Les singularités - Hans Desponge - E-Book

Les singularités E-Book

Hans Desponge

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Beschreibung

Inscrits à la faculté de médecine de Paris, trois étudiants sans histoire vont voir leur vie bouleversée lorsqu’une de leurs amies, octogénaire, décède en leur léguant d’étranges objets.
Les trois globes translucides dont ils héritent ne sont pas plus gros que des mandarines, mais emprisonnent chacun une magnifique galaxie spirale. Les jeunes gens vont alors découvrir qu’une formidable énergie peut être libérée chaque fois qu’ils empoignent l’un d’eux.
Rattrapés par un Institut américain qui désire s’approprier leurs nouvelles acquisitions, ils vont faire le voyage jusqu’à New York et découvrir qu’ils ne sont pas les seuls à posséder ces objets extraordinaires. Ils se joindront finalement à cette association de scientifiques et d’étudiants qui semble, au premier abord, n’avoir que de bonnes intentions quant à l’utilisation de ce que ces initiés appellent « Singularités ».
Bien malgré eux, la maîtrise progressive de leurs nouveaux dons mènera les étudiants à affronter criminels et terroristes dans le monde entier.
Qui a créé de tels objets et pourquoi ? Personne ne le sait, mais ils vont vite se rendre compte que ces sphères très spéciales cachent un secret bien plus important sur l’existence de l’Univers, son mécanisme et son avenir…

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Hans Desponge

Les Singularités

Un grand merci à Alexia pour ses relectures et suggestions particulièrement précieuses.

Chapitre 1 : Lelegs

Thomas est inquiet. Il est midi passé et le jeune homme vient de monter précipitamment dans sa chambre d’étudiant après avoir récupéré le courrier dans sa boîte aux lettres. Pour une fois, son inquiétude n’est pas due aux factures qu’il a toujours du mal à payer. Il travaille dur pour financer ses études, sans compter cette chambre dans Paris qui lui coûte les yeux de la tête malgré le bénéfice d’une bourse d’études. « J’arrive toujours à m’en sortir » dit-il souvent, amusant son entourage. Celui-ci se limite à quelques amis étudiants, sa petite amie ainsi que son meilleur ami également en fac de médecine. Ses parents habitent Londres depuis déjà cinq ans et il ne les voit qu’en de rares occasions.

Thomas est pourtant un garçon très sociable, il aime le contact avec les autres et il éprouve généralement de l’empathie envers ses semblables. De caractère tolérant, il est communément jugé par les autres comme un gentil garçon qui aime la fête mais reste très sérieux lorsqu’il s’agit de ses études ou de sa relation amoureuse avec Marie.

Marie... une magnifique jeune femme issue d’une famille bourgeoise parisienne aux cheveux châtains qui dégageait déjà une certaine classe pour son jeune âge. Il en était tombé amoureux dès leur première rencontre il y a près de trois ans. C’était le premier jour de fac dans l’amphithéâtre, lorsque le doyen faisait son habituel discours de bienvenue aux premières années de médecine. C’était réciproque. Elle avait dû craquer pour ce grand gaillard. Il faut dire que Thomas en impose avec son mètre quatre-vingt-cinq et ses larges épaules.

Mais ce samedi-là, il n’était pas avec elle. Marie passait le week-end chez ses parents. Elle ne les avait pas mis au courant de leur relation. Peut-être par pudeur, mais surtout parce qu’elle souhaitait conserver cette image d’étudiante sérieuse, passionnée par la médecine et qui ne se laissait distraire en aucune façon...et surtout pas par un garçon.

Dans la pièce qui lui sert à la fois de salon et de chambre, Thomas avait négligemment jeté du bout des doigts deux des trois lettres qui lui étaient adressées. L’une provenait pourtant de son propriétaire, mais elle lui paraissait bien moins importante que celle qu’il tenait encore dans samain.

–Une lettre d’un notaire ? Pourquoi un notaire m’envoie-t-il une lettre ? dit-il tout haut, perplexe.

Thomas s’empressa de mettre fin à cette attente en arrachant le haut de l’enveloppe. Il tira d’un coup sec le papier soigneusement plié en trois. Tout de suite, quelques mots lui sautèrent aux yeux « Décès de Mme Mathilde Delcourt ».

Cette révélation lui fit l’effet d’une bombe. Ce nom lui était familier. Il appartenait à une vieille dame octogénaire, dont il se chargeait de visiter régulièrement et de tenir compagnie dans le cadre d’une association caritative. Cette association avait pour but de créer un contact entre de jeunes bénévoles et des personnes seules. Il s’agissait le plus souvent de personnes âgées et Thomas faisait partie des bénévoles chargés de visiter madame Delcourt. Les activités prévues étaient variées : faire la lecture ; quelques courses ; et surtout passer un peu de temps pour partager une discussion.

Mais parmi les trois personnes qu’il fréquentait dans le cadre de sa mission de bienfaisance, Mathilde occupait une place de choix dans son cœur. Elle était intelligente et avait un sens de l’humour particulièrement développé. Elle faisait naturellement preuve de gentillesse envers les bénévoles qui venaient la voir mais tout particulièrement pour Thomas qu’elle vénérait.

Il finit de lire la lettre qui tenait lieu de convocation le lundi suivant, au cabinet de Maître Lafont pour la lecture du testament.

Thomas était désemparé, il avait quitté Mathilde en bonne santé il y a dix jours. La visite de la vieille dame chez son médecin n’avait pourtant rien révélé d’inquiétant. Pas plus que ses dernières analyses de sang le mois dernier... Elle les avait d’ailleurs montrées à l’étudiant, futur jeune médecin.

De quoi est-elle morte ? pensa-t-il.

Immédiatement, il saisit son téléphone portable pour appeler Marie. Car elle aussi lui rendait visite à tour de rôle, de même que Christian son meilleur ami. Parfois Thomas et Marie y allaient ensemble et cela plaisait beaucoup à la vieille dame de voir ce petit couple d’amoureux plein d’avenir se préoccupant néanmoins de personnes seules.

–Allo, Marie ?

–Attends, je vais dans ma chambre, dit-elle étonnée. Pourquoi tu m’appellesici ?

–Désolé ma chérie mais je viens de recevoir une lettre d’un notaire... Madame Delcourt est morte.

–Oh non, c’est pas vrai !

Elle soupira longuement.

–Marie ?

–C’est si brutal, elle allait pourtant très bien la dernière fois que je l’ai vue. Que s’est-il passé ?

–Je n’en sais rien, la lettre du notaire me donne rendez-vous lundi à 10 heures. Tu n’as rien reçu de ton côté ?

–Notre bonne, madame Verra ne nous a pas encore monté le courrier ce matin. Je vais voir et je te rappelle.

Thomas raccrocha avant de composer le numéro de Christian. Celui-ci ne mit pas longtemps à décrocher.

–Salut Thomas, t’es au courant pour madame Delcourt ?

***

Les trois étudiants étaient convoqués chez le notaire pour prendre connaissance du testament de Mathilde. Le lundi matin, ils s’étaient donnés rendez-vous chez Thomas avant de prendre le chemin du cabinet. Les deux garçons portaient des costumes sombres et Marie portait un tailleur noir. Christian était très excité, comme s’il allait obtenir une récompense. Ce qui mettait mal à l’aise ses deuxamis.

–Peut-être qu’elle nous a couchés sur son testament pour qu’on hérite à la place de ses neveux ? dit Christian.

–Christian, je t’en prie ! rétorquât sèchement Marie, visiblement énervée par son comportement. Tu ne ressens rien d’autre ?

–Si bien sûr, je suis aussi triste que toi. C’est simplement que j’aimerais bien voir la tête que feraient les neveux qui n’en avaient rien à faire de leur Tante.

Le regard furieux et inhabituel de ses deux amis finit par contraindre Christian à se taire. Ils prirent ensemble le métro sans riendire.

Dans l’avenue, après avoir trouvé le numéro correspondant à l’adresse du cabinet notarial, Thomas aperçut la plaque dorée précisant l’étage.

–C’est ici et il est juste l’heure.

Ils montèrent doucement les marches pour accéder au niveau supérieur, comme s’ils avaient peur de réveiller quelqu’un. Mais avant d’entrer, Marie chuchota quelques mots aux garçons afin qu’ils remettent en place leurs nœuds de cravate un peu défraîchis. Puis ils rentrèrent, après avoir appuyé sur le bouton de la sonnette comme le suggérait une affiche fixée sur la porte.

–Bonjour mademoiselle, messieurs, dit la secrétaire en les voyant entrer.

–Bonjour madame. Nous avons rendez-vous avec maître Lafont pour la lecture du testament de madame Delcourt, dit la jeune femme.

–Oui, en effet vous êtes attendus. Il ne manquait plus que vous pour commencer la lecture du testament.

Les trois jeunes gens se regardèrent embarrassés et entrèrent rapidement dans la grande salle de réunion du cabinet. Maître Lafont présidait une grande table ovale garnie d’une dizaine de personnes au regard froid et méprisant. Vraisemblablement, la plupart d’entre eux devait se demander ce que ces jeunes faisaient là. N’étant pas membres de la famille, ils n’avaient à leurs yeux aucune légitimité.

–Marie Courtois, Thomas Bertaud et Christian Breszinsky je présume. Je vous en prie, prenez place.

–Bonjour maître, marmonnèrent-ils pendant qu’ils cherchaient rapidement à s’assoir.

–Bien. Nous sommes maintenant au complet, je vais pouvoir procéder à la lecture du testament.

Maître Lafont décacheta l’enveloppe cérémonieusement et commença la lecture. Quelques associations furent créditées de plusieurs dizaines de milliers d’euros, et la femme de ménage qui l’avait servie de nombreuses années n’avait pas été oubliée. Cependant, l’essentiel de la fortune et tous les biens immobiliers de la vieille dame allèrent aux neveux. Répartis de façon équitable entre eux. Ces derniers paraissaient visiblement soulagés. Le notaire poursuivit :

–« À mes trois petits anges : Marie, Thomas et Christian qui furent mes compagnons de lecture et de discussions profondément passionnantes, je vous adresse une lettre que maître Lafont vous remettra dans laquelle je vous exprime plus intiment mon éternelle gratitude et toute mon affection ».

Le notaire montra aux étudiants une enveloppe bleue cachetée avant de poursuivre.

–« À tous maintenant, je vous souhaite une longue et heureuse vie comme fut la mienne, riche en rencontres et en évènements ». Le document est signé de la main de Mathilde Delcourt, ajouta le notable. Je vais maintenant vous faire passer le document.

Le notaire déposa délicatement l’enveloppe bleue devant lui sur la table, puis il tendit le testament de Mathilde à son voisin de droite, un des quatre neveux.

Christian avait le regard fixe ; un visage sans expression ressemblant à celui d’un mannequin. Les neveux observaient les trois étudiants et plus particulièrement Christian. Le mépris qui se lisait quelques minutes plus tôt sur leurs visages avait laissé place à un air amusé et moqueur. L’un d’eux se tourna vers le notaire :

–En avez-vous terminé, maître ?

–Oui, je vous invite à me suivre dans la pièce qui se trouve juste à côté pour les formalités.

Quelques signatures plus tard, les jeunes se virent remettre l’enveloppe sur laquelle était inscrit en gras : À n’ouvrir qu’en lieusûr.

En voyant le regard interrogateur de Marie, le notaire donna quelques détails :

–C’était la volonté de madame Delcourt. Il ne s’agit que d’une simple lettre mais elle avait clairement stipulé que sa famille ne devait pas avoir connaissance de son contenu. Moi-même je n’en ai aucune idée, cette lettre a été scellée il y a presque un an. La lecture n’est réservée qu’à vous et à vous seuls. Je suggère donc que vous la lisiez dans un endroit calme, vous trois réunis et sans aucune autre compagnie.

Les trois étudiants prirent congés de maître Lafont et quittèrent le cabinet. Comme un accord, ils s’empressèrent de regagner l’appartement de Thomas pour délivrer le contenu de cette mystérieuse enveloppe. Cette fois l’attitude de Christian avait changé, il était déçu et un peu sarcastique.

–Que peut-on léguer dans une lettre à des personnes qui ont passé beaucoup de leur temps à s’occuper de vous ?

–J’ose espérer que tu ne rendais pas visite à Mathilde pour espérer toucher un jour sa fortune, dit Marie d’un tonsec.

–Bien sûr que non ! se défendit le jeune homme. Mais alors pourquoi nous faire venir dans ce cabinet pour une simple lettre ? Pourquoi toute cette mascarade ?

–Mathilde devait avoir ses raisons, dit Thomas. Au moins elle t’aura rendu curieux !

Christian soupira.

–Tu parles d’un mystère pour une simple lettre de remerciement.

***

Les trois amis étaient enfin de retour dans le petit appartement. Thomas verrouilla la porte d’entrée de l’intérieur comme à son habitude. Christian se vautra dans le canapé-lit et se tourna alors vers Marie qui avait conservé l’enveloppe bleue dans sonsac.

–Allez, vas-y Marie ! dit-il en prenant un ton exagérément effrayant. Délivre-nous de cette insupportable attente et lis-nous cette lettre tellement énigmatique.

La jeune femme, aux yeux noisette très clairs, s’assit dans le seul fauteuil de la pièce. Penchée en avant, elle ouvrit l’enveloppe et déplia le contenu. Sans dire un mot, elle fronça les sourcils. Intrigués les garçons lui demandèrent de lire à haute voix. Elle s’exécuta :

–« Mes chers enfants, comme vous le savez lorsque j’avais votre âge, je suivais des études de biologie. Nous en avions souvent discuté car cette discipline est finalement assez proche de la vôtre. Mon caractère cartésien fait que j’ai toujours aimé l’idée que le monde est immuable et que tous les évènements qui s’y produisent peuvent s’expliquer. Lorsque je vous ai avoué que mon mariage était à l’origine de l’interruption brutale de mes études, c’était vrai. Mais pas au sens où vous l’entendiez ».

Marie regarda Thomas puis Christian.

–Ça ressemble à une confession cette lettre, dit Thomas étonné.

Marie continua la lecture.

–« C’est mon mari, Georges, qui les possédait et qui m’a fait découvrir ces trois objets : des sphères pas plus grosses que des mandarines. Il me les avait montrées comme des trésors qu’il fallait cacher à tout prix. Je me souviens que leur rondeur était parfaite et qu’elles étaient translucides. À l’intérieur de chacune d’entre elles, comme emprisonnée, une sorte de galaxie magnifique apparaissait. Mais je me rappelle aussi que les trois sphères n’étaient pas totalement identiques. J’avais d’abord cru à des bibelots sophistiqués mais il n’en était rien.

Je ne sais pas qui les a créées, dans quel but, ni même pourquoi mon mari possédait de telles choses. Mais je peux vous dire que c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que le monde que je croyais connaitre m’apparut alors bien différent. Depuis ce moment, la nature m’a semblé bien plus effrayante et sournoise.

Chacune de ces sphères donne la possibilité à celui qui la possède de faire des choses hors du commun. Je sais que l’une d’entre elles donne le pouvoir de disparaître à volonté pour peu qu’on la tienne fermement dans le creux de sa main. Pour les autres, je n’en sais rien car je n’ai pas voulu en savoir davantage. Pas plus que la façon dont mon mari s’est enrichi pendant nos dix premières années de mariage. Après cela, il m’a fait la promesse de ne plus y toucher. Comme je ne voulais pas les avoir chez moi, Georges est allé les mettre à l’abri dans un coffre d’une banque à Paris.

Je connais mes neveux : ils sont malheureusement trop cupides et intéressés pour être les gardiens de tels objets. C’est pourquoi je vous ai choisis tous les trois qui avez à la fois la raison, la maturité et le sens des responsabilités. J’ai pleine confiance en vous et je suis persuadée que vous saurez quoi faire.

Je sais que mes propos peuvent vous paraître invraisemblables et je comprends ces sentiments. Vous trouverez en bas de cette lettre tous les renseignements nécessaires pour récupérer le petit coffre contenant les sphères. Ainsi, vous jugerez par vous-mêmes et vous comprendrez alors pourquoi il me fallait les remettre à des personnes de confiance.

Faites-en bon usage mais restez très prudents. Peut-être arriverez-vous à percer le mystère que je n’ai jamais réussi à m’expliquer. N’oubliez pas qu’elles doivent absolument rester en votre possession et que leur existence ne doit jamais être divulguée. Bonne chance mes petits anges ». Signé Mathilde, finit Marie.

–Ce n’est pas possible, elle est devenue folle ! dit Christian en agitant latête.

–Mathilde avait toute sa tête, elle n’était pas du genre à inventer des histoires, lui répondit Thomas.

–Ce doit être de simples breloques ésotériques qui ont dû l’impressionner à l’époque, c’est tout, répondit sonami.

–Ça ne lui ressemble pas, intervint Marie. De toute manière, la seule façon de le savoir c’est d’aller les chercher.

–Effectivement, mais j’ai comme un mauvais pressentiment.., dit Thomas d’une voix grave.

Christian leva les mains, les paumes tournées vers le ciel :

–On dirait que notre Thomas a déjà le pouvoir de divination, dit-il en riant.

Marie ne put empêcher un petit rire à peine étouffé.

–Oh, la ferme ! répliqua Thomas avec un léger sourire. Allons-y tout de suite, de toute façon la journée est fichue.

En très peu de temps, les étudiants se retrouvèrent dehors. En remontant la rue, ils s’arrêtèrent en chemin pour acheter des sandwiches. Il était 13h30, et ils venaient de se rendre compte qu’ils n’avaient pas encore déjeuné. Quelques stations de métro plus tard, ils arrivèrent enfin devant l’agence bancaire indiquée dans la lettre.

Thomas fit volte-face devant Marie et Christian.

–Il vaut mieux qu’un seul d’entre nous y aille. Je peux y aller si vous êtes d’accord.

–Oui tu as raison c’est préférable, dit Marie en se tournant vers Christian.

–Ok pour moi aussi.

–D’après sa lettre, les sphères en question sont dans un coffret. Donc c’est simple : je rentre, je récupère le coffret et je sors. On découvrira le contenu ensemble, proposa Thomas.

Marie tendit la lettre à son amoureux que celui-ci replia pour mettre en évidence le bas de la dernière page. Il pouvait lire distinctement les informations relatives au numéro de compte du coffre.

–Dépêche-toi ! lui cria Christian alors que Thomas était à peine rentré dans l’agence.

Marie et Christian suivirent Thomas des yeux au travers de la double porte vitrée de la banque. Ils le virent s’adresser au comptoir de l’accueil, puis très vite, un employé vint à sa rencontre. Les deux hommes descendirent ensuite un escalier et Marie et Christian les perdirent devue.

Les étudiants patientèrent près d’un quart d’heure avant de voir Thomas sortir de l’agence et se diriger vers eux avec un coffret en bois d’une quarantaine de centimètres de longueur environ.

–Ah enfin, t’en as mis du temps ! s’exclama Christian.

–Oui, le type qui m’accompagnait a eu un peu de mal à retrouver l’emplacement du coffre.

–Et... il n’y avait rien d’autre que ce morceau de bois dedans ?

Thomas lui répondit en secouant la tête. La boîte ressemblait à un gros plumier sur lequel rien n’était inscrit. Elle n’était visiblement pas en bois précieux. Thomas la rangea délicatement dans son sac àdos.

–J’ai une idée, dit Marie impatiente. Nous sommes à deux pas de la BIU1. Nous serons au calme pour jeter un coup d’œil à l’intérieur de cette boîte.

–Allons-y, dit son compagnon qui réajusta le sac sur sondos.

Ils marchèrent quelques minutes pour atteindre la fameuse bibliothèque. Connaissant parfaitement les lieux pour y être allés plusieurs fois, ils pénétrèrent dans la grande salle de lecture. L’endroit dégageait une atmosphère particulière. Il avait le pouvoir d’intimider n’importe quel visiteur tant la quantité de livres spécialisés était astronomique. Au milieu de ce grand espace étaient disposées des tables parfaitement alignées et parallèles. La plupart d’entre elles étaient déjà occupées, mais Marie en repéra une, isolée, qui pouvait les accueillir.

Les trois étudiants allèrent s’y installer en silence. La plus grande partie de la bibliothèque n’était surveillée que par une seule personne : une quinquagénaire dont les cheveux grisonnants soigneusement attachés en arrière se terminaient par un chignon. Elle travaillait à répertorier un arrivage de nouveaux livres et levait les yeux au-dessus de ses lunettes de temps à autre pour s’assurer que personne ne semait le trouble dans son domaine.

Thomas sortit avec peine le coffret de son sac à dos, car il ne le tenait que d’une seule main, et son poignet tremblant trahissait le poids important de l’ensemble. Il le déposa au milieu de la table rectangulaire et se tourna vers Marie.

–À toi l’honneur ma chérie.

Christian fixait le centre de la table sans bouger. Marie rapprocha sa chaise et allongea ses mains vers le coffret. En prenant beaucoup de précautions, elle fit glisser le couvercle pour mettre en lumière son contenu.

Le spectacle était au-delà de ce qu’ils avaient pu imaginer. Trois sphères éblouissantes apparurent devant leurs yeux.

–Qu’est-ce que c’est que ça ! s’exprima Christian.

Les objets qui alimentaient leur curiosité depuis qu’ils avaient pris connaissance de la lettre de Mathilde, étaient enfin là devanteux.

D’un peu plus loin, on aurait pu croire à de vulgaires boules lumineuses fantaisistes. Mais de près, elles semblaient presque irréelles car à l’intérieur de chacune d’entre elles, était emprisonnée une galaxie spirale qui brillait de mille feux. Les galaxies paraissaient identiques et différentes à la fois. Celle de la première sphère semblait tourner plus rapidement sur elle-même que les deux autres et paraissait légèrement bleutée. La deuxième était blanche et la plus brillante. Quant à la troisième sphère, sa galaxie était plus sombre avec des bras à peine visibles. Et seuls les amas d’étoiles les plus importants renvoyaient de la lumière. Les mêmes groupes d’étoiles étaient observables dans les trois sphères ce qui signifiait qu’il s’agissait vraisemblablement de la même galaxie, mais laquelle ?

Ils n’avaient jamais vu ça. Ils étaient tous trois bouleversés et sous le charme. Ils ne détournaient plus leurs regards de ces trois fabuleux globes. En s’approchant de plus près, les détails étaient stupéfiants et une autre caractéristique les frappa : les amas d’étoiles à l’intérieur des bras de cette galaxie renvoyaient une lumière dont l’intensité baissait de temps à autre. Comme si un nuage de gaz miniaturisé, passé au premier plan, obstruait en partie cette lumière. Cette galaxie n’était pas seule : tout autour il y avait des astres confus et brillants, révélant la présence d’autres galaxies, satellites de la première.

–C’est hallucinant ! On dirait un petit morceau de notre univers emprisonné dans ce globe, dit Thomas à voix basse.

Il avança fébrilement une main au-dessus de la première sphère, celle dont la galaxie tournait plus vite.

–Tu... tu es sûr de vouloir la prendre ? questionna Marie en s’apercevant que la sphère devenait de plus en plus brillante au fur et à mesure que la main de Thomas s’en approchait.

–Incroyable ! lâcha Christian en imitant Thomas sur la troisième sphère qui commençait également à s’illuminer.

Hypnotisé par l’objet, Thomas voulut subitement en savoir plus, et sans même solliciter l’avis de Marie et Christian, il empoigna la première sphère.

1 Bibliothèque InterUniversitaire de santé

Chapitre 2 : La découverte

Dès l’instant où la main de Thomas entra en contact avec l’objet, il sentit tout son corps devenir léger... très léger. À tel point qu’il ne ressentait plus la gravité et commença à s’élever doucement de sa chaise. Ses pieds ne touchaient plus le sol. Il comprit subitement que le déplacement se faisait dans la direction vers laquelle il tendait la sphère. Effrayé, il lâcha l’objet qui tomba avec fracas sur la table, pendant que lui retombait sur sa chaise.

Le bruit avait alerté la surveillante qui tendit le cou pour identifier son origine. Thomas, un peu gêné, lui fit un signe de la main pour s’excuser et se tourna vers sa compagne et son ami. Les trois jeunes gens n’en revenaient pas et s’interrogeaient du regard, les yeux écarquillés.

Mathilde avait raison !

En voyant que Christian allait empoigner la troisième sphère, Thomas tenta de l’en dissuader.

–Attends !...

Mais Christian avait déjà commencé à serrer la sphère à la galaxie sombre dans la paume de samain.

À ce moment-là, Marie et Thomas assistèrent à un spectacle presque imaginaire qui les remplit d’effroi. Ils virent Christian disparaître progressivement, à commencer par sa main droite qui tenait le globe. Puis tout son corps et ses vêtements devinrent invisibles à leur tour. Ils furent tellement surpris qu’ils firent un bon en arrière et Thomas percuta sa chaise qui bascula derrière lui dans un vacarme résonnant dans toute la bibliothèque.

Là, c’en était trop pour la bibliothécaire qui quitta son bureau et se dirigea vers les étudiants.

–Vous faites trop de bruit et cela perturbe les autres visiteurs. Je vous préviens que si je vous entends à nouveau, je me verrai dans l’obligation de vous prier de partir... Et puis d’abord, où est votre ami ? Il me semble que vous étiez trois tout à l’heure.

–Heu... il est sorti quelques minutes, bafouilla Marie. Veuillez nous excuser madame.

–Mademoiselle ! reprit sèchement la surveillante. Quand il reviendra, veuillez lui faire part de mes avertissements.

Puis, d’un air agacé, elle partit se remettre au travail. À voix basse, Marie et Thomas appelèrent leur complice.

–Christian, où es-tu bon sang ?

–Mais ici ! Je n’ai pas bougé, dit-il en se matérialisant devant eux avec un sourire satisfait. Incroyable n’est-ce pas ? Je n’en revienspas !

–C’est inouï... Il nous reste une autre sphère à découvrir, chuchota Marie en approchant sa main au-dessus du dernier globe.

À l’intérieur, la galaxie blanche réagit de la même manière que les deux autres et s’illumina. Mais lorsque Marie la tint entièrement dans sa main, il ne se passa rien...

Perplexe, la jeune femme la reposa dans le coffret en bois. Christian s’empressa de la saisir à son tour, mais il ne se passa rien deplus.

Avec précaution, il décida d’utiliser son mouchoir pour envelopper la sphère à la galaxie sombre afin de l’empêcher de s’activer. Puis il la mit dans la poche de sa veste.

–Moi, je garde la mienne, dit-il. Au moins celle-là fonctionne.

–Je pense qu’elles fonctionnent toutes, dit Thomas. Celle à la galaxie blanche doit sûrement avoir un effet plus discret qu’on n’a pas été capable de remarquer.

–Je suis d’accord, acquiesça l’étudiante. Il doit y avoir un effet caché ou plus subtil que les autres. Chris, tu as peut-être tort de prendre la sphère. Il y a peut-être des effets secondaires et indésirables...

–Ah là, je vous reconnais bien docteur Courtois, répondit aussitôt Christian d’un ton moqueur.

–Je suis sérieuse, Christian. Mal employés, ces objets pourraient nous attirer des ennuis.

–Mais je te rappelle que Mathilde nous a fait confiance, et qu’une sphère doit logiquement nous revenir à chacun, dit Christian d’un ton ferme.

–C’est vrai, intervint Thomas. C’était sa volonté après tout, et nous ne sommes pas des gamins irresponsables.

–Mais que comptez-vous en faire ? questionna Marie un peu angoissée.

–Les étudier ! répondit son compagnon. Ce n’est pas tous les jours qu’on reçoit un tel cadeau et je veux en savoir plus à leur sujet.

Marie devait admettre qu’elle ressentait le même sentiment de curiosité.

–Alors commençons par savoir de quelle galaxie il s’agit... enfin, si elle est connue et répertoriée.

–Pour ça, je sais à qui on peut s’adresser, dit Thomas. On peut demander àÉric.

–Éric ? Mais on ne l’a pas revu depuis qu’il a choisi le département de physique comme prépa, répliqua Christian.

–En fait, j’ai gardé contact avec lui. Il continue ses études pour devenir astronome. Il faut absolument lui montrer cette galaxie.

Christian était d’accord mais Marie émit quelques réserves. Elle ne souhaitait pas que l’existence des sphères soit dévoilée à qui que ce soit. Sur ce point Thomas la rassura. Son idée consistait seulement à prendre des clichés en très haute définition et sous différents angles pour les envoyer à leur ami commun.

–Chris, tu as toujours ton reflex numérique ? demanda Thomas.

–Bien sûr, mais il faut que j’aille le récupérer chezmoi.

–Parfait, alors vas-y maintenant. On se retrouve chezmoi.

Thomas allait partir avec sa petite amie, puis il marqua le pas et se retourna finalement vers Christian.

–Pas de blague avec ça, dit-il en montrant du doigt la poche dans laquelle Christian avait rangé sa sphère.

–Ne t’inquiète pas, je n’en ai pas l’intention. À tout à l’heure.

***

De retour dans le studio, le jeune couple attendait Christian depuis près d’une heure et demie.

–Bon Dieu mais qu’est-ce qu’il fait ? s’impatientait le jeune homme.

–J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Attends, je l’appelle.

À l’aide de son portable, Marie allait lancer l’appel lorsqu’elle entendit frapper.

–C’est moi ! dit Christian derrière la porte.

Marie poussa un soupir de soulagement. Thomas le fit entrer puis celui-ci s’installa directement dans le fauteuil.

–T’en as mis du temps, lui dit la jeune femme. J’ai cru qu’il t’était arrivé quelque chose.

–Je n’en suis pas sûr... mais il me semble avoir été suivi en partant de la bibliothèque tout à l’heure pour rentrer chez moi. C’est pour ça que j’ai été long, car du coup j’ai pris un autre chemin pour venirici.

–Par qui ? demanda sonami.

–Je ne sais pas… un gars avec une capuche. J’ai même pensé à utiliser la sphère pour disparaître et m’en débarrasser mais ce n’était pas possible, il y avait trop de monde.

–Sage décision, dit Marie. Par contre ton histoire ne me rassurepas.

–Oui, il va falloir être très prudent maintenant. Chris, t’as ton reflex ?

Le jeune homme sortit son appareil d’un sac à dos adapté. Il l’installa sur un trépied qu’il venait de déplier. Thomas tira les rideaux de sa chambre pendant que Marie disposait sa sphère sur la table, maintenue par un rond de serviette en guise de socle. Ils avaient naturellement choisi la sienne pour réaliser les photos, car la galaxie en son cœur était la seule à rester quasiment immobile contrairement aux deux autres. Nul besoin de lumière car la galaxie et tous les autres astres emprisonnés à l’intérieur émettaient leur propre lumière ardente.

Christian commença à prendre quelques photos, puis effectua un zoom sur la galaxie. Sur le petit écran de l’appareil, les amas d’étoiles qui composaient les bras spiraux brillaient de mille feux. Les étudiants étaient une nouvelle fois fascinés et captivés.

–C’est prodigieux ! dit Christian. Attendez, j’ai uneidée.

Il sortit un objectif plus imposant de son sac et le verrouilla sur son appareil.

C’était un spectacle inimaginable ! Avec le nouvel objectif, il était alors possible de contempler des nébuleuses, vestiges d’explosions d’étoiles et même des cortèges de géantes bleues. Le bulbe galactique - le centre de la galaxie – était, lui, encore bien trop dense pour pouvoir y distinguer quoique ce soit. Les trois étudiants qui s’étaient resserrés pour admirer le spectacle sur le petit écran étaient abasourdis : comment est-ce possible ? pensaient-ils.

–Donne-moi la carte mémoire de ton appareil, dit Thomas à son ami qui finissait de prendre des photos. Je vais transférer les clichés sur monordi.

Christian retira la petite puce mémoire et la lui confia. Lorsque Thomas l’inséra dans la fente latérale de son ordinateur, les photos apparurent automatiquement à l’écran. Elles étaient parfaitement nettes et suffisamment détaillées. Thomas finit par en sélectionner quelques-unes : celles qui représentaient la galaxie dans son ensemble, ses bras galactiques, mais aussi les photos des galaxies en arrière-plan et tout autour de la première. Il envoya le tout à son ami Éric en plusieurs mails. Dans son message, il lui demanda d’identifier la galaxie en prétextant un quelconque travail qu’il avait à réaliser, sans trop donner d’explications.

–On ne se lasse pas de ce spectacle, dit Marie qui continuait à observer le contenu du globe à travers l’énorme objectif de l’appareil photo.

Les trois étudiants échangèrent leurs impressions encore une bonne heure, puis Christian rentra chez lui dans l’appartement loué par ses parents en bordure de la capitale.

Marie et Thomas préparaient la journée de fac du lendemain, en travaillant ensemble leurs cours sur le système immunitaire.

Une bonne demi-heure plus tard, le téléphone portable de Thomas sonna. En apercevant le nom de son meilleur ami affiché sur son appareil, il répondit sans tarder.

–Christian ? Tout va bien ?

–Oui... enfin non ! Je viens de rentrer chez moi. La porte était ouverte et mes affaires ont été entièrement retournées.

–Un cambriolage ? demanda Thomas sans y croire véritablement.

–Pas vraiment non. Rien n’a été volé à première vue. Pas même mon ordinateur qui est pourtant récent. C’est la sphère que cherchait ce voleur !

***

Le lendemain, les étudiants se retrouvèrent à la fac de médecine avant le premier cours de la journée. Tous les trois étaient particulièrement perplexes et inquiets suite à l’évènement dont Christian avait été victime. Chacun d’entre eux avait eu du mal à trouver le sommeil la nuit dernière et la fatigue se faisait ressentir. Cependant, ils reconnaissaient qu’ils ressentaient toujours une forte curiosité envers ces objets mystérieux. D’ailleurs, ces globes translucides étaient devenus leur unique sujet de conversation. Ils les conservaient en permanence sur eux car ils ne voulaient pas laisser de tels objets sans surveillance. À chacune de leurs pauses, entre deux cours, ils se retrouvaient tous les trois pour en discuter.

–Toujours pas de réponse d’Éric ? demanda Christian.

–Non toujours rien. Peut-être qu’il a du mal à identifier cette galaxie.

En fin de journée après le dernier cours d’immunologie, le trio d’étudiants se retrouva dans l’enceinte de la fac. Thomas s’empressa d’attraper son téléphone qui lui indiquait un appel manqué.

–Éric a tenté de me joindre, mais bizarrement il n’a laissé aucun message. Je vais le rappeler.

Mais avant qu’il n’ait eu le temps de le faire, un de leur professeur accompagné d’un individu qu’ils n’avaient jamais vu sur le campus se joignit à eux. Le professeur tourna la tête vers l’inconnu et tendit le bras en direction des étudiants :

–Paul Redford, je vous présente Marie, Thomas et Christian, les trois étudiants en question.

–Très heureux de vous rencontrer, dit Paul avec un fort accent anglais.

–Nous de même, répondit poliment Marie.

–Mes enfants, je vous présente Paul, un journaliste anglais du journal The Guardian, dit le professeur. Il vient nous rendre visite une semaine pour écrire un article sur les jeunes étudiants en médecine de notre pays. Et comme vous êtes les heureux élus, cela consistera à vous poser toutes sortes de questions et à vous accompagner parfois jusque dans vos salles de cours. Bien entendu, il faut que vous soyez d’accord pourcela.

–Bien sûr monsieur, répondit Thomas.

Les trois jeunes gens essayèrent tant bien que mal de cacher leur embarras. Ils n’étaient pas particulièrement ravis de devoir se coltiner ce gratte-papier au moment où ils auraient souhaité au contraire plus de tranquillité après leur découverte.

–Parfait ! Vous serez bientôt plus célèbres encore que nos éminents professeurs qui peuplent cette faculté, dit le Professeur en riant avant de prendre congé.

Paul semblait très jeune pour un reporter. Il ne devait pas être plus âgé que les étudiants qu’il était chargé d’interviewer. Un badge de presse autour du coup, il était grand, blond et affichait un sourire indéfectible.

–Bonjour, je comprends que ça ne vous plaise pas vraiment de m’avoir sur le dos, dit Paul. D’autant plus qu’il semble que vous n’ayez pas été consultés avant. Si cela vous ennuie, je peux demander au doyen de me proposer d’autres étudiants...

–Mais pas du tout, dit Marie. Ça ne fait rien. Nous nous ferons un plaisir de vous aider dans la mesure du possible. Mais je crains que ça ne soit pas très exaltant pour un journaliste du Guardian.

Paul ne dit rien. Il était occupé à contempler son interlocutrice et il avait du mal à résister à son charme. Sans aucun doute, elle lui plaisait.

Thomas remarqua le regard insistant de Paul sur sa compagne, ce qui le mit mal à l’aise et l’agaça particulièrement.

–Juste une question en ce qui me concerne, dit-il. Pourquoi nous avoir choisis, nous ?

–Je ne vous ai pas spécialement choisis, c’est le doyen qui m’a proposé de me mettre en rapport avec vous. Il m’a affirmé que vous êtes tous les trois de bons étudiants, sérieux, et le plus intéressant : vous venez chacun d’un milieu social différent. En plus, je crois savoir que vous êtes de très bonsamis.

–Oui enfin, ça dépend des fois.., répondit Christian en provoquant quelques rires parmi son auditoire.

–Mon journal m’a envoyé pour faire une enquête sur les étudiants en médecine dans toute l’Europe. La façon dont vous gérez vos ressources, vos loisirs, les relations avec vos proches. Comment vous conciliez tout cela avec vos longues études. Pourrais-je commencer par toi... hum... Christian, c’estça ?

–Christian, c’est bien ça. Pas de problème, ça mettra un peu de piquant dans notre quotidien.

–C’est parfait, je te remercie. Rassure-toi je ne t’embêterai pas ce soir, on commencera demain. Comme ça, vous aurez le temps de digérer cette mauvaise nouvelle, dit-il en poussant des gloussements.

Le journaliste anglais souhaita une bonne soirée à ses futurs sujets d’étude et quitta le campus.

–On n’avait pas besoin de ça, dit Thomas en fronçant les sourcils.

–Ne t’en fais pas, il n’est là que pour une semaine. Ça passera vite. En plus on va devenir célèbres, répondit Christian plutôt enthousiaste.

Marie ne disait rien et semblait pensive tout à coup. Thomas ne manqua pas de lui faire remarquer.

–Je me demandais simplement pourquoi ce journaliste avait un accent américain et non anglais, dit-elle. Pour un journal comme The Guardian, je trouve ça étrange, c’esttout.

–Et qu’est-ce que ça change ? lui demanda Christian.

–Rien... Au fait Thomas, tu devrais rappelerÉric.

Thomas reprit son smartphone pour appeler sonami.

–Salut Éric, c’est Thomas. J’ai vu que tu avais eu mon mail et que tu m’as appelé, désolé j’étais en cours et...

Éric le coupa.

–Pas de soucis, j’avais compris. J’ai bien observé ta galaxie mais je dois d’abord te demander qui t’as donné cette photo ?

–Eh bien en fait, c’est un peu compliqué.., répondit Thomas un peu embarrassé. On m’a demandé de faire des recherches sur cette galaxie, son type, sa position,sa...

Encore une fois, Éric ne le laissa pas finir.

–« Spirale »... le type de cette galaxie est « spirale ». Tu sais, je crois que ça ressemble à une bonne blague cette photo, le genre de blague d’étudiant qu’on fait à un première année...

–Pourquoi tu disça ?

–Parce que grâce aux autres galaxies qui se trouvent tout autour et en arrière-plan, on peut déterminer de quelle spirale il s’agit. L’une d’entre elles porte le nom de M312 ou encore NGC2243 dans les catalogues amateurs, ou plus simplement « la galaxie d’Andromède ». C’est pour cette raison que ça ne peut être qu’un « fake » ton histoire.

–Je t’écoute de qu’elle galaxie s’agit-il ? dit Thomas de plus en plus impatient.

Mais Éric sembla ignorer la question.

–En tout cas, c’est du beau travail. Normalement on appelle ça une vue d’artiste. Ça consiste à faire une ébauche d’un astre ou un objet pour se le représenter visuellement, mais qui est impossible à photographier !... Un trou noir en est un parfait exemple.

Captivé, Thomas préféra le laisser finir.

–Par contre il y quelque chose que je n’arrive pas à m’expliquer moi-même : les détails ! Car ils sont... parfaits. C’est simple, on dirait une vraie photo d’astronome professionnel ! Je pensais finalement la trouver dans les catalogues professionnels : c’est pour ça que j’ai eu du mal à savoir que c’était elle, la seule qu’on ne peut photographier de l’extérieur...

Cette fois-ci, Thomas n’y tintplus.

–Mais enfin, vas-tu me dire qu’elle est cette fameuse galaxie ?

Éric lui répondit d’un ton grave.

–Notre galaxie !... Il s’agit de LA VOIE LACTÉE... vue de l’extérieur !

***

Les étudiants étaient médusés par cette révélation : la Voie lactée vue de l’extérieur ? C’est tout simplement impossible... D’un seul coup, toutes les questions qu’ils s’étaient posées lors de la découverte des sphères revinrent les hanter : qui pouvait créer de tels objets, et dans quel but ? Y en avait-il d’autres ? Et y avait-il un prix à payer à les utiliser...

Assurément, ils n’auraient pas de réponse à ces questions ce soir. Christian rentra chez lui et Thomas et Marie prirent le bus pour rentrer à l’appartement du jeune homme.

Une fois chez lui, Thomas se chargea du dîner pendant que Marie dressait la petite table. Pour faire plaisir à sa petite amie, il décida de lui préparer sa spécialité à base de pâtes, de poulet et de champignons. En éminçant finement les morceaux de volaille, il se blessa légèrement en se coupant l’index. Il partit dans la salle de bain pour désinfecter cette légère coupure. Marie lui proposa un pansement mais il préféra laisser la blessure à l’air libre. D’ailleurs, le sang avait déjà coagulé et ne coulait plus. Il revint dans la cuisine pour finir de préparer le repas.

Peu après, ils passèrent à table. Ils mangèrent avec plaisir car ils n’avaient quasiment rien avalé aujourd’hui. Ils repassèrent en revue leur journée chargée : Christian ; le journaliste anglais ; les cours qu’ils avaient suivis et enfin les sphères.

–Hormis la lumière qu’elles dégagent, les galaxies des trois sphères sont identiques. Donc nous savons maintenant qu’il s’agit à chaque fois de la Voie lactée, dit Marie.

–Tout cela est très mystérieux, d’autant plus qu’on ne sait toujours pas quel pouvoir a la tienne, insista Thomas.

À ces mots, Marie partit chercher la sphère à la galaxie blanche et retira le mouchoir brodé qui la protégeait. Dans sa main, la sphère s’illumina à nouveau. Mais elle sentit une chaleur qu’elle n’avait pas remarquée la veille. Surprise, elle prit instinctivement le bras de son compagnon avec son autre main. Thomas ressentit cette énergie à son tour, et fut comme paralysé un court instant. Il perçut aussitôt des picotements au niveau de son doigt légèrement écorché. Marie déposa la sphère sur sa serviette de table en se frottant les mains.

–Regarde ! dit Thomas montrant son index à Marie.

La coupure avait laissé place à une marque rougeoyante. Puis quelques secondes plus tard, il n’y avait plus rien. Elle avait totalement disparu comme une guérison accélérée !

–Je crois qu’on a trouvé son pouvoir cette fois, dit Marie.

La jeune femme avait les yeux fixés sur sa sphère, elle avait en elle un sentiment mêlé de peur et d’émerveillement. Thomas sortit la sienne de son sac, enveloppée d’un chiffon pour ne pas l’activer, et la plaça devant lui sur la table non loin de celle de Marie pour les contempler.

Après avoir retiré le tissu qui la recouvrait, la sphère roula en direction de l’autre. Il se passa alors quelque chose d’étrange : les deux sphères auraient dû se percuter mais il n’en fut rien. À cinq centimètres l’une de l’autre, elles maintenaient cette distance sans vouloir se toucher. En prenant soin de ne pas les effleurer et en utilisant une serviette et un torchon, Thomas essaya de pousser les deux sphères l’une vers l’autre. Mais il sentit comme une force magnétique très forte qui empêchait le contact.

De voir Thomas essayer de les rapprocher sans réussir ne fut-ce qu’un centimètre, amusa Marie.

–Essaie donc pour voir au lieu de te moquer de moi, dit Thomas en plaisantant.

Marie n’eut pas plus de succès.

Elle décida de rester chez Thomas toute la nuit. Pour ses parents, elle était chez une amie étudiante pour travailler.

2 Catalogue Messier (catalogue astronomique créé par Charles Messier en 1774)

3 New Global Catalogue (catalogue qui enregistre et classe les objets spatiaux)

Chapitre 3 : Le sournois

Le lendemain, lorsque Thomas et Marie retrouvèrent Christian sur le campus, celui-ci était déjà en pleine discussion avec Paul. Le journaliste tenait un carnet dans une main sur lequel il lisait ses questions et un enregistreur numérique dans l’autre pour recueillir les réponses. Christian se prêtait au jeu avec une certaine aisance. Il se confiait de plus en plus sur ses habitudes, ses loisirs, son entourage. Ce qui mettait un peu mal à l’aise ses deux amis. Voyant que Paul les avait vus, ils le saluèrent et celui-ci proposa à son sujet d’étude de faire une pause.

–Bonjour Marie, bonjour Thomas, dit poliment le journaliste. N’ayez crainte, mon article restera généraliste et aucun détail vous concernant ne sera publié, dit-il avec un sourire éclatant et communicatif.

La gentillesse de Paul les rassura. Ils lui demandèrent de les laisser seuls un moment avec Christian. Ils avaient quelque chose d’important et privé à lui communiquer.

–Aucun problème, j’ai des coups de téléphone à passer. Je vous retrouverai plus tard dans votre salle de cours.

Une fois le journaliste parti, Thomas se tourna vers Christian.

–On a fait deux découvertes. D’abord on sait quel est le pouvoir de la sphère de Marie.

–Ah oui ? Et lequel ?

–Un pouvoir de guérison mais on ne sait pas si elle peut tout guérir. Je me suis coupé le doigt hier en préparant le repas. Et maintenant, regarde ! affirma Thomas en montrant son index.

–Mais je ne vois rien...

–Justement ! répondit Thomas. Et ce n’est pas tout, figure toi que nos sphères ne peuvent jamais se mettre en contact. Du moins... la mienne et celle de Marie. Je voudrais faire l’expérience avec la tienne.

–Je veux bien mais on ne peut pas faire çaici.

–Allons dans le labo du cinquième, intervint Marie. J’en suis responsable cette semaine et j’ai les clés. On sera tranquille.

Ils montèrent les escaliers d’un des bâtiments de leur fac et croisèrent leur professeur. Ils le saluèrent.

–Alors, tout se passe bien avec le journaliste ? demanda l’enseignant.

–Oui, mais pour le moment il n’a interviewé que moi, dit Christian.

–Savez-vous pourquoi le doyen nous a choisis parmi tous les étudiants pour cette interview ? demanda Thomas.

–Le doyen ? Il n’y est pour rien, c’est monsieur Redford, le journaliste, qui a réclamé que ce soit vous. Il a même insisté.

–Ah bon ? Euh... très bien, merci monsieur Térault, répondit l’étudiant surpris.

Marie ouvrit la porte du laboratoire avec un trousseau de clés qu’elle sortit de son sac. Les étudiants s’engouffrèrent dans la grande salle et Marie referma la porte en la verrouillant.

–C’est bizarre, Paul nous avait dit que c’était le doyen qui nous avait désignés pour cette enquête, dit Thomas tout en sortant sa sphère de son sac de cours.

–Oui je ne comprends pas non plus, dit Christian qui l’imita en sortant le globe à la galaxie sombre de son sac àdos.

Thomas et Marie déposèrent leurs sphères sur une des tables du laboratoire. Christian essaya de rapprocher la sienne mais ce fut la même constatation : aucune des sphères ne pouvait être mise en contact avec une autre.

–On n’avait pas remarqué ça quand elles étaient dans le coffret, dit Christian.

–Je te rappelle qu’elles n’étaient pas en contact. On ne pouvait pas s’en rendre compte.

Christian essaya de forcer les sphères à se rencontrer mais sans y arriver.

–Tu perds ton temps, on a déjà essayé avec Thomas. C’est tout simplement impossible.

–Impossible pour vous deux ! dit Christian en plaisantant et qui réessaya de toutes ses forces.

Son visage était devenu tout rouge et Thomas se mit à rire en se moquant delui.

–Arrête, tu vas surtout réussir à te fairemal.

Christian dut renoncer. Il reprit son souffle avant de ranger sa sphère à l’aide de son mouchoir. Thomas et Marie firent de même puis ils partirent en cours de biologie moléculaire.

En fin de journée et avant que ne se termine le dernier cours des étudiants, Paul se joignit à eux dans l’amphithéâtre. Il prit quelques notes et lorsque la séance prit fin, il suivit les étudiants hors de la salle.

–J’en ai fini avec toi Christian. Quant à vous deux, je vous poserai quelques questions également. Si vous voulez, on peut même se voir en dehors de lafac ?

–Désolé Paul, ça va être difficile pour nous de t’accorder du temps aujourd’hui, intervint Marie. Par contre tu pourras nous interviewer ici dès demain si tu n’y vois pas d’inconvénients.

Paul paraissait préoccupé, il avait les yeux plissés qui trahissaient à la fois une contrariété et une réflexion. Puis il retrouva soudainement le sourire et leur souhaita une bonne soirée de révision.

Thomas et Marie quittèrent Christian qui se retrouva seul pour rejoindre son studio à quelques stations de métro de lafac.

Lorsque l’étudiant dévala les escaliers de la bouche d’accès au métro qui devait le ramener chez lui, il ne remarqua pas que Paul était juste derrière lui à l’observer. Ce dernier déploya la capuche noire de son sweat-shirt qu’il portait sous son manteau. Il la plaça sur sa tête, cachant au maximum son visage. C’est ainsi qu’il suivit Christian en empruntant la même rame. Un seul wagon les séparait.

Christian sortit du métro puis de la station pour rejoindre son appartement. Le journaliste fit de même et le surveilla auloin.

Une fois chez lui, l’étudiant commença à s’installer à son bureau et remit la main sur ses notes de cours pour travailler. À deux pas de chez lui, Paul rentrait dans un bistro parisien aux allures d’un pub irlandais. Il avait retiré sa capuche et s’installa au fond de la grande salle après avoir accroché son manteau à une patère du mur. L’endroit ne lui était pas étranger. Il avait déjà passé quelques soirées à déguster des bières avec les habitués des lieux. Fixé à un mur, un écran géant diffusait les retransmissions des matchs de football de la semaine.

Il commanda une pression et engagea la conversation avec ses voisins au sujet du match en cours : Chelsea 0 – 0 Manchester. Bien qu’il portait une montre en parfait état de marche, il demandait régulièrement l’heure à ses amis d’unsoir.

Au bout d’une vingtaine de minutes passées dans le bar, il offrit une tournée générale. Puis, peu de temps après, alors qu’il y avait beaucoup de monde dans la salle, il s’éclipsa discrètement vers l’arrière-boutique. Il y avait à sa gauche une petite salle de restauration privée vide, et à sa droite les toilettes dans lesquelles il rentra furtivement. Il mit des gants noirs et déverrouilla la petite fenêtre qui donnait sur l’arrière-cour de l’établissement. Après l’avoir ouverte, il se hissa non sans difficulté hors de la pièce et se retrouva dehors. Il remit sa capuche noire sur sa tête, puis il se dirigea vers la résidence de Christian dont la porte principale était ouverte.

Une fois dans l’immeuble, il s’assura que personne ne montait ou descendait les escaliers et que l’ascenseur était vide. Il monta quatre à quatre les marches pour atteindre le 5ème étage où se trouvait le studio. Il jeta en arrière sa capuche et reprit un moment son souffle. Enfin, il frappa à la porte de l’appartement de Christian.

Dans le studio, le jeune homme se demanda qui pouvait bien lui rendre visite un soir de semaine. Il regarda par le judas et fut étonné de voir Paul qui attendait derrière sa porte. Il lui ouvrit sans se méfier.

–Je peux entrer ? Je n’en ai pas pour longtemps, dit Paul sur le pas de la porte.

–Euh oui bien sûr, entre... Mais comment as-tu obtenu mon adresse ? dit Christian en refermant la porte d’entrée une fois le journaliste à l’intérieur.

–Ça fait partie de mon job de savoirça.

–Voilà mon royaume. Désolé pour le bazar mais j’ai été cambriolé cette semaine et je n’ai pas encore...

Mais l’étudiant s’arrêta soudainement de parler. Le journaliste arborait un air menaçant en lieu et place de son habituel sourire.

–Je veux la Singularité Christian ! Je veux ta sphère et tout de suite.

–De quoi parles-tu ?

–Ne te fatigue pas, je sais que tu l’as sur toi. C’est pour ça que je suislà !

Puis soudain, Christian eut une étrange sensation : il reconnut le vêtement noir surmonté d’une capuche...

–Mais... c’est toi qui m’as suivi l’autre jour ! dit-il rouge de colère. C’est toi qui m’as cambriolé, espèce de salaud.

–Oui, je suis prêt à tout pour l’avoir.

–Va te faire voir ! Elle est àmoi.

–Très bien, tu l’auras voulu...

Paul sortit un couteau à cran d’arrêt de sa poche et se jeta sur son adversaire. Mais Christian réagit aussitôt et fit un pas de côté. Il évita de justesse la lame de quinze centimètres qui termina sa course fichée dans le dossier du fauteuil. Christian lui donna un coup de pied en plein torse qui fit reculer l’agresseur. Pour avoir un avantage sur Paul, il se précipita vers son bureau pour se saisir de sa sphère d’invisibilité. D’un geste il retira le mouchoir qui cachait le globe et empoigna l’objet.

Mais au moment où il se dématérialisait, il se retourna et vit son assaillant attraper la lampe du bureau en métal et lever le bras. Il tenta d’esquiver une nouvelle fois mais Paul lui assena un coup à la tête qui le fit tomber au sol. Le bruit de la chute de Christian se fit entendre jusque chez son voisin du dessous. Il en perdit la sphère de pouvoir qui roula sur le plancher pour finir sous une armoire.

Le choc lui fit perdre connaissance quelques secondes. Juste le temps pour Paul de s’allonger sur le sol et de tendre le bras sous le meuble pour y débusquer l’objet. Lorsque Christian recouvra ses esprits, Paul venait juste de mettre la main dessus. L’étudiant se leva tant bien quemal.

–Sale voleur ! Tu ne t’en tireras pas aussi facilement.

Une lutte s’engagea entre eux. Mais le combat était inégal car Christian était encore sonné du coup qu’il avait reçu sur le crâne. Paul en profita pour extraire le couteau du dossier en bois en tirant dessus d’un coup sec. L’étudiant essaya de lui confisquer mais sans succès. Paul avait à cet instant beaucoup plus de force que lui. Il lui porta un coup en pleincœur.

Christian s’écroula définitivement sur le parquet. Rapidement, une mare de sang l’entoura.

Accompagné du gardien de l’immeuble, le voisin frappa à la porte :

–Tout va bien jeune homme ?

Avec assurance et sans faire de bruit, Paul empoigna la sphère d’invisibilité. De l’autre côté de la porte, comme les deux hommes n’entendirent aucune réponse, le gardien décida d’utiliser le double que Christian lui avait confié. Entièrement invisible, le meurtrier attendit le moment propice pour se faufiler au dehors. Les deux hommes furent horrifiés lorsqu’ils aperçurent le corps de Christian qui gisait sur le sol baignant dans son sang. Le gardien eut une curieuse impression. Il lui sembla que quelqu’un d’autre était présent dans ce petit appartement ! Pourtant après avoir inspecté les lieux, il dut se rendre à l’évidence : il n’y avait personne et la seule fenêtre du studio était fermée.

–J’appelle un médecin, dit le gardien.

Le voisin tâta son pouls : rien !

–Appelez également la police, monsieur Gomez.

La voie était libre pour Paul. Toujours invisible, il saisit ce moment pour s’évader du lieu de son crime. Il dévala les escaliers pour regagner le rez-de-chaussée. Il sortit de l’immeuble en courant et revint rapidement dans l’arrière-cour du bistro. Il repassa ensuite par la petite fenêtre des toilettes qu’il verrouilla derrière lui et plaça la sphère d’invisibilité dans son mouchoir pour la ranger dans une poche de son manteau. Il retourna discrètement à sa place dans le bistro et reprit la conversation avec les autres spectateurs du match.

Peu après dans l’appartement de Christian, une foule avait très vite investi les lieux. Un lieutenant de police du nom de Pierre Leguen était chargé de l’enquête. La police scientifique et technique œuvrait dans tous les coins sans oublier l’escalier et l’ascenseur de l’immeuble à la recherche d’indices et d’empreintes. Après l’interrogatoire des voisins et du concierge, le lieutenant Leguen demanda à ses collaborateurs de récupérer les images vidéo de la rue et de ses alentours pour tenter d’identifier le meurtrier. Il réfléchissait. Ce qui l’intriguait en premier lieu était un détail qu’avaient mentionné le voisin et le gardien : la porte, les fenêtres, tous les accès étaient verrouillés de l’intérieur et les deux hommes n’avaient vu passer personne... C’était pour le moins surprenant. Mais les deux hommes n’avaient pas du tout le profil d’assassins, et surtout ils n’avaient aucun mobile à première vue. Et puis les deux hommes ne semblaient pas idiots : pour faire croire à une telle histoire, ils auraient inventé un hypothétique cambrioleur, pensait le policier. Non... décidément rien ne collait dans cette affaire.

En inspectant le téléphone portable de Christian, il réussit sans difficulté à afficher les derniers appels et textos passés et reçus par la victime. Il retint essentiellement deux noms : Marie et Thomas...

***

Thomas était en train de travailler quand il reçut un appel sur son portable. D’un coup d’œil sur l’écran, il s’étonna de voir affiché le nom de Christian à cette heure-ci.

–Chris ? Que puis-je faire pourtoi ?

–Ici le Lieutenant de police Leguen. Je souhaiterais parler à Thomas ?

–C’est moi, mais...

–Connaissez-vous Christian Breszinsky ?

–Oui bien sûr, c’est un ami ? Pourquoi... que... que lui est-il arrivé ?

Marie, qui se tenait à côté de son compagnon, comprit immédiatement qu’un drame était arrivé. Elle mit sa main sur sa bouche pour étouffer uncri.

–Je ne peux rien vous dire pour le moment. Une voiture de police va venir vous chercher, j’ai des questions à vous poser. Où êtes-vous exactement ?Dites-moi d’abord ce qui lui est arrivé ! dit Thomas d’un ton plus assuré.

L’enquêteur réfléchit un court instant.

–Il a été assassiné dans son appartement, dit l’enquêteur froidement.

La nouvelle épouvanta le jeune couple et leur glaça le sang. Marie éclata en sanglots et Thomas, les yeux humides, donna son adresse au policier.

–Une dernière question : connaissez-vous une certaine Marie ?

–Oui, elle... elle est ici avecmoi.

–Ah... très bien... Attendez tous les deux dans votre appartement, une voiture va venir vous prendre.

À peine cinq minutes plus tard, la voiture de police arriva et deux policiers les conduisirent directement au commissariat. Là-bas, le responsable de l’enquête n’était pas encore arrivé. Le lieutenant Leguen était encore affairé sur la scène du crime. Les étudiants eurent à patienter une bonne heure sur un banc dans une pièce exigüe et sordide avant qu’un fonctionnaire de police ne mette fin à cette pénible attente. Il demanda à Thomas de le suivre. Marie se leva aussi.

–Non, mademoiselle. Juste lui, dit le policier en montrant Thomas du doigt.

Marie se rassit avec les larmes aux yeux. Thomas la prit dans ses bras un moment pour la calmer.

Puis, emmené dans un bureau de taille moyenne, Thomas fut invité à s’asseoir devant le lieutenant Leguen qui venait juste d’arriver. Thomas ne cacha pas sa colère.

–Cela fait plus d’une heure qu’on attend ici sans nous donner la moindre information !

–Un peu de sang-froid, monsieur Bertaud. J’ai été retardé sur les lieux du crime. Cette affaire me donne déjà beaucoup de fil à retordre... Mais peut-être pouvez-vous m’éclairer ? Christian était un étudiant en médecine si j’ai bien compris. L’êtes-vous également ?

–Oui et Marie aussi.

–Marie est votre petite amie, c’estça ?

–C’est exact.

–Où étiez-vous entre 18h et20h ?

–Dans ma chambre d’étudiant. Nous étions, moi et Marie, en train de réviser nos cours de la journée.

–Qui était-il pour vous, à part un camarade de classe ?

–Un ami... un ami très proche.

–Christian vivait seul. L’avez-vous déjà senti intéressé par votre compagne ?

–Non ! Bien sûr que non... s’indigna Thomas. Il n’y a jamais rien eu entre eux, j’en suis certain.

–Ne vous méprenez pas Thomas, ce ne sont que des questions de routine. Il est normal que j’interroge les proches de la victime, vous ne croyezpas ?

–Dites-moi comment il est mort et qui soupçonnez-vous ?... À partmoi.

–Il a été poignardé en plein cœur. Le mobile ne semble pas être le vol car les objets de valeur qu’il possédait n’ont pas été dérobés à première vue, dit l’enquêteur qui scrutait Thomas, essayant de toute évidence de déceler la moindre émotion ou un comportement suspect.

–C’est affreux... Mais pourquoi ?

–Ça, je l’ignore pour le moment. Je croyais qu’en tant qu’ami très proche de la victime vous m’auriez renseigné sur ce point. Apparemment il vivait loin de ses parents et du reste de sa famille – nous nous sommes chargés de les prévenir - Avait-il des ennemis ? Des personnes qui lui en voulaient ? Était-il un élève brillant ?

–Christian est... était un garçon très gentil, un peu fêtard sans plus. Un étudiant normal je dirais. Des ennemis ? Pas que je sache, je ne vois personne qui pouvait lui en vouloir personnellement. Il était très consciencieux dans ses études et même un passionné, il n’aurait peut-être pas fait le meilleur spécialiste de la capitale, mais il aurait fait un très bon médecin, j’en suissûr.

–De la drogue ?

–Je vous demande pardon ?

–En prenait-il ? Avait-il des dettes? Vous me comprenez ?

–Christian n’était pas endetté et n’avait pas de penchant pour la drogue. En tant que futur médecin, c’est presque inconcevable.

–Oh, vous savez, on voit de tout ici, dit Leguen en se penchant en arrière sur son dossier. Il suffirait qu’il ait ressenti le besoin un jour d’un petit coup de pouce pour affronter ses examens par exemple...