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L'incompréhension cède la place à la paranoïa dans ce polar haletant signé Olivier Kourilsky...
Juillet 1974. Joël Lecouedec, chef de clinique en réanimation à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, trouve dans son blouson un porte-cartes contenant des papiers au nom d’une certaine Françoise Morvan. Qui a glissé ces documents dans sa poche et pourquoi ? Plus intriguant encore, la propriétaire habite tout près de chez ses parents, en Bretagne nord. Cependant, au cours de ses recherches, Joël apprend qu’elle a quitté sa famille quelques mois auparavant pour s’installer à Paris avec un individu peu recommandable. Lorsqu’il appelle leur domicile, il tombe sur des policiers. La jeune fille vient d’être assassinée. Aussitôt traité comme un suspect, il a les plus grandes peines du monde à se disculper. Son trouble augmente d’autant plus lorsqu’il est confronté au petit ami de la victime, apparemment innocent. Il a l’impression de l’avoir déjà rencontré...
Deux semaines plus tard, à peine retourné dans sa famille à Saint-Lunaire pour y passer ses vacances, il retrouve le compagnon de la morte, qui traîne dans les boîtes de nuit de la région. Avec l’aide du jeune frère de la victime, il tente de lui tirer les vers du nez, sans succès. Deux jours plus tard, il découvre son cadavre en explorant les galeries du blockhaus de la Garde Guérin.
Dès lors, son séjour devient un cauchemar. Que se trame-t-il à La chaumière, la boîte la plus fréquentée du coin ? Qui est vraiment Christine, cette jeune femme de bonne famille qui est venue à Saint-Briac pour la première fois chez des amis, et dont il se sent tomber éperdument amoureux ? Quel jeu joue l’énigmatique inspecteur Machefer, venu tout spécialement de Paris pour continuer l’enquête, et qui semble toujours le soupçonner ? Pourquoi cherche-t-on à le tuer ? Joël en vient à douter de tout le monde, y compris de ses propres amis. La solution se trouve-t-elle dans les galeries abandonnées de ce blockhaus, qu’il connaît comme sa poche ? Il va y croiser un tueur diabolique.
Le dénouement, dramatique, se jouera seulement après son retour dans la capitale. Mais est-ce vraiment la fin ?
Une intrigue placée sous le signe du suspense permanent, dans l’inoubliable décor de la Côte d’Émeraude !
EXTRAIT
Le 86 était plein à craquer. Joël l’avait attrapé en face de l’hôpital Saint-Antoine et s’était faufilé tant bien que mal jusqu’au milieu. Il avait la nostalgie des bus des années soixante, avec leurs contrôleurs qui portaient sur le ventre leur machine à composter les billets et tiraient à plusieurs reprises sur une chaîne ressemblant à une vieille chasse d’eau, et ce ding-ding caractéristique qui donnait au conducteur le signe du départ. Mais ces modèles bruyants et dépassés avaient disparu depuis quelques années.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Olivier Kourilsky, alias le Docteur K, est médecin néphrologue, professeur honoraire au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris ; il a dirigé le service de néphrologie du Centre Hospitalier Sud-Francilien
Il écrit des romans policiers depuis un peu plus de dix ans et a publié six ouvrages depuis 2005, dont
Meurtre pour de bonnes raisons, prix Littré 2010.
Ses personnages évoluent souvent dans le monde hospitalier, entre les années soixante et aujourd’hui. Au fil du temps, on suit le professeur Banari, le commissaire Maupas, le commandant Chaudron, jeune policière chef de groupe à la Crim'…
Olivier Kourilsky est membre de la Société des gens de lettres et de la Société des auteurs de Normandie.
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Seitenzahl: 218
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Éditions Glyphe
Du même auteur chez le même éditeur
Le septième péché. (Sortie : Septembre 2014)
Homicide post mortem. 2013
Dernier homicide connu.2011
Homicide par précaution. 2010
Meurtre pour de bonnes raisons. 2009. Prix Littré 2010 décerné par le Groupement des Écrivains Médecins.
Meurtre avec prémédication. 2007
Meurtre à la morgue. 2005
Chez le même éditeur (extrait)
Caroline de Costa. Cloné. 2014
Eric de L’Estoile. L’Effleure du mal. 2013
Philippe Le Douarec. Glaciales glissades. 2013
Jean-Paul Copetti. Pour le repos des morts. 2013
Chris Costantini. Lames de fond. 2013
Louis Raffin. Proteus. 2013
Roger Caporal. Psychose au laboratoire. 2012
Michel Roset. Rue de la crique. 2011
© Éditions Glyphe. Paris, 2014
85, avenue Ledru-Rollin. 75012 Paris
www.editions-glyphe.com
Illustration de couverture : Julien Bressy
ISBN 978-2-36934-004-1
À Dominique, mon complice de toujours À Jean-Bernard, de la part du Glorieux Avec toute mon affection
Ce roman est une fiction. Toute ressemblance avec des événements ou personnages réels serait une pure coïncidence.
Plan du blockhaus de la Garde Guérin (tiré du Mur de l’atlantique sur la Côte d’Émeraude. Alain Dupont et Éric Peyle. Éditions Danclau, 1994). Reproduit avec l’autorisation des auteurs et de l’éditeur.
1. Bloc d’entrée
2. Casemate ouest (entrée préférée de Joël)
3. Salle du casernement
4. Plate-forme du projecteur sur rails
5. Poste de direction de tir
6. Casemate nord-est
7. Casemate sud est avec son tobrouk
8. Emplacement des échelons pour l’accès à l’observatoire
Plan du bloc d’entrée du blockhaus de la Garde Guérin (tiré de : Août 1944. La bataille de Saint-Malo. Dominique Monsaigeon. Éditions J. P. Bihr, 1994). Reproduit avec l’autorisation de l’auteur.
Samedi 20 juillet 1974
Le 86 était plein à craquer. Joël l’avait attrapé en face de l’hôpital Saint-Antoine et s’était faufilé tant bien que mal jusqu’au milieu. Il avait la nostalgie des bus des années soixante, avec leurs contrôleurs qui portaient sur le ventre leur machine à composter les billets et tiraient à plusieurs reprises sur une chaîne ressemblant à une vieille chasse d’eau, et ce ding-ding caractéristique qui donnait au conducteur le signe du départ. Mais ces modèles bruyants et dépassés avaient disparu depuis quelques années.
Comme d’habitude le samedi après-midi, le trafic était très chargé rue des Écoles, et le conducteur particulièrement brutal. À chaque coup de frein, Joël s’accrochait désespérément à la barre de maintien pour éviter de s’écrouler sur ses voisins. À la faveur d’une de ces violentes secousses, il croisa le regard d’une jeune fille à quelques têtes de distance. Brune, avec des cheveux tombant en cascade sur ses épaules, en jean et chemisier léger, elle avait des yeux clairs superbes et il eut l’impression qu’elle les gardait fixés sur lui quelques secondes de trop… Il n’eut pas le temps d’engager la conversation. Longeant la Faculté de médecine, le bus arrivait à Odéon. Joël sauta à terre, un petit pincement de regret au cœur.
Les vacances approchaient et il se sentait d’humeur légère. Surtout après la garde de réanimation épouvantable qu’il venait de vivre. Encore une complication dramatique d’un avortement clandestin. Infection sévère avec troubles de la coagulation, hémorragie cataclysmique ; ablation de l’utérus en extrême urgence au milieu de la nuit. Mais au moins, même si cette jeune femme de trente-quatre ans ne pourrait plus jamais avoir d’enfants, elle aurait la vie sauve. Ce n’était malheureusement pas le cas de toutes celles qui étaient admises pour ce type de problème… Et il avait échappé au patron du service de gynéco-obstétrique, qui n’était jamais là le samedi. La grande spécialité de ce dernier, outre une activité privée florissante, était d’arriver le matin, bien reposé, tout propret et inondé d’after-shave, et de reprocher leurs décisions thérapeutiques aux équipes de garde épuisées. À plusieurs reprises, Joël avait failli lui répondre vertement, excédé par cette méconnaissance évidente des problèmes de réanimation et cette fausse compassion pour les femmes. Il le savait violemment opposé à une libéralisation de l’avortement.
N’empêche, Joël avait passé pratiquement toute la nuit debout, accompagné la patiente au bloc opératoire, et dû ensuite tenter de rassurer la famille. Et cette fois, il y avait non seulement le mari, mais aussi un gamin de treize ans, à deux doigts de se retrouver orphelin !
Mais ces nuits blanches avaient toujours sur lui un effet hautement aphrodisiaque… Le fameux syndrome du lendemain de garde, complaisamment décrit lors des « tonus »1 par ses collègues chefs de clinique ou internes.
Joël entra au Danton et s’accouda au comptoir pour prendre un express, repoussant tranquillement les voisins de ses larges épaules. Beaucoup de monde, des touristes, des étudiants en ballade, l’ambiance habituelle du Quartier Latin en juillet. Il allait bientôt partir pour la Bretagne nord, retrouver sa famille et ses copains d’enfance. Retour aux sources pluriannuel, absolument vital pour lui. Après quatre ou six ans de clinicat2, il espérait bien s’installer à Saint-Malo, à l’hôpital ou en clinique.
Son café terminé, il plongea la main dans la poche de son pantalon pour attraper de la monnaie et tressaillit de surprise en sentant un objet inconnu. Il ressortit un petit porte-cartes assez défraîchi, en tissu noir.
Sa première réaction fut de fouiller fébrilement toutes ses poches pour vérifier qu’on ne lui avait rien dérobé. Mais tout était là. Portefeuille, carte d’identité, porte-monnaie étaient bien en place. Joël allait examiner le porte-cartes lorsqu’il se rendit compte que le garçon le regardait d’un air insistant et vaguement soupçonneux.
– Vous pourriez me régler maintenant ? Je termine mon service.
– Oui, oui, bien sûr.
Il paya son café et sortit.
*
Assis au pied de la statue de Danton, lieu de rendez-vous habituel des étudiants et des amoureux, Joël examinait l’objet glissé dans sa poche à son insu, indifférent au bruit environnant. Le porte-cartes contenait plusieurs documents sans grand intérêt. Aucun papier d’identité, mais une carte de fidélité à la principale librairie de Dinard, rue Levavasseur, au nom de Françoise Morvan. Cela le troubla. Dinard était à côté de chez lui : sa famille habitait à Saint-Lunaire, en Ille-et-Vilaine. Il y avait également des billets de métro usagés, des tickets de caisse d’un Prisunic du XIe, et une carte d’abonnement au Vitatop Fitness Montparnasse avec le même nom, mais pas d’adresse.
Qu’est-ce que c’était que ce bazar ? Qui avait pu mettre ce truc dans sa poche ? Un voleur qui avait voulu se débarrasser de son butin après avoir prélevé l’argent liquide ? Une fois, un de ses internes s’était fait subtiliser son portefeuille dans la chambre de garde, et une surveillante de l’hôpital l’avait retrouvé dans un caniveau près de la porte d’entrée, avec ses papiers d’identité et son permis de conduire intacts. Mais ce porte-cartes ne contenait pas grand-chose de précieux, et puis pourquoi le glisser dans la poche d’un inconnu ? De plus en plus intrigué, Joël décida de rentrer chez lui et de rechercher la propriétaire des documents. L’idée qu’elle habite Dinard excitait sa curiosité. D’ailleurs, s’il voulait être honnête avec lui-même, il devait s’avouer que sa principale motivation dans cette affaire n’était pas le désir de se rendre utile…
*
Le studio de Joël était situé au 13 rue de la Harpe, juste au-dessus d’un restaurant. Une bonne affaire, trouvée par relations. Il le louait quand même assez cher, mais il était bien aménagé, quoique plutôt bruyant. Surtout le samedi soir… Pour l’heure, la fatigue de la garde était oubliée. Lorsqu’il était lancé sur un objectif, quel qu’il soit, Joël faisait preuve d’une opiniâtreté incroyable. Le caractère breton, sans doute. Il se passa un peu d’eau sur la figure pour se rafraîchir, ébouriffa ses cheveux bruns bouclés, puis s’installa confortablement dans son canapé, attrapant au passage son téléphone et l’annuaire d’Ille-et-Vilaine de l’année précédente, qu’il avait rapporté de Saint-Lunaire, comme d’habitude. Sa façon à lui de ne pas quitter complètement ses attaches. Il alluma une Gallia, ces cigarettes ultra-légères qu’il s’était mis à fumer pour tenter de se dégoûter du tabac. « À nouveau pouvoir sentir l’odeur du petit matin », vantait la publicité. Naturellement, elles n’avaient aucun goût.
Il se plongea dans la lecture de l’annuaire.
Pas de chance. Comme on pouvait s’y attendre, le nom de Morvan était assez répandu. Six abonnés à Dinard. Six appels infructueux, des réponses plus ou moins aimables, parfois méfiantes. La seule Françoise Morvan était une honorable dame de quatre-vingts ans qui n’avait jamais quitté la ville. Joël commença à chercher dans les communes avoisinantes, y compris à Saint-Lunaire. Le nom de Morvan ne lui évoquait rien, mais il ne connaissait pas tout le monde. Rien de ce côté-là non plus.
À Saint-Briac, un peu plus loin sur la Côte d’Émeraude, il y en avait sept. Au cinquième abonné, il sut qu’il avait fait le bon numéro.
– Qui la demande ?
– Écoutez, je ne la connais pas personnellement, il se trouve que j’ai trouvé des papiers lui appartenant.
Il n’osa pas préciser les circonstances dans lesquelles il avait « trouvé » ces documents.
– Des papiers à elle ? Mais où çà ?
– À Paris, Madame. Dans un autobus. Cet après-midi.
– À Paris ?
Le ton se faisait de plus en plus méfiant.
– Oui. Je suis médecin, je sortais de l’hôpital.
Joël espérait que son titre inspirerait confiance. Il avait l’impression que la mère le prenait pour un voleur cherchant à soutirer de l’argent en échange des papiers !
Une voix masculine au loin. Le père venait aux nouvelles. La femme lui répondit, la main manifestement collée sur le microphone :
– C’est à propos de Françoise. Un monsieur a retrouvé des papiers à elle. À Paris…
Le père s’empara du téléphone.
– Oui ? Que se passe-t-il ?
– Bonjour Monsieur, reprit patiemment Joël. Je suis le docteur Lecouedec et j’ai trouvé cet après-midi dans un autobus des papiers appartenant à votre fille. En fait, il se trouve que ma famille habite Saint-Lunaire, mais j’exerce dans un hôpital à Paris. Je cherchais seulement à avoir ses coordonnées pour lui rendre ces documents.
– Vous êtes de la famille du capitaine au long cours ?
– Oui, c’est mon père.
– Je suis désolé, mais Françoise n’habite plus ici.
Le ton était devenu plus aimable, mais demeurait tendu. On devinait que le départ de Françoise ne s’était pas fait dans la plus grande harmonie…
– Elle est partie vivre avec un ami à Paris il y a plusieurs mois, reprit Monsieur Morvan.
– Ah bon…
– Mais elle nous a laissé ses coordonnées. Je vais vous les donner.
L’adresse était dans le XIIe. Rue Erard. Joël nota le numéro de téléphone.
– Monsieur… Euh… Docteur ?
– Oui ?
– Si vous l’avez au téléphone ou si vous la voyez… Pouvez-vous lui dire qu’elle nous manque ?
*
– Allo, bonsoir, pourrais-je parler à Mademoiselle Françoise Morvan, si elle est là ?
Silence au bout du fil. Puis un conciliabule à voix basse. Une autre voix. Autoritaire.
– Inspecteur Machefer, police judiciaire, à l’appareil. Qui êtes-vous ?
Longtemps après, Joël se demanda pourquoi il avait eu la réaction stupide de raccrocher sur le champ.
1 Fêtes organisées en salle de garde à l’hôpital par les carabins, souvent très débridées.
2 À l’époque, le clinicat, terme désignant les fonctions de « chef de clinique à la faculté – assistant des hôpitaux » durait en moyenne quatre ans, et jusqu’à sept ans par contrats d’un an renouvelables (actuellement deux ans et deux contrats d’un an renouvelables).
Samedi 20 juillet 1974, le soir
Joël resta longtemps immobile à côté du téléphone. Il se sentait comme un gamin pris en faute. Pourquoi diable avait-il raccroché spontanément en réalisant qu’il avait affaire à la police ? Il n’avait rien fait d’illégal. Était-ce parce que son activité de militant pour la libéralisation de l’avortement le poussait à éviter les représentants de la force publique ? Parce que sa recherche obstinée de la propriétaire du porte-cartes correspondait davantage au désir d’une rencontre insolite qu’à un vrai besoin de rendre service ? Il n’osait plus rappeler maintenant. Que faire ? Envoyer les documents par courrier ? Tout dépendait de la raison de la présence de la police sur place… Quel con… ! Il essaya d’oublier cet intermède piteux et alluma la radio. Il était 18 heures et c’était les infos.
La France venait d’élire un jeune président surdoué qui s’était mis en tête d’instaurer la décrispation dans la société. Marrant… Causeries au coin du feu d’un Giscard se voulant décontracté. Giscard jouant de l’accordéon devant les caméras. Giscard s’invitant à dîner chez les Français… Les mauvaises langues racontaient qu’un soir, le président, en visite chez des éboueurs, avait familièrement pris la maîtresse de maison par le bras en lui demandant : « Alors, quel est votre plan de tâââble, madâââme ? ». Stupeur de la dame en question ! Pas toujours facile de se mettre à la portée des autres quand on ne connaît peut-être pas le prix d’un ticket de métro. Enfin, on allait bien voir à l’usage…
Joël pensa à ses vacances toutes proches. Il s’apprêtait à prendre livraison d’une R5 presque neuve, achetée grâce à sa paye de chef de clinique. Depuis la fin de son internat, il recevait un salaire de l’hôpital, mais aussi de la Faculté (il avait quand même dû attendre trois mois pour recevoir le premier versement de la Fac, le temps que l’ordinateur l’enregistre), et ses revenus étaient un peu plus attrayants que les deux mille francs mensuels qu’il gagnait en première année d’internat. Et puis, il y avait ses nombreuses gardes de réanimation (six à huit par mois). Leur rémunération avait été récemment augmentée à trois cents francs par garde… Cinquante pour cent d’augmentation d’un coup. Il faut dire que deux cents francs depuis des années, cela commençait à devenir franchement grotesque, compte tenu de la pénibilité du travail et des responsabilités. Grâce à ces émoluments en hausse, il avait pu trouver ce studio à louer en plein Quartier Latin (à un prix certes élevé, mais quand même inférieur aux prix habituels) et s’offrir sa première voiture, une Renault 5 de direction de trois mois et quatre mille kilomètres. Et vingt pour cent moins chère. Restait à savoir où la garer dans le coin, avec la zone bleue partout. Mais pour ses vacances en Bretagne, quel pied ! Libre de se promener dans toute la région, d’aller en boîte quand il voudrait, sans dépendre de quelqu’un ou devoir emprunter la R16 de son père (avec la peur au ventre, à l’idée de la cabosser). Libre d’emmener ses petites amies… En revanche, il devrait faire attention à son budget, car ses impôts allaient sérieusement augmenter, notamment avec la fin de la déduction exceptionnelle de vingt pour cent consentie aux internes des hôpitaux.
À trente-deux ans, Joël était encore célibataire. Aîné de quatre enfants, il avait dû travailler dur pour réussir. Après le lycée, il était monté à Paris pour continuer ses études. Il avait hésité un moment entre la médecine et math’ sup’, mais le contact humain l’attirait plus que les maths. Ses parents l’avaient aidé autant que possible ; cependant, leurs moyens étaient limités et ils devaient encore élever trois enfants plus jeunes. Alors, il avait obtenu une bourse, travaillé avec acharnement, logeant dans une petite chambre de bonne, faisant des petits boulots le soir dans une station-service. Préparation de l’Internat, réussi au deuxième concours. Avec tout cela, peu de temps pour se mettre en ménage ou se marier. Joël se contentait de vivre des aventures agréables, mais sans lendemain. Au désespoir de ses parents, qui auraient bien voulu d’autres petits enfants. Sa sœur Gabrielle avait certes assuré la descendance avec deux rejetons adorables, mais Joël était l’aîné, et mâle de surcroît…
La sonnerie de la porte d’entrée le réveilla brutalement. Il s’était assoupi. Il jeta un œil à son réveil : près de vingt heures. La sonnette retentit à nouveau, insistante. Il se leva d’un bond.
Deux personnages se tenaient dans l’encadrement de la porte. L’un avait les cheveux bruns, longs, et portait un simple blouson de toile et un jean. L’autre, les cheveux blonds, coupés court, arborait une tenue très soignée : veste d’été, cravate imprimée, pantalon de ville, Weston impeccablement cirées. Tous les deux avaient l’air peu amène. Pas besoin d’être devin pour comprendre qu’il s’agissait de policiers. Joël ressentit une grande bouffée d’angoisse. Son appel téléphonique avait sûrement permis de le localiser. Et ils avaient fait vite. L’affaire devait être grave. Dans quoi avait-il mis les pieds ?
– Bonsoir, dit le plus petit des deux – celui avec la veste – en montrant une carte tricolore, Police Judiciaire : inspecteur Machefer et inspecteur Maupas. Vous êtes bien monsieur Joël Lecouedec ?
– Euh, oui, mais…
– C’est vous qui avez téléphoné tout à l’heure chez mademoiselle Françoise Morvan ?
– Oui, c’est moi. Écoutez, je sais, j’ai eu tort de raccrocher, mais…
– Pouvez-vous nous suivre au commissariat du XIIe ? Nous avons quelques questions à vous poser.
– Mais pourquoi ? Je n’ai rien fait de mal !
– Monsieur Lecouedec, je vous demande de nous suivre. Il s’agit d’une affaire grave. Mademoiselle Morvan a été assassinée ce matin.
*
Le voyage se déroula sans un mot, rythmé par la sirène de la voiture de police. L’inspecteur Maupas conduisait vite et avec précision. En entrant au commissariat de l’avenue Daumesnil, encadré par les deux policiers, Joël aperçut un type affalé sur un siège, juste en face du bureau où on le conduisait. Blue-jean pattes d’eph, chemise Lacoste jaune, baskets, cheveux longs en bataille. Le visage assez beau mais empreint de veulerie ne lui sembla pas inconnu. Où l’avait-il déjà rencontré ?
L’inspecteur Machefer s’installa derrière le bureau et lui indiqua un des deux sièges en face. Maupas prit l’autre.
– Asseyez-vous, Monsieur Lecouedec. Pouvez-vous nous montrer une pièce d’identité ?
Joël s’exécuta. Le policier contempla un long moment le document.
– Votre profession ?
– Je suis médecin hospitalier. Actuellement chef de clinique à Saint-Antoine, dans le service de réanimation médicale.
– Vous êtes né à Saint-Lunaire, en Ille-et-Vilaine ?
– Oui. J’ai vécu dans la région jusqu’au bac. J’étais au lycée de Dinard. Et je suis venu ensuite à Paris faire ma médecine.
– Et comment connaissiez-vous Mademoiselle Morvan ?
– Je ne la connaissais pas, je…
– Vous ne la connaissiez pas, mais vous aviez son numéro de téléphone ?
– Écoutez, laissez-moi vous expliquer, c’est un peu compliqué…
– Nous sommes là pour ça, répondit froidement Machefer.
Joël raconta son histoire aussi précisément que possible. Sa longue pratique des présentations de cas cliniques lui avait donné un excellent esprit de synthèse et il reprit un peu d’assurance au fur et à mesure de son exposé.
Lorsqu’il eut terminé, et déposé devant lui le porte-cartes en témoignage de sa bonne foi, un silence tendu s’installa dans la pièce. Les deux policiers étalèrent les papiers sur le bureau et les examinèrent longuement sans dire un mot. Puis Machefer reprit la parole :
– Vous vous rendez compte que votre histoire est tout simplement abracadabrante ?
– Peut-être pour vous, rétorqua Joël que l’attitude du policier commençait à agacer sérieusement, mais elle est tout à fait exacte ! Vous pourrez obtenir confirmation auprès des personnes à qui j’ai téléphoné. Je vous donnerai la liste.
– Nous le ferons sans aucun doute, bien que cela ne prouve pas grand-chose. Vous auriez très bien pu monter cette histoire pour vous couvrir.
– Dans ce cas, il aurait été bien plus simple de me débarrasser de ce porte-cartes.
– C’est exact, mais il est troublant que vous prétendiez ne pas connaître Mademoiselle Morvan, alors que vous habitiez très près l’un de l’autre… Et vous saviez bien que nous ferions le rapprochement.
– Mais enfin, la Bretagne n’est pas un petit village ! Je ne connais même pas tous les habitants de Saint-Lunaire.
– Pouvez-vous nous dire où vous vous trouviez ce matin entre dix heures et midi ?
Joël sentit une main glacée lui serrer le cœur. Françoise Morvan avait été assassinée à ce moment. Il réalisa qu’il ne savait rien des circonstances du crime. Et voilà qu’on lui demandait s’il avait un alibi…
– À l’hôpital. J’étais de garde la nuit dernière en réanimation. J’ai passé la visite ce matin et attendu la relève jusqu’à treize heures trente. C’est facile à vérifier.
– Nous le ferons. Avez-vous la possibilité de vous absenter pendant votre service ?
– Quoi ? Vous plaisantez ?
– En ai-je l’air ? répondit Machefer.
Joël était furieux. Ce policier n’avait aucune idée de la vie quotidienne dans un service de réanimation ! Il fallait néanmoins qu’il se maîtrise. S’énerver ne ferait que lui attirer des ennuis supplémentaires.
– Je suis seul dans le service la nuit, avec deux externes et une quinzaine de patients qui peuvent faire un arrêt cardiaque ou une complication grave à tout moment ! J’ai passé la nuit au bloc opératoire. Et le samedi matin, c’est la même chose jusqu’à l’arrivée du réanimateur de garde. Il y a une dizaine de personnes qui peuvent témoigner que je n’ai pas quitté le service depuis hier soir, même pour dîner. On mange le plus souvent avec les infirmières dans la salle de détente.
– Calmez-vous, nous ne faisons que notre travail. N’oubliez pas qu’il s’agit d’une affaire de meurtre.
– Mais que s’est-il passé ? Vous ne m’avez rien dit.
Joël eut l’impression que l’atmosphère se détendait imperceptiblement. Ils commençaient sans doute à se rendre compte de sa bonne foi. Il y avait beaucoup de coïncidences troublantes dans cette affaire et il devait admettre que son comportement avait pu attirer tous les soupçons sur lui.
L’inspecteur Maupas prit la parole pour la première fois :
– Mademoiselle Françoise Morvan a été tuée dans la matinée par arme à feu. Une balle dans la tempe. Du gros calibre, 11,43 probablement. Dégâts énormes, comme vous pouvez vous en douter. On attend les résultats de l’autopsie pour en savoir plus, mais on peut situer l’heure du décès aux alentours de onze heures. Il n’y a pas de traces de lutte dans l’appartement. C’est son petit ami qui l’a trouvée vers quatorze heures, en rentrant. Lui aussi semble disposer d’un alibi solide. Et lui aussi est originaire de l’Ille-et-Vilaine. De Rennes plus précisément. Ils sont venus ensemble à Paris.
– Vous le connaissez peut-être, intervint doucereusement Machefer. Il s’appelle Jean-Marcel Duruy.
Le nom ne disait rien à Joël.
– Nous souhaiterions vous confronter, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, reprit Maupas.
Joël acquiesça d’un geste las. Il commençait à en avoir assez de ce tir croisé de questions, qui traduisait visiblement une méfiance persistante à son égard.
L’inspecteur Maupas ouvrit la porte du bureau et revint quelques instants plus tard avec le type à l’air veule que Joël avait croisé en entrant dans le commissariat. Il le fit asseoir et lui montra Joël.
– Connaissez-vous ce monsieur ?
Le dénommé Duruy jeta un œil torve à son vis-à-vis. Joël n’arrivait toujours pas à se rappeler où il avait pu voir ce visage peu avenant. Dans Paris ? En Bretagne lors de ses vacances, puisqu’il était du coin ? Quoi qu’il en soit, il était déjà résolu à ne rien dire si l’autre affirmait ne pas le connaître. Bien que cela risque encore de se retourner contre lui. Mais le jeune homme ne montra aucun signe de reconnaissance et grommela entre ses dents :
– Jamais vu c’mec.
– Et vous, Monsieur Lecouedec ? Avez-vous déjà rencontré cet homme ?
Cette fois, Joël en était sûr, une lueur était apparue dans le regard de Duruy lorsque Maupas avait prononcé son nom.
– Non, son visage ne me dit rien.
– Très bien, intervint Machefer, restons-en là pour l’instant. Nous allons établir vos dépositions et vous les faire signer. Je vous demanderai à tous les deux (faisait-il exprès de s’adresser aux deux en même temps, comme s’il restait convaincu qu’ils se connaissaient ?) de ne pas quitter Paris dans les prochains jours, le temps que nous procédions aux vérifications nécessaires. Monsieur Lecouedec, pourrez-vous me laisser également votre numéro de téléphone au travail, car je suppose que vous y êtes plus facilement joignable ? Bien entendu, s’il vous revient quelque chose en mémoire, n’hésitez pas à contacter soit l’inspecteur Maupas ici, soit moi-même à la Brigade Criminelle, Quai des Orfèvres. On vous laissera les numéros.
Joël remarqua que l’inspecteur n’avait mentionné ni son titre de médecin, ni le nom de l’hôpital Saint-Antoine. Il était maintenant certain que Maupas avait prononcé à dessein son nom devant Duruy. Les deux policiers formaient une équipe redoutable, tissant une véritable toile d’araignée autour de lui, attendant la faute. Mais qu’est-ce qui lui avait pris d’aller se fourrer dans ce merdier ?
Joël arriva chez lui à minuit passé. Épuisé. Les policiers ne lui avaient pas proposé de le raccompagner.
Il n’avait pas revu Duruy en sortant du commissariat.
*
Pendant une bonne partie du dimanche, il se demanda s’il devait parler de cette affaire dans le service. La police allait appeler pour vérifier son alibi, si ce n’était déjà fait. Qu’il prévienne ou pas, il allait se trouver harcelé de questions plus ou moins insistantes par ses collègues et les infirmières. Et il avait une sainte horreur de se retrouver de cette façon sur le devant de la scène. Mais après tout, il n’avait rien fait de mal ! Il résolut de dire la vérité, une vérité aussi cursive que possible, à un nombre restreint de personnes. Son patron, l’agrégé, la surveillante. Ils étaient plutôt discrets. Il leur demanderait de ne pas ébruiter l’affaire.
Bien entendu, le secret ne fut pas gardé longtemps, pour la simple raison que les policiers ne se limitèrent pas au patron, à l’agrégé et à la surveillante, mais interrogèrent tout le personnel présent le samedi matin. Tout juste s’ils n’allèrent pas voir les patients – dont une partie, dans le coma ou sous respirateur, ne pouvait répondre, tandis que d’autres avaient quitté le service de différentes façons… Des méticuleux dans leur genre. Joël ne put éviter la mise en boîte en salle de garde. Il fit le dos rond en attendant que ça passe.
*