Mon coeur amoureux - Jean-Pascal Ansermoz - E-Book

Mon coeur amoureux E-Book

Jean-Pascal Ansermoz

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Beschreibung

Tout a commencé le jour où Ari a disparu ... Mon neveu m'a alors conseillé de faire des affiches et de les placarder dans le quartier. - Je vais chercher une photo, je lui dis. Il me regarde d'un air sévère. - Quoi ? ai-je fini par demander. - Tonton, reprend-il d'une voix sérieuse, il te faut un portrait-robot, pas une photo. Dans toutes les séries à la télévision ils ont quelqu'un qui dessine. Alors je lui fais un dessin et tout fier de moi je le lui montre. Il secoue la tête et m'honore d'un silence réprobateur. - Qu'est-ce qu'il y a ? Il est bien mon dessin, non ? - Ari ne reviendra pas, dit-il posément. - Et pourquoi donc  ? - Il aura trop honte ...

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Seitenzahl: 72

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Pour mes parents Heidi et Jean-Blaise Ansermoz

On apprend l'eau par la soif La terre par les mers qu'on passe L'exaltation par l'angoisse La paix en comptant ses batailles L'amour par une image qu'on garde Et les oiseaux par la neige.

Emily Dickinson

L'humain a dit

Bonjour.

Heureux que vous soyez là.

J'ai vraiment besoin d'aide.

En fait c'est que je déteste le samedi matin. Plus encore que le lundi à vrai dire. Pas vous ?

Il faut chercher où on a posé cette foutue liste des courses, faut s'engouffrer dans des supermarchés bondés de gens qui n'ont que deux jours pour se reposer, mais qui ont envie de faire les courses, le ménage, la lessive, le jardin et le coup de téléphone à belle-maman dans les premières trois heures. À vos marques. Prêts ?

À cette allure faut aller vite ou pas du tout. Moi j'ai quarante-huit heures dans mon weekend. Mais le mien semble contenir plus d'heures que chez les autres si j'en crois les visages fatigués des pères énervés, les enfants surexcités dans les allées, entre le beurre allégé et les mères lestées de ne rien oublier pour le gigot du dimanche.

Tiens, le gigot justement... pas sur la liste, bizarre...

Le présentoir des légumes est le point de rencontre de toutes les personnes âgées du quartier. Ça prend son temps. Ça papote gentiment. Ça évalue la fraîcheur, la consistance familiale. On y raconte du vert et du pas mûr et on entend des salades aussi.

Je suis content de n'avoir rien noté en légumes.

Puis la file indienne devant les caisses, impitoyable, même pour les cyclistes amateurs. Une dernière ligne droite en peloton, entre ceux qui disparaissent derrière le contenu de leur caddie et ceux qui se permettent des réflexions au sujet des achats des uns, de l'habillement des autres, et des caisses restées fermées en général.

C'est une montée d'efforts, une course contre la montre, un jeu de patience avant d'atteindre le tapis roulant. Les employés vous regardent d'un sourire las – bip – déjà au bord de la crise de nerfs – bip – ou de la crise de mères – bip – faut rester concentré – bip – merde, le code-barres ne passe pas... Bip bip bip…

Christiane est demandée à la caisse 23, Christiane à la caisse 23, merci.

Regards inquiets, sourires excusâtes, regards réprobateurs, enfants délestés des bonbons pris à l'insu des parents, pères dévastés.

Mais mon souci est un autre.

J'ai peur qu'Ari revienne justement pendant que je m'absente un court instant pour prendre ma dose d'amour et de bonheur hebdomadaire.

Alors ça tombe bien que vous soyez là. Comme ça, vous pouvez rester ici à ma place et si Ari revient... parce que vous ne le saviez pas ?

Ari a disparu. Il est sorti il y a deux jours et n'est plus revenu. Il ne me l'a jamais fait auparavant et, oui, je me sens concerné, et, oui, je me fais du souci.

J'ai passé des heures à tourner dans le quartier. Je l'ai appelé, je l'ai supplié, j'ai pleuré, aussi.

Mais rien n'y fait. Ari a disparu.

Pourtant je me dis qu'on ne peut pas disparaître comme ça. D'une heure à l'autre. Pas après avoir vécu sept ans avec quelqu'un.

Ça ne se fait pas.

Ne sait-il pas que nous sommes félin pour l'autre ?

TABLE DES HISTOIRES

Tourner en rond

La défaite des nains

Anniversaire de mariage

Jardin d'enfants

Par habitude

Reste-t-il du temps pour se presser ?

L'homme dans le miroir

Le petit pain aux raisins

Les petites choses

Au bureau

Naufrage à sec

Arbrissime

Tourner en rond

Jérémie n'allait pas très bien.

Certes, il prétendait le contraire, mais ses longs arguments devenaient rapidement trop courts pour nous cacher ce qu'il ressentait vraiment. Faut dire que je n'aurais pas voulu être à sa place. Son amie de longue date avait fait ses valises pour partir avec un copain d'enfance. Son boulot de rêve n'en était plus un après deux ans seulement. On avait sous-estimé le marché, lui a-t-on dit, et qu'il n'y avait que certains qui pouvaient continuer à rêver.

Jérémie n'était pas de ceux-là.

Il n'allait donc pas bien.

Vous avez peut-être déjà vécu une telle situation. Vous vous posez confortablement sur le canapé, regardez le beau dessin du tapis en sirotant un verre de vin et soudain vous la voyez, cette vis. C'est ce qui lui est arrivé, à Jérémie.

Une vis sur le tapis.

Il la ramassa, la tourna et retourna entre ses doigts sans pouvoir dire d'où elle sortait. Et plus il réfléchissait à la question, moins il pouvait s'imaginer d'où elle provenait. L'origine restait un mystère.

Le soir il raconta son histoire aux amis qui venaient prendre l'apéro. Et comme il avait commencé à passer en revue tous les meubles de son appartement pour savoir où elle pouvait manquer.

On lui conseilla de la jeter. Pourquoi garder une chose si étrange ? Jérémie rétorqua qu'il lui était impossible de s'en débarrasser. Et si elle était de celles qui manqueraient un jour ? Après tout, personne ne pouvait savoir comment elle avait atterri sur son tapis. Elle a bien dû avoir sa place quelque part.

Pendant des journées entières il essaya de mettre un nom sur cette vis. Il avait le temps. Et cette question revêtait pour lui une importance certaine. Jérémie fit même le déplacement chez IKEA. Mais à sa demande on lui fit comprendre que sa recherche serait probablement vaine. Une vis ressemble toujours un peu à une autre vis.

Mais Jérémie n'abandonna pas.

Il consulta des forums sur Internet, posta la photo de sa vis et créa même une page Facebook. Son honnêteté et sa passion eurent tôt fait de toucher les gens et rapidement la page eut un certain succès. D'autres ont fait des photos de leur propre vis et les ont présentées sur sa page. Jérémie remarquait qu'il n'était ni seul dans sa situation, ni le seul à posséder une telle vis à la maison. Soudain ce fut lui qui donna des conseils aux autres comment ils pouvaient savoir d'où leur venait leur vis.

Je l'ai revu tout récemment, Jérémie.

Un autre homme, je vous dis. Aucune tristesse dans ses yeux, aucune démarche qui traîne et pas un mot sur son passé. Il m'a confié qu'il s'était fait de nouveaux amis et qu'il avait même des projets pour l'année prochaine. Il avait tout simplement cessé de vouloir toujours boulonner sa vie, avait cessé de vouloir fixer des choses qui lui échappaient, et s'était séparé de tout ce qui ne tournait plus rond.

Et cette fois je le crus.

J'ai voulu savoir ce qu'il avait finalement fait avec la vis. Elle se trouvait dans sa boîte à outils à présent. Dans une petite boîte en plastique avec d'autres objets trouvés. Dans la vie on ne pouvait jamais savoir, me dit-il. Parfois ces objets avaient quelque chose de positif après tout.

Sur le chemin du retour je réfléchissais à Jérémie et son histoire. Cette fable de la vis avait quelque chose de bien. On devrait plus souvent desserrer nos vies et laisser une vis être une vis. On vivrait sûrement mieux.

Car lorsqu’une vis est mal serrée, la vie a un peu de jeu.

L'humain a dit

Mon neveu de huit ans m'a alors conseillé de faire des affiches et de les placarder dans ce quartier qu'Aristote aime tant. Du coup je lui ai proposé de les faire ensemble.

- Je vais chercher une photo, je lui dis.

Il me regarde d'un air sévère.

- Quoi ? ai-je fini par demander.

- Tonton, reprend-il d'une voix sérieuse, il te faut un portrait-robot, pas une photo. Dans toutes les séries à la télévision ils ont quelqu'un qui dessine.

- Et tu regardes ça, toi ?

Il ne bronche pas et me sourit.

- Quand personne n'est là, bien sûr.

Bien sûr, ai-je pensé.

Alors je lui fais un dessin et tout fier de moi je le lui montre. Il secoue la tête et m'honore d'un silence réprobateur.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Il est bien mon dessin, non ?

- Ari ne reviendra pas, dit-il posément.

- Et pourquoi donc ?

- Il aura trop honte.

Il finit par choisir un portrait d'Ari dans la boîte à chaussures que j'utilise pour ranger les photos de mon chat.

C'est un carton 'le coq sportif'.

Tu parles d'un compliment.

La défaite des nains

Oh que j'en ai pleuré de rage en montant les escaliers !

Mon frère avait le droit de rester debout plus longtemps, sous prétexte que mon père regardait un match de foot, et que le foot, c'est un truc de garçons.