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"Mireille est un roman écrit par Frédéric Mistral, un écrivain et poète français du XIXe siècle. Ce livre raconte l'histoire de Mireille, une jeune fille provençale, et de son amour pour Vincent, un berger. Le récit se déroule dans les paysages enchanteurs de la Provence, où Mistral puise son inspiration. À travers cette histoire d'amour passionnée, l'auteur nous plonge dans la culture et les traditions de la région, tout en abordant des thèmes universels tels que l'amour, la famille et la quête de soi. Mireille est un classique de la littérature française, qui a su captiver les lecteurs par sa poésie et sa beauté intemporelle.
Extrait : ""Je chante une jeune fille de Provence. - Dans les amours de sa jeunesse, - à travers la Crau, vers la mer, dans les blés, - humble écolier du grand Homère, - je veux la suivre. Comme c'était - seulement une fille de la glèbe, - en dehors de la Crau, il s'en est peu parlé."""
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Seitenzahl: 207
Veröffentlichungsjahr: 2015
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Je chante une jeune fille de Provence. Dans les amours de sa jeunesse, à travers la Crau, vers la mer, dans les blés, humble écolier du grand Homère, je veux la suivre. Comme c’était seulement une fille de la glèbe, en dehors de la Crau il s’en est peu parlé.
Bien que son front ne brillât que de jeunesse ; bien qu’elle n’eût ni diadème d’or ni manteau de Damas, je veuille qu’en gloire, elle soit élevée comme une reine, et caressée par notre langue méprisée, car nous ne chantons que pour vous, ô pâtres et habitants des mas.
Toi, Seigneur Dieu de ma patrie, qui naquis parmi les pâtres, enflamme mes paroles et donne-moi du souffle ! Tu le sais : parmi la verdure, au soleil et aux rosées, quand les figues mûrissent, vient l’homme, avide comme un loup, dépouiller entièrement l’arbre de ses fruits.
Mais sur l’arbre dont il brise les rameaux, toi, toujours tu élèves quelque branche où l’homme insatiable ne puisse porter la main, belle pousse hâtive, et odorante, et virginale, beau fruit mûr à la Magdeleine, où vient l’oiseau de l’air apaiser sa faim.
Moi, je la vois, cette branchette, et sa fraîcheur provoque mes désirs ! Je vois, au (souffle des) brises, s’agiter dans le ciel son feuillage et ses fruits immortels… Dieu beau, Dieu ami, sur les ailes de notre langue provençale, fais que je puisse aveindre la branche des oiseaux !
Au bord du Rhône, entre les peupliers et les saulaies de la rive, dans une pauvre maisonnette rongée par l’eau, un vannier demeurait, qui, avec son fils, passait ensuite de ferme en ferme, et raccommodait les corbeilles rompues et les paniers troués.
Un jour qu’ils allaient, ainsi par les champs, avec leurs longs fagots de scions d’osier : – Père, dit Vincent, regardez le soleil ! – Voyez-vous, là-bas, sur Maguelonne, les piliers de nuage qui l’étayent ? – Si ce rempart s’amoncelle, père, avant d’être au mas, nous nous mouillerons peut-être.
– Oh ! le vent largue agite les feuilles… – Non !… ce ne sera pas de la pluie, répondit le vieillard… Ah ! si c’était le Rau, c’est autre chose !… Combien fait-on de charrues, au Mas des Micocoules, père ? Six, répondit le vannier. Ah ! c’est là un domaine des plus forts de la Crau !
Tiens ! ne vois-tu pas leur verger d’oliviers ? Parmi eux sont quelques rubans de vignes et d’amandiers… Mais le beau, reprit-il en s’interrompant, (et de tels, il n’en est pas deux sur la côte !) le beau, c’est qu’il y a autant d’allées qu’a de jours l’année entière, et dans chacune (d’elles), autant que d’allées il y a de pieds (d’arbre) !
Mais, fit Vincent, caspitello ! que d’oliveuses il doit falloir pour cueillir les olives de tant d’arbres ! Oh ! tout cela s’achève ! Vienne la Toussaint, et les filles des Baux d’(olives) vermeilles ou amygdalines… te vont combler et sacs et draps !… Tout en chantant, elles en amasseraient bien davantage !
Et Maître Ambroise continuait de parler… Et le soleil, qui disparaissait au-delà des collines, des plus belles couleurs teignait les légers nuages ; et les laboureurs, sur leurs bêtes accouplées par le cou, venaient lentement au repas du soir, tenant levés leurs aiguillons… Et la nuit commençait à brunir dans les lointains marécages.
– Allons ! déjà s’entrevoit, dans l’aire, le comble de la meule de paille, dit encore Vincent : nous voici au refuge ! C’est là que prospèrent les brebis ! Ah ! pour l’été, elles ont le bois de pins, pour l’hiver, la plaine caillouteuse, recommença le vieillard… Oh ! là, il y a de tout !
Et tous ces grands massifs d’arbres qui sur les tuiles font ombrage ! Et cette belle fontaine qui coule en un vivier ! Et toutes ces ruches d’abeilles que chaque automne dépouille, et (qui), dès que mai s’éveille, suspendent cent essaims aux grands micocouliers !
Oh ! puis, en toute la terre, père, ce qui m’agrée le plus, fit là Vincent, c’est la fille de la ferme… Et, s’il vous en souvient, mon père, elle nous fit, l’été passé, faire deux corbeilles d’oliveur, et mettre des anses à son petit cabas.
En devisant ainsi, ils se trouvèrent vers la porte. La fillette venait de donner la feuillée à ses vers à soie ; et sur le seuil, à la rosée, elle allait, en ce moment, tordre un écheveau. Bonsoir à toute la compagnie ! fit le vannier, en jetant bas ses brins d’osier.
Maître Ambroise, Dieu vous le donne ! dit la jeune fille ; je mets la thie à la pointe de mon fuseau, voyez !… Et vous autres ? vous voilà attardés ! D’où venez-vous ? de Valabrègue ? Juste ! et le Mas des Micocoules se rencontrant sur notre sillon, il se fait tard, avons-nous dit, nous coucherons à la meule de paille.
Et, avec son fils, le vannier alla s’asseoir sur un rouleau (de labour). Sans plus de paroles, à tresser tous les deux une manne commencée, ils se mirent (avec ardeur) un instant, et de leur gerbe dénouée ils croisaient et tordaient les osiers dociles.
Vincent n’avait pas encore seize ans ; mais tant de corps que de visage, c’était, certes, un beau gars, et des mieux découplés, aux joues assez brunes, en vérité… mais terre noirâtre toujours apporte bon froment, et sort des raisins noirs un vin qui fait danser.
De quelle manière doit l’osier se préparer, se manier, lui le savait à fond ; non pas que sur le fin il travaillât d’ordinaire : mais des mannes à suspendre au dos des bêtes de somme, tout ce qui aux fermes est nécessaire, des terriers roux et des coffins commodes.
Des paniers de roseaux refendus, tous ustensiles de prompte vente, et des balais de millet,… tout cela, et bien plus encore, il le faisait rapidement, bon, gracieux, de main de maître… Mais, de la jachère et de la lande, les hommes, déjà, étaient revenus du travail.
Déjà, dehors, à la fraîcheur, Mireille, la gentille fermière, sur la table de pierre avait mis la salade de légumes ; et du large plat chavirant (sous la charge), chaque valet tirait déjà, à pleine cuiller de buis, les fèves… Et le vieillard et son fils tressaient. Eh bien ? voyons !
Ne venez-vous pas souper, Maître Ambroise ? avec son air un peu bourru dit Maître Ramon, le chef de la ferme. Allons, laissez donc la corbeille ! Ne voyez-vous pas naître les étoiles ? Mireille, apporte une écuelle. Allons ! à table ! car vous devez être las.
Allons ! fit le vannier. Et ils s’avancèrent vers un coin de la table de pierre, et coupèrent du pain. Mireille, leste et accorte, avec l’huile des oliviers assaisonna pour eux un plat de féveroles. Elle vint ensuite en courant le leur apporter de ses mains.
Mireille était dans ses quinze ans… Côte bleue de Fontvieille, et vous, collines baussenques, et vous, plaines de Crau, vous n’en avez plus vu d’aussi belle ! Le gai soleil l’avait éclose ; et frais, ingénu, son visage, à fleur de joues, avait deux fossettes.
Et son regard était une rosée qui dissipait toute douleur… Des étoiles moins doux est le rayon, et moins pur ; il lui brillait de noires tresses qui tout le long formaient des boucles ; et sa poitrine arrondie était une pêche double et pas encore bien mûre.
Et folâtre, et sémillante, et sauvage quelque peu !… Ah ! dans un verre d’eau, en voyant cette grâce, toute à la fois vous l’eussiez bue ! Quand puis chacun, selon la coutume, eut parlé de son travail (comme au mas, comme au temps de mon père, hélas ! hélas !)
Eh bien ? Maître Ambroise, ce soir, ne nous chanterez-vous rien ? dirent-ils : c’est ici le repas où l’on dort ! Chut ! mes bons amis… (Sur) celui qui raille, répondit le vieillard, Dieu souffle, et le fait tourner comme toupie !… Chantez vous-mêmes, jouvenceaux, qui êtes jeunes et forts !
Maître Ambroise, dirent les laboureurs, non, non, nous ne parlons point par moquerie ! Mais voyez ! le vin de Crau va tout à l’heure déborder de votre verre… Çà ! trinquons, père ! Ah ! de mon temps, j’étais un chanteur, fit alors le vannier ; mais à présent, que voulez-vous ? les miroirs sont crevés !
De grâce ! Maître Ambroise, cela récrée : chantez un peu, dit Mireille. Belle fillette, repartit donc Ambroise, ma voix est un épi égrené ; mais pour te plaire, elle est déjà prête. Et aussitôt il commença cette (chanson), après avoir vidé son plein verre de vin :
Le Bailli Suffren, qui sur mer commande, au port de Toulon a donné signal… Nous partons de Toulon cinq cents Provençaux. De battre l’Anglais grande était l’envie : nous ne voulons plus retourner dans nos maisons avant que de l’Anglais nous n’ayons vu la déroute.
Mais le premier mois que nous naviguions, nous n’avons vu personne, sinon, dans les antennes, le vol des goélands volant par centaines. Mais le second mois que nous courions (la mer), assez, une tourmente, nous donna de peine ! et la nuit et le jour, nous vidions, ardents, l’eau (du navire).
Mais le troisième mois, la rage nous prit : le sang nous bouillait, de ne trouver personne que notre canon pût balayer. Mais alors Suffren : Enfants, à la hune ! Il dit, et soudain le gabier courbé épie au lointain vers la côte arabe…
Ô tron-de-bon-goï ! cria le gabier, trois gros bâtiments tout droit nous arrivent ! Alerte, enfants ! les canons aux sabords ! Cria aussitôt le grand marin. Qu’ils tâtent d’abord des figues d’Antibes ! nous leur en offrirons, ensuite, d’un autre panier.
Il n’avait pas encore dit, on ne voit qu’une flamme : quarante boulets vont, comme des éclairs, trouer de l’Anglais les vaisseaux royaux…
À l’un des bâtiments ne resta que l’âme ! Longtemps on n’entend plus que les canons rauques, le bois qui craque et la mer qui mugit.
Des ennemis, cependant, un pas tout au plus nous tient séparés : quel bonheur ! quelle volupté ! Le Bailli Suffren, intrépide et pâle, Et qui sur le pont était immobile : Enfants ! crie-t-il enfin, que votre feu cesse ! Et oignons-les ferme avec l’huile d’Aix !
Il n’avait pas encore dit, mais l’équipage entier s’élance aux hallebardes, aux vouges, aux haches, et, grappin en main, le hardi Provençal, d’un souffle unanime, crie : – À l’abordage ! Sur le bord anglais nous sautons d’un saut, et commence alors le grand massacre !
Oh ! quels coups ! oh ! quel carnage ! Quel fracas font le mât qui se rompt, sous les marins le pont qui s’effondre ! Plus d’un Anglais plonge et périt ; plus d’un Provençal empoigne l’Anglais, l’étreint dans ses griffes, et s’engloutit.
Il semble, n’est-ce pas ? que ce n’est pas croyable ! Là s’interrompit le bon aïeul. C’est pourtant arrivé tel que dans la chanson. Certes, nous pouvons parler sans crainte, j’y étais, moi, tenant le gouvernail ! Ah ! ah ! aussi, dans ma mémoire, dussé-je vivre mille ans, mille ans cela sera serré.
Quoi !… vous avez été de ce grand massacre ? Mais, comme une faux sous le marteau qui la bat, ils durent, trois contre un, vous écraser ! Qui ? les Anglais ! dit le vieux marin se cabrant de colère… De nouveau, redevenu souriant, il reprit fièrement son chant entamé :
Les pieds dans le sang, dura cette guerre depuis deux heures jusques à la nuit. De vrai, quand la poudre n’aveugla plus l’œil, à notre galère il manquait cent hommes ; mais sombrèrent trois bâtiments, trois beaux bâtiments du roi d’Angleterre !
Puis, quand nous revenions au pays si doux, avec cent boulets dans nos bordages, avec vergues en tronçons, voiles en lambeaux.
Tout en plaisantant, le Bailli affable : Allez, nous dit-il, allez, camarades ! au roi de Paris je parlerai de vous.
Ô notre amiral, ta parole est franche, lui avons-nous répondu, le roi t’entendra… Mais, pauvres marins, que nous servira-t-il ?
Nous avons tout quitté, la maison, l’anse (du rivage), pour courir à sa guerre et pour le défendre, et tu vois pourtant que le pain nous manque !
Mais si tu vas là-haut, souviens-toi, lorsqu’ils s’inclineront sur ton beau passage, que nul ne t’aime comme tes matelots ! Car, ô bon Suffren, si nous (en) avions le pouvoir, avant de retourner dans nos villages, nous te porterions roi sur le bout du doigt !
C’est un Martégal qui, à la vêprée, a fait la chanson, en tendant ses tramaux… Le Bailli Suffren partit pour Paris. Et, dit-on, les grands de cette contrée furent jaloux de sa gloire, et ses vieux marins jamais ne l’ont plus vu !
À temps le vieillard aux brins d’osier acheva sa chanson marine, car sa voix dans les pleurs allait se noyer ; mais trop tôt, certes, pour les garçons de labour, car, sans mot dire, la tête éveillée et les lèvres entrouvertes, longtemps après le chant ils écoutaient encore.
Et voilà, quand Marthe filait, les chansons, dit-il, que l’on chantait ! Elles étaient belles, ô jouvenceaux, et tiraient en longueur… L’air a un peu vieilli, mais qu’importe. Maintenant on en chante de plus nouvelles, en français, où l’on trouve des mots beaucoup plus fins… mais qui y entend quelque chose ?
Et sur cette parole du vieillard, les laboureurs, se levant de table, étaient allés conduire leurs six paires (de bêtes) au jet de la belle eau coulante ; et sous la treille (aux rameaux) pendants, en fredonnant la chanson du vieux de Valabrègue, ils abreuvaient les mulets.
Mais Mireille, toute seulette, était restée, rieuse, restée avec Vincent, le fils de Maître Ambroise ; et tous deux parlaient ensemble, et leurs deux têtes se penchaient l’une vers l’autre, semblables à deux cabridelles en fleur qu’incline un vent joyeux.
Ah ! çà ! Vincent, disait Mireille, quand tu as sur le dos ta bourrée, et que tu erres çà et là, raccommodant les paniers, en dois-tu voir, dans tes courses, des châteaux antiques, des lieux sauvages, des endroits, des fêtes, des pardons !… Nous, nous ne sortons jamais de notre colombier !
C’est bien dit, mademoiselle ! De l’agacement (produit aux dents) par les groseilles autant la soif s’étanche comme de boire au pot ; et si, pour amasser l’ouvrage, il faut essuyer l’outrage du temps, tout de même le voyage a son plaisir, et l’ombre de la route fait oublier le chaud.
Ainsi, tout à l’heure, dès que l’été vient, sitôt que les arbres d’olives se seront totalement couverts de grappes de fleurs, dans les vergers devenus blancs, et sur les frênes, au flair, nous allons chasser la cantharide, lorsqu’elle verdoie et luit au fort de la chaleur.
Puis, on nous les achète aux boutiques… Tantôt nous cueillons, dans les garrigues, le kermès rouge ; tantôt, aux lacs, nous allons pêcher des sangsues. La charmante pêche ! Pas besoin de filet ni d’appât : il n’y a qu’à battre l’eau fraîche, la sangsue à vos jambes vient se coller.
Mais n’avez-vous jamais été aux Saintes ? C’est là, pauvrette ! que l’on chante ; là que de toute part on apporte les infirmes ! Nous y passâmes lors de la fête… Certes, l’église était petite, mais quels cris ! et que d’ex-voto ! Ô Saintes, grandes Saintes, ayez pitié de nous !
C’est l’année de ce grand miracle… Quel spectacle ! mon Dieu ! mon Dieu ! Un enfant était par terre, pleurant, malingre, joli comme Saint-Jean-Baptiste ; et d’une voix triste et plaintive : Ô Saintes, rendez-moi la vue, disait-il ! je vous apporterai mon agnelet cornu.
Autour de lui coulaient les pleurs. En même temps, les châsses descendaient lentement de là-haut sur le peuple accroupi ; et sitôt que le câble mollissait tant soit peu, l’église entière, comme un grand vent dans les taillis, criait : Grandes Saintes, oh ! venez nous sauver !
Mais, dans les bras de sa marraine, de ses petites mains fluettes, dès que l’enfantelet put toucher aux ossements des trois bienheureuses Maries, il se cramponne aux châsses miraculeuses avec la vigoureuse étreinte du naufragé à qui la mer jette une planche !
Mais à peine sa main saisit, avec amour, les ossements des Saintes, (je le vis !) soudain cria l’enfantelet avec une merveilleuse foi : Je vois les chasses miraculeuses ! je vois mon aïeule éplorée ! Allons quérir, vite, vite, mon agnelet cornu !
Et vous aussi, mademoiselle, Dieu vous maintienne en bonheur et beauté ! Mais si (jamais) un chien, un lézard, un loup, ou un serpent énorme, ou toute autre bête errante, vous fait sentir sa dent aiguë ; si le malheur vous abat, courez, courez aux Saintes ! vous aurez tôt du soulagement.
Ainsi s’écoulait la veillée. La charrette dételée de ses grandes roues projetait l’ombre non loin (de là) ; de temps à autre, aux marécages, on entendait tinter une clochette… Et la chouette rêveuse au chant des rossignols ajoutait sa plainte.
– Mais, dans les arbres et dans les mares, puisque cette nuit la lune donne, voulez-vous, dit-il, que je vous raconte une course dans laquelle je pensai gagner le prix ? L’adolescente dit : Volontiers ! Et plus qu’heureuse, l’enfant naïve, en tenant son haleine, s’approcha de Vincent.
C’est à Nîmes, sur l’Esplanade, qu’on donnait ces courses, à Nîmes, ô Mireille !… Un peuple aggloméré et plus dru que cheveux, était là pour voir la fête. Nu-tête, nu-pieds, sans veste, de nombreux coureurs au milieu (de la lice) déjà venaient d’aller ;
Tout à coup ils aperçoivent Lagalante, roi des coureurs, Lagalante, ce fort dont le nom à coup sûr est connu de votre oreille, ce célèbre Marseillais qui de Provence et d’Italie avait essoufflé les hommes les plus durs.
Il avait des jambes, il avait des cuisses comme le Sénéchal Jean de Cossa ! Il avait, de larges plats d’étain, un plein dressoir, où étaient gravées ses courses ; il avait tant d’écharpes riches que vous auriez juré qu’aux clous (de ses solives), Mireille, l’arc-en-ciel se tenait déployé !
Mais sur-le-champ, en baissant la tête, les autres de nouveau mettent leurs vestes… Nul avec Lagalante n’ose courir. Le Cri, un jouvenceau de race déliée (mais n’ayant pas la jambe flasque !) était venu conduire des vaches à Nîmes, ce jour-là : seul, il l’osa provoquer.
Moi qui, par hasard, m’y trouvai : Eh ! Nom d’un rat ! m’écriai-je, nous aussi sommes coureur ! Mais qu’ai-je dit, folâtre ! Tout (le monde) m’entoure : Sus ! il faut courir ! Et jugez voir ! sur les mamelons, et pour témoins rien que les chênes, je n’avais guère couru qu’après les perdreaux !
Il fallut y aller ! Lagalante, dès qu’il me voit, ainsi m’arrête : Tu peux, mon pauvre petit, lier les courroies (de ta chaussure) ! En même temps, de ses cuisses tendues il enfermait les muscles dans un caleçon de soie, autour duquel dix grelots d’or étaient attachés.
Afin d’y reposer l’haleine nous prenons aux lèvres un brin de saule ; tous comme des amis nous nous touchons rapidement la main ; tressaillant d’impatience le sang agité tous trois piétant sur la raie attendons le signal !… Il est donné ! Comme un éclair.
Tous trois nous dévorons la plaine ! À toi ! à moi ! Et dans la carrière un tourbillon de poudre enveloppe nos bonds ! Et l’air nous porte et le poil fume… Oh ! quelle ardeur ! quelle course effrénée ! Longtemps tel est l’élan qui nous enflamme on crut que de front nous emporterions l’assaut !
Moi enfin je prends le devant. Mais ce fut là mon malheur ! Car comme tel qu’un fier follet je m’élançais éperdument tout à coup mourant et blême au beau moment où je les dépassais je roule court d’haleine et je mords la poussière !
Mais eux deux comme quand dansent à Aix les Chevaux-frux s’élancent (d’un pas) réglé, toujours réglé. Le fameux Marseillais croyait assurément avoir (la partie) belle !… On a dit qu’il n’avait pas de rate : le Marseillais mademoiselle pourtant trouva son homme dans le Cri de Mouriès !
Parmi les flots du peuple, déjà ils brûlaient le but… Eussiez-vous vu, ma belle, bondir le Cri !… Voyez-le ! Ni sur les monts ni dans les parcs, il n’est pas de cerf, pas de lièvre, qui aient au courir tant de nerf ! Lagalante se rue en hurlant comme un loup…
Et le Cri, couronné de gloire, embrasse le poteau des prix ! Tous les Nîmois se précipitent, ils veulent connaître (le nom de) sa patrie. Le plat d’étain au soleil brille ; les palets tintent ; aux oreilles chante le hautbois… Le Cri reçoit le plat d’étain.
Et Lagalante ? demanda Mireille. Accroupi, dans le brouillard de poussière que le trépignement du peuple soulevait autour (de lui), il pressait de ses mains jointes ses deux genoux ; et, l’âme navrée de l’affront qui tant le souille, aux gouttes de son front il mêlait des pleurs.
Le Cri l’aborde et le salue : Sous le berceau d’une buvette, frère, lui dit le Cri, avec moi viens-t’en vite ! Aujourd’hui le plaisir, à demain les plaintes ! Viens, et nous boirons les étrennes ! Là-bas, derrière les grandes Arènes, pour toi, comme pour moi, va, il est encore assez de soleil !
Mais, levant son visage blême, et de sa chair qui palpitait arrachant son caleçon aux sonnettes d’or : Puisque l’âge brise mes forces, tiens ! lui répondit-il, il est à toi ! Toi, Cri, la jeunesse te pare comme un cygne : tu peux avec honneur porter les braies du plus fort !
Telles furent ses paroles. Et dans la foule qui se presse, triste comme un long frêne que l’on a écimé, disparut le grand coureur. Ni à la Saint-Jean ni à la Saint-Pierre, nulle part, jamais plus, il ne s’est montré pour courir ou sauter sur l’outre enflée.
Devant le Mas des Micocoules, ainsi Vincent faisait le déploiement des choses qu’il savait : l’incarnat venait à (ses joues), et son œil noir jetait des flammes. Ce qu’il disait, il le gesticulait, et sa parole coulait abondante comme une ondée subite sur un regain de mai.
Les grillons, chantant dans les mottes, plus d’une fois se turent pour écouter ; souvent les rossignols, souvent l’oiseau de nuit dans le bois firent silence ; et, impressionnée au fond de l’âme, elle, assise sur la ramée, jusqu’à la première aube n’aurait pas fermé l’œil.
Il m’est avis, disait-elle à sa mère, que, pour l’enfant d’un vannier, il parle merveilleusement !… Ô mère, c’est un plaisir de dormir, l’hiver ; mais à présent, pour dormir la nuit est trop claire : écoutons, écoutons-le encore. Je passerais, à l’entendre, mes veillées et ma vie !
Chantez, chantez, magnanarelles ! car la cueillette aime les chants. Beaux sont les vers à soie, et ils s’endorment de leur troisième somme ; les mûriers sont pleins de jeunes filles que le beau temps rend alertes et gaies, telles qu’un essaim de blondes abeilles qui dérobent leur miel aux romarins des champs pierreux.
En défeuillant vos rameaux, chantez, chantez, magnanarelles ! Mireille est à la feuille, un beau matin de mai : cette matinée-là ? pour pendeloques, à ses oreilles, la coquette avait pendu deux cerises… Vincent, cette matinée, passa là de nouveau.
À son bonnet écarlate, comme en ont les riverains des mers latines il avait gentiment une plume de coq ; et en foulant les sentiers, il faisait fuir les couleuvres vagabondes, et des sonores tas de pierres avec son bâton il chassait les cailloux.
Ô Vincent ! lui cria Mireille du milieu des vertes allées, pourquoi passes-tu si vite ! Vincent aussitôt se retourna vers la plantation, et, sur un mûrier perchée comme une gaie coquillade, il découvrit la fillette, et vers elle vola, joyeux.
Eh bien ! Mireille, vient-elle bien, la feuille ? Eh ! peu à peu tout (rameau) se dépouille. Voulez-vous que je vous aide ? Oui ! Pendant qu’elle riait là-haut en jetant de folâtres cris de joie, Vincent, frappant du pied le trèfle, grimpa sur l’arbre comme un loir. Mireille, il n’a que vous, le vieux Maître Ramon :
Faites les branches basses ! j’atteindrai les cimes, moi, allez ! Et de sa main légère, celle-ci trayant la ramée : Cela garde d’ennui, de travailler (avec) un peu de compagnie ! Seule, il vous vient un nonchaloir ! dit-elle. Moi de même, ce qui m’irrite, répondit le gars, c’est justement cela.