Les Prophéties de Loi - Limalh Bachir-Kessiri - E-Book

Les Prophéties de Loi E-Book

Limalh Bachir-Kessiri

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Beschreibung

Perdue au fin fond de la galaxie, feue notre Terre dérive; brulée et dépouillée de toute vie. Pourtant, rien n'est terminé : la Création avait présagé et attendu cette extinction. Un ingénieux stratagème, et voilà ses protecteurs propulsés dans l'espace-temps. Gardienne du Continuum et ensorceleurs se mettent alors à l'oeuvre pour que tout présent ait une histoire et que tout passé tisse le futur. Des amitiés, des alliances et la trame du destin se lient et se délient dans une cohésion parfois fragile. Une priorité pour l'Univers : conserver une ligne d'avenir proche de l'originelle. Mais Néant veille. Il est tapi, mauvais, tueur. Décidé à s'affranchir de cette boucle temporelle, il complote contre les fervents défenseurs de notre belle planète. Sorciers et Humains sauront-ils s'unir pour fonder ce renouveau. À travers ta lecture, tu sillonneras les époques; les mondes et entre deux coupes de champagne servies par de mystérieuses pattes de chats, quelques paradoxes se dresseront sur ton chemin. Es-tu prêt à suivre l'errance épique d'une famille de sociopathes assumés, aussi haute en couleur que timbrée.

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Table des matières

Avant-propos

Prologue

Chapitre 1 – Le sort en est jeté

Chapitre 2 – Génomisation

Chapitre 3 – Génitrice de substitution

Chapitre 4 – Destins croisés

Chapitre 5 – Fondation

Addendum

Chapitre 6 – Le clan Néotolc

Addendum

Chapitre 7 – Destin sacrificiel

Addendum

Chapitre 8 – Réunion de famille

Addendum

Chapitre 9 – Tendre l’autre joue !

Chapitre 10 – Amour, pomme et serpents !

Chapitre 11 – La mort dans l’âme

Chapitre 12 – L’ordre des choses

Chapitre 13 – Bouquet final

Addendum

Chapitre 14 – La quête de Catin

Addendum

Chapitre 15 – Super-Vilain

Chapitre 16 – Noces sanglantes

Addendum

Chapitre 17 – Communion d’allégeance

Chapitre 18 – Éphémère existence

Chapitre 19 – Salvateur Couperet

Chapitre 20 – Machiavélique Supplantation

Addendum

Chapitre 21 – Spectrale réception

Chapitre 22 – Retrouvailles d’antan

Chapitre 23 – Bluffante réunion

Chapitre 24 – Retour au bercail

Chapitre 25 – Filature révélatrice

Chapitre 26 – Exécutante confession

Chapitre 27 – Invasion

Chapitre 28 – Résurrection révélatrice

Chapitre 29 – Historiques retrouvailles

Chapitre 30 – Réhabilitation résurrective

Chapitre 31 – Rencard tactique

Chapitre 32 – Super vilains

Chapitre 33 – Toute résistance est inutile !

Chapitre 34 – Capuchon holographique

Chapitre 35 – royal planning

Chapitre 36 – Soumissions nocturnes

Chapitre 37 – Troublantes vérités

Chapitre 38 – Sorcellerie quantique

Chapitre 39 – Les Junic dirigent le monde

Chapitre 40 – Dînons ensemble

Chapitre 41 – Les visiteurs

Chapitre 42 – Transitoire Communion

Chapitre 43 – Guerre planétaire

Addendum

Chapitre 44 – Nerf de la guerre

Chapitre 45 – La boucle est bouclée

Chapitre 46 – Avènement

Chapitre 47 – Dernière carte

Chapitre 48 – Terminus ! Tout le monde descend

Addendum

Chapitre 49 – Ultime espoir

!

Chapitre 50 – Renouveau

Épilogue

Avant-propos

L’histoire repose sur la mémoire, l’imagination, les sentiments ! Elle est souvent racontée par les vainqueurs.

En l’occurrence, Néant n’en a rien à carrer ! Ça fait un bail qu’il a oublié nous avoir défoncés.

Prologue

Au cœur du Sahara, invisible, se trouvait la cité mystique de Khalarie, fief des sorciers. Ils avaient débarqué par le biais d’un vortex interplanétaire en -100 avant Jésus-Christ. Bien sûr, ils tentèrent de se mêler à leurs lointains cousins dépourvus de magie, mais confrontés à la barbarie et au nombre, ils finirent par se retirer et poursuivirent leur vie en toute discrétion.

Les siècles passèrent, jusqu’à ce qu’Enlil Darck hérite du trône de la magie, qui, par voie de terreur, unifia le monde. Malgré tout, sous son règne, la pauvreté, la famine, les maladies et tous les autres maux sociétaux du genre humain furent bannis. Le milliard de survivants de sa guerre et de sa purge vivaient désormais un printemps perpétuel.

Sentant depuis des semaines l’émergence d’une antique créature baptisée Néant, le clan Darck travailla de concert avec ses sujets pour doter la Terre de défense ; ainsi naquit la magicologie. Les trois cent quatre-vingtsept satellites placés par un gigantesque maelström au large du globe et contrôlés par l’Intelligence magificielle générèrent des filaments qui fusionnèrent pour former une cage d’énergie autour de la Grande bleue.

Pendant dix ans, ils résistèrent. L’ennemi ne fit aucune victime au cours de cette décennie, ce qui contribua à l’amoindrir. Puis, lassé d’être mis en échec, il absorba Lune et Soleil, causant notre perte. Dans un ultime espoir, avant que la planète n’implose, nous unîmes nos chakras afin de nous transposer dans une dimension alternative, mais seuls deux d’entre nous arrivèrent entiers.

Surprise ! Nous débarquâmes, non pas sur une réplique de la Terre, mais au sein d’un fabuleux palais reposant sur un cumulonimbus immaculé, plongé dans une infinie opacité.

Jusqu’à l’instant où nous pénétrâmes dans la salle du trône, nous fûmes esseulés. Puis, l’intégralité de l’édifice irradia d’or et, quelques secondes plus tard, apparurent les célestes. Leurs toges laiteuses, les recouvrant totalement, ne laissaient entrevoir que leur face bleutée sans visage. Toujours sous le choc de l’irruption, je portais mon attention aux craquelures qui commençaient à déchirer le plafond, quand le pégase obscur peint se libéra du tableau et vint se planter à mes côtés. Lorsque nos iris se croisèrent, un lien spirituel s’établit : désormais, nous ne formions plus qu’un.

À force de jouer les fouines, nous découvrîmes qu’il s’agissait du Palais Palladium. Il se situait sur une étendue éthérée, créée par une entité encore plus vieille que le cosmos. Les heures, les semaines, les années s’enchaînèrent, si bien que nous finîmes par ne compter que les siècles.

Alors, grâce à ma sorcellerie, au génie de mon acolyte et au savoir intemporel des célestes, l’histoire put être réécrite. Inspirés par les prodiges contés dans les archives de l’ancien résident, enfin les Prophéties de Loi naquirent. Restait à déterminer le moment propice pour initier le renouveau. L’accomplissement de ce prodige nécessita une autre merveille du Palais, dispensée par l’étang aux eaux violines. Il suffisait d’y plonger l’âme pour parcourir le continuum. Il s’avérait que la mort des Seigneurs de la magie par le Néant demeurait l’unique fait modifiable de la chronologie.

Étrange, mais soit.

La gestion des paradoxes nous aurait pris des ères. Affligé par notre désespoir, le Céleste suprême nous conduisit dans une salle secrète, où s’entassaient de riches trésors. Au fond de la pièce, sous des faisceaux d’argent, flottaient des capuchons de teintes distinctes, ainsi qu’un voile noirâtre.

Magistrat conféra le doré à mon comparse. De la sorte, il pourrait influer sur les événements sans créer d’incident cosmique. Jamais je n’aurais eu la capacité d’ouvrir une faille temporelle sans avoir d’abord vécu les siècles écoulés. Ce qui m’amena à penser que tout ceci s’agençait trop bien pour être possible.

Consciente que cet acte m’effacerait, sitôt le Grimoire entre les mains de Kelly, et sachant que les Darck n’obtiendraient pas la victoire d’emblée, j’intégrai quelques sécurités au tome originel.

Exploitant l’écho du Palais, mes prophéties résonnèrent haut et fort :

« Douze occurrences du début et de la fin de l’avenir écrit !

Onze fois, ils échoueront !

Chaque défaite intensifiera leur puissance et leurs volontés !

Le treizième volume devra être celui du triomphe mythifié !

Son auteure seulement détiendra la prérogative de l’achever !

Par ces conditions, l’équilibre sera respecté ! »

Le pentagramme sur lequel se tenait Gold irradia de rubis, d’émeraude et de tanzanite, puis un vent mystique se leva. Et progressivement, un vortex arc-en-ciel se dessina. Après m’avoir chaudement serré dans ses bras…

Chapitre 1 – Le sort en est jeté

Désert du Sahara. Cité mystique de Khalarie. Dimanche 22 novembre 1981

Ce soir, Kelly Darck fêterait ses seize ans. L’écho des clameurs s’échappant de Khalarie bourdonna aux oreilles de la belle assoupie. Souriante, elle s’étira puis, d’un balancement de la main, ouvrit la tenture recouvrant la vaste baie vitrée. Bien que coutumière du paysage saharien, celui-ci continuait à l’envoûter.

Une fois hors du lit, l’héritière du Trône de la magie accéda à son balcon et huma l’air en une puissante inspiration. Le mélange d’effluves chakratiques stagnant dans l’atmosphère finit de la réveiller. Elle observa son fief avec excitation, car en l’honneur de sa fille bien-aimée, Jonas Darck organisait des festivités à la hauteur de son trésor.

Elle fut ravie de constater que certains de ses sujets patientaient déjà devant le Colisée, ainsi, ils s’assuraient d’une place au premier rang. Malgré les tensions entre les différents clans, tous désiraient célébrer cette journée dans la joie comme dans l’ivresse ! Subjuguant le peuple de leurs compétences mystiques, des saltimbanques se découvraient à chaque coin de rue.

Kelly attendait le rituel avec impatience. Après tant d’années à douter, elle serait enfin fixée sur sa destinée ; la sourde incertitude qu’elle éprouvait encore venait de la mystérieuse disparition de sa jumelle. Jamais sa dépouille n’avait été retrouvée… Si Kara vivait toujours, le statut d’héritière pouvait lui appartenir. Mais seule la Créatrice savait ce qu’il adviendrait si cette perspective se présentait.

De retour dans sa chambre, Kelly s’installa devant sa coiffeuse sertie d’émeraude étincelant. Son reflet l’agaça.

Hors de question d’apparaître affublée de cette toison ondulée, épaisse et indomptable !

D’un claquement de doigts, sa chevelure de jais se lissa. Satisfaite de sa coiffure, la reine du jour chercha une tenue adéquate dans son temple de la mode. Son choix se porta sur un pantalon noir à pinces, accompagné d’un chemisier bordeaux, qu’elle combina à une paire d’escarpins carmin. Elle ajouta quelques pierres précieuses afin de la magnifier, mais sa beauté naturelle la dispensait de maquillage ; cependant pour l’événement, elle se contenta de peindre ses fines lèvres d’un rouge coquelicot.

L’heure de rejoindre Karl et Christian approchant, Kelly fonça comme une fusée. L’esprit de la première des Darck modela les murs pour concocter un raccourci à sa descendante adorée. Sa course effrénée se termina devant un cabinet. Son souffle repris, elle arbora son incroyable air royal et traversa le reflet doré. Émergeant dans sa dimension à l’image de la forêt amazonienne, la princesse, d’une voix élégante, lâcha :

— Karl ! Christian, mes chéris ! Je suis ravie de vous voir. Comment se porte la mode humaine ? Ne me dites rien ! lança-t-elle en hissant l’index : ça manque de magie, et si seulement la Créatrice y remédiait, me répondriez-vous !

Assis sur un canapé argenté, Karl sourit, puis se leva et, sans cacher sa joie, vint la serrer dans ses bras.

— Si elle se manifestait, Darling, ce soir vous deviendriez la légataire de la Terre, et non de Khalarie. Comme tout cela est surfait, ne trouvez-vous pas ? rétorqua le couturier.

Connaissant l’ironie de M. Lagerfeld, Kelly ne s’offusquait point de ses boutades.

— Ne sois pas potache avec notre amie, mon cher Karl.

Christian claqua des doigts. À la manière d’un essaim d’abeilles butinant une orchidée, divers instruments de confection apparurent afin de prendre les mensurations de l’héritière.

— Voudrais-tu excuser sa désobligeante remarque et t’intéresser à la merveille que nous t’avons concoctée ?

Les mesures prises, Christian matérialisa une estrade de Karistal d’un mouvement du poignet. Coutumière de l’invention, la princesse y grimpa d’un pas souple, laissant les designers à leur discipline. Les Lagerfeld se placèrent chacun à un bord de l’appareil et appliquèrent leur main droite sur les emplacements prévus à cet effet. Les jumeaux fermèrent les yeux. Un chakra artistique époustouflant qui s’amassa à l’intérieur du podium fut libéré. Une aveuglante lumière embrasa brièvement Kelly. La fusion des idées stylistiques imprima la réflexion de leur imaginaire sur le mannequin royal.

Elle qui s’attendait à une robe en or, symbole de sa famille, se retrouva couverte d’un blanc tellement pur qu’elle paraissait divine. Cintré, le vêtement soulignait ses courbes parfaites. Cascadant à ses pieds, ouverte à partir de la moitié de la cuisse, la création révélait sans équivoque son côté femme fatale. La broderie recouvrant son buste soutenait le décolleté serti de rubis, d’émeraudes et de tanzanites.

Pour la dernière touche, les jumeaux apposèrent un charme de lévitation, maintenant la traîne à quelques centimètres du sol.

— Je n’ai pas les mots, merci mille fois.

L’essayage terminé, Kelly se changea et salua chaudement ses amis. C’est emplie d’allégresse qu’elle quittât le cabinet dimensionnel. Voulant remercier son père pour ce magnifique présent, l’héritière emprunta la direction de ses appartements.

**

Consciente de ses responsabilités depuis son plus jeune âge, Kelly veillait à paraître irréprochable en public. Les épaules droites, le regard froid et l’expression impénétrable, elle franchit les couloirs sans fin, modelés par la psyché d’Andromède. Fière de son statut, la princesse salua les révérences des membres de sa cour. Elle détestait le protocole, mais, pour préserver l’équilibre et la survie de son peuple, l’héritière tenait à l’appliquer et à le respecter.

Cependant, ce jour-là, agacée par ce pèlerinage interminable auquel la soumettait son aïeule, elle oublia toute contenance. C’est par sa seule volonté qu’elle créa une bourrasque magistrale qui décrocha l’ensemble des toiles représentant les souverains d’antan. La tornade engendra un mouvement de panique parmi les sujets présents. Connaissant le courroux de sa descendante, la première des Darck façonna tout de suite un chemin vers le roi.

Son exaspération retomba à la vue de son père, pour se transformer en un sourire éclatant ; lorsqu’en arrière-plan, elle aperçut un étrange individu qui pénétrait dans la salle du Trône. Impossible ! Si aucun membre de la couronne n’y siégeait, nul ne pouvait y accéder.

Comment fait-il pour esquiver le sortilège restrictif ?

Plus curieuse que furieuse, la princesse décida d’affronter l’intrus. Par télépathie, elle avisa Jonas du report de leur rencontre et, l’air de rien, poursuivit sa traversée du couloir aux portraits. Les immenses portes de bois blanc gravées du Triskèle Trinital, emblème de son clan, s’entrouvrirent. L’indésirable osa même s’installer sur l’imposante assise de rubis.

La colère la submergea. Abruptement, elle entra dans la pièce. D’une simple rotation de la main, le malfrat se retrouva projeté hors de l’estrade et alla s’écraser contre l’un des obélisques de platine qui entourait l’antre monarchique.

Mal en point et à peine remis debout, l’héritière l’immobilisa d’une pichenette de chakra. Prédatrice, Kelly s’approcha lentement de sa proie. Le bougre ne dégageait aucune peur ; étrange. Muette de stupeur, la princesse se paralysa. « Des pupilles dorées ! » Seule la royauté arborait cette pigmentation particulière.

— Qui es-tu ?

Le garçon s’égara dans un jargon abscons, dû au sortilège de sa geôlière. D’une pensée, elle régla le problème.

— Personne. Enfin… pour l’instant, répondit-il, narquois.

— Tu as beaucoup de chance « Personne, pour l’instant », car, quand j’en aurai fini avec toi, tu découvriras assurément « être quelqu’un ».

Le sourire sadique de Kelly paraissait sans équivoque. Pourtant, l’intrus demeurait imperturbable.

— Oh ! Tu crois… À ta place, princesse, je resterais méfiante…

Son ton suffisant l’agaça au plus haut point. Elle s’apprêtait à le gifler quand, en plein mouvement, son geste se désamorça. Un chakra qu’elle ne put identifier imprégna les lieux. À peine eut-elle tourné son regard, qu’un capuchon rouge l’attaquait de front.

Le poing de flammes ciblait sa trachée ; la guerrière positionna aussitôt ses avant-bras de façon à se protéger. Encaissant l’assaut avec brio, elle dérapa sous l’impact et recula sur plusieurs mètres, creusant le sol de ses talons fumants. Entraînée par l’immortel Darrius Coltone, elle freina son élan sans aucun mal. D’une rapidité sans égale, Kelly se catapulta en direction du nouveau venu.

Surgissant face à son ennemi, elle frappa violemment sa poitrine du plat de l’escarpin. Le craquement des os se répercuta sinistrement dans la salle du Trône. Inerte, le corps percuta l’une des parois, laissant un trou dans le mur brisé.

Lentement, il retomba face contre terre.

Libéré de l’emprise de sa geôlière, le Vert agressa Kelly par-derrière ; sa lame de vent la projeta brutalement dans les airs. Elle tenta d’amortir sa chute à l’aide de sa magie, mais échoua. En dépit de son piètre état, le Capuchon rouge matérialisa une brèche minuscule vers laquelle la princesse se sentit attirée. C’est sous les yeux de son père, qui venait de franchir les battants, que Kelly disparut, aspirée par la faille.

***

Une sensation de vertige s’empara d’elle. Perdue au milieu des ténèbres, Kelly flottait. Elle vit une flamme ardente se dessiner dans l’obscurité, et, soudain, une main l’agrippa et l’entraîna dans les profondeurs. Terrorisée un instant, sa sérénité refit surface lorsqu’elle identifia sa bienfaitrice : Zargua El Gamma !

La régente du Sultanat céleste les fit planer paisiblement toutes les deux pour tranquilliser Kelly, puis elle scruta sa maîtresse attentivement. Mal à l’aise, la princesse voulut briser l’étrange silence. Le timbre cristallin de sa sauveuse résonna dans son esprit alors qu’elle s’apprêtait à ouvrir la bouche.

« Utilise la télépathie ! Ici, nous ne sommes pas en sécurité, le Néant pourrait nous entendre ! »

« Où nous trouvons-nous et de qui parles-tu » ? demanda Kelly.

« Dans un futur où la Terre telle que tu l’as connue n’existe plus ! »

Zargua approcha ses mains des tempes de Kelly. Abasourdie, elle ne saisit pas le sens de ce qu’elle vit… Et pour cause : l’utopie ne correspondait en rien à ce morne endroit.

« Que s’est-il passé ici ? »

« Deux prémonitions me sont apparues, dont l’une se réalisera. Elle coïncide avec ton accession au rang d’Héritière de la magie, qui a eu pour conséquence la mort de la Terre. Nous gisons précisément à la place du Colisée et ta destinée est liée à ces prophéties. »

« Qui sont ces deux encapuchonnés qui m’ont attaqué ? »

« Les frères Hood, Red et Green, administrateurs de la Création. Avant que la cérémonie ne scelle ton sort, le choix entre deux chemins t’est offert. Celui pour lequel tu opteras conduira soit à cet avenir, soit à l’eldorado partagé en pensée. »

« Cela sonne plutôt comme une fatalité ! »

« Quel que soit le sentier emprunté, un interminable périple ainsi que de grands dangers t’attendent. Tu seras éprouvée bien plus qu’à ton tour. Soit tu deviendras la future Reine de Khalarie, soit tu incarneras la Gardienne du Continuum. Il me semble que son mythe t’est familier. Dans cette partie d’échecs pour la longévité de l’Univers, la Créatrice t’a choisi pour personnifier la dame blanche de son plateau ».

Kelly adorait cette histoire, racontée par son père à propos d’une sorcière, contrainte de déserter son époque pour assurer la survie de ses enfants. Cette femme immortelle voua son existence à la préservation de la Création.

« Tu jouis à présent de vingt minutes de réflexion. Analyse et comprends. »

Puis Zargua s’évapora, laissant Kelly seule.

Assise en tailleur, la princesse ferma les paupières et lévita de quelques centimètres. Puis, son esprit fut projeté hors de son corps afin de sonder l’écosystème. Il ne restait aucune trace de vie sur le globe, hormis une créature d’une puissance à glacer le chakra. Kelly décida de suivre ses quelques empreintes d’énergie pure. Elle avançait pratiquement à l’aveuglette au milieu de l’épaisseur du brouillard environnant, quand ses sens décelèrent au loin une sorcellerie protectrice.

Elle supposa que se frayer un chemin jusqu’à la source deviendrait compliqué. Une malheureuse évidence lui sauta aux yeux : cette terre ne portait plus aucun vestige de sa beauté ! La cendre et la poussière parsemaient désormais cet enfer stérile. Arrivée à destination, elle identifia un objet familier, préservé par un ancien sortilège en fin de charge.

Une légende concernant le D…, grimoire de sa famille, lui revint en mémoire : le recueil posséderait une âme, mais, ayant reçu l’interdiction formelle de le consulter, jamais elle ne constata son éveil.

Dans ce futur dantesque, la preuve de sa vivacité se trouvait face à elle. De son index, la voyageuse du temps effleura la couverture de cuir rouge. À son contact, une succession de visions l’accabla. Le D… transmit la somme de son savoir à sa dernière maîtresse. L’afflux d’informations la submergea ; elle s’évanouit.

Reprenant conscience, Kelly avait réintégré son enveloppe charnelle. Sur ses genoux, le plus puissant ouvrage de sorcellerie, dont la genèse remontait au début du règne d’Andromède, s’effondra en poussière entre ses mains !

Comme s’il l’attendait pour mourir !

Cependant, le phénomène se poursuivit et l’éclosion de trois nouveaux tomes, au milieu du tas de poudre charbonneux, la surprit. Elle s’empara de celui de la teinte or, où un « ED » s’encrait. Le bleu portait également une gravure « KD » et le vert apparaissait estampillé d’un « WD ». Aucun ne daigna s’ouvrir. Elle en conclut qu’ils ne lui appartenaient pas, car un grimoire ne se révèle qu’à son propriétaire.

Pour la jeune femme, la réflexion arrivait à son terme. Elle se saisit des recueils et contacta Zargua.

« J’ai pris ma décision. »

Désormais Gardienne du Continuum, Kelly se retira de l’avenir dantesque pour ressurgir au cœur du plan astral. La Céleste, flottante au milieu du cosmos, l’attendait :

— Ton intervention se ressent déjà dans les méandres du temps.

— Je n’ai pourtant rien réalisé ! répliqua-t-elle étonnée.

— C’est toute la complexité de ton statut. En acceptant, les actes que tu n’as pas encore accomplis, mais que tu opéreras à l’avenir, s’inscrivent en cet instant dans la trame historique. Cela est et sera écrit.

— Si vous le dites ! Mon père ne va pas en reven…

Zargua la coupa dans son élan :

— Tu ne pourras revoir les tiens qu’au terme de ta mission. Ta quête pour préserver le futur commence dès à présent.

Sur ces mots, la Céleste disparut. Indiquant le chemin de sa destinée, un trou de ver se matérialisa ; téméraire, Kelly s’y engouffra.

Chapitre 2 – Génomisation

Ve siècle apr. J.-C.

Au fil des ères, les enfants de Brocéliande s’éteignirent. À la différence des Sorciers, les enchanteurs canalisaient l’essence de Dame nature : le Mana. Et ce, au travers de sceptres ou de baguettes, attribués en conclusion de la troisième initiation par le Hêtre de la Roche plate*.

Effrayés par leurs facultés occultes et jaloux de ce savoir inaccessible, les hommes les anéantirent. Quelques-uns abandonnèrent la magie et s’assurèrent une sereine existence en trahissant l’espèce. S’abaissant aux mœurs des singes nus, ils dénoncèrent proches, amis ou voisins, qui furent soumis à la question, puis envoyés au bûcher sans aucune forme de procès.

Cependant, quelques-uns vivaient encore, tapis dans les profondeurs de la forêt, voire protégés par les abysses marins. Mourir dans ces conditions en épouvanta d’autres, qui préférèrent s’ôter la vie.

La dernière grande purge eut lieu voilà vingt ans déjà. Mandatée par Clovis, roi des Francs, la congrégation de druides haineux, accompagnés d’une bande de pécores bestiaux, profanèrent le lac sacré et Avallon se retrouva à feu et à sang.

Cadavres, viols, meurtres. Paix, amour et silence restaient le credo des Enchanteurs ; aucun ne se rebella.

Le saccage accompli, la pestilence domina la cité de verre. Quelques heures après le départ des barbares, un grondement assourdissant retentit. Un vortex d’or déchira la voûte stellaire. Toute de blanc vêtue, la Créatrice émergea et la faille disparut.

Elle atterrit au cœur du carnage avec grâce. D’une pensée, elle incarna une urne de belle taille et par sa volonté, elle incinéra les corps. Devinant ses attentes, le vent réunit les cendres, qu’il rapatria jusqu’à la jarre.

**

Adhane, nourrisson rescapé de cette tragédie, conservait le souvenir très net d’une femme au visage voilé la déposant au pied du Fayard.

Recueillie par Brocéliande et protégée par les loups d’ébène, elle vivait ses journées, ses mois et ses années en simple ignorante du monde extérieur. Jusqu’au jour où… une présence inusitée se fit ressentir. Se baignant avec Isha dans la rivière sous la surveillance de Ranufle, la demoiselle riait aux éclats.

Profitant des rayons du soleil filtrés par le feuillage touffu, l’imposant louveteau somnolent bondit. Le poil hérissé, les crocs menaçants et les babines retroussées, Ranufle grogna. Adhane reconnut le signal et grimpa aussitôt sur le dos d’Isha. Chênes, hêtres et plantes ligneuses créèrent un sentier que le cervidé emprunta à vive allure. Afin d’assurer la sécurité de la dernière enchanteresse de sang royal, la flore dissimula toute trace de son passage, alors que la faune s’affairait à repérer l’intrus. En vingt ans d’existence, jamais la survivante ne s’était trouvée si proche du danger.

Terrorisée à l’idée d’être traquée, Adhane serrait les ramures du cerf de toute sa force. Angoissée, elle ne put s’empêcher de surveiller l’arrière : rien ! Son attention se reporta sur la folle avancée d’Isha, qui haletait et ahanait, désireux de mettre le plus de chemin possible entre sa protégée et l’inquiétante présence.

À l’horizon, elle distingua une branche, toute prête à l’assommer et à sectionner la couronne de sa monture. N’écoutant que son courage, elle se plaqua contre le dos de son compagnon. Le contact du poil soyeux contre son visage la calma un peu. Toutefois, elle savait d’instinct que sa position ne lui permettrait pas d’esquiver l’obstacle. Elle lâcha les bois et mobilisa tous ses muscles pour se placer debout et maintenir son équilibre. Isha banda sa puissante musculature afin de lui offrir le soutien nécessaire. Ils s’y trouvaient presque.

« Maintenant », intima l’animal par le biais de l’esprit.

Ni une ni deux. Tandis que sa cavalière bondissait dans les airs, il fléchit les quatre pattes et se laissa glisser sous l’entrave assassine. La difficulté passée, il se redressa et récupéra l’acrobate, atterrissant en amazone, avec un timing parfait.

Le cœur battant la chamade, elle fut soulagée lorsque Isha, les sabots fumants, ralentit l’allure et freina sa cavalcade, pour s’arrêter enfin complètement devant sa demeure.

Se pensant en sécurité, elle pénétra, confiante, dans la maisonnette. Mais, là encore, un homme bizarrement vêtu patientait. Elle n’eut que le temps d’apercevoir ses iris cobalt scintiller avant de sombrer. Iblisse quitta sa chaise bancale, puis tendit sa paume. Guidée par le pouvoir du Seigneur des démons, la demoiselle gagna lentement la paille qui lui servait de couche en lévitant.

— Encore une victime des Écrits, lâcha-t-il avec dépit en se dirigeant vers l’extérieur.

Red Hood avait mis dans le mille ! Bien qu’elle n’ait pas conscience de sa nature, l’enchanteresse était la Maîtresse de Brocéliande. Cependant, son sommeil forcé endormit également l’ensemble de la forêt. Pour preuve, l’immense cerf blanc et la meute de loups qui entouraient la chaumière gisaient à terre, inconscients. Le bruit nocturne typique des bois ne résonnait plus. Brocéliande semblait retenir son souffle ; seul l’écho du silence planait, comme une ombre funeste.

Puis, le ciel gronda, faisant lever les yeux d’Iblisse, qui laissa son regard s’y promener. Invisible pour le commun des mortels, une faille dimensionnelle s’ouvrit soudain. La foudre émeraude qui s’en échappa zébra le firmament et vint s’abattre aux pieds du Djinn, impassible. Du sol fumant surgit alors Green Hood.

— Salut, toi ! Comment vas-tu ? demanda l’arrivant.

— Pas top, vu ce qu’on s’apprête à réaliser, révéla Iblisse, froid comme l’Antarctique.

Répondant sur le même ton, Hood lança :

— On ne va pas te mettre mal à l’aise plus longtemps ! Exécutons les ordres et ciao.

Un silence pesant s’installa. Iblisse détestait s’embrouiller avec les puissances, mais parfois, leurs actes excédaient son seuil de tolérance, pourtant extrêmement élevé.

Le céleste crispa le poing et un tourbillon verdoyant se matérialisa, transportant Adhane à leurs côtés. S’ensuivit une mini brèche, de laquelle s’extirpa une patte grisonnante, tenant l’Ensorcetabe 7.0, dernière-née de la série. Green s’en saisit. L’animal se rétracta et la faille disparut.

— Comment puis-je aider ? demanda Iblisse, presque angoissé par l’absence de son.

— Dans un premier temps, je vais connecter mon chakra au sien. La magie des sorciers et celle des enchanteurs s’annulent l’une l’autre, la magicologique entre donc en jeu. Une fois le lien établi et stabilisé, tu me donneras tes instructions. Ça te va ?

— Parfait !

Hood balança l’Ensorcetabe vers Adhane, tandis que de l’autre main, il généra un rayon d’émeraude qui, dans les airs, frappa la tablette. Accumulant l’énergie mystique de son créateur, l’appareil luisit tant, que durant un moment, Jour effaça Nuit.

Ne pouvant interrompre le processus, Green commençait à ressentir l’effort fourni. En théorie, la fatigue devait venir plus tard, mais quoi qu’il en soit, il réussirait.

L’Ensorcetabe se changea en œil du cyclone ; le chakra, transformé en Mana par le bio filtre, se libéra du convertisseur en un flot continu, qui engloba l’enchanteresse, toujours inconsciente et en lévitation. Puis, la souffrance du céleste s’apaisa. D’ici à quelques instants, maintenir le flux ne causerait plus de douleurs.

Bientôt.

Encore un peu.

ENFIN !

Son attention put se porter à nouveau sur Iblisse, qui donna ses directives :

— Focalise-toi sur son sang ; litre après litre. Lorsque je l’entaillerai, exsanguine-la. Je me charge de la suite.

Tandis qu’il s’exécutait, le Djinn invoqua un ballon de chimiste, pouvant renfermer jusqu’à six litres de plasma, qui se figea au-dessus de la jeune fille.

Au creux de sa paume apparut un scalpel. Protégé par un bouclier chakratique, Iblisse s’approcha d’Adhane ; d’une pensée, il la déshabilla et, gentleman, couvrit son intimité d’un nuage opaque.

— Dépêche ! Le convertisseur ne va pas tenir éternellement, il s’agit d’un prototype, l’avisa Green Hood.

Jouant les « Docteur Mamour » à la perfection, le démon incisa avec précision le nombril. Hood commença alors l’exsanguination, qui forma bientôt un serpent écarlate. Guidé par l’index d’Iblisse, le liquide visqueux s’accumulait dans la sphère. La manœuvre se poursuivit et dura jusqu’au trépas d’Adhane.

Scientifique dans sa première vie, il avait déjà incarné les savants fous, et cela ne l’enchantait plus, mais les Écrits l’exigeaient. Voyant et comprenant son hésitation, Green l’encouragea.

— Tu n’as plus qu’à modifier son acide désoxyribonucléique, je m’occuperai du reste.

La colère légendaire du Roi des Djinns devint palpable. D’un claquement de doigts qui fit écho, il activa le système d’imagerie moléculaire. L’orbe sanguin irradia de cobalt. Sur le verre s’afficha le schéma héréditaire d’Adhane et, durant un long moment, les brins d’ADN défilèrent devant ses yeux.

Puis, enfin, Iblisse dénicha celui qu’il cherchait :

— Stop ! Parfait… À présent, je vais fusionner ses chromosomes XX pour créer le XXY.

À la manière d’un chef d’orchestre, il décomposa les allèles, auxquels il ajouta une part de son propre patrimoine génétique. Puis, les index toujours virevoltants, il recomposa le puzzle. Ainsi, le génome M, qui permettrait à La Trinité de régner sur les Terriens, naquit.

**

Neuf mois plus tard

Âgée de dix-sept ans lors de sa première mission, Kelly avait hâte d’utiliser le savoir transmis par sa défunte mère. Fière de la foi accordée par les Puissances, la jeune Gardienne, sereine, s’engouffra dans Brocéliande.

Prenant une grande inspiration, l’adolescente se délecta de la pureté de l’air qui, en cette période, avait une saveur épicée. Cependant, elle ne possédait aucune indication quant à la raison de sa présence en ce lieu ; elle savait juste qu’elle devait retrouver une enchanteresse. Plongée dans ses réflexions, Kelly cheminait tout en chantonnant un tube à la mode de son époque :

« Confidences pour confidences, c’est moi que j’aime à travers vous !

Mais aimez-moi ! À genoux, j’en suis fou !

Mais de vous à moi je vous avoue… Que je peux vivre sans vous,

Aimez-moi ! – à genoux j’en suis fou.

Et si ça vous fait peur, dites-vous que sans moi vous n’êtes rien du tout. »

De son sac à main, trop-plein d’accessoires, la sorcière sortit moult maquillages, qu’elle balança par-dessus son épaule. Son attirail en lévitation la suivait comme son ombre. Enfin, elle dénicha sa montre de Diamonite. Puis, obéissant à son injonction mentale, l’essaim de blushs, rimmel et autres peintures tribales regagnèrent la besace. Selon Farouh, l’entité cloîtrée la guiderait.

La montre passée au poignet, celle-ci se resserra brusquement dessus. Puis, elle sentit des aiguillons poindre, aussi bien du bracelet que du boîtier, traversant sans peine sa peau fine et diaphane, pour venir s’abreuver de son fluide vital. Transparent, l’artefact se mit bientôt à luire d’un rouge étincelant. Kelly se retint de hurler, et comme tout Darck digne de ce nom, transcenda la souffrance et réussit à psalmodier :

« Par le sang des descendants,

Esprit de charité ;

Octroyez-moi votre clarté.

Dénichez celle que je dois retrouver. »

La montre suceuse, transformée en sphère brillante, se détacha de sa main immédiatement et fusa aux quatre coins de Brocéliande à la manière d’une balle rebondissante. Puis, tout se calma et l’entité écarlate retourna se camper face à sa maîtresse, statique. Toujours affaiblie et endolorie par l’expérience, Kelly ne bougea pas d’un iota. Insistante, la lueur passa dans son dos et la poussa, l’obligeant à avancer.

Devinant que la substance ne la laisserait pas récupérer, Kelly entreprit de mettre un pas devant l’autre… N’ayant cure de son confort, l’orbe revint en amont de la princesse et traversa allégrement buissons, marécages et différents endroits déplaisants. D’abord guillerette à l’idée de découvrir la légendaire forêt, Kelly, lasse du périple, se retint de tout faire partir en fumée.

Durant une fraction de seconde, elle crut voir un arbre s’enraciner. Le calme ambiant et pesant n’augurait rien de bon… En effet, tous les cui-cui et myriades de cliquetis, trilles et bruissements apparaissaient comme curieusement absents… Elle n’entendait absolument rien. Ni bourdonnements d’abeilles ni stridulations d’insectes divers et variés. Rien ne venait troubler ce silence étrange. Soudain, la gardienne stoppa sa marche entre deux mûriers. Affranchissant son esprit de sa chair, Kelly l’envoya sonder Brocéliande. La faune sommeillait, la flore veillait. Comprenant que sa balle guide n’y était pour rien, et que Dame Nature se jouait d’elle, la sorcière libéra une vague de chakra.

Dans un rayon de cinquante kilomètres, Continuum se paralysa.

Rancunière, Kelly revint sur ses résolutions. De ses paumes tendues s’échappèrent des geysers de flammes dorées qui ouvrirent un chemin, là où la boule luisante le lui indiquait. Au bout se profilait une chaumière moyenâgeuse.

« Une enchanteresse ne peut vivre dans un taudis pareil. Ça doit être

une erreur… »

Le dégoût dépeint par l’adolescente reflétait son horreur à l’idée de résider dans un tel inconfort. Tandis qu’elle mettait en place quelques protections ensorcelées, un cri d’agonie retentit.

« Impossible, puisque le temps est figé. »

Cependant, afin de ne pas paraître étrange ou effrayante, sa salopette en jean et ses Nike se transformèrent en tunique de lin noire et sabots de bois. Son interminable chevelure d’argent finissait de se tresser lorsqu’elle pénétra dans la demeure d’Adhane.

Allongée sur sa couche de paille, les yeux ronds d’incompréhension, la jeune femme hurlait en continu en scrutant son ventre. Kelly lança un sortilège de mutisme, qui n’eut aucun effet. Bien décidée à réfléchir dans le calme, elle ramassa un chiffon bruni de crasse et alla le lui enfoncer dans la bouche.

Saisissant que l’essence de la future mère annulait ses pouvoirs, le problème devait s’aborder sous un angle humain. Fan inconditionnelle de la série médicale à succès, « Hôpital St-Elsewhereest », d’une pensée, elle aseptisa le champ opératoire, puis visualisa une bouteille de chloroforme et un linge de soie ; elle les matérialisa. Kelly imbiba l’un de l’autre et lui mit le tissu sous le nez. Enfin, la jeune parturiente hystérique ne gigotait plus. Néanmoins, hors de question de l’accoucher par voie basse ; cela prendrait des heures… la princesse n’avait pas que ça à faire et surtout, elle trouvait cette période de la vie d’une dame particulièrement repoussante.

L’une de ses nouvelles prérogatives lui permettait d’incarner des objets de son époque, en l’occurrence, un scalpel et une paire de gants chirurgicaux. Ainsi masquée et outillée, d’un geste franc, elle taillada la ligne sus-pubienne en transversal. L’incision longiligne apparaissait plus que parfaite. Ensuite, après l’entaille des différentes couches, elle arriva au segment inférieur de l’utérus, qu’elle ouvrit, libérant un flot de sang qui se répandit jusqu’aux cuisses de sa patiente. Sans sourciller, la sage-femme improvisée plongea les mains dans les entrailles d’Adhane et l’instant d’après, ressortit un magnifique petit garçon aux yeux cobalt. Contrairement à la maman, l’empreinte mystique du bébé résonnait avec la sienne.

D’une pichenette de chakra, sa trachée se dégagea. Soulagée d’entendre les premiers pleurs, c’est d’un filament détaché de son index que Kelly sectionna le cordon ombilical. Pleine d’adrénaline, elle le toiletta de fond en comble et le nourrit, avant de l’installer, propre et rassasié, dans son minuscule couffin bleu, invoqué en un éclair. Il lui sembla même l’avoir vu esquisser un demi-sourire en s’endormant. Une fois le nourrisson en sécurité, elle fit surgir de nulle part un nécessaire de suture. Délicatement, le placenta fut retiré et déposé dans un chaudron se trouvant non loin. L’adolescente prit le temps requis pour recoudre sa patiente et lui éviter une disgracieuse cicatrice.

Se traînant jusqu’à une chaise branlante placée à côté de la marmite, elle remercia intérieurement Darrius de lui avoir transmis l’ensemble de ses connaissances médicales humaines. Puis, rendue lasse par son opération, Kelly s’abandonna à un sommeil réparateur.

***

Dès l’instant où le Continuum eut conduit Kelly Darck au Ve siècle, les puissances supérieures mandatèrent Iblisse. Invisible, il observa le périple de son amie. Le sang-froid dont elle fit preuve pour accoucher Adhane l’impressionna, mais ne le surprit pas.

À l’instar de sa maîtresse Brocéliande s’éveilla ; tout comme sa faune. Ne pouvant visualiser l’ennemi, c’est tout croc dehors que les loups d’ébène tentèrent de repérer son odeur. Leurs grognements l’irritèrent ; il les replongea dans le coma d’une pichenette de chakra. Isha, déchaînant un brame de défi, sortit d’une botte de foin à toute allure et l’attaqua de ses imposantes ramures. BAM ! Il percuta une barrière chakratique. La langue pendante et les bois sectionnés, il s’évanouit.

Après avoir ri doucement durant cinq bonnes minutes, le Djinn focalisa son attention sur la vitre crasseuse. Kelly Darck ne se trouvait plus à l’intérieur ! À peine l’eut-il constaté que sa voix s’éleva derrière lui.

— Bouge d’un millimètre seulement et je troue ta cervelle !

Nul doute pour Iblisse, elle ne bluffait pas ! Il redevint visible et paré de son plus beau sourire, se retourna lentement. Sa perfection subjugua Kelly, qui faillit tomber en pâmoisons.

— On se calme, jeune Gardienne ! Ce sont les puissances qui m’envoient.

— Peut-être… Ou pas ! J’attendrai de recevoir la confirmation avant de te faire confiance. Qui es-tu et que veux-tu ?

— Iblisse, roi des Djinns. N’est-il pas légitime pour un père de rendre visite à sa progéniture ?

Le dogme de la Mère racontait moult histoires sur le seigneur des Enfers, toutes empreintes d’une cruauté qui ferait passer Hitler pour un enfant de chœur.

— J’ai lu pas mal de légendes qui laissent entendre que tu es un gros psychopathe. Pourtant, à te voir comme ça, on dirait pas !

— Bien que trompeuses, les apparences demeurent primordiales, ma chère Kelly Darck.

— Je te trouve trop familier ! Comme si… tu ne me rencontrais pas pour la première fois !

Rien n’échappait à cette sorcière d’une trempe incroyable ; d’autres auraient trépassé juste à l’évocation de son nom. Les pleurs du nourrisson attirèrent soudain leur attention.

— Reste ici, ordonna Kelly, je m’en occupe. Si tu bouges, je te défonce !

Iblisse déglutit, sachant pertinemment que sa puissance n’égalait en rien celle de la Gardienne. Observant depuis sa position, il se maintint statique.

Kelly rentra dans le taudis et se pencha sur le berceau afin de saisir le bambin. Douillettement installé contre sa poitrine, le chérubin redevint serein. Ses jeunes prunelles plongées dans celles de sa lointaine descendante, il se laissa sonder. Un biberon ensorcelé plus tard, le bébé se rendormit, repu.

De l’index, elle invita ipso facto le démon à venir la rejoindre. Devinant d’avance qu’il serait soumis à un interrogatoire auquel il ne pourrait se dérober, il prit une grande inspiration, puis s’exécuta. Incommodé par la crasse ambiante et le manque de confort, d’une nuée magique, Iblisse rendit la maisonnette étincelante et en refit la décoration.

N’importe quel puriste pénétrant dans la chaumière aurait crié au diable, tant le style Roche Bobois détonnait avec l’époque. Impressionnée malgré elle par le goût exquis du Djinn, qui transforma le gourbi en un palace, Kelly s’installa sur l’un des moelleux fauteuils pourpres et invoqua de quoi les sustenter.

— Alors, explique-moi cette familiarité.

— Ma position me permet d’exister en dehors du Continuum.

— Par conséquent, je te croise pour la première fois, mais tu as rencontré ma version future.

— En gros, c’est ça !

— Et donc, je tolère cette façon de t’adresser à ma royale personne !

Iblisse réfléchit quelques instants. Il ne pouvait être plus précis, au risque de se prendre la tête encore une fois avec Red Hood, ce dont il se passerait volontiers.

— Euh… ouais !

— Curieux… et je suppose aussi que tu ne peux pas m’en dire plus. Bref, explicite-moi pourquoi ta femme a vécu neuf mois en stase.

— Elle n’est pas ce que tu dis ! Mais un sujet d’expérience des puissances afin de faire naître une créature hybride, qui porterait mes gènes démoniaques, humains, sorciers entremêlés à ceux de la reine enchanteresse. Et ce, par parthénogenèse !

— Autofécondation ! ? Effrayant ! Vu l’époque, ce ne peut pas être Marie, du clan de Nazareth. Un individu d’une telle envergure a dû laisser sa trace dans l’Histoire.

— Merzhin, ça te parle ?

Kelly resta interdite, il s’agissait de l’époux d’Andromède. Plus connu sous le nom de Merlin l’enchanteur, ses exploits se transmettaient de génération en génération. Disney en avait même fait un film, qui eut son petit effet parmi les Khal.

— Quant à moi, reprit-il, je suis venu récupérer mon garçon afin d’accomplir son éducation parmi les miens.

— Il aura besoin de sa mère !

— Ne t’inquiète pas, je l’amène avec nous.

Non loin d’Adhane, toujours inerte, un trou de ver se matérialisa, signe que la fin de la mission sonnait pour Kelly.

Elle alla observer une seconde l’enfant dans son berceau puis, sans un regard en arrière, elle s’engagea dans l’orifice nouvellement ouvert. Son amie partie, Iblisse s’approcha de la jeune maman, plaça une main sur son front et l’autre à l’arrière de sa tête et d’une rotation rapide et précise, brisa ses vertèbres.

Avant de disparaître, il s’assura que l’enchanteresse et sa demeure finissent en fumée. Désormais sans majesté, Brocéliande s’endormit.

Ravi de retrouver son royaume, son fils dans ses bras, le Seigneur démoniaque respira le bon air au goût de fraise à pleins poumons. Sa dimension ne ressemblait en rien aux clichés infernaux, elle se rapprochait d’un quartier résidentiel huppé dans les genres de Wisteria Lane. Les villas ultras modernes, ultras confortables, ultra-chic alignées à la perfection, se voyaient toutes garnies d’un jardin à la pelouse orangée, taillée au millimètre. Ici, Jour et Nuit se partageaient le crépuscule en permanence. Les saisons, très peu pour eux, l’été régnait en continuité. Ce qui expliquait que chaque palace soit équipé d’une piscine.

Ses ouailles vivaient dans l’harmonie, la beauté sensuelle et luxueuse, et ne gâchaient jamais une occasion de célébrer un événement, important ou pas. Alors, imaginez ce que l’avènement d’un prince des Enfers engendra.

Si l’on prend en compte que le temps n’existe pas, qu’ils ne dorment pas et tiennent très bien l’alcool, ils durent y passer facilement deux cents ans, durant lesquels Merzhin grandit. Tout comme Kelly et les autres personnes ayant croisé le chemin du Seigneur démoniaque, jamais il ne sut que son père dissimulait son véritable aspect.

Immortels, les djinns se désintéressèrent si vite de la reproduction, qu’au fil des millénaires, la plupart d’entre eux perdirent cette capacité ! Désormais rares, les enfants se trouvaient vénérés. Merzhin eut droit au meilleur précepteur. Iblisse lui enseigna les arts du démonisme. Red Hood l’entraîna au combat. Puis arriva le moment où l’enchanteur dut retourner sur Terre. Le Hêtre de roche plate lui confia son sceptre, et Brocéliande s’éveilla. Ses ouailles ensommeillées reprirent conscience, et, sous couvert d’une apparence humaine, ils s’installèrent parmi les singes nus.

Après des siècles de pérégrination sur ce monde époustouflant, Merzhin rencontra Arthur, dont tu connais l’histoire.

Chapitre 3 – Génitrice de substitution

New York, décembre 1990.

Tandis que le soleil cédait sa place à la pleine lune, la pire des engeances conquérait Central Park. Victimes d’une société désuète, les créatures se livraient à toutes sortes d’exactions inavouables, venues de lointaines mœurs dissolues.

Sans qu’aucun des malheureux passants ne le remarque, un vortex doré prit forme. Dissimulée par un charme occultant, Kelly Darck en sortit. Ce soir, pour la première fois, elle rencontrait Red Hood, qui la convoquait dans l’établissement d’un vampire, possédant le titre héréditaire de Crésus, devenu millionnaire en maudissant quelques banquiers.

Alors qu’elle cheminait au travers des arbres et des catins pour se rendre à la Trump Tower, des gémissements parvinrent à ses oreilles. Curieuse de nature, Kelly se laissa guider par les plaintes. L’horreur de ce qu’elle découvrit retourna son estomac, dont elle ne put retenir le contenu. Une fois soulagée, elle s’essuya la bouche et se pencha sur le jeune homme, aux bras et aux jambes grossièrement amputés. Les moignons grouillants de vers, le malheureux pataugeait dans une mare de sang ; sa gorge portait les stigmates d’une boucle de ceinture. Bizarrement, il sembla l’apercevoir : ses yeux larmoyants et vitreux plongés dans ceux de la sorcière, respirant à peine, il implorait sa fin.

— Je déteste le futur, ragea-t-elle.

Cependant, sauver ce garçon pouvait modifier les écrits. Kelly lutta férocement contre son envie de le préserver. Puis, elle arrêta sa décision. Elle s’approcha encore un peu et, pour ne pas le faire souffrir inutilement, lui brisa la nuque d’un geste rapide.

« T’es en retard ! Tu fais quoi ? »

Kelly snoba l’esprit du Hood. Repérant une cabine téléphonique, elle s’y rendit et composa le 911. L’opératrice crut d’abord à une blague ; pour la convaincre, la princesse dut recourir à son timbre royal. Le combiné reposé, elle reprit son avancée, quand le Capuchon s’imposa de nouveau :

« Honore ton serment et rapplique sur-le-champ. »

« J’arrive ! Mais à l’avenir, ne me siffle pas comme ta petite chienne, sinon… »

Installé au bar, Red, invisible pour la populace locale, déglutit péniblement. Il se détestait déjà pour ce qu’elle subirait, mais les écrits l’exigeaient. D’une traite, il avala sa vodka orange sans glaçons et, dans un souffle, murmura la troisième directive Darckienne :

— Cruelle est ta Destinée, mais nul ne peut s’y dérober.

Kelly approchait. Empli de colère, son chakra imbibait l’atmosphère. Red porta son attention sur le portique et poussa un soupir. Il craignait qu’elle ne lui fasse une scène et la mission ne pouvait plus souffrir d’un quelconque retard. Anticipant son flot de paroles veineux, il lui coupa l’herbe sous le pied dès qu’elle fut à portée de voix :

— Prête à rencontrer ta jumelle disparue ?

Stupéfaite par la question, Kelly se figea. Red profita de sa stupeur pour les transposer devant l’un des appartements du cinquante-cinquième étage. Usant d’un sortilège, il emprunta l’apparence d’une personnalité en vogue.

Hood tapa trois fois des mains et un mini vortex surgit, duquel jaillit la mystérieuse patte grisâtre, brandissant une dague d’onyx à la poignée sertie de rubis étincelants. Le Céleste s’en saisit et le phénomène se dissipa.

— Quelles sont ces créatures ? demanda Kelly.

— Des chats. Bref… Tu es têtue et je n’ai pas encore ta confiance ; mais ce soir, Suridar Néotolc fait son grand retour.

Kelly frémit à l’évocation de l’ennemi ancestral de son clan.

— Que projette-t-il ?

— D’assassiner ta sœur, qu’il pense être toi, ainsi que ses fils !

— Recommence depuis le début s’il te plaît.

— Nous avons déjà éprouvé la fin de l’univers… Le Néant nous a vaincus. Afin de renverser le destin et de nous assurer la victoire, nous t’avons nommée plus tôt que prévu. Ainsi, pour tromper les écrits, Kara a été élevée dans une rêverie de ta vie.

— C’est tellement aberrant que c’en est presque crédible, lâcha Kelly, méprisante.

— Lors de ton accession au rang de Gardienne du Continuum, Kara s’est éveillée. Quelques heures après ta disparition, une faille l’a recrachée. Jonas l’a découverte dans la salle du Trône. La mystification apparut si parfaite que même ton père n’a pas soupçonné l’échange. Dès lors, elle a repris et continué ton devenir d’Héritière de la magie.

— J’hésite entre octroyer de l’estime à ton esprit tortueux… ou t’en coller une ! Ta de la chance que l’on ne puisse t’arracher ton ridicule capuchon. Sinon, j’irai t’éliminer au berceau.

Faisant fi de la menace, le céleste poursuivit ses explications :

— Donc, par fécondation in vitro et à son insu, elle a porté tes enfants.

Le regard de Kelly fut sans équivoque : il finirait éviscéré dans quelques secondes. Rapidement, il ajouta :

— Mais… nous avons agi avec l’accord de ta version future. Enlil est maintenant âgé de cinq ans et Kieran est né il y a quelques semaines. Ce soir, Kara est l’invitée du Crésus1. En effet, le félon s’est associé à Suridar en pensant te piéger.

— Euh, bien bien bien… Je vois… Bon… Présentement, là, tout de suite, j’ai une très très grosse envie de t’ébouillanter ou de t’arracher la tête, mais nous réglerons nos comptes plus tard. Qu’attends-tu exactement de moi ?

— Les petits princes sont sous la garde de Darrius Coltone2, et il m’est impossible d’approcher. Je me charge de distraire l’Héritière tandis que tu prendras sa place. Puis, tu t’en iras avec les garçons. Peu après ton départ, ta sœur effectuera son apparition. Le vampire comprendra immédiatement et s’élancera à ta poursuite. Suridar surgira d’un vortex à la croisée des couloirs. Si tout se passe comme prévu, il t’attaquera, sinon provoque-le. Donne-lui l’illusion de la destruction de Kelly Darck et de ses enfants sous les yeux de Coltone.

— Et ensuite ? s’énerva Kelly.

— Conduis-les à la villa Siriki, elle leur est familière. Je t’y rejoindrai.

— Comment puis-je y résider sans jamais les rencontrer ?

— Vous occupez des structures temporelles différentes.

Hood appliqua sa paume sur le crâne de son accompagnatrice afin de lui transmettre la tenue endossée par la fausse Kelly, ainsi que ses traits actuels. Par sa seule volonté, la sorcière calqua son allure sur sa version vivant au palais.

Le duo entra donc en scène. À contrecœur, Kelly se plia aux doléances du Céleste. L’héritière et ses fils périrent lors d’une sanglante attaque, tandis que Red ne sauvait pas Kara, mais l’égorgea et la réduisit à un petit tas de cendres.

Fier de son méfait, Suridar s’enfuit au nez et à la barbe de Darrius Coltone, trop choqué pour le poursuivre.

**

Expérimentée dans l’art de la mystification, Kelly offrit à Suridar et Darrius une disparition digne d’une grande production hollywoodienne. Explosion, projection de fluide corporel, cris d’agonie, chaleur intense… Tandis qu’ils admiraient l’illusion de leur trépas, la sorcière invoqua un maelström, qui les conduisit, les sorcelins et elle, au cœur de l’hephtagramme recouvrant le hall de la villa Siriki.

Voilà dix ans bientôt qu’elle remplissait son rôle de Gardienne du Continuum, et jamais elle n’avait eu à s’occuper d’enfants. Le petit bonhomme de cinq ans la regardait avec une troublante perplexité.

— Tu n’es pas ma maman ! lâcha-t-il de but en blanc.

Sa colère, soudainement palpable, hérissa le poil de la nounou improvisée, qui, dans un simulacre de langage maternel, chercha à le rassurer :

— Bien sûr que si mon trésor, tenta-t-elle, c’est le vilain sorcier qui t’a perturbé le chakra.

— J’ai cinq ans, mais chui pas bête. Ma maman, elle sent bon ! Toi, tu pues comme grand-tata Alanine.

Kelly se maîtrisa pour ne pas carboniser le morpion. Ô grand jamais, son fils aurait fait montre d’autant d’insolence. Se refusant à l’immaturité, elle se fit violence pour ne pas le transformer en crapaud. Sentant que le bambin se réveillerait sous peu, elle décida de laisser l’enquiquineur sur place et guida ses pas jusqu’au salon aux vitraux.

— Arrête-toi, Madame Puante, ou je vais devoir te faire un gros bobo !

Cette fois, c’en était trop, elle n’avait sûrement pas renoncé à son statut d’Héritière du trône de Khalarie pour subir l’irrespect d’un petit prince mal éduqué.

Comme l’avait enseigné Darrius Coltone à l’un comme à l’autre, « bien que trompeuses, les apparences restent primordiales. » Contrairement au sorcelin, Kelly négligea cet aspect à cause du jeune âge de son opposant.

Dès le lendemain de la naissance de son trésor et chaque soir avant de le coucher, Kara/Kelly, par le biais de l’esprit, lui transmettait une bribe de son savoir sorcellerique. Ainsi, ce sorcelin à l’air inoffensif s’avérait plus dangereux qu’il ne le montrait. Pour preuve, tout en discutant, il communia par image mentale avec Kieran afin d’ourdir un plan.

Ravi de jouer à la magie, le nourrisson appliqua toute sa concentration à simuler son sommeil, attendant le moment propice pour exécuter les directives. À l’instant où il avait senti le sort d’Enlil, qui n’était que diversion, Kieran, lové contre la poitrine de Kelly, laissa le froid hivernal l’habitant, infuser insidieusement la chair de la méchante maman.

Sa mission accomplie, il se volatilisa dans un « plop » sonore, pour ressurgir en lévitation aux côtés d’Enlil. Désormais en paix, le duo prit la direction de la cuisine. Un biberon enchanté fut sollicité d’un claquement de doigts d’Enlil. Affamé, Kieran l’amena à lui de son petit index potelé et l’ingurgita en silence. Quant au plus grand, il invoqua un Happy Meal, qui se tenait entre les mains d’une jeune caissière américaine.

Le sorcelin repu s’endormit planant dans un coin de la pièce. D’une pensée, Enlil le transféra dans la pouponnière de la villa et y ajouta quelques protections. Sachant son dauphin en sécurité, il tenta de contacter le palais ou Darrius. Malheureusement, une barrière chakratique dont il ne comprenait pas encore les rouages l’en empêcha.

Déterminé à s’échapper, il se rendit à l’évidence. À contrecœur, il regagna le hall de marbres. Après une longe analyse de la captive des glaces, il plaqua sa paume rutilante de chakra sur son visage froid. En moins de temps qu’il n’en faudrait pour « Abracadabrater », elle put battre de ses cils, légèrement roussis ; et avant qu’elle ne le gronde, il murmura d’urgence une incantation qui effaça les lèvres de sa prisonnière, qui lui lança son regard le plus noir. S’en fichant comme de son premier doudou, le prince s’élança pour piocher les informations dont il avait besoin directement dans le cerveau de la copie ; un maelström d’émeraude surgit. Green Hood, irradiant d’une aura verdoyante, en sortit.

D’un geste simple, il ralentit l’avancée d’Enlil et s’interposa entre lui et la Gardienne. Sans qu’il le réalise, le gamin s’endormit et, par sa seule volonté, le Céleste l’envoya dans sa chambre, située à l’étage.

Devinant l’humeur massacrante de sa subordonnée, il s’arma de tout le courage dont il disposait et, dans un souffle, psalmodia une formule libératrice. Une nuée émeraude la recouvrit, puis se mua en un tourbillon. Ses bourrasques mystiques n’indisposèrent nullement Green, qui attendit patiemment la résorption du phénomène.

Comme prévu, son courroux éclata. D’une envolée de main, Hood se retrouva cloué contre un mur couvert de feuilles d’or. De son gracieux pas félin, Kelly demanda à l’arrivant :

— Où est Red ?

— Il ne peut se trouver en présence des garçons. Ainsi l’a voulu la Créatrice, révéla-t-il posément.

— Pourquoi ?

— Red m’a mandaté pour t’informer de la situation. Donc, si tu pouvais gentiment défaire ton emprise, je t’en saurais gré.

À regret, Kelly accéda à sa requête. De nouveau mobile, le Céleste se transposa dans le salon aux vitraux. Ils retraçaient l’épopée d’une Humelfe ayant abandonné les siens afin d’affronter une monstrueuse entité possédant le corps d’un bambin. Se jetant sur l’un des canapés, il invoqua champagne et petits fours. Kelly, elle, tournait en rond, frustrée de ne pouvoir évacuer son trop-plein de rage.

— Grâce à la projection astrale, j’ai pu observer l’aîné. Son sens des responsabilités et sa maturité sont prodigieux, même pour un Darck. Il m’aurait tuée pour protéger son frère ; je l’ai lu dans ses yeux

— Ta sœur l’a élevé de la façon dont tu l’aurais fait. Chacun de ses actes s’inspire de ton histoire et de ta personnalité. Jamais elle n’a eu conscience de n’être qu’une remplaçante, alors ne la juge pas trop vite.

Ne souhaitant pas s’étendre sur ce sujet qui ne faisait qu’attiser son ressentiment, elle exhorta Hood à faire ses révélations. Ce qu’il détestait jouer les messagers, surtout auprès de Kelly, qu’il adorait ! Un de ces quatre, elle leur tournerait le dos, s’il continuait à la balader ainsi. De son point de vue, raconter la vérité éviterait pas mal de situations compliquées et de nondits inutiles. Mais, le dernier mot ne lui revenait pas.

***

Devant la convaincre à tout prix de la nécessité de meurtrir ce petit, il en raconta un peu plus que prévu, mais, sur le moment, seul le résultat importait, car il s’ourdissait un changement de courbe temporel, et cela s’opérait sur différents pans d’histoire.

Kelly accepta la situation à contrecœur et avec la garantie qu’Enlil ne puisse jamais se souvenir de rien, pas même, le jour où il retrouverait les siens.

Pour ce faire, le sorcelin devait être déconnecté de son chakra. Green s’assura qu’il reste inconscient pendant que, le cœur serré de culpabilité, la Gardienne préparait le cérémonial qui dénaturerait son faux fils.

Neuf bougies ébène furent disposées autour de l’hephtagramme central. Une dague du Karistal stellaire, le plus pur, fut fournie par l’une de ces curieuses pattes de chat. De plus, le Hood exigea la rédaction d’une formule s’alignant sur le rituel ; à cet effet, elle convoqua le S… grimoire du clan de sa mère. Venant d’un temps plus ancien que le D, il regorgeait d’un savoir oublié par les sorciers.

Kelly maîtrisait avec brio l’art du psalmodisme. Nombre de ses sortilèges de beauté se voyaient utilisés par les Khal, tout comme les spectres usaient de ses charmes de combat. S’inspirant de l’un de ses ancêtres prénommés Sarek, elle se débarrassa rapidement de la besogne.

Résolue à accomplir sa mission, d’un claquement de doigts, elle assombrit la pièce. Synchrones, les bougies s’enflammèrent d’or, alors que Green se transposait au cœur du symbole en compagnie d’Enlil, enveloppé d’un cocon de chakra laiteux.

Connaissant les tenants et aboutissants de ce plan, le Céleste ne s’émut pas plus que ça du sort qu’il ferait subir au gamin. Pressé d’en finir pour retourner à ses recherches, il tapa une fois des mains ; des darboukas enchantées apparurent. Le tempo du rituel se lança, elles entamèrent les coups de percussion saccadée.

Emportée par le rythme envoûtant, Kelly pénétra dans l’étoile mystique. Proche du garçon, d’une pensée, elle estompa l’aura protectrice le recouvrant. La chemise de lin beige d’Enlil s’évanouit, laissant sa peau fine et diaphane à la disposition de la sorcière, qui, de la pointe de la lame magique, traça sur son buste le Triskèle Trinital. Puis elle s’entailla la paume, qu’elle posa sur la chair creusée.

Écœurée par ce qu’elle infligeait à cette âme innocente, la gardienne se fit violence pour poursuivre. Nouée par le chagrin et le désespoir, elle incanta sa psalmodie d’une voix rauque :

« Sorcelin, en cette nuit, en cette heure,

ta véritable destinée se meurt.

Par mon sang, mon enfant, ta magie, je prends.

Toi, à l’âme pure, c’est en connaissance de cause que je te dénature.

Ainsi, perforant ta chair, de ton essence je te libère. »

Enlil irradia d’or, alors que la sorcière se penchait pour vomir sur le marbre immaculé. Comme promis, Hood trifouilla sa mémoire. Sa tâche accomplie, il se tourna vers sa comparse :

— Il te faut écrire un mot pour celle qui s’occupera de Kieran, il s’agit d’Ishtar Siriki, Gardienne d’Éden. Ce temps refusant ton accession pour l’instant, je l’y emmènerai. Conduis Enlil à l’orphelinat du 13e arrondissement de Marseille, une assistante sociale l’y attend.

À peine l’ordre fut-il donné qu’un vortex s’incarna. Peinée par ce qu’elle s’apprêtait à réaliser, elle embrassa Kieran, que Green venait de transposer dans la pièce. L’élan de tendresse maternel qui la subjugua eut raison des larmes qu’elle retenait depuis les explications du capuchon.

De nouveau paré de sa chemise, le corps de l’aîné plana jusqu’à elle. De tout son amour, sa fausse mère l’enlaça, et le cœur gros, s’arma de détermination et, finalement, franchit le maelström tout en se promettant de les retrouver un jour.

1 L’un des 37 Maîtres de la Nuit.

2 Serviteur immortel du clan Darck, nous reviendrons sur son histoire plus tard.

Chapitre 4 – Destins croisés

Villa Siriki. Quelque part dans le cosmos !

Plongée dans un rêve prophétique, Kelly sortit en sursaut de sa transe onirique. Son regard glacial et luisant se fixa sur la faille interplanétaire, attendant au pied de son lit. Tout en revêtant sa robe de chambre de soie nacrée, à haute voix, elle lâcha, irritée :

— Encore une mission ! Elle veut que je m’épuise à la tâche. Quand estce que je peux sauver le monde, si l’on me dépêche toutes les cinq secondes aux quatre coins du Continuum galactique ? J’aime mes enfants plus que tout, sinon, j’aurais tout plaqué depuis bien longtemps ! Je sais pertinemment que tu m’entends, satanée Créatrice de l’Univers !

Ce n’est qu’une fois son sacro-saint café au lait matinal ingurgité et sa mise en beauté achevée qu’elle franchit la brèche. Dès qu’elle y posa le pied, le pouvoir dégagé par ce vaste monde fit bouillonner son chakra. Depuis son investiture, elle n’avait jamais croisé autant de puissance générée par une planète.

Les talons profondément plantés dans le sable fin, elle entra en méditation. Son pur esprit parcourut en toute liberté l’ensemble du globe, composé essentiellement de faune sauvage et de végétaux ayant recouvré leurs droits sur les villages désertés. L’unique signe de vie humanoïde se situait non loin de là. N’ayant jamais exploré cette planète, Kelly décida de la survoler. C’est d’une vigoureuse poussée, à la perfection jugulée, qu’elle se propulsa dans les airs. L’océan couleur de blé au-dessus duquel elle planait hébergeait une île aux terres turquoise, jalonnées d’un temple immaculé coiffée d’une immense coupole d’or, sublimant sa somptuosité.