Maudit - Cassandra Blouet - E-Book

Maudit E-Book

Cassandra Blouet

0,0

Beschreibung

Pour Chloé, un retour dans l'autre monde s'impose, mais à quel prix ?

Quand Chloé ouvrit les yeux, elle sut immédiatement que quelque chose n'allait pas. Le problème n'était pas dans ce monde qui avait perdu toutes couleurs, ni dans ces personnes qu'elle connaissait mais qu'elle n'arrivait pas à reconnaître. Elle n'aurait jamais dû revenir, voilà tout. Il lui fallait à nouveau partir, mais elle se jura que cette fois-ci, elle ne serait pas la seule à mourir.

Découvrez sans plus attendre le deuxième volet de cette saga haute en couleurs !

EXTRAIT

On dit qu'une personne ayant fait l'expérience de la mort en ressort plus forte, plus résistante, plus grande. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort vous dira-t-on. Cette phrase craint. La vérité, c'est que quand une personne a entendu son souffle devenir erratique, a senti son corps devenir aussi mou qu'une poupée de chiffon. Quand une personne est arrivée au point où elle a dû supplier la mort elle-même pour que celle-ci l'épargne… Jamais au grand jamais, elle ne se sentira à nouveau forte. Qu’y a-t-il de fort, de noble, de courageux, à avoir senti ses jambes s'écroulaient, et à s'être écrasé aux pieds de l'assassin ? Où est-elle, cette magnifique force qui devait m'inonder, me pousser à me battre ? Je n'arrivais même pas à regarder mon reflet droit dans les yeux.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Cassandra Blouët, dite Cassy, est née en 1995.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 303

Veröffentlichungsjahr: 2018

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Pour Manon. H,

CHAPITRE I

On dit qu’une personne ayant fait l’expérience de la mort en ressort plus forte, plus résistante, plus grande. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort vous dira-t-on. Cette phrase craint. La vérité, c’est que quand une personne a entendu son souffle devenir erratique, a senti son corps devenir aussi mou qu’une poupée de chiffon. Quand une personne est arrivée au point où elle a dû supplier la mort elle-même pour que celle-ci l’épargne… Jamais au grand jamais, elle ne se sentira à nouveau forte. Qu’y a-t-il de fort, de noble, de courageux, à avoir senti ses jambes s’écroulaient, et à s’être écrasé aux pieds de l’assassin ? Où est-elle, cette magnifique force qui devait m’inonder, me pousser à me battre ? Je n’arrivais même pas à regarder mon reflet droit dans les yeux.

Les gens parlaient de renaissance, de renouveau, d’une deuxième chance, mais je voyais juste un corps à moitié mort, et tellement vide. On m’avait bien sûr répété à quel point tout finirait par s’arranger, qu’il fallait juste que je m’accroche encore un peu. Sarah le répétait souvent, même tout le temps. J’avais essayé de lui parler de cette sensation de vide, de rien perpétuel. À chaque fois les mots n’étaient pas sortis, s’entassant dans ma gorge, rendant chaque bouffée d’air plus dur à prendre chaque jour. J’avais essayé pourtant, me raccrocher à quelque chose. Mais penser à mon passé ne me ramenait qu’aux erreurs que j’avais faites, et qui m’avaient conduit une nuit dans une clairière. Le futur était bien trop incertain dans mon esprit pour que je puisse m’y perdre, et le présent… J’avais l’impression d’en être exclue. J’avais passé cinq mois alitée, mon esprit passant de l’éveil à la veille, ou peut-être l’inverse, je ne m’en souviens plus vraiment, tout était si confus et douloureux. Au premier battement de cils, j’attirai un essaim autour de moi. Ils étaient tous là, à mesurer mon rythme cardiaque, ma respiration, vérifier mes réflexes, la dilatation de mes pupilles. Un bourdonnement assourdissant, tellement obnubilé par le fonctionnement de mon corps, que personne ne remarqua le trou béant et sombre à la place de mon cœur. Il ne fallut pas attendre plus d’une heure pour que je fasse ce qu’ils avaient appelé une crise de panique. Sauf que chez moi, ce genre de crise, ne s’arrêtait pas simplement à des cris, des larmes. J’avais créé une véritable tempête dans la chambre. Robin entra alors. D’un mot, il fit sortir tout le monde. Il passa le reste de la journée seul avec moi en pleurs dans ses bras. Je ne savais même pas pourquoi je pleurais, j’en avais juste besoin.

Pendant les deux mois qui suivirent, on chercha à me remettre en forme. Chaque journée était une nouvelle épreuve, et j’en venais parfois à regretter d’avoir un jour ouvert les yeux, d’avoir eu l’audace de croire que j’étais assez forte. J’avais l’impression d’être séparée du monde par une immense bulle de verre. On me répétait chaque jour que tout allait bien, à croire qu’il cherchait à me convaincre. J’avais essayé de m’adapter, de retrouver une sorte de place dans ce nouveau présent, mais j’étais séparée de lui par sept longs mois. Qu’importe la vitesse à laquelle je pouvais aller, je n’étais plus qu’un point noir figé hors du temps. J’avais fini par m’y habituer. Je compris que le trou noir dans ma poitrine ne se refermerait pas. Les gens me répétaient que tout allait bien, et je les laissais faire, je les laissais y croire, sans moi-même y croire. Je n’étais pas triste, ni malheureuse. J’étais juste résignée, abusée de la vie.

Ce matin était arrivé, et avec lui ma réhabilitation. Le conseil que j’avais cherché à fuir m’avait remis sur pied. Le destin faisait ironiquement bien les choses.

Je rattachai mes cheveux, remis mon médaillon sous mes vêtements. Une inspiration un peu trop grande et je grimaçai. Lors de ma chute, la nuit de ma mort, je m’étais brisée plusieurs côtes et elles étaient encore fragiles. Il fallait que je fasse attention :

– Tu es prête ?

Je sursautai et me retournai tremblante. Mon cœur reprit un rythme normal à la vue de la jeune fille aux longs cheveux blonds tenus par une tresse :

– Angy ! Mais… où est Robin ? Demandai-je prise d’inquiétude.

– Pas là, répondit-elle froidement.

Elle ne me laissa pas le temps d’insister. Elle ouvrit la porte et sortit, me faisant signe de la suivre. Je pensais que Robin aurait été en charge de mon suivi, si l’on pouvait appeler cela ainsi. À la place, ils l’avaient choisie, elle, la personne la plus inattendue. Je me retournai, observant la chambre. Les journées d’alitements me manquaient. Je me sentais incroyablement seule. Sans un mot, sans une plainte, je sortis à mon tour, fermant la porte derrière moi.

Les escaliers défilaient, et j’avais du mal à suivre. C’était bien plus fatigant de reprendre une vie normale que ce à quoi je m’attendais. À plusieurs reprises, je voulus m’arrêter, mais Angy ne semblait pas faire attention à moi. Pour une raison que j’ignorais, me retrouver seule dans ces couloirs de pierre froide, me remplissait d’effroi. Quand elle disparaissait au détour d’un couloir, la peur surgissait, et me donnait assez d’élans pour la rejoindre. Notre course se termina dans une salle aussi vide qu’elle était grande. Il n’y avait aucun ornement, aucune sculpture, aucune peinture même la plus quelconque, seulement une éternité de dalles grises. Pas même un meuble. Je me sentais comme une ridicule petite chose, bien plus fragile que ce que je devais avoir l’air. Prise dans ma contemplation, je n’avais pas fait attention à Angy. Cette dernière me coupa dans mes réflexions en me lançant un bâton de deux mètres de long. Il s’écrasa, raisonnant contre le sol. Je le ramassai sans plus tarder, peu sûre de la suite. À peine redressée, Angy m’envoya un coup dans les mollets me faisant m’écrouler au sol :

– Mais ça va pas ! M’écriai-je, hors de moi.

Elle ne dit rien restant droite, comme un soldat prêt à l’attaque, attendant que je me relève. Elle avait fière allure dans sa tenue de détentrice blanc d’argent aux bordures bleu d’eau. Elle avait enroulé sa longue tresse en un chignon, dont seules deux mèches symétriques s’échappaient pour glisser le long du visage.

Je me relevai avec peine. D’une rapidité effrayante, d’un simple mouvement, elle me fit de nouveau toucher le sol. Je ne dis rien et me remis debout, prête pour la prochaine attaque. Trop tard, j’étais déjà à terre, haletante, mes muscles tremblants, me soutenant à peine. En moins de quelques heures, la journée avait eu raison de moi :

– Qu’est-ce que tu attends de moi ? Hurlai-je à bout de nerfs.

Elle ne répondit rien restant toujours droite, sa fierté sur le visage. Un instant, je me pris à penser qu’elle avait changé en sept mois, pas seulement dans son comportement, mais aussi physiquement. Je n’avais pas l’intention de me relever pour prendre des coups sans savoir pourquoi :

– Relève-toi ! m’ordonna-t-elle finalement.

– Non.

– Reprend ton bâton et debout !

– Non.

– Debout !

Le temps devint une éternité de silence, pendant laquelle nous nous fixions, cherchant à savoir qui flancherait avant l’autre. Puis sans prévenir elle soupira, ses lèvres se froncèrent légèrement. Pour la première fois, depuis qu’elle était rentrée dans ma chambre son visage se fit moins dure, et elle hésita. Ses points se serrèrent, se desserrant la seconde d’après, pour se refermer, blanchissant ses jointures :

– Tu ne peux pas t’en empêcher, pas vrai ? ! s’énerva-t-elle. Tu nous fais un autre caprice ? qu’est-ce qu’il y a ? Tu as peur ? Tu es fatiguée ? Tu veux fuir et abandonner encore ? Regarde-toi, tu n’es qu’une trouillarde ! Tu n’as rien d’une battante, tu n’es qu’une gamine pleurnicharde. Le temps, nous n’en avons plus assez. Alors voilà le topo ma belle, derrière cette porte tu n’es qu’une lâche, prête à ruiner l’avenir d’un peuple pour ses propres idioties. Tu ne sais ni te battre ni utiliser l’air. En résumé, tu es inutile. Ils savent où nous sommes et ce n’est qu’une question de mois avant qu’ils n’arrivent, huit mois tout au plus. Alors arrête–de penser à ce que tu as perdu, et pense plutôt à ce que tu perdras si l’on échoue. Oublie chaque question qui envahit toutes les secondes ton esprit. Arrête d’être une enfant. Ses yeux rencontrèrent les miens amplis de larmes. Juste une fraction de seconde. Elle se racla la gorge, soupira, et s’agenouilla à mes côtés. Le soldat froid et tranchant avait disparu, et il ne restait plus que la jeune fille aux longs cheveux blonds et aux grands yeux bleus, pleine d’empathie. Quand elle reprit la parole, son ton était plus doux :

– Chloé ce qui est passé, est passé. Notre place est ici à présent, rien ne pourra changer cela. C’est ici qu’aura lieu notre futur. Donnons-lui au moins la chance d’exister. Je ne veux pas que ma vie se résume à mon passé et mon présent, je veux avoir la chance d’une nouvelle vie. Alors maintenant tu vas reprendre ce bâton, tu vas te relever, et tu vas le refaire chaque jour jusqu’à ce que la guerre soit à nos portes ou que l’on ait fini !

CHAPITRE II

La matinée avait été des plus éreintantes. J’avais cherché à faire de mon mieux, mais mes bras restaient flasques et mous, comme la plupart de mes autres muscles. La plupart du temps, Angèle exécutait des mouvements que je devais ensuite imiter. Ses pas glissaient sur le sol, à l’aise, souples, comme une danseuse répétant un ballet, agile et légère. Plus je la regardais, là, concentrée dans ses propos, dans ses gestes, plus je prenais conscience de mon retard. J’essayais de faire écho à ses paroles, ses mouvements, mais je n’étais pas sûre d’être douée pour ça, pour la guerre. Dans un sens, c’était une bonne chose. Ne pas être douée pour se battre, pour tuer dans un chaos le plus total, ne pouvait pas être mauvais. Pourtant, alors que je trébuchais à chaque pas, manquant de chuter, me prenant les jambes dans mon bâton, je ne ressentais qu’une angoisse un peu plus grande. À plusieurs reprises, Angy chercha à me confronter, cherchant à travailler mes réflexes. Chaque coup envoyé ne faisait que confirmer l’idée que tout ceci était peine perdue. La matinée se terminait à peine, que j’étais déjà au sol, tremblante, à bout de forces, des perles de sueur coulant sans vergogne sur mon visage teinté de rouge. Le plus désagréable était que je n’avais même pas réussi une seule seconde à toucher, ou même frôler mon adversaire. Angèle me tendit sa main. Avec la plus grande difficulté, je m’y accrochai. Elle m’aida à me relever, et me fit signe de la suivre. J’avançais péniblement, ressentant chaque bleu, chaque courbature que la matinée avait formée sur mon corps, persuadée qu’ils me feraient encore grimacer demain. Contrairement à moi, Angy marchait avec grâce et aisance, elle ne semblait même pas avoir souffert de l’entraînement. Elle m’emmena jusqu’à une pièce que j’eus peu de mal à reconnaître. Sans plus de cérémonie, elle se déshabilla et rentra dans l’eau. Je fis de même. Avant d’entrer dans l’eau, mes yeux s’accrochèrent à mon reflet. Ce matin déjà, je n’avais pu m’empêcher de remarquer les changements anormaux de mon physique. À part la perte de poids considérable qui laissait apparaître mes côtes sous ma peau blafarde, mes mains étaient devenues plus fines, et mes doigts plus élancés. Mes cheveux étaient redescendus jusqu’à mes épaules. Plus troublant encore, le blond pâle qui les recouvrait habituellement s’était amoindri, laissant la place à un dégradé de blond, châtain, et de brun :

– Tu finiras par t’y habituer, me dit Angy.

Je sursautai, sortant de ma contemplation, je rentrai dans l’eau, la fixant pleine d’interrogation :

– Quand nous sommes passés d’un monde à l’autre, la première fois, notre corps a été modifié pour ne pas faire tache en quelque sorte. Ton corps reprend sa forme d’origine, rien de plus.

Il y avait quelque chose d’assez agréable dans ce qu’elle disait. Depuis toujours, je n’avais jamais senti mon corps comme étant le mien, comme si quelque chose clochait, et pour une fois, la réponse qui m’était donnée n’était pas la folie. C’était une chose si rassurante que la confirmation d’un mal-être.

J’étais épuisée, mais mon apprentissage, ne semblait pas être pour autant fini. J’aurais souhaité laisser mon corps dériver un peu plus longtemps dans cette eau un peu trop fraîche, mais Angy n’était pas de cet avis. Dix minutes plus tard, elle sortit de l’eau, et je compris que je devais faire de même. Je m’habillai avec empressement, les cheveux trempés collant à ma peau. Je n’étais pas entièrement vêtue qu’elle me tendait une sorte de sandwich.

À peine habillée, elle m’emmena dans les couloirs. Je la suivais, mangeant avec gloutonnerie, la trop petite collation. Elle semblait connaître chaque recoin, chaque mur, n’hésitant jamais dans un tournant. En marchant elle se mit à parler :

– Chaque matin, je viendrai te chercher à ta chambre. Nous passerons la matinée à nous entraîner aux armes, et l’après-midi sera destiné à tes facultés élémentaires. Pense que tout ce pour quoi tu es entraînée est destiné à ta survie, et qu’elle ne te concerne pas toi uniquement mais chaque être vivant, alors ne fait pas l’idiote.

Elle s’était arrêtée devant une porte ordinaire, faite de bois craquelant. Elle se retourna vers moi, me fixant avec attention, cherchant la moindre faille dans mon comportement :

– Des questions ?

– Je croyais que tu faisais tout mon entraînement !

– Oh que non ! le matin me suffit assez, dit-elle.

Elle ne chercha pas à frapper pour annoncer sa venue. Elle tourna la poignée, et ouvrit brusquement la porte. À l’intérieur, un désordre sans nom régnait. Des livres jonchaient le sol, mêlés à des objets de types variés. On devinait à peine la table et les autres meubles sous cet amoncellement de chose. Au milieu de toute cette pagaille, se trouvait un jeune homme. Il était fin, des boucles brunes tombaient sur son visage, un peu plus carré, son regard était plongé dans ses papiers, cherchant avec passion un mystère. Angy se racla la gorge. Il releva la tête, aux aguets. Son regard turquoise plongea sur nous. Un sourire se dessina sur ses lèvres. En quelques minutes, il fit la distance qui nous séparait, enjambant les encombrements sur son chemin. Il se tourna vers Angy et son regard devint rieur :

– Alors ? Demanda-t-il.

– Elle a tenu, répondit-elle en lui lançant une pièce.

J’étais estomaquée : tous deux s’amusaient à parier sur mes capacités alors que j’étais à peine remise. Je me serais probablement énervée auparavant, quand il me restait de l’énergie. La seule chose que je ressentis fut une pointe de peine, comme si j’avais perdu un peu de ma propre estime. Je détournais le regard, me coupant un peu plus de la réalité, retournant dans ce monde qui n’était qu’à moi. J’admirai les objets que comportait la pièce, n’entendant plus que ma respiration dans la tête.

La porte claquant derrière moi me fit revenir à la réalité. Je me retournai et m’aperçus qu’il ne restait plus que moi et Charly dans la pièce. Celui-ci ne semblait pas avoir perdu de sa bonne humeur. Un instant, je me perdis dans son sourire. J’aimais bien cette plissure que formaient ses lèvres. Mélangée aux pétillements de ses yeux, cela lui donnait un air malicieux, et dans un sens une sorte de paix dans l’amusement. J’esquissai un sourire timide, baissant le regard, cherchant à cacher ma gêne. Il me le rendit, dégagea une boucle de ses yeux, puis toujours avec une étrange gaieté, il dit :

– On commence ?

Il partit farfouiller dans les piles de livres et tout en cherchant il continua :

– Le problème, vois-tu, est que je suis le moins bien placé pour t’enseigner l’air, comment expliquer quelque chose qu’on ne peut pratiquer ?

– Et tout ces livres ? demandais-je timidement.

– De vagues informations par rapport aux sens, aux ressentis, aux sensations qui inondent le corps quand l’élément est manipulé. Bien sûr, les sensations sont bien différentes, dépendant aussi bien de l’élément que de la personne. Mais il existe bien peu d’écrits provenant des détenteurs de l’air.

Il attrapa un énorme pavé, l’ouvrit, tourna quelques pages, puis le referma dans un claquement sourd. Il le poussa sur la petite table ronde, le faisant glisser jusqu’à moi :

– C’est à peu près tout ce que l’on possède au sujet des tiens.

Je restai sans bouger, hébétée. C’était avec un livre qu’ils avaient l’intention de faire de moi une détentrice de l’air hors pair ? Une personne maniant l’air pouvait faire mieux que ce livre :

– Peut-être que Robin pourrait faire quelque chose ? demandai-je hésitante.

– Il n’est pas ici, il est parti avec les éclaireurs. Sarah passe son temps avec Lorna réfléchissant aux meilleurs moyens de gagner, et Sébastien… il faudrait qu’il apprenne à canaliser le sien, et puis en ce moment… disons qu’il n’est pas en tout point le professeur idéal. Il ne reste plus qu’Angélique et moi. Une autre question ? termina-t-il.

– Non, aucune, murmurai-je.

Il me montra du regard le fauteuil dans un coin, et sans un mot j’attrapai l’épais volume et m’assis. J’observai la couverture de cuir blanche. Un symbole en or, qui ne m’était que trop familier, y était gravé au centre. Un fin lacet d’un bleu de minuit pendait négligemment, cousu sur le milieu de la tranche. Je fis glisser mes doigts sur la couverture, et des symboles dorés apparurent. Un instant je me laissai aller dans une rêverie contemplatrice. Une émotion, encore inconnue, se glissa en moi. J’avais comme une sorte de mélancolie bienheureuse, me ramenant à des souvenirs que j’avais depuis longtemps oubliés. Pris d’une avidité soudaine, je l’ouvris. Mon euphorie s’arrêta net : les symboles s’étalant sur les dizaines de milliers de pages, m’étaient encore et toujours inconnus. Je relevai la tête en quête d’une aide. Charly était plongé activement dans des livres, des rouleaux de papier, prenant à plusieurs reprises des notes. Je voulus l’interpeller, mais les mots restèrent coincés, enfermés par mes lèvres qui ne souhaitaient pas s’ouvrir, prise d’embarras. Sentant mon regard sur lui, il leva les yeux de ses occupations :

– Un problème ? Demanda-t-il.

– Non, enfin c’est que… je… je n’arrive pas à… lire…enfin…je…

– Ah oui ! se souvint-il.

Il fouilla dans sa paperasse, pour finalement en sortir une petite feuille, où quelques lignes étaient griffonnées. Il me le tendit :

– Tiens, j’avais fait ça pour t’aider, mais ça devrait revenir rapidement, dit-il avant de repartir à ses occupations.

Dessus étaient inscrits plusieurs symboles, et chacun associé à des lettres qui m’étaient plus familières. Je fis défiler les pages devant mes yeux : si pour chaque mot, je devrais déchiffrer ainsi, j’allais prendre un temps fou. Avais-je vraiment d’autre possibilité ?

J’inspirai et tenant la feuille dans une main, je partis dans mon déchiffrage. La première page fut ardue, je relisais chaque phrase plusieurs fois avant d’en déduire le sens. Manque de chance le livre était rédigé à la main, rendant l’exercice bien plus difficile. La deuxième page fut pire, la troisième fut un cauchemar, et à la quatrième je faillis abandonner. Pourtant, quand commença la cinquième page ma mémoire se remit en marche, et sans que je ne m’en rende compte les symboles devinrent petit à petit des lettres. La centième page arrivant, sans que je m’en aperçoive, le petit papier glissa de mes doigts. J’étais prise par le livre. C’était une sorte de journal, et l’auteur était la première détentrice de l’air. Elle avait très peu parlé de sa vie d’avant l’implantation. Le récit commençait par le jour où ils entendirent, elle et son frère, l’annonce pour devenir détenteur. Ils vivaient dans une sorte de grenier. Ils n’avaient jamais eu de toit à eux. Ils n’avaient que l’un et l’autre. L’idée qu’un jour, où à leur tour, ils pourraient goûter les affres de la vie sans aucune retenue, n’était qu’alléchante à leurs yeux, ils n’avaient aucune peur des conséquences que cela pouvait engendrer sur eux.

Ils ne rencontrèrent aucun des autres volontaires avant l’implantation. Immédiatement on les plaça dans une pièce, on leur fit enlever leurs vêtements, pour les remplacer par de vulgaires draps que l’on avait arrangé en toge. Il n’eut pas peur, elle non plus, mais les premiers doutes lui apparurent. On les attacha chacun à un fauteuil, fermement. Ce fut douloureux, bien plus que ce qu’ils avaient vécu. La faim, la soif, le froid, la maladie, les coups reçus, rien ne fut pareil à cela. Lui s’évanouit, elle resta éveillée face à lui hurlant de douleur. Sa vision se brouilla, pour finir par n’être plus qu’un éternel blanc. Elle crut mourir à plusieurs reprises, l’air lui manquait, sa gorge était sèche, versant des larmes invisibles. Il y eut comme un choc et la douleur s’arrêta, il ouvrit les yeux, et elle s’écroula sur son fauteuil, inerte.

Pendant de longues semaines, leur vie n’était qu’un rêve éveillé. L’élément se débattait en eux, et seulement après une longue lutte acharnée, apparut une sorte d’équilibre. À partir de cet instant, l’élément fut une partie d’eux, et eux une partie de l’élément.

Quand ils reprirent connaissance quelque chose au plus profond de leur être avait changé, modifiant jusqu’à la plus petite parcelle les composant. Leur reflet était le même dans le miroir, pourtant ils n’arrivaient pas à se reconnaître.

Peu de temps après, on les fit entrer dans la salle du conseil. Ce fut la première fois qu’ils rencontrèrent les autres détenteurs. À sa droite, une jeune femme aux longs cheveux argentés à l’air princière était assise, droite, fière, le regard fixe. À côté d’elle se trouvait un jeune homme du même âge, plutôt calme, inspectant du regard chaque recoin. À sa gauche, tout au bout, une femme d’un âge moyen, aux cheveux mauves tombant sans retenue, ne laissant que dépasser la pointe dentelée de ses oreilles. Près d’elle, un homme à la peau mate, au regard dur, et aux cheveux sombres comme l’ébène.

Entre les deux paires se trouvaient encore quatre chaises vides. Elle s’avança, glissant sur le sol comme un chat, elle tira une des chaises du milieu et s’y installa. Lui prit la place entre elle et le jeune garçon. En silence, ils attendirent, sans que personne ne leur dise la suite des événements, ni que l’un d’eux prononce ne serait-ce qu’un son. Elle savait qu’elle avait changé, bien plus que sa raison ne lui permettait de comprendre, mais elle n’arrivait à dire en quoi. Elle se retourna prête à bondir quand elle sentit que l’on tapotait sur son épaule. Une petite fille se tenait devant elle, âgée probablement de dix ans, ou peut-être douze, ou huit. Il y avait quelque chose en elle qui l’empêchait de la cerner telle qu’elle était vraiment. L’enfant lui demanda « je peux m’asseoir ? » mais elle ne répondit pas, trop abasourdie de voir quelqu’un d’aussi jeune autour de cette table. Derrière elle, un garçon aux cheveux argentés arrivait à son tour. Il s’arrêta figé pendant un instant. Elle se retourna et vit la femme froide le fixer. Il y avait quelque chose, mais elle ne savait quoi entre eux, un vécu commun probablement. Le temps se remit en route et il s’assit près de l’enfant. Quelques secondes après, les membres du conseil entrèrent, leur robe traînant sur le sol. Ce jour-là, on leur fit abandonner leur vie passée, pour celle à venir. Ils apprirent les quatre règles fondamentales des détenteurs :

Ne jamais tuer un autre détenteur.

Défendre ce monde et les autres.

Ne jamais avoir de relation intime avec le détenteur du même élément que soi.

Avoir une descendance pour transmettre l’élément.

On leur remit un uniforme. On les traita comme de puissant héros de guerre eux qui n’étaient rien, qui n’avaient jamais tenu une arme entre leurs mains. Ils entendirent même que des statues seraient faites à leur effigie. Avant, ils en auraient été fiers, peut-être même orgueilleux, mais aujourd’hui ils ne faisaient qu’en rire gentiment.

Alors qu’ils se préparaient à partir pour refermer le passage entre ce monde et le nouveau, elle sentit que l’on tapota sur son épaule. Ce retournant, elle reconnut la petite fille, qui n’était qu’autre que la détentrice du feu. L’enfant lui fit signe de se pencher. Elle obtempéra :

– J’ai un cadeau pour toi, murmura-t-elle.

– Pourquoi moi ? lui demanda-t-elle intriguée

– Comme ça !

À ma grande surprise le récit s’arrêtait là. Incomplet, me laissant perplexe et pleine de question. Les quelques pages qui devaient le finir avaient été finement arrachées, ne laissant aucune marque, seulement un espace légèrement plus grand entre cette page et la dernière qui clôturait l’histoire de la première fille de l’air. J’allais faire part de ma découverte à Charly, lui demander où les pages manquantes se trouvaient, mais je n’en fis rien. À la place, je m’attardai sur la page restante :

« Le monde était redevenu paisible, en un sens. Chacun était parti de son côté, vivre cette nouvelle chance que l’on nous avait donné. Et il n’existe pas un seul jour, sans que je ne me rappelle que mon devoir, ma tâche, ne sera jamais pleinement accomplie. Pendant un temps, mon frère et moi avons parcouru le monde ensemble, découvrant les choses que notre condition d’autrefois nous empêchait d’atteindre. Cela dura fort peu longtemps, nous savions tous deux que rester ainsi, les mains jointes, n’était que par peur de ce que cela révélerait. Et un jour, alors que nous ne voyions qu’une longue continuité d’herbe haute tout autour de nous, il lâcha ma main, un dernier regard et bientôt il n’était plus qu’un point dans l’horizon. Quand il n’y eut plus aucune trace de lui, je laissai un soupir se glisser entre mes lèvres. Il n’y avait rien de nostalgique, ou du sentiment de perte. Au contraire, ce fut une sensation de liberté qui m’envahit. Et à cet instant, je compris : cette chose que l’on nous avait implantée nous rendait étrangers aux autres, en cela elle nous rendait identiques, semblables, et aussi différents l’un de l’autre que pouvait l’être la brise matinale du cyclone. C’était cette ressemblance qui nous divisait à présent. »

Je fixai les derniers mots qu’elle avait écrit, y cherchant un sens qu’il m’était impossible à comprendre. Bien sûr, l’épais volume n’était pas terminé, bien au contraire, mais je n’avais que faire de ce que les pages qui suivaient pouvaient raconter.

Je relevai la tête, et je me retournai vers Charly :

Que leur est-il arrivé ? lui demandai-je.

– À qui ? demanda-t-il sans même lever les yeux

– Aux premiers détenteurs de l’air.

Son regard vint se poser sur moi et il eut un sourire doux :

– Aucune idée, probablement ont-ils fondé une famille, sinon tu ne serais pas ici. Mais comme je te l’ai dit, c’est la seule chose que l’on possède sur tes ancêtres. Ils se sont tous volatilisés, apparaissant quand le moment l’exigeait.

Il attrapa un petit sablier sur une table et l’observa minutieusement. Il le reposa avec maladresse, évitant de justesse sa chute. Il essaya de mettre un semblant d’ordre dans ses affaires, mais en vain. Il se retourna vers moi :

– Je pense que pour aujourd’hui cela suffit. Laisse le livre sur la table et viens.

Il ouvrit la porte et me fit signe de sortir. Il la referma à clé derrière lui. Sans plus tarder, il avança dans les couloirs, un sourire imperturbable sur ses fines lèvres. Il s’arrêta un instant, me fit signe d’attendre et partit dans une pièce. La nuit était depuis peu tombée et quelques personnes marchaient encore dans le dédale de couloirs et d’escaliers. À ma vue les gens m’envoyaient un regard plein de reproche, je le sentais glisser sur mon cou, relevant les poils sur ma nuque. Je baissai le regard, cherchant à disparaître, à n’être plus que l’ombre des pierres, des dalles, et rien d’autre, être juste invisible à leur regard.

Charly revint avec un panier dont le contenu m’était peu visible. Souriant toujours il m’invita à le suivre, et tout en haut, nous montâmes. Plus nous nous approchions du sommet, moins nous croisions de personne, plus je me sentais légère. Charly m’emmena jusqu’à une petite estrade, que je ne connaissais que trop bien. Les yeux perdus au loin, je pris une grande bouffée d’air frais avant de prendre place à ses côtés. Charly positionna le panier entre nous. Il contenait de nombreux fruits, étrangement ressemblant à ce que j’avais toujours connu à quelques détails près. Sans rien dire, je pris un fruit et y plantai les dents, laissant le jus qui s’échappait glisser dans ma gorge, profitant de l’air frais et de cet instant de paix :

– Merci, murmurai-je dans la pénombre.

– Une vieille amie m’a conseillé.

Je laissai le temps s’évaporer dans le silence. Mon esprit était à présent empli de question, se pressant et s’enchaînant avec une force destructrice. Ma tête devenait lourde et éprouvante sous le poids de toutes ces pensées. Finalement, je me décidai à faire part de mes inquiétudes à Charly :

– Cela nous change, pas vrai ?

– Quoi donc ?

– Les éléments, ils modifient notre être fondamental, murmurai-je.

Il se retourna vers moi et mon regard s’accrocha au sien :

– La plupart des gens pensent que l’on a simplement enfermé un élément en chacun de nous, comme s’ils n’étaient à présent qu’une chose chétive à notre merci, obéissant à nos désirs. Les faits sont tout autres, j’imagine que tu le devines.

Je baissai les yeux, fixant mes mains, observant l’invisible mouvement de l’entité qui les entourait :

– Ils sont autant à nous, que nous sommes à eux.

– L’implantation n’a fait que leur donner un corps, malheureusement des gens les habitaient déjà. Ils nous modifient autant que nous les modifions, l’équilibre parfait.

Ses derniers mots furent un murmure raisonnant dans l’air comme une sentence.

Alors c’était ainsi que je finirai : enchaînée à cette chose qui me rongera autant que je la rongerai. Je ne serai jamais entière, jamais pleinement maîtresse de mes actes, seulement à moitié. Cette pensée me fit frissonner, mais avant qu’elle ne fasse trembler tout mon corps, elle s’entrechoqua à une autre :

– Si l’implantation n’avait pas été un succès, que se serait-il passé si les volontaires n’avaient pas survécu ?

Il me regarda avec interrogation. Il semblait surpris par ma question :

– Tu n’as pas compris ?

– Quoi donc ? demandai-je un peu perdue.

– La survie des volontaires n’était qu’une option, le but était simplement d’enfermer les éléments. C’est pour cette raison qu’ils ont pris des volontaires, car ils savaient que rien ne raccrochait ces personnes à d’autres. Il fallait être complètement démuni pour accepter une chose comme cela.

Le silence reprit le dessus, me laissant le temps d’assimiler la réponse, qu’elle imprègne mon être, glissant dans mon corps, se répandant dans mon sang comme un venin brûlant. Pourtant, même si j’avais compris chacun des mots, je n’arrivais toujours pas à accepter n’être qu’un pantin dans une affreuse blague. Je replongeai mon regard dans la noirceur du monde, y cherchant une infime touche de lumières :

– Quand toute cette histoire finira, je partirai loin, très loin, là où personne ne pourra me trouver, me forcer à participer à une pathétique guerre sous prétexte que je suis sous serment. Si je ne peux être entièrement moi, je veux au moins l’être à moitié pleinement.

Charly éclata de rire, et je ne pus m’empêcher de le suivre. Il y avait quelque chose d’agréable dans son rire, quelque chose de rafraîchissant, aussi clair et apaisant que le clapotis d’un ruisseau s’écoulant. Encore en pleine crise de rire, j’essayai de reprendre mon calme et j’articulai :

– Non mais je suis sérieuse, quand tout cela prendra fin, je partirai loin de tout, loin de ces êtres qui se déchirent et agissent sans état d’âme.

– C’est un plan plutôt sympa !

– Je trouve aussi, dis-je en souriant

– Je pourrai venir ? demanda-t-il en riant.

– Pourquoi pas.

****

À peine entrée dans la chambre que je m’effondrai sur le lit, exténuée. Cette journée avait été la plus éprouvante que j’avais vécu depuis bien longtemps, et dans un sens cela avait eu du bon. Pour la première fois depuis mon réveil, je ne m’étais pas morfondue sur mon sort, j’avais même senti quelque chose au fond de moi, tout au fond, renaître. Je n’avais même pas eu le temps de penser, le sommeil était arrivé avant. C’était un sommeil profond, sans grand dialogue, sans image. Un sommeil reposant, sans grande vision, sans honte ni peur. Je me disais que peut-être quand la guerre serait finie, quand toute cette histoire prendrait fin, alors peut-être j’aurais une seconde chance, un futur doux et paisible sans grand drame. J’étais paisible, comme je ne l’avais jamais été dans ma vie auparavant.

Venant de nulle part, une pensée apparut en moi, apportant une ombre avec elle. L’impression d’un danger éveilla mon esprit, et les yeux encore fermés, je cherchai à me rassurer de l’idiotie de celle-ci. C’était une chose sensée, qu’après ce que j’avais vécu, j’aie de telle pensée insensée. J’avais beau me répéter que tout allait bien, qu’aucun danger ne pouvait m’atteindre ici, l’angoisse ne partait pas. J’en vins à une seule conclusion : il fallait que j’ouvre les yeux, que je touche la boule lumineuse, et alors le vide de la pièce me remettrait les idées claires. Je pris une grande inspiration, je tendis la main rentrant en contact avec la boule. Mes paupières se colorèrent m’indiquant que la pénombre s’était dissipée.

Je n’avais plus qu’à ouvrir les yeux, puis je rirais de ma stupidité, et je me rendormirais. Je repris une inspiration, me redressant légèrement, et avant que je n’aie eu le temps de trouver une raison de ne pas le faire, j’ouvris les yeux.

Il se tenait là devant moi, ses cheveux étaient à présent coupés, le même sourire moqueur étirait ses lèvres, et son regard était plus noir qu’il ne l’avait jamais été :

– Bonsoir Moira !

CHAPITRE III

J’étais terrorisée. Recroquevillée dans un coin, les yeux fermés, je suppliai pour que ce ne soit qu’un affreux cauchemar. « Ce n’est qu’un rêve ! » murmurai-je à répétition, comme une incantation, espérant qu’en ouvrant à nouveau les yeux, il disparaîtrait. Mais cela n’avait rien d’un rêve, ni même d’une illusion de mon esprit, et son rire faisant écho à mes plaintes, ne faisait que le confirmer.

Tout l’espoir que m’avait insufflé la journée venait de s’évaporer en quelque seconde. Je n’étais plus qu’une pauvre souris chétive, et lui le lion jouant avec sa proie.

Ciaran ne semblait pourtant pas vouloir me faire de mal, il s’amusait juste, se délectant de mon incapacité à me défendre, de la peur faisant trembler mon corps, et imaginant simplement l’angoisse que cela provoquerait en moi les jours qui suivraient. Je savais que même s’il me laissait vivre ce soir et les autres qui viendraient, ce ne serait qu’un compte à rebours avant qu’il efface toute trace de vie de mon corps. Je lui avais survécu une fois, pas deux :

– Allons regarde-moi ! ne soit pas aussi soumise et faible, cela m’ennuie, dit-il.

Je relevai la tête, ouvrant les yeux, tremblante. Je ne pouvais pas le fuir, j’étais à sa merci. J’aurais pu hurler en cet instant, bondir sur lui, ou encore l’envoyer valser à l’autre bout de la pièce par une simple torsion de l’air. J’aurais pu. Mais je ne fis rien.

Il y avait plusieurs raisons pour que je ne fasse rien, la première étant qu’en une fraction de seconde il pouvait me tuer. Même si ce second souffle que l’on m’avait donné semblait plus pathétique que le premier, quelque chose en moi m’obligeait à le chérir bien plus que son prédécesseur. L’autre raison était qu’il avait réussi à percer toutes les défenses de la montagne, sans déclencher une seule alarme, il aurait été stupide de le laisser partir sans savoir comment il avait procédé. Il y avait de plus, l’étrange raison qui l’avait poussé en cet instant à être dans ma chambre. Probablement existait-il d’autres raisons, mais aucune ne me poussa à être aussi silencieuse. C’était autre chose, venant de lui, mais je n’aurais su dire quoi :

– Où est passé cette impétueuse insolence dont tu faisais tant preuve ?

Mes yeux se remplissaient de larmes, mais je les retins :

– Que me veux-tu ? réussi-je à articuler.

– Si tu savais à quel point notre petit jeu me manque. Tout en parlant il s’approcha avec lenteur. Chaque pas le rapprochant de moi faisait bondir mon cœur, rendant ma respiration plus courte, haletante, étouffante. Le monde tournait autour de moi, et pourtant, je n’arrivais pas à détourner le regard de son visage, de ses yeux noirs me dévorant avec une avidité malsaine :