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À la suite d'une enquête moralement difficile, Sébastien Garnier, enquêteur de grande ville, demande un transfert temporaire dans un poste de petite bourgade où il pense rencontrer une collègue avec qui il s'est lié sur internet. Une fois sur place, l'accueil se révèle aussi froid que les crimes sont brûlants. Des cadavres sont retrouvés sur des bûchers au beau milieu des vignes d'une petite ville aux traditions étranges liées à la sorcellerie. Gabrielle, sa nouvelle collègue, fait de sa vie un enfer, ayant pariée sur son départ rapide avec le reste de l'équipe. Entre le feu et la glace, les deux collègues vont devoir résoudre leur enquête en mettant de côté leurs propres préjugés.
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Seitenzahl: 250
Veröffentlichungsjahr: 2020
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« Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite. »
« À ma région, ma Terre des Lions… »
PROLOGUE
Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
14 février 1987
Un reniflement de plus. Un sanglot incontrôlé secoua d’un spasme le corps de l’enfant.
— Maman…
Les pieds nus traînant sur le sol, sa mère, Élise, traversa la maison. Les yeux dans le vide et récitant des versets inconnus aux oreilles de la petite fille terrorisée qui l’observait, elle ignorait les suppliques. Un cri parvint à leurs oreilles. Une autre voix juvénile se fit entendre, accompagnée de coups portés par son propriétaire derrière la porte et les volets. Le vacarme sembla bloquer la femme perturbée et des larmes embuèrent son regard jusqu’alors impassible. Un court instant de lucidité lui fit balayer l’endroit de ses yeux, cherchant à se souvenir de ce qu’elle faisait là, de ce qu’elle s’apprêtait à faire. Des larmes glissèrent sur le passage des photos de famille, des photos de vacances, disposées bien alignées sur le meuble voisin.
— C’est pas ma faute… sanglota alors la petite tandis que le vacarme extérieur s’amplifiait.
Élise sursauta, comme réveillée brusquement. Elle ouvrit le bidon qu’elle tenait dans les mains et en déversa le contenu sur tout ce qui l’entourait, y compris l’enfant attaché au pied de fer de son lit.
Le bruit à la porte s’arrêta puis reprit de plus belle. De petits pas précipités firent le tour de la demeure, tentant diverses percées par tous les accès possibles.
— Chut, finit-elle par murmurer, d’une façon beaucoup trop basse pour que qui que ce soit d’autre qu’elle ne l’entende. « Vous le ferez passer par le feu pour le rendre pur… »
La phrase scandée froidement fut la dernière prononcée par Élise. Elle ferma les yeux et respira à gorge déployée. Sa volonté était de s’imprégner le plus rapidement, mais calmement possible de ce qui émanait désormais du lieu où elle se trouvait.
Les structures de bois qui faisaient la maison s’enflammèrent en quelques minutes à peine, devançant la progression de la fumée au travers des pièces. La nuit sans étoiles s’illumina de l’impressionnant brasier. Les meubles de chêne massif perdirent de leur superbe en moins de temps qu’il avait fallu pour les concevoir. Le vernis craqua et les jouets étalés sur le sol fondirent, déformant les sourires figés des poupées, pliant les murs de la petite ferme en carton abritant une multitude de minuscules animaux en plastique. Les liens maintenant les tableaux de paysages apaisants lâchèrent ; les cadres vitrés se brisèrent au contact violent du sol. Les centaines de morceaux de verre semblaient refléter le drame à outrance. Des hurlements d’enfants résonnèrent dans les bois alentour avant de s’éteindre bien avant la lumière, bien avant l’arrivée des secours. La maison isolée du reste du monde, invisible de la route, rejetait une fureur jusqu’aux cieux, désormais visible à des kilomètres à la ronde. Il y avait un chalet, ici, bien connu de tous, malgré son éloignement du reste de la ville, du reste de la communauté. Un chalet dont tout le monde présumait le bonheur et la quiétude. Un chalet qui ferait la une du journal dès le lendemain matin devant la stupéfaction et l’incompréhension de tous les gens se vantant de connaître la famille sans histoire qui y habitait.
❖
30 ans plus tard, Bué, Région Centre
Derrière le panneau d’entrée de ville, le soleil était plus éblouissant que jamais. Les fleurs apportaient mille couleurs aux fenêtres des maisons, aux entrées de caves de vignerons. Un peu de mouvement se laissait deviner au bistrot de la place principale. Un groupe de jeunes hommes fêtant visiblement un enterrement de vie de garçon sortit, hilare, et traversa la rue, alpaguant les gens attendant devant chez le boucher.
— Oups. Quelqu’un a dû oublier d’éteindre sa cheminée ! rit l’un d’eux en faisant de grands gestes derrière la petite troupe.
Un immense nuage noir s’approchait de leurs cieux, laissant présager un foyer dangereusement près de la ville.
Les flammes se répandaient à une vitesse effrayante. La chaleur des journées précédentes et la sécheresse du sol accéléraient le rythme du tueur rouge et jaune. Les champs vallonnés alentour laissaient le nuage sombre les recouvrir, s’attirant les regards des promeneurs et automobilistes pourtant distants de quelques kilomètres. Un homme regardait, les yeux embués de larmes retenues, ses vignes mourir, transformées en brasier géant. Ironiquement, à peine un mois plus tôt, les ouvriers viticoles s’étaient mobilisés pour maintenir la chaleur entre les rangs du précieux nectar, tentant de le protéger du givre menaçant de détruire les récoltes. Les caprices du temps paraissaient désormais dérisoires et lointains. Les pompiers, arrivés en nombre, tentaient tant bien que mal d’encercler l’ennemi, le faisant tantôt reculer, tantôt provoquer. Le terrible théâtre se découvrant sous l’eau des lances laissait peu de doute sur l’état du sol et les yeux du propriétaire séchèrent, sous le choc. Les yeux vides, le souffle court, presque inexistant, fixaient le paysage monstrueux, vestiges d’une partie de son travail. Le paysage semblait s’éclaircir peu à peu sans que qui que ce soit jusqu’alors ait compris l’origine du foyer.
Solène, fraîchement pompier volontaire, observa, défaite, le tapis de cendre sur lequel elle avançait peu à peu. Dans l’épais brouillard ambiant, elle ne savait plus trop à quel point elle avait progressé, à quelle distance se trouvait le coéquipier ayant attaqué le côté opposé. Les voix de ses collègues lui parvenaient de mille endroits à la fois. Des heures passèrent, assombrissant le moindre épi sur de plus en plus d’hectares. C’était le troisième incendie en peu de temps. La jeune femme avait l’impression qu’un feu maîtrisé à un endroit annonçait automatiquement l’enclenchement d’un autre.
L’adrénaline du moment n’étouffait en rien le malaise provoqué par la chaleur du temps combinée à celle des flammes. Les gouttes perlaient sur son front et l’odeur de plus en plus forte, de plus en plus pestilentielle la forçait à retenir sa respiration. Elle avait fini par intégrer les vapeurs d’une culture brûlée et, à ce moment, elle jurait qu’autre chose de plus nauséabond se mêlait à l’atmosphère. Une ombre imposante se laissa deviner devant elle. Si, de loin, elle avait cru reconnaître une silhouette, à l’approche, la grandeur suggérait un arbre ayant miraculeusement tenu le choc. Quelques pas de plus suffirent à couper sa respiration pourtant saccadée quelques secondes plus tôt sous l’effet de l’adrénaline. Une sensation étrange de froid s’insinua dans son crâne, contrastant avec la chaleur intense presque insupportable deux secondes plus tôt. Un corps. Un corps comme soudé à un tronc et juché sur un immense bûcher. Une voix lointaine hurla le prénom de la jeune novice, cherchant à la localiser, cherchant à se rassurer sur sa progression. La lance, tenant entre ses doigts pétrifiés, bougeait d’être tirée par celui qui la suivait.
— Solène ! Bordel, tu réponds quand on t’appelle !
Secouée par l’homme inquiet, elle força le seul geste lui paraissant facile sur l’instant ; le seul dont elle se sentait capable et qui la dispensait de mots qu’elle aurait été incapable de choisir. Son bras se leva péniblement et son index se pointa sur la scène devant eux.
— Oh bon sang…
Figé à son tour, il ne put détacher son regard du funeste spectacle. L’eau des lances à proximité se rapprocha. Les jets puissants s’entrecroisèrent, coulant sur la carcasse depuis longtemps dénuée de chair, un squelette putréfié, les bras tendus au-dessus de la tête, les genoux pliés, harassés sous le poids mort. Aucun morceau de tissu, aucune partie de l’être n’avait échappé à la fureur cruelle des flammes. La mâchoire apparaissait déformée par un vain hurlement de terreur, un appel au secours. Les soldats du feu encerclèrent bientôt la source de tous les maux aussi muets les uns que les autres devant la découverte. Les autorités présentes aux abords de la route, aux côtés des camions, attendaient un retour de la fin du combat dans le meilleur des cas, dans le pire celui d’un gros avancement sur le carnage.
— Sûrement encore un bouffon qui a jeté son mégot par la fenêtre de sa voiture.
Lundi 29 mai, dans le train en direction de Bourges
— Direction « Plouque city » !
La phrase résonna un peu plus fort que Sébastien ne l’aurait souhaité. Mais le compartiment du train étant presque vide, il ne se souciait guère des répercussions. Cinq minutes à peine étaient passées depuis le départ de la gare et la seule présence de vie se tenait dans un reniflement régulier quatre ou cinq rangées plus loin. Derrière son haut dossier, la personne « enfoncée » dans son siège bien avant que Sébastien arrive n’avait manifestement pas envie d’être dérangée.
— Alors… heureux ? demanda la voix dans le kit mains libres collé à l’oreille de l’homme blasé.
— Trois cents habitants… dont la moitié sont sûrement des bovins ! À ton avis, le bétail fait partie de la population recensée ?! Un lieu sûrement paradisiaque avec trois commerces à proximité à condition de se taper quatre heures de voiture pour y aller et de ne pas être trop exigeant. Mais je vais me consoler avec le logement qu’on va me fournir… un truc avec chiottes au bout du palier sera toujours plus luxueux qu’une fermette avec cabane au fond du jardin et lavoir à proximité. Avec la chance que j’ai, la seule animation du coin sera le bal du village, à condition d’être le bon samedi du mois et de ne pas trop attendre de la conversation ! Les enquêtes les plus motivantes se résument sûrement à : « Mon dieu, ma poule a disparu ! » ou « Mon chat est en haut de l’arbre, sauvez-le ! »
— Tu es une vraie « chialeuse » ! C’est toi qui as voulu ce déplacement ! Le pourquoi me dépasse encore cependant ! Qu’est-ce qu’il t’a pris bon sang !?
— C’est censé être un échange d’expérience avec le poste du coin…
— Rien ne t’obligeait à l’accepter et le boss m’a dit que tu t’étais porté volontaire.
— …
Sébastien Garnier se tut. Il n’avait pas envisagé que son ami soit au courant. Jouer la victime ne lui paraissait plus aussi crédible. Il n’avait pas su quelle autre technique utiliser pour faire passer la pilule de son départ sans avoir à se justifier sur les réelles raisons.
— Écoute mon vieux, je sais que tu avais dit au chef de ne rien dire et je sais aussi que tu avais besoin d’une pause. Mais là, tu vas t’enterrer dans un bled perdu au milieu de la campagne et… je ne suis pas persuadé que l’isolement soit la meilleure des solutions.
— La question ne se pose plus. Je suis dans le train.
— Mélanie a digéré la nouvelle comment ?
— Aussi bien qu’on puisse la digérer dans ce cas-là.
Mélanie. La fiancée envahissante. Ou ex-fiancée ? Il n’en était pas trop certain. Il était parti avec l’idée de rupture, mais sans réellement prononcer les mots, il n’était pas vraiment sûr que le message soit passé. Peut-être avait-il laissé le flou volontairement, s’offrant une porte de secours en cas de revirement. Un signe de lâcheté évident. Il le réalisait sans mal. Mais le dialogue ne prenait plus beaucoup de place depuis un moment dans leur couple. Le sexe, oui. Arriver à un stade où il se trouvait blasé d’un genre de relation que bon nombre de ses collègues lui enviaient était signe d’une remise en question nécessaire.
— Je dois te laisser, la communication passe mal. J’ai très peu de réseau. Un avant-goût de la France profonde, je suppose !
Un éternuement coupa la conversation. Sébastien tourna la tête par curiosité, tentant d’apercevoir son unique voisin de wagon, mais en vain. Après un long soupir, il jeta son portable sur le siège lui faisant face où se trouvait déjà son unique bagage. Une énorme valise censée porter les choses indispensables à sa vie et qu’il ne se voyait pas laisser dans son appartement parisien prenait toute la place sur les sièges vacants. Il resta quelques instants, songeur, les yeux rivés sur l’objet si rarement sorti de son armoire. Il n’avait jamais pris le temps de voyager et le peu de week-ends qu’il faisait à l’extérieur se suffisait d’un simple sac de sport. La valise, elle, semblait neuve et le ticket de caisse avait été découpé juste avant le départ. Un sentiment de culpabilité l’envahit un court moment et il tendit le bras pour récupérer l’objet fétiche qu’il venait de faire voler. Il fit défiler les photos sur l’écran lumineux, déjà nostalgique des jours passés. Mélanie, son ancienne compagne, son frère Éric, leurs parents et Yvan, son meilleur ami et collègue qu’il avait encore au téléphone deux minutes plus tôt. Les raisons de son départ défilèrent une énième fois dans sa tête. Les regrets se mélangeaient au sentiment étrange de faire le bon choix malgré tout. Un gros besoin de dépaysement après une enquête éprouvante l’avait poussé à ce départ. Le choix de la destination, lui, il le tenait à une personne qu’il n’avait encore jamais physiquement rencontrée. Quelle foutaise. Les « miracles » d’internet. Cinglé. Elle n’était pas au courant de sa venue et ne le prendrait peut-être pas aussi bien qu’il l’espérait. N’ayant jamais échangé de photos, il se lançait en plus dans l’inconnu le plus total, avec juste un lieu de travail en poche. Il se fustigea intérieurement puis saisit les écouteurs dans sa poche, les enfonça dans ses oreilles et reposa sa tête sur la vitre à proximité. L’alarme était réglée pour éviter de rater le terminus, il pouvait se permettre de céder à Morphée le temps d’arriver à destination. La sélection de musique aux sonorités berçantes le plongea assez rapidement dans un sommeil salvateur. Une secousse le réveilla brusquement. La lumière vacilla et il se releva machinalement, se dégourdissant les jambes dans l’allée. Il se croyait arrivé lorsqu’un message résonna dans l’interphone signalant un accident sur la voie provoquant un retard sur la ligne. Un soupir. Le destin lui-même semblait trouver amusant de jouer avec sa patience. Les barres de réseau de son téléphone s’obstinaient à rester absentes. Un reniflement. Il se souvint qu’il n’était pas seul et ses pieds le portèrent au plus près de l’autre passager. Avant qu’il n’ait eu le temps de l’atteindre, un membre du personnel passa la porte derrière lui.
— Désolée, Monsieur. Il y a eu un incident sur la voie. Nous aurons un léger retard. Il n’y a malheureusement pas de réseau ici, mais la gare d’arrivée est au courant et le nécessaire sera fait pour prévenir les personnes attendant sur le quai.
— Combien de temps ?
— C’est difficile à dire, je n’en sais pas plus, mais nous vous tenons informé. Désolée.
— Vous savez ce qu’il s’est passé ?
— Une voiture, a priori, se trouvait sur la voie. Nous n’avons pas d’autres détails.
Il se renfonça dans son siège, oubliant le voisin à quelques pas de là. Quelle importance. Foutue bagnole. Encore un malin qui avait tenté de passer la barrière de sécurité avant qu’elle n’ait fini de se baisser. Énervé de cet état de fait et dans l’incapacité de communiquer, il sortit son ordinateur portable de sa valise. Pas de WiFi. Il referma nerveusement l’appareil puis les yeux et serra les dents. Le trajet risquait d’être beaucoup plus long que prévu. Le silence dont avait fait preuve son compagnon d’infortune jusqu’alors ne laissait pas présager qu’il était ouvert à la conversation. Il replaça les écouteurs et reprit sa position initiale. Il n’entendit pas le train repartir et fut incapable de déterminer le temps de trajet qu’il y eut encore après. Il s’assoupit rapidement et ne rouvrit les yeux qu’à son arrivée en gare.
Les yeux encore collés et finalement encore plus fatigué que s’il n’avait pas tenté de sieste, il traîna sa valise sur les quais cherchant le chauffeur qui devait le récupérer, en vain. D’autres passagers descendaient des autres wagons et s’en allaient peu à peu, pestant contre le retard d’arrivée. Il était plus qu’évident que plus personne ne l’attendait et, au retour de réseau sur son portable, un message vocal du poste de gendarmerie l’avertit qu’on viendrait le chercher avec un peu de retard à cause d’un imprévu. Cherchant à se protéger de la chaleur caniculaire, il se retrancha dans le hall, s’installa sur le premier siège venu et vida le café du distributeur à proximité en regardant les minutes défiler sur sa montre. Il respira profondément et grimaça. Il se sentait moite. Il détestait l’odeur de transpiration et le flacon de déodorant se vidait plus rapidement qu’il ne le devait. Persuadé du peu d’efficacité du produit, il n’avait pas lésiné sur le parfum pourtant déjà fort.
— Monsieur Garnier ?
Il releva les yeux sur un jeune homme d’une petite vingtaine d’années et en uniforme.
— Julien Courieux. Le commandant m’envoie vous chercher. Il s’excuse pour le retard, mais quelque chose de… délicat est arrivé et je dois vous emmener directement sur place.
— Délicat ?
— Je n’en sais pas plus, Monsieur. Je sais juste que je dois vous conduire à Bué.
— Bué ? C’est loin d’ici. Je pensais déposer mes affaires.
— Désolé. Ce n’était pas vraiment prévu au programme.
Le gamin tentait un ton professionnel alors qu’il était plus qu’évident qu’il était novice. Sébastien força le sourire aimable. Sortant de la gare, il fut surpris de se retrouver dans ce qui ressemblait à une ville. L’endroit semblait tout de même animé et il se délecta d’avoir fait fausse route sur ce qui allait l’entourer durant son séjour sur place puis, au fur et à mesure du trajet, il vit les locaux de la ville s’éloigner et la voiture s’enfoncer de plus en plus loin au milieu des cultures. Il s’attrista de voir l’horizon engloutir le béton au profit d’une nature quasi sauvage. Cette fois-ci, il était persuadé de s’être totalement coupé de la civilisation. Il tenta en vain de se souvenir de la dernière fois où il avait vu une étendue d’herbes, de champs et de bois aussi immense.
— Un accident de chasse en plein milieu des bois !? railla-t-il.
— Je ne pense pas, monsieur. Ce n’est pas la période.
Sébastien sourit du sérieux de son interlocuteur. Ce dernier n’avait pas compris la moquerie et il ressentit presque de la pitié pour ce môme qui souhaitait présenter au mieux. Au travers de la vitre, il s’étonna de voir les champs s’assombrirent et laisser place à un tapis de cendre. L’odeur de brûlé semblait transpercer l’habitacle et un amoncellement de personnes au loin empêchait la visibilité de la scène du drame supposé. Courieux coupa le contact et observa la scène avec autant de curiosité. Il était évident qu’il ne savait rien de plus que son passager et cela attisa la curiosité de ce dernier.
— C’est ça « Bué » ?!
— Oui et non. Ces champs font partie de la commune. La ville se trouve un peu plus loin.
Grimaçant de l’odeur de plus en plus forte, Sébastien pénétra sur le terrain mortifié et rejoignit péniblement ceux qui allaient certainement lui servir de collègues. Un homme, visiblement responsable se retourna à leur approche.
— Étienne Maillard. Votre chef de section. Je suppose que vous êtes Sébastien Garnier. On vous prend au saut du train, mais la situation est peu ordinaire. Cela vous fera une belle entrée en matière. C’est un partage d’expérience alors partageons !
Au peu d’expression de l’homme à la carrure impressionnante et à la poignée de main rugueuse, Sébastien ne sut pas s’il y avait là une sorte de bizutage ou juste la preuve d’une certaine sévérité ou professionnalisme très poussé. Maillard l’invita à se rapprocher d’un couple d’enquêteurs qui l’observait le sourire aux lèvres depuis déjà un moment. La femme le balaya furtivement des yeux avant de s’attarder sur les chaussures haut de gamme, enfoncées dans les cendres et la terre. S’il avait été difficile de déchiffrer les pensées de Maillard, celles de sa collègue se tournaient de façon flagrante vers la moquerie. La même dont il avait fait preuve lui-même un instant plus tôt avec son jeune chauffeur. Bien entendu, le fait que, cette fois, elle soit tournée vers lui rendait la chose beaucoup moins plaisante. Un sentiment furtif s’installa dans l’esprit de Garnier et son cœur s’emballa à la perspective redoutée. Peut-être était-ce elle qu’il recherchait… puis rebuté par l’air froid et dédaigneux, il espéra aussitôt faire fausse route et balaya l’idée de sa tête. Sa correspondante n’avait pas ce genre de tempérament. L’homme à ses côtés sembla lui murmurer quelque chose à l’oreille avant de feindre la politesse en tendant la main.
— Antoine Richard.
Sébastien scruta la personne qu’il jugeait d’ores et déjà antipathique. Un mètre quatre-vingt-cinq à vue de nez, la moustache d’une autre époque le vieillissait sûrement. À son visage et à la couleur des cheveux encore blonds, il lui donnait une quarantaine d’années. Arrogant fut le premier mot qui lui vint à l’esprit. Elle, c’était autre chose. L’espièglerie habitait le visage d’une trentaine d’années quoique ce ne soit pas si flagrant. La peau laiteuse était transpercée par deux pupilles chocolat, une silhouette féminine semblait se cacher sous un jean coincé entre de hautes bottes en cuir Camel et une chemise trop grande. Le vent laissait voler les cheveux châtain-roux en bataille et la tenue n’était pas plus formelle que la sienne. Elle était visiblement arrivée à la dernière minute comme lui. L’odeur du parfum qu’elle portait semblait passer par-dessus celle de la fumée. Un petit miracle qui venait peut-être de leur proximité. Il tendit la main à son tour, attendant les présentations de celle qui l’avait apparemment déjà catalogué dans une catégorie qu’il devinait déplaisante.
— Sébastien Garnier. Vous êtes ?
Elle lui serra la main sans grand enthousiasme et le dévisagea un instant.
— Votre baby-sitter. On fera les présentations plus tard.
Il pinça les lèvres, révélant sa surprise sans que qui que ce soit ne soit vraiment capable de dire si elle était bonne ou mauvaise. Sans même avoir donné son nom, elle tourna le dos et lança un regard intimant de la suivre derrière un immense drap blanc planté pour protéger le lieu des regards trop curieux.
— C’est une façon plutôt informelle pour protéger un lieu de crime, non ?
Les regards se tournèrent de nouveau vers Sébastien, mais il feignit de ne pas le remarquer. Ils le détestaient déjà. À quoi bon faire des efforts pour cacher sa propre vision du travail. Au moment de passer la toile, avant même de relever les yeux, la voix féminine de sa nouvelle collègue répondit sèchement à sa réflexion.
— C’est une façon plutôt informelle pour tuer quelqu’un, non ?!
Son regard se releva sur ce qu’il restait d’un corps accroché à son bûcher. Un vomissement suivit un « Oh la vache ! » derrière eux. Julien qui les avait suivis studieusement s’était découvert l’estomac fragile et Richard s’en amusait visiblement en lui tapotant le dos.
— C’est courant ici ce genre de procédé ? tenta Sébastien avec une touche d'ironie en direction de sa « nurse ».
— Bien sûr. La nuit, on brûle régulièrement des gens et ensuite on rentre chez nous en volant sur nos balais pour nous occuper de nos chaudrons.
Il respira aussi profondément qu’il le pouvait, la toisant l’air blasé. D’un échange silencieux, il comprit que la relation lui donnerait autant de fil à retordre que l’enquête. Il dirigea de nouveau ses yeux sur le malheureux perché devant eux. Si une partie de son cerveau intégrait parfaitement l’image comme quelque chose de réel, l’autre se complaisait dans l’idée d’une scène imaginaire, sortie tout droit d’un film d’horreur dont l’action se déroulerait dans un autre temps. Il avait une grosse quinzaine d’années de métier derrière lui et pas mal d’images avaient marqué son esprit de façon dramatique. Certains faits avaient même failli le pousser à l’écœurement, la remise en question, pour finalement retrouver le chemin du bureau. Et puis ces derniers mois et leurs conséquences l’avaient amené à prendre un train aspirant à plus de calme. Mais le remue-ménage des gendarmes, de la section de recherche et des techniciens en identification criminelle n’avaient rien de reposant.
— Ils en ont encore pour longtemps ? Ce ne serait pas mal de pouvoir identifier le corps rapidement.
L’impatience manifeste du nouvel arrivé amusa Richard.
— Vous allez devoir prendre votre mal en patience. Nous ne saurons sûrement pas qui c’est avant deux ou trois jours.
— Deux ou trois jours ?! Le légiste est en vacances ? Il n’a pas de remplaçant ou…
— Il est à Tours, coupa la jeune femme. C’est une petite ville ici. Le dernier « évènement » de ce type date de 1995 et c’était un pauvre mec qui avait tué son rival et avait voulu s’en débarrasser dans le canal alors qu’il était vide. Il faut croire que, même ici, nous sommes tout de même assez civilisés.
— Je ne me souviens pas avoir dit le contraire.
Elle esquissa un sourire et ne put retenir un mouvement de sourcil qui en disait long sur ce qu’elle croyait savoir de lui.
— Nous allons devoir travailler avec Bourges et… le légiste apte à ce genre d’« exercice » travaille à l’hôpital de Tours. Dès que les agents ont fini d’inspecter la zone, le corps sera transporté.
Sébastien observa autour de lui, grimaçant du manque d’activité et toujours engourdi par le trajet pour venir. Son regard s’arrêta sur un homme aux traits sévères appuyé sur une berline près du fossé plus loin.
— Je croyais que vous deviez éviter les passages des petits curieux, reprocha-t-il à voix haute.
— Le petit curieux en question est le propriétaire des vignes. Si vous voulez aider…
Sébastien n’attendit pas la fin de la phrase et se dirigea confiant vers l’homme aux bras croisés et à la carrure de rugbyman.
La femme afficha un large sourire en invitant son collègue et son patron à observer ce qui allait se passer. Ils s’amusèrent de voir l’« intrus » galérer à retraverser le champ dans un costume de ville loin d’être de mise. De là où ils se trouvaient, les premiers mots échangés entre les deux hommes leur avaient échappé, mais le ton monta aussitôt et le propriétaire excédé hurla des injures audibles à des kilomètres à la ronde avant de prendre sa voiture et de faire gronder le moteur. Sébastien se rapprocha de nouveau d’eux.
— Vous saviez comment ça allait se passer, accusa-t-il devant leurs regards amusés.
— Il rouspète depuis qu’il est arrivé. Les assureurs sont censés passer après notre départ, répondit calmement Richard.
— Et la victime ? Ça ne l’affecte pas trop visiblement. Toutes les personnes ici accordent plus d’importance à leur terre qu’aux gens ou c’est un cas particulier ?
— Prenez vos affaires et attendez-moi à la voiture làhaut ! coupa la femme. Inutile de rester ici plus longtemps.
L’expression sur son visage laissait peu d’alternatives et Sébastien était fatigué et pressé de poser sa valise. Il ne se sentait pas le courage de faire front contre ses hôtes à ce moment précis, mais il était persuadé que ce n’était que partie remise.
— Je te parie que ce « comique » ne restera pas ici plus de deux ou trois semaines. C’est une perte de temps pour nous et visiblement pour lui. Une fois qu’il se sera rendu compte que ses belles pompes lustrées sont irrécupérables, il prendra très vite le train de retour ! lança-t-elle à Richard en regardant le dandy s’éloigner.
— Tu as l’air bien certaine de ce que tu avances…
— C’est un « blaireau » !
— Toujours aussi charmante et ouverte d’esprit.
— Mais c’est ce que tu aimes chez moi, non ?!
— Tu crois franchement qu’il va repartir aussi vite ?
— C’est moi qui me suis chargée de la réception de ce colis haut de gamme et autant te dire tout de suite que j’ai mis les petits plats dans les grands.
Il sourit, connaissant bien le phénomène et sachant à quel point elle pouvait être peste quand elle avait quelqu’un dans le nez.
— Bonne soirée, Gab.
Elle afficha un sourire rieur avant de rejoindre Sébastien l’attendant patiemment devant son véhicule. Appuyé sur la portière, il l’observait, muet. Elle avait un visage à la fois ordinaire et magnifié par un charisme évident. Le tempérament qu’il devinait n’avait rien d’étranger à cela. Une certaine sensualité s’échappait d’une démarche pourtant peu délicate. Un jean. Bon sang. Comment pouvait-elle être autant habillée par cette chaleur ?! Le peu de peau qui dépassait de ses habits était suffisamment pâle pour qu’il devine qu’elle n’était pas du genre à lézarder au soleil. Elle fit le tour de la voiture, ouvrit sa portière en soutenant les yeux verts. Il était manifestement bel homme. La grande stature était ornée d’un visage sévère, mais peu marqué par les années et quelques mèches brunes retombant sur le front. Elle eut un mouvement de sourcil. Manifestement gros prétentieux. Clairement monsieur Je-sais-tout. L’arrogance supposée salissait un visage qui avait sûrement dû faire tourner quelques têtes et courir quelques jupons sans trop de peine. Typiquement le genre d’homme qui l’insupportait et qu’elle prenait plaisir à snober aux rares soirées où elle se rendait. Trop lisse, trop prévisible, trop tout.
— Vous attendez que je vous ouvre la portière ?! lança-telle pour le sortir de son immobilisme.
Il préféra rire de la réflexion et s’engouffra sous la tôle, après avoir balancé sa valise à l’arrière. La chaleur dans l’habitacle resté en plein soleil le saisit aussitôt et il lui fallut quelques secondes pour accuser le coup. Il reprit vite consistance quand elle prit place au volant.
— Et sinon… vous n’avez toujours pas de prénom ? J’aimerais éviter de vous siffler quand j’aurai besoin de quelque chose.
— Quand vous aurez besoin de quelque chose ?! Je croyais qu’on nous avait envoyé un professionnel ? renvoya-t-elle, faussement étonnée.