Les premiers apprentissages scolaires à la loupe - Claire Margolinas - E-Book

Les premiers apprentissages scolaires à la loupe E-Book

Claire Margolinas

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Beschreibung

Ce livre propose des clés pour observer à la fois les difficultés et les réussites des élèves dans des situations scolaires qui sont ordinaires en français et en mathématiques.

Didactienne du français (Marceline Laparra) et didacticienne des mathématiques (Claire Margolinas), ces auteures observent ensembles les difficultés des apprentissages premiers (élèves de 5 à 7 ans en dernière année d'école maternelle et première année d'école primaire) depuis une dizaine d'années. Ce livre propose des clés pour observer à la fois les difficultés et les réussites des élèves dans des situations scolaires qui sont ordinaires en français et en mathématiques. Il s'agit de révéler certaines connaissances utiles pour réussir dans toutes ces situations. Nous montrons que de telles connaissances relèvent à la fois de l'univers de l'oralité et de l'univers de la littératie. L'étude des ces deux univers est au coeur de cet ouvrage, consacré à l'élucidation de savoirs qui pourraient permettre aux professeurs de mieux enseigner à tous les élèves.

À PROPOS DE LA COLLECTION LE POINT SUR... PÉDAGOGIE

Destinée aux étudiants en sciences de l'éducation, aux futurs enseignants et aux enseignants du terrain, de la maternelle au supérieur, cette nouvelle collection fait le point sur les recherches et les pratiques en pédagogie.
- Des synthèses précises et ancrées dans les recherches les plus récentes.
- Des thèmes classiques qui constituent des incontournables.
- Des problématiques communes aux pays de la francophonie...

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SOMMAIRE

Titre
Collection
Copyright
Préambule
Introduction
Chapitre 1 - La matérialité au cœur des situations d’apprentissage
Chapitre 2 - Connaissances de l’organisation
Chapitre 3 - L’école entre oralité et littératie
Chapitre 4 - Oralité et littératie : une tentative de systématisation
Chapitre 5 - Étude de cas : Une tache individuelle dans un atelier collectif
Conclusion : les inégalités scolaires à l’école
Références
Annexe : Les classes de l’école primaire en France
Glossaire

LE POINT SUR…

Cette collection s’adresse prioritairement aux étudiants de niveau Licence/Baccalauréat du premier cycle universitaire, BTS-DUT, Hautes Écoles et/ou ESPE, en leur procurant un aperçu condensé et un outil de révision des matières enseignées. Certains ouvrages sont également destinés au niveau Master, voire Doctorat.

Pédagogie - sous la direction de Sabine KAHN et Bernard REY

Comité scientifique : Les professeurs Anne Barrère (Université Paris 1 Sorbonne), Marc Bru (Université Toulouse 2), Professeure Anne-Marie Chartier (INRP), Michel Fabre

(Université Nantes), Yves Lenoir (Université Sherbrooke), Lucie Mottier Lopez (Université Genève), Patrick Rayou (Université Paris 8), Laurent Talbot (Université Toulouse Le Mirail), Frédéric Tupin (Université Nantes), Isabelle Vinatier (Université Nantes).

BARRÈRE A.,École et Adolescence. Une approche sociologique

BERNARDIN J.,Le rapport à l’école des élèves de milieux populaires

CAFFIEAUX C.,Faire la classe à l’école maternelle

CARETTE V., REY B.,Savoir enseigner dans le secondaire. Didactique générale

FABRE M.,Le sens du problème. Problématiser à l’école ?

GUIGUE M.,Ethnographies de l’école. Une pluralité d’acteurs en interaction

KAHN S.,Pédagogie différenciée

LAPARRA M., MARGOLINAS C.,Les premiers apprentissages scolaires à la loupe. Des liens entre énumération, oralité et littératie

MARGOLINAS C., WOZNIAK F.,Le nombre à l’école maternelle. Une approche didactique

MOTTIER LOPEZ L.,Évaluations formative et certificative des apprentissages. Enjeux pour l’enseignement

MOTTIER LOPEZ L.,La régulation des apprentissages en classe

ORANGE CH.,Enseigner les sciences. Problèmes, débats et savoirs scientifiques en classe

PHILIPPE J.,Fabriquer le savoir enseigné. Enjeux et problèmes

PRAIRAT E.,Quelle éthique pour les enseignants ?

REY B.,La notion de compétence en éducation et formation

TREMBLAY P.,Inclusion scolaire. Dispositifs et pratiques pédagogiques

VAN LINT S.,Jeu et compétences scolaires. Comment enseigner les compétences à l’école ?

VINATIER I.,Le travail de l’enseignant. Une approche par la didactique professionnelle

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée pour De Boeck Éducation. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.deboeck.com

© De Boeck Éducation s.a., 2016 Fond Jean Pâques, 4 – 1348 Louvain-la-Neuve

EAN 978-2-8041-9528-1

Préambule

Didacticienne du français (Marceline Laparra) et des mathématiques (Claire Margolinas), nous avions toujours mené des recherches dans le cadre strict de nos didactiques disciplinaires quand nous avons intégré, en 2003, le réseau RESEIDA1. Si nous nous sommes alors associées aux sociologues de l’éducation, à des didacticiens d’autres disciplines, à des psychologues et plus généralement à des chercheurs en sciences de l’éducation d’autres spécialités que les nôtres, c’était à cause de notre intérêt pour les phénomènes de construction des inégalités scolaires (Rochex & Crinon, 2011). Nous avions en effet l’ambition d’apporter une contribution à cette question complexe en adoptant un point de vue didactique (nos travaux co-signés, que l’on pourra retrouver dans la bibliographie, cherchent à contribuer à cette question).

En 2004, les chercheurs de RESEIDA ont décidé de lancer un programme ambitieux d’observation consistant à suivre quelques élèves de la dernière classe de l’école maternelle à la première classe de l’élémentaire d’une part et d’autre part de la dernière classe de l’école primaire à la première classe du secondaire. Nous nous sommes réunies autour du premier projet et nous avons eu la chance de pouvoir mener notre recueil comme nous l’avions prévu (en 2004-2005 puis en 2005-2006), grâce à l’accueil bienveillant que nous avons rencontré dans les classes2.

Avant de nous réunir autour de ce projet, nous menions ou nous avions mené de nombreuses recherches. Marceline Laparra avait travaillé sur l’écrit en maternelle (Laparra, 2005) et rencontré la question de l’oral (Laparra, 2008), de plus à l’incitation de Jean-Marie Privat, du fait de leur participation commune au collectif de la revue Pratiques3, elle avait inscrit sa réflexion dans le cadre des travaux de l’anthropologue Jack Goody (Laparra, 2006a). Claire Margolinas avait travaillé sur les points de vue de l’élève et du professeur dans la perspective de la théorie des situations (Margolinas, 2004) et elle commençait à travailler sur l’énumération (Margolinas, Wozniak, Canivenc, De Redon, & Rivière, 2007). Nous partagions aussi la pratique de l’observation, dans des classes très nombreuses, de la maternelle à l’université, principalement en français et en mathématiques mais parfois dans d’autres disciplines et dans des dispositifs très variés, sur des durées parfois courtes et parfois très longues, s’étendant sur plusieurs dizaine d’années.

En observant ensemble les mêmes élèves dans des situations de mathématiques et de français pendant deux années, nous avons compris qu’il n’était pas pertinent d’analyser en parallèle nos données disciplinaires. Nous avons donc commencé à analyser celles-ci sans nous contraindre à respecter les barrières qui ont pourtant été nécessaires à fonder les didactiques des disciplines sur des bases épistémologiquement claires. De cette liberté que nous nous sommes donnée, a émergé une compréhension de phénomènes permettant d’aborder les difficultés spécifiques des premières situations scolaires.

Ce livre est le fruit de cette rencontre.

1. REcherches sur la Socialisation, l’Enseignement, les Inégalités et les Différenciations dans les Apprentissages, dirigé par Jean-Yves Rochex et Elisabeth Bautier, Université de Paris 8.

2. Nous remercions ici très sincèrement toutes les personnes ayant permis ce recueil et tout particulièrement les enseignants qui nous ont ouvert leurs classes.

3. http://www.pratiques-cresef.com/ consulté le 14 février 2016.

Introduction

Dans cet ouvrage, nous allons essayer de décrire les connaissances que les élèves de maternelle mettent en jeu à la fois dans leurs routines scolaires et dans les activités ayant des visées explicites d’apprentissage. Nous nous intéressons en particulier aux apprentissages concernant les nombres (Margolinas & Wozniak, 2012) et à ceux concernant l’écrit. (Laparra, 2005). Nous proposerons au lecteur de se focaliser sur le quotidien de l’élève : les différents objets qui l’entourent, les gestes qu’il effectue chaque jour, les échanges avec ses camarades, etc. Les points de vue anthropologiques et didactiques que nous adoptons visent à mieux comprendre les situations que vivent les élèves, parfois à l’insu des enseignants.

1 NOS OBSERVATIONS

Depuis une trentaine d’années, nous avons été amenées à observer de très nombreuses classes d’écoles maternelles et élémentaires, dans différentes situations (recherche, formation, expertise, expérimentation, etc.). Toutes ces observations nourrissent la réflexion dont cet ouvrage est l’aboutissement. Deux recueils de données y jouent un rôle particulier.

Dans le cadre du réseau RESEIDA, nous avons constitué un vaste corpus concernant l’observation systématique de neuf élèves durant leur scolarisation en GS puis au CP. Pour ce faire, 60 heures de vidéo ont été réalisées en classe, intégralement transcrites (paroles, gestes, positions, etc.) et plusieurs centaines d’images ont été collectées. Il s’agit de séances d’enseignement qui, pour les enseignants, relèvent soit des mathématiques, soit de la lecture-écriture. Les deux classes observées sont situées en zone d’éducation prioritaire dans une petite ville à forte tradition ouvrière. Les élèves présentent une grande homogénéité socio-culturelle : ils appartiennent presque tous à des milieux populaires, défavorisés au plan économique.

Des observations expérimentales hors classe impliquant des élèves de 3 à 10 ans ont également joué un rôle important dans notre travail : celles du groupe DEMATHÉ1, qui visaient à observer les procédures des élèves dans des situations à caractère mathématique, qui ne se rencontrent pas en classe (Margolinas, Wozniak, & Rivière, 2015).

Quand nous référons aux élèves qui ont été observés dans ces deux études, nous utiliserons un prénom pour les désigner, car ils sont alors considérés dans leur singularité.

Ce corpus a été l’objet d’un long travail : nous avons revu chaque vidéo de très nombreuses fois, croisé plusieurs relectures des transcriptions, analysé régulièrement les données, comparé celles-ci avec d’autres recueils, etc. C’est grâce à cette saturation de l’analyse des données (Passeron & Revel, 2005b) que nous pouvons vous proposer d’examiner à la loupe les premières situations scolaires.

2 COMPRENDRE LA CONSTRUCTION DES INÉGALITÉS SCOLAIRES EN FRANCE

Les enquêtes PISA2 s’accordent pour dire que l’école française, loin de réduire les inégalités entre les élèves de milieux socio-économiques différents, les accroît et que ce phénomène va en s’aggravant. Les acteurs de l’école invoquent souvent des facteurs externes pour s’exonérer de leur responsabilité. Certes, les conditions socio-économiques défavorables qui sont celles de certaines familles, les ségrégations par l’habitat et les difficultés d’intégration rencontrées par les migrations récentes jouent un rôle indéniable. Mais leur existence ne saurait dispenser l’école de l’examen de certaines de ses pratiques. Ceci d’autant plus que l’école élémentaire et le collège peuvent s’appuyer en France sur l’école maternelle3.

La quasi-totalité des enfants vivant en France y est scolarisée dès l’âge de trois ans alors même qu’elle n’est pas obligatoire. Ce phénomène s’explique entre autres par l’adhésion de la population au modèle scolaire proposé par cette école. Les enseignants de l’école maternelle sont de plus très fortement investis dans leur métier et il n’y a aucune différence ni dans leur formation ni dans leur statut avec celles de tous les enseignants de l’école primaire.

Tout ceci devrait assurer à tous ceux qui la fréquentent pendant trois ans une bonne maîtrise des premiers apprentissages à même de leur donner des chances égales de réussir leur scolarisation ultérieure, ce qui à son tour devrait logiquement conduire à la réduction progressive des inégalités d’origine socio-économique d’une génération sur l’autre. Or c’est le contraire qui semble se produire. Il convient dès lors de s’interroger sur ce qui se joue, notamment lors de la dernière année de scolarisation en maternelle, dans les apprentissages scolairement les plus importants : le français et les mathématiques.

3 CADRES THÉORIQUES

Comme nous l’avons évoqué dans le préambule, nous avons débuté notre collaboration en apportant chacune un bagage théorique différent. Nous n’avons pas cherché à imposer un cadre plutôt qu’un autre, mais il s’est trouvé que deux cadres théoriques se sont révélés particulièrement intéressants et étonnamment compatibles : le cadre anthropologique de Jack Goody (1919-2015) et le cadre de la théorie des situations en didactique des mathématiques développé à son origine dans les années 60 par Guy Brousseau (pour un historique, voir Perrin-Glorian, 1994).

L’un comme l’autre serait sans doute surpris de l’importance qu’ont pris leur travaux pour analyser des situations qui n’étaient pas l’objet de leurs théories : Goody ne s’est pas vraiment intéressé à l’école et Brousseau a considéré que ses travaux étaient spécifiques des mathématiques.

Notre livre n’étant pas consacré à détailler les théories de ces auteurs, nous n’en ferons pas un exposé préliminaire. Nous amènerons petit à petit les concepts dont nous aurons besoin et nous systématiserons ensuite ceux qui jouent pour nous le plus grand rôle pour comprendre les premiers apprentissages scolaires.

4 LES POINTS DE VUE ANTHROPOLOGIQUES ET DIDACTIQUES

Nous nous plaçons dans une perspective scientifique, dans le sens qu’en donne the International Council for Science (2004, p. 1) : « la recherche de nouveaux savoirs et l’exploration de l’inconnu ». La recherche scientifique est parfois perçue naïvement comme un luxe inutile, une recherche appliquée étant supposée répondre aux besoins immédiats. Or les relations entre recherche fondamentale et recherche appliquée ne sont pas évidentes : elles sont de fait en interaction permanente.

Notre travail s’inscrit dans cette perspective, il vise à permettre aux professeurs de mieux comprendre une partie de ce qui se joue pour les élèves dans les situations d’enseignement. Nous pensons ainsi contribuer au développement des savoirs nécessaires au métier d’enseignant. Nous ne considérons pas que notre rôle serait de conseiller l’enseignant sur ce qu’il devrait faire ou ne pas faire. Agir ainsi serait ignorer la diversité des situations que vivent les enseignants : diversité de leurs élèves, de leurs conditions de travail, changements de curriculum et de directives pédagogiques, etc. Nous cherchons au contraire, au-delà des spécificités culturelles, sociales et historiques des conditions d’enseignement, à montrer ce que représente pour l’élève l’entrée dans l’école et dans les premiers apprentissages scolaires qui sont d’acculturer l’élève aux usages de l’écrit et des nombres.

Nous adoptons pour ce faire tout d’abord une perspective anthropologique :

« La démarche anthropologique prend comme objet d’investigation des unités sociales de faible ampleur à partir desquelles elle tente d’élaborer une analyse de portée plus générale, appréhendant d’un certain point de vue la totalité de la société où ces unités s’insèrent » (Kilani, 1992, p. 33)

C’est dans cette perspective que nous construisons un point de vue didactique qui ne se veut pas prescriptif, comme d’autres didacticiens qui considèrent aussi leur travail dans une perspective anthropologique : Yves Chevallard (1992), Bernard Sarrazy (2001), Gérard Sensevy (2011), notamment.

Notre originalité, en didactique, se situe sans doute dans le fait que nous ne considérons pas le savoir comme une donnée, ce qui nous conduit à interroger les disciplines scolaires mais aussi à considérer les situations dans toutes leurs dimensions, y compris matérielles. Nous nous demandons si certaines connaissances qui ne sont pas rattachés à des savoirs institutionnalisés mais qui sont nécessaires à la réussite scolaire sont enseignées ou non. Dans le fil de cette interrogation, nous cherchons à observer si les élèves mobilisent ces connaissances en situation ou non, c’est-à-dire s’ils les ont apprises. Finalement, cela nous permettra d’interroger les difficultés éventuelles des élèves qui n’ont que l’école pour apprendre par rapport à ceux qui apprennent hors de l’école, dans leur milieu social, différences qui pourraient participer à l’augmentation des inégalités scolaires entre élèves.

5 LA DÉMARCHE DE CE LIVRE

Cet ouvrage se décompose en trois temps : dans un premier temps, nous initions le lecteur pas à pas à l’observation des activités courantes à l’école maternelle et au début de l’école élémentaire, en cherchant à construire de façon progressive le point de vue de l’élève sur les activités effectives que l’école lui fait rencontrer. Nous proposons ensuite une synthèse théorique pour stabiliser les concepts introduits : c’est le cas en particulier des termes présents dans le sous-titre de notre ouvrage : celui d’énumération* sera défini dès le chapitre 2, ceux d’oralité* et de littératie* dans le chapitre 4 (l’étoile indique, lors de la première occurrence, qu’un mot se trouve dans le glossaire en fin d’ouvrage). Dans un troisième et dernier temps, nous présentons une étude de cas qui vise à montrer la complexité d’une situation* de classe quand on adopte le point de vue des élèves.

Nous avons choisi ce plan un peu singulier, car la compréhension des concepts nécessite de s’appuyer sur un regard spécifique porté sur les univers fréquentés par les élèves, regard que nous construisons dans un premier temps. Cette démarche a pour conséquence d’introduire certains termes avant qu’ils ne soient tout à fait définis, ce qui motive l’existence du glossaire.

Nous parlerons souvent dans ce livre de « l’école » ou de « l’enseignant » ou du « professeur »4 ou encore « d’un élève ». Nous utilisons dans cet ouvrage le masculin à titre épicène5 en parlant ainsi de « l’enseignant » ou du « professeur » au masculin, même si en maternelle, les femmes sont très représentées, ce qui a aussi pour effet de mettre à distance la singularité des personnes. Nous ferons de même pour « l’élève », sauf quand celui-ci ou celle-ci, parce qu’il ou elle est nommé-e, apparaît alors dans sa singularité. De plus, notre visée n’étant jamais quantitative, quand nous parlons « des élèves », c’est pour référer aux élèves dont les réactions sont les plus courantes dans nos observations.

Le premier chapitre introduit la matérialité* au cœur des apprentissages, il a pour but de considérer l’importance des objets du monde* dans les situations scolaires : là où l’adulte qui sait lire ne voit que de l’écrit et celui qui sait compter ne voit que des nombres. Le second chapitre s’intéresse aux connaissances* nécessaires à l’organisation de ces objets du monde dans les situations de classe et introduit spécifiquement pour ce faire le concept d’énumération. Le troisième chapitre va considérer l’école comme s’inscrivant dans deux univers imbriqués : celui de l’oralité et celui de la littératie6, en montrant que les connaissances de ces deux univers sont investies ensemble en situation mais que les savoirs* de la littératie linguistique* sont les seuls à être visibles pour l’école et les enseignants.

Le chapitre 4 introduit une rupture, car son rôle est tout autre : dans celui-ci, nous cherchons à définir et à systématiser les concepts qui ont été jusque-là introduits au fur et à mesure de notre propos (ce que nous venons d’ailleurs de faire dans le paragraphe précédent) ; connaissance, savoir, oralité et littératie (celui d’énumération ayant été déjà abordé dans le chapitre 2). Ce chapitre joue le rôle d’une institutionnalisation* de ces concepts. Certains lecteurs voudront peut-être le lire avant les autres et c’est en effet un choix de lecture possible pour qui veut d’abord connaître la signification précise des termes employés plutôt que de les rencontrer dans les contextes dans lesquels ils prennent sens.

Le dernier chapitre propose une étude de cas. Dans celui-ci, au lieu de nous appuyer sur des observations ponctuelles qui, même si elles sont décrites précisément pour certains aspects, ne le sont pas dans leur ensemble, nous étudions l’intégralité d’une activité de classe de cinquante minutes en GS7. Il s’agit alors d’une part de faire usage des concepts introduits au chapitre précédents, mais aussi de montrer que la réalité est encore plus complexe et que, d’une certaine façon, elle nous révèle toujours la même chose : l’importance de la matérialité, de l’énumération, de l’imbrication des univers de l’oralité et de la littératie, pour l’investissement des connaissances en situation et la prise en compte des savoirs à enseigner à l’école.

1. Le groupe Développement des Mathématiques à l’École (DéMathÉ) a fonctionné de 2003 à 2010, sous la direction de Claire Margolinas, avec Olivier Rivière et Floriane Wozniak et la collaboration technique de Bruno Mastellone ; de 2003 à 2007 avec Bruno Canivenc et Marie-Christine de Redon ; de 2005 à 2007 avec Catherine Aurand ; de 2003 à 2004 avec Colette Andreucci et Alain Mercier. Ce groupe a été créé à l’UMR ADEF (INRP – Université de Provence – IUFM d’Aix-Marseille) puis soutenu par le projet EducMath (INRP) et l’IUFM d’Auvergne.

2. http://www.oecd.org/pisa/aboutpisa/pisa-en-francais.htm consulté le 13 février 2016.

3. Voir annexe : les classes de l’école primaire en France.

4. Enseignant et professeur sont utilisés comme des synonymes.

5. https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89pic%C3%A8ne consulté le 14 février 2016.

6. Deux graphies coexistent à l’heure actuelle pour orthographier ce mot, avec un « c » comme dans le mot anglais correspondant literacy et avec un « t » comme c’est l’usage en français (comme dans démocratie, diplomatie, etc.). Comme Jean-Marie Privat, nous avons choisi cette dernière pour le terme de « littératie » et ses dérivés « littératien », etc.

7. Tous les acronymes référant à des classes de l’école française sont indiqués en annexe.

CHAPITRE 1

La matérialité au cœur des situations d’apprentissage

SOMMAIRE

1 Les corps des élèves

2 Un outil de l’écriture méconnu : la gomme

3 Les objets matériels substituts de l’écrit

4 Conclusion concernant la matérialité dans les situations d’apprentissage

Ouvrons ce chapitre en entrant dans une classe : nous y trouvons des cahiers, des bureaux ou des tables, des crayons, des tableaux, des affiches, etc. Les enseignants ont au quotidien pour mission d’y placer les élèves en situation d’apprentissage et d’y engager des activités cognitives. L’importance de cette mission fait parfois oublier que ces activités d’enseignement se déroulent dans des conditions matérielles. Les enseignants gèrent cet aspect matériel des choses : faire se déplacer les élèves efficacement dans l’espace, leur faire utiliser des gommes, des crayons, des tubes de colle, leur proposer des activités où ils ont à disposer des étiquettes-lettres, des étiquettes-mots, construire des usages collectifs d’affichages muraux, etc. Mais ces aspects matériels ne sont considérés par les enseignants que comme des moyens à la disposition de leur but qui est d’enseigner. Ces objets s’imposeraient uniquement dans leur aspect fonctionnel, sans présenter d’intérêt pour eux-mêmes. Dans ce chapitre, nous allons montrer que le peu de considération accordée aux objets de la classe interdit aux enseignants, dans l’action, de voir comment les élèves les utilisent en situation, quelles connaissances ils mettent ou non en jeu à leur propos et quels effets cela a sur leurs apprentissages.

C’est donc à cet univers des objets et dans le but de comprendre ce que les élèves mettent en jeu quand ils y évoluent que nous allons dédier ce chapitre, qui introduit au point de vue des élèves (Margolinas, 2004). Comme objets de la classe, nous allons envisager successivement les corps des élèves, puis les outils de l’écriture et enfin les objets que sont les étiquettes-lettres ou les étiquettes-mots.

Nous venons d’introduire les termes « d’étiquettes-lettres » et « d’étiquettes-mots ». Le lecteur qui est déjà rentré dans une classe de maternelle ou de début d’école élémentaire aura reconnu des objets d’usage courant dans ces classes. Il s’agit de lettres ou de mots imprimés sur des feuilles qui ont été découpées pour séparer les lettres ou les mots, les transformant ainsi en étiquettes-lettres ou étiquettes-mots, ce qui permet de les déplacer et de réaliser sur elles toutes sortes d’opérations dont nous allons parler tout au long de ce chapitre. Nous ne pouvons parler de « lettre » ou de « mot » sans autre forme de procès car ces termes réfèrent à des concepts linguistiques dont la matérialité n’est justement pas déterminée : on peut prononcer un « mot » à l’oral, on peut l’écrire avec sa main, on peut penser à un « mot » dans sa tête. Tout au long de ce livre, nous serons dans l’obligation d’introduire des termes qui préciseront les formes matérielles auxquelles les élèves sont confrontés, formes qui sont le plus souvent considérées par l’enseignant comme sans grande importance. Il ne s’agit pas d’en faire des concepts et encore moins d’en faire usage dans la classe, ces termes étant seulement nécessaires dans cet ouvrage pour référer à la matérialité ainsi évoquée.

1 LES CORPS DES ÉLÈVES

L’école, pour des raisons évidentes tenant à la taille des groupes et à l’âge des enfants, doit réguler les corps de ces derniers, les « domestiquer » (nous reprenons ici le terme de Goody (1979) dans la version originale du titre : The domestication of the savage mind) ou les « civiliser » (Elias, 1973 ; Foucault, 1975). Tout élève doit apprendre à s’assoir, à se lever et à aller se tenir là où on le lui dit, à se déplacer à son tour, etc. Toute classe a ses routines d’action, qui ont aussi pour effet d’assurer la sécurisation des élèves et le bien-être collectif. Les élèves acquièrent de ce fait des connaissances corporelles qui viennent ou non renforcer des connaissances acquises en dehors de l’école. Ces routines d’action participent au développement des connaissances concernant les positions respectives d’un élément par rapport à un autre (être derrière, en dessous, à côté de, etc.), mais elles contribuent également à la construction de connaissances invisibles et non nommées, qui vont souvent assurer la réussite des tâches à l’insu de l’enseignant.

A. LESCORPSPRÉSENTSETLESCORPSABSENTS

Observons ce qui se passe lors de la phase d’accueil dans une classe de GS1. Les élèves, conduits par leurs parents durant la période d’accueil, n’arrivent pas tous en même temps. Après avoir été accueilli par l’enseignant, chaque élève entre à son tour dans la salle de classe, il prend l’habitude de trouver son étiquette-prénom dans une boîte puis d’aller la placer sur un tableau en dessous de celle installée par l’élève qui est entré avant lui dans la classe. C’est donc par le déplacement des corps des élèves lors de leurs arrivées successives que se constitue une file d’étiquettes, semblable à la file des élèves qui viennent les déposer.

Observons la façon dont sont ordonnées les étiquettes-prénoms qui constituent ce que le professeur appelle la « liste des présents ». La liste* s’ordonne du premier arrivé (en haut) au dernier (en bas). Se constitue ainsi progressivement une file d’étiquettes-prénoms qui pour l’enseignant, est la liste non ordonnée des élèves présents. Certains élèves, surtout en début d’année scolaire, prennent une étiquette au hasard et la pose soigneusement en dessous de la précédente. Le fait que cette étiquette ne soit pas celle de leur prénom ne les trouble nullement et ne les empêche pas de participer à l’activité. Si nous insistons sur ce point, c’est pour faire comprendre au lecteur que, pour les élèves, l’activité est d’abord matérielle et qu’elle se manifeste par des actions corporelles. Il s’agit de prendre un carton et de le poser sur le tableau dans une certaine position, activité matérielle routinisée qui n’est pas nécessairement reconnue comme une activité symbolique : signifier sa présence à l’aide d’un représentant écrit. Certains enfants considèrent cette activité d’entrée en classe au même titre que d’autres activités : s’installer à une table pour faire un puzzle, etc. ; d’autres conçoivent l’étiquette comme une marque qui témoigne de leur présence (comme leur bonnet au porte-manteau) ; d’autres enfin savent déjà que le prénom est une forme de signature.

À la fin de la phase d’accueil l’enseignant demande à un élève de prendre les étiquettes-prénoms restant dans la boîte et de les placer les unes en dessous des autres au tableau, constituant ainsi une seconde file, qui pour lui est la liste des absents. Cette file-là ne se comprend que par déduction, puisqu’elle représente les noms de ceux qui, parce qu’ils n’étaient pas là pour prendre leur étiquette, sont en conséquence absents.

B. FILESETLISTES

L’enseignant vise par cette activité, reproduite jour après jour, à familiariser les élèves avec l’écrit. Pour un spécialiste, cette fonction de l’écrit est reconnue comme utile à des fins bureaucratiques (Goody, 1986), ce que nous appelons fonction bureaucratique de l’écrit*. Il s’agit ici de gérer les présents et les absents en faisant usage de l’écrit. La constitution réussie des deux files d’étiquettes-prénoms peut faire croire que les élèves ont acquis des connaissances en matière de listes. Mais il n’y a aucune raison qu’il en soit ainsi car les élèves vivent dans un univers où les individus communiquent en corps-à-corps : l’univers de l’oralité. Eux ont juste déplacé leurs étiquettes-prénoms en file les unes sous les autres comme ils savent se mettre eux-mêmes en file les uns derrière les autres. En témoigne ce qu’ils font très souvent : certains essayent de changer de place leur étiquette-prénom pour la mettre en haut de la file, comme ils se bousculent dans une file pour se retrouver le premier ; ils veillent à ce que le bord gauche de chaque étiquette soit bien dans le prolongement du bord de l’étiquette précédente, comme ils veillent dans une file à être bien en ligne, chaque tête étant juste derrière la précédente. L’enseignant croit construire des connaissances de la littératie, comme par exemple l’usage de la liste, l’élève, lui, utilise des connaissances déjà-là de l’oralité et souvent rien de plus.

C. COMPTERDESTÊTESETDESÉTIQUETTES

Le second usage des étiquettes-prénoms consiste à dénombrer les élèves suivant deux statuts : les présents et les absents. Il existe là encore de nombreuses variantes, observons l’une d’entre-elles. Un élève désigné doit compter ses camarades assis dans le coin regroupement2 devant le tableau des étiquettes : certains sur des bancs disposés en U, certains assis par terre. L’élève désigné pose sa main successivement sur la tête de chacun de ses camarades en se plaçant face à lui, et en énonçant la suite des nombres, il pose ensuite la main sur sa propre tête. L’action de toucher la tête pour dénombrer ne remplit pas seulement une fonction dans l’énumération, pour bien compter chaque élève une fois et une seule, elle remplit également un rôle social : ne pas avoir été touché, c’est être exclu. Quand un élève n’a pas été touché, ce qui peut arriver, l’élève qui compte traverse alors la pièce pour réparer son erreur alors que, du point de vue du simple dénombrement, il suffirait qu’il ajoute un nombre au dernier nombre prononcé.

À un autre moment de l’année, cette activité va s’éloigner des corps : l’élève désigné doit compter les étiquettes disposées au tableau en les pointant une à une au lieu de compter directement les élèves assis. Le nombre obtenu remplit la même fonction dans cette activité quotidienne, ce qui peut sembler lié pour l’élève au fait que l’étiquette-prénom représente l’élève lui-même, qu’elle se substitue à lui. Cette personnification de l’élève par son prénom masque la propriété mathématique qui est à l’œuvre (la correspondance terme-à-terme). La quantité des étiquettes-prénoms est la même que celle des élèves présents car chaque élève a déposé au tableau une étiquette et une seule : n’importe quel objet pourrait ici faire l’affaire, par exemple un jeton déposé dans une boîte à l’entrée de la classe. Alors que les actions sont familières aux élèves (compter les étiquettes au tableau, compter les étiquettes restantes), les raisons qui fondent ces actions restent souvent obscures.

Dans les deux aspects évoqués au sujet de cette activité (connaissances de la littératie ou du dénombrement), les caractéristiques matérielles propres des objets utilisés (étiquettes) interviennent de façon permanente dans les connaissances qui vont être construites ou non par les élèves. Ces caractéristiques matérielles sont le plus souvent transparentes pour le professeur, qui considère implicitement lui aussi les étiquettes-prénoms comme des représentants des élèves.

2 UN OUTIL DE L’ÉCRITURE MÉCONNU : LA GOMME

Nous allons voir que cette transparence de la matérialité des outils de la classe se rencontre dans d’autres cas et en particulier dans l’usage de la gomme, quotidien dans les classes de GS et de CP et dont certains élèves font un usage intensif.

A. EFFACER : UNETÂCHEINVISIBLE

Observons comment est utilisée une gomme durant une phase de copie. Au cours d’une activité en atelier sur les jours de la semaine en GS, un élève doit recopier sur une fiche individuelle le mot VENDREDI écrit en capitale d’imprimerie3. Il commence à recopier lettre à lettre et écrit VENDERDI. Il montre alors son travail à l’enseignant : celui-ci lui signale en pointant la portion fautive qu’il y a un problème, sans préciser la nature de celui-ci. Sans procéder à une comparaison avec le modèle, l’élève cherche sa gomme, la trouve et entreprend d’effacer l’ensemble des lettres en prenant soin de ne laisser aucune trace et en soufflant sur les scories laissées par le passage de la gomme sur le papier. Il copie à nouveau le mot VENDREDI lettre à lettre en produisant à nouveau l’inversion des lettres E et R. Son erreur lui ayant été à nouveau signalée de la même manière, il se remet consciencieusement à effacer l’ensemble du mot et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un camarade vienne à son secours en écrivant à sa place la fin du mot.

L’application que met l’élève pour aller au bout de sa tâche n’a d’égal que l’inefficacité dont il fait preuve. On peut s’étonner qu’il n’efface pas seulement les deux lettres inversées sans toucher au reste du mot en obtenant ainsi VENDREDI. S’il procède ainsi, c’est pour plusieurs raisons que nous allons examiner maintenant.

Avant de procéder à cet examen, nous allons avoir besoin d’un terme spécifique pour décrire l’activité de quelqu’un qui ne sait pas lire. Nous n’avons pas d’autre choix que de le forger, car nous n’en avons pas trouvé d’équivalent dans la langue courante. Le modèle qui est donné à l’élève pour qu’il le recopie est, pour tous nos lecteurs, parce qu’ils savent lire, un mot : le mot « vendredi ». Mais pour l’élève qui ne sait pas lire, la correspondance graphophonique qui permet de passer de la graphie de VENDREDI au mot prononcé « vendredi » comme jour de la semaine, n’est pas disponible. Le terme de « mot » désigne cet usage complet qui établit un lien entre la graphie, l’oralisation et le sens. Nous introduisons le terme de « graphie-mot » pour désigner le modèle que l’élève doit reproduire : ce dernier est bien un mot pour l’adulte qui sait lire, mais pas pour les enfants qui ne reconnaissent que des lettres graphiées et alignées suivant la raison graphique*. Il ne s’agit pas d’un concept, et encore moins d’un terme qui pourrait servir à l’enseignant pour son usage professionnel, mais d’un terme dont nous avons besoin par moment dans cet ouvrage pour alerter le lecteur qui, sachant lire, éprouve des difficultés à comprendre le point de vue de l’élève.

Revenons maintenant aux raisons cumulées qui font que cet élève ne gomme pas uniquement les lettres désignées par le professeur comme étant erronées.

Il ne recopie pas le modèle écrit en tant que « mot » puisqu’il ne sait pas lire, le graphie-mot est reproduit plutôt comme il le ferait d’un dessin composé d’une suite de signes connus.

De la gomme, il a un usage régulier. Elle lui sert à effacer les traces que les crayons laissent sur le papier. Quand on efface quelque chose, on efface généralement tout. Effacer avec une gomme n’est pas différent d’effacer avec un chiffon sur l’ardoise. La gomme, le chiffon, l’éponge ont la vertu de laisser la surface vierge de toute marque : effacer c’est avant tout nettoyer. On n’efface pas pour faire disparaître une erreur, on efface pour avoir une surface vierge sur laquelle on peut recommencer à travailler ou à dessiner.

L’élève, dans sa vie de tous les jours, est habitué à recommencer pour s’améliorer ou s’entraîner à faire une tâche nouvelle ou difficile. L’adulte ou l’enfant plus grand qui montre comment faire à un petit a tendance à défaire complètement ce qui a déjà été fait pour montrer comment bien faire à partir du début.

Cette tendance à reprendre depuis le début une opération qui a échoué, qui peut aussi exister chez bien des adultes, s’explique aussi par le fait qu’elle est souvent plus économique en temps que celle qui consiste à repérer la portion du travail qui est défectueuse et à la traiter séparément du reste.

Si l’élève agit ainsi, c’est aussi qu’il n’a pas les connaissances permettant de procéder autrement ou qu’il ne sait pas les mettre en œuvre à ce moment-là. Examinons ce que seraient ces connaissances pour en comprendre la complexité.

Il devrait être capable d’identifier et de mémoriser la place de l’erreur dans la chaîne des lettres du modèle. En partant de la gauche, et en énumérant les lettres, il faudrait mémoriser que l’erreur se situe après la quatrième lettre, qui se trouve être un D et qu’il faut écrire un R puis un E avant de retomber à nouveau sur un D. Il est possible aussi d’énumérer les lettres du modèle de droite à gauche, ce qui est plus facile parce que l’erreur se situe plus près de la fin du graphie-mot. La deuxième lettre à partir de la droite est un D, il faut écrire un E à sa gauche puis un R avant de retrouver à nouveau un D. Cette description fait apparaître une certaine incertitude sur la position relative du E et du R entre deux D, suivant que l’on parcourt le modèle dans un sens ou dans l’autre.

Remarquons que l’ordre dans lequel on choisit de parcourir la succession des lettres est indifférent pour la réussite de la procédure de recopie en lettres capitales, ce qui vaut aussi pour l’ordre dans lequel on gomme les lettres, alors qu’il ne l’est pas quand on écrit en cursive ou qu’on lit le même mot.

Une autre stratégie pour ne pas tout gommer pourrait être d’effacer la fin du graphie-mot à partir de l’erreur pointée par l’enseignant, en gardant donc VEND. Cette stratégie aurait peut-être permis de repérer quelle était la lettre D déjà écrite, celle située entre N et R et donc la lettre à écrire à la suite : R.

Nous avons cherché à décrire la situation effective dans laquelle se trouve l’élève et non pas la situation dans laquelle un adulte qui sait lire, et particulièrement le professeur, croit qu’il doit être à partir de déterminants issus de la littératie linguistique. C’est tout l’enjeu de ce livre d’essayer de rendre compte de ce que les élèves font et non pas de ce que les adultes interprètent.

B. ÉCRIRE, EFFACERETDÉNOMBRER

De très nombreuses activités demandent à l’élève de dessiner des objets sur une fiche4 (Joigneaux, 2015). Pour beaucoup d’enseignants, cette activité est considérée comme très proche de celle qui consiste à donner le même nombre d’objets matériels : par exemple « donner six pommes » vs « dessiner six pommes ». Il est aisé de comprendre pourquoi il est plus simple en classe de demander un travail sur fiche, qui peut alors être individuel et synchrone dans un groupe d’élèves plutôt que de demander un travail sur le matériel, qui exige bien souvent la présence d’un adulte et une validation individuelle. Le ralentissement dû au dessin est également un facteur qui favorise la fiche, car le travail en ateliers5 implique de pouvoir « calibrer » le temps de travail.