Les trois dames de la Kasbah - Pierre Loti - E-Book

Les trois dames de la Kasbah E-Book

Pierre Loti

0,0
0,49 €

oder
-100%
Sammeln Sie Punkte in unserem Gutscheinprogramm und kaufen Sie E-Books und Hörbücher mit bis zu 100% Rabatt.
Mehr erfahren.
Beschreibung

Sous le soleil aveuglant d’Alger la blanche, Kadidja et ses deux filles vivent dans la Kasbah où elles vendent leurs charmes. Les jeunes matelots français en escale découvrent avec elles les plaisirs de l’Orient, mais aussi ses dangers...

Das E-Book können Sie in Legimi-Apps oder einer beliebigen App lesen, die das folgende Format unterstützen:

EPUB
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Pierre Loti

Les trois dames de la Kasbah

Conte oriental

Copyright

First published in 1884

Copyright © 2020 Classica Libris

Les trois dames de la Kasbah

I

Au nom d’Allah très clément et très miséricordieux !

 

II était une fois trois dames qui demeuraient à Alger, dans la Kasbah.

Et ces trois dames s’appelaient Kadidja, Fatmah et Fizah. Kadidja était la mère ; Fatmah et Fizah étaient les deux filles.

II

Et ces trois dames s’ennuyaient beaucoup, parce que, tant que durait le jour, elles n’avaient rien à faire. Quand elles avaient fini de peindre leur visage de blanc et de rose, et leurs grands yeux de noir et de henné, elles restaient assises par terre, dans une petite cour très profonde, où régnaient un silence mystérieux et une fraîcheur souterraine.

Autour de cette cour, une colonnade de marbre blanc soutenait des ogives mauresques ornées de faïences bleues, et, tout en haut, cette construction antique s’ouvrait en carré sur le ciel.

Pour entrer dans la maison de ces trois dames, il n’y avait qu’une seule petite porte, si renforcée et si basse, qu’on eût dit une porte de sépulcre. Elle ne s’ouvrait jamais qu’à demi, en grinçant sur ses vieilles ferrures, et avec un air sournois de chausse-trappe.

Les fenêtres – sortes de trous irréguliers, grands à peu près comme des chatières – étaient garnies de lourdes grilles scellées dans la muraille ; c’étaient des judas qui semblaient percés pour des regards furtifs de personnes invisibles et qui ne recevaient aucune lumière du dehors – car les maisons centenaires, en se rejoignant par le haut, faisaient voûte au-dessus de la rue déserte, et jetaient sur les pavés des demi-obscurités de caracombes.

Tout était vieux, vieux, dans la maison de ces trois dames, si vieux, que le temps semblait avoir rongé la forme des choses. Les murs n’avaient plus d’angles ; il n’y avait plus de saillies nulle part ; on ne savait plus quelles fleurs de pierre ni quels enroulements d’arabesques les artistes d’autrefois avaient voulu représenter aux chapiteaux des colonnes, aux frises des terrasses : des couches de chaux, amassées depuis des siècles, embrouillaient tout dans des rondeurs vagues. De petites ouvertures se dissimulaient çà et là dans l’épaisseur des murailles, conduisant à des recoins pareils à des oubliettes ; ces ouvertures n’avaient plus forme de porte, tant elles étaient usées par l’âge, et on eût dit de ces creux que font les bêtes pour entrer dans leurs demeures sous la terre. Seulement c’étaient des tanières blanches, toujours blanches : la chaux immaculée les recouvrait comme d’une onctueuse couche de lait, et tout se confondait dans ses blancheurs molles.

Les marches et les dalles paraissaient toutes gondolées, tant les babouches et les pieds nus des femmes y avaient tracé de sillons ; le marbre des colonnes torses avait pris cette teinte jaunie et ce poli particulier que donnent les frôlements des mains humaines quand ils ont duré des siècles – et qui est une des manifestations de la vétusté.

Seules, les fleurs imaginaires peintes sur les carreaux de faïence plaqués aux murs, avaient gardé sous leur vernis – à travers l’évolution des temps – leurs fraîches couleurs bleues.

III

Tout cela s’était immobilisé, comme les rues de la vieille Kasbah, sous le ciel de l’Algérie, et les moindres détails des choses ramenaient l’esprit bien loin dans le passé mort, dans les époques ensevelies des anciens jours de l’Islam.

IV

L’air, la lumière, tombaient en longue gerbe, dans cette maison murée, par le grand carré béant de la cour intérieure. Rien n’y venait de la rue, rien des maisons voisines ; on communiquait directement avec la voûte du ciel – avec ce ciel de l’Algérie, quelquefois sombre les jours d’hiver, quelquefois terni par le soleil les jours d’été, quand soufflait le sirocco du Sahara – mais le plus souvent bleu, d’un bleu limpide et admirable.

C’était bien cette solitude de cloître, qui caractérise les demeures arabes, et révèle à elle seule tous les soupçons jaloux, toutes les surveillances farouches de la vie musulmane.

V

Le soleil tombait d’en haut, glissant le long de toute cette blancheur des murs, s’éteignant par degrés, pour arriver, en lueur douce et diffuse, en bas, où la chaux mêlée d’indigo avait un rayonnement bleu. C’était comme une lumière azurée de feu de Bengale ou d’apothéose, qui tombait sur le sommeil des trois dames assises. Et, ainsi éclairées, tout le jour elles poursuivaient dans le silence leurs rêves indécis, aussi ténus que les fumées du kif.

En se cambrant comme des aimées, elles appuyaient leurs têtes contre le marbre des colonnes, et relevaient au-dessus leurs beaux bras nus, ornés de bracelets d’argent, de corail et de turquoises. Le fauve de leurs bras ronds contrastait avec le rose artificiel et la pâleur peinte de leurs visages ; elles avaient l’air de figures de cire ayant un corps d’ambre ; leurs grands yeux, tout noyés dans du noir, se tenaient baissés avec une expression mystique. Leurs vestes et leurs babouches étaient dorées ; elles étaient toutes brillantes de vieux bijoux très lourds qui faisaient du bruit quand elles levaient leurs bras ; elles avaient au front des ferronnières d’argent.

VI

Dans cette pénombre bleue, elles semblaient des êtres chimériques, des prêtresses accroupies dans un temple, des courtisanes sacrées dans un sanctuaire de Baal.