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Lors de travaux, un corps est retrouvé à l'arrière de l'usine d'une petite ville du Sancerrois. Un an après leur première enquête ensemble, Gab et Garnier reprennent donc du service pour ce qui ressemble à un simple règlement de comptes pour une histoire d'argent. Un témoignage étrange va pousser les agents à chercher plus loin dans la quête supposée de leur victime. Entre querelles et questionnements personnels, ils vont devoir déterrer le passé d'une famille et d'une ville dont le seul témoin restant est un vieil homme à la mémoire défaillante.
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Seitenzahl: 264
Veröffentlichungsjahr: 2023
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À la mémoire de Manu, maire dévoué et amoureux de sa ville.
Un grand merci à Madame et Monsieur de la Rochère pour leur disponibilité.
Merci à Coralie et Soazig pour leur patience.
Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d'une pure coïncidence. Mon imagination seule a creusé ces nouveaux passages.
PROLOGUE
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
17 juin 2019, Menetou-Râtel
Il était 23 h 30 et la nuit était tombée depuis longtemps sur la commune. C’est dans une obscurité presque totale qu’Amaury Brassard s’était lancé en excursion. Pas un chat, pas une âme qui vive dans le village de cinq cents habitants. Le cabaret non loin de là avait ses portes closes et tous les volets d’habitation étaient fermés sur des pièces sans lumière. Peu importait finalement pour l’homme de trente-deux années au compteur. Il était dans un endroit bien trop isolé pour que le moindre voisin ne l’inquiète. Dans la bâtisse où il se trouvait, rien ne menaçait sa tranquillité. Il trouvait même une certaine fierté à sa promenade. À ce moment précis, il avait le sentiment d’être retombé en enfance. En plein milieu de la nuit, il se baladait avec une lampe torche dans le genre de demeure qui pourrait facilement servir à n’importe quel film d’horreur digne de ce nom. Il se sentait aventurier et courageux. L’idée que sa famille désapprouverait fortement lui effleura alors l’esprit pour le galvaniser davantage.
« Ton frère, lui, n’aurait pas eu l’imbécillité de faire ce genre de choses », lui rétorqueraient sans mal ses parents, le rabaissant une fois de plus au rang de vilain petit canard du clan.
Mais, si la promenade le menait là où il l’espérait, toutes ces moqueries cesseraient. Il en était persuadé. Les années d’humiliation et de frustration ne seraient bientôt plus que de vagues souvenirs et l’homme pourrait enfin redresser le torse et avoir la vie qu’il méritait.
Une planche craqua dangereusement sous ses pieds, lui rappelant la fragilité de l’espace qu’il arpentait. Un peu de lumière sur le sol le conforta dans l’idée qu’il pouvait tout de même continuer sa progression. De la main, il repoussa une toile d’araignée et pénétra dans une pièce aux gigantesques fenêtres brisées et aux volets bâillant. Amaury n’avait absolument rien à faire à l’étage, mais, la curiosité et l’éventualité de trouver plus qu’il n’était censé le faire l’avait poussé à allonger la visite. Il était seul au milieu de nulle part et avait la nuit devant lui. Sa petite amie le croyait d’équipe de nuit sur son lieu de travail. Des heures entières s’offraient à lui. Dans l’ouverture de ce qui devait être une chambre bien des années plus tôt, un gigantesque pré se dévoilait, agrémenté d’un bosquet aux feuilles frémissantes. La demi-lune éclairait à peine. Seul le bruit de la légère brise caressait les oreilles d’Amaury. Il reposa son épaule un instant contre l’encadrement abîmé près de lui et remplit ses poumons de l’air pur de cette campagne qu’il ne connaissait finalement pas tant qu’il l’aurait cru. Il s’en était toujours moqué. Il s’en moquait encore. Il ferma les yeux un instant, profitant d’une courte pause, tenta de calmer l’excitation de sa quête. Quelques secondes. Un sursaut. En rouvrant ses paupières, son sang se glaça. Une ombre humaine, près des arbres plus bas, semblait figée dans sa direction. Elle était loin. Trop loin pour en percevoir les détails. Les habits étaient sombres ; les cheveux aussi. Seule la pâleur du visage était suffisamment tranchante pour constater qu’il était tourné du côté du visiteur. Un frisson parcourut Amaury. À presque minuit, à l’écart de tout, sur un terrain désert, cette présence intruse était peu rassurante. S’agissait-il d’un gardien ? Un voisin chargé de surveiller le domaine pendant l’absence de ses propriétaires ? Ce qui semblait être un homme, d’après la carrure grande et carrée, restait debout, immobile, tourné vers lui. Impossible de voir si le regard était vraiment posé sur lui. Il appuya sur le bouton de sa lampe torche, espérant se fondre dans le noir le plus total. Sa deuxième main se resserra sur le sac à dos à la couleur turquoise criarde de sa copine, gribouillé du prénom de celle-ci, rempli du matériel du jeune explorateur en herbe, de son portable et d’un minuscule couteau suisse. Rien là-dedans ne lui permettrait réellement de se défendre, mais il n’aurait jamais cru en avoir besoin. De longues minutes passèrent sans qu’aucun des deux visiteurs ne bouge ne serait-ce que d’un millimètre. L’idée que la chose devant lui puisse être un simple épouvantail qu’il n’aurait tout simplement pas vu plus tôt lui effleura alors l’esprit. Bien entendu. Cela ne pouvait être que cela. Les arbres fruitiers alentour s’étaient probablement vus protégés par ce gardien incongru qu’Amaury n’avait perçu qu’au dernier moment. Il pouffa alors, se moquant de lui-même et recula d’un pas, décidé à reprendre sa visite, non sans jeter un dernier coup d’œil en direction du spectre. « Un épouvantail, Amaury ! Une saloperie d’épouvantail alors respire ! » murmura-t-il pour lui-même. Un deuxième craquement le sortit de son restant de torpeur. Celui-ci n’était pas innocent. Le parquet s’affaissa, provoquant d’abord un léger déséquilibre. En une fraction de seconde, le reste du sol se fissura. La torche éteinte, Amaury ne put qu’entendre le bruit du monde s’effondrant sous son poids. Dans un dernier geste terrorisé, il tenta de se raccrocher au bord de la fenêtre, en vain. Mais, plus que le fait d’être sur le point de chuter de ce deuxième étage de poussière et de ruines, sa plus grande crainte vint de la dernière image aperçue avant de céder. Celle de l’ombre au loin, soudainement vivante, se déplaçant dans sa direction.
***
Un an plus tard, décembre 2020, Menetou-Râtel,
21 °C. Le temps n’était pas réellement de saison. Alors que des flocons de neige auraient été plus appropriés à l’ambiance hivernale, de larges rayons de soleil transperçaient la vitre de la cabine de la mini-pelle d’Hervé. Il était arrivé en avance, comme tous les matins. Il s’agissait de son rituel. Habitant à dix kilomètres à peine du chantier, il pouvait se permettre de se lever à la dernière minute et trouver encore le temps d’arriver avant ses collègues. Il avait commencé par pester contre le déplacement de son engin. Un peu maniaque, il n’aimait pas vraiment que l’on touche à ses affaires et perturbe son organisation.
Le visage tendu vers l’astre lumineux, il ferma les yeux, profitant du calme autour de lui pour se détendre. La fumée de la cigarette vola devant ses yeux avant de libérer la vue sur l’usine qui l’employait. Sept voitures se trouvaient déjà sur place. Celles de l’équipe de l’entreprise pratiquant les 3/8. Arrivé 8 h au clocher de l’église non loin de là, une flopée de voitures déboula du chemin d’accès au parking. La fumée blanche des gravillons fraîchement éparpillés obstrua rapidement le périmètre. Aucun regard ne se tourna vers l’homme à la cigarette, devenu par la force de l’habitude, un élément de plus dans le décor. Les allers-retours des employés du chantier ne préoccupaient plus personne depuis longtemps. Un bruit de camion familier se fit alors entendre. Le patron d’Hervé ainsi que ses collègues avec le reste du matériel déboulèrent dans le virage pour s’installer à une centaine de mètres de lui.
La journée de travail allait pouvoir commencer. Il balança son mégot sur le sol et tendit la main au reste de la troupe en échangeant quelques banalités sur le week-end et le programme de la journée. Après avoir confirmé le tracé de la tranchée à faire, il regagna son véhicule et enclencha le contact. Les vibrations de la pelle creusant la terre et les caillasses reposant ici depuis des décennies le sortirent de son restant de sommeil. Le week-end n’avait rien eu de reposant. Ce beau temps exceptionnel avait vite convaincu sa petite famille qu’une longue promenade dans un parc d’attractions serait plus que bénéfique pour les enfants fraîchement en vacances. Le pauvre homme avait donc quasiment passé l’intégralité des dernières 48 heures à courir après les marmots aux anges, pressés de tester chaque attraction avec l’attente qu’elles imposaient. Si le sourire de sa progéniture n’avait pas de prix, elle avait, en revanche, un contrecoup sur sa santé physique et parfois même sa patience. Il compatit alors, l’espace de quelques secondes, au sort de sa belle-mère servant de nourrice durant ces périodes. Un sourire moqueur apparut naturellement sur son visage jusqu’à ce que l’engin n’accuse une secousse étrange, le sortant cette fois-ci de ses pensées. Les terres regorgeaient de pierres de toutes tailles. Il avait eu l’occasion d’en extirper une quantité phénoménale depuis que l’agrandissement de l’entreprise avait commencé. De grands signes plus loin attirèrent son attention. Son chef s’approcha en portant la voix au-dessus de la machine. Perdu dans ses histoires familiales, il avait creusé un peu plus d’un mètre de trop sur sa ligne.
— Tu as l’intention de transformer cette usine en château fort ! railla son supérieur.
Hervé secoua la tête en levant la main, signalant qu’il avait réalisé son débordement. Il fronça les sourcils devant l’expression étrange de son patron. Ce dernier suivait le mouvement de la pelle remontant lentement jusqu’au moment de réaliser qu’autre chose se mêlait à la terre et aux cailloux. Les yeux du conducteur s’écarquillèrent et la couleur du visage de son chef rejoignit rapidement celle des cailloux poussiéreux.
Un corps décomposé, encore entravé de morceaux de tissus déchirés, était coincé dans la mâchoire métallique. Les deux hommes n’avaient beau avoir aucune connaissance dans le domaine criminel ou anthropologique, l’équipement et les lambeaux sous leurs yeux révélaient tout de même clairement un évènement horriblement récent. De toute évidence, il ne s’agissait pas d’un simple squelette datant d’une autre époque. Hervé coupa le contact, machinalement, n’osant plus bouger le bras du véhicule. Sa respiration se fit pénible. L’état de choc était plus qu’évident.
— Ne touche plus à rien. J’appelle la gendarmerie ! lança le patron avant de courir vers l’usine.
L’homme traversa l’entreprise, l’expression perturbée, attisant cette fois-ci la curiosité des employés de fabrication et de finition. Des visages curieux tentèrent d’apercevoir le problème au travers des baies vitrées, en vain. Les autres maçons s’étaient regroupés autour d’Hervé, cachant l’objet de l’effervescence. La journée était finie. Ils en étaient persuadés. D’ici peu de temps, l’endroit serait totalement encadré par les gendarmes. Hervé était resté tétanisé devant le bras de son engin gardant presque amoureusement sa trouvaille macabre. Le père qu’il était s’était convaincu qu’il devait s’agir d’un adolescent. Le corps était dans un bien trop mauvais état pour le deviner, mais, pour lui, le sac à dos à la couleur suffisamment criarde pour ressortir ne pouvait résolument pas appartenir à un adulte : un bleu turquoise gribouillé d’un prénom indéchiffrable.
Bué, région Centre, domicile de Gabrielle Lorcat,
Une grimace déforma la figure de Gabrielle Lorcat. Sa manie de se balader pieds nus dans la pelouse lui avait valu maintes fois de mauvaises surprises. Cailloux en tous genres et orties avaient déjà laissé leurs traces sous les voûtes plantaires de la jeune femme. Et pourtant. Cinq mètres à peine séparaient la porte-fenêtre donnant sur l’arrière de sa maison au filet de linge. Pourquoi s’embarrasser de chaussons ? Elle avait toujours adoré la sensation des brins de verdure sur sa peau. Le rhume des foins apparu à l’adolescence n’avait jamais rien ôté de son plaisir à être au plus près de cette nature, même lorsque celle-ci se faisait gentiment blessante. Elle gratta énergiquement l’endroit de la piqûre et ramassa les derniers bouts de linge avant de rejoindre son salon. Elle balança les vêtements désormais secs sur le bout du long canapé. Le meuble était visiblement le trône attitré du seul espace semblant habité. Gabrielle avait emménagé dix ans plus tôt lors de sa prise de fonction à la gendarmerie de la ville voisine. D’abord heureuse de cette prise d’indépendance salutaire, elle s’était vite lassée de cette nouvelle maison trouvée à la hâte sans coup de foudre aucun. Rien n’y était accroché aux murs. Aucun effort de décoration particulier n’apparaissait en dehors d’une plante en plastique sur le meuble de télé et de la collection de bougies parfumées constamment allumées. Une pièce lui servant de bibliothèque trahissait son côté « geek » mais, en dehors de ça, le salon était le seul espace accusant trace d’une vie sur place. Un éternel amoncellement d’articles et de journaux avait définitivement pris sa place sur la table basse, cohabitant avec l’ordinateur portable. Les actualités du jour de la région s’affichaient sur l’écran 17 pouces.
« 1 an après, que reste-t-il de l’affaire Darrencourt ? » « Que devient Eléanore Pauron ? »
Gabrielle s’affala entre deux coussins, se mouchant une énième fois tout en relisant l’article. Son équipe et elle s’étaient chargées de l’enquête un an plus tôt. Emmanuel Darrencourt, enseignant de la région, avait cru bon de calmer ses névroses en traînant ses anciens souffre-douleurs sur des bûchers au milieu des vignes alentour. D’incendie en incendie, des fausses pistes avaient amené l’accusation à tort d’un gamin du coin, Martial, et la mise en danger de Sabine Perigeon, meilleure amie de Gabrielle, qui s’était amourachée du véritable coupable sans le savoir. Au moment où l’affaire semblait réglée, une personne avait fait irruption dans le dossier. Eléanore Pauron, ancienne élève de Darrencourt, avait accusé les agents du meurtre de son enseignant. Un passif psychologique chargé avait dévoilé une adolescente en souffrance, persuadée de l’existence d’une relation particulière avec son professeur. Des lettres agressives et plusieurs menaces de mort de sa main remplirent rapidement la boîte aux lettres de la gendarmerie. Grâce ou à cause des réseaux sociaux, Eléanore avait rapidement trouvé les noms des principaux enquêteurs. Une première convocation puis une arrestation exacerbèrent la folie de la harceleuse qui attaqua une jeune gendarme en guise de représailles. Une année était passée et, friands d’histoires macabres et en manque d’informations plus croustillantes, les journaux fêtaient le triste anniversaire avec des gros titres.
Pour Gabrielle, il s’agissait également d’un autre anniversaire : celui de la première enquête dans le coin d’un agent de Paris fraîchement muté, Sébastien Garnier. L’association de Gabrielle et Garnier, d’abord houleuse, avait, au fil des mois, trouvé un certain équilibre. Les prises de bec et mauvaises blagues de toutes sortes étaient actuellement au même nombre de chaque côté. La sonnerie de son téléphone portable l’extirpa de sa lecture. Le numéro du poste s’afficha et la voix d’Antoine Richard, son deuxième collègue, résonna dans le haut-parleur mal réglé.
— Je suis certain que tu t’ennuyais, lança-t-il sans formule de politesse.
— Crache le morceau, se contenta-t-elle de répondre.
— Menetou-Râtel, tu connais ? À 5 kilomètres de chez toi. Une surprise t’attend sur le parking derrière l’usine de la ville. Je t’attends.
— Du genre plaisant ? tenta-t-elle, connaissant malheureusement déjà la réponse.
— Du genre qui va t’occuper un petit moment. Ah ! Les congés de Garnier étant terminés, tu seras heureuse d’apprendre qu’il nous rejoindra directement sur place.
Le sourire moqueur de Richard n’avait pas besoin d’être visible. Il s’entendait sans mal. Il avait lui-même eu du mal à s’accommoder au dernier venu de l’équipe avant d’en faire le « meilleur pote » qu’il était désormais. La relation chien et chat de ce dernier avec Gabrielle était alors devenue sujet de plaisanteries en tous genres. Gabrielle raccrocha sans un mot de plus, adoptant la même attitude que Richard et inspira profondément. Garnier n’avait pas donné de nouvelles depuis son retour de Paris pour ses vacances. Le silence était même étonnant de sa part. Elle ne savait pas trop si ce fait devait la réjouir ou l’inquiéter. Après tout, elle avait dressé une barrière entre lui et elle, décidant qu’il serait trop risqué de s’y attacher. Il ne lui restait tout simplement plus qu’à se tenir à sa propre résolution.
À quelques kilomètres de là, Sébastien Garnier tapotait le volant de sa voiture au rythme de la musique hurlant dans l’habitacle. Presque une année était passée depuis son arrivée en province et il s’était lui-même agréablement surpris pour son adaptation. La maison qu’il louait se meublait de plus en plus d’affaires personnelles et ses nouvelles habitudes lui plaisaient plus qu’il ne l’aurait imaginé le jour où il avait débarqué ici. Ses chaussures enfoncées dans la boue d’un champ brûlé lui revinrent aussitôt en mémoire, en même temps que les regards moqueurs de ceux qui allaient lui servir de collègues. Les vannes sur le fait qu’il vienne de la ville, elles, n’avaient jamais cessé. Les tacles étaient plus affectueux que mauvais et il s’inquiétait même des moments où il n’y avait pas droit. Il avait passé les vacances à la capitale auprès de sa famille toujours aussi inquiète de le savoir « perdu en pleine campagne ». Les photos de Richard et Julien, ses nouveaux collègues, l’entourant de verres de vin fièrement dressés les avaient rassurés sur le fait qu’il était bien entouré et visiblement heureux. Il s’était en revanche bien gardé de montrer celles où figurait sa principale collègue, percevant d’avance les questions auxquelles il serait encore difficile de répondre pour le moment. L’hiver était là, mais les températures presque estivales l’avaient poussé à ouvrir les fenêtres au maximum ; il adorait sentir le vent lui fouetter la figure. Les vallées vigneronnes défilaient de chaque côté de la route, à peine cachées par l’allée d’arbres majestueux apportant un peu d’ombre à la route bitumée. Ce paysage qui l’avait tant refroidi à son arrivée à cause de son manque de civilisation avait fini par lui apparaître comme ressourçant. Et puis, Paris n’était jamais loin dans son cœur. Une photo de la tour Eiffel scintillante lui servait de fond d’écran sur son téléphone portable.
Huit kilomètres plus loin, le panneau d’entrée du village apparut. Une intersection se présenta devant lui et il réalisa que s’il avait pris le temps de regarder les panneaux de direction, il serait déjà sur place. Son orgueil lui interdisait d’appeler Gabrielle pour avouer qu’il s’était perdu. Il stoppa quelques secondes, près des conteneurs de tri d’ordures et d’un gigantesque sapin de Noël, pour interroger son GPS. Simplement en relevant le nez, il aperçut un bâtiment à la taille impressionnante tout près d’un chantier. Un gendarme au loin lui faisait de grands gestes à l’entrée d’un parking, guettant visiblement son arrivée. Il put rejoindre alors le chemin d’accès à la scène de crime, à l’arrière du complexe. La silhouette qu’il aperçut en premier le fit sourire aussitôt. Il s’amusa du fait que, même par cette chaleur, sa collègue ne se séparait jamais de son jean et de ses bottes.
— Elles sont collées à tes jambes, ma parole !
Gabrielle Lorcas se tourna vers lui, sans surprise, l’air blasé, mais surtout les yeux rouges et larmoyants. L’épidémie virulente de grippe de cette année ne l’épargnait pas plus que le rhume des foins l’été.
— Actifed, tu connais ? Y a-t-il un seul moment de l’année où ton nez arrête de couler !?
— Ce n’est pas la grippe, c’est ton eau de toilette, rétorqua-t-elle avec un grand sourire.
Elle remit une mèche de ses cheveux châtain roux derrière son oreille puis renifla nerveusement. Le teint d’ordinaire laiteux se voyait coloré par les gerçures du mouchoir et les cernes provoqués par le manque de sommeil. Difficile de dormir avec une conjonctivite.
Richard, leur confrère, se fraya un chemin au milieu de l’équipe scientifique en secouant la tête pour se débarrasser de la terre qui s’y était logée.
— Il n’a rien trouvé de mieux que se placer sous la mini-pelle au moment où ils l’ont déplacée, expliqua Gabrielle.
— Le petit malin au volant n’a pas cru bon de prévenir qu’il bougeait ! bouda Richard. Le corps va être rapatrié à Tours.
— De quel siècle date ce… squelette, pour qu’on nous dépêche sur l’affaire ? Je ne suis pas archéologue ! Les vestiges d’antan ne sont pas de mon ressort, lança Garnier.
— « Monsieur » a mieux à faire ? demanda Richard. La circulation, ça t’intéresse ?
— Non, renchérit Gabrielle, « Monsieur » avait prévu de « torcher » sa paperasse en retard de six mois, bien au chaud au bureau devant sa petite infusion.
Leur supérieur tempêtait depuis un moment pour obtenir les derniers rapports de l’agent, peu enthousiaste aux formalités administratives. Il se contenta de feindre le rire avant de se voir coller un papier boueux sous le nez.
— Ton « antiquité » a eu le droit de conduire des jolies machines à moteur il y a 10 ans de cela, lança Gabrielle sans lâcher ce qui était assurément un permis de conduire.
— Une disparition récente ? demanda Garnier sur un ton plus sérieux.
— Je n’avais pas fait le rapprochement avant de tomber sur les papiers, expliqua Richard. On nous a signalé la disparition d’un aide-soignant de la maison de retraite de Sury-en-vaux il y a quelques mois de cela. Il n’est désormais plus disparu. Amaury Brassard, 32 ans. Julien et moi avions interrogé les parents et la petite amie. Les premiers accusaient la deuxième de lui vider le compte en banque et elle les accusait de le rabaisser continuellement sur le fait qu’il n’ait « financièrement » pas réussi sa vie. Après un petit tour dans les comptes, ceux-ci étaient effectivement vides. Nous avons retrouvé de multiples passages au casino de Pougues-les-Eaux où il repartait plus fauché qu’en arrivant. Il n’y avait pas de corps, plus de voiture et un sac à dos avec quelques affaires manquantes. Tout indiquait la simple fuite. Un avis de recherche a été transféré à droite, à gauche, sans résultat, bien entendu. Et pour cause…
— Peut-être devait-il de l’argent à certaines personnes plus susceptibles qu’un banquier, suggéra Garnier.
— Ce n’est pas en tuant quelqu’un que l’on récupère l’argent qu’il nous doit, marmonna Gabrielle en se rapprochant des scientifiques. Je peux ?
Un homme en combinaison lui tendit le sac à dos turquoise en piètre état. Elle enfila une paire de gants et l’ouvrit.
— Et puis, je doute qu’un « professionnel » ait pu laisser les affaires permettant d’identifier le corps au même endroit.
Elle fronça les sourcils en affichant une moue étrange. Elle releva le nez sur le corps libéré des dents de sa prison.
— Quoi ? s’impatienta Garnier.
— Plusieurs torches avec des piles de rechange, de la cordelette. C’est plutôt étrange comme équipement. Si tu veux fuir une ville, il y a sûrement plus de chance que tu prennes des fringues plutôt que les affaires du parfait petit explorateur, non ?! De plus, le portefeuille où se trouvait ce permis n’a pas été vidé de ses billets. Rien de crapuleux. Il faut retourner interroger les proches. Des recherches ont été faites sur la voiture ?
— La plaque a été transmise partout, répondit Richard, vexé d’être passé à côté d’éléments importants.
— Elle est peut-être encore ici, suggéra Garnier.
— Eh bien, retournons cette région et reprenons tout de zéro.
— C’est grand comment ici ? demanda Garnier.
— Cinq cents habitants. Une mairie, une école, des chèvres, un charcutier, des champs et des vignerons… tout ce que tu aimes !
Garnier ne releva pas la petite réflexion le renvoyant à ses premiers a priori en arrivant dans le coin. Il se tourna vers l’usine, se sentant observé.
— Il y a soixante personnes là-dedans. Et je ne pense pas qu’on retrouve des morts tous les jours sur leur parking. Forcément, ça intrigue, rajouta la jeune femme.
— Oh, interpella au loin Richard. On a tout ce qu’il nous faut pour le moment. Au poste !
***
Poste de gendarmerie de Sancerre,
Julien Courrieux, le « bleu » de l’équipe, avait déjà le nez collé sur son écran d’ordinateur depuis huit heures du matin. Le plus jeune de l’équipe s’était aussi révélé le plus expérimenté d’une technologie qui énervait considérablement son voisin de bureau, Richard. Ainsi, Julien s’était vu rapidement confier les tâches de recherches informatiques et, comme si cela allait de soi, celles des archives papier. « Ça va ensemble », avait décrété Richard. Le petit nouveau n’était pas dupe. Il s’agissait là moins de bizutage que de se débarrasser de la tâche la plus ingrate de la fonction. Il ne s’en plaignait pas pour autant, appréciant bizarrement ce travail de recherche qu’il trouvait gratifiant. Mais, son passe-temps préféré restait l’observation. L’expérience de Richard et les escarmouches incessantes de Gabrielle et Garnier lui apportaient autant d’informations que d’attractions dans ses journées.
À l’arrivée du reste de l’équipe, le dossier de la disparition d’Amaury Brassard, retrouvé sans mal, attendait alors déjà sur le coin de son bureau. Gabrielle s’en saisit alors après un regard reconnaissant tandis que Garnier regagnait sa chaise et le « fouillis » de rapports à remplir encombrant son espace de travail. Une moue dubitative se dessina sur le visage de sa collègue. Bien trop peu de feuilles à son goût dans ledit dossier. Les divers témoignages paraissaient peu concluants. Chaque partie se rejetait la faute du départ précipité sans aucune preuve et rien d’autre à offrir que la simple animosité.
— C’est quand même aberrant de se dire que cet homme est mort il y a des mois sans que personne ne soupçonne quoi que ce soit, s’indigna Julien.
— Tout le monde pensait qu’il s’était enfui. Un rapport psy basé sur les divers témoignages appuyait le constat. Comme quoi…, murmura Gabrielle.
— Un problème avec les psys ? demanda Garnier en se balançant sur sa chaise. Le tien a renoncé trop vite ?!
— Je n’ai jamais mis les pieds chez un psy, mais il se pourrait que j’y sois bientôt obligée.
— Pour quelle raison ? s’étonna Garnier.
— C’est obligatoire lorsque l’on frappe un collègue.
Elle lui fit de nouveau son plus beau sourire qu’il lui rendit avec autant de plaisir.
— As-tu remarqué que cette région était bien plus tranquille avant que tu arrives ? demanda-t-elle. Peut-être portes-tu malheur !
Il replaça les quatre pieds de sa chaise sur le sol et appuya son menton sur son poing, le coude posé sur son bureau. Il inspira bruyamment en mimant l’amoureux transi. Ses réflexions lui glissaient dessus sans aucun autre effet que l’amusement. Elle leva les yeux au ciel avant de les replonger dans le dossier à la recherche des adresses des proches.
— Au fait, coupa Garnier, comment va Sabine ?
Sabine, la meilleure amie de Gabrielle, s’était faite très discrète depuis sa mésaventure avec le fameux Emmanuel Darrencourt, star involontaire des actualités de la région.
— Comme quelqu’un qui s’est retrouvé dans la cave d’un fou furieux à l’allumette facile, répondit-elle trop vite.
En croisant de nouveau les yeux de Garnier, elle réalisa que l’inquiétude était réelle et la question sérieuse.
— Elle voit quelqu’un. Un professionnel. Elle n’est pas vraiment revenue dans le coin depuis un moment, en fait. Je pense que c’est normal. Se faire enlever par un psychopathe pyromane n’est pas une chose suffisamment courante pour qu’elle se « digère » facilement.
— C’était ta meilleure amie, non ?
— Ça l’est toujours, je pense.
— Et toi ?
Garnier prenait un malin plaisir à ramener la fin de l’histoire sur le tapis. Ce moment qu’il vantait comme héroïque où il était rentré dans une maison en flammes pour en sortir sa collègue. Elle s’enfonça dans le dossier de sa propre chaise, croisa les doigts et plongea ses yeux chocolat dans ceux de son coéquipier.
— J’avoue qu’il y a quelque chose d’assez irritant à devoir la vie à un petit con. Mais je devrais pouvoir me remettre sans mal de ce traumatisme.
L’humour et le sarcasme : les deux ultimes remparts de protection de Gabrielle Lorcat. Même au plus mal, dans cette fameuse maison en flammes, elle n’avait jamais montré de faiblesse. Seule une certaine nuit étrange avait laissé entrevoir une brèche aussi infime que magique. L’espace de quelques secondes, il sembla à Garnier entendre le bruit de leurs vêtements tomber sur le sol et ressentir la froideur du mur qui les avait protégés du reste du monde. Elle n’avait plus jamais évoqué ce moment, le reléguant d’office au rang des choses n’ayant jamais existé. Comme si elle percevait ses pensées à ce moment précis, elle claqua un grand coup le tiroir de son bureau pour le faire revenir à la réalité.
— En route ! lança-t-elle.
***
Maison de Lucie Baillet, Sury-en-Vaux
La petite habitation vétuste était coincée entre deux autres bâtiments dans une ruelle parallèle à la principale. Une barrière à la peinture blanche vieillissante s’ouvrit sans peine pour rejoindre le perron envahi par de jeunes pousses vertes. L’intérieur était propre et coloré. La couleur du sac à dos revint à l’esprit de Garnier. Lucie Baillet aimait les couleurs vives. Lorsque Gabrielle et Garnier se présentèrent à sa porte, elle comprit aussitôt qu’il s’agissait d’Amaury. Les bras croisés, l’air résigné, elle bloqua d’abord le passage aux agents.
— Si c’est pour me dire que vous avez retrouvé où se cachait ce fumier, et bien sachez que je n’en ai absolument plus rien à faire ! Qu’il aille au diable !
Les yeux de Garnier s’arrondirent et il pinça des lèvres. « Au diable », il ne savait pas si Amaury s’y trouvait réellement, mais, assurément, la jeune femme ne s’attendrait pas à ce qu’il en soit si proche pour autant.
— Mademoiselle Baillet, Amaury Brassard a été retrouvé mort, annonça Gabrielle avec son manque de tact habituel.
Garnier reconnut bien là le besoin de sa collègue de trancher dans le vif rapidement. Lucie, quant à elle, se figea, la bouche entrouverte. Après une poignée de secondes, elle se dirigea lentement vers son salon, s’asseyant avec précaution sur son sofa comme si elle avait peur de tomber jusqu’à la dernière minute. Elle fixait le sol, les yeux exorbités, le souffle presque coupé. Elle s’était faite à l’idée que son ex-compagnon ne passerait plus la porte, mais, quelque part dans son esprit, elle s’était persuadée qu’il refaisait sa vie ailleurs.
— Où ? Quand ? parvint-elle à bredouiller.
— La mort date de l’époque de sa disparition, répondit Gabrielle. Son corps a été retrouvé enterré sur le parking arrière d’une usine à Menetou-Râtel.
— L’époque de sa disparition…, répéta Lucie, réalisant soudainement avoir accusé son compagnon de tous les maux pour une fuite qu’il n’avait finalement jamais faite.
La colère et l’incompréhension s’étaient battues pendant bien longtemps. Désormais, la culpabilité les remplaçait. Le corps gisait à quelques kilomètres de là depuis le début.
— J’aurais dû insister, marmonna-t-elle, prise de sanglots.
— Cela n’aurait rien changé, coupa Garnier. Je sais que c’est pénible, mais tous les détails sont importants. La première enquête partait sur une disparition. Peut-être que des détails vous paraissant insignifiants à l’époque peuvent avoir un sens maintenant.
— Dans son sac se trouvaient des lampes torches et de la corde, continua Gabrielle. Il ne vous a pas parlé d’une expédition quelconque ?
— Non… non, ria-t-elle nerveusement. Expéditions, randonnées… ce n’était pas son genre ! Il n’était pas du tout sportif ou adepte du grand air. Il était très casanier et passait un temps fou sur son ordinateur sur les jeux en ligne. Même ce sac était à moi. Il n’en avait pas.
— Les problèmes d’argent n’ont jamais été source de dispute ? demanda Gabrielle.
Lucie se figea en réalisant que l’enquête était désormais tournée vers un meurtre et que les questions prendraient un autre sens.