En tout cas, je l’ai trouvée superbe ce soir, continue Lucas sur le même ton enjoué. Il y avait une force, une détermination… une… Je sais pas comment dire. Un peu comme une sorte de rage en elle qui s’exprimait à travers son instrument.
– Tu vois que tu t’y connais tout de même un peu en musique, ponctue Gildas en regardant discrètement Anastasia avec un léger sourire narquois.
Perdu dans ses commentaires laudatifs, Lucas ne remarque pas l’éclair de mitrailleuse qui vient de sortir des yeux noirs de sa compagne en direction du chef. Celui-ci s’excuse auprès du couple, en prétextant une fatigue bien légitime, et s’éclipse en prenant le bras de la femme au chignon.
La Renault Megane a quitté le château de Fajolle-Dussac et roule à une allure modérée en direction de Brive. Par chance, aucun brouillard ne vient enserrer la petite route, comme c’est souvent le cas ici en hiver. Une fois défaits les boutons de sa redingote et ceux du haut de sa chemise à col Mao, Gildas s’étire longuement et repose sa nuque sur l’appuie-tête en fermant les yeux. Il écoute ronronner le moteur et essaie de ne plus penser à rien. Faire le vide. Complètement. À ses côtés, Aline conduit, prudemment comme à son habitude. S’installer au volant ne l’enthousiasme pas réellement, mais comme son mari déteste ça, surtout après un concert, elle s’est dévouée, une fois de plus. Gildas prétend, avec une candeur désarmante, ne plus savoir où il a rangé son permis et demande toujours que quelqu’un vienne le chercher ou le ramène lors des concerts. Le charisme du chef marche à chaque coup, et il se trouve systématiquement une bonne âme pour le covoiturer dans un sens comme dans l’autre. Gildas déteste l’automobile et tout ce qu’elle représente, mais, comme il n’a rien trouvé de mieux et de plus rapide pour rejoindre un lieu de représentation, il est obligé d’en passer par là… tout en refusant de se servir de sa propre voiture, une vieille Citroën Picasso méritant un départ définitif pour la casse. Ce qui fait invariablement râler certains membres de l’orchestre, qui dénoncent ce gentil chantage et estiment qu’une « grève du taxi » va devoir s’imposer tôt ou tard.
Le « maestro » soulève doucement les paupières et tend son bras vers l’aérateur pour dévier légèrement le flux d’air chaud qui lui arrive dans la figure. Il regarde défiler les branches blafardes des arbres dans les phares de la voiture et se tourne vers Aline. Il se sent bien. Plein de l’énergie de ces magnifiques concertos et en même temps totalement apaisé. Un léger sourire se dessine sur son visage.
– Tu sais que je n’ai pas pour habitude de m’auto-cirer les pompes, mais je trouve qu’on a été vraiment bons ce soir. Il y avait de la cadence, de la force, de la vie. On était bien ensemble. Comme le dit cette andouille de Lucas : « Ça envoyait ! »
Devant le visage fermé de sa femme et au son de son silence, digne d’une œuvre de John Cage, il se redresse sur son siège et se tourne vers elle.
– Tu n’es pas d’accord ?
Elle referme un peu plus le col du manteau qu’elle n’a pas daigné quitter pour conduire.
– Si tu le sens comme ça, c’est parfait, laisse-t-elle tomber d’un ton où perce une certaine lassitude.
– Arrête, Aline. Ne me prends pas pour une buse, s’il te plaît ! Je vois bien que tu n’es pas du même avis. Quelque chose t’a dérangée ?
– Eh bien, si tu veux tout savoir, je ne trouve pas, justement, que vous ayez atteint des sommets, ce soir. Les reprises étaient parfois poussives. Il y avait Anastasia, et puis les autres. Et dans le 1043, j’ai toujours l’impression qu’elle se tire la bourre avec Éléonore. Bonjour l’ensemble !
– Mais, enfin, je te trouve hyper sévère, là ! s’insurge Gildas qui, pour le coup, est en train de perdre une bonne partie de sa zénitude. Je suis quand même bien placé pour reconnaître quand l’ensemble est bon et quand il ne l’est pas ! Et ce soir, il a été bon. Anastasia a parfaitement intégré son rôle de soliste en illuminant sa partition et en ne se mettant pas en avant plus qu’il ne faut. Elle a été remarquable. Quant à son duo avec Éléonore, là, j’avoue que je ne comprends pas : je l’ai particulièrement apprécié. Éléonore est un premier violon confirmé, elle mériterait d’être soliste… Qu’est-ce que tu as ?
La Megane ralentit et se gare sommairement sur le bas-côté. Sa conductrice a les yeux embués de larmes. Sa tête s’effondre sur le volant et ses mains se crispent sur le cuir. Gildas souffle légèrement, comme pour déplorer l’imminence d’une scène qu’il ne connaît que trop bien maintenant. Il se penche délicatement vers son épouse pour lui caresser les épaules, puis déboucle sa ceinture de sécurité pour l’attirer vers lui. Lentement, il lui masse les tempes. Il ouvre la boîte à gants, en extrait un paquet de mouchoirs en papier et en donne un à cette femme au visage triste. Elle s’essuie les yeux, puis se mouche.
– Ça va aller… Ça va déjà mieux, non ?
Pour toute réponse, Aline secoue la tête négativement et va se blottir contre la vitre du conducteur.
Gildas s’incline vers l’avant et prend appui, avec ses coudes, sur ses cuisses. Il se frotte le visage doucement, puis regarde le pare-brise, qui commence à se couvrir de buée : deux scènes du II avec des actrices différentes, en une seule soirée, ça commence à faire lourd !
– Écoute, on en a parlé des dizaines de fois. Tu es malheureuse parce que tu ne chantes plus, et tu ne chantes plus parce que tu t’es collé dans le crâne que tu ne pouvais plus affronter le public depuis ce foutu Stabat Mater à Poitiers. Pour moi, c’est clair : tu es l’une des plus belles mezzos que j’aie jamais entendues ! Tu as eu un trou, OK, mais personne n’en est à l’abri dans une carrière. C’est comme tomber de cheval : ça peut arriver à tout le monde. Mais si on ne remonte pas sur la bête aussitôt, le doute et la peur s’installent. Le trac est une excuse très discutable. Tout le monde l’éprouve, de façon plus ou moins oppressante, mais il faut le surmonter et le dominer. Toi, tu l’as admis comme maître… et tu t’es soumise. Mais le véritable problème est que tu en as tiré des conclusions hâtives : tu n’es plus capable de te produire en public, ta voix n’est plus aussi assurée, et patati et patata… Et tu t’es réfugiée dans ce boulot de prof au conservatoire ! Mais ça t’a éloignée de la scène ! Tu t’es recroquevillée dans cette coquille sclérosante, sans parler de ces problèmes relationnels récurrents avec certains collègues. Tout le reste a ensuite suivi : tes questionnements, ton mal-être… Je t’ai déjà indiqué Chantal, ma copine sophro, qui traite les cas comme toi, des gens qui n’arrivent pas à se produire devant une audience parce que le trac les bouffe…
– Elle habite à Meudon…
– Et alors ? On n’est pas au fin fond du causse du Larzac, ici. Il y a des trains entre Brive et Paris. Tu en profiterais, en plus, pour aller voir quelques amies. Il… Qu’est-ce que… ?
Soudain, une voiture lancée à pleine allure les double en envoyant de gros appels de phares accompagnés de coups de Klaxon rageurs.
– Merde, Aline ! Essaie de mieux te garer… et mets les warnings ! On va se faire emplafonner, bon sang !
Pour toute réponse, Aline enclenche la première, desserre le frein à main et reprend la route.
– Tu es sûre que tu es en forme pour conduire ? (Interlude de John Cage.) Bon, bon, bon… Il faut que tu reprennes confiance en toi, Aline. Que tu retrouves ce bonheur de chanter devant un public qui déguste tes notes. C’est ta sève, ton ADN. C’est vital ! Tu sais quoi ? Toi qui aimes la belle nature, tu devrais aller dans un endroit isolé, où tu te sens en harmonie avec ce qui t’entoure, et chanter ! Comme ça, juste pour les écureuils et les mésanges. Un endroit qui sonne bien, de préférence. J’avais un copain ténor qui faisait ça quand il avait des petits vélos qui tournaient dans la tête. Il partait en pleine nature et offrait un concert aux hôtes des bois. Et ça marchait, d’après ce qu’il me disait ! Ça te permettrait de lancer ta voix sans crainte, de retrouver tes résonateurs* dans ton visage. Je suis sûr que ça pourrait grandement t’aider à regagner cette confiance qui te fait défaut. Et de là, remonter un répertoire, te produire et redevenir la grande mezzo qui n’aurait jamais dû disparaître de la scène. Je suis prêt à t’aider s’il le faut.
– Tu ne m’as pas beaucoup aidée ces dernières années. Je ne suis certainement pas une aussi « grande mezzo » que ça.
– Ça n’a rien à voir, tu le sais bien. Ta tessiture correspond à la musique du XIXe : tu peux quand même concevoir que ça ne puisse pas vraiment coller avec l’EBOA. Bon, d’accord, on a fait un ou deux programmes romantiques, il y a quelques années, dans lesquels tu n’étais pas, mais…
Il soupire longuement.
– C’est… c’est pas évident de bosser avec sa compagne. Trop d’enjeux, des jalousies qui peuvent poindre dans l’orchestre… Tu le sais.
Gildas voit, à ce moment précis, passer devant ses yeux l’image de la volcanique Anastasia et ne peut que se rendre immédiatement compte de l’incongruité faux derche de sa remarque.
– Bref, voilà pourquoi je ne fais que rarement appel à toi. Mais je serais tellement heureux de te voir t’épanouir dans un récital avec piano, ou bien avec un orchestre. Honnêtement, je ne comprends pas que je sois encore obligé de t’expliquer ça ! ponctue-t-il en agitant sa tête de droite à gauche au milieu de ses mains aux doigts écartés.
– Et tu ferais quoi si j’allais chanter à… je sais pas, moi, à Bordeaux ou à Toulouse ? Ou même plus loin. Parce qu’ici, les orchestres de qualité ne sont pas légion. On vivrait comment ? Chacun de son côté ?
– Ça demanderait certainement quelques efforts de part et d’autre, j’en suis conscient, mais on trouverait une solution. Et puis j’estime que tu vas un peu vite en besogne concernant les qualités musicales des ensembles de la région. Bon, écoute, avant de construire des châteaux en Espagne, repense à ce que je t’ai dit à propos d’aller chanter pour les oiseaux. Déjà, si tu arrives à pratiquer cela, tu auras fait un grand pas vers le retour à la lumière. Tu me promets d’essayer ?
Un léger hochement de tête indique une réponse sans grande conviction, mais qui a le mérite d’être positive.
– Puisqu’on en est à évoquer les petits problèmes qui pourrissent bien la vie, tu ne veux toujours pas me dire avec qui ça coince au conservatoire ? ajoute Gildas en dégrafant ses boutons de manchettes.
Aline continue à fixer la route, qui se perd dans la nuit, et serre imperceptiblement les mains sur le volant.
– C’est pas très important et… ça m’appartient. C’est mon problème.
– Pas très important ? Quand je vois l’état dans lequel tu rentres certains soirs, je me demande s’il n’y a pas quelque chose de sérieux à entreprendre.
– C’est possible… mais c’est pas à toi de t’en occuper. Je… je ne veux pas que ça nuise à ton travail, c’est tout.
– Que ça nuise à mon travail ? dit-il avec un rictus incrédule. Mais c’est quoi, cette histoire idiote, bon Dieu, Aline ?
Elle esquisse un signe de la main censé faire comprendre à son mari que la discussion est close et qu’elle ne compte pas la rouvrir.
Le samedi matin suivant le concert de Fajolle-Dussac, dans une salle des proches environs de Brive, où l’EBOA a établi ses quartiers de répétitions hebdomadaires depuis quelques années, l’atmosphère, habituellement conviviale, est bizarrement aussi lourde qu’un confit de Restoroute.
Comme il est de tradition après chaque représentation, le chef va débriefer son orchestre. Gildas est pourtant arrivé le cœur léger et la tête pleine de bonnes intentions tant la prestation avait été saluée à sa juste valeur. S’il y a des lendemains de concert durs à affronter, celui-ci n’en fait assurément pas partie. Et pourtant ! Dès son entrée dans la salle, il ressent une tension dans l’air, inexplicable, non quantifiable, mais bel et bien palpable. Les musiciens parlent peu, rassemblés en petits groupes, lançant des regards à la dérobée vers un recoin de la grande pièce, où est assise Éléonore Desmond. Les jambes agitées d’un tremblement dénotant un état de nervosité élevé, les bras croisés et la tête perdue dans quelque nébuleuse personnelle, l’instrumentiste se mordille consciencieusement la lèvre inférieure tout en respirant de façon appuyée. Tandis qu’il observe cette femme qui a intégré l’ensemble depuis six ans maintenant et qui a prouvé, à chaque représentation, sa grande expérience dans le fonctionnement de l’orchestre, Gildas note, dans son champ de vision, quelqu’un s’approchant rapidement de lui. Jean-Louis Richard, second violon et accessoirement président de l’association régissant l’orchestre, l’aborde en lui prenant le bras et en lui parlant assez bas.
– Je te préviens, ça risque un peu de « chier dans la colle » ce matin. Il y a déjà eu une grenade dégoupillée qui a fait quelques dégâts.
– Éléonore ? demande le chef en regardant discrètement du côté de la violoniste.
– Anastasia, surtout. Elle est arrivée sans saluer personne et s’est dirigée, assez hautaine, vers le fond de la salle, où elle s’est assise, toujours muette. Éléonore lui a vertement reproché son attitude. Je n’ai pas entendu ce que l’autre a répliqué, mais elles ne sont pas près de faire une soirée pyjama ensemble, je te le dis.
Gildas se contente de secouer la tête en signe de désapprobation résignée. Il accroche son manteau et son écharpe à une patère libre et monte sur sa petite estrade. Il fait alors signe à chacun de prendre sa place. Anastasia vient s’asseoir devant lui, non loin d’Éléonore, qui gère « ses » premiers violons. À côté, les seconds violons, les altos, puis derrière les violoncelles et la contrebasse. Et au milieu, le clavecin. Tout le monde pose délicatement son séant sur son siège, dans un silence embarrassé, seulement brisé par quelques toussotements révélateurs d’une gêne manifeste.