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Retrouvez dans ce volume les 7 pièces écrites par le fondateur des Framboisiers, Imago des Framboisiers entre 2010 et 2020. Ces pièces présentent des figures de femmes puissantes, ambitieuses et libres : Urcydie, la destructrice; Eurydice, l'amoureuse ; Sapphô, l'intellectuelle ; Lilith, l'ambitieuse ; Salomé, la révoltée ; Agathe et Fanchette les passionnées ; Julie d'Aubigny l'aventurière. Plusieurs de ces pièces ont été jouées à Paris, à Avignon et ailleurs en France entre 2010 et 2020.
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Seitenzahl: 345
Veröffentlichungsjahr: 2022
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Chapitre 1 : La Naissance des Bacchantes
La naissance des Bacchantes
Prologue
Acte 1 : Ancien sanctuaire de Zeus
Acte 2 : Thèbes
Acte 3 : Au pied du Mont Cithéron
Acte 4 : Thèbes
Acte 5 : Sur le mont Cithéron
Chapitre 2 : Orphée et les Bacchantes
Orphée et les Bacchantes
Prologue 1
Acte 1 : L'arrivée des Bacchantes
Acte 2 : Le défi d'Aphrodite
Prologue 2
Acte 3 : La vengeance d'Urcydie
Prologue 3
Acte 4 : Orphée et Eurydice aux Enfers
Acte 5 : La mort d'Orphée
Épilogue
Chapitre 3 : Sapphô, première des Lesbiennes
Sapphô, première des Lesbiennes
Prologue
Acte 1 : Mytilène
Entracte 1 : Le défilé des vierges du printemps
Acte 2 : L'embarcadère
Entracte 2 : Les bacchantes mettent pied à terre
Acte 3 : Cythère
Entracte 3 : Urcydie aux Enfers
Acte 4 : Le col du Mont Tmolos
Acte 5 : Sur le mont Tmolos
Épilogue : Mytilène
Chapitre 4 : Adam, Ève et Lilith
Adam, Ève et Lilith
ACTE 1 : L'Eden Originel, Adam et Lilith
ACTE 2 : Le destin de Lilith
ACTE 3 : L'Eden du second chapitre – Adam et Ève
ACTE 4 : La Tentation – Le Serpent
ACTE 5 : Naissance de Caïn
Chapitre 5 : Salomé, la danse du serpent
Salomé, la danse du serpent
Prologue
Premier temps : Rencontre avec Salomé
Première danse : Danse de la colère
Second temps : Soirée aérienne
Deuxième Danse : L'air (Danse des sept voiles)
Troisième temps : Le règne de l'eau
Troisième danse : L'eau (Danse des sirènes)
Quatrième temps : Dans ses entrailles
Quatrième danse : La Terre (Danse du Serpent)
Cinquième temps : Se réchauffer
Cinquième danse : Le Feu (Danse des Flammes)
Sixième temps : L'exécution
Septième temps : Epître aux chrétiens
Danse finale
Chapitre 6 : Les Amours de Fanchette
Les Amours de Fanchette
ACTE 1 : Une salle basse chez madame Villetaneuse au Havre
ACTE 2 : Le bal chez madame Villetaneuse
ACTE 3 : Dans le salon de Lussanville
ACTE 4 : Le salon de madame Villetaneuse
ACTE 5 : L'entrée chez madame Villetaneuse
Chapitre 7 : Mademoiselle de Maupin
Mademoiselle de Maupin
ACTE 1 : Chez Mademoiselle de Maupin
ACTE 2 : Une cellule au couvent de la Visitation
ACTE 3 : Chez mademoiselle de Maupin
ACTE 4 : Chambre d'Aubépine
ACTE 5 : Lisière de la forêt
à Pamela Acosta, qui fit sortir de terre Urcydie
Représentée pour la première fois au Théâtre de l'Orme le 14 avril 2018
Personnage
Premier acteur
Acteur dans les films « Les Bacchanides »
BAKKHOS,
ou Dionysos, fils de Sémélé, dieu du vin et de la fête
Jean-Baptiste Sieuw
Jean-Baptiste Sieuw
AGAVÉ
,
reine de Thèbes
Monica Tracke
Monica Tracke
URCYDIE
,
fille d'Agavé, sœur de Penthée
Pamela Acosta
Sofia Kerezidou
INÔ
,
sœur d'Agavé,tante et amie d'enfance d'Urcydie
Stella Pueyo
Marion Ettviller
RÉGLIS,
bacchante
Julia Huber
Julia Huber
PENTHÉE
,
fils d'Agavé, roi de Thèbes
Pierre Sacquet
Pierre Sacquet
Les Bacchantes
,
en fête, portant le thyrse, et une peau de bête
MJ Lo, Vigdis Gondinet, FloreHelary, AliceCambon
Coumba Doucouré,Flore Helary,Emmanuelle Morice,Anaïs d'Alyciade, Daphné Astier, Céline Berthod, Sarah de Jesus, Rita Guérin
Au début, musique bachique avec des flûtes. Au milieu les attributs de Bakkhos (thyrse, couronne) sont posés sur son autel. La lumière les isole. Un temps de silence. Des tambours retentissent, et avec eux, trois bacchantes masquées, les mêmes que celles qui jouent les trois personnages féminins. Elles dansent autour des attributs et se frappent les cuisses en rythme. Elles commencent à ponctuer leurs danse de cris.
Bacchante 1. J'appelle Bakkhos, le rugissant !
À chaque réplique, l'oratrice passe au milieu. Les autres continent de se frapper la poitrine.
Bacchante 2. J'appelle Bakkhos, le fils de Sémélé.
Bacchante 3. J'appelle Bakkhos, l'enfant et le maître de Thèbes !
Bakkhos entre lentement et va prendre ses attributs. Sitôt qu'il les a, les tambours et les frappes corporelles cessent. Bakkhos observe le public.
Bakkhos. Je suis Bakkhos, le dieu des plaisirs,
Ma venue fait les Grecs se transir !
Dans le vin, à loisir, ce qu'on boit
Je l'avoue, je le clame, c'est bien moi !
Mon verbe décousu se répand
Quand le verre impromptu redescend.
Je reviens d'un voyage exotique,
J'ai vu l'Inde et le Golfe persique,
Les femmes, grâce à mon sortilège
M'ont suivi pour former mon cortège.
Révoltées, écorchées, décadentes,
On les nomme, à raison, les bacchantes !
Roulement de Percussions.
Les Bacchantes. Évohé !
Bakkhos. Nouveau dieu, je viens dans ma patrie.
Je voulais rencontrer ma fratrie.
Mais hélas ! Ma mère Sémélé
M'a t-on dit, est morte foudroyée !
Et pourquoi ? Parce qu'un vain mortel
Son mari, a souillé son autel !
Les bacchantes vont faire le récit en corps de ce qui suit.
Le roi Zeus, profitant d'une absence
Honora de sa sainte présence
Sémélé, la chanceuse mortelle,
Il se languit, brûla d'amour pour elle.
Mais le mari rentrant, fou de rage,
Désira réparer cet outrage,
Jaloux du roi des dieux, l'imbécile
Profana sa femme trop docile
Commettant sur l'autel de ses dieux
L'inconscient ! Un crime périlleux !
L'une des trois joue Zeus, un autre joue Sémélé et la dernière le mari. À la fin du récit, les deux foudroyées restent un moment étendues, jouant les morts.
Mère aurait refusé si mes tantes
Avaient tu leur palabre infamante.
Les trois bacchantes vont prendre les voix de leurs personnages principaux.
Bacchante 1 (Agavé). Tu refuses à ton mari ta couche ?
Bakkhos. Lui disait Agavé la farouche.
Bacchante 2 (Autonoé/Urcydie). Sémélé, tu le trompes et le quittes ?
Bakkhos. Disait Autonoé.
Inô. Ton mérite
Est bien bas.
Bakkhos. Renchérissait Inô.
Et ma mère, aux tourments infernaux,
Dut faire face seule ! Ô infâme !
Femmes liguées contre une femme !
Mais mon cousin Penthée, sans douleur
Lui causa le dernier déshonneur.
Son tombeau et l'autel de mon père
Délaissés, envahis par le lierre !
Je reviens pour punir leur engeance
Et contre eux consommer ma vengeance.
Grand mouvement parmi les bacchantes. Percussions corporelles.
Pour cela j'ai des moyens tout prêts.
Bacchantes, révélez-moi ces traits.
Les Bacchantes 1 et 2 viennent démasquer la bacchante 3 qui s'arrête net de frapper son corps tandis que les deux autres continuent les percussions corporelles plus lentement.
C'est Inô, fille du vieux Kadmos,
Princesse et tante de Dionysos.
Son esprit à présent m'appartient,
Mon pouvoir tant qu'il faut la maintient.
J'entrevois ses désirs et ses vices
Ses tabous sont pour moi des délices.
Je les sais mais je n'en dirai mot.
Vous verrez ses instincts animaux
Étalés, répandus sur la scène
Exposés, pour faire naître l'obscène.
Je prendrai le masque du bouffon,
Ces mortels n'auront aucun soupçon,
Mon Inô fera ma voix tragique
Me laissant l'ivre danse bachique.
(Fin des percussions corporelles)
Dans l'effroi, la trop droite Agavé, (Elle retire son masque)
Sans le voir, me livrera Penthée.
Pour sa fille Urcydie, l'innocente (Elle retire son masque)
J'en ferai, si je puis, ma bacchante.
(Percussions en régie. Bakkhos sort, Agavé aussi, tenant les masques)
(Le décor : L'autel de Dionysos envahi de lierre.)
Scène 1 Inô, Urcydie
(Inô se place face à Urcydie. Les percussions cessent. Lumière.)
Inô. C'est ici, Urcydie, qu'on enterra ta tante, Sémélé. Zeus la foudroya avec son mari tandis qu'elle accomplissait le devoir conjugal sur son autel sacré.
Urcydie. Mais mon frère, le roi Penthée, a défendu qu'on approche de cet autel.
Inô. Ce que ton frère ignore – que les dieux le protègent! - c'est que Sémélé était enceinte de Zeus, le roi des dieux, le maître du ciel. Il a recueilli son fils dans sa cuisse, achevant sa gestation ! Un dieu est né de sa cuisse, et ce dieu, c'est Bakkhos !
Urcydie. Mon cousin est un dieu et mon frère est un roi. Mais moi, qui suis-je ?
Inô. Tu es Urcydie, la fille d'Agavé, la princesse de Thèbes. Tu es semblable à Sémélé , et de corps et d'esprit. Tu possèdes sa beauté, qui charma Zeus. Tu possèdes aussi son caractère fort et déterminé.
Urcydie. Fort et déterminé ? Si elle a cédé à son mari jaloux pour profaner l'autel de Zeus, son caractère était faible.
Inô. Hélas, ta mère, notre sœur et moi-même l'avons rappelée au devoir conjugal.
Urcydie. Je n'aurais pas cédé, je suis bien différente.
Inô. Et comme tu aurais eu raison, Urcydie !
Urcydie. Que veux-tu de moi, Inô ? Pourquoi m'as-tu amené dans ce lieu défendu ? Maman sera furieuse.
Inô. Je suis venue ici pour te rappeler ta tante, à qui tu ressembles tant, et te convaincre de faire un sacrifice à Bakkhos, de reconnaître son culte pour calmer sa colère. J'ai amené cette amphore de vin, nous devons en verser la moitié sur l'autel et en partager le reste entre nous.
Urcydie. C'est un étrange dieu, qui veut que l'on soit soûl.
Inô. Nous devons nous plier au rituel, Urcydie. Sans cela la colère de ce dieu pourrait s'abattre sur Thèbes et ce dieu punit terriblement ceux qui ne le reconnaissent pas.
Urcydie. Il en veut donc à notre famille ?
Inô. À ta mère, à Autonoé et à moi. Aujourd'hui nous encourrons la colère de Bakkhos. Et ton frère surtout, qui ne reconnaît pas ce dieu et défend qu'on fleure la tombe de Sémélé, court un grave danger.
Urcydie. Qu'il soit foudroyé par Zeus lui aussi, cela me va bien.
Inô. Urcydie, peux-tu souhaiter pareil sort à ton frère ?
(Pas de réponse)
C'est terrible, ce que tu dis Urcydie. Pourquoi lui vouloir tant de mal ?
Tu l'aimais pourtant !
(Pas de réponse)
Nous jouions ensemble quand tu étais petite. Rappelle-toi. Je construisais des abris pour vous, nous nous disions tout. Dès que vous le pouviez, vous partiez tous les deux. Vous me laissiez toute seule.
Tu te souviens ? Je vous cherchais, vous étiez en train de vous battre.
Penthée n'aimait pas perdre. Tu l'embrassais pour le consoler.
Pourquoi souhaites-tu sa mort ?
(Silence)
Urcydie, confie-toi à moi. Si tu savais comme tu m'es chère !
Scène 2 Inô, Urcydie, Agavé
Agavé. Que vois-je ici ? Ma sœur qui enlace ma fille dans un lieu interdit par mon fils, notre roi ! Ayant fouillé partout, jusqu'auprès de la forêt, ne pouvant vous trouver, j'ai craint le pire. J'ai ameuté la ville, interrogé tout le monde, j'ai demandé si on vous avait vues. Près de la porte nord-ouest, m'a t-on dit. Sur la route escarpée, m'a t-on encore dit. Il n'y a rien là-bas. Où vont-elles ? Je devenais folle. Aurais-je pu songer que vous vous apprêtiez à enfreindre une loi de la ville ? Aurais-je pu songer que vous braviez notre roi et mon fils ?
Inô. Penthée ne respecte pas la mémoire de Sémélé en laissant son tombeau sans fleurs, abandonné au lierre.
Agavé. Tu te soucies de notre sœur à présent, Inô ? Ne l'as-tu pas avec moi déclarée traîtresse ? N'as-tu pas su comme moi qu'elle avait trompé son mari et voulait garder l'enfant ? Penthée veut qu'on punisse férocement les femmes adultères.
Inô. Penthée ! Toujours Penthée ! Sa loi est-elle supérieure à celle des dieux ?
Agavé. Mon fils parle avec les dieux. Zeus a puni Sémélé, ainsi Penthée punit aussi Sémélé. Laisse Urcydie partir et ne la mêle pas à ça. Tes paroles sont mauvaises pour elle. Si elle suit ton exemple, elle n'aura pas de mari !
Urcydie. Je n'ai pas besoin de mari pour être sage ni de fils pour me gouverner !
Agavé. Ainsi parle Urcydie parce qu'elle t'écoute ! J'aurais dû l'éloigner de toi. Tu la flattes et la choie trop. Tu la touches sans cesse comme si elle était à toi.
Inô. Ta fille est invisible, tu ne vois que ton fils !
Agavé. Écoute, Urcydie, le serpent parler par sa bouche ! Du vivant de ta tante, Sémélé, crois-tu qu'elle se souciait d'elle ? Reproches, critiques, rumeurs, Inô n'épargnait rien ! Elle était jalouse ! Sémélé était si belle, si fière ! Tu crois qu'elle t'aime parce qu'elle te flatte, mais prends garde à ce qu'elle ne te haïsse pas, comme elle haïssait Sémélé !
Inô. Tu dis cela sur l'autel de sa mort !
Agavé. Je le dirai devant Zeus car cela est vrai.
Inô. Mais j'ai honte Agavé, d'avoir fait du mal à ma sœur. Toi tu en sembles fière ! Et cet enfant qu'elle attendait, il vit ! C'est un dieu !
Urcydie. Bakkhos.
Agavé. Bakkhos ! Avez-vous perdu l'esprit ?
Inô. Il m'est apparu en rêve et m'a dit de venir ici reconnaître son culte.
Urcydie. Nous devons verser la moitié de ce vin sur l'autel et en partager le reste entre nous.
Agavé. Où as-tu pris ce vin ? Inô, tu l'as dérobé à notre vieux père ! Inô. Père souffrira moins de perdre son vin plutôt que sa famille.
Agavé. Insensée ! Je n'ai jamais entendu parler de ce dieu ! Le fils de Sémélé !
Inô. De Sémélé et de Zeus.
Agavé. Tu cauchemardes, Inô ! Tu perds l'esprit ! Donne-moi cette amphore, Urcydie ! Je vais la rendre à ton grand-père !
Urcydie. Maman, ne fais pas ça ! (Elle résiste)
Inô. N'excite pas la colère du dieu, Agavé !
Agavé. Il n'y a pas de Bakkhos ! (Elle arrache l'amphore qui se renverse sur l'autel)
Urcydie. Maman !
Inô. Le rite est accompli, nous devons boire !
Agavé. Folle, tu as déjà trop bu ! (On entend des trompettes) Qu'est-ce ?
Inô et Urcydie. Bakkhos !
(Inô prend l'amphore et boit, la passe à Urcydie, qui fait de même.
Elles passent à Agavé qui ne boit pas.)
Scène 3 Agavé, Urcydie, Inô, Bakkhos
(Bakkhos entre en roulant sur le sol et se relève péniblement)
Bakkhos.
Ah mais nom de mon père ! Qui m'invoque ?
Et de si bon matin ? Quel colloque !
On me prie ! Et ici ! Qui l'eût cru ?
A t-on au moins un verre ? Point de vin ?
Quoi ? Tout cela, par terre ? Mais enfin !
Tout ce vin, renversé ! Pourquoi faire ?
Comment pourrons-nous boire, à présent ?
Sale affaire, je dis ! Maintenant...
S'il vous plaît, dites-moi : il en reste ?
(Il boit tout le reste d'une traite)
Deux gouttes, oui ! Sale journée ! Bon ?
Qu'est-ce que vous voulez ? Finissons !
Agavé. C'est toi, Bakkhos ?
Bakkhos. Bah oui, c'est moi, pas Apollon ! Fi !
La barbe, celui-là ! Ce crétin !
Il se lève à six heures, au matin,
Et fringuant, et content, et souriant
Pour faire du cheval, sur son char,
Promener son soleil, ce braillard,
Qui brille, qui crie et qui réveille !
Inô. Mais tu es... enfin...
Urcydie. Tu n'es pas...
Bakkhos. Grand ?
Inô. Si, mais...
Bakkhos. Musclé ?
Urcydie. Oui.
Bakkhos. Je ne suis pas Arès ! Ni Hercule !
Mais si je me fâche, l'on recule,
Ma colère, on la craint, à raison !
Inô. Ô Bakkhos, j'ai pour ta gloire initié ces deux femmes à tes
mystères !
Bakkhos. Et il t'en remercie ! Maintenant...
(Il sort un instant et revient avec un thyrse.)
Le thyrse ! Je vous en fais présent !
Prenez-le, c'est cadeau, pour vous trois.
Inô. C'est... un bâton orné de lierre ?
Bakkhos. Ce bâton, chère Inô, tu vas voir,
Est magique et contient mon pouvoir !
Il peut vaincre un cyclope enragé,
Et sauver une ville en détresse,
D'une armée déceler les faiblesses,
Écraser les hoplites et les lances,
Sur la mer, condamner des navires,
Et des rois renverser les empires !
Si tu frappes un lion il se meurt,
Frappe un homme et son crâne est fendu
Une épée et sa lame est rompue !
Il soumet les peuples et les rois
Grâce à lui, les hommes te respectent,
N'étant plus que de simples insectes
Qui craignent pour leur vie, à raison !
Car tes coups ont la force d'Achille !
Prends-le donc, cesse d'être fragile !
Défais-toi de ces hommes orgueilleux !
Agavé. Les filles, prenez garde, il ne nous appartient pas de défier nos maris et nos frères ! Ne prenez pas ce thyrse !
Bakkhos.(Soudain comme possédé)
Silence quand je parle, Agavé !
Les thébains et ton fils dépravé,
Je le sais, nourrissent ta colère.
Cesse de te mentir, sois sincère !
Étouffe toutes tes réticences
N'attends plus, déchaîne ta puissance !
Ô femme, ton sexe n'est pas faible
Il ne l'est qu'à trop suivre la règle.
Enfreignez, refusez le dressage,
Et chassez, oubliez le tissage !
Quoiqu'Inô ait agi pour braver
L'interdit, c'est bien toi Agavé
Qui me fit apparaître en ces lieux.
Le thyrse est donc à toi, pour le mieux,
Possédant mon pouvoir tu vaincras
Ces thébains qui ne m'honorent pas.
Ces idiots ! Oublient-ils que leurs femmes
Tout comme eux, peuvent manier les lames ?
Pensent-ils que toutes sont sans haine
De porter cette charge inhumaine ?
Enfermées pour couver des enfants ?!
Qu'existe t-il de plus étouffant ?
La douleur de les avoir portés,
Le labeur, n'était-ce pas assez ?
Prends le thyrse, Agavé, sois la cheffe,
Mène-les, incarne mon grief
Thèbes n'aime ni toi ni Bakkhos,
Venge-nous, c'est là ton sacerdoce.
Pars d'ici, emmène les femmes
Leurs maris te voueront tous au blâme,
Qu'importe ! Mène-les dans mon temple
Mets du cuir, oublie cette robe ample
Mauvaise pour la chasse et combats
Pour ta communauté ! Tout là-bas
La forêt sera ton sanctuaire,
Tes suivantes boiront pour me plaire
Des amphores de vin qui viendront
De vos propres vignobles et crieront
Evohé ! Evohé ! Que ce cri
Autre nom de Bakkhos vous rallie
Prête serment, ô ma combattante
Et devient maîtresse des Bacchantes.
(Agavé n'ose pas bouger)
Inô. Peux-tu hésiter Agavé, quand notre roi Bakkhos t'offre sa puissance et son nom ?
Agavé. J'ai aimé mon mari, pourrais-je aimer Bakkhos aussi bien que lui ?
Bakkhos. Prends seulement le thyrse, Agavé
Et brave les thébains effrontés !
Ces vieux fous n'écoutent plus ton père
Qui fonda leur cité, ils sont fiers
D'intriguer, d'influencer ton fils !
C'est assez ! Défie-les ! Prends le thyrse !
Agavé. Je crains cependant un malheur, qui nous frapperaient toutes.
Dois-je le prendre ?
Urcydie. Maman, ne fais pas patienter ce dieu qui se tient devant toi. Veux-tu notre malheur ? Prends le thyrse, ou moi, qui suis ta fille, je le saisirai à ta place.
Agavé. Si ce n'est pas mon orgueil qui me perd, ce sera le tien. (Elle saisit le thyrse. Bakkhos semble redevenir égal à lui-même.)
Bakkhos. À présent, tu dois quitter ce toit
Ce foyer qui n'est plus rien pour toi ;
Accomplis ce que veut Dionysos :
Répands mes mystères ! Pas le vin !
Je m'en vais, dans mon antre divin !
Bacchantes, forgez votre destin ! (Il sort en grande pompe)
Scène 4 Agavé, Urcydie, Inô
Inô. Agavé, c'est toi qui es porteuse du thyrse, c'est toi qu'il a choisi ! Comprends-tu à présent qu'il faut reconnaître son culte ?
Agavé. Je l'ai vu, il est réel. Mais son attitude bouffonne dissimule sans doute quelque traîtrise. Je ne suis pas tranquille.
Urcydie. Pour un dieu en colère, je l'ai trouvé détendu.
Inô. Ne t'y fie pas, Urcydie. Dionysos est le prince des masques, le dieu du théâtre et du vin, changeant comme lui. Il y a le bouffon agréable, le gentil bateleur, et le roi de la nuit, le tigre dévoreur. Si le rond de son ventre rassure, vous pouvez, à l'instant, être sa nourriture.
Urcydie. C'est étrange, je crois le reconnaître dans tes yeux.
Inô. Laissons cela.
Agavé. Oui laissons cela. Je vois qu'il est un dieu et nous sommes de pieuses Grecques, respectueuses des traditions. Il faut faire ce qu'il dit et quitter le palais, sans attendre Penthée. Il comprendra.
Urcydie. J'en doute fort.
Agavé. Je le convaincrai.
Urcydie, bas à Inô. Trop de naïveté.
Agavé. Je m'en vais voir notre sœur Autonoé pour la convaincre de nous rejoindre. Puis nous irons établir notre camp au Cithéron, au bas de la montagne !
Inô. Quant à moi je resterai quelques jours à Thèbes pour convertir les femmes de la ville, selon la volonté de Bakkhos, puis je ferai transporter son autel au Cithéron, auprès de ses fidèles.
Urcydie. C'est par les femmes que Bakkhos impose sa puissance, prêtons-lui nos bras forts, et les hommes nous respecteront ou resteront seuls.
Inô. Bien parlé, Urcydie.
Agavé. Il est temps de partir, mes bacchantes ! Évohé !
Inô et Urcydie. Évohé, Évohé !
Scène 1 Penthée, seul
Quelques jours plus tard, Penthée arrive, furieux.
Je reviens du banquet où l'on m'avait convié. Avant d'être en ces lieux, j'étais tout à la fête, joyeux, guilleret, je marchais en confiance. Et que vois-je en rentrant ? Le chaos, le désordre ! C'est ainsi que ma mère abandonne son rôle ! Elle, si respectable ! Nous trahir de la sorte ! Je viens de voir grand-père acclamant son forfait ! Le fondateur de Thèbes applaudit la démente qui quitte le foyer ! Et pas seule avec ça ! Plus de cinquante femmes ont suivi l'impudente qui me donna le jour ! Mais je les punirai, je les ramènerai au sein de leurs foyers pour servir leurs maris ! Quand je vois nos enfants là, livrés à eux-mêmes, j'ai honte pour ces femmes ! Quant à leurs décideuses, j'en ferai des esclaves qui tisseront pour moi !
Scène 2 Penthée, Inô, les Bacchantes d'Afrique et d'Asie
Entre Inô, portant le masque de Bakkhos, suivie par les Bacchantes d'Afrique et d'Asie.
Inô. (Possédée par l'esprit de Bakkhos) Où est Penthée ? Où est le malheureux roi de Thèbes ?
Penthée. Comment ! Ma tante, vous voilà vous aussi dans ce grotesque accoutrement !
Inô. Ce n'est pas Inô, fille de Kadmos, qui te parle, infortuné Penthée ! C'est Bakkhos lui-même, le bienheureux !
Penthée. Elle est folle. Et qui sont ces femmes qui t'entourent, avec leurs masques ?
Inô. Ce sont les Bacchantes d'Asie et d'Afrique, répondant à l'appel de Bakkhos, le rugissant !
Bacchante 1. Je viens de l'Inde lointaine où les danses de Bromios se sont répandues dans les villages !
Bacchante 2. J'ai quitté les bords du Nil blanc au son des tambourins et des flûtes bachiques !
Toutes. Évohé ! Évohé !
Inô. Bakkhos vient te demander de te joindre à ces femmes, de te coiffer de la couronne de vignes, et de passer une robe de bacchant pour honorer le dieu !
Penthée. Que moi, Penthée, prince de Thèbes, je m'abandonne à vos débauches ! Il n'en sera rien, je vous ferai saisir par mes gardes, et conduire en prison, toutes autant que vous êtes, étrangères dépravées ! Et toi aussi ma tante, puisque tu conduis ces paillardes !
Inô. Inconscient roi !
Bacchante 1. Tu provoques la colère de Dionysos !
Bacchante 2. Demande-lui pardon !
(Les bacchantes commencent à frapper sur leur poitrine et à danser autour de lui)
Inô. (après un rire) Bakkhos te pardonne ! Pourvu que tu veuilles abandonner ton trône à ta mère, Agavé, et la supplier de régner à ta place ! À ce prix, tu auras son pardon et tu seras initié à ses mystères !
Penthée. Offrir le trône à une femme ! Jamais ! Je te ferai torturer, stupide magicienne, et tes disciples avec !
Inô. Tu vas sceller ton sort, Penthée, et celui de ta famille. Renonce à ta folie tant qu'il en est encore temps !
(Les Bacchantes continuent de tourner autour de lui)
Penthée. Gardes ! Gardes, emmenez ces bestioles d'orgies dans les cachots du palais ! Qu'on les fasse fouetter et coucher à terre pour leur apprendre à obéir !
Noir
Scène 3 Inô, Les Bacchantes d'Afrique et d'Asie, la voix de Bakkhos
(Bruit de porte de prison. Les bacchantes sont regroupées à l'avant-scène, isolées et serrées. Bruit de fouet, on les entend tomber au sol et hurler. Musique.)
Inô. Ô Bakkhos, prête-nous ta puissance !
Bacchante 1. Aide-nous, Bromios, punis Penthée l'infâme !
Bacchante 2. Donne-nous le feu, Évohé, et nous brûlerons tout sur notre passage !
Voix de Bakkhos. Oui pour vous, mes Bacchantes au supplice,
Qui pour moi avez fait sacrifice,
Je frapperai le sol de mon thyrse,
Déchaînant sur Penthée mon courroux !
Sa prison va tomber sous mes coups !
Montrez à l'hypocrite ingénu
Le rouge de vos poitrines nues
Dans les bois, saisissez des bâtons,
Mettez-y du lierre, ils deviendront
Des thyrses ! Vous serez invincibles,
Ils se rendra devant l'impossible !
C'est sa dernière chance, qu'il la saisisse !
Qu'il me reconnaisse, ou qu'il périsse !
(Bruit d'effondrement du mur. Les bacchantes se regardent et hurlent. Musique.)
Scène 1 Agavé, Urcydie
Isolation lumineuse sur l'avant-scène, l'autel est invisible. Près du feu se trouve Urcydie, Agavé est auprès d'elle.
Agavé. Cela fait plusieurs jours qu'Inô est là-bas. J'espère qu'il ne lui est rien arrivé.
Urcydie Je l'espère aussi. (Silence)
Agavé. Te plais-tu mieux ici ?
Urcydie. Oui, bien mieux.
Agavé. Pourtant on ne le lit pas sur ton visage. Que te manque t-il ?
Urcydie. Je ne sais pas.
Agavé. Ton frère te manque ?
Urcydie. Non.
Agavé. Moi, il me manque.
Urcydie. J'ai vu.
Agavé. Nous avons besoin de son appui.
Urcydie. Tu as besoin de son appui, surtout depuis que papa n'est plus là. Je suis comme invisible.
Agavé. Nous avons toutes besoin de lui, il règne sur la ville, s'il se déclare contre nous, ce sera la guerre.
Urcydie. Mais il ne le fera jamais, n'est-ce pas ? (Silence)
Agavé. Pourquoi parles-tu si souvent contre lui ? (Urcydie lance à sa mère un regard terrible et se lève) Où vas-tu ? Reste ici ! (Urcydie s'immobilise et se retourne vers sa mère) Réponds à ma question.
Urcydie. Je ne me répéterai pas.
Agavé. Vous étiez jeunes. N'as-tu jamais pensé que vous étiez tous les deux responsables ? (Un temps) Tu n'as rien à dire ?
Urcydie. Non. (Un temps) As-tu fini ?
Agavé. J'ai l'impression que tu ne m'aimes pas.
(Silence)
Scène 2 Agavé, Urcydie, Inô, Réglis
(La lumière éclaire Inô auprès de l'autel qu'elle vient d'apporter.)
Inô. Évohé !
(Urcydie court vers elle pour l'embrasser)
Agavé. Évohé ma sœur ! Comment fut ton voyage ? Où sont nos nouvelles bacchantes ? (Elle écarte Urcydie qui s'agace et s'éloigne. Inô en semble affligée.)
Inô. Il y en a plus d'une centaine qui rejoignent nos rangs. Évohé à nos sœurs !
(Les bacchantes arrivent au fond de la scène, Réglis se détache du groupe et entre)
Agavé. Mais que s'est-il passé ? Pourquoi êtes-vous en sang ? (Inô détourne la tête) Que quelqu'un réponde !
Réglis. Évohé !
Agavé. Qui es-tu, jeune femme ?
Réglis. Je suis Réglis, j'ai répondu à l'appel de Bakkhos, je parlerai au nom de ses servantes.
Agavé. Alors dis-moi, Réglis. Que s'est-il passé ?
Réglis. Cela risque de t'affliger Agavé.
Agavé. Il n'importe. Parle. (Réglis regarde Inô qui fait un signe de tête)
Réglis. Il s'agit de ton fils.
Agavé. Penthée ? Qu'a t-il dit ? Qu'a t-il fait ? Eh bien, parle.
Réglis. Revenu de son voyage, et apprenant de ton père que de nombreuses thébaines avaient quitté leurs maisons, il s'emporta contre ce nouveau culte et, voyant que d'autres voulaient se joindre au mouvement, il fit emprisonner cinquante citoyennes sans procès. Il les fit enchaîner et fouetter sur le sol.
Urcydie. L'infâme !
Agavé. C'est impossible !
Inô. C'est la pure vérité.
Réglis. Mais Bakkhos soit loué, qui entendit nos prières ! Alors que tout espoir semblait anéanti, les murs de la prison, par on ne sait quel miracle, s'effondrèrent et ces nouvelles Bacchantes se répandirent dans les rues, échevelées, leurs robes déchirées, leurs poitrines nues, parfois marquées au sang. D'autres, en voyant ce prodige, sortirent à leur tour, abandonnant leurs enfants, parfois les prenant avec elles. Les hommes, dépassés par l'ampleur du phénomène, étaient trop stupéfaits pour prendre les armes et les retenir. Mais, plutôt que d'aller prendre dans les armureries, les glaives, les piques et les boucliers, les insurgées coururent vers la forêt toute proche et prirent des bâtons qu'elles entouraient de lierre, se faisant par là de nouveaux thyrses. Investies de la force de Dionysos, lorsqu'elles virent arriver les gardes du palais, elles frappèrent simplement leurs boucliers avec ces armes à l'apparence inoffensive et les enfoncèrent comme de vulgaires cibles de paille, repoussant leurs assaillants sans effort. Je vis tout cela de mes yeux, et lorsque je les vis partir, je vis que notre sœur était au milieu d'elles et brandissait son thyrse en signe de victoire. Je remerciai Bromios, le défenseur des femmes. Je guidai les bacchantes à travers la forêt. Je criai Évohé, Évohé, les femmes répondirent : Évohé, Évohé ! Jusqu'ici. Nous voici à présent, nous ployons le genou devant celle qu'on nomme la Maîtresse des Bacchantes, choisie par Dionysos. (Elle s'agenouille)
Agavé. Relève-toi, Réglis. Relevez-vous toutes. Vous avez été éprouvées par ce combat et par ce dur voyage. Prenez place dans le campement, montez vos tentes, partagez notre repas. Nos compagnes se chargeront de vous montrer tout ce dont vous aurez besoin. Ce soir, si Bakkhos le veut, nous nous retrouverons. (Toutes sortent sauf Inô, Agavé et Urcydie)
Scène 3 Inô, Agavé, Urcydie
Inô. Ton fils a promis de mater la révolte et de faire des Bacchantes des esclaves qui tisseront pour lui. (Urcydie sursaute et respire difficilement)
Agavé. Penthée rentre tout juste, le changement est brutal. Il est furieux de voir les femmes de sa vie quitter son foyer. Donne-lui une semaine tout au plus, et il changera d'idée.
Inô. Et ces femmes emprisonnées, ces vœux terribles, les comptes-tu pour rien ?
Agavé. Il a l'âme trop fière et l'invective facile. Il ne faut pas y prendre garde.
Inô. Pourtant sans l'intervention de Bakkhos, des dizaines de femmes auraient trouvé la mort aujourd'hui.
Agavé. C'est par là qu'il verra que ce dieu est puissant et mérite son culte.
Urcydie, explosant. Maman, es-tu sourde, ou es-tu aveugle ? (Tout le monde se tourne vers Urcydie) Quoi, tu lui trouves des excuses parce qu'il est ton fils ?
Agavé. Il est encore notre roi.
Urcydie. (s'effondrant à genoux, avec sur le visage des larmes de colère et de dépit) Hélas ! Nous sommes malheureuses si Bakkhos t'a choisie, le dieu se joue de nous ! D'abord nous libérer puis voir notre libératrice ployer devant l'ennemi !
Agavé(criant). Veux-tu que notre famille se déchire, Urcydie ? Veux-tu que ce culte pacifique, cette communauté sans arme, devienne demain une horde de sauvageonnes, puant le sexe et le sang, tuant tous ceux qui lui résistent ?
Urcydie(pour elle-même). Oh abjecte, infâme reine aveugle, qui voue ton peuple à l'horreur et à la destruction !
Inô. Urcydie, comment peux-tu dire cela de ta mère ? Retire cela tout de suite !
Urcydie. Je ne retire rien ! (Elle repousse très violemment Inô) Laissez-le faire, agenouillez-vous devant Penthée, vous ne valez pas mieux ! (Elle part dans la forêt)
Scène 4 Agavé, Inô
(Silence. Inô tombe assise. Silence. Agavé s'assoit aussi)
Agavé. Je ne sais plus quoi faire d'elle.
Inô. Agavé, il y a quelque chose avec Penthée. Quand nous étions petites, il était toujours avec nous, Urcydie l'aimait !
Agavé. Elle l'aimait trop, Inô. Et quand on aime trop, on finit par devenir jaloux.
Inô. Il y a des années que je ne les ai plus vus ensemble. Je croyais que c'était l'âge et ses nouvelles fonctions de roi !
Agavé. Un jour, c'était il y a des années, ils se sont fait mal en jouant. Urcydie provoquait, elle voulait faire l'homme avec sa petite épée. Penthée n'a pas supporté de perdre et il lui a fait mal. Je les ai séparés. On ne devrait jamais élever filles et garçons ensemble, cela finit toujours mal.
Inô. Je n'ai été élevée qu'avec vous trois, mes sœurs, et regarde ce que je suis ! Cela ne veut rien dire.
Agavé. Tu regardais trop Sémélé.
Inô. Oui je la regardais trop, elle était belle.
Agavé. Fais attention avec Urcydie.
Inô. Mais je fais attention ! Et je sens qu'il y a quelque chose avec Penthée. Quelque chose qui n'est pas normal.
Agavé. Que sais-tu de ce qui est normal entre un homme et une femme ? Tu n'aimes pas les hommes !
Inô. Je n'aime pas les hommes parce qu'ils font du mal, et parce qu'ils sont laids.
Agavé. Et tu sers Bakkhos ! Quelle ironie !
Inô. Je sers Bakkhos parce qu'il ne m'oblige pas à me marier !
Agavé. Et moi je sers Bakkhos parce qu'il nous protège, toi, moi et Penthée !
Inô. Mais ta fille, qui la protégera ?
Agavé. L'orgueilleuse croit qu'elle n'a pas besoin d'aide. On ne peut rien pour elle.
Inô. Il faut lui parler.
Agavé. Elle ne dira rien. Chez elle, tout n'est que silence et provocation. Occupons-nous du campement, Inô. Les autres nous attendent.
Inô. Je viendrai tout à l'heure, je suis épuisée.
Agavé. Si tu vois Urcydie, dis-lui que je lui garde à dîner. (Elle sort)
Scène 5 Inô, Bakkhos
(Inô s'immobilise, ouvre grand les yeux. Bakkhos arrive.)
Bakkhos. J'ai appris des choses singulières
Par tes yeux, je vois la sale affaire,
Un frère qui fait mal à sa sœur !
Inô. Au point qu'elle ne dise plus rien...
Bakkhos. Chère Inô, il nous faut son récit
Ce Penthée a l'âme bien rassie.
Je veux voir ses méfaits sous son masque !
Inô. Mais comment ? Urcydie reste muette !
Bakkhos.(sortant une épée de bois)
J'ai l'épée tout de bois qu'elle avait,
Sa version, nous l'aurons par ce biais.
(Il pose l'épée à terre)
Urcydie la verra sur le sol.
Mon pouvoir saisira sa pensée.
La forêt l'entendra se confier.
Inô. Comme je crains de l'entendre !
Bakkhos. C'est trop tard pour la peur, la voilà !
(Il sort, Inô se cache.)
Scène 6 Urcydie, (Inô, cachée)puisL'ombre de Penthée
(Urcydie avance près de l'autel et trouve l'épée)
Urcydie. Que fait là cette épée ? Si je m'y attendais ! Allez-vous m'écouter, esprits de la forêt ? Est-ce un signe de vous ? Vous ne répondez rien. C'est heureux, chers esprits ; je ne me confie qu'au silence. Il était là.
(Entre l'Ombre de Penthée, qui s'arrête au fond de la scène) C'est sa voix seule que j'entendais ce jour-là. Oui, j'aimais provoquer, j'aimais me battre en jeu. Je lui ai dit Penthée, arrête de faire l'homme et fais-moi un baiser. Comme il me disait non tout en me faisant croire que j'en pourrais avoir, il me tenait pour lui, pouvait m'utiliser. Vers mes douze ans, lui en avait quatorze, j'aimais le défier en combat singulier, avec l'épée de bois, mais il perdait toujours et me faisait la tête, me privait de baisers. Je me battais pourtant et ne voulais pas perdre. Mais il me fit un jour une bouderie telle que pendant des semaines, du moins j'eus l'impression que c'était très longtemps, je n'eus aucun baiser. Peut-être qu'il n'en voulait plus du tout, savais-je ? Pour le tester je vins le provoquer en duel, si je gagnais j'aurais mon baiser. Il sourit.
L'ombre de Penthée. Et si tu perds ?
Urcydie. Je lui laisse le choix : embrasse-moi ou pas. Il accepte les termes. Mais à ce moment-là, je ne veux pas gagner, je veux de la tendresse. Je donne tout le change, pourtant je fais semblant, je laisse l'occasion et je me défends mal, je veux le voir gagner et connaître mon sort. Le veut-il son baiser ? Je fais durer un peu, puis je laisse l'épée frapper sur mon flanc gauche. Et il sourit enfin ! J'étais tellement heureuse ! Pourtant il continue, et je perds l'équilibre. Il arrive sur moi et m'enlève l'épée tandis que la sienne compresse ma poitrine.
L'ombre de Penthée. « A présent petite sœur, nomme-moi donc ton maître. »
Urcydie. Je refusai ; furieux, il appuya le bois, écrasant mon sternum.
L'ombre de Penthée. « Traîtresse ! Je t'ai vue, tu m'as laissé gagner ! En plus d'être insolente, tu veux m'humilier ! Mais tu verras, tu n'auras pas le dernier mot. »
Urcydie. C'est vrai... je ne l'eus pas. (Elle respire profondément, et des larmes de honte de colère apparaissent) Car sa main libre a relevé tout mon chiton et il l'a enfoncée au creux de mes entrailles. Comme j'eus préféré que son épée m'étouffe ! J'ai pleuré j'ai crié, personne n'entendait. Que le silence. Je cesse. A quoi bon ? J'attends juste. Est-ce que j'allais mourir ? La honte ne tue pas, pas plus que la tristesse. Je suis vivante donc, et dedans je suis morte. Je me relève alors et je pars sans un mot. Lui non plus ne dit rien. (Sortie de l'Ombre de Penthée)
Quand je parle à maman, elle me crie dessus, nos jeux sont trop violents, il faut arrêter ça, on n'est plus des enfants. Pour cela c'était vrai, cette enfant était morte. On m'interdit l'épée, me sépare de lui. Il devient roi de Thèbes et moi je me dessèche.
Scène 7 Urcydie, Inô, Bakkhos
Inô,sortant de sa cachette. Urcydie...
Urcydie,brandissant son épée. Inô ! Tu m'as entendue !
Bakkhos et Inô, en même temps. C'est moi qui t'ai entendue.
Urcydie. Bakkhos !
Bakkhos. Je vois tout par ses yeux, Urcydie.
Ce qu'il me faut savoir, tu l'as dit.
Urcydie. J'ai tant de honte, tant de rage ! Ne me plains pas, Bakkhos, ne me plains jamais ! L'épée est dans ma main, plus contre ma poitrine.
Bakkhos. Je connais ta valeur, te venger
Je le puis, non sans efflux de sang,
Car Penthée est loin d'être innocent.
Urcydie. Comment ? Dis-moi comment !
Bakkhos. Si tu peux, malgré ton préjudice
Pour lui, rendre une saine justice,
Ta tribu règnera, bienheureuse,
Mais sinon, dans la voie ténébreuse
Où tu t'engagerais, la vengeance,
Tu n'auras toute ton existence
Pour les tiens qu'une vie de violence.
(Il s'éloigne et disparaît dans l'obscurité)
Urcydie. Bakkhos, reviens ! Il faut qu'il périsse ! Quelle justice puis-je faire ? Bakkhos ! (Elle se jette sur lui mais trouve Inô. Elles sont proches.)
Scène 8 Urcydie, Inô
Inô. Urcydie... tu es toute proche. Je suis désolée, j'ai tout entendu.
Urcydie. Bakkhos parlait par ta bouche. Tu ne t'en souviens pas ?
Inô. Tu es si belle, Urcydie. Tu le sais ?
Urcydie. Je sais que tu le penses. Tu me regardes depuis des années. Moi je ne regardais que Penthée. Je ne sais pas pourquoi tu me regardes. Je suis mauvaise.
Inô. Non, tu n'es pas mauvaise.
Urcydie. Je veux du mal à mon frère et à maman. Je veux qu'ils meurent.
Inô. C'est normal, Urcydie, je comprends, après ce qu'il a fait... et Agavé qui ne t'a pas crue !
Urcydie. Qui ne m'a pas crue ? (Elle rit) Inô, ma chère Inô, elle m'a crue et elle n'a rien fait ! Son rêve, c'est que nous nous réconcilions !
Elle n'a rien fait !
Inô. Je la convaincrai, il faut qu'elle répare son injustice !
Urcydie. C'est inutile, Inô, reste. Elle n'écoutera rien. Reste avec moi.
(Elle la serre et respire fort)
Inô. Pas si près, Urcydie. Éloigne-toi.
Urcydie. Je ne veux pas.
Inô. Je ne veux pas être une mère pour toi.
Urcydie. Cela tombe bien, je ne veux pas de mère.
Inô. Je ne veux pas non plus être une sœur.
Urcydie. Je ne veux plus ni frère ni sœur.
Inô. Je suis ta tante !
Urcydie. Les bacchantes font-elles la différence ?
Inô. Urcydie ! Je vais voir ta mère ! (Elle sort)
Urcydie. Inô, où vas-tu ? Reviens ! Cela ne sert à rien ! Elle va te chasser ! Tu vas me laisser seule ! Si tu me laisses seule, ce sera terrible, Inô, ce sera terrible !
Noir
Scène 9 Agavé, Inô
(Il fait nuit. Agavé fait une prière à Bakkhos près de l'autel. Elle a posé sa couronne dessus. Non loin, se trouvent des griffes de fer et une amphore de vin pour les sacrifices. Inô arrive.)
Agavé. Inô. Je priai notre dieu pour qu'il te ramène, toi et ma fille.
L'as-tu vue ?
Inô. Oui, je l'ai vue. Elle est rentrée au camp.
Agavé. Tant mieux.
Inô. Tu es couronnée.
Agavé. Oui, notre sœur Autonoé a organisé une cérémonie. Aux yeux de tous, je suis la Maîtresse des Bacchantes.
(Inô remarque les griffes de fer près du feu)
Inô. Que font là ces griffes ?
Agavé. Ah, les griffes ? Elles ont été forgées par l'une de nos compagnes. Elle dit que c'est une arme qui convient mieux à la femme. Le glaive est trop viril.
Inô. Elle a raison, j'ai toujours détesté les épées. (Un temps.) Tu ne te prépares pas à la guerre ?
Agavé. Non. Mais les bacchantes ont peur.
Inô. Peut-être ont-elles raison.
Agavé. Je ne le crois pas.
(Silence)
Tu veux me dire quelque chose, Inô.
Inô. Oui, mais je ne trouve pas la force.
Agavé. Puises-la en Dionysos.
Inô. Ce qu'il me dit de te dire, tu ne voudras pas l'entendre.
Agavé. Assez de mystère, Inô ! Parle.
Inô. Urcydie a été violée. Penthée est le responsable.
(Silence)
Agavé. Tu parles de viol au sein de ma famille ?
Inô. De notre famille.
Agavé. Toi, tu n'es pas de notre famille.
Inô. Comment peux-tu... ?
Agavé. J'ai vu comment tu regardais ma fille ! C'est toi qui veut
abuser d'elle ! Tu accuses Penthée de tes vices !
Inô. Urcydie m'a raconté ce qui s'est passé !
Agavé. Mensonges, pour calomnier son frère !
Inô. Elle m'a dit que tu l'avais crue ! Tu le nies à présent ?
Agavé. Où t'a t-elle raconté cela, sur l'oreiller ?
Inô. Je n'ai rien fait de la sorte avec Urcydie !
Agavé. Si tu ne l'as pas fait, cela ne tardera pas ! Car tu en meurs d'envie ! Tu as lui as donné ton vice !
Inô. Je t'en prie, écoute-moi, Penthée ne peut pas rester roi après ce qu'il a fait, Bakkhos ne le tolérera pas !
Agavé. Tu souilles le nom de notre dieu, langue de serpent ! Pars d'ici, à l'instant, je te bannis, n'approche plus jamais ma fille !
Inô. Si tu n'écoutes pas ta fille, elle fera quelque chose de terrible, Agavé. Insulte-moi, traîne-moi dans la boue tant que tu voudras mais écoute-la, je t'en prie !
Agavé,saisissant l'une des griffes près du feu. N'ose plus jamais prononcer son nom !
(Silence, Inô est sous la menace de la griffe)
Pars, Inô. Si tu reviens jamais en ces lieux, crois-moi, je te tuerai.
(Elle sort. Un temps long.)
Scène 10 Inô, Urcydie
(Urcydie entre et regarde Inô dont le regard s'emplit de larmes.)
Urcydie. Imbécile.
Inô.