Marqués - Tome 1 - Emilie Viaene - E-Book

Marqués - Tome 1 E-Book

Emilie Viaene

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Beschreibung

Aubery est envoyée sur Terre pour sauver les humains. Un jour, elle rencontre Amethyste, et tout bascule...

Dans un monde où les humains ne sont pas seuls, Aubery, une Dyvéa, est envoyée sur Terre afin de sauver un maximum de personnes. Il est dans sa nature profonde de toujours vouloir aider les autres, mais elle créera un lien particulier avec un petit garçon, Mahlo. Un jour, elle sauvera une jeune femme, Améthyste. Elles vont nouer une relation d’amitié qui évoluera bien malgré elles vers des sentiments plus forts. Cependant, le mystère plane autour d’Améthyste. Quel secret cache-t-elle à Aubery ?

Premier tome d'une saga de romance fantasy, Si je pouvais t'aimer vous emmenera dans un monde où l'étrange et l'amour se mélangent et mettent les sentiments d'Aubery à rude épreuve !

EXTRAIT

Encore elle. Tout ce que je souhaitais, c’était l’éviter, mais ce n’était apparemment pas possible. Londres était une ville de plus ou moins cinq mille trois cent cinquante-quatre habitants par kilomètre carré, et en trois mois, je l’avais croisée pas moins de trois fois, toujours dans des quartiers différents. La dernière fois, j’étais même allée chez elle.
J’essayais d’être bien cachée, je ne voulais pas être vue, je ne voulais pas que cette inconnue vienne à ma rencontre et me fasse la conversation, comme si c’était tout à fait normal, comme si nous étions amies. Plus loin elle se tiendrait de moi, mieux ça serait. Et puis, je n’avais pas envie de lui être redevable pour l’aide qu’elle m’avait apportée la dernière fois alors que je ne lui avais rien demandé.
Malgré tout, je ne pouvais m’empêcher de la suivre un moment. Elle était en compagnie d’un homme et ils avaient plutôt l’air de bien s’entendre. Je ne comprenais pas pourquoi elle m’intriguait tant. Elle dégageait quelque chose d’étrange. Peut-être était-ce ce côté bon samaritain ? Depuis que je la suivais, elle avait donné un peu d’argent à des sans-abris, et le dernier avait même eu droit au reste de son morceau de gâteau. Ce genre d’attitude me donnait envie de vomir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Emilie Viaene est enseignante. Elle écrit depuis qu’elle est adolescente et pratique tous les genres, même si elle a un faible pour la fantasy. Elle aime particulièrement créer des mondes fantastiques et développer la psychologie de ses personnages.

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Prologue

17 décembre 1995, Los Angeles

Aubery Campbell avait trois ans, quatre mois et quatorze jours lorsque son père l’emmena faire une promenade en bateau. Malgré la saison, le lac n’était pas gelé et la vue était absolument magnifique. Chaque dimanche, Florian emmenait sa fille unique sur cette grande étendue d’eau, il le faisait depuis la mort de sa femme. Pour partager des moments privilégiés, disait-il à Aubery, bien qu’elle fût encore trop petite pour le comprendre. Dans leur vie, il n’y avait plus qu’eux deux : un père et sa fille. Plus de grands-parents, plus de maman, pas de frères, de sœurs, ni de cousins. Pas d’amis non plus. Aubery était une petite fille adorable, mais elle n’aimait pas la compagnie des autres enfants. Florian et elle avaient vu un pédopsychiatre, mais celui-ci n’avait pas semblé inquiet : tout est possible à cet âge, tous les enfants sont différents.

Ce matin-là, Aubery était particulièrement excitée. Cela avait commencé dès le réveil. Elle s’était habillée seule — bien qu’elle eut mis son gilet à l’envers —, avait essayé d’enfiler ses baskets comme une grande, mais c’était encore trop difficile. Alors, elle s’était dirigée en chaussettes dans la chambre de son papa et avait sauté sur le lit pour qu’il se réveille. Elle avait dû s’arrêter quand il l’avait attrapé et l’avait enfouie sous les couvertures pour qu’elle cesse de bouger. Son enthousiasme n’avait pas faibli au petit-déjeuner, où elle avait, plutôt que d’aspirer avec sa paille, soufflé dedans pour faire des bulles dans son lait chocolaté. Elle avait soufflé tellement fort qu’elle avait éclaboussé toute la table. Florian n’avait jamais vu sa fille dans un tel état, et il s’était demandé s’il était prudent de sortir pêcher tant elle était énervée.

Finalement, il n’avait pas pu résister quand sa fille l’avait supplié de maintenir leur programme et qu’elle lui avait promis d’être sage.

Sur la route, Aubery était en train de manger un morceau de pain qu’elle avait emporté avant de partir, quand elle avait vu un homme assis par terre, avec une pancarte. Elle avait demandé à son papa ce qui était inscrit, et quand il lui avait répondu que cet homme restait là en attendant qu’on lui donne de l’argent pour se nourrir, Aubery s’en était approchée. Florian avait pris peur, il ne connaissait pas cet homme, il pouvait être dangereux et était susceptible de faire du mal à son unique enfant, mais il n’avait pas bougé et avait observé la scène. Aubery avait tendu son morceau de pain à cet homme, et comme il se montrait réticent, elle avait insisté.

— J’ai plein de choses à manger à ma maison. Ça, c’est pour toi.

L’inconnu avait pris le morceau de pain, et n’avait pas eu le temps de remercier l’enfant qu’elle s’était déjà éclipsée.

Et maintenant, Florian ne cessait d’attraper poisson sur poisson ce qui amusait beaucoup la petite fille. Un seau aux trois quarts rempli se trouvait entre eux. Pendant deux bonnes heures, les prises passaient des mains de Florian à celles de sa fille qui les mettait dans le seau. Il était près de midi quand son père décida qu’il était temps de rentrer. Aubery n’accepta de partir qu’à une condition :

— Une photo Papa ! Avec les poissons !

Florian ne se fit pas prier, il prit le petit appareil qu’il gardait toujours sur lui et attendit l’accord de sa fille pour appuyer sur le bouton. D’abord, elle leva les pouces, mais on ne voyait pas le seau à ses pieds, elle se mit donc à genoux, mais là on ne voyait pas ses baskets roses. Alors, Aubery souleva le seau de toutes ses forces, elle vacilla une fois en arrière, une fois en avant et la photo fut prise.

— Papa ! Regarde comme je suis forte. Regarde Papa !

— Va doucement Aubery, tu risques de…

Florian n’eut pas le temps de terminer sa phrase. Aubery venait de vaciller, une fois de trop, vers l’avant. La tête la première plongée dans l’eau glacée. Tout alla trop vite, et la dernière chose dont se souvint Florian, c’est d’attraper son enfant par le pied alors qu’elle était déjà à plusieurs mètres de profondeur.

Au même moment, Seattle.

Améthyste Manson avait cinq ans, six mois et cinq jours lorsque, comme chaque soir vers dix-neuf heures, ses parents la bordèrent avant de lui lire une histoire à elle et son frère.

Mike et Amanda étaient des parents qui se souciaient simplement de la sécurité et du bonheur de leurs deux enfants. Grey et Améthyste étaient des jumeaux, ils se ressemblaient en tout point : les mêmes yeux d’un brun presque noir et des cheveux d’une identique couleur ébène.

Ils étaient allongés dans le grand lit de leurs parents, se tenant la main qu’ils cachaient sous la couverture, prêts à écouter l’histoire, la préférée d’Améthyste pour ce soir : celle où la princesse embrasse la grenouille qui se transforme en un prince charmant. Le moment du baiser était le passage que Grey préférait parce que sa sœur ne cessait de gémir de dégoût.

— Toi, tu es la grenouille !

— Non, c’est toi !

— Non, toi !

— Toi, j’ai dit !

Les enfants cessèrent toute discussion quand ils entendirent leur père hausser le ton pour leur dire de se calmer. Ils baissèrent les yeux, ne firent plus un bruit et pour rien au monde, ils ne se seraient lâché la main. Grey et Améthyste avaient beau obéir dès la première remarque, ils avaient toujours peur de ce qui pouvait arriver quand leur père parlait avec LA voix, celle qui les faisait frissonner de la tête aux pieds, celle qui leur donnait envie de se cacher sous la couverture et de ne plus jamais en sortir. Si les enfants Manson craignaient tant leur papa, c’était pour une bonne raison : à chaque fois qu’ils entendaient leur père parler si fort à leur maman, elle ressortait toujours de la chambre avec des taches bleues sur les bras, et parfois même sur le visage, quand il criait vraiment fort. Les jumeaux ne disaient rien, à personne, mais ils avaient fait un pacte.

Comme tous les soirs après l’histoire, les enfants regagnèrent chacun leur chambre. Ils attendaient d’être bordés, que la veilleuse soit allumée et qu’il n’y ait plus de bruit pour pouvoir s’endormir. Parfois, les jumeaux ne dormaient pas tout de suite, ils entendaient leurs parents se disputer, mais surtout leur papa faire LA voix. C’est ce qui se produisit ce soir-là. Aucun d’eux n’avait entendu ce que leur maman avait dit, mais ça avait mis en colère leur papa et il fit tomber — volontairement ? — un objet qui se cassa. Ils savaient. Grey et Améthyste ne voyaient rien, ils entendaient simplement et ils avaient beau être petits, ils avaient conscience que leur papa avait encore fait du mal à leur maman.

Améthyste quitta son lit en prenant soin d’emmener Monsieur Bulle, sa peluche hippocampe. Elle rejoignit son frère et se blottit contre lui. Ensemble, ils répétèrent le pacte qu’ils avaient noué lorsqu’ils avaient compris ce qui se passait : quand on sera assez grand et assez fort, on empêchera papa de faire mal à maman.

Grey ne le disait pas à sa sœur, il ne voulait pas lui faire peur, mais il avait déjà regardé les films de son papa, où un monsieur prenait un fusil et tirait sur d’autres personnes. Et quand sa maman avait mal, comme ce soir, il pensait très fort à faire la même chose à son papa.

Cette nuit-là, Amanda se réveilla en sursaut. Quelque chose n’allait pas. Elle sortit discrètement de son lit, ne voulant pas réveiller son mari, et se rendit en premier dans la chambre d’Améthyste. La porte était restée entrouverte, la veilleuse était allumée, mais le lit était vide. Ce n’était pas étonnant. Amanda savait qu’elle était avec son frère. Le sentiment d’inquiétude n’ayant toujours pas disparu, elle décida d’aller jeter un coup d’œil dans la chambre de son fils. Lorsqu’elle ouvrit la porte, un hurlement s’échappa de sa gorge : des flammes avaient embrasé le lit. Mais elle sut immédiatement que ses enfants ne s’y étaient pas trouvés, parce que la fenêtre était ouverte, ce qui était inhabituel.

24 décembre 1995, Seattle

Largan Peterson avait quatorze ans, huit mois et onze jours lorsqu’il se trouva devant la vitrine d’une bijouterie. Il allait, pour la première fois, passer le réveillon de Noël avec sa petite amie. Il avait longuement dû insister auprès de ses parents pour qu’ils acceptent de l’inviter. Selon eux, Noël était une fête de famille et la relation de Largan avec cette jeune fille était encore trop récente pour l’inclure dans une telle festivité. Mais le jeune garçon leur avait expliqué que dans ce cas, Erika passerait les fêtes seule, car ses parents étaient partis en vacances et que, retenue par son travail, elle n’avait pu les accompagner.

Ce que Largan ne savait pas, c’était que ses parents désapprouvaient cette relation : Erika allait bientôt avoir dix-sept ans et ils la trouvaient beaucoup trop âgée pour leur fils, bien qu’elle fût une fille correcte à leurs yeux.

Les adolescents s’étaient rencontrés grâce à un professeur qu’ils avaient en commun. Largan était un jeune garçon plein de volonté, mais il avait quelques difficultés en mathématique et malgré ses efforts, il ne parvenait pas à remonter sa moyenne. Alors, quand son professeur lui avait proposé des cours particuliers dispensés par une élève de deux ans son aînée, il avait tout de suite accepté.

Au début, Erika et lui ne se parlaient que dans le cadre des cours. Mais un soir où ils étudiaient chez lui, la jeune fille avait remarqué les tickets de cinéma dont il faisait la collection et qu’il affichait sur sa porte. Erika lui avait alors proposé d’aller voir un film ensemble et comme ils y avaient pris goût, ils y retournèrent régulièrement jusqu’au soir où la jeune fille l’embrassa sur le pas de la porte.

Et maintenant, Largan se retrouvait devant cette boutique, où il allait acheter un cadeau pour sa petite amie. Il ne savait pas quoi lui prendre, il n’avait pas l’habitude de faire ce genre de choses. Erika était une jeune fille avec un style plutôt simple, elle ne portait jamais de bijoux, sauf des boucles d’oreilles, mais Largan ignorait si cela signifiait qu’elle n’en avait pas, ou qu’elle n’aimait pas cela. Ne trouvant pas son bonheur, il continua son chemin. Il s’arrêta alors devant un magasin de jouets. Un petit garçon et une petite fille se trouvaient à ses côtés, ils fixaient la vitrine avec de grands yeux émerveillés. Leur maman avait déjà essayé maintes et maintes fois de reprendre la route, mais ils restaient obstinément immobiles. Largan avait de la peine pour cette famille, il voyait bien à leurs vêtements qu’ils ne devaient pas avoir beaucoup d’argent et le visage triste de la mère montrait qu’elle n’était pas capable de faire plaisir à ses enfants pour Noël. Les petits ne réclamèrent pas les jouets, ils savaient que leur maman ne pourrait pas les payer.

— Maman, tu pourras dire au Père Noël de nous offrir un jouet cette année ?

Largan ne connaissait pas cette femme, mais il savait que cette question innocente venait de la détruire intérieurement.

Sans même réfléchir, il suivit cette famille à une bonne distance pour connaître leur domicile. Lorsqu’il eut mémorisé le trajet et l’adresse, le garçon retourna rapidement au magasin de jouets.

Une vingtaine de minutes plus tard, il était devant leur maison. Il déposa deux paquets assez imposants, sonna et s’éclipsa tout aussi vite.

Largan était en retard pour aller chercher Erika chez elle, il n’avait plus assez d’argent pour lui acheter quelque chose, mais lorsqu’il lui expliquerait ce qu’il avait fait, il savait qu’elle comprendrait. Pour arriver plus vite chez sa petite amie, le garçon prit un raccourci. Il traversa un pont, mais la beauté du lieu le cloua sur place. Il avait commencé à neiger en début de matinée et maintenant le paysage était entièrement blanc, le reflet des guirlandes de Noël accrochées au pont donnait à l’eau un effet magique. Il s’appuya contre le bord et ferma les yeux quelques instants, profitant de ce calme apaisant.

Le seul bruit qui vint troubler la sérénité des lieux fut son propre cri quand il tomba du pont et qu’il s’enfonça dans l’eau glacée.

Ce soir-là, Largan n’arriva jamais chez Erika.

5 mai 2006, Londres

Meg O’Nogan avait seize ans, cinq mois et vingt-quatre jours et elle se trouvait dans une usine abandonnée, en compagnie de ses amis. Ils avaient un point commun : la vie ne les avait pas épargnés, ils étaient tous sans-abris.

Comme chaque soir, ils faisaient l’inventaire de ce qu’ils avaient gagné durant la journée. Comme chaque soir depuis quelques mois, c’est Meg qui avait récolté le plus d’argent. Ses camarades étaient contents, mais pas elle, car elle savait que ces pièces lui avaient été données par simple pitié à la vue de son ventre arrondi, et du petit être innocent qui s’y trouvait.

Contrairement aux autres jours, Meg sentait son enfant plus animé. Les coups de pied qu’il lui donnait lui faisaient atrocement mal. Elle n’avait presque plus de forces, ce bébé puisait bien plus d’énergie qu’elle ne pouvait lui donner.

Meg décida d’aller se coucher. Après treize heures à errer dans les rues de Londres, à mendier, elle était épuisée. Elle se dirigea vers sa couchette, mais elle n’eut pas le temps de l’atteindre qu’elle poussa et se tordit en deux de douleur. Deux de ses amis se précipitèrent pour lui venir en aide et ils furent choqués en voyant l’énorme flaque sous ses pieds.

— Elle vient de perdre les eaux !

De toute évidence, ni l’un ni l’autre n’était médecin. Personne ne savait quoi faire. Ils installèrent Meg sur sa couchette, retirèrent son pantalon et improvisèrent.

Le travail dura quatre heures. Quatre heures durant lesquelles Meg n’avait cessé de crier, mais elle y était arrivée. Bien que venu avec quelques semaines d’avance, le petit homme paraissait en pleine forme.

Avant de rester seule avec son fils, Meg fit part à ses amis du nom qu’elle souhaitait lui donner.

— Mahlo Lewis O’Nogan. Je veux qu’il s’appelle Mahlo Lewis O’Nogan.

Meg s’endormit sur le sol froid, son enfant emmitouflé dans une couverture, entouré de ses bras et posé sur le petit morceau de matelas.

Lorsqu’il se réveilla le lendemain, Mahlo Lewis O’Nogan était orphelin.

AUBERY Chapitre 1

4 août 2013, Londres

Le soleil était déjà bien haut dans le ciel lorsque j’ouvris les yeux. Je n’avais jamais ressenti sa chaleur d’aussi près. Je jetai un regard autour de moi et observai les quelques personnes qui se baladaient tranquillement dans le parc. Soudain, je vis un petit écureuil s’approcher. La main que je lui tendis le fit fuir. Je la laissai tomber sur un sac que je devinai être le mien et l’examinai de plus près : il n’était pas vide. Sans attendre, je l’ouvris et en déversai le contenu : un plan de la ville et un portefeuille. Je lâchai un soupir de déception, je m’attendais à mieux comme trouvailles. J’ouvris le portefeuille dans lequel il n’y avait pas grand-chose hormis ma carte d’identité et un peu d’argent. Je contemplais d’un air absent ces effets qui, désormais, m’appartenaient et je sus d’instinct ce qu’il me restait à faire.

Je me levai, attrapa le sac à dos à la volée et suivis le sentier pour quitter le parc. Je n’avais aucune idée de l’endroit où je devais me rendre exactement. C’est là que je repensai au plan de la ville. Je m’empressai de le sortir du sac, sans cesser de marcher. Mon intuition était bonne : sur la carte se trouvaient plusieurs annotations ainsi que des endroits entourés. Il suffisait que je m’y repère et ma mission pourrait enfin commencer.

Flash-back, la veille

« Ce que j’ai à te proposer aujourd’hui est l’une des plus grandes responsabilités de la communauté. Tu n’es pas obligée d’accepter, mais tu en connais parfaitement les conséquences. »

Je hochai la tête. Oh oui, je les connaissais ces conséquences. Je les avais étudiées de long en large pour mon plaisir. Si je refusais, je pouvais dire adieu à mon destin et je passerai le reste de mon existence à errer ici, sans aucun but. Il pouvait m’attribuer n’importe quelle tâche, de la plus simple à la plus périlleuse, je n’en refuserai aucune. J’avais attendu toutes ces années que ce jour arrive et enfin, j’y étais. J’écoutais le Maître, opinant sans cesse pour lui montrer combien j’étais attentive.

« Ton destin est de rejoindre les Vivants et d’en secourir le plus grand nombre. Nous sommes toutes capables d’aider notre prochain, c’est notre travail. Toi, Aubery, tu possèdes ce don au plus profond de toi. Les actes de bravoure sont bien plus naturels pour toi que pour chacun d’entre nous. C’est pour cela que j’ai décidé de te confier, sans doute, l’une des plus grandes responsabilités de tout mon règne. »

J’étais incapable de répondre, incapable de bouger. Mes lèvres se sont légèrement entrouvertes de surprise, mes yeux se sont écarquillés et mon cœur a manqué plusieurs battements. Je n’ai pas réagi tout de suite, mais lorsque je suis revenue à la réalité, je n’ai pas attendu une seconde supplémentaire pour me mettre à ses genoux. Je sentais Largan jubiler à ses côtés, mais je n’y prêtais aucune attention.

— Je suis honorée de ce que vous m’offrez, Maître. Je ferai mon possible pour aider le maximum de personnes. Je serais digne des Dyvéas. Je vous en donne ma parole.

— Es-tu sûre de ce que tu me dis là, Aubery ?

— Je n’en ai jamais été aussi sûre, Maître. Je suis prête.

Entre le Maître et les Dyvéas, un contrat pouvait être scellé. Donner sa parole représentait bien plus qu’une promesse. En prononçant ces mots, je m’engageais à respecter les termes de notre accord. Et si je venais à l’enfreindre, je serais privée de parole jusqu’à la fin de mes jours. Le Maître n’imposait aucun délai, mais aujourd’hui, je me sentais prête pour ce serment.

Dès lors, Largan reprit un air plus que sérieux. Lui aussi avait donné sa parole au Maître, le jour où celui-ci lui avait demandé d’être son bras droit. Cela faisait plus de dix ans et jamais il n’avait failli à la tâche. C’était une pression supplémentaire, mais rien ne me ferait vaciller. Je serais loyale coûte que coûte, car c’était au Maître que je devais la vie. Je lui en étais redevable.

Le soleil allait bientôt se lever. Dans quelques heures à peine, je rejoindrai les Vivants pour leur venir en aide. Je contemplais les quelques personnes déjà en activité lorsque Largan vint se joindre à moi.

— Je voulais te donner un conseil avant que tu ne partes : sois prudente. En bas, tu seras une simple humaine, avec toute ta bonté et ta générosité. Tes émotions seront décuplées, certains sentiments naîtront pour la première fois. Tu ne pourras pas aider tout le monde, il faut que tu en prennes conscience. Là-bas, il y a des personnes qui sont destinées à errer dans les ténèbres…

— Je ne te crois pas, Largan. Comment peux-tu penser que quelqu’un est destiné aux ténèbres ? Ce n’est pas possible.

— Sois prudente, c’est tout ce que je te demande.

Je le regardais s’approcher de moi, jusqu’à ce que seuls quelques centimètres nous séparent. Il glissa sa main dans ma nuque et posa son index derrière mon oreille. De son autre main, il m’immobilisa. J’avais l’impression qu’il m’enfonçait un millier d’aiguilles dans la peau.

— C’est la nouvelle méthode de Meg pour garder le lien entre les deux mondes. On veillera sur toi de là où nous sommes. Ce tatouage nous permettra de t’aiguiller. J’ai confiance en toi, mais le monde dans lequel tu vas vivre n’est pas aussi beau que tu l’imagines.

Il n’attendit pas que je réagisse et me laissa seule avec ses conseils. Il ne s’était jamais montré aussi proche, ni aussi gentil à mon égard. J’ignorais si ce qu’il disait était vrai, et bien que je voulusse me faire ma propre opinion, je décidai de garder ses paroles à l’esprit.

11 août 2013, Camden Town

Une semaine s’était écoulée depuis mon arrivée sur Terre. J’étais plongée au cœur de Londres. Je devais m’habituer à cette nouvelle vie avant de venir en aide aux autres, mais j’avais beau essayer, je revenais toujours sur mes pas pour donner un peu d’argent ou le reste de ma nourriture à un sans-abri.

Aujourd’hui, le programme était simple : je devais trouver un travail et un logement. Lorsque j’étais arrivée ici, je n’avais pas cherché bien loin et je m’étais inscrite dans la première auberge de jeunesse venue. Mais je ne pouvais pas continuer à y vivre éternellement, d’autant plus que les personnes avec qui je partageais le dortoir m’avaient regardé d’un drôle d’œil à mon arrivée et que, malgré mes efforts pour m’intégrer, je ne me sentais pas du tout en sécurité avec eux.

Après m’être habillée d’une petite robe à fleurs et de sandales en cuir, dont j’avais fait l’acquisition à Notting Hill, je sortis de l’auberge avec un plan de la ville dans mon sac. J’avais quelques heures de marche devant moi, mais je n’avais pas encore trouvé le courage de m’aventurer dans les souterrains de Londres. J’avais entouré les endroits susceptibles de m’intéresser sur le plan, et j’y avais annexé quelques notes concernant des lieux précis.

Je me baladais depuis plusieurs heures quand j’arrivai dans un endroit bien particulier. Je ne sus mettre des mots sur ce que j’observai tant c’était indescriptible. Les gens se promenaient avec un tas de sacs en mains, se faufilaient parmi la foule, regardaient les étalages des commerçants. Je m’arrêtai, curieuse, et observai l’un d’eux.

Je pris un des objets présents et commençai à l’analyser : il s’agissait d’un bracelet en cuir sur lequel étaient fixés des clous d’au moins cinq centimètres. Je n’eus pas le temps d’afficher une grimace de dégoût après l’avoir posé autour de mon poignet que le vendeur commençait déjà à m’en vanter des mérites. J’affichai une moue sceptique, je n’en avais pas envie, mais j’étais incapable de refuser quoi que ce soit et je ne voulais pas prendre le risque de le vexer. Il insistait tellement que je finis par sortir mon portefeuille. C’est à ce moment-là qu’un homme, mesurant au moins le double de ma taille, vint se placer à mes côtés. Il posa à peine son regard sur le bracelet que je lui tendis tout de suite pour m’en débarrasser. Quelques secondes plus tard, j’étais déjà loin du stand.

Je m’adossai à un mur afin de reprendre mon souffle. Si cet homme n’était pas arrivé, je serais sans doute la nouvelle propriétaire du bracelet.

Je regardai autour de moi pour voir où j’avais pu atterrir après cette fuite improvisée et c’est là que je remarquai une annonce pour un emploi. Intéressée, je m’en approchai pour lire les détails.

Recherche une personne pour travailler au bar en horaires de jour. Veuillez vous présenter au bar avec votre C.V.

Je n’hésitai pas une seconde et je m’approchai de l’adresse renseignée. Un jeune homme m’accueillit très poliment et lorsque je lui fis part de la raison de ma présence, il me demanda de patienter un moment, tout en me désignant l’endroit où je pouvais l’attendre.

Je suivis son regard, et c’est un peu dubitative que je m’avançai. Les sièges étaient différents de ce que j’avais déjà pu voir jusqu’à maintenant. C’était des petites motos face à des tables en bois. Sur ces motos on pouvait y voir des têtes de lions. Et les murs en briques étaient recouverts de grands tapis. Je m’assis sur l’une d’entre elles et attendis qu’on vienne me chercher.

J’en profitai pour regarder la clientèle. Après tout, si j’étais amenée à travailler ici, autant m’y intéresser dès maintenant. Certains, accoudés au bar, discutaient, bière en main. Ils avaient une taille assez imposante et un style bien particulier : veste en cuir, crâne rasé ou au contraire cheveux longs, énormes bottines noires et sans oublier les innombrables piercings, tatouages et bracelets en tout genre.

Je me rendis compte que j’étais en train d’en fixer un quand son pote lui donna un coup de coupe et jeta un regard dans ma direction avec un petit sourire. Plus que mal à l’aise, je détournai le regard et le serveur rencontré plus tôt vint me sauver la mise.

— Vous pouvez me laisser vos coordonnées ainsi que votre C.V., nous vous recontacterons pour vous faire part de notre réponse.

Et là, ce fut le drame. Je blêmis en lui tendant mon C.V. Vous pouvez me laisser vos coordonnées. J’étais censée lui donner quoi ? Un numéro de téléphone ? Le Maître m’en avait parlé, mais je n’avais pas encore pensé à m’acheter un de ces engins. Voilà une bêtise de ma part puisque j’en avais besoin dans l’immédiat.

Le serveur m’adressa un léger sourire, compréhensif, après m’avoir analysée sous toutes les coutures, oubliant la discrétion.

— Je n’ai pas de… Numéro de téléphone… Pour le moment. Je viens d’arriver en ville.

Je me mordillai la lèvre inférieure, légèrement gênée, mais il ne sembla pas du tout surpris. Il me répondit que ce n’était pas un problème. Après avoir trouvé un arrangement, je lui laissai les coordonnées de l’auberge de jeunesse où je logeais actuellement.

Je quittai ensuite le bar, veillant à ne bousculer personne dans cette foule. Après m’être plus ou moins écartée de tout ce monde, je fixai le ciel, les mains jointes, et remerciai le Maître, car j’étais certaine qu’il m’avait donné un coup de pouce dans cette périlleuse affaire.

Octobre 2013, centre de Londres

— Ton téléphone Aubery !

J’allais claquer la porte quand j’entendis Anthelme me rappeler de prendre mon téléphone. Je jetai un coup d’œil à ma montre et constatai, en soupirant, que j’allais probablement arriver en retard au travail. Aussi vite — et maladroitement — que possible, je fis demi-tour pour récupérer mon téléphone sur la table de la cuisine, attrapai une pomme au vol, fis un signe de la main à mon colocataire et quittai l’appartement en trombe.

Ce fut rollers aux pieds que je traversai les rues de Londres pour rejoindre mon lieu de travail. Ce moyen de transport se révélait plutôt pratique, puisqu’il me permettait d’éviter les bouchons, d’aller plus vite que certains piétons, quand il n’y avait pas d’embouteillages sur le trottoir, et qu’il m’évitait d’avoir à m’engouffrer chaque matin dans les souterrains. Depuis qu’Anthelme m’y avait initié, je ne me déplaçais plus que de cette façon.

Anthelme, c’était l’homme que j’avais rencontré quelques jours après avoir été embauchée au bar. J’étais toujours à la recherche d’un endroit où loger et ce fut en feuilletant les petites annonces que j’étais finalement tombée sur la sienne.

Homme de vingt-cinq ans recherche colocataire H ou F pour partager un appartement. Deux chambres privatives. Toutes les autres pièces sont communes. Logement situé en plein cœur de Londres. Loyer abordable.

Je n’avais retenu que les deux dernières phrases et avais immédiatement composé le numéro de téléphone. Quelques semaines plus tard, je troquais ce vieux dortoir inconfortable contre une vaste chambre rien qu’à moi. La toute première fois que j’avais vu Anthelme, il m’avait fait forte impression avec sa barbe parfaitement bien taillée, son style vestimentaire digne d’un homme d’affaires et ses cheveux plaqués en arrière. C’était un garçon tellement gentil. Il n’avait cessé de me venir en aide à la moindre difficulté. Au début, je me posais des questions, mais j’ai très vite repris mes esprits : impossible qu’il soit un Dyvéa. Le Maître m’en aurait parlé et j’en aurais de toute façon eu la certitude.

Malgré tout, l’entente n’avait pas été facile au début. Lui comme moi n’avions pas l’habitude de vivre en colocation, et il était sur mon dos à chaque instant de la journée. Il me demandait en permanence si j’allais bien, si j’avais tout ce qu’il me fallait. Cela devint rapidement pesant, au point que je finis par exploser une bonne fois pour toutes. Depuis, la situation s’était améliorée.

Je jetai un coup d’œil à ma montre en quittant la rue de mon immeuble et longeai Regent’s Park. Donnant des impulsions de plus en plus fortes pour accélérer la cadence, j’essayais de prêter attention aux personnes autour de moi, mais ce n’était pas simple tant j’allais vite.

L’automne avait déjà fait son apparition, les feuilles tombaient en abondance et je devais être plus prudente à certains endroits pour éviter de glisser.

Soulagée d’apercevoir la devanture du bar, je continuais d’avancer à vivre allure. Il ne me restait que quatre minutes avant de commencer mon service. Je pouvais le faire. Je n’avais pas eu le temps d’attacher mes cheveux, qui ne cessaient de venir me brouiller la vue, mais le calvaire allait bientôt être terminé. Une mèche vint — pour la énième fois — me barrer le visage. Je m’empressai de la dégager, mais c’était trop tard. Je venais de bousculer quelqu’un. La vitesse m’empêcha de tenir le coup et je fis un vol plané, m’étalant de tout mon long sur le sol.

À quelques mètres à peine de moi, je pouvais entendre une femme râler parce que son cappuccino venait d’être renversé. Je n’eus pas besoin de me retourner pour comprendre que j’étais l’auteur de cet incident, et je n’eus pas le temps de m’excuser, car une fois sur mes jambes, la femme avait disparu.

Je regardai l’heure à nouveau. Voilà, j’étais maintenant réellement en retard. Frottant rapidement mes genoux pour en enlever la poussière, je constatai que ma chute avait occasionné deux belles taches de sang sur le devant de ma robe. Je décidai d’en faire abstraction et rejoignis enfin mon patron qui avait vu la scène de loin. Sans émettre le moindre commentaire, je commençai mon service.

Cela faisait plusieurs semaines que je travaillais ici. Ce n’était pas le grand luxe, mais l’ambiance y était très agréable. Je rencontrais des personnes de tout genre, certaines sympathiques, d’autres moins, mais comme le disait Augustyn à chaque fois qu’il voyait quelqu’un avec un style un peu trop particulier : il faut de tout pour faire un monde. Il était à présent un ami. Il m’avait guidé tout au long de mon apprentissage et il ne cessait de répéter à qui voulait bien l’entendre que l’élève avait dépassé le maître. J’étais toujours derrière le comptoir, à prendre les commandes des clients et à les servir. Augustyn me disait souvent que je ne devais pas me retrouver de l’autre côté du bar lorsque j’étais en service. Question de sécurité m’avait-il dit. Si les clients avaient besoin de quelque chose, c’était à eux de venir jusqu’à moi.

Il m’arrivait souvent de regarder le ciel et de remercier le Maître, car sans lui, je n’aurais pas été là aujourd’hui.

J’étais un peu perdue dans mes pensées, nettoyant les verres, dos à la clientèle, lorsque j’entendis s’élever la voix d’une femme.

— Je veux un cappuccino. Une gamine insolente a renversé le mien avant que je n’aille à un rendez-vous ce matin.

Cette voix… Je me raidis. Je savais de qui il s’agissait, et je priai le ciel pour qu’elle ne m’ait pas reconnu.