Motu Here : Nos amours les plus belles - Imago des Framboisiers - E-Book

Motu Here : Nos amours les plus belles E-Book

Imago des Framboisiers

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Beschreibung

En 1780, sur l'île de Motu Here, (Île de l'Amour) en Polynésie, Agathe, Fanchette et Lussanville, un trio amoureux venu de France, débarquent après un périple éprouvant à travers les océans. Ils découvrent un paradis où règne Mana, une reine visionnaire, déterminée à libérer son peuple des tabous anciens en instituant le droit à l'amour. Mais sous le paradis couve l'enfer. Face à la menace de guerre avec Motu Nohu, l'île voisine dirigée par l'impitoyable roi Tahu, et aux intrigues politiques orchestrées par les partisans conservateurs, les habitants de l'île devront faire face à des choix déchirants. Au coeur de ce tumulte, nos héros devront trouver leur place et décider ce qu'ils sont prêts à sacrifier pour leurs idéaux et ceux qu'ils aiment. Entre paysages grandioses, chants sacrés et récits mythologiques, Nos Amours au bout du Monde (la suite de Nos Amours les plus belles) est une fresque romanesque riche en émotions, explorant les frontières de l'amour et du pouvoir dans une société fascinante et déroutante. Embarquez pour une épopée où les coeurs et les civilisations se heurtent et s'illuminent sous le soleil du Pacifique Sud.

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Veröffentlichungsjahr: 2025

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La Reine Mana

Couverture : Arwen Kimara

Les autres images sont générées par IA.

à Arwen Kimara

PRÉFACE

« Nos Amours les plus belles » racontait l'histoire de Fanchette, Agathe et Lussanville avant qu'ils ne quittent la France. « Motu Here, Nos Amours les plus belles » raconte leur arrivée sur une île imaginaire, dans le Pacifique sud, en 1780.

Plutôt qu'une suite, c'est une nouvelle histoire qui débute avec ce premier tome, car les héros ne sont plus seulement ce trio, mais l'île toute entière, sous la direction de sa reine, Mana.

La genèse de ce roman est une longue histoire. Dans mon recueil de pièces de théâtre, « Le Cycle des Combattantes », apparaissent trois trilogies, une antique, une biblique, et une des dernières années de l'Ancien Régime. La dernière de ces pièces s'appelle « L'île de l'Amour », qu'on traduit en tahitien par « Motu Here ». La première de ces pièces s'appelle « Les amours de Fanchette ». Ses héros sont Fanchette, Agathe et Lussanville. Le roman est né du désir de faire se rencontrer les mondes de ces deux histoires.

Mais il y avait une autre raison. Avec Delphine, ma compagne de toujours, nous sommes tombés amoureux d'Arwen, et cet amour se vit en partie à distance. Ainsi, l'écriture de ce livre s'est transformée en une correspondance journalière pendant de longues périodes d'absence. Dès le second grand chapitre, il est aussi devenu un jeu de rôle pour notre aimée, qui a choisi le parcours que prendrait la reine et parfois ses ministres. J'écrivais, Delphine lisait la première, puis Arwen recevait l'histoire, sous-chapitre par sous-chapitre, et choisissait à la place de la reine ce qu'elle allait faire par la suite. Tous les plans du roman, si détaillés soient-ils, ont ainsi été balayés, repensés, soumis aux vents contraires qui sont d'habitude l'apanage de la réalité plutôt que de la fiction. Ce jeu créateur m'a donné l'envie, l'énergie et la force de mener cette histoire d'un bout à l'autre pour en faire ce qu'elle est aujourd'hui. Nulle triche n'a été possible, quand les évènements s'étaient produits, impossible de revenir en arrière !

Comme dans la vie, quand on est confronté à un choix, il est parfois difficile, voire impossible, d'imaginer toutes les conséquences qu'aura ce choix. Quand de lourdes responsabilités pèsent sur nos épaules, comme c'est le cas pour une reine, la chose est encore plus terrible, les choix qui seront faits modifieront la vie de beaucoup de personnes ; Que ce soit en amour, lorsque, comme nous, on se risque à aimer plus d'une personne, et qu'il nous faut ensuite être présent, aidant, et proche, même lorsqu'on est loin ; Que ce soit comme parent, lorsque l'avenir des enfants est en jeu ; Que ce soit comme responsable politique, comme la reine Mana, lorsque le pays tout entier peut subir les conséquences de ce qu'on fait. Mais même à la plus petite échelle, dès que quelqu'un compte sur nous, nos choix concernent aussi les autres. Qu'importe comment nous choisissons de vivre, nous ne décidons jamais pour nous seuls. Quelqu'un, quelque part, sera touché par ce que nous avons fait. Cette histoire vient nous le rappeler.

Elle ouvre aussi tout un monde. Un monde qui s'inspire de la Polynésie, plus particulièrement des îles du vent, Tahiti et Moorea, que j'ai eu le plaisir de visiter en 2019. Bien sûr, Motu Here et Motu Nohu n'en sont pas des copies, loin de là, leurs mœurs, leur histoire, leurs dieux, leurs légendes, tout cela est différent. Mais on retrouve la faune, la flore, l'artisanat, la langue aussi, certaines histoires. Ces deux îles ont leur monde à elles. Tahiti et Moorea ne sont pas absents de ce monde, ils sont à une centaine de kilomètres au sud-ouest de nos îles imaginaires.

Surtout, cette histoire n'est pas finie. Viendra un second tome, puis sans doute un troisième. Peut-être des histoires plus anciennes viendront s'ajouter à l'ensemble. Motu Here n'est pas qu'un roman, c'est un univers dans lequel vous pouvez vous promener, d'un personnage à l'autre, dans un monde où l'amour revêt de multiples formes, où d'ancestrales légendes forment des traditions inattendues, où la société n'a rien à voir avec la nôtre.

C'est une invitation à rêver. Celui qui ne rêve plus est mort avant que son cœur ne s'arrête. Nous vous ouvrons notre monde, celui que nous avons construit, patiemment, depuis plusieurs mois que nous nous écrivons. Lecteur, bienvenue à Motu Here !

Liste des personnages

Les personnages principaux sont en gras et soulignés. Les personnages secondaires sont en gras. Les autres sont des personnages mineurs.

AATA, médecin royal, époux d'Ahuahinui

AFAITU, Nohusien ayant fui à Motu Here

AGATHE, française, amante de Fanchette et Lussanville

AHUAHINUI, ministre de la connaissance, époux d'Aata

AHUTIARE, ministresse, cheffe du parti progressiste

AHU'URA, instructrice des sœurs d'armes

'AI, dieu des artisans, amoureux de Mate

AITU, comédien de la troupe de Lussanville

AMANA, frère de Fétiha, chef du parti conservateur

ANAHOA, ancienne reine, épouse d'Oro et Léonine

ANAHOI, tante de Mana

AO, dieu du ciel et du soleil

ARAVA, ministre chargé de la libéralisation de l'amour

ARO, amant de Mana, ministre de la justice

ARU, lancier de la garde rapprochée d'Ahutiare

ATAMAI, rebelle nohusienne, âgée et sage

AUAHI, déesse du feu

EEVA, comédienne de la troupe de Lussanville

ETEROA, amant de Mana, ministre de l'agriculture

FARA, ancien roi, après Manahoa, grand-père de Fareura

FARAHINANO, ravitailleuse progressiste, fidèle d'Ahutiare

FAREANI, père de Fareura, chef des modérés

FAREURA, favori de Mana, ministre de l'Intérieur

FANCHETTE, Française, amante d'Agathe et Lussanville

FÉTIHA, grande prêtresse de Motu Here, figure conservatrice

HEIATA, ministre des fonctionnaires du palais

HEIURA, favori de Mana, ministre des Familles

HEIVA, général de l'armée de Tāne

HEREMOANA, ministre de la mer, amant de Mana

HINA, comédienne de la troupe de Lussanville

HINATEA, archère de la garde rapprochée d'Ahutiare

HIRO'A, chef des rebelles de Motu Nohu

HONIANO, père d'Anahoa

'ITE, dieu de la connaissance

IRIATA, enseignante conservatrice, épouse de Vaiura

KEANU, amant de Mana, ministre de la guerre

LÉLIANDE, corsaire corse, capitaine de l'Insoumise

LÉONINE, Française de Motu Here, épouse d'Anahoa et Oro

JEAN DE LUSSANVILLE, amant de Fanchette et Agathe

MĀ, déesse-mère

MAHINE, troisième princesse de Motu Nohu

MATAROA, fils d'Anahoa, Léonine et Oro

MANA, reine de Motu Here

MANAHOA, mère de Mana, tante d'Anahoa, ancienne reine

MANAI'TEI, père de Mana

MANATEA, ministre de l'éducation et de l'Histoire

MATE, déesse de la mort

MIRI, soldate des sœurs d'armes, amie d'enfance de Heiura

MĪTERIO, prêtre nohusien

MOERAVA, archère de la garde rapprochée d'Ahutiare

MOHŌ, frère de Miri, cultivateur de coco

MOANA, nièce de Fétiha, prêtresse hérésienne

MOANATINI, ministre du travail et des artisans

ORO, enseignant, époux d'Anahoa et Léonine

PĀNEA, horometua (maîtresse d'amour)

PITO, ami de Heremoana

PĀ, le dieu-père

POEMA, mère de Fareura, épouse de Fareani

POERANI, matriarche de la Vallée des Fleurs à Motu Nohu

POERAVA, femme de Tāne, générale nohusienne

POHERE, fille d'Anahoa, Léonine et Oro

PUNA, déesse de la fertilité

PUARĀTĀ, rebelle nohusienne, guérisseuse

RAHA, ami de Fareura

RAIHAU, cuisinier à Maita'i

RAIHERE, mère de Miri et Mohō

RANGI, éclaireur rebelle nohusien

REIMANO, ministre des spectacles

REVA, soldate conservatrice, amie d'Agathe

RO'ONUI, soldat de haut rang, frère de Vaimiti

RUMARUMA, soldate des sœurs d'armes

RUITA, fille d'Anahoa, Léonine et Oro

TA'AMAITAI, ancien roi nohusien, avant Tahu

TAHITOA, soldat hérésien

TAHU, roi de Motu Nohu

TAUA, déesse de la guerre

TAINA, première princesse de Motu Nohu

TAMA ET TEVA, ravitailleurs hérésiens de montagne

TAMAHANA, lancier de la garde rapprochée d'Ahutiare

TAMATOA, nohusien, ancien guerrier

TĀNE, général nohusien ambitieux

TEANUHE, soldat hérésien, ami d'Agathe

TEHANI, intendante à Maita'i

TEREHE, Nohusien, ami d'enfance de Tuahine

TERENUI, ministre de la nature, parti en voyage

TEVA, ami de Heiura

TIATIAURI, soldat hérésien jeune et rapide

TITI, soldat et guetteur hérésien

TUAHINE, seconde princesse de Motu Nohu

UIRA, archère hérésienne

VĀEA, dieu de la paix

VAIATA, comédienne de la troupe de Lussanville

VAIMITI, ministresse, amante de Mana

VAIANA, guérisseuse à Maita'i

VAIURA, enseignante conservatrice, épouse d'Iriata

GUIDE DES LIEUX

Motu Here (L'île de l'amour) : L'île imaginaire où se passent la plupart des évènements. Elle a été refondée il y a quelques siècles par des Tahitiennes ayant quitté leur île, elle était presque déserte à leur arrivée. Elle est divisée en deux parties : à l'ouest Here Nui (Grand amour) et à l'est Here Iti (Petit amour). C'est une île unifiée sous un régime oligarchique, dont les grandes familles élisent la reine ou le roi. Les femmes y sont les égales des hommes.

Montagnes, baies et grottes de Motu Here

Mou'a Ta'urua (La montagne de Vénus) : Le volcan éteint au centre de Here Nui, la végétation y est abondante. Certains villages et marae (lieux sacrés de prière) s'y trouvent.

Mou'a Ura (La montagne rouge) : Le volcan éteint au centre de Here Iti. Son relief rend le tour de Here Iti un peu difficile.

Ana Mātāmua (La grotte originelle) : Grotte au sud-ouest de Motu Here.

Plage de la lionne : La plage au nord de Here Nui, entre Hau et Hauro, sur laquelle Léonine est arrivée. Tout à l'est, il y a l'accès à une petite grotte marine, nommée Ana Moana.

Baie de 'Āpā : Petite baie donnant sur la capitale où débarquent la plupart pirogues hérésiennes.

Plage Tapu : Une plage interdite où sont retenus les traîtres, sous bonne garde.

Villages côtiers de Motu Here - Nord

'Āpā : Capitale de Motu Here, où se trouve le palais de la reine Mana.

Hau : Village important où demeurent plusieurs des grandes familles. On y trouve l'école où enseigne Oro, un marché, ainsi que le Tribunal des Familles.

Hauro : Autre village prisé des grandes familles. On y trouve notamment celle du ministre Fareura.

Hanahana : On y trouve la bibliothèque ainsi qu'une belle plage.

Villages côtiers de Motu Here - Est

Fāna'o : Village où on fabrique l'huile de monoi. Il est entouré d'autres villages plus petits où résident des pêcheurs.

Pahipahi : Le plus gros des villages de pêcheurs.

Hono : Village des ario'i, les artistes danseurs et musiciens de Motu Here. Il se situe à la limite entre Here Nui et Here Iti.

Villages côtiers de Motu Here – Here Iti

Tātaiao : Village principal de Here Iti, les habitants y sont très accueillants. La famille royale actuelle vient de ce village. Le parti conservateur y est fort.

Mahoru : Village spécialisé dans le tatau (tatouage).

Villages côtiers de Motu Here –Sud

'Oa'Oa : Petit village progressiste.

Nene : Village où l'on trouve une des grandes maisons d'amour, mais aussi le centre de formation des sœurs d'armes.

Poupou : Village progressiste soutenant massivement la reine Mana, on y trouve plusieurs maisons d'amour. La cheffe des progressistes, Ahutiare, y a son marae familial.

Villages côtiers de Motu Here – Ouest

Vahirua : Village de la famille de Fétiha, la grande prêtresse. Bastion conservateur.

Nene : On y trouve le plus grand marae de l'île. Ce village abrite les principales cérémonies religieuses.

Villages de montagne de Motu Here – Centre

Maita'i : Petit village de montagne, construit autour d'un marae. Très peu d'habitants y vivent à l'année.

Faaruehia : Hameau à une heure de marche de Maita'i, encore plus isolé et à plus haute altitude. Il est tabou de s'y rendre hors de certaines conditions.

Motu Nohu (L'île du poisson-pierre) : Ile imaginaire voisine de Motu Here, plus petite. Le mode de vie y est plus conservateur.

C'est une monarchie patrilinéaire unifiée qui a mis au pas les anciennes chefferies.

Montagnes, baies et grottes de Motu Nohu

Mau'a Parapeio (La montagne de la victoire) : Le volcan éteint au centre de l'île de Motu Nohu. La nature y est sauvage.

Les habitants s'y cachent en cas d'invasion.

Baie des Nohus : La baie à Motu Nohu au nord-ouest où les Nohusiens ont gagné une bataille contre Motu Here plaçant des poissons-pierre dans le lagon.

Baie des Guerriers : Baie au nord-est de Motu Nohu, elle abrite la Plage de Parau, du nom d'un effrayant roi cannibale.

Ana Vahineura (La grotte de Vahineura) : Grotte sous le volcan de Motu Nohu, qui débouche sur la plage de Parau au nord-est et sur une crique cachée non loin ; ses tunnels vont jusqu'au centre de l'île.

Villages de Motu Nohu

Mo'a : Capitale de Motu Nohu, où se trouve le palais du roi Tahu. Les autres villages, plus petits, s'étalent principalement au nord et à l'ouest de l'île. Le sud et l'est sont difficiles d'accès à cause du relief montagneux.

Carte de Motu Here et Motu Nohu : Arwen Kimara

La reine Mana

Sommaire

Chapitre 1 L'île de l'Amour

Sous-chapitre 1 Le voyage au bout du monde

2 Arrivée à Motu Here

3 Léonine

4 Les villages du nor : une invitation à dîner

5 Suite du dîner

6 Villages de l'es : La plage de Hanahana

7 Villages de l'es : Le tour de la botaniste, la bibliothèque de Hanahana

8 Villages de l'es : de Pahipahi à Hono

9 Here Iti : La légende de la Grotte des Origines

10 Here Iti : De Tātaiao à la demeure d'Anahoa

11 Here Iti : Rencontre avec Anahoa et Oro

13 Villages du su : la maison d'amour de Poupou

14 Villages du su : Leçon d'amour à Poupou

15 Villages de l'ouest : La Grotte des Origines, le marae de Nave

16 Retour au nor : la capitale 'Āpā

Chapitre 2 L'île du poissonpierre

Sous-chapitre I Le différend des pêcheurs

II Les otages

III Récit de la bataille des plages de Mot Nohu

IV Heiura part pour Motu Nohu

V Le défi de Tahu

VI La princesse Taina

VII Le général et la princesse

VIII L'avertissement de Poerava

IX Agathe face à Mana

X Le conseil de Mana

XI Tāne furieux

XII Démonstration de tir

XIII Le sacrifice

XIV Deux jours avant la pleine lune : préparations

XV Un jour avant la pleine lune : Tahu abat sa carte

XVI Les seours de Taian : Tuahine et Mahine

XVII Sauver Heiura

XVIII Fuir Motu Nohu

IXX Retour à Motu Here

XX Le sort des princesses

Chapitre 3 Incursions et Sanctuaires

Sous-chapitre I Le complot des conservateurs

II Mana, cheffe de guerre

III Le sanctuaire e Maita'i

IV Les résidents de Maita'i : histoire de Moana

Première histoir : Comment Fétiha apprit qu'elle n'avait pas de bons yeux

V Résidents de Maita'i : histoire de Heiura

VI Harcèlement côtier des Nohusiens

VII Résidents de Maita'i : histoire de Léonine sur Mademoiselle de Maupin

VIII Sept contre quinz : L'attaque de Maita'i

IX L'avenir du village

X Uira arrive sur l'île de Motu Nohu

XI Le choix de Heiura

XII Processions mortuaires

XIII L'étau se resserre

XIV Attaque hérésienne

XV Tāne change de stratégie

Chapitre 4 Progressistes contre conservateurs

Sous-chapitre I Fétiha organise sa défense

II Agathe face à la reine

III Quand l'esprit sature

IV L'envol de Heiura

V Les chemins de montagne

VI Le hameau oublié

VII Nouvelle donne

VIII Triumvirat

IX Le souhait de Puna

XI Mariage à la montagne

XII Les tourments de Heiura

XIII Les pérégrinations de Tuahine

XIV Incident au centre

XV Le temps des besognes que le jour souffre à peine

XVI La femme aux cheveux soleil

XVII Le chemin de Tuahine

XVIII Dans la vallée de Ma'a tea

XIX La veille du départ

Chapitre 5 Guerre à Motu Nohu

I Aube du premier jour : Notre approche

II Matin du premier jour : e Comment se rejoindr ?

III Après-midi du premier jour : Une rencontre inattendue à Ma'o

IV Soirée du premier jour : Où est passé Tāne ?

V Soirée du premier jour : Fareura à Pahipahi

VI Aube du deuxième jour : Après l'attaque de Pahipahi

VII Deuxième jour à Motu Here : traque sur la montagne Ta'urua.

VIII Deuxième jour à Motu Nohu : Mana passe à l'est

IX Fin du deuxième jour et deuxième nui : Requiem d'Ahutiare

X Troisième jour, mati : Deuil des progressistes, fuite de Mataroa

XI Troisième jour, fin de matinée et midi : La grotte de Vahineura

XII Troisième jour, après-midi : La forêt de Parau

XIII Troisième jour, soirée : La surprise de Tāne, Heiura arrive à 'Āpā

XIII Début de la troisième nui : Mataroa à Nave, Mana prépare son attaque finale

XIV Suite de la troisième nui : Étoiles contraires

XV Troisième nuit, suite : La bataille du mont Parapeio

XVI Troisième nuit, suite : La bataille du mont Parapeio

Chapitre 6 Le destin des deux îles

I À la poursuite de Tāne

II La dernière traque

III Recherches et découverte

IV La Vallée des Fleurs

V Tā'ere Man : La Cérémonie du Pouvoir

VI Le prix du pouvoir

VII La plage Tapu

VIII Triomphe

IX Les adieux à Ahutiare

X Les dernières flèches

XI Avant le procès – L'arrivée à Hau

XII Avant le procès – Le fare abandonné

XIII Lue procès à Ha : Anahoa

XIV Lue procès à Ha : Miri

XV Des retrouvailles et une bonne surprise

XVI Des retrouvailles et une bonne surprise

XVII Les faux pêcheurs

XVIII La Nuit des Tikis – L'arrivée des comédiens

XVIX La Nuit des Tikis – La reine masquée

Épilogue

Second Épilogue

Chapitre 1 L'île de l'Amour

Agathe, Lussanville et Fanchette

Sous-chapitre 1

Le voyage au bout du monde

Fanchette, Agathe et Jean de Lussanville avaient quitté la France à bord de l'Insoumise le 12 novembre 1775. Rien n'était ordinaire dans ce voyage. Nos héros formaient une triade amoureuse : Fanchette aimait à la fois Lussanville et Agathe, Agathe aimait Fanchette et Lussanville aimait Agathe et Fanchette. Ils vivaient maritalement, si l'on peut dire. Le ou plutôt la capitaine, Léliande, avait eu son navire armé grâce à la fortune dudit Lussanville, qui avait vendu son château pour ce faire. Un second navire, parti de Virginie, où demeurait l'oncle de Lussanville, devait venir ravitailler l'Insoumise à Rio de Janeiro, un port sous contrôle portugais. L'équipage de l'Insoumise était constitué principalement de femmes, les quelques hommes qui s'y trouvaient avaient la particularité de préférer ceux de leur sexe. Tout ce petit monde tâchait de passer pour un équipage des plus normaux et usait de ruse et de travestissement dès que nécessaire. Il était mû par l'espoir qu'après leur arrivée dans les contrées presque inexplorées de la Terre de Feu, il serait possible de fonder une colonie à l'abri des regards.

Le 7 janvier 1776, le navire dépassa le Mont du Pain de Sucre et mouilla dans la baie de Guanabara, et fut conduit par les Portugais jusqu'à un point d'amarrage sûr. Ces derniers inspectèrent le navire et contrôlèrent la cargaison. Lussanville assista à l'opération avec Léliande, qui avait appris à contrefaire sa voix pour passer facilement pour un homme. Deux des hommes d'équipage, parlant bien portugais, servaient de truchement. Les Portugais trouvèrent l'équipage étrange mais, peu désireux d'un incident diplomatique avec la France, fermèrent les yeux sur l'aspect efféminé parfois un peu trop manifeste de certains matelots, quelque effort que ces femmes aient pu faire pour donner le change. Le ravitaillement eut lieu enfin, et la générosité de l'armateur fut appréciée des Portugais.

On cherchait à repartir dès que possible. Quelques réparations étaient nécessaires et il fallut bien douze jours pour tout mener à bien. Pendant ce temps-là, Léliande avait donné des consignes draconiennes à son équipage : défense pour les femmes du navire de fréquenter les cabarets, les auberges et autres établissements où l'on risquait de découvrir leur identité. Les rares hommes de l'équipage s'y rendaient pour que cela ne fût pas suspect, mais un châtiment terrible attendait celui qui ferait quoi que ce soit qui menacerait leur couverture. Lussanville avait loué une villa sur la côte qu'il avait surnommé « le gynécée » à cause de sa ressemblance avec un temple grec.

Agathe et Fanchette y organisaient divertissements et copieux repas pour les femmes de l'équipage. La rumeur finit tout de même par se répandre qu'il y avait des femmes là-bas et on envoya une garnison un matin pour s'assurer de ce qui s'y passait. L'état de l'équipage était tel ce matin-là, le rhum aidant, qu'on aurait dit un musée de sculptures grecques. Les matelots, dont les orgueilleux tétins s'étalaient sans pudeur, ne laissaient aucun doute sur leur appartenance au beau sexe. Il fallut alors user de corruption pour qu'une fois encore, on ferme les yeux. Il était heureux que la garnison ait appris à parler ce langage-là.

C'est ainsi que s'expliquent les premières naissances de la colonie dont il sera bientôt question. Enfin, après avoir échappé à mille autres dangers, distribué de l'argent à tout le monde et reçu des regards désapprobateurs des officiers, l'équipage put repartir le 19 janvier.

Le voyage dura jusqu'au 7 mars. Les côtes du Brésil furent suivies sans incident majeur, mais une fois dans les eaux froides des Malouines, le temps se gâta et on perdit deux matelots dans une tempête. L'Insoumise aborda la Patagonie à l'endroit précis où le navire de ravitaillement avait ordre de se rendre. On explora rapidement les environs et, fort heureusement, on ne trouva personne. Les vents forts rendaient la construction difficile et il leur fallut du temps pour réussir à faire des habitations assez solides pour assurer leur survie. Le temps pressait : plusieurs membres de l'équipage étaient enceintes. Agathe et Fanchette s'étaient gardées de ce risque en agissant prudemment avec Lussanville mais l'une et l'autre craignaient toujours que cela n'arrive et compromette la suite de leur voyage. Agathe tomba enceinte cependant, les obligeant tous trois à demeurer sur place deux ans de plus. Hélas le petit Grégoire ne survit pas et fut enterré sur les terres arides de la Patagonie. L'équipage, devenu une véritable famille pour eux, pleura beaucoup et apporta son soutien à nos héros. On finit par oublier qu'on voulait se rendre dans le Pacifique sud. La colonie, fondée dans une région assez escarpée, avait peu de contact avec les autochtones. L'on survivait comme l'on pouvait, dans une liberté presque totale. On avait appliqué, comme sur le navire, l'égalité entre les hommes et les femmes et réparti les tâches sans distinction de sexe. Bougres et tribades vivaient sans crainte. Rien ne semblait décider nos héros à quitter les lieux. Pourtant, au début de l'été austral, en décembre 1779, Léliande, désireuse depuis plus d'un an de reprendre la mer, avait repris une partie de l'équipage, complété par des Yàmanas de la Terre de Feu, et par des Américains venus avec les navires de ravitaillement qu'on envoyait tous les ans depuis l'établissement de la colonie. Fanchette, Agathe et Lussanville, lassés des steppes, et tristes d'avoir perdu leur petit Grégoire, s'embarquèrent pour le rêve qu'ils espéraient atteindre : l'île de Tahiti. Ils ignoraient alors qu'une autre île leur ferait vivre de palpitantes aventures : Motu Here, l'île des Amants.

2

Arrivée à Motu Here

Nous sommes à présent le 2 avril 1780. Le voyage, périlleux, devenait proprement insupportable. De longs mois en mer, une eau devenue à peine buvable, des marins à bout de forces. C'est donc avec l'énergie du désespoir qu'Agathe, malade, se mit à hurler, quand elle vit au loin deux montagnes dont la hauteur dominaient une île : « Terre, terre » ! Tout l'équipage se précipita sur le pont, plusieurs tombèrent à genoux pour remercier Dieu de les avoir sauvés. Les conditions difficiles de ces derniers jours, l'imprécision de la navigation, tout laissait craindre qu'ils fussent définitivement perdus. Le navire arriva dans la baie de Here Nui, cette baie où douze ans plus tôt, une clandestine Européenne avait été jetée à la mer par un équipage furieux d'avoir été trompé sur le sexe de l'aventurière en question. Ce n'est donc qu'à moitié surpris qu'Heremoana, le ministre de la mer, qui demeurait au village de Hau tout proche, décida d'envoyer deux pirogues accueillir les nouveaux arrivants et leur indiquer un point sûr pour amarrer leur navire en se frayant un chemin parmi les récifs coralliens. Pendant ce temps, Heremoana écrivit une dépêche à destination de Léonine, l'Européenne, devenue princesse consort de l'île dans des circonstances incroyables qu'on apprendra plus tard. La plage qui s'étendait le long de la baie avait été renommée « Plage de la lionne » en son honneur par la reine Mana, souveraine de l'île. C'est sur cette plage que Lussanville, Agathe, Fanchette et Léliande débarquèrent, amaigris, le visage pâle, croyant à peine à leur bonheur. En voyant leur état, Heremoana et sa délégation se hâtèrent de les mettre à l'abri avec leur équipage dans la maison du peuple du village de Hau où se passait ordinairement le marché. On leur servit un repas à base de fruits et de poissons tandis que l'équipage apportait des présents : perles de verre, tissus ouvragés, cuillers en argent. Ils apprirent alors qu'ils se trouvaient sur l'île de Motu Here, que signifie « L'île de l'Amour » et qu'ils renommèrent ensuite « Ile des Amants ». La langue des habitants semblait assez proche de celle de l'île de Tahiti. Lussanville avait travaillé pendant des années les rudiments de cette langue, tels qu'ils étaient rapportés dans les papiers de l'explorateur français Bougainville. Mais ce qui le surpris bien davantage, c'est que certains habitants parlaient le français, et qu'ils en avaient une maîtrise remarquable. Le ministre Heremoana était de ceux-là.

« Heremoana : Notre peuple a pour la connaissance un amour sans limites. Nous apprenons les langues de ceux que nous sommes amenés à rencontrer, mais aussi celles de ceux dont nous recevons les livres. Il y a près de quinze ans que nous reçûmes la visite du capitaine Bougainville qui nous laissa de nombreux ouvrages en français dont un dictionnaire. Nos écrivains en ont fait plusieurs copies et c'est ainsi que avons appris le français. Mais ce qui vous plaira peut-être encore davantage c'est que l'une des vôtres occupe une position des plus élevées sur notre île et par cette raison nous vous accueillons comme des amis, et même comme des frères.

Lussanville : Nous vous sommes obligés de votre hospitalité, ministre Heremoana. Notre équipage se désespérait de ne pouvoir parvenir sur l'île de Tahiti.

Heremoana : Cette île est toute proche, et nous serions ravis de vous aider à vous y rendre. Mais, pardonnez ma curiosité, l'équipage du capitaine Bougainville n'était composé que d'hommes. Plusieurs femmes se trouvaient sur le navire. D'après mes connaissances, aucune femme européenne ne peut exercer le métier de marin.

Léliande : J'ai constitué, monsieur, un équipage de femmes et nous nous sommes établies en Patagonie pour vivre selon nos lois, dans la plus complète égalité, parce que cela nous est cher.

Nous avons poursuivi le voyage, parce Tahiti était notre destination première, on nous a dit le plus grand bien des habitants et de leur façon de vivre.

Heremoana : Il est vrai que les Tahitiens sont un peuple accueillant. Cependant, je vois à votre discours et à votre équipage que vous seriez bien mieux sur notre île. Vous parliez d'égalité. Cette loi-là existe ici depuis plus de cent ans. Le souverain peut être un homme ou une femme, et il est élu par les habitants, ce droit leur est donné par le sang. Les corps de métiers ne sont point répartis selon les sexes mais selon les dispositions naturelles de chacun. L'une de mes amies m'a aussi rapporté, et pardonnez notre indiscrétion, que certaines femmes et certains hommes semblent avoir une relation maritale entre eux. Ne vous récriminez point, cela ne choque point, au contraire. Ici, cela est depuis longtemps toléré et plus encore depuis que la reine Mana a mis en place la Réforme.

Lussanville : Et quelle est cette réforme ?

Heremoana : Le droit à l'amour. Ainsi l'Etat est chargé de trouver au moins un partenaire amoureux à chaque personne sur l'île, et s'il n'y parvient pas, il doit dédommager le requérant en biens matériels. Cela n'arrive que très rarement. Le nombre de partenaires n'est pas limité non plus, mais seul le mariage permet la transmission des biens. Je dois d'ailleurs vous avertir que ce droit s'applique pareillement à vous et si certains, parmi votre équipage, n'ont pas trouvé l'amour, notre Etat se donne l'obligation de le leur trouver sans attendre.

Agathe et Fanchette, qui écoutaient le ministre, réagirent en faisant de grands yeux et la joie se répandit dans leur cœur : leur paradis existait donc, il était ici !

Fanchette : Monsieur, ce que vous dites nous comble d'aise.

Cela fait près de dix ans que nous espérons trouver une terre où l'on vit comme nous. Nous avions réussi à construire ce bonheur sur une côte lointaine mais la solitude nous minait, désormais nous avons trouvé un lieu dans lequel nous pourrons vivre à côté des autres, sans nous cacher. Apprenez que Lussanville, Agathe et moi-même formons une triade amoureuse. Nous espérons pouvoir, si vous le voulez bien, nous établir ici et y rester autant que votre souverain le tolérera.

Heremoana : Il faut croire que les dieux veulent votre bonheur, madame. Car sur cette île, notre princesse consort Léonine fait elle aussi partie d'une triade amoureuse avec notre ancienne reine, Anahoa, et le professeur Oro. Moi-même j'appartiens à une communauté amoureuse, sous d'autres lois, et je suis marié à la reine.

Fanchette : Oh, vous êtes donc le roi ?

Heremoana : Non, non, loin s'en faut ! Il n'y a qu'une seule reine. Mais je fais partie de ses maris, ainsi que les autres ministres. »

Agathe fit la grimace en entendant cela, mais le ministre, qui regardait Fanchette, ne le perçut pas. Cela n'échappa cependant pas à Lussanville ni à Léliande, qui lui firent signe de cesser.

« Fanchette : La reine doit être magnifique pour que vous l'aimiez tous autant.

Heremoana : Elle l'est, sans nul doute. C'est la plus belle reine qu'ait connu Motu Here, et la plus juste aussi. Notre vie a changé grâce à elle. Auparavant, deux tiers des hommes devaient se marier et enfanter avec celle qui leur était promise.

On n'avait le choix que d'une seule épouse, et les familles y voyaient le moyen de se transmettre les terres. Seul l'autre tiers était libre, mais ne pouvait contracter de mariage qu'avec une seule personne. Depuis la libéralisation de l'Amour, ces obstacles n'existent plus et les biens se transmettent par contrat, non par un mariage. » Le reste du jour fut consacré à l'installation d'abris de fortune pour l'équipage. Lussanville, Léliande, Fanchette et Agathe aidèrent à l'établissement du campement, et les habitants firent tout ce qu'ils purent pour améliorer le sort des arrivants. La communication était si aisée qu'on se croyait chez soi. On se parlait hérésien ou français, on apprenait des mots et le meilleur des professeurs, l'amour, se chargea de lier les deux cultures.

Habitués à une vie d'amour libre, les habitants firent leurs propositions aux arrivants et aux arrivantes, et plusieurs de nos voyageurs ne dormirent pas au campement la nuit suivante.

Lussanville, Agathe et Fanchette se virent proposer une petite maison vide non loin de la côte et la capitaine fut logée chez le ministre. La mère de ce dernier lui prépara un festin de reine. Et tous passèrent leur meilleure nuit depuis plusieurs mois.

3

Léonine

Le lendemain matin, Léonine arriva à Hau. Son arrivée fut remarquée, sa chevelure blonde et lisse tranchait avec celle des insulaires, ses yeux bleu turquoise eux aussi étaient uniques dans la région. Elle semblait avoir environ 30 ans et avait gardé l'énergie et la fougue de sa jeunesse. Elle parlait vite, réfléchissait vite, parfois même un peu trop. Son enthousiasme n'avait pas eu de limites lorsqu'on lui avait dit qu'un navire européen avait débarqué dans la baie d'Here Nui, à l'endroit précis où la mer l'avait elle-même rejetée douze ans plus tôt.

Mais ce qui avait surtout excité sa curiosité c'est la courte description de l'équipage faite par le ministre Heremoana « une trentaine de personnes, plus de la moitié sont des femmes ».

L'aventure était extraordinaire. Elle, Léonine, qui avait risqué sa vie pour s'embarquer à bord d'un navire sous une identité d'homme se trouvait recevoir la visite d'un groupe entier de femmes marins sur son île. Elle y vit un signe des dieux et se promit d'aller les remercier au marae le plus tôt qu'elle pourrait.

Elle traversa à pied la Plage de la lionne en se remémorant son arrivée sur l'île. Ces maudits matelots l'avaient jetée par dessus bord alors qu'ils passaient tout près de Motu Here, faisant d'elle une maronnée. Ce jour qu'elle avait été reconnue, alors qu'on la poursuivait pour lui ôter sa culotte et prouver ainsi à tout le monde qu'elle n'était pas un homme, elle avait saisi le contenu de la caisse de rhum et tout lancé à la mer pour se venger. Elle s'arrêta pour observer un moment le lagon et pouffa de rire en se ressouvenant des insultes qu'elle leur avait lancées tandis qu'ils criaient dans sa direction en se déculottant, avec une vulgarité crasse : « Oui, c'est cela, allez au diable, mangeurs de serpents, avaleurs de vomi, coprophages !

Que les vagues vous crèvent, pendards ! C'est ça, riez, riez ! J'ai balancé votre rhum à la mer ! Ah, on rit moins, maintenant ! » Elle avait alors saisi une bouteille rejetée sur le rivage et avait bu à leur barbe : « Regardez, c'est tout ce qui reste ! À votre santé, bande de joyeux étrons ! » C'est alors qu'elle avait commencé d'arpenter cette plage à la recherche d'un visage humain en marmonnant : « Ils sont loin, tant mieux ! Cela dit, me voilà seule à présent... sur cette terre inconnue ; et je n'ai point encore vu de terre où l'on traite bien les femmes travesties en homme. Il faut bien avouer que mon déguisement fait à présent pâle figure. Peut-être ferais-je mieux de trouver quelque tenue plus féminine. » Ses vêtements, en effet, étaient dans un sale état, sentaient l'iode et le sel, et étaient rongés par endroits.

Quant à elle, elle n'avait jamais senti aussi mauvais, même lorsqu'elle avait dormi deux jours dehors après être partie de chez ses parents pour échapper à un mariage et rejoindre son amant de l'époque. Elle espérait qu'on ne l'attaquerait pas sitôt qu'on la verrait mais avait accepté l'idée d'une mort possiblement imminente et douloureuse. Le rhum, combiné au soleil, faisait grand effet et elle parlait alors seule à voix haute comme une démente : « Eh oh ! Est-ce l'île des plages désertes ici ? Y a-t-il quelqu'un pour une fille mal nippée ? Pas de brigands s'il vous plaît, il n'y a rien à prendre, pas même ma dignité... » Épuisée par la faim et par la migraine due à l'alcool, elle s'était effondrée sur le sable en se disant « Je pourrais attendre d'être nourrie, comme ça. Je reste la bouche ouverte, et, on ne sait jamais, on peut avoir une bonne surprise... » et elle s'était endormie, en ronflant bruyamment. C'est là que la reine Anahoa et la prêtresse Fétiha l'avaient trouvée.

Léonine reprit sa route jusqu'au campement des Européens. Elle fut accueillie par le ministre de la mer, toujours souriant. Sa forme rondelette et sa mine réjouie lui donnaient toujours du baume au cœur.

« Léonine : Ministre Heremoana ! Quel plaisir cela a été de recevoir ta lettre ! Je suis venue dès que j'ai pu. Je brûle de rencontrer les Européens, et plus encore les Européennes qui viennent d'arriver. Je suppose que vous avez pris les précautions d'usage.

Hermoana : Oui, les armes ont été stockées chez moi, la capitaine a accepté de les mettre sous clé et d'en garder un double. Mais nous avions surtout à cœur de les accueillir comme il se doit, même si ne te réservons l'honneur de leur faire boire l'eau de coco. Certains sont déjà dans les maisons des habitants. Regarde ici, une des Européennes est dans le jardin de Pito, un de mes meilleurs amis. » Et en effet, Léonine aperçut une femme brune aux cheveux frisés, qui devait avoir un peu moins de quarante ans, qui cueillait une banane dans le jardin tout proche. Elle l'interpella.

Léonine : Oh, madame !

La femme brune se retourna.

La femme : Oh, seriez-vous Léonine ?

Léonine : C'est moi-même, je crois que même pour les arrivants, je ne puis être incognito.

La femme : On ne parle que de vous depuis hier. Pito, dont j'ai eu le plaisir de faire la connaissance, ne tarit point d'éloges sur votre personne.

Léonine : Comme c'est adorable de sa part ! Dites-lui que je le remercie ! Je vois que vous avez découvert la banane.

Fascinant, n'est-ce pas ? Ce fruit jaune a un goût très sucré. Je ne saurais plus m'en passer.

La femme : Oh je crois que je vais adorer alors !

Léonine : J'ai tant de questions à poser à votre équipage, des femmes sur un navire, comment cela se fit-il ? Je veux tout savoir !

La femme : Vous devriez aller parler à notre capitaine Léliande, elle vous dira tout de cette expédition. Pour moi, je sais seulement qu'elle a fait mon bonheur et je crois que je ne serais pas mal sur votre île si on me permet d'y rester.

Léonine : Je m'en vais la voir de ce pas ! »

Léonine, guidée par le ministre, qui tenait dans ses mains un récipient où se trouvait l'eau de coco, se rendit aux limites du village, sur un champ de cocotiers où Léliande se détendait avec Lussanville, Agathe et Fanchette. Sitôt qu'ils la virent, tous se levèrent et firent de grands signes comme s'ils retrouvaient une vieille amie. Léonine courut vers eux et les embrassa.

Le ministre s'avança, et tendit l'eau de coco à Léonine pour qu'elle abreuve nos quatre aventuriers, leur souhaitant du même coup la bienvenue.

« Léonine : Oh mes compatriotes ! Je pensais mourir sans revoir l'un de vous ! Quelle joie de voir aborder sur Motu Here des gens de qualité comme vous semblez l'être. Je veux tout savoir : comment, pourquoi, ce qui vous a permis de réaliser un tel exploit avec des femmes. Dites-moi tout. Quand je vous vois j'ai l'impression que vous venez d'une autre planète ou d'une autre époque.

Léliande : L'aventure est merveilleuse en effet. Nous allions déjeuner, vous joindrez-vous tous deux à nous ? »

« Heremoana : Malheureusement les affaires de l'Etat ne me permettent pas de rester avec vous plus longtemps. Le conseil des ministres aura lieu cet après-midi et je dois me rendre à

'Āpā au plus vite. Ce sera l'occasion pour nous de décider ce nous pourrons vous proposer, puisque certains d'entre vous ont déjà émis le désir de rester parmi nous. Tout est prêt pour que vous puissiez rester une bonne semaine, passé ce délai, nous statuerons. En attendant, profitez des bienfaits de Motu Here. » Le ministre repartit alors en direction de la capitale. Léonine s'assit près de nos héros et partagea leur repas.

« Léliande : Je suis moi-même originaire d'une île magnifique, la Corse. Née sous le nom de Liliane, j'ai été renommée Léliande aux Antilles lorsque j'ai décidé de me faire passer pour un homme. Les circonstances qui m'ont poussée à quitter la Corse, je vous les raconterai plus tard, mes amis connaissent déjà bien cette histoire, sachez seulement que c'est à la suite d'une razzia menée sur nos côtes par des Africains qu'on m'a abusée et que, l'ayant appris, ma famille m'a tourné le dos. C'est alors que j'ai rassemblé toutes les femmes qui avaient été traitées de même et que nous avons dérobé un navire, affrontant pour cela mille dangers, mal formées que nous étions à la navigation. J'ai perdu celles de mon équipage qui n'étaient pas mortes durant le voyage à Saint-Domingue et c'est là que j'ai rencontré monsieur de Lussanville. Plus tard, c'est grâce à son argent et à ses amis aux Etats-Unis que j'ai pu avoir mon propre navire et fonder à nouveau le projet fou d'un équipage de femmes pour nous rendre au bout du monde. Nous n'avions pas notre place et il nous a fallu faire un chemin infiniment long pour la trouver. Nous avons fondé une colonie sur la terre de Patagonie, à l'extrême sud des Amériques, un territoire qui échappe en partie à l'influence des Espagnols. Là-bas nous avons enfin pu vivre comme nous le désirions, délivrées de la religion et du pouvoir des hommes.

Léonine : Tout cela est fascinant, comme j'aurais voulu vous connaître plus tôt ! Mais alors pourquoi être repartis ? Qui est resté en Patagonie ?

Léliande : La moitié de notre colonie est toujours là-bas, certaines élèvent leurs enfants. Mais notre communauté est petite est fragile. Je crois qu'il me faudra y retourner dès que possible si je ne veux pas qu'elle meure. Mes amis Lussanville, Agathe et Fanchette ne cessent de demander au ministre de rester. Ils se sentent mieux ici et leur rêve était de vivre tous les trois dans une île du Pacifique comme la vôtre.

Léonine : Agathe, Fanchette, Lussanville, je ferai tout ce que je peux pour que vous puissiez rester. Je m'y engage. Et dès cet après-midi, je veux commencer un parcours pour vous faire visiter l'île toute la semaine. Me suivrez-vous ? J'en profiterai pour vous raconter comment je suis arrivée ici. » Agathe, Fanchette et Lussanville sourirent de concert.

« Agathe : Dame Léonine, je serai enchantée de vous suivre avec mes amours et de connaître votre histoire.

Léonine : J'en suis ravie, Agathe. Et je vous en prie, tutoyonsnous. Ici, tout le monde se tutoie, le vouvoiement n'existe pas dans la langue hérésienne. Prenons cette habitude, si vous le voulez bien.

Fanchette : Pour ma part, je serai ravie de suivre ta demande, Léonine.

Lussanville : Merci pour ton accueil. Nous avons hâte de découvrir l'île en ta compagnie. » C'est ainsi que nos héros commencèrent la visite de l'île qui allait durer toute la semaine, tandis que Léliande demeurerait au campement.

4

Les villages du nor : une invitation à dîner

Motu Here était une double île volcanique, c'était comme deux îles reliées par un bras de terre. La partie Ouest portait le nom de Here Nui, parce qu'elle était plus grande (Nui signifiait « grand » dans leur langue) tandis que la partie Est était nommée Here Iti, parce qu'elle était plus petite. Nos héros se trouvaient actuellement sur la côte nord de Here Nui. À l'ouest de leur position se trouvait la capitale 'Āpā, où se tenait le palais de la reine, que Léonine comptait leur faire visiter en dernier. À l'est, trois villages s'étalaient sur la côte : Hau, Hauro et Hanahana. Tous les villages se trouvaient sur le littoral. Le centre de l'île, dominé par le volcan, était sauvage, et on n'y construisait rien. Les villages du nord, selon Léonine, étaient connus pour abriter les maisons des plus grandes familles de l'île et on y trouvait toutes sortes de richesses. Ici se concentraient les artisans et les commerçants : on y vendait des tissus légers, adaptés au climat local, et notamment le pāreu, un tissu long qu'on pouvait nouer de différentes façons autour du corps, fabriqué avec de l'écorce de mûrier, parce qu'on n'avait sur l'île ni coton ni soie. La matière obtenue à partir de l'écorce était nommée « tapa ». Fanchette tomba amoureuse de ce vêtement, quoiqu'il ne fût pas des plus confortables en apparence, car relativement peu souple, il donnait l'impression d'être nu et semblable à une fleur lorsqu'on dansait. Et puis nos héros étaient trop contents de pouvoir se séparer de leurs vêtements, qui étaient bien fatigués. Fanchette essaya des dizaines de pāreu, qui avaient tous les motifs et toutes les couleurs possibles. Bien sûr, le rose et le bleu clair avaient sa préférence. Agathe en profita pour apprendre toutes les manières de nouer le pāreu en s'entraînant sur son amante : ce vêtement pouvait aussi bien servir de robe, de jupe, de tunique ou de couvre-chef. Léonine s'amusa à faire de même avec Lussanville, sans gêne particulière, ce qui faisait qu'Agathe la surveillait tout de même attentivement, car cette demoiselle était fort jalouse, tant pour l'un de ses amants que pour l'autre.

Fanchette aimait qu'on noue son pāreu en bustier et donna sa préférence à cette façon de le mettre. Lussanville aimait en avoir un en toge et l'autre autour de la taille. Agathe, elle, la nouait en robe, le nœud derrière le cou.

Léonine leur présenta aussi les vendeurs de coiffes et de bijoux. Elle ne pouvait tout leur offrir et il fallut regarder seulement, mais Fanchette cria plus d'une fois en voyant les chefs-d'œuvre d'orfèvrerie dont étaient capables les artisans de cette île. Ce dont ils étaient le plus fiers, c'était la culture de la perle, en particulier de la perle noire. L'un des artisans, croisant le regard d'Agathe, fut subjugué par la manière qu'elle avait de regarder dans les yeux sans cligner des paupières et, déclarant qu'il n'avait jamais vu de regard plus pénétrant que celui-ci, il décida de lui offrir une perle noire. Léonine voulut le payer avec un coquillage précieux mais il refusa absolument et plaça aussitôt la perle sur une monture avant de la mettre au cou d'Agathe. Le contraste avec sa peau très pâle faisait ressortir le bijou, bien que le soleil commençât de la faire rougir, à moins que ce ne fût l'émotion d'avoir reçu un tel cadeau pour un simple regard. Lussanville et Fanchette, un peu moins jaloux il est vrai, furent tout de même marqués par cette attention.

Les trois villages étaient assez semblables. Les habitants, richement vêtus, étaient perpétuellement en train de lire ou de converser sous les arbres ou sur la plage. Plus d'une fois on les arrêta pour leur poser des questions, les inviter à déjeuner ou à dîner, il leur fallut refuser poliment. Mais lorsqu'en arrivant à Hauro, la mère du ministre de l'Economie, qui était l'un des favoris de la reine, les invita à partager un repas, Léonine ne put se résoudre à refuser cette fois-ci. Poema, car c'est ainsi que ce nommait cette dame, recevait dans son jardin, sous un abri en paille de coco. Elle aimait par dessus tout à parler de son fils Fareura.

« Poema : Ah tu sais Léonine, je suis fière de lui ! Son père est encore à la capitale pour l'aider, heureusement qu'il est là, je t'assure, le pauvre Fareura croule sous le travail. C'est sans doute le ministre le plus occupé de l'île, alors que la reine, à ce qu'on dit, le demande sans cesse la nuit ! Mais que voulezvous ? Il naît tant d'enfants qu'il faut bien les occuper et les nourrir. Alors on construit, on construit, mais l'île n'est pas sans limites. Quand je me suis mariée, on limitait encore les naissances aux deux tiers des habitants. C'était avant ton arrivée et avant la libéralisation de l'amour. Oh tu sais, il ne ménage pas sa peine. Pourtant il était un farouche opposant à la libéralisation, je me rappelle qu'il avait pris la tête du mouvement, et maintenant il applique sans réserve la politique de la reine. C'est le pouvoir de l'amour, cela vous change un homme ! »

Agathe fit la moue à ce mot d' « amour ». Elle commençait à comprendre que la reine couchait avec plusieurs de ses ministres et désapprouvait ce mode de gouvernance, qu'elle jugeait malsain. Lussanville et Fanchette, au contraire, étaient très curieux de cette façon d'agir. Léonine perçut ces opinions exprimées silencieusement et, soucieuse de leur expliquer plus avant ce qui pouvait leur paraître, même à eux, un peu étrange, elle se réserva de leur en parler plus tard et passa à un autre sujet.

5

Suite du dîner

« Léonine : Ils ne savent point encore comment je suis arrivée sur l'île. Si tu me le permets, Poema, je voudrais leur en faire le récit.

Poema : Oh mais je le veux bien ! Mais après, permets-moi de leur poser des questions sur votre pays, je suis curieuse de comment on vit là-bas et si c'est bien comme dans les livres.

Léonine : Très volontiers. Écoutez un peu, mes amis, comment je fis la rencontre de l'ancienne reine, Anahoa, sur la plage que vous connaissez désormais. J'étais endormie, la bouche ouverte, et, sans crier gare, on me versa quelque chose dans le gosier !

Vous jugez de ma surprise ! Je toussai, ayant bu la tasse.

J'ignorais alors qu'il était d'usage de faire boire l'eau de coco aux arrivants, comme je l'ai fait avec vous. Mais à l'époque on n'attendait point le lendemain pour cela, il fallait le faire aussitôt, même dans le gosier d'une pauvre endormie ! Qu'avaisje à ouvrir la bouche, me direz-vous ? J'étais coupable en effet.

Je toussai, et toussai encore, enfin réveillée et je vis à ce moment le plus joli visage qu'il m'ait été donné de voir de toute ma vie, celui de la reine Anahoa, qui m'a dit, dans ma langue : « Bienvenue, étrangère, sur l'île des Amants ! Lève-toi ! » J'ai cru avoir expiré, et être arrivée au paradis : « Ô respectable dame » dis-je alors... Mais la prêtresse Fétiha, qui m'avait versé l'eau de coco, m'informa que je parlais à la reine de cette île. Je rendis aussitôt les honneurs et fit maintes fois la révérence pour marquer mon respect : Ô reine Anahoa, je suis surprise que nous parlions la même langue ! » dis-je alors. « L'amour de la connaissance de notre peuple est sans limite. » répliqua alors cette divine reine avant de me demander comment je me trouvais seule sur cette plage en tenue d'homme.

Lussanville : Cela n'est pas commun, en effet.

Agathe : Pour nous, cela commence à le devenir, mon amour.

Léonine : J'ai répondu : « Votre grâce m'honore... je m'étais embarquée clandestinement sur un navire où les femmes ne sont point admises, en qualité de biologiste - à mes heures perdues, si l'on peut dire, j'aime à étudier la faune et la flore... – mais on a découvert la supercherie malgré le soin que je mettais à laisser croire que j'étais muet. Un malheureux coin de table fut la cause de ma ruine. » Et cela attisa, vous pouvez l'imaginer, la curiosité de la reine. Alors je me mis à faire ce récit, que je vous rends peut-être imprécisément, mais qui est resté vif dans ma mémoire : Un rude marin qui aimait à martyriser les petits muets dans mon genre, me poussa contre le coin d'une table ; malgré moi une exclamation de colère sortit de mon gosier, et, imprudemment, je le noyais sous un torrent d'insultes que, par égard pour la reine, je n'ai point répété. Il est malaisé de déguiser une voix et mon ton de crécelle attira tout l'équipage. Il se forma alors deux camps parmi eux. Les premiers soutenaient que j'étais un castrat, et qu'il fallait me faire chanter pour les distraire et me reléguer à toutes les tâches ingrates, les autres affirmaient que j'étais une femme travestie, et qu'il fallait me jeter à la mer. Le capitaine vint s'informer du tumulte que je causai et, alors que je refusais de me soumettre à un examen plus approfondi avec véhémence et que je l'insultais copieusement, cet excellent marin trancha pour la seconde option et, tandis que nous passions près de l'île, je fus jetée pardessus bord.

Agathe : Je ne suis pas surprise, on ne me traitait pas différemment quand on découvrait qui j'étais.

Léonine : C'est alors que la reine décida de m'emmener à l'école du village de Hau, non loin du campement où vous vous trouvez et où enseignait mon futur mari, Oro. Mais c'en est assez pour ce soir, et je vous raconterai le reste demain. Et puis après il sera trop tard pour que tu puisses leur poser tes questions Poema.

Poema : Laisse, je vais leur servir du lait de coco dans la maison, et j'aurai alors tout le loisir de les questionner. » Alors que tout le monde rentrait dans la maison, Fanchette et Agathe commencèrent à parler toutes deux de leurs aventures des derniers jours, et comme la tendresse devenait plus manifeste, et qu'on est sensible à l'amour à Motu Here, on les invita à monter dans leur chambre. Lussanville resta un peu pour parler avec la maîtresse de maison.

« Poema : Vous avez fait grande impression dans les villages toute la journée, on est venu me dire dès ce matin, lorsque vous êtes passés à Hau, que vous visitiez les environs. Vous semblez une exception parmi les Européens et cela me fascine. Vous partagez donc la vie de ces deux femmes, et elles aussi vous aiment de même, c'est bien cela ? Pourtant, cela est proscrit en Europe, n'est-ce pas ?

Lussanville : En effet, là-bas, on ne peut épouser qu'une seule personne.

Poema : Peut-être qu'un jour nous les imiterons, c'est si difficile, les amours multiples, cela demande une grande expérience de la vie et des sentiments. Vous savez que Léonine vit comme vous ?

Lussanville : On me l'a dit, en effet, et cela m'a rendu encore plus curieux de la rencontrer.

Léonine : Oh je t'en dirai plus pendant notre voyage, l'histoire est belle et pleine de rebondissements. Mais j'ai cru voir que cela ne vous garde pas d'être un petit peu jaloux, n'est-ce pas ?

Lussanville : Comment cela ?

Léonine : Agathe me lançait des regards noirs lorsque je t'habillais.

Poema : Tout le monde n'est pas comme toi, Léonine. Pour toi, cela est facile, mais je te jure que j'aurais bien du mal à laisser mon mari plaire à une autre femme.

Léonine : Cela n'a pas toujours été le cas, j'étais jalouse autrefois. J'ai changé depuis, on n'est pas condamné à le rester toujours. Il suffit de trouver ce qui vous fait sentir en sécurité.

Mais parle-nous de la France, un peu, a-t-elle toujours ses colonies ? Le roi est-il toujours le même ?

Lussanville : Pour cela, les colonies sont toujours là, et ce qui s'y passe n'intéresse pas grand monde pour peu qu'elles envoient du sucre. On discute beaucoup de la liberté mais on est à mille lieues de ce qui se passe ici. Lorsque je marche sur les chemins des villages de Motu Here, je me dis que la France est un Etat véritablement barbare. Quant au roi, il est mort peu de temps avant notre départ. Il a été remplacé par son petit-fils, l'époux de la reine Dauphine Marie-Antoinette, qui a tant fait pour nous.

Léonine : Quoi, vous avez rencontré la Dauphine ?

Lussanville : En effet, et je dois dire que c'est la personne la plus juste et la plus civilisée de ce pays. J'espère que la France reconnaîtra sa valeur.

Léonine : Je n'espère rien de ce pays mais que les dieux t'entendent ! »

6

Villages de l'es : La plage de Hanahana

Ce matin-là, Agathe se leva la première, laissant Fanchette et Lussanville dans les bras l'un de l'autre, pour arpenter la plage lorsque le lagon est teinté de rouge et d'or. Elle était parvenue sur l'île de ses rêves, elle qui avait traversé tant d'épreuves, renoncé à la vie, triomphé d'ennemis parmi les plus redoutables qu'on puisse imaginer. Aurait-elle désormais trouvé son chemin vers le bonheur ? Ces dernières années l'avaient un peu assagie. Où était celle qui sortait, avec ses habits d'homme, retrouver une dame de mauvaise vie, l'épée au côté, prête à combattre ? En Patagonie, elle avait certes traîné des troncs d'arbres, construit des maisons, taillé des pierres mais elle avait trouvé son réconfort dans le soin qu'elle prenait de son enfant, lorsqu'il vivait encore. Sitôt qu'il avait été malade, elle n'avait plus pensé qu'à lui, jusqu'à la fin. Fanchette et Lussanville étaient ses seuls repères désormais. À l'aube de ses trente ans, elle espérait pouvoir enfin commencer sa vie, s'établir et bâtir autour d'elle. Ah, s'ils pouvaient rester ici ! Comme elle aimait le vent léger, l'eau bleu turquoise, le sable fin et les immenses cocotiers qui bordaient la plage !

Lussanville et Fanchette s'éveillèrent lorsque le soleil vint caresser leur peau pâle, quoique déjà un peu rougie. Leurs yeux bleus s'ouvrirent ensemble sur leur lit en paille de coco. La première pensée qui leur vint fut pour la discrète Agathe, qui ne les avait pas réveillés. Ils se firent un baiser, s'étirèrent et se levèrent doucement. L'air était lourd d'humidité, leurs mouvements étaient lents, leurs corps se couvraient déjà de petites perles aquatiques. Ils avaient faim. Ils sortirent sur la terrasse de bois, protégée du soleil par un auvent, et trouvèrent Léonine. Elle découpait un curieux fruit : une écorce dorée épaisse surmontée d'une couronne de feuilles pointues, assez rigides. La chair était jaune pâle, un peu plus pâle que le citron.

Le tout mesurait bien une vingtaine de centimètres.

« Lussanville : Comment s'appelle ce fruit ?

Léonine : C'est un painapo. C'est juteux, sucré et légèrement acidulé. Je crois qu'ils en mangent à la cour de Versailles, on les appelle « ananas » en France.

Lussanville : Maintenant que tu le dis, il me semble avoir déjà vu l'un d'eux dans une réception en Amérique. »

Ils s'assirent autour de la table pour déguster leur fruit et furent rejoints par Agathe qui vint déposer, pour saluer ses amants, un baiser sur leurs lèvres. Léonine sourit en les voyant.

« Léonine : Quand je vous vois, je songe à mes amoureux moi aussi. Nous sommes de véritables miroirs, j'en suis toute émue.

Ne trouvez-vous pas cela amusant que l'univers nous ait réunis ? Fanchette : Tu aimes l'ancienne reine, c'est bien cela ?

Léonine : Oui, et je suis loin d'avoir fini de vous raconter mon histoire. Mangez et écoutez un peu comment je fis la connaissance de mon mari Oro. Vous savez déjà que j'avais rencontré la reine Anahoa sur la plage et l'embarras où je me trouvais à ce moment. J'avais bien vu que la grande prêtresse Fétiha ne me portait pas dans son cœur, mais que j'avais fait grande impression sur la reine. Et cela était si vrai qu'elle m'a invitée à les suivre à l'école de Hau, où enseignait, je vous le donne en mille, mon futur mari Oro. C'était lui qui donnait cours aux enfants des villages du nord avec deux autres enseignantes. J'ai croisé son regard au moment où les enfants s'installaient pour écouter la grande prêtresse raconter la légende de la naissance de l'île. Il jouait des percussions pendant le récit. Ses yeux laissaient entrevoir une âme douce, de celles qui peuvent s'attacher pour l'éternité. Je suis tombée amoureuse bien des fois. C'est simple, je suis véritable brasier.

Un sourire et les idées me viennent en tête. Je ne sais pas me contenir. Et cette fois-là, ça m'est encore arrivé. Mais chez lui, j'ai tout de suite su que c'était bien plus rare. La reine Anahoa, qui éprouvait des sentiments bien avant moi pour Oro, a décidé de rester assise à côté de lui pendant tout le conte. Mais lorsqu'elle est ressortie, j'ai un peu tardé à la suivre... oh vous vous seriez moqué ! Je regardais Oro, et, il a dû s'en rendre compte car il m'a souhaité que mon séjour sur l'île soit des plus agréables et moi j'ai répondu... « Et moi, je souhaite qu'il ne prenne jamais fin, maître Oro. » » Fanchette eut un tendre sourire à ce moment du récit, ce qui émut Léonine.

« Léonine : « Vous êtes donc décidée à vivre parmi nous ? » me dit-il et alors... j'étais folle, vraiment. J'ai osé dire : « Plus que jamais, et plus encore depuis que je vous ai rencontré. » » Fanchette et Lussanville eurent un petit rire joyeux. Agathe ne trouvait pas cela moins tendre.

« Léonine : Vous songez bien que je me suis empressée de partir après avoir dit cela. Je crois que j'ai dû laisser Oro bien surpris, et qu'il n'a pu sans peine reprendre son cours ! »

« Fanchette : Comme c'est adorable, cette rencontre ! J'espère que nous aurons l'occasion de faire bientôt la connaissance de tes amoureux, Léonine. J'ai l'impression que nous sommes bien semblables. »

Ainsi commença la deuxième journée où nos héros faisaient le tour de Motu Here. Il était temps pour eux de repartir pour rejoindre la côte Est de Here Nui, mais Léonine tint à ce qu'on s'arrêtât à la bibliothèque de Hanahana, qui était toute proche. C'est là qu'elle faisait ses recherches. Léonine exerçait, dès avant son arrivée sur l'île, le métier de naturaliste.

Elle aimait en particulier étudier les oiseaux. Elle passait une partie du temps dans le centre de l'île pour les observer et l'autre dans la bibliothèque pour consigner le résultat de ses recherches.

« Léonine :