Les réalités aléatoires - Samuel Lapierre - E-Book

Les réalités aléatoires E-Book

Samuel Lapierre

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Beschreibung

Et si la réalité n’était qu’une variation du souvenir ?
Les réalités aléatoires brouille la ligne entre le souvenir et la folie, entre le monde tangible et celui que nos regrets inventent. 
Entre science-fiction, horreur et fantastique, l’auteur tisse un labyrinthe de mondes possibles où le hasard devient une force obscure et implacable.
Chaque histoire défie les certitudes, questionne la réalité et laisse planer le doute.
Derrière chaque porte, il existe une autre version du monde.
Laquelle sera la vôtre ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Samuel Lapierre travaille dans une bibliothèque. Son premier recueil de poésie, "Le seigneur des cendres", a été publié chez Hurlantes éditrices au printemps 2024. Plusieurs de ses nouvelles et poèmes ont également été publiés dans des revues littéraires, et il a figuré sur la liste préliminaire du Prix de la nouvelle Radio-Canada 2024. Depuis plusieurs mois, il planche — avec une difficulté qu’il juge inutile — sur un roman à la fois écologique, spirituel et irrévérencieux.

Samuel se considère davantage comme un gamer que comme un poète. Ce n’est pas une posture, simplement une question de statistiques : son genre préféré ? Les roguelikes. À l’image de Dark Souls, il aime apprendre par l’échec répété… et la mort. Classique.

Il aime sa poésie crue, sentie, réverbérante. Avec juste ce qu’il faut de « chill ». "Le seigneur des cendres" est son premier recueil. Peut-être pas le dernier.


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Veröffentlichungsjahr: 2025

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LES RÉALITÉS ALÉATOIRES

 

 

SAMUEL LAPIERRE

 

 

 

 

 

 

 

NOUVELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec

Décembre 2025

 

L’Atelier des rêves

1118, rue Saint-Édouard, Saint-Urbain de Charlevoix

(Québec) G0A 4K0

 

 

www.atelierdesreves.ca

 

 

 

Le code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon. Une permission spéciale, d’en reproduire une portion, est accordée pour les critiques littéraires.

 

 

 

 

© 2025 L’Atelier des rêves

© 2025 Samuel Lapierre

 

 

ISBN : 978-2-925229-91-1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y a le zéro, l’éternité, la mortalité,

mais l’ultime, ça n’existe pas.

Stephen King

 

 

 

 

 

Les portes

 

 

 

 

 

 

Charles pèse sur la sonnette. Pas de carillon. Il cogne contre le battant, de son seul index plié. Pas de réponse. À sa droite, il remarque un rideau jaune qui bouge à la fenêtre. Une vieille dame aux cheveux blancs le tire, essayant de se cacher tout en surveillant. Le soleil plombe en ce matin d’octobre et la tête blanche s’illumine comme un followspot sur la devanture de la maison. Sans perdre sa contenance, Charles pointe avec insistance l‘entrée du bungalow en regardant l’espionne qui demeure immobile. Il esquisse un «s’il vous plaît» du bout des lèvres. Rien à faire, la propriétaire semble persuadée que sa cachette est optimale. De longues secondes passent. À bout de solutions, Charles recule pour qu’elle le voie bien de la tête au pied. Puis, il gesticule en désignant son camion stationné dans l’entrée. Le nom «Expert Serrurier» en lettres jaunes montre parfaitement ses intentions. Quand il regarde à nouveau vers la fenêtre, les rideaux sont fermés. Un bruit sourd succède à un son métallique et la lourde porte de bois s’ouvre. La tête blanche appartient à une petite dame chétive aux cheveux frisés et courts.

— On n’est jamais trop prudente par les temps qui courent, dit-elle, craintive.

— Je comprends, sympathise maladroitement Charles.

Elle recule pour le faire entrer. Charles est aussitôt frappé par l’odeur de renfermé. Un mur physique et solide où son nez est totalement envahi. La litière à chat crève l’odorat, suivie par celle du moisi. Une touche de boules à mites et de Vicks à l’eucalyptus complète le tableau olfactif. Un heureux mélange d’effluves de vieillesse.

— J’étais sûre que vous ne viendriez jamais, je suis tellement contente!

La dame lui sourit. Le serrurier reste de marbre.

— Quand vous avez téléphoné en début de semaine, nous avions convenu de la date et de l’heure.

— Ça fait une éternité, je crois que je perds la notion du temps. Gardez vos galoches, je vous en prie. C’est à la cave.

Charles essuie ses souliers à grands gestes sur le paillasson même si un soleil chaud perdure depuis une semaine. Six marches descendent du palier vers le carrelage blanc et noir du sous-sol. En bas, des murs de préfinis s’agencent habilement au stucco dans ce décor des années 80. Le nouveau venu a un souvenir fort du sous-sol de ses parents, quand ils habitaient encore dans Lanaudière.

— C’est là, au fond.

Une autre série de marches mène à une porte turquoise qui donne vers la cour arrière.

— L’ampoule au plafond est brisée, mais si on ouvre, vous allez avoir la lumière du jour.

— Aucun problème.

Le serrurier déballe son coffre et inspecte le loquet. Le cadrage est presque inexistant, l’armature s’enfonce dans le mur à l’oblique. Charles s’étire vers l’extérieur et prend une essentielle bouffée d’air frais. Une fois les vis retirées, il tire sur les deux parties de la poignée. La dame reste plantée au bas des marches et le regarde.

— Pourquoi vous ne changez pas la barrure?

— Il n’y a pas assez d’espace au mur pour en installer une. Je vais mettre une poignée avec un verrou.

— Oh, je vois, vous êtes perspicace jeune homme.

Elle lui fait un sourire qui ressemble plus à une grimace.

L’installation dure deux minutes, maximum. Déjà, Charles remballe son sac, essaie la porte afin de voir si elle ferme bien. Un geste inutile qui rassure. La cliente le fixe, les yeux pas tout à fait centrés sur lui. Il remarque même une légère oscillation de la tête, ce qui le rend un peu perplexe.

— Voilà, j’ai terminé.

— Avant que vous quittiez…

Un silence. La dame s’est arrêtée au milieu de sa phrase.

— Oui?

— Avant que vous quittiez, j’aimerais savoir si vous êtes capable de m’aider avec une serrure qui n’a pas été ouverte depuis… hum… depuis que j’habite cette maison.

Une curiosité insoupçonnée saisit Charles dans ses griffes. Le chasseur de trésor de son enfance refait surface. Il est emballé à l’idée de découvrir une cachette secrète. En considérant qu’il charge le gros prix à cette pauvre vieille pour deux minutes et une poignée, pourquoi ne pas en profiter un petit peu? Il est payé à l’heure après tout.

— Bien sûr, où est cette serrure?

— Juste là.

La propriétaire reste passive, les yeux dans le vide et elle lève un bras dans la noirceur qui l’entoure. Un frisson parcourt le dos de Charles. Il referme la porte extérieure qui obscurcit soudainement l’escalier. Ses outils rejoignent rapidement les autres dans son coffre et il redescend retrouver sa cliente. Dès qu’il touche le carrelage, la vieille fonce dans les profondeurs de la cave et il la perd de vue.

Une fenêtre encrassée assombrit plus qu’elle illumine le mur faisant face aux escaliers. Charles plisse les yeux pour mieux se repérer. Devant une manivelle en fer fixée à une grosse porte en bois, sa cliente force. Elle la pivote d’un quart de tour et se laisse aller vers l’arrière. Un grincement puissant se fait entendre alors qu’une ouverture se crée. Charles anticipe un semblant de brume sombre et grise sortant du sas. Il se surprend quand la seule chose qui l’atteint est une odeur différente de moisi. Lui qui croyait s’y être habitué, il en est plutôt décontenancé.

Le poids de la vieille dame ne suffit plus à mouvoir le monstre. L’entrebâillement est ridiculement étroit.

— C’est au fond de cette chambre froide.

Le serrurier ne bouge pas. Sa cliente, comme si elle avait compris son inconfort, contourne le battant et pénètre la première. Un clic plus tard, une ampoule nue envoie une luminosité floconneuse sur l’espace bétonné.

Charles s’avance, essayant de se donner de la contenance. Il traverse de biais dans l’embrasure et entre dans le minuscule couloir qu’est la chambre froide.

— Au fond, sur la porte, sous l’anse, dit-elle.

Il sort sa lampe de poche et se penche.

Mais quelle surprise! Une serrure de type Weston. Il n’a jamais eu la chance de travailler sur une vraie. Disparue vers le milieu des années 1800, cet appareillage était fort compliqué à installer et était si optimal que même avec une clé, il demeurait difficile de la déverrouiller.

— Vous pouvez le faire, jeune homme? demande la vieille.

— Je ne sais pas si je peux. Mais j’ai très envie d’essayer.

— Je vous laisse travailler alors. Prendriez-vous du thé?

— Non, c’est gentil.

— Je reviens tout de suite dans ce cas.

Charles se concentre. Les charnières visibles, mais rouillées, forment une cascade métallique le long du bois jusqu’au milieu de la porte. Impossible de les retirer sans briser le support. Il faudrait une force dont le serrurier sait qu’il ne dispose pas. À l’autre extrémité, la poignée est solidement engoncée dans le mur de pierres. Le verrou s’imbrique presque dans le béton.

Charles se gratte la tête. Il va devoir la crocheter de la bonne vieille façon. Il nage en terrain inconnu et se sent énervé. La propriétaire confirme qu’elle ne l’a jamais ouverte. Depuis combien de temps habite-t-elle ici? Au vu du bâtiment et de la décoration, il suppose que ça date de plusieurs dizaines d’années.

Des dizaines de milliers d’années.

Et jamais elle n’a pu l’ouvrir!

Si je peux l’ouvrir avant qu’elle arrive, je pourrai moi-même entrer et découvrir les mystères qui s’y cachent.

L’enfant en lui revient, béat et surexcité. La porte semble donner sur l’extérieur, comme si elle était fixée sur le béton du solage. S’agirait-il d’un bunker?

Il sort les deux outils nécessaires et prend une grande respiration. Il insère le crocheteur et le tournevis dans l’encolure à la forme typique : un rond en haut sur un trapèze en bas. Il sent les mécanismes qui n’ont pas bougé depuis si longtemps se mouvoir par à-coups. Le crochet glisse pendant qu’il appuie avec le plat du tournevis sur le martelet qui fixe l’angle. Une minute s’écoule tandis qu’il ajuste légèrement ses outils selon la méthode essais et erreurs. La rouille pourrait gâcher son moindre effort. C’est un processus auquel il est habitué, mais qui semble ici tout à fait contraire à sa longue expérience. Les mouvements qu’il effectue et ses répercussions paraissent tout sauf normaux, comme si le mécanisme renfermait sa propre essence. Alors même qu’il se résigne à changer de technique, il entend un clic qui lui envoie un frisson tout le long du corps. Il pousse sur son outil pour aller plus loin, mais il est déjà au fond. Avec sa main, il crampe vers la droite au maximum, et le loquet au-dessus de l’anse se soulève.

Comme si la poignée se mouvait d’elle-même. Impossible de l’avoir fait aussi vite, se dit-il.

La porte, de son poids seulement, s’ouvre d’elle-même. Accroupi sans réels appuis, Charles est propulsé vers l’avant. Il glisse sur ses genoux contre un carrelage rose et blanc sans pouvoir se repositionner, se cramponnant inutilement dans le mouvement. La noirceur l’englobe et il ne voit pas très loin devant lui, même avec sa lampe de poche. Sa curiosité prend le pas sur sa réussite. Il avance en profondeur et après un mètre, il remarque une cuvette bleu pâle. Son cœur se serre davantage lorsqu’il aperçoit le bain et l’évier. Un frisson beaucoup moins agréable le glace et une rigole de sueur lui coule dans le dos.

J’ai déjà vu cette pièce, se dit-il.

Il s’engage encore dans le noir et actionne un interrupteur dans un automatisme qui le surprend. Les néons crépitent quelques secondes puis s’illuminent. Comme dans son souvenir. La vanité est d’un bleu immaculé. Aucune poussière ni toile d’araignée nulle part. Charles étudie en détail l’aspect de la pièce, les yeux grands et exorbités. Le bain, le carrelage. Impossible. Il finit par croiser son regard dans la glace. Un miroir étincelant, plus bas qu’à l’époque.

J’étais si petit.

Il a six ans et il se tient sur son banc emballé dans une fourrure rose. Sa mamie se penche et lui tend une brosse à dents. L’image se casse. C’est lui maintenant qu’il aperçoit, grand et un peu blême, dans son habit de travail. Derrière lui, il voit la porte à la serrure Weston et plus loin encore, dans le passage de la chambre froide, l’immense porte de bois. La dame aux cheveux blancs se trouve près de cette dernière. Elle affiche pour la première fois un sourire. Un trou béant sur sa face ridée. Puis, d’un geste violent qui ne concorde pas avec sa petitesse, elle pousse le battant et active le lourd verrou de métal. Un vent à l’odeur de moisi atteint Charles dans le dos. La senteur de litière envahit ses narines alors qu’il se retourne et court vers la chambre froide.

Charles heurte le bois et le frappe de toutes ses forces, mais il n’y a rien à faire. Après quelques instants de vains efforts et de cris puissants, il abandonne. La porte est scellée et les pentures sont de l’autre côté. Il se rabat sur son cellulaire, mais le réseau n’entre pas. Il se déplace le long de la pièce, le téléphone au bout du bras jusque dans l’impossible salle de bain, sans succès. Ses allers-retours ont mal canalisé son adrénaline. Il sent ses membres lourds et sa tête qui palpite. Une soif incroyable le prend. Son premier réflexe est d’utiliser le robinet. Sa main agrippe la champlure et elle s’arrête sec. Il la lâche d’un geste brusque.

Tu t’attends vraiment à boire l’eau froide du puits artésien de mamie, c’est ça?

Il recule à cette pensée. Mais le désir est trop fort. Il s’avance rapidement. Le jet est clair et glacé sous ses doigts, avec un léger goût de soufre, bien sûr. Il se penche et il en prend de grandes goulées. Son visage entier y passe et il se frictionne également les cheveux. L’essuie-main rose bonbon est à sa place, à la droite de la vanité. Il tire dessus et le palpe. De nouveaux souvenirs de sa mamie abondent et l’irréalité le submerge davantage. Qui est cette vieille femme? Il se regarde dans la glace. Ses questionnements restent sans réponse. Puis, il remarque la porte de bois et la poignée de verre qui menait à la cuisine de ses grands-parents. Elle est là, si proche, dans le coin de la pièce, n’attendant que d’être ouverte. Son reflet dans le miroir lui renvoie son air effrayé. Encore ce cauchemar.

La poignée tourne, avec le mouvement un peu lâche d’autrefois. Le bois est engoncé plus solidement dans son cadre. C’est normal, la structure travaille en automne avec la venue du temps plus froid. La porte fonctionne comme elle se doit pour ce temps de l’année. Tellement irréel, mais criant de réalisme. Une poussée de la main et une secousse suffisent à l’entrebâiller : un couloir sombre s’ouvre et non la cuisine ensoleillée à laquelle il s’attendait. Il lâche la poignée et le battant continue de rouler sur lui-même jusqu’à atteindre le mur. De sa main tremblante, Charles sort sa lampe torche et éclaire le chemin. Les deux pieds bien ancrés, il jette un coup d’œil par le cadre de la porte. Après le coude du corridor qui oblique presque tout de suite, il voit des rayons orangés, mais faibles. La lumière lui donne le peu de courage qui lui manquait pour avancer.

Les murs et le plafond affichent une couleur turquoise vieillotte. Le plancher est en bois, contrairement au linoléum souple de la cuisine de mamie. Dos à la porte de la salle de bain, il longe le couloir avec précaution. Au bout du coin, il voit que le corridor débouche sur ce qui ressemble à un salon. Tout de suite, il remarque ce qu’il savait inconsciemment sans se l’avouer : il se trouve dans la maison de son meilleur ami d’enfance.

La pièce est la même, enfin presque. La télévision à écran cathodique siège sur son meuble près de l’immense fenêtre. Par contre, le châssis n’y est pas, seulement un long mur. La causeuse brune sur laquelle il avait embrassé Nancy pour la première fois se tient juste à côté. L’ouverture double séparant le salon de la cuisine est également remplacée par une cloison. Les marches menant au second palier sont là, avec sa rampe en bois usée. Au coin du divan, le serrurier allume la lampe sur pied. Elle crépite et s’illumine d’un éclat orangé presque rouge. La pièce ainsi éclairée, il remarque tout de suite ce qu’il avait anticipé en voyant que la fenêtre n’y était pas : la porte d’entrée a aussi disparu. Pire : l’accès au sous-sol n’est pas fermé.

Charles s’écrase dans la causeuse. Il s’enfonce beaucoup trop et laisse entendre un cri de surprise. Puis, il se rappelle que c’est lui qui l’avait défoncée en prenant Nancy sur ses genoux pour l’embrasser. Il reste donc là, les fesses bien trop basses, à ressasser ce qui se passe, le cœur en pleine débandade dans sa poitrine. Tout ça ne fait aucun sens. Sa bouche est sèche et quand il arrive à déglutir, tout goûte le métal. Malgré l’énervement, il demeure paisible, dans un lieu et dans un temps qui ne sont plus. C’est ce qu’il comprend : il est ultimement dans la cave d’un petit bungalow de banlieue. Mais pas vraiment quand même. Il navigue dans cette sorte de labyrinthe créé à partir de sa mémoire d’enfance. Il sait où il doit aller, mais l’envie lui manque.

La causeuse fait face à la cage d’escalier ouverte, menant plus bas. Au sous-sous-sol. Un craquement survient. Très loin.

— Y’a quelqu’un?

Aucune réponse. Charles n’est plus assis, mais à genoux sur le bois franc. L’ampoule au coin crépite et s’éteint pour finalement ressusciter. D’abord le bruit, puis le possible manque de lumière le ramènent en mode survie. Il extirpe sa lampe de poche, et la place sur la petite table de salon rouge bourgogne. Il sort ensuite son téléphone cellulaire. Comme il fait descendre le menu pour allumer la veilleuse, il voit une barre de réseau. Un SMS d’un numéro inconnu s’affiche. La connexion repart aussitôt. Mais dans ses notifications, il lit : TROUVE LA PORTE.

Plus question d’attendre. Il reprend sa torche électrique et, le cœur battant la chamade, il met son pied sur la première marche de l’escalier. Il tient haut sa source de lumière. La descente s’effectue lentement, en position défensive contre la rampe. Une légère torsion du torse à mi-parcours et il embrasse des yeux le chemin menant au sous-sol. La porte du bas est bien fermée et, sous elle, un mince rai de lumière filtre. N’entendant que le battement de son cœur tambouriner dans ses oreilles, il poursuit son avancée. Les six marches sont franchies rapidement et déjà, le second palier est sous ses pieds. Il essuie ses mains moites sur son bleu de travail en prenant une grande respiration. Ensuite, il tourne la poignée ronde et glacée menant possiblement vers un autre souvenir d’enfance.

La porte s’ouvre et apparaît une pièce immense. Un seul néon éclaire l’espace aux poutres d’acier. Charles reconnaît évidemment cet endroit : la salle que sa famille louait pour les événements spéciaux comme Noël. Les fenêtres, ici aussi, sont remplacées par des briques. L’obscurité est déstabilisante et la profondeur du lieu ne lui plaît pas du tout. Il avance à tâtons, longeant le mur à sa droite. Il remarque l’entrée de cette large ouverture qui mène à plusieurs autres petites pièces juste devant lui. Tout demeure indiscernable dans ce coin-là.

Pourquoi ces endroits au passé si heureux me tourmentent-ils de la sorte?

Les pensées de Charles sont interrompues par un claquement violent. L’écho se répercute partout dans la salle, mais Charles reconnaît l’origine du bruit : la porte derrière lui. Sans même réfléchir, il bondit sur ses jambes et sprinte droit devant. Un cri aigu retentit. Un hurlement qui n’est pas le sien. Un rire ignoble s’y ajoute. Charles n’a pas le temps d’imaginer ce qui peut le poursuivre, il songe uniquement à fuir. Seule sa mémoire peut le sauver de ce qui l’attend dans l’ombre. À l’embouchure d’où il se tient, il y aura une chambre froide à gauche et l’entrée pour une cuisine à droite. Les deux n’auront certainement pas d’issues. Tout droit, passé ces deux ouvertures, le chemin mènera à une pièce en L. D’un côté, les toilettes. De l’autre, un escalier de secours qui descend vers l’extérieur.

Il court plus vite que ce que ses yeux peuvent discerner. Sa hanche droite frappe un objet dur qui le fait s’étendre de tout son long sur le ciment. Sa lampe est propulsée hors de portée. Au même instant, le seul néon au plafond se fracasse. Une noirceur presque complète tombe dans la salle. Il ne reste que le maigre faisceau de sa torche électrique, perdue quelque part à sa gauche. Le rire aigu revient et malgré la douleur qui l’irradie jusqu’à ses épaules, Charles se relève et fonce sans se retourner. Il imagine la petite dame aux cheveux blancs chez qui il se trouve, la bouche ouverte sur des canines pointues, qui le poursuit avec des couteaux à la place de ces membres.

Il court les bras devant lui, prévoyant le mur à venir. Il l’atteint plus rapidement qu’il ne l’aurait cru. Ses doigts s’écrasent et se brisent. Le rire démoniaque se perd dans les hurlements que lance Charles. Mais, il ne peut pas s’arrêter. Il est trop près de la sortie.

Sa bonne main enrobe délicatement l’autre alors qu’il prend le chemin menant au long L. À tout le moins, c’est ce que son souvenir lui rappelle. Il boite de sa jambe gauche. Il galope malgré tout vers ce qu’il croit être les escaliers, se tenant penché vers l’arrière le plus possible. Après quelques pas, le sol disparaît sous lui. Il s’écrase en position assise et dévale la pente sur son derrière. La descente est longue. Finalement, ses pieds frappent le métal sous le panneau rouge «Sortie». Un instant plus tard, il enfonce la barre antipanique avec son épaule de toutes ses forces. La charge excessive le fait tomber tête première et il roule sur lui-même contre d’autres marches en béton. La porte claque pendant qu’il s’étale de tout son long sur un dallage noir et blanc. Il se retourne, mettant son bras valide contre son front pour se protéger. La créature est certainement derrière lui et elle risque de l’éventrer avec toute sa rage en lui bavant dessus. Sa vie défile alors qu’il hurle à plein poumon.

Les secondes passent, mais rien ne l’attaque. Puis, Charles note la lumière vive qui traverse ses paupières. Il ouvre les yeux. Devant lui, il voit les escaliers menant à la poignée qu’il vient de réparer. Il se retrouve à nouveau chez sa cliente. Le sous-sol, l’odeur nauséabonde, voire pestilentielle. Comme une senteur de litière à chat, même s’il n’a croisé aucun félin de toute sa visite.