Minetka - Tome 1 - Marie Roger - E-Book

Minetka - Tome 1 E-Book

Marie Roger

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Beschreibung

Le gouverneur Bassilà, autrefois reconnu comme homme de paix, doit fuir car il est accusé de la destruction de son monde natal... sa route croise celle d'un enfant étrange : Minetka.

Il y a bien longtemps, quatre mondes autrefois en équilibre s’entre-déchirèrent. Parmi eux les Magiciens, Manaquatiques et Manimaux étaient dépendants d’une magie éteinte et leur existence fut au fil des âges oubliée des humains, doués d’une technologie les ayant portés à travers les étoiles.

Lorsqu’au retour d’une mission secrète, le gouverneur Bassilà retrouva l’ensemble de son monde natal frappé par la mort et la destruction, il était le parfait coupable. Accusé de négligence et même de trahison par le Conseil intergalactique, lui qui était pourtant reconnu comme homme de bien et de paix était maintenant un fugitif. Filant aux côtés d’une poignée de fidèles dans son astronef à travers l’immensité de l’univers, un étrange enfant qui deviendra Minetka va venir bouleverser le destin de l’équipage.

Découvrez le premier tome de cette saga fantastique !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Marie Roger a passé son enfance entre trois pays, la Belgique, le Canada et l’Allemagne. Installée à Bruxelles depuis 1989, elle a toujours été fascinée par l’aspect cosmopolite de la capitale de l’Europe dans laquelle se côtoient des personnes venues des quatre coins de la planète.

Passionnée d’histoires et de mondes fantastiques, elle a entamé son premier roman à 19 ans. Les études et la maternité tempèrent son désir d’écrire. Elle se retrouve seule avec ses deux enfants et se consacre à leur éducation. Vingt-neuf ans plus tard, elle reprend l’écriture de Minetka, fruit du monde imaginaire qu’elle a partagé pendant son enfance avec sa sœur.

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Marie Roger

Minetka

1. Le Grand Chaos

La Compagnie Littéraire

Catégorie : Fantasy

www.compagnie-litteraire.com

Le Grand Chaos

Le soleil se levait paresseusement sur la planète Verterra, irradiant de sa lumière orangée la plage sur laquelle les vagues d’un océan venaient s’échouer. Aquana, une jeune femme aux longs cheveux clairs et aux reflets dorés et argentés, était allongée sur le sable, les mains plaquées sur son ventre tendu. À côté d’elle se tenait Florofauno, un homme qui la caressait doucement en lui soufflant des mots tendres et encourageants. Elle était sur le point de donner naissance et ses contractions devinrent régulières et rapprochées. La jeune femme souffrait en silence. Ses traits fins et délicats étaient crispés par l’effort. Elle se releva, soutenue par l’homme à ses côtés. La poche des eaux venait de se rompre, créant une tache humide sur le sable granuleux. Florofauno l’accompagna jusqu’au rivage et ils s’enfoncèrent lentement dans les flots. Lorsque la mer recouvrit son corps, il lâcha sa main, la laissa disparaître au gré des vagues et regagna la terre ferme. Une demi-heure plus tard, elle réapparut, tenant dans ses bras son bébé tout fripé et ruisselant qui se mit à brailler au contact de l’air. 

Louvona, la jeune louve qui avait assisté à cette scène étrange, trottina en direction du couple et renifla le bébé. Florofauno le lui présenta en disant : «Regarde, Louvona, voici, Foxano, ton petit frère.» Louvona, elle-même à peine sortie de l’enfance, lécha tendrement ce petit bout de chair fragile pendant que le père coupait le cordon ombilical. Une fois le bébé débarrassé des résidus du ventre maternel, il le posa délicatement à côté du sein nourricier de sa mère. Elle était souriante, heureuse et libérée. Elle serra son fils contre elle et déposa un tendre baiser sur son front. L’enfant, impatient, chercha à téter et enfonça son petit visage rabougri dans la douce chaleur du sein maternel. 

Une semaine après la naissance de leur enfant, l’étrange couple se mit en route. Ils marchèrent d’un pas rapide et régulier pendant plusieurs jours le long de la plage, rafraîchis par les vaguelettes qui venaient s’échouer à leurs pieds. Louvona trottait sagement à leurs côtés. Plusieurs fois par jour, la femme disparaissait dans les flots turquoise de l’immensité aquatique. Le père portait alors son fils dans ses bras, le serrant contre sa poitrine. Parfois, il se mettait à courir en y associant un mouvement de balancement. Le bébé appréciait ces moments d’intimité avec son père et s’assoupissait en poussant un soupir de contentement. Lorsqu’Aquana revenait, ils s’arrêtaient et Foxano buvait goulûment le liquide chaud et nourrissant que lui offrait sa mère. Ils parcoururent ainsi des centaines de kilomètres, ne s’arrêtant que pour nourrir leur bébé, chasser et dormir quelques heures à la faveur de la nuit. 

Un jour, ils arrivèrent à l’embouchure d’un fleuve dont les berges étaient recouvertes de végétation abondante. Une myriade d’oiseaux aquatiques jacassaient tout en nageant tranquillement à la surface de l’eau. Le mélange d’eau douce et salée permettait à une grande variété d’espèces animales et végétales de s’épanouir. Des bosquets d’arbres se disputaient la place avec les colonies de joncs et de roseaux, des hérons côtoyaient des mouettes et d’autres oiseaux marins. Le plus impressionnant d’entre eux était un oiseau aux plumes foncées, striées de plumes couleur caramel. Native de Verterra, cette espèce ne se retrouvait sur aucune autre planète. Excellent pêcheur, cet oiseau était capable de plonger à plusieurs mètres en dessous de la surface de l’eau. Les jeunes parents s’arrêtèrent et se mirent à la recherche d’un endroit sec et protégé des intempéries. Aquana, lasse de courir jour après jour, lança un regard suppliant à son compagnon. 

—Florofauno, tu penses qu’on peut s’installer ici quelques jours? demanda-t-elle. Je suis fatiguée.

L’homme s’arrêta et caressa doucement le front de la femme. Il prit son visage entre ses deux mains et plongea son regard dans le sien.

—Bien sûr, ma chérie, répondit-il, reposons-nous un peu. De plus, Foxano grandit vite et il a besoin de se transformer. Tant que nous nous déplaçons, ce n’est pas possible. Alors, oui. Restons ici pendant quelques jours.

Il se tourna ensuite vers Louvona, lui fit signe d’approcher, la caressa affectueusement et lui dit : 

—Aquana et Foxano ont besoin de repos. On va s’installer quelque temps aux abords de la plage. Tu m’aideras à creuser un terrier. 

Puis Florofauno se détacha de sa femme et de son bébé et disparut dans la roselière. Quelques minutes plus tard, un héron s’envola jusqu’à la berge opposée du fleuve. Après s’être posé et avoir observé les alentours, l’oiseau prit une forme humaine : Florofauno se tenait debout de l’autre côté de la berge à l’endroit où avait atterri le héron. Il fit signe de la main à Louvona qui pataugea prudemment à travers la terre boueuse de la berge. Lorsque l’eau arriva à hauteur de sa poitrine, elle plongea sans plus aucune hésitation dans l’eau tumultueuse et nagea vigoureusement jusqu’à l’autre rive. À peine sortie de l’eau, elle s’ébouriffa et éternua à plusieurs reprises, comme pour montrer son mécontentement. Aquana, Foxano dans les bras, s’enfonça à son tour dans les flots.

La berge était bordée de dunes sablonneuses recouvertes de poacées profondément enracinées. Des bosquets d’arbres agrémentaient le paysage et ils choisirent de s’installer à l’ombre de l’un d’eux. Après s’être reposés, ils décidèrent de creuser un terrier profond et spacieux capable de les accueillir tous les quatre. Florofauno se transforma en blaireau et aida Louvona à déblayer la terre et à aménager leur demeure souterraine. 

Les jours s’égrenèrent tel un chapelet, rythmés par la chasse, la pêche et la cueillette de fruits et de légumes sauvages. Foxano passait son temps à manger et dormir sous l’œil bienveillant de ses parents et de sa grande sœur. Louvona était fascinée par son petit frère. Ce dernier concentrait toute son énergie pour parvenir à se transformer en animaux. Les premières tentatives échouèrent, mais au fil des jours il parvint à prendre l’une ou l’autre forme animale qu’il observait autour de lui. Sa capacité de mimétisme évolua très rapidement. Bientôt, il apprit à se transformer en de multiples animaux marins et terrestres et accompagnait sa mère de plus en plus souvent lors de ses escapades aquatiques. 

Un jour, une pluie fine et drue se mit à tomber. Après deux jours de précipitations ininterrompues, Florofauno et Louvona s’abritèrent dans la tanière souterraine, et Aquana couvrit son fils de ses bras protecteurs et s’enfonça dans le fleuve. Habitués à se mouvoir dans le milieu marin, Aquana et Foxano y étaient à l’abri. Florofauno, quant à lui, se transforma en loup et s’installa confortablement dans les entrailles de la terre meuble où il rejoignit sa fille, recroquevillée sur elle-même. Ils attendirent la fin de l’intempérie lovés l’un contre l’autre pour se tenir chaud, attentifs au moindre bruit environnant.

Au terme du cinquième jour, la famille fut de nouveau réunie. Le soleil brillait et irradiait sa lumière sur la végétation luxuriante et bigarrée. Des gouttes de pluie s’attardaient sur les feuilles, peu pressées de rejoindre la terre ou de s’évaporer. De nombreux chants d’oiseaux fusèrent, créant une symphonie improvisée qui saluait le retour du beau temps. Sur la berge, deux tortues s’installèrent pour faire dorer leur carapace et les musaraignes pointèrent timidement le bout de leur museau hors de leur trou. 

La famille s’installa à proximité du fleuve, à l’abri d’un petit pommier sauvage. Les parents se sentaient fatigués et engourdis, peu enclins à reprendre leur course effrénée. Contrairement à ses aînés, Foxano débordait d’énergie, sautait et gambadait sous de multiples formes animales. Lorsque l’après-midi touchait à sa fin, Florofauno prenait délicatement son fils, qui s’était enfin assoupi dans les bras de sa mère, et le déposait au creux des pattes de la jeune louve. 

—Foxano, mon petit bébé, dors et dore-toi au soleil, car nul ne sait quand reviendra la pluie, disait-il. 

Foxano, le bébé au teint doré, s’endormait paisiblement, emmitouflé dans la fourrure touffue de sa sœur. 

Les jours devinrent des semaines qui se transformèrent en mois qui s’écoulèrent au gré des flots du fleuve et des marées océanes. La petite famille vécut paisiblement, profitant de chaque instant. 

Louvona et son père avaient agrandi leur tanière et creusé plusieurs mètres de galeries souterraines. L’une d’elles allait jusqu’à la plage. Un réservoir excavé à quelques mètres avant le dénivelé de la dune empêchait l’eau d’envahir les galeries. Aquana l’empruntait souvent, tenant fermement son fils dans ses bras. Une fois sur la plage, elle se glissait discrètement dans les vagues et y disparaissait. 

Au contact de l’océan, Aquana et Foxano se muaient instantanément en dauphins. Mère et fils sillonnaient alors la vaste étendue d’eau et partaient à la rencontre de la faune riche et variée. Lorsqu’un requin approchait, Aquana se positionnait de manière à se retrouver entre lui et Foxano. Elle émettait alors des sons étranges qui devinrent bientôt familiers aux oreilles affûtées du nourrisson. Invariablement, le requin s’éloignait et ils reprenaient le cours de leurs pérégrinations. Foxano appréciait ces moments passés avec sa mère et s’avéra doué pour les transformations. Cependant, Aquana évitait soigneusement de s’enfoncer trop loin dans l’océan, de peur de faire de mauvaises rencontres.

Ce que la jeune mère ignorait, c’est que son peuple la recherchait activement, persuadé qu’elle avait été soit enlevée ou tuée par les sabires, soit séquestrée par les Manimaux ou, pire, les Humains. Aquana et Foxano, heureux de vivre leur vie, étaient loin de se douter qu’un événement survenu dans un lointain passé allait influencer le cours de leur propre histoire. 

Ce drame, d’une ampleur interplanétaire, avait pris forme environ mille années avant la naissance de Foxano. Il avait débuté à l’ombre de la naissance d’un enfant aux pouvoirs particuliers. À cette époque, les mondes manimal, manaquatique, magique et humain, aussi appelés communément les «Quatre Mondes», vivaient en paix et chaque peuple avait élaboré des stratégies qui lui permettaient d’exploiter au mieux ses capacités intrinsèques tout en coopérant avec les autres. 

Le monde manimal était peuplé d’êtres humains dotés du pouvoir de se transformer en animaux terrestres : Florofauno et Louvona faisaient partie de ce monde. Le monde manaquatique était composé d’Humains ayant la capacité de se métamorphoser en animaux aquatiques, dont Aquana et Foxano. Ils vivaient au fond des océans, des mers et des lacs, répartis à travers les galaxies. Le monde magique côtoyait celui des Humains et seuls les pouvoirs magiques les distinguaient l’un de l’autre. Le peuple dit humain était dépourvu de tout don magique, mais avait, en revanche, développé des connaissances permettant de voyager à bord de vaisseaux spatiaux à travers les galaxies. Les Quatre Mondes étaient protégés par quatre gardiens, garants de la paix et de l’unité de cet univers. 

Les parents de l’enfant constatèrent rapidement qu’il possédait des pouvoirs magiques bien plus puissants que ce qui était habituel et le confièrent à une famille humaine dans l’espoir que l’absence de magie atténuerait ses dons exceptionnels. L’enfant grandit et devint un jeune homme aux manières irréprochables et au charme irrésistible. Arrivé à l’âge adulte, il partit à la découverte des autres mondes. Il vécut plusieurs années au fond des océans, se faisant connaître et apprécier par les Manaquatiques. Lorsqu’il estima avoir suffisamment d’informations sur ce monde, il décida d’explorer celui des Magiciens. La navigation entre les mondes était aisée à cette époque et il suffisait de connaître l’emplacement des portails qui permettaient de voyager à travers les strates, ces voies magiques invisibles qui reliaient les planètes à travers toutes les galaxies et rendaient possible le passage d’un monde à l’autre en quelques minutes. Il séjourna trois années chez les Magiciens avant de s’installer chez les Manimaux.

Son charme et son intelligence séduisirent plus d’une personne. Il jouissait d’une excellente réputation dans chacun des mondes et se mouvait de l’un à l’autre avec une facilité désarmante. Capable de se transformer en multiples animaux, de jongler avec les incantations et les potions, de piloter les engins fabriqués par les Humains et de se déplacer avec élégance dans l’eau, il fut bientôt considéré comme un monarque potentiel qui régnerait sur les Quatre Mondes. C’était un vieux rêve partagé par de nombreux Humains, Manimaux, Manaquatiques et Magiciens, mais que les gardiens avaient toujours refusé. 

Confiant en ses capacités et soutenu par un nombre croissant de personnes, il décida de convoquer le Conseil des gardiens afin d’obtenir l’autorisation d’accéder en leur présence. La réponse du Conseil fut irrévocable et négative. Nul être humain, fût-il Manaquatique, Manimal ou Magicien, n’avait le droit de demander à rencontrer les gardiens. Si tel était le souhait des quatre sages, ils le convoqueraient eux-mêmes. 

—Comment saurai-je si, où et quand je serai convoqué, demanda-t-il, interloqué par le refus catégorique.

—Tu le sauras, fut la réponse laconique du Conseil des gardiens qui le congédièrent sur ces paroles.

Dès cet instant, une graine de haine germa dans son cœur avide et il consacra chaque jour et chaque nuit à augmenter ses pouvoirs tout en espérant recevoir un signe des gardiens. Trois années plus tard, il n’avait toujours pas été convoqué.

«Ils pensent qu’ils sont au-dessus de tout le monde, enrageait-il. Ils me prennent de haut! Ils pensent qu’ils sont intouchables et omnipotents! Ils ne savent pas à qui ils ont affaire!»

Les saisons s’écoulèrent, rythmées par les avancées technologiques des Humains, la collaboration accrue entre Magiciens et Manaquatiques et la diversité de transformations croissantes des Manimaux. Les enfants de cette époque dorée naissaient presque tous au sein de familles chaleureuses et aimantes. Chacun bénéficiait d’une éducation appropriée et adaptée à sa nature profonde, et les fondations de grandes civilisations virent peu à peu le jour. Mais les quatre gardiens refusaient toujours aux quatre peuples le monarque unique qu’ils réclamaient.

La prospérité entraînait la paix qui entraînait l’ennui chez ceux qui, plutôt que d’en savourer la tranquillité, lui préférèrent l’excitation et l’action de la guerre. Soutenu par un grand nombre de sympathisants issus des Quatre Mondes, l’enfant aux pouvoirs particuliers, devenu un adulte érudit et pétri de connaissances des possibilités infinies offertes par la magie, commença à réclamer haut et fort une monarchie et le titre de roi des Quatre Mondes. L’arbre de guerre avait pris toute la place dans son cœur et il le nourrissait constamment par des actes vils et séditieux. Lassé d’attendre, il ourdit un plan machiavélique destiné à faire disparaître les quatre gardiens. Mais lorsqu’il exposa ses idées meurtrières à ses sympathisants, ceux-ci les rejetèrent avec effroi et il se retrouva bientôt seul.

«Ah, c’est comme ça! Les lâches, les pleutres, les imbéciles! fulmina-t-il. Eh bien, tant pis pour eux! Ils ne veulent pas de moi comme roi! Si je ne peux être leur monarque, je les priverai des gardiens!»

Mille années avant la naissance de Foxano, l’impensable se produisit et les quatre gardiens disparurent l’un après l’autre sans que personne ne sût s’ils étaient morts ou emprisonnés. Le désarroi et l’incompréhension s’emparèrent des Quatre Mondes. L’auteur du drame fut démasqué, mais s’éclipsa peu de temps après la disparition des gardiens. Des représentants des Quatre Mondes tentèrent de le retrouver, en vain. Privés de l’aura protectrice des gardiens, les Quatre Mondes finirent par s’entre-déchirer et des fossés presque infranchissables se creusèrent entre eux au fil des années. Les Humains, dépendants de leur capacité à maîtriser les sciences et les technologies qui leur permettaient d’évoluer à travers les galaxies perdirent de vue leurs amis et alliés d’autrefois jusqu’au jour où la connaissance des trois autres peuples disparut totalement de leurs mémoires et de leur histoire. 

Les trois autres mondes, dépendants de la magie, se retrouvèrent démunis et exposés à de grands dangers. L’absence de la source de magie protectrice des gardiens les rendit vulnérables. Dans un premier temps, ils mirent leurs différends de côté et collaborèrent pour survivre. Mais au fil des années, une alliance tacite s’installa entre les Manaquatiques et les Magiciens et ces deux peuples commencèrent à dénigrer les Manimaux. Beaucoup de portails permettant de voyager d’un monde à l’autre furent détruits. Seuls quelques représentants dans chaque monde gardèrent la capacité d’ouvrir et fermer des portails temporaires. Les peuples se replièrent sur eux-mêmes. L’animosité et l’antipathie gangrenèrent les mondes, créant ainsi un terrain fertile au drame qui précéda immédiatement la naissance de Foxano. 

Un siècle avant l’événement dramatique qui allait influencer le cours de l’existence de Foxano, Goulaf, un humain à la force brutale, aux penchants pervers et au comportement sanguinaire, émergea d’une petite planète à laquelle personne ne prêtait attention. Devenu orphelin pendant sa prime enfance, il avait été élevé par un couple de Magiciens vivant sur la planète Terracotta. Malgré leurs précautions, il apprit l’existence des trois autres mondes et, arrivé à l’âge adulte, assassina froidement ses parents adoptifs avant de rejoindre l’armée intergalactique, où il entama une ascension fulgurante. Parvenu à un niveau de pouvoir qui lui permettait de se mouvoir librement et d’avoir accès à des ressources financières et humaines conséquentes, il commença à bâtir un empire occulte en exploitant sa connaissance des Quatre Mondes. 

Il initia sa quête de pouvoir en réunissant des personnes avides et cupides, les renseigna sur l’existence des autres mondes et ouvrit la chasse aux Manimaux et aux Manaquatiques grâce à l’aide de quelques Magiciens qu’il avait réussi à enrôler dans son entreprise. Son idée était simple et terrifiante. Il emprisonna des centaines de Manimaux et de Manaquatiques dans leurs formes animales et en captura des centaines d’autres. Certains atterrirent dans les zoos et les aquariums tenus par les Humains et les autres furent asservis et utilisés comme esclaves sur la planète d’origine de Goulaf, où il était en train de construire une cité dont l’existence devait rester cachée.

En peu de temps, Goulaf réussit à constituer un réseau commercial influent qui s’étendit à travers toutes les galaxies. Devenu riche et bénéficiant d’un réseau de connaissances qui s’étendait bien au-delà de l’imaginable, il se lança dans la politique et fut élu gouverneur intergalactique. Son avidité insatiable le poussa à capturer toujours plus de Manimaux et de Manaquatiques jusqu’au jour où ces deux peuples s’organisèrent pour résister et mettre fin aux raids dévastateurs parmi leurs populations. 

En représailles à cette résistance, Goulaf tenta d’instaurer des combats entre Manimaux et Manaquatiques sur sa planète natale. Ceux-ci refusèrent catégoriquement en dépit des menaces de mort que Goulaf faisait peser sur eux et leurs familles. Fou de rage, il les exécuta sans pitié et envoya leurs dépouilles aux communautés manimales et manaquatiques à travers les galaxies. Contrairement à son attente, les deux peuples ne se laissèrent pas intimider, alors Goulaf se rabattit sur les Magiciens et les Humains pour alimenter sa planète natale en main-d’œuvre. Sa garde personnelle, constituée principalement d’Humains, mais également de quelques représentants des trois autres mondes, entama une série de raids sur quelques planètes difficilement accessibles et situées en marge de la zone d’influence de l’Alliance intergalactique. 

Rancunier, Goulaf organisa également des parties de chasse et de pêche pour lesquelles les participants, triés sur le volet, payaient une fortune. Une fois sélectionnés, les chasseurs et les pêcheurs devaient prêter un serment de silence scellé par une formule magique. Il les amenait ensuite à proximité de communautés manimales et manaquatiques, qu’il avait pris soin de faire envoûter et verrouiller sous leurs formes animales, et invitait les participants à tuer autant d’animaux que possible. Beaucoup périrent et servirent de trophées à des Humains assoiffés de sang. 

Orchestrées par l’esprit machiavélique de Goulaf, ces expéditions meurtrières étaient maintenues secrètes et passèrent inaperçues auprès de la société intergalactique. D’abord pris par surprise, les Manimaux et les Manaquatiques organisèrent peu à peu leur défense. Floraf, roi des Manimaux et père de Florofauno, rassembla la plus grande partie de son peuple sur la planète Verterra. Alors presque inhabitée, Verterra était recouverte de plaines, de steppes, de forêts, de montagnes et d’océans et coulait des jours paisibles. L’arrivée massive de Manimaux perturba à peine le cours de son existence, car ils veillèrent à se répartir sur l’étendue de la planète entière afin de ne pas en épuiser les ressources. 

Le choix de Verterra n’était pas innocent. En plus de l’espace qu’elle procurait et de la luxuriance de sa végétation, elle avait été déclarée «planète protégée», sur laquelle toute présence humaine, même pour des missions scientifiques, était strictement interdite. Les Manaquatiques, guidés par un couple d’empereurs des abysses, décidèrent d’imiter les Manimaux et bientôt la planète Verterra devint un refuge pour la plupart des Manimaux et des Manaquatiques.

Pris de court, Goulaf intensifia la pression sur les Magiciens et les Humains. Afin d’étendre son territoire, il constitua une armée personnelle de mercenaires issus des Quatre Mondes qu’il dénomma lui-même les sabires. Ils n’épargnaient rien ni personne. Leur cruauté dépassait souvent l’imaginable et la peur se répandit telle une traînée de poudre sur toutes les planètes. L’hypocrisie de Goulaf ne semblait pas avoir de limites, car, en tant que gouverneur, il condamnait fermement les méfaits de sa propre armée et n’hésitait pas à sacrifier ses propres hommes afin de justifier sa bonne foi auprès de la société intergalactique.  

Victimes de nombreuses incursions meurtrières ou emmenés en tant qu’esclaves sur la planète natale de Goulaf, les Magiciens se révoltèrent à leur tour. Cependant, il y avait un traître parmi eux, qui mit Goulaf au courant de leurs plans, et ce dernier décida de les piéger. Au cours d’une bataille épique qui eut lieu sur la planète Terracotta, l’armée de Magiciens fut décimée et seuls quelques rares survivants réussirent à s’échapper. Goulaf ordonna aux Magiciens à sa solde de verrouiller les derniers portails donnant accès aux mondes magiques, lesquels se retrouvèrent ainsi entièrement coupés des trois autres mondes. Les quelques Magiciens survivants se réfugièrent parmi les Humains sur Terracotta. 

Goulaf sévit presque impunément pendant trente ans, continuant d’élargir l’étendue de son empire invisible au prix d’un nombre de plus en plus élevé de vies. Sa soif de pouvoir et de plaisirs semblait intarissable et, régulièrement, des sabires tentaient de déserter l’organisation. Grâce au soutien des Magiciens à sa solde, Goulaf parvenait à les rattraper avant que l’un d’eux ne pût divulguer aux Humains la véritable identité du gouverneur intergalactique. 

Persuadé de sa toute-puissance, Goulaf négligea les signes avant-coureurs de son déclin. Un nombre grandissant d’Humains, de Manaquatiques, de Magiciens et de Manimaux luttèrent d’arrache-pied pour défendre leurs familles, leurs amis et leurs valeurs. Des escarmouches entre les forces intergalactiques et l’armée de sabires se multiplièrent, et Manimaux et Manaquatiques réussirent à opposer une résistance efficace qui empêcha les Humains de continuer leurs massacres. Ces années d’âpre lutte furent baptisées le «Grand Chaos». 

Parmi les adversaires de Goulaf, un homme de paix émergea sur une planète située au centre du monde intergalactique. Il s’appelait Bassilà et dès son élection en tant que gouverneur planétaire il décida de lutter de manière pacifique en organisant des chaînes de solidarité et en créant des havres de paix vers lesquels des populations entières des Quatre Mondes convergèrent. La planète Terracotta était immense et capable d’accueillir des millions de réfugiés sans que cela ne pesât sur ses ressources naturelles. Les Terracottiens mirent au point un système de défense ingénieux. La planète disposa d’une protection imparable qui empêchait quiconque de s’approcher sans autorisation. Son gouverneur était le seul à détenir la clé du bouclier et rien ni personne ne pouvait accéder à Terracotta sans son ordre ou autorisation. 

Peu à peu, l’étendue de la zone d’influence de Goulaf se rétrécit et sa crédibilité auprès de ses pairs dans la hiérarchie intergalactique diminua. Une vague de contestations se cristallisa autour de quelques gouverneurs. La lutte pour le pouvoir s’intensifia et culmina le jour où, à des millions d’années-lumière du lieu du drame, sur la planète Verterra, un bébé vint au monde.

Le jour même de la naissance de Foxano, en l’absence du gouverneur Bassilà, la protection de la planète Terracotta fut désactivée et un leurre destiné à tromper la vigilance des planètes environnantes empêcha l’alerte donnée d’atteindre ses destinataires. L’armée de sabires envahit la capitale de Terracotta et pendant trois jours entreprit de rassembler tous les Humains résidant sur la planète. Ensuite, ils exécutèrent impitoyablement tous les habitants et les réfugiés qu’ils avaient rassemblés à l’intérieur et aux alentours de la capitale. Lorsqu’il ne resta plus âme qui vive, ils traquèrent tous les Manimaux et les Manaquatiques résidents de longue date ou venus se réfugier discrètement et à l’insu des Humains. Les meurtres furent perpétrés pendant une semaine entière, jusqu’à ce que la planète devînt silencieuse. Les sabires y détruisirent tous les accès magiques et technologiques. La désolation régnait désormais sur la planète assassinée. 

Lorsque le gouverneur Bassilà, revenant d’une mission secrète, atterrit sur Terracotta un jour après le départ des sabires, il découvrit l’horreur dans laquelle avait été plongé son monde natal avec tous les êtres vivants qui le peuplaient. Le Conseil intergalactique, alarmé par Bassilà, dépêcha plusieurs navettes de reconnaissance et de secours. Ce fut inutile : tout le monde était mort. Bassilà fut placé sous mandat d’arrêt. Il était visiblement sous le choc, mais beaucoup de personnes l’accusèrent d’avoir été négligent et même, pire, d’avoir vendu l’accès de la planète aux criminels. Incapable de répondre à de telles accusations, Bassilà s’enferma dans un mutisme imperméable. Une commission d’enquête mandatée par le Parlement intergalactique, dont les membres étaient influencés par Goulaf, désigna Bassilà comme suspect principal dans l’affaire. Ce qui était certain c’était que les sabires avaient bénéficié d’une aide de l’intérieur. Et qui hormis Bassilà connaissait les codes d’accès au bouclier? Il fut incarcéré dans la prison de haute sécurité du mont Issarika sur Sirius. Cependant, quelques jours après son arrestation Bassilà disparut mystérieusement de sa cellule. D’aucuns crurent que ses complices l’avaient libéré, ce qui constituait une preuve supplémentaire de sa culpabilité. Une chasse à l’homme interplanétaire s’organisa peu à peu et Bassilà fut déclaré ennemi public numéro un de toutes les galaxies.

Quelques années plus tard, sur la planète Verterra, Foxano, inconscient des drames qui avaient précédé et entouré sa naissance, vivait des jours heureux auprès de sa famille. Ses parents et sa sœur l’adulaient. Eux-mêmes avaient réchappé à une attaque de sabires peu de temps avant leur rencontre. Chacun d’eux avait fui et Florofauno s’était avant tout préoccupé de mettre Louvona à l’abri. La mère de la jeune fille avait été tuée deux ans auparavant dans une attaque de sabires. Inquiet pour la sécurité de sa fille, Florofauno l’avait emmenée dans un endroit peu habité de la planète. Conscient de son devoir envers son peuple, le roi des Manimaux avait d’abord eu l’intention de ne séjourner qu’une semaine ou deux loin de son peuple, mais le destin en avait décidé autrement. 

Leur course effrénée les avait amenés à proximité de l’océan et ils furent surpris par une pluie torrentielle suivie d’une brume épaisse. Lorsque la brume s’évapora, ni l’un ni l’autre ne se rappelait les circonstances qui les avaient amenés à cet endroit et chacun peinait à se souvenir de son passé. Après deux jours d’errance, ils rencontrèrent Aquana, qui avait, elle aussi, séjourné dans la brume et perdu la mémoire et la connexion avec son peuple. Florofauno et Aquana s’aimèrent au premier regard et ils décidèrent de cheminer ensemble. Quelques mois plus tard, ils se marièrent. Florofauno partagea ses plans avec sa fille, qui les accepta avec bonheur. Tout semblait si simple… si ce n’était des rêves parfois étranges et angoissants au cours desquels leurs familles et leurs amis étaient décimés, qui les hantaient. Dès l’aube, les cauchemars s’évanouissaient et leur vie paisible reprenait son cours.

Florofauno était grand, le teint très foncé, les cheveux et les yeux noirs comme du charbon, la bouche bien dessinée, les dents blanches et régulières. Son visage ovale était accentué par des pommettes hautes et embelli par un regard baigné de lumière. Une aura puissante se dégageait de toute sa personne. Son allure était aussi souple que celle d’un félin et il avait l’air tranquille et sage d’un éléphant. 

Ses totems regroupaient tous les animaux terrestres vivant aux quatre coins des galaxies. Il était le seul Manimal vivant à être capable de prendre leurs diverses formes, aussi petits ou même microscopiques soient-ils. Il avait acquis cette faculté phénoménale et unique au fil des générations. Ses ancêtres avaient épousé des Manimaux dont les totems représentaient les différentes espèces animales existant dans l’univers, ou avaient eu des enfants avec eux, augmentant ainsi à chaque naissance le nombre de totems des nouveau-nés. 

Florofauno était l’enfant unique du roi des Manimaux et de sa première épouse, une Manimale possédant les derniers totems qui manquaient à sa lignée. Ses parents avaient été séparés peu après sa naissance par une attaque de sabires. Les deuils répétés de ses proches et de ses amis forgèrent son caractère. Mais plutôt que de s’abandonner à la vengeance, Florofauno s’efforça de développer les liens d’entraide et d’amitié entre les Manimaux. Il entreprit de continuer le travail monumental de regroupement sur la planète Verterra de toute leur espèce dispersée à travers les galaxies. Les efforts consentis par les Manimaux pour vivre paisiblement sur la même planète furent incommensurables, car, même s’ils avaient pour habitude de se respecter, la cohabitation ne fut pas toujours aisée. Avec patience et bienveillance, ils réussirent peu à peu à tisser des liens profonds basés sur des valeurs communes, et ce fut leur salut. 

Les sabires eurent de plus en plus de mal à exterminer les Manimaux, qui s’étaient regroupés et qui luttaient côte à côte contre leurs ennemis. Jouant le tout pour le tout, les sabires élaborèrent un plan d’une envergure inégalée pour disperser les Manimaux dans l’espoir de les diviser à jamais. Florofauno et sa fille furent séparés de leur peuple, et c’est à ce moment qu’il réussit à s’échapper et qu’il rencontra Aquana. 

Elle était la fille cadette de l’empereur et de sa deuxième épouse, impératrice de toutes les surfaces recouvertes d’eau dans toutes les galaxies. Elle possédait le même héritage génétique que ses parents et le partageait avec ses demi-frères. Ils étaient capables de prendre toutes les formes existantes de vie aquatique. Sa mère mourut peu après sa naissance, et l’empereur, inconsolable, s’enferma dans un mutisme profond pendant deux longues années. Lorsqu’il recommença à parler, le ton de sa voix était altéré. 

Il couva ses enfants tout en leur insufflant un grand sens de la responsabilité vis-à-vis de leur peuple. Mais Aquana, têtue et spontanée, aimait nager seule aux alentours de la cité abyssale où elle et son peuple demeuraient. Lors de l’une de ses escapades, elle fut attirée par une lueur verte qui émanait d’une grotte. Téméraire, elle s’y aventura seule et, à peine entrée, elle aperçut deux grosses émeraudes, source de cette lumière intense. Elle les prit dans ses mains et, aussitôt, elles cessèrent de briller. Déçue, elle les fourra dans le filet à poissons qu’elle portait à sa taille et rentra à la cité, où elle les montra à son père. Celui-ci, furieux et surtout inquiet de ce qui aurait pu lui arriver, lui arracha les pierres des mains et l’obligea à rester enfermée dans sa chambre pendant une semaine entière. Les pierres atterrirent dans un coffre et, quelques mois plus tard, furent utilisées à la fabrication d’un trône confectionné en corail.

En grandissant, Aquana devint de plus en plus belle et de nombreux prétendants tentèrent de la séduire. Elle ne semblait pas leur prêter attention et les éconduisit l’un après l’autre, au grand dam de l’empereur Aquafauno, qui souhaitait voir ses enfants se marier et continuer leur lignée illustre. Père sévère et tendre tout à la fois, il ne voulait pas obliger sa fille à se décider. Aquana profita de sa jeunesse pour parcourir les abysses en compagnie de son frère Aquano et de ses amis. Nageuse infatigable, elle appréciait particulièrement les escapades qui la menaient près des rivages. Depuis le jour où elle avait exploré la grotte, sa famille lui avait interdit de sortir seule. Curieuse de nature, elle rêvait d’aller sur terre. Son frère, conscient de l’attraction que la terre ferme exerçait sur sa sœur, s’efforçait de la tenir loin des côtes, mais il n’y arrivait pas toujours.

Un jour, alors que son père et son frère étaient partis en mission sur une planète lointaine, Aquana décida de profiter de leur absence pour tromper la vigilance des gardes qui l’accompagnaient et partir à l’aventure aux abords de la côte la plus proche. Arrivée à destination, elle émergea des flots et parcourut quelques centaines de mètres avant d’être surprise par un brouillard épais qui l’enveloppa comme dans une immense boule de ouate. Lorsque le brouillard se dissipa, elle avait oublié qui elle était et d’où elle venait. Dans la cité abyssale, sa famille et son peuple ordonnèrent des recherches dans toutes les eaux où elle avait été aperçue, en vain. Aquano essaya de convaincre son père de monter une expédition sur terre, mais ce dernier refusa. Il ne voulait pas mettre en danger la vie de son fils et d’autres Manaquatiques. 

Aquana, prisonnière de son amnésie, rencontra Florofauno et Louvona, tomba amoureuse du beau Manimal et donna naissance à Foxano, inconsciente d’avoir causé autant de chagrin à tous ceux qui l’avaient éduquée et qui l’aimaient profondément. Elle était heureuse et passait des heures de pur bonheur avec son mari, son fils et sa belle-fille. Sa forme animale de prédilection avait toujours été le dauphin, car il représentait, pour elle, un lien avec le monde terrestre sans pour autant quitter l’élément qu’elle connaissait le mieux : l’eau. 

Lorsqu’elle était sous sa forme humaine, sa beauté ne laissait presque personne indifférent. Elle était moins grande que Florofauno et se déplaçait avec souplesse et grâce. Son corps était drapé de longs cheveux blonds ondulés aux reflets dorés et argentés. Son teint était très pâle et ses yeux immenses, d’un bleu intense, le visage arrondi, le nez droit et fin, la bouche pulpeuse de couleur corail, le menton légèrement pointu et déterminé. Lorsqu’elle souriait, son visage s’illuminait et quiconque la regardait à ce moment en était ébloui. Une énergie positive et bienveillante émanait de tout son être et même les plus rébarbatifs tombaient régulièrement sous son charme. Comment être étonné, dès lors, qu’elle eût conquis le cœur du roi des Manimaux qui était tombé désespérément et follement amoureux d’elle? 

Louvona, la fille de Florofauno, ne prenait que très rarement sa forme humaine. Elle aimait son corps de loup qui lui permettait de trotter rapidement là où elle avait envie d’aller. Elle n’avait qu’un très vague souvenir de sa mère, dont la brume avait entièrement effacé le visage. Son plus grand bonheur était son petit frère. Dès sa naissance, elle l’avait couvé de son affection et avait observé le moindre de ses gestes, surveillant son souffle lorsqu’il était endormi. Elle le léchait à chaque fois qu’il pleurait et ça le faisait rire. Elle partageait son temps entre son petit frère et de grandes balades solitaires à l’intérieur des terres. Elle recherchait instinctivement la compagnie d’autres loups, mais n’en rencontra aucun aux alentours. À défaut de trouver des congénères, elle se lia d’amitié avec de nombreux animaux jusqu’au jour où elle se retrouva presque incapable d’en manger. Elle maigrit et son père, inquiet, décida de la suivre dans ses escapades. Lorsqu’il comprit que sa fille ne voulait plus manger d’animaux, il partit un matin en sa compagnie et ne revint que le soir. Aquana, inquiète, n’eut droit à aucune explication. Ce fut l’occasion d’une dispute mémorable entre elle et Florofauno. Foxano, inquiet, pleura toute la nuit et tomba malade.

Les parents, inquiets, se réconcilièrent et prirent soin de leur fils qui retrouva rapidement sa vitalité. Louvona, quant à elle, reprit son régime normal et la vie continua au rythme des flots qui s’écoulaient avec constance dans l’immense océan de Verterra. 

Lykoro

Foxano coulait des jours paisibles et heureux auprès de ses parents et de sa sœur. Habitué dès son plus jeune âge à se transformer en animal aquatique ou terrestre, il concentrait son énergie sur le monde qui l’entourait. De ses yeux brun foncé en forme d’amandes émanait beaucoup d’espièglerie et ses parents avaient tout le mal du monde à le surveiller, tant ses possibilités de transformation étaient variées et parfois surprenantes. C’est ainsi qu’il se transforma un jour en poisson, alors qu’il était sur la terre ferme, et faillit mourir asphyxié. De même, ne maîtrisant pas entièrement les finesses et les détails qui influençaient le processus, il prit l’apparence d’un hérisson, alors qu’il était en balade dans l’eau avec sa mère. Parfois, il se passionnait pour un ou deux animaux dont il prenait l’apparence à toute heure du jour et de la nuit, obligeant ses parents et sa sœur à veiller sur lui à tour de rôle. La diversité de la faune terrestre et aquatique n’eut bientôt plus de secret pour Louvona qui avait l’œil inlassablement rivé sur son petit frère turbulent. 

Du haut de ses deux ans et demi, Foxano maîtrisait parfaitement le langage des animaux dont il prenait les apparences, mais ne semblait pas avoir envie d’apprendre le langage manimal, manaquatique ou humain que ses parents tentaient de lui inculquer. Il avait l’apparence d’un petit garçon potelé à peine sorti de l’âge d’un nourrisson. Il riait aux éclats lorsque sa sœur se contorsionnait devant lui ou se grattait derrière les oreilles. Il pleurait à chaudes larmes lorsqu’il se faisait mal en essayant de la rattraper ou lorsque son père lui interdisait quelque chose. Les moments de la journée qu’il préférait étaient ceux où sa mère l’emmenait dans la mer et qu’ils fendaient les flots côte à côte ou quand son père l’emmenait à dos de babouin vers les cimes des arbres afin d’admirer le coucher du soleil. 

Le soir, après la toilette et les câlins dans les bras de maman et de papa, Foxano allait se blottir au creux des poils douillets et chauds de Louvona et fermait presque instantanément les yeux, bercé par le chant mélodieux des oiseaux qui saluaient la fin de la journée. Au grand dam de sa famille, Foxano ne dormait jamais une nuit complète, souvent réveillé par un bruit qui lui paraissait étrange ou tout simplement parce qu’il ne semblait pas avoir besoin de longues périodes de repos. Ce phénomène étonnait ses parents, très déroutés par son rythme de sommeil particulier, mais ils n’avaient d’autre choix que de l’accepter et se reposaient à tour de rôle afin de veiller sur leur progéniture infatigable. Foxano adorait se réveiller lorsqu’il faisait noir. Il observait alors la myriade d’étoiles scintiller dans le ciel obscur et se transformait parfois en oiseau nocturne afin de pouvoir les atteindre… en vain. La nuit était remplie de mille et une odeurs, mille et un bruits tellement différents de ceux de la journée, et Foxano avalait goulûment les informations et les enregistrait dans un recoin de son jeune cerveau avide de connaissances. 

Un soir de printemps, celui de ses trois ans, Foxano jouait avec les coquillages, assis sagement à côté de sa mère dont le regard fixait les confins de l’horizon. Louvona et Florofauno étaient partis chasser. Peu à peu, une brume épaisse les enveloppa. Aquana mit son fils à l’abri dans leur terrier et ressortit peu après. Il lui avait semblé avoir entendu des voix, des voix qui faisaient écho à de vagues souvenirs. Elle se dirigea à tâtons, tant la visibilité était mauvaise, vers l’océan jusqu’à ce que l’eau caresse ses pieds délicats. Soudain, elle entendit plus qu’elle ne vit des silhouettes émerger de l’océan. Ces voix, elle les connaissait : c’étaient celles de ses congénères. Mais que faisaient-ils ici? Et elle-même, que faisait-elle là, toute seule au milieu de nulle part? Les silhouettes s’étaient rapprochées et elle put les distinguer et apercevoir Aquano!

Le frère et la sœur s’enlacèrent. Sans mot dire, les Manaquatiques accueillirent leur princesse et lui souhaitèrent la bienvenue de retour parmi eux. Aquana était heureuse : elle avait enfin retrouvé son peuple. Toutefois, elle avait l’impression d’oublier quelque chose. Qu’est-ce que c’était?

Foxano, quant à lui, attendait sagement à l’intérieur du terrier. Il s’était transformé en louveteau pour échapper à la morsure du froid de cette soirée printanière. Il s’ennuya rapidement et finit par sortir du terrier pour voir où était sa mère. La brume s’était dissipée, mais la plage était vide. 

—MAMAN? 

Foxano hésita, sa mère lui avait appris à rester caché tant qu’un danger n’était pas écarté.

— MAMAN! appela encore Foxano.

Au loin dans les vagues, il aperçut plusieurs ombres qui s’éloignaient de la plage.

— MAAAAAAAAAAAAMMMMMMMMMAAAAAAN… 

Foxano courut vers les vagues, plongea et se transforma en dauphin. Il nagea longtemps, mais il ne voyait plus sa maman et encore moins les silhouettes qui l’avaient emmenée. Le petit dauphin était fatigué, épuisé. Il trouva tout juste la force de se diriger vers le rivage, de se transformer en crabe, de s’accrocher à un gros galet afin de ne pas être emporté par la marée basse, de se faufiler plus loin sur le sable, de se transformer en petit lapin de garenne, de courir de ses dernières forces vers le terrier, de rejoindre le noyau central et de s’affaler sous sa forme humaine dans l’attente du retour de Louvona. Elle arriva quelques instants plus tard, tenant dans sa gueule un gros lièvre. Elle comptait se délecter de sa proie tout en surveillant son petit frère, lorsqu’elle s’aperçut que quelque chose n’allait pas. Elle le toucha de son museau froid et vit qu’il pleurait. Non pas des larmes de crocodile, comme lorsqu’il n’avait pas obtenu ce qu’il voulait, mais des larmes amères et angoissées, des larmes de douleur intense. 

— Mmmm… aaa… mmmaaaa… maman… sanglota-t-il. 

— Maman? demanda Louvona. Foxano… où est maman?

— Mmmaaaaaaaaaa… mmmmmmmaaaaaaaaannnnnnnn… hoqueta-t-il. Grands… Maman… Oçan… 

— Oçan? L’océan? Maman est dans l’océan?

— Maman… maman… oçan… méchants…

— L’océan est méchant?

— Méchants… oçan… maman…

Louvona ne comprit pas entièrement le langage primitif de son frère et le questionna dans la langue gutturale des Manimaux canins. Foxano réussit à faire comprendre à Louvona ce qui s’était passé, mais celle-ci, inquiète, ne sut que faire. Aller voir sur la plage si Aquana était de retour? Rester près de son frère et le protéger? Elle opta pour la deuxième solution et s’enroula autour du petit bonhomme tremblant de froid, de peur et de douleur. Bientôt, il s’endormit, épuisé par les événements. Le lendemain, Louvona lui demanda de se transformer en loup et ils explorèrent la plage. Il n’y avait plus aucune trace, plus aucune odeur, plus rien. L’océan avait effacé le moindre indice et Louvona dut se résigner. Aquana avait disparu. 

La jeune louve se demanda si les Manaquatiques étaient venus la chercher. Mais dans ce cas, comment se faisait-il qu’elle ait abandonné Foxano? Ne l’aurait-elle pas pris avec elle? Non… elle avait dû être emmenée de force. Mais n’aurait-elle pas crié et supplié d’emmener son fils? Louvona était perplexe. La disparition d’Aquana était un véritable mystère. Et où était leur père? Il aurait dû être de retour à présent. Que s’était-il passé? Elle s’enroula autour de son petit frère et eut, elle aussi, envie de pleurer. 

Plusieurs jours s’écoulèrent, longs et pénibles. Foxano, d’ordinaire gai et enjoué, traînait la patte et refusait souvent de se nourrir. Le soir, il gémissait, pleurant sa mère qu’il avait vue disparaître dans les flots et Florofauno qui tardait à les rejoindre. 

Le lendemain, Louvona décida d’aller à la recherche de leur père, car elle n’était pas en mesure de retrouver Aquana. Elle demanda à Foxano de se transformer en louveteau afin qu’ils pussent aller le plus rapidement possible. Au début, Foxano refusa de la suivre, car il avait peur de ne plus retrouver sa mère. Mais Louvona arriva à le convaincre avec beaucoup de patience et de gentillesse et ils se mirent en route.

Les deux loups trottèrent en amont le long du fleuve. La journée fut longue et fatigante. Foxano s’arrêtait souvent, distrait par un papillon ou sautant de manière impromptue dans le fleuve pour observer l’un ou l’autre poisson qui l’intriguait. Louvona, impuissante lorsque son frère se jetait à l’eau, tentait de parcourir des distances les plus longues possible. Le soir du premier jour, elle s’écroula, épuisée, et s’endormit le ventre creux. Foxano, quant à lui, s’était transformé en jeune daim et broutait l’herbe fraîche qui bordait la berge. Trois jours se succédèrent. Louvona n’avait aucune idée de la distance parcourue, mais n’en était pas autrement inquiète. Son père était capable de les retrouver n’importe où sur la planète. Elle se demandait simplement pourquoi il ne les avait pas encore rejoints. Au crépuscule du quatrième jour, ils s’installèrent à l’ombre d’un bosquet de rhododendrons en fleurs. Foxano, indifférent à l’explosion chatoyante de la nature printanière, s’était allongé sans prononcer une parole. 

Alors que Louvona reprenait des forces avant de partir à la chasse, un grand loup noir les observait de loin. Il était intrigué par ces intrus arrivés sur son territoire pendant la journée. Il le connaissait par cœur et le parcourait tous les jours, inlassablement, afin d’en chasser les hôtes indésirables. Était-ce le cas de la jeune louve et du louveteau? Étaient-ce des Manimaux ou des loups? Que faisaient-ils par ici, sans adultes pour les protéger? 

Le loup noir les examina attentivement et conclut que c’étaient des Manimaux. Il y avait longtemps, si longtemps qu’il n’en avait plus rencontré! Les temps étaient durs et la majorité vivait dispersée sous leur forme animale parmi l’un ou l’autre de leurs animaux totems, diminuant ainsi le risque de se faire repérer et tuer ou enlever par les sabires de Goulaf qui les pourchassaient sans pitié. C’était le cas de sa famille et de lui-même. Reverrait-il ses proches un jour? 

Quatre ans auparavant, lorsque les sabires les avaient attaqués, chacun des membres de sa famille s’était transformé en animal totem et s’était élancé dans une direction prédéterminée. Ils avaient répété ce plan de fuite des centaines de fois, en gardant conscience qu’un jour ce ne serait plus une répétition, mais la réalité et que c’était probablement le seul moyen pour eux d’avoir la vie sauve. Il ne saurait peut-être jamais si l’idée audacieuse de son père avait été efficace. Il avait seize ans à ce moment-là. Sa sœur Liana, dont le totem favori était l’écureuil, en avait onze; ses frères jumeaux âgés de neuf ans devaient se transformer en belettes et les grands, Kristar et Ramilia, respectivement, en faucon et en hibou. Son père était resté avec les jumeaux et sa mère, avec Liana. Lui s’était transformé en loup et s’était enfui le plus rapidement possible. 

Les sabires ne s’étaient pas attendus à une fuite organisée et avaient perdu un temps précieux avant de se mettre à la poursuite de cette famille de Manimaux. Lykoro, le jeune loup noir, n’avait pas retrouvé les membres de sa famille au point de rencontre le lendemain du drame. Il les avait attendus pendant plusieurs jours qui s’étaient transformés en de nombreuses semaines. Deux mois après l’attaque, Lykoro abandonna ses recherches et rejoignit une meute de loups qui avait élu domicile non loin de là. Depuis ce jour, à chaque clair de lune, il hurlait plus fort que les autres, tant pour exprimer sa tristesse et son désarroi que dans l’espoir qu’un membre de sa famille reconnaîtrait son hurlement et viendrait le rejoindre. Trois années s’étaient écoulées et nul n’était venu. Était-ce mauvais signe? Il gardait malgré tout l’espoir au plus profond de son cœur. 

Lorsqu’il aperçut la jeune louve et le louveteau qu’il identifia comme étant des Manimaux, son cœur se mit à battre à tout rompre. Il les avait observés pendant un long moment, à l’abri des hautes herbes. Le soir venu, il les avait laissés s’installer avant de révéler sa présence. 

Sous le bosquet de rhododendrons, Foxano commença à s’agiter, éveillant la méfiance de Louvona. Elle aussi avait le sentiment qu’ils étaient épiés. La jeune louve communiqua une image par télépathie à son frère, qui se transforma en écureuil et disparut dans le feuillage de l’arbuste. Ensuite, elle se leva, le poil hérissé et les oreilles abaissées. 

Un grand loup noir s’approcha d’eux, la tête baissée et penchée vers le côté, la queue entre les jambes, en signe de soumission. Elle resta néanmoins sur ses gardes. L’animal s’approcha à petits pas, laissant le temps à Louvona de humer l’air et de se persuader de ses intentions pacifiques. La jeune louve cessa de gronder et s’assit. Le grand loup noir s’accroupit en face d’elle et prit sa forme humaine. Il y avait longtemps, si longtemps qu’il ne l’avait pas fait! 

Louvona observa l’adolescent assis vis-à-vis d’elle. Il était grand, le teint basané et les cheveux brun foncé, le visage plutôt carré, la bouche charnue, les lèvres rouges. Ses yeux brun clair tirant sur le jaune dardaient sur elle un regard presque implorant. Elle comprit le message muet et prit sa forme humaine. Foxano, qui était redescendu prudemment de son rhododendron, vint timidement s’asseoir à leurs côtés, fasciné par l’apparence de sa sœur. Il l’avait toujours connue sous sa forme animale. Lui-même prit sa forme humaine. L’adolescent qui leur faisait face les regarda, émerveillé. Ça faisait tellement longtemps qu’il n’avait plus vu de Manimaux. Il décida de rompre le charme de fascination et prit la parole :

—Bonjour. Je m’appelle Lykoro. Et vous, comment vous appelez-vous?

—Bonjour. Je m’appelle Louvona et voici mon frère Foxano. 

—Vous avez été attaqués par les sabires de Goulaf, vous aussi?

—Non. Heureusement, non. Mais nous sommes à la recherche de notre père. 

—Votre père? Vous avez été séparés de lui? Moi, ça fait des années que je n’ai plus vu mes parents. Ils ne m’ont jamais retrouvé. 

—Mon père, c’est Florofauno et il viendra nous chercher! 

—Quoi? Tu es la fille de Florofauno? Du roi des Manimaux? Waouh! Ben, ça alors… 

—Oui, je suis sa fille. Et il viendra me chercher. Tu as perdu tes parents?

—En fait, j’ai perdu toute ma famille il y a trois ans. Nous avons été attaqués par des sabires. Nous nous sommes tous transformés et dispersés. Je n’ai plus jamais eu de leurs nouvelles depuis ce moment-là. Je ne sais même pas s’ils sont morts, capturés ou libres. Je vis avec une meute de loups depuis tout ce temps.  

—Je suis très triste pour toi, Lykoro, répondit-elle.

—Oui. Mais qu’allez-vous faire en attendant que ton père vous retrouve? Il a quel âge ton petit frère?

—Il a trois ans. Il vient de perdre sa… enfin… Maman. Elle est partie, conclut-elle. Enlevée…

—Ah… Goulaf?

Louvona ne répondit pas. Elle n’avait pas envie d’entrer dans les détails de la naissance de Foxano. Ce dernier, rassuré et intrigué en même temps, s’était approché de Lykoro. Il l’observait de ses grands yeux bruns, le fixant à la manière des petits enfants. Lykoro tendit ses bras vers lui, mais Foxano resta immobile, il se méfiait de l’inconnu. Lykoro ne tenta pas de l’attraper et gargouilla, comme il avait eu l’habitude de le faire avec ses petits frères. Foxano se laissa apprivoiser et se retrouva bientôt sur les genoux du jeune Manimal. Louvona les regarda avec bienveillance, puis elle souleva le problème de la nourriture. 

Lykoro déposa l’enfant dans les bras de sa sœur, se transforma à nouveau en loup et partit. Une heure plus tard, il revint avec un lapin qu’il comptait partager avec les deux jeunes affamés. Louvona dévora sa part, mais Foxano n’y toucha pas. Il n’avait plus faim. Impatient, après avoir un peu récupéré, il s’était transformé en chevreuil et avait brouté de l’herbe fraîche. Lykoro, qui n’avait pas vu la transformation du petit garçon, supposa que Louvona avait trouvé une solution pour son petit frère et ne posa pas de questions. Ils avaient tous les trois pris leur apparence humaine afin de pouvoir communiquer plus aisément. 

Lykoro avait tellement de questions à poser. Il voulait tout savoir sur Florofauno et les Manimaux qui avaient peuplé les histoires que lui racontait son père. Il avait notamment entendu dire que la plupart des rois et des reines des Manimaux s’étaient rassemblés autour de Florofauno pour l’aider à combattre les sabires. Était-ce la réalité? Louvona confirma la rumeur, mais expliqua également que son père et elle avaient été séparés de leur peuple plusieurs années auparavant. Sans doute, à la même époque où Lykoro et sa famille avaient été séparés.

—Ah… Alors les sabires ont vraiment dispersé tout le monde?

—Oui, Lykoro. Les sabires ont littéralement envahi Verterra et tous les Manimaux ont été éparpillés à travers la planète. J’étais avec mon père jusqu’il y a peu, et à présent je ne sais pas où il se trouve. Je me rappelle vaguement qu’il m’avait dit que si nous nous retrouvions séparés, je devais tenter de me rendre à la grotte de Bhêssalhûr. Tu sais où elle se trouve ?

—Bhêssalhûr? Mais… mais… la légende prétend que le gardien de la Terre a été vu près de cette grotte avant de disparaître. C’est un endroit maudit.

—Maudit? Ah non! Ma grand-mère m’a toujours dit qu’un jour, les Manimaux se retrouveraient tous dans cette grotte et que c’était un endroit presque inviolable et inconnu des Humains. 

—Bhêssalhûr, murmura Lykoro. J’ai toujours eu envie d’aller voir où se trouvait cette grotte. 

—Est-ce que c’est là que tu vas, Louvona?

—Oui. Et j’y emmène mon petit frère.

—Est-ce que… est-ce que je peux vous accompagner? demanda timidement l’adolescent.

Louvona réfléchit quelques instants avant d’accepter. Elle éprouvait de la sympathie pour Lykoro, mais était-elle certaine qu’il disait la vérité? D’un autre côté, ils ne seraient pas trop de deux pour surveiller Foxano et affronter les dangers qui les attendaient sur le chemin. Elle finit par céder.

—D’accord, Lykoro, répondit-elle, tu peux venir avec nous. Mais tu ne peux pas partir sans avertir la meute qui t’a accueilli pendant quatre ans. Il faudra que tu leur dises que tu as l’intention de partir et leur demander s’ils veulent venir avec nous.

—C’est entendu, Louvona. Allons rencontrer la meute. Ils seront contents de faire ta connaissance et celle de ton petit frère.

Lykoro se leva et fit signe à Louvona et à Foxano de le suivre. Le petit garçon, fatigué, se blottit dans les bras accueillants de sa sœur et s’endormit au rythme du pas souple et agile de celle-ci. Lykoro les emmena plus en avant à l’intérieur des terres, à l’abri d’une forêt qui semblait s’étendre à l’infini. Louvona commençait à s’inquiéter, lorsqu’ils tombèrent sur un renfoncement de terrain, probablement le lit asséché d’un bras du fleuve. Une source d’eau claire émanant d’un creux rocheux bordé de mousse alimentait un petit ruisseau qui s’écoulait en direction de ce dernier. Deux louves accueillirent Lykoro et les nouveaux venus en remuant la queue. Louvona déposa Foxano non loin de la source sur un tapis de mousse et se transforma en louve. Peu après, plusieurs autres loups se joignirent à eux, dont le chef de meute. Ce dernier alla renifler l’enfant endormi et parut satisfait. Louvona et Foxano avaient été acceptés. 

Lykoro s’adressa ensuite à la meute en langage animal pour avertir le chef de meute qu’il comptait partir avec les deux Manimaux. Le loup, quoique triste, lui signifia qu’ils le laisseraient partir, mais qu’eux-mêmes resteraient, puisque leurs louveteaux étaient encore jeunes. Lykoro sentit son cœur se resserrer : il s’était attendu à ce que le chef de meute lui annonçât qu’ils allaient les suivre. 

Louvona, consciente du dilemme auquel le jeune Manimal faisait face, lui suggéra de rester quelques jours, voire une semaine, pour se reposer avant de repartir. Cela donnerait à Lykoro et aux loups le temps d’accepter la séparation.

«Merci, Louvona, lui dit-il, merci infiniment. Tu me libères d’un grand poids.»

Louvona ne répondit pas, mais sourit. Elle connaissait la douleur provoquée par une séparation et savait que seul le temps permet de l’accepter. Elle prit son petit frère assoupi dans les bras et demanda à la louve dominante où elle pouvait le déposer pendant qu’elle partait chasser avec la meute. La louve lui montra un terrier et Louvona y déposa son précieux fardeau à côté des louveteaux endormis. Ces derniers se réveillèrent à peine lorsqu’elle déposa le petit garçon à côté d’eux. 

Les louveteaux restèrent sous la surveillance des loups plus âgés, et les plus jeunes, accompagnés de leurs amis Manimaux partirent à la chasse. Quelques heures plus tard, les loups revinrent, fourbus et fatigués, mais satisfaits. Ils avaient réussi à attraper un vieux cerf qui les nourrirait pendant plusieurs jours. Lykoro s’était chargé de porter la dépouille jusqu’au campement, ce qui leur allégeait grandement la tâche de nourrir les petits. Ceux-ci, réveillés, attendaient leurs parents avec impatience et voulurent se précipiter sur la nourriture. Leurs aînés les rappelèrent à l’ordre et tout se passa dans une discipline relative.

Foxano, qui s’était également réveillé, courut en direction de sa sœur qui le prit dans les bras. Mais elle se transforma presque aussitôt en louve et Foxano l’imita. Cela facilitait leur présence au sein de la meute. Il ne mangea pas de viande de cerf et s’éloigna pour se transformer en daim et brouter son comptant d’herbe fraîche. Louvona l’avait accompagné de peur que les loups pussent ne pas le reconnaître et se précipiter sur cette proie facile. Une fois rassasié, le faon gambada à travers la petite clairière où ils se trouvaient. Louvona bondit sur son petit frère en faisant mine de vouloir le dévorer. Le faon bondit à son tour, se mettant hors de portée et ce jeu dura une bonne demi-heure. Ce moment d’insouciance leur fit oublier les drames récents et lorsqu’ils retournèrent à l’endroit où la meute avait élu domicile, ils étaient beaucoup plus détendus. 

Foxano avait repris sa forme de loup et se joignit spontanément aux jeux des autres louveteaux. La nuit tomba de manière abrupte et les loups s’installèrent dans les endroits les plus confortables pour dormir. Lykoro invita Louvona à rester près de lui, mais elle ne voulut pas laisser son frère seul dans le terrier. La louve dominante lui signifia que tous les louveteaux y étaient à l’abri et qu’ils ne risquaient rien. Elle les surveillerait elle-même. Rassurée, Louvona accepta l’invitation de son nouvel ami et ils dormirent côte à côte sur le rocher qui surplombait la source. Le bruit de l’eau la berça et elle dormit profondément jusqu’au matin. 

Les jours suivants, Louvona et Foxano les passèrent en compagnie de Lykoro et de la meute. Ils s’y sentaient bien. Cependant, lorsque l’aube du cinquième jour teinta le ciel de rouge et d’orange, Louvona et Lykoro se rappelèrent qu’il était temps de retrouver le roi des Manimaux. Ils décidèrent d’accompagner la meute lors d’une dernière chasse. Le soleil printanier réchauffait la planète Verterra et la meute de loups se mit en route. Louvona et Lykoro, étroitement connectés à l’énergie ambiante, parcoururent le grand territoire des loups pendant toute la journée, laissant Foxano sous la garde de deux vieilles louves. 

Lui était ravi. Les louves avaient une patience d’ange, même si elles grondaient en signe d’avertissement lorsqu’il dépassait les limites. Ce qui l’enchantait le plus, c’étaient ses camarades de jeu, quatre jeunes louveteaux avec lesquels il s’était lié d’amitié et s’amusait à la façon des loups, gambadant, sautillant et mordillant ses camarades sans relâche jusqu’à ce que, épuisés, ils fissent tous une sieste réparatrice au fond du terrier. 

En fin de journée, la meute se rassembla autour d’un cadavre de biche fraîchement chassée et d’un lagopède dodu à souhait. Foxano s’éloigna de la meute, le temps de brouter l’herbe fraîche du printemps. Les loups s’y étaient habitués et il pouvait à présent profiter des pousses tendres près de la source. 

Les loups étaient allongés paresseusement et digéraient leur repas en profitant des derniers instants de clarté et Louvona s’amusait à observer les louveteaux dépenser leur énergie débordante, lorsqu’un oiseau tomba au milieu de la clairière où ils étaient installés. C’était une oie sauvage, encore vivante. Louvona s’approcha d’elle. D’une petite voix rauque, l’oiseau la supplia de ne pas la tuer. Une Manimale! Lykoro grogna sur les loups qui, excités par la vue d’une proie si facile, menaçaient de la croquer. Ils grondèrent, mais n’insistèrent pas. Ils avaient senti, eux aussi, qu’il s’agissait d’une Manimale et ils s’éloignèrent rapidement pour continuer à surveiller les petits et digérer leur repas.

L’oie n’était pas blessée, seulement épuisée. Elle rapporta des rumeurs inquiétantes de combats entre les Manimaux et les sabires. Louvona était nerveuse. Avait-on des nouvelles du roi des Manimaux, Florofauno