Neapolis - Kaddour Hadadi (HK) - E-Book

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Kaddour Hadadi (HK)

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Beschreibung

Un homme se réveille amnésique dans une ville en guerre. Commence alors sa quête : qui est-il vraiment ?

« Vous a-t-on raconté, enfants, l’histoire de ces envahisseurs venus de la mer ? Pirates sauvages, débarquant soudain sur nos plages, par centaines, par milliers. Pillards, qu’il fallut enfermer à jamais derrière les murs d’une antique cité, Néapolis, un nom comme une légende. Néapolis, l’hypothétique, l’improbable, l’imaginaire prison à ciel ouvert… Si je vous disais que Néapolis existe bel et bien depuis des millénaires, qu’elle est en réalité peuplée de paysans, de forgerons, de marchands et de poètes…»
Un homme se réveille, amnésique, dans une chambre d’hôtel. Dehors, des coups de feu. Dans la ville de Néapolis entourée de murs, de checkpoints et de soldats, il mène son enquête à la recherche de sa mémoire et rencontre des hommes, des femmes et des enfants que tout le monde semble avoir oubliés. Une parabole pleine de poésie qui se lit comme un roman policier.

– Néapolis (en grec ancien Νεáπολις / littéralement « cité nouvelle ») est le nom de plusieurs cités antiques de l’empire romain. Il arrivait que certains villages conquis soient totalement rasés pour voir s’élever en lieu et place de nouvelles cités « à la gloire de l’empire ». C’est le cas de la ville de Naplouse en Palestine.

Dans un roman parabole qui se lit comme un polar, découvrez le récit puissant d'une mémoire perdue et de villes en guerre.

EXTRAIT

Me revoilà dans ma chambre. Le temps de me débarrasser de ces habits trop lourds, de les jeter sur le sol, je suis déjà sous la douche… Froide ? Gelée ! Gelée à en crier. Crier, pour me libérer de toute cette frustration. Crier à en perdre la voix. Crier plus fort que ces bruits de balles et d’obus continus là-bas. Crier, en espérant peut-être m’évanouir de rage.
Je sors de la douche, je m’essuie à peine, préférant laisser les dernières gouttes d’eau s’évaporer d’elles-mêmes. J’enfile juste un caleçon, puis je me penche à nouveau sur ce sac, unique trace de mon passé. Je jette un à un les habits sur mon lit. Je regarde les inscriptions sur certains de mes T-shirts : « Puma », « Adidas », « Nike »… Des marques, rien que des marques. Aucune autre indication. Ah ça, ils sont forts pour qu’on se souvienne d’eux en toutes circonstances ! Mais pour filer un coup de main à un pauvre amnésique, il n’y a plus personne.
Tiens, un vieux maillot de football, estampillé « Olympique de Marseille ». Mais oui ! Je me souviens très bien de cette équipe ! Voilà une autre chose que je n’ai pas oubliée. Eh bien, disons que je viens de Marseille ! Sans doute. Probablement. Enfin, peut-être… Ce maillot me donne au moins une information géographique. Je le retourne, sur le dos, un numéro 8, affublé du nom de « WADDLE ».

À PROPOS DE L'AUTEUR

Kaddour Hadadi (HK), né à Roubaix en 1976, est auteur, compositeur, interprète et leader du groupe « HK et les Saltimbanks ». Citoyen du monde et passionné d’écriture, il publie chez Riveneuve trois romans ( J’écris donc j’existe, Néapolis, Le cœur à l’outrage) avant de s’essayer au scénario de BD.

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Couverture

Page de titre

Exergue

« Quoi qu’il arrive nous rêvons

Quoi qu’il arrive nous vivons »

Paul Eluard

PROLOGUE : LA LÉGENDE DU PEUPLE DE LA MER

Vous a-t-on raconté, enfants, l’histoire de ces envahisseurs venus de la mer ? Pirates sauvages, débarquant soudain sur nos plages, par centaines, par milliers. Pillards, qu’il fallut enfermer à jamais derrière les murs d’une antique cité : Néapolis, un nom comme une légende. Néapolis, l’hypothétique, l’improbable, l’imaginaire prison à ciel ouvert…

Si je vous disais que je l’ai vue de mes propres yeux, que j’ai foulé son sol, que j’ai frôlé ses murs. Si je vous disais que j’ai marché le long de ses interminables ruelles, au beau milieu du peuple de la mer, au beau milieu des enfants de Kana’n. Si je vous disais que Néapolis existe bel et bien depuis des millénaires, qu’elle est en réalité peuplée de paysans, de forgerons, de marchands et de poètes ; vous pourriez très bien ne pas me croire.

D’ailleurs, je vous le demande, surtout, ne me croyez pas sur parole. Ne croyez personne sur parole !

Cherchez et trouvez par vous-mêmes cette cité cachée, à quelques lieues à peine des rivages de la mer de l’ouest ; dominée au nord et au sud, par les deux collines sacrées de Kana’n ; recluse derrière d’immenses remparts. Essayez d’y entrer, si vous le pouvez. Et voyez alors ce que vos yeux vous en disent. Restez-y le temps que vous pourrez. Vivez-y autant que vous le pourrez. Et voyez alors ce que votre cœur vous en dit.

Imprimez en vous ces images, gravez ces instants, n’en perdez rien, gardez-les précieusement au plus profond de votre être. Et, je vous en supplie, ne laissez ni les hommes, ni le temps, ni la maladie, les effacer de votre mémoire.

CHAPITRE 1er : AMNÉSIE

« J’ouvre les yeux. Je me vois, allongé sur ce lit, enfoncé sous une couverture en laine. Confus, nauséeux, j’essaie de rassembler mes esprits… En vain. J’essaie de me souvenir de la nuit dernière et de celles d’avant ; d’hier, d’avant-hier, d’avant-avant-hier… Pas de sons, pas d’images. Rien.

Je me lève et me dirige vers la fenêtre. J’ouvre grand les rideaux, et j’en aperçois d’autres à l’horizon, des rideaux de pierre et de fer : un interminable mur qui semble s’étendre sur des dizaines de kilomètres, des barbelés tout autour. Plus près de moi, en contrebas, des maisons anciennes au bord de petites routes. Entre les deux, de vastes champs de terre rouge ; et sur ces champs, d’innombrables rangées d’arbustes, comme autant de lignes vertes. Il fait chaud. Il fait lourd. J’entends au loin comme des bruits de guerre, mais je ne vois rien. Je ne sais pas d’où ça vient, ce n’est pas tout près, c’est sûr, enfin je crois.

Sur la table à l’autre bout de la chambre, il y a mes affaires : un sac d’habits et une veste posée dessus. Je regarde instinctivement dans la veste pour y chercher quelques informations qui pourraient me rafraîchir la mémoire. J’y trouve trois quatre billets et quelques pièces, je me dis ironiquement : « C’est déjà ça ! » Je fouille dans ce sac, passant au crible la moindre chemise, le moindre pantalon, la moindre poche, le moindre caleçon, la moindre paire de chaussettes. Rien.

Là-bas, sur la table de chevet, j’aperçois un collier fait d’une ficelle en cuir noir, avec comme pendentif, une petite pierre violette. Je le mets autour de mon cou. Sur cette commode encore : un cahier et un stylo. Je me saisis du cahier, je l’ouvre. Pages après pages, j’y lis des textes en tout genre, des histoires, des poésies, une vingtaine, peut-être plus. Ça doit être à moi, de moi, forcément, enfin, je pense. Je tourne les pages en essayant de trouver un nom, un indice, un déclic…

Et pendant ce temps, il semble que la guerre continue. Aux sons des échanges de tir, s’ajoutent maintenant celui des sirènes de police ou d’ambulance ou de je-ne-sais-quoi. À l’incompréhension, s’ajoute la confusion. À la confusion, l’angoisse, la peur du vide, le vertige. Les bruits restent lointains, c’est déjà ça. Tenant toujours ce cahier dans mes mains, j’inspecte le reste de la chambre, jusque sous mes draps, sous le lit, dans la salle de bain, les toilettes.

Je ne comprends pas : je devrais au moins avoir des papiers d’identité ou quelque chose comme ça. J’aimerais pouvoir rester calme et méthodique, mais j’entends la panique qui frappe à ma porte. Impatiente, elle frappe et frappe encore. Dans ma tête : le vacarme.

Toc toc toc… Il va bien falloir que je lui ouvre à un moment ou à un autre, que je lui donne quelque chose pour la calmer, des réponses, au moins une :

–Où es-tu ?

–Je n’en sais rien.

–Que fais-tu là ?

–Bonne question.

–Comment es-tu arrivé dans cette chambre ?

–Si quelqu’un pouvait me le dire.

–Qui es-tu ?

–Qui je suis ?

Toc toc toc… J’ai inspecté la chambre dans ses moindres détails, deux fois, trois fois, quatre fois. Mes réponses ne sont pas ici. Elles sont forcément derrière cette porte. Sur cette porte, une clé. Accroché à cette clé, un numéro : 43.

Toc toc toc… Ok ! Ok, je vais t’ouvrir, mais ne me saute pas dessus s’il te plaît, donne-moi encore un peu de temps, je… je vais trouver.

Je tourne cette clé, j’ouvre cette porte, et me voilà dans un long couloir. Dans ce couloir, d’autres portes, alignées de chaque côté. Je tourne à gauche, j’avance. Je vois devant moi une personne qui entre dans ce qui doit être sa chambre.

Je suis donc très certainement dans un hôtel. Au bout du couloir, un escalier que j’emprunte lentement, regardant autour de moi, cherchant encore à me remémorer une image, un détail. Quatre étages plus bas, j’arrive au rez-de-chaussée. Là-bas, il y a quelqu’un à la réception. Il a des réponses pour moi, forcément.

Je me demande comment je dois aborder la chose. Dois-je lui avouer ne plus me souvenir de comment ni pourquoi j’ai atterri ici ? Ou dois-je faire semblant ?

Je ne sais pas, et pourtant je suis déjà face à lui :

–Bonjour Monsieur.

–Bonjour.

–Hmm… Voilà, en fait. Euh…

–Oui ?

–À quel nom ai-je réservé ma chambre ?

–Alors, vous êtes chambre ?

− 43.

–43, Monsieur Daouz !

–Monsieur Daouz ?

–Oui ! Euh… non ! Pardon. En fait, Monsieur Daouz est en 42. Excusez-moi un instant (cherchant sur son registre). Pardonnez-moi, j’arrive tout de suite.

Il disparaît quelques instants derrière une porte. Derrière moi, deux hommes discutent :

–Je n’ai pas dormi de la nuit !

–Trouve-moi quelqu’un ici qui a pu fermer l’œil !

–Quand il y a eu cette grosse explosion à trois heures du matin, je te jure, je pleurais comme une petite fille, et je priais le bon Dieu pour que ça ne nous tombe pas sur la tête !

–Tu es croyant toi maintenant !?

–À trois heures du matin, je l’étais, ça, c’est sûr ! Et d’ailleurs, je le remercie de nous faire rentrer au pays aujourd’hui !

Les deux hommes rient de bon cœur, alors que le jeune réceptionniste réapparaît, la mine dépitée : « Je suis désolé Monsieur, le nom de votre réservation n’est pas noté sur le registre, je ne comprends pas. La personne qui était en poste hier vient de prendre congé. Mais nous allons arranger ça, je vais vous enregistrer à nouveau. À votre nom ou au nom de votre société ? »

Je me dis qu’il vaudrait peut-être mieux que je lui avoue tout. Je laisse d’abord passer les deux hommes qui attendaient derrière moi, puis je reviens vers lui, me collant littéralement au bureau d’accueil. Je lui dis alors à voix basse :

–En fait, je ne sais pas ce qui m’est arrivé cette nuit, mais je ne me souviens plus de rien.

–De rien ?

–Absolument rien. Je me suis réveillé tout à l’heure, sans savoir où j’étais ni même qui j’étais… Je cherche à me souvenir. Je suis sûr que ça va revenir, enfin j’espère. Je pensais que vous pourriez m’aider.

–Ok, d’accord. Je vais regarder (puis, scrutant le registre). Alors, vous êtes donc arrivé hier soir. La chambre est payée pour cinq jours, pour une personne, mais il n’y pas de nom. C’est vraiment étrange. Et je ne vois pas d’autre information.

–Un numéro de téléphone ?

–Non.

–Un numéro de carte de crédit ?

–Vous avez payé en espèces

–Je n’ai pas laissé de papiers, pas de carte d’identité ?

–Non (cherchant encore et toujours dans son registre). Normalement, on devrait avoir toutes ces informations, mais là, rien. Désolé Monsieur… Je vais essayer de joindre mon collègue qui vous a accueilli hier soir. Voulez-vous aussi que j’appelle la police pour leur demander de faire des recherches ?

–Non merci. Ça ira pour l’instant. Je vais… Je vais faire un tour.

Je me dirige vers la sortie quand le jeune homme me rattrape :

–Monsieur ! Vous êtes au courant pour les affrontements ?

–Je les entends comme tout le monde. Mais ce n’est pas tout près, non ?

–Pour l’instant oui. Mais, vous savez, dans ces conditions, ce n’est pas très recommandé pour un étranger de sortir en ville tout seul. En plus, avec votre problème de mémoire… Je crois qu’il vaudrait mieux que vous restiez ici.

–Étranger ?

–Oui ! Vous êtes français.

–Comment ça, je suis français !? Vous m’aviez dit que je n’avais laissé aucun papier d’identité.

–Mais, Monsieur, nous parlons en français depuis tout à l’heure.

–Et vous ? Vous n’êtes pas français ?

–Non Monsieur. Je parle en français avec vous. Je parle en anglais avec nos clients anglais. En espagnol avec…

–Ok. Ça va, j’ai compris. Ainsi donc je suis français !

–Enfin, je crois. Vous pourriez peut-être aussi être belge, ou suisse, ou canadien. Mais dans ce cas, j’aurais reconnu votre accent. C’est comme moi, vous voyez, quand je vous parle, vous devez certainement remarquer que j’ai un accent.

–Maintenant que vous me le dites… (à ce moment-là, encore confus, je ressens le besoin de me confier au jeune réceptionniste). Je ne sais pas vraiment ce que je sais et ce que je ne sais pas. Je découvre tout ça peu à peu, c’est… étrange. Je connais bien tous ces pays dont vous me parlez, et bien d’autres sans aucun doute. Je pourrais tous les situer sur une carte du monde. Je pourrais aussi vous donner le nom de leur capitale : Londres, Paris, Madrid… mais je ne me souviens pas de mon propre prénom, c’est fou ! Les deux hommes là-bas, je sais qu’ils parlent anglais, et je comprends ce qu’ils disent. Je comprends donc l’anglais ; je ne m’en souvenais pas, ou plutôt je ne savais pas que je m’en souvenais. Vous me suivez ?

–Non Monsieur, pas vraiment.

–Pour vous dire les choses simplement, je pourrais répondre à bien des questions sur notre monde, mais sur moi, je ne sais plus rien. Enfin, je crois.

–D’accord Monsieur (un brin circonspect, mais poli).

–Vous voyez par exemple (j’insiste), je ne me souviens plus dans quel pays nous sommes, mais si vous me le rappelez, je saurais tout vous dire sur ce pays, j’en suis sûr !

–Ici, nous sommes dans le pays de Kanaʻn, Monsieur.

–Kanaʻn !? C’est étrange, ça ne me dit absolument rien. Vous êtes sûr !?

–Oh oui, Monsieur (il laisse échapper un léger sourire), tout à fait sûr.

–D’accord. Et la ville ?

–Néapolis, Monsieur !

–Néapolis !? Alors là… Je ne vois pas du tout. C’est étrange tout de même. Et l’hôtel ?

–L’Hôtel du Jasmin, Monsieur.

–Ok. Et…

–Désolé d’insister, Monsieur, mais le mieux serait de faire appeler la police, pour qu’ils vous aident à retrouver votre identité.

–Oui, peut-être, vous avez certainement raison.

–Asseyez-vous à la table là-bas, je vais vous apporter un café et de quoi déjeuner.

–Oh oui ! un café s’il vous plaît ! Avec un sucre.

–Vous aimez donc votre café sucré, Monsieur ! (il sourit à nouveau). Vous voyez, vous n’avez pas tout oublié ! L’odeur du café chaud résiste à tout !

Je crois que ce jeune homme a dû sentir l’étendue de mon désarroi et a voulu par ce petit trait d’humour m’arracher un début de sourire. Je m’exécute sans trop en faire.

Cinq petites minutes ont passé, et le voilà déjà qui m’apporte mon petit-déjeuner, en m’informant des dernières nouvelles :

–J’ai eu au téléphone mon collègue. Il dit très bien se souvenir de vous parce que c’est assez rare que des gens prennent cinq jours de suite et paient en espèces. Il m’a dit que vous étiez seul. Il jure avoir noté vos nom et prénom sur le registre, mais, vraiment, je ne les retrouve nulle part. Je ne comprends pas. Je lui ai demandé de venir dès que possible. J’ai aussi fait appeler le commissaire. Il m’a dit qu’il vous enverrait une équipe dès que la situation le permettra. Vous comprenez, il y a des urgences à traiter en ce moment.

–Ok, ok. Je vais… Je vais remonter dans ma chambre un peu. Je vais me doucher et… Je reviendrai vous voir tout à l’heure. N’hésitez pas à m’appeler quand vous aurez du nouveau.

–Pas de problème, Monsieur. Ne vous inquiétez pas, nous allons vous aider.

CHAPITRE 2 : LE VERTIGE

Me revoilà dans ma chambre. Le temps de me débarrasser de ces habits trop lourds, de les jeter sur le sol, je suis déjà sous la douche… Froide ? Gelée ! Gelée à en crier. Crier, pour me libérer de toute cette frustration. Crier à en perdre la voix. Crier plus fort que ces bruits de balles et d’obus continus là-bas. Crier, en espérant peut-être m’évanouir de rage.

Je sors de la douche, je m’essuie à peine, préférant laisser les dernières gouttes d’eau s’évaporer d’elles-mêmes. J’enfile juste un caleçon, puis je me penche à nouveau sur ce sac, unique trace de mon passé. Je jette un à un les habits sur mon lit. Je regarde les inscriptions sur certains de mes T-shirts : « Puma », « Adidas », « Nike »… Des marques, rien que des marques. Aucune autre indication. Ah ça, ils sont forts pour qu’on se souvienne d’eux en toutes circonstances ! Mais pour filer un coup de main à un pauvre amnésique, il n’y a plus personne.

Tiens, un vieux maillot de football, estampillé « Olympique de Marseille ». Mais oui ! Je me souviens très bien de cette équipe ! Voilà une autre chose que je n’ai pas oubliée. Eh bien, disons que je viens de Marseille ! Sans doute. Probablement. Enfin, peut-être… Ce maillot me donne au moins une information géographique. Je le retourne, sur le dos, un numéro 8, affublé du nom de « WADDLE ». De lui aussi je me souviens : Chris Waddle, joueur talentueux, gaucher, technique, un peu fou sur le terrain, grand, blond, anglais. Je délire un instant en me disant que lui et moi ne faisons peut-être qu’un… Mais me voyant dans le miroir, je constate que je ne suis ni grand, ni blond, et que je n’ai pas exactement la silhouette affûtée d’un joueur de football.

Dans mon élan, je regarde une à une les étiquettes de mes habits, pour deviner leur provenance : Made in China. Made in Bangladesh. Made in Indonesia. Made in Malaysia. Made in Singapore… Aurais-je fait un séjour en Asie !? Ou peut-être sommes-nous en Asie, d’ailleurs. Il faudra que je demande.

Et puis, il y a ce cahier, ces textes, ces poèmes. Je le reprends en main et je m’allonge sur mon lit. Un peu de poésie, ça n’a jamais fait de mal à personne ! Je me dis que forcément, une partie de la réponse y figure, cachée au beau milieu d’une strophe, perdue au pied d’un vers. Par réflexe, j’ouvre le cahier à la dernière page remplie. Le dernier texte écrit, le plus proche de cette chambre d’hôtel.

Le vertige

Du haut de mon silence

Je vois cet enfant plein de vie

Son sourire est plein d’espérance

Mais je ne vois pas la sortie

Je ne vois que ce mur

Qui se dresse dans son dos

Je lui rêve un autre futur

Je lui rêve un autre bientôt

Par pudeur ou par prudence

Je fais semblant, et je souris

Mes yeux cachent mal mon impuissance

Ils se perdent dans le vide

Derrière ce mur et ces barrages

Dans sa prison à ciel ouvert

Vous ne verrez jamais son visage

Vous ne verrez jamais ses yeux verts

Ce monde me donne le vertige

Par-dessus la rambarde

Un immense palais devant moi

Je vois ces grillages et ces gardes

Qui protègent les biens des rois

De l’autre côté de la rue

Face aux jardins verts et paisibles

Un mur, pour soulager leur vue

Dissimule des bidonvilles

Un peuple se soulève

Mais face à lui, les barricades

Et la révolte s’achève

Quand des corps tombent sur l’asphalte

Entendez-vous ces balles qui fusent

Semblant annoncer le chaos

Voyez-vous ces blindés qui s’amusent

À nous voir tous tomber de haut

Ce monde me donne le vertige

Du haut de ma colline

Je vois des hommes qui s’affolent

Je vois des soldats qui s’alignent

Je vois mes rêves qui s’envolent

Du haut de ma montagne

Le bruit des armes en moi résonne

Je vois la folie qui nous gagne

Je vois le monde qui tourbillonne

La spirale m’entraîne

J’ai peur du vide et je tombe

Je ne voulais pas de ces chaînes

Qui me relient à ce monde

Je me vois entrer dans la ronde

Interminable farandole

Mon amertume est profonde

J’aimerais tant retrouver le sol

Ce monde me donne le vertige

Touchant. Je trouve ce texte vraiment touchant. Je ne sais pas si j’en suis l’auteur, j’espère que non. Cet homme qui regarde le monde, spectateur impuissant et résigné, ce n’est pas moi. Enfin, je ne crois pas.

En même temps (je me lève du lit et me dirige vers la fenêtre), se retrouver dans cette chambre, avec vue sur la guerre ; avoir ce mur et ces chars là-bas, pour seul horizon, je peux comprendre que ça donne… le vertige. Ce texte, il l’a certainement écrit ici ! Ou pas loin. Ce gosse, ce mur derrière lui, c’est ce mur, là-bas ! Ce texte, il l’a peut-être écrit, hier soir en arrivant dans cette chambre.

Je parcours du bout des doigts les lignes du poème, comme si je pouvais encore y deviner de l’encre fraîche. Et voilà que l’amnésie s’accompagne soudain d’un brin de schizophrénie où je commence à dialoguer avec moi-même :

–Il l’a écrit ?

–Oui, lui ou un autre peut-être.

–Lui ? Mais, c’est qui lui ?

–Lui, c’est toi. Enfin, moi. C’est nous quoi !

Mais pas le nous d’aujourd’hui. Le nous d’hier.

–Ah, ok. Donc, on n’est pas deux en fait. On est trois.

–Exact !

–Et il est où, le nous d’hier ?

–C’est bien ça le problème. Il faut qu’on le retrouve.

–Ouh là doucement ! Si tu veux mon avis, et je crois que mon avis compte pour moitié : moi, le nous d’hier, je m’en fiche ! Il nous a plantés là en rase campagne, dans un pays en guerre, à la merci des balles perdues, sans rien nous laisser d’autre qu’un pauvre maillot de football, et un cahier de pseudo-poésie ! Personnellement, je pense qu’un gilet pare-balles nous aurait été d’une bien plus grande utilité.

–Ok, ok, ça va. J’ai compris. Je n’ai pas besoin de toi de toute façon. Je vais m’occuper de le retrouver tout seul.

–Pfft… Je ne te retiens pas, vas-y ! Tu me raconteras.

Quoi qu’en dise l’autre rabat-joie, j’entrevois une première lueur, un peu d’excitation même. Il y a dix minutes, sous cette douche gelée à l’extrême, j’étais comme un gars en panne sèche au bord d’une route déserte. Je savais qu’en restant là, je finirais par me déshydrater au soleil. Et là, je viens de trouver quoi au fond du coffre de ma vieille caisse !? Un petit litre de gasoil dans une vieille bouteille d’eau ; de quoi pouvoir redémarrer ; de quoi pouvoir faire quelques kilomètres ; de quoi aller jusqu’au pied de ce mur, là-bas.

Je n’oublie pas ce que m’a dit le réceptionniste : en tant que « ressortissant étranger », je ne devrais pas m’aventurer hors de l’hôtel. Mais c’est évident, il va falloir que j’y aille. Et peut-être, qui sait, je pourrais y retrouver le gosse du poème, cet enfant aux « yeux verts ».

CHAPITRE 3 : CRAZY FRENCH GUY

J’enfile mon beau maillot de l’Olympique de Marseille et un bermuda ; j’embarque le cahier, le stylo, ainsi que les quelques billets qui traînaient dans mon sac, et je quitte ma chambre d’un pas décidé. Je dévale les escaliers quatre à quatre. Arrivé devant la réception, je donne la clé de ma chambre au jeune homme, échangeant avec lui quelques mots d’usage :

–Pas de nouvelles ?

–Et non, pas encore.

–(me dirigeant vers la sortie) Je vais prendre l’air juste là, aux alentours de l’hôtel.

–Pas de problème Monsieur. Mais ne vous éloignez pas trop quand même.

–Comptez sur moi, je n’ai pas l’âme aventurière. À tout de suite.

Mensonge. Je m’en vais bien là-bas au pied du mur, enfin, si j’y arrive ! Me voilà devant l’hôtel, inutile de trop gamberger. Je vais marcher en direction du mur, et au premier taxi que je croiserai, je lui demanderai de m’y amener.

L’avenue est large, l’avenue est calme. Il fait chaud, les voitures sont rares. Cela fait bien 15 minutes que je marche, et toujours pas le moindre taxi à l’horizon. Je commence alors à lever le pouce pour me faire prendre en stop par la première bonne âme venue.

Bien vu ! une vieille Mercedes noire s’arrête devant moi. À son volant, un homme d’une cinquantaine d’années, plutôt bien portant comme on dit : moustachu, chauve, chemise à carreaux. Il baisse sa vitre et semble me demander où je veux aller. Bon, je peux vous dire qu’il ne parle ni français, ni anglais. Je ne comprends absolument rien à son dialecte. Je lui pointe le mur. Je ne sais pas s’il a compris, mais il me fait signe de monter vite dans la voiture. Nous voilà partis.

La Merco démarre. Une bombe explose là-bas, quelque part aux alentours du mur. S’ensuit une secousse soudaine. La terre tremble, la terre gronde. Elle nous balance de gauche à droite, de droite à gauche, dans cette voiture qui a bien du mal à tenir sur ses quatre roues.

C’est déjà fini, le grondement s’en est allé plus loin. Le Monsieur au volant me regarde comme pour s’assurer que tout va bien, puis il pousse un cri de soulagement accompagné de grands mouvements de la main. Il semble me dire dans un large sourire : « Waouh, tu as vu ça !? », comme si on sortait d’un simple tour de manège à sensations. J’ai le sentiment qu’il a l’habitude de ce cirque guerrier, que ça fait partie de son décor, de son contexte. D’ailleurs, il reprend la route tranquillement, en continuant à sourire. Il veut me parler, mais je ne comprends rien à ce qu’il essaie de me dire. Il s’essaie en anglais :

–Speak english ? (vous parlez anglais ?)

–Yes, a little. (oui, un peu)

–Where do you come from ? (d’où venez-vous ?)

–France.

–Ah ! La France, Parisse…

–Oui !

–And where do want to go ? (et où voulez-vous aller ?)

–I would like to go and see the Wall. (je voudrais aller voir le mur)

–Wh… what ? (quoi ?)

–I want to go and see the Wall. (je veux aller voir le mur)

–Why ? Bombs are falling over there ! It’s not a good idea ! (pourquoi ? Vous savez qu’il y a les bombardements là-bas ! Ce n’est pas une bonne idée !)

Je commence à lui expliquer dans un anglais maladroit que je dois retrouver un enfant habitant là-bas, quelque part au pied du mur. Il continue à me dire que c’est n’importe quoi, que je ne devrais surtout pas y aller. Ne sachant plus quel mensonge inventer, je lui raconte une histoire des plus saugrenues : je sors ce collier autour de mon cou, et je lui dis que j’ai fait la promesse de le ramener à cet enfant. Il me répond aussitôt :

–You want to go to the camp ? (vous voulez aller au camp ?)

–The camp ? (le camp ?)

–Yes, the camp ! (oui, le camp !)

–What is the camp ? (c’est quoi, le camp ?)

–French guy, you are crazy ! Very crazy. (le Français, vous êtes fou ! Totalement fou.)

Ne comprenant pas, je reprends ma question.

–What is the camp ? (c’est quoi, le camp ?)