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Nicole, jeune auteure en manque d’inspiration, part rejoindre l’équipe éditoriale d’un grand journal londonien. Lors de l’inauguration d’un nightclub huppé de South Kensington, la Française rencontre Jason, chanteur de funk britannique à la célébrité planétaire, et l’unique ambition de la jeune femme sera dès lors de posséder le corps de l’artiste. Nicole est prête à tout pour le sentir vibrer sous ses doigts et cette obsession charnelle fait aussitôt dérailler sa calme existence vers les abîmes de l’addiction où se mêlent sexe, drogues et homicides.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Née en 1980 dans la Drôme, de parents musiciens,
Linda B. rencontre ses premières envies d’écriture à l’université, grâce au romancier américain Paul Auster. Son Master Lettres & Langues en poche, elle devient pigiste au Progrès de Lyon, puis part vivre plusieurs années au Royaume-Uni.
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Seitenzahl: 245
Veröffentlichungsjahr: 2025
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« La fascination est opérée ; la volonté est domptée ;
le souvenir de la jouissance exercera son éternelle tyrannie. »
Confessions d’un mangeur d’opium, Thomas De Quincey.
Traduit de l’anglais par Charles Baudelaire.
Ce livre est une idée de ma psy.
— Pourquoi ne pas tout écrire noir sur blanc ? me proposa-t-elle à peine avais-je franchi la porte de son bureau (comme je le faisais deux fois par semaine depuis mon arrivée à la clinique, il y avait six mois déjà). Ce serait finalement le seul moyen de tout raconter sans avoir à prononcer un mot. Coucher cette histoire sur le papier serait un excellent moyen de vous en sevrer.
Cette solution me séduisit d’emblée. Étrange d’ailleurs de ne pas y avoir pensé avant. Mais bon, il faut dire pour ma défense que je n’étais plus tout à fait moi-même à cette période… Elle poursuivit.
— Comme vous ne me dites jamais rien, je ne peux pas vous aider. Écrire vous permettrait ainsi de garder vos distances avec cet épisode de votre vie si insupportable qu’il lui est impossible de franchir vos lèvres et reste dans votre tête à vous ronger de l’intérieur. Et puis en l’écrivant, vous n'aurez pas à l’entendre. D’ailleurs, vous n’aurez pas même à le revivre. Ce sera « elle » et non « je » qui tiendra le devant de l'action. Et cette « elle » ne portera pas votre véritable nom. Elle sera vous tout en étant une autre, derrière laquelle vous pourrez vous cacher en toute sécurité. Vous ne serez pas placée en première ligne. Vous garderez ce précieux recul qui protège. Laissez couler les faits avec l’encre, laissez-les se répandre sur la feuille et appliquez-vous à vous en délivrer.
Sans attendre la fin de notre séance, je lui demandai un bloc de papier, embarquai un stylo Bic posé sur son sous-main et filai illico dans ma chambre pour y raconter silencieusement les faits.
Par quoi commencer ? Peut-être quelque chose comme : « J’ai causé la mort de quatre hommes, dont un à deux reprises, mais celui-là s’en est finalement sorti. » Non, trop confus. Et puis le « je » ne doit pas figurer là-dedans, c’est « elle » qui parle… Se protéger en gardant mes distances et tout faire sortir. Très bien, alors autant reprendre cette maudite histoire depuis le début…
Elle eut envie de lui dans la seconde, sans l'avoir vu vraiment, juste en le croisant, en le voyant passer du coin de l'œil lorsqu'il l'avait frôlée et que son incroyable odeur s'était emparée d'elle. Nicole voulait sans cesse le voir, l'entendre, le toucher, mais pas comme un potentiel amant. Cette attirance relevait plutôt de la fascination ressentie face à une œuvre d'art d'exception, face à une création à contempler qui serait parvenue à la captiver tout entière.
Son existence commençait tout juste à décoller lorsqu'elle avait sombré dans cette totale dépendance. Son premier livre (édité l'année précédente par une micro-maison d'édition lyonnaise) connaissait un petit succès dont elle était à la fois heureuse et fière. Toutefois, souffrant d'un manque d'inspiration persistant, elle avait laissé l'écriture de son second roman à plus tard et était partie s'installer au cœur du quartier de Brixton, ayant décroché par miracle un poste de pigiste dans un grand hebdomadaire de la capitale british.
Cela faisait un mois qu'elle travaillait là-bas, au sein du service culturel, lorsque son rédacteur en chef, Mister Albert Jackson, lui avait demandé de venir couvrir en sa compagnie l’ouverture d'un nightclub hyper select au sud de l'Inner-City. Nicole appréciait beaucoup son rédac. Il avait la langue bien pendue et adorait vanter les exploits de son élite éditoriale, partant dans le récit d’aventures loufoques, pleines d’humour et de rebondissements (plus ou moins véridiques) qui lui garantissait, par son talent de narrateur, l’attention tant convoitée de sa jeune employée.
Nicole avait bien compris que ses talents de reporter étaient loin d’être l’unique raison de sa présence à l’inauguration du nightclub. Pourtant, malgré une cinquantaine bien sonnée à l'empâtement débordant et à la calvitie dévorante, son supérieur serait sans doute parvenu à ses fins si Jason n’avait pas été ce soir-là l’invité d'honneur des festivités. Mais comment réussir à faire le poids face à une star ? Pas juste un beau garçon au sourire ravageur, mais un chanteur connu de par le monde pour sa musique funky et ses chorégraphies endiablées.
C'était le tout début des années 2000 : le monde entier était toujours sous le choc du onze septembre ; Amy Winehouse était clean, elle n'avait pas encore rencontré son Blake ; la toile du web était loin de s’étendre encore à tous les foyers ; la folie des réseaux sociaux ne commencerait pas avant quelques années ; et l'on voyait tout juste pousser dans nos poches les tout premiers portables, ayant alors pour seule fonction de faciliter nos communications itinérantes, sans appareil photo ni GPS ou appli météo. Et c'était donc ainsi, en l'absence de smartphones, dans cette époque antérieure à toute connexion sans fil, que Nicole, escortée par Mister Jackson (enfin Al, comme il insistait être appelé), pénétra dans le club le plus branché, le plus huppé, le plus en vue du moment chez les VIP. The Place To Be 2002.
Les notes hurlées de A Little Less Conversation leur agrippèrent les tympans dès le hall d’entrée. Ce titre, que l’on entendait partout depuis le début de l’été, était le très efficace remix d’une chansonnette piochée dans l’un des derniers navets hollywoodiens du King. Elvis Presley, le plus lucratif des chanteurs disparus, l’indétrônable légende, remplissait encore et toujours les tiroirs-caisses de l’industrie musicale avec ce mégahit planétaire.
Des basses mises en avant dans une explosion de décibels et toujours cette même pénombre nécessaire pour que surgissent de nulle part les flashs des lumières stroboscopiques, pour que viennent scintiller sur ces murs voilés de noir les reflets des facettes de l’énorme boule argentée tournant en rond au plafond, et pour transformer chaque porteur de jaune ou de blanc en élégant spectre phosphorescent sous les feux de la froide lumière noire des néons. Bref, la pénombre idéale pour assouvir nos envies de danse, de proximité, de drague, de drogue et d’alcool, sans la gêne ni la retenue qu’aurait provoquées en nous la blancheur d’une lumière plus crue.
En cette soirée d’inauguration, l’établissement baignait toutefois dans une atmosphère plutôt lumineuse, bien que tamisée. Un petit espace habillé d’une toile de fond recouverte par les sponsors de l’événement et éclairé par son propre spot rose avait même été installé en retrait du chemin menant aux pistes. Entourés de confrères de la presse nationale, ainsi que de quelques rares représentants de titres européens, Nicole et Al passèrent ici toute la première partie de soirée, la presse ayant été invitée à se présenter quelques heures avant les célébrités.
Nicole n’avait jamais été attirée par cet univers noctambule. Elle lui préférait de loin des soirées tranquilles entre amies ou un resto avec son amoureux du moment. La Française ne se sentait pas à sa place au milieu de ces footeux à paillettes, de ces mannequins escortées de riches clubbers et de toutes ces starlettes de la télévision british dont elle n’avait même jamais entendu parler auparavant.
Al, lui, était sur le coup. Entouré par tout ce beau monde, il nageait dans son élément. Aussi, les impressions et commentaires de plus d’une dizaine de personnalités venaient d’ores et déjà d’être recueillis devant le mur sponsorisé (avec Nicole promue photographe pour l’occasion) lorsque ce fut au tour de Jason de prendre place au plus près du spot rose.
L’essor aérien d’un corps athlétique lui effleura l’épaule et Nicole se retrouva enveloppée dans le sillon d’un parfum grisant. Elle fut ensuite confrontée à un visage et, sans exagération aucune, en tomba la bouche ouverte en pâmoison. Ce garçon possédait le même immense sourire plissant que Haru Glory, personnage sur lequel elle fantasmait depuis la parution française, le mois dernier, du premier opus de Rave, un manga du japonais Hiro Mashima… Oui, c’était cela : Jason ne ressemblait à personne de réel. Il avait tout d’un personnage inventé, d’un fantasme dessiné qui se serait comme par miracle animé sous ses yeux.
Il avait cette sophistication veloutée du parfait coq de club huppé. Chaussures et costume noirs, chemise et Fédora violets. Une élégance mi-rétro mi-branchée avec en prime, pour la petite touche star de la pop, de larges verres teintés lui voilant le regard d’une mystérieuse ombre améthyste. Sa peau satinée au joli teint hâlé faisait ressortir l’harmonieuse complexion de ce visage dont Nicole ne parvenait déjà plus à se défaire. Un parfait nez aquilin, de hautes pommettes, le merveilleux sillon des joues et la douce courbure du menton sculptaient ce fabuleux diamant de faciès, dont l'ultime éclat reposait sur une lèvre inférieure joliment ourlée. Lèvre contraignant Nicole à déployer une énergie folle afin de réfréner l'irrésistible envie de l'embrasser sur-le-champ.
Elle comprit pourtant très vite que son intention n’était pas de séduire Jason et moins encore d’en conquérir le cœur. Non, elle adorait son corps et la manière dont il l’occupait, mais elle ne l’aimait pas, en tout cas pas de manière romantique. Néanmoins, Nicole ne se contenterait pas d’une simple nuit d’amour. Son but serait de posséder cet homme. Que son existence même en arrive à ne dépendre que d’elle et elle seule. À partir de cet instant, son unique ambition serait de détenir un contrôle absolu sur cette fascinante beauté, jusqu’à en être rassasiée. Faire son acquisition, en posséder tous les droits, en devenir l’exclusive actionnaire, de telle sorte que ce corps soit mis à sa disposition, qu’il soit en intégralité soumis à sa passion le temps de son assouvissement.
Elle n’avait pas fait attention à la première question posée par Al à l’artiste, mais cela avait dû être quelque chose comme : « Heureux d’être présent à cette grande inauguration ? », parce que la réponse du chanteur fut : « Ouais ! C’est le pied ! Toutes les plus belles meufs de Londres sont là ! » L’incroyable aura de l’artiste avait peut-être le don d’excuser ses lourdeurs, car avec ces propos des plus pathétiques, la voix de Jason scotcha Nicole sur place, et elle ne se sentit ni gênée ni confuse, mais encore un peu plus titillée par le langoureux regard insistant qu’il avait alors posé sur elle tout en parlant. Impossible de se concentrer sur autre chose que le mouvement de ses mains, l'expression de son visage ou la position de sa langue dans sa bouche entrouverte. Et puis, le fait d’être anglais n'arrangeait en rien les affaires de la demoiselle. Parce que, voyez-vous, Nicole n'avait jamais su résister au charme britannique. Aussi, l'accent sud londonien du garçon avait achevé de la faire défaillir.
Son être se disloqua et un profond changement s’opéra en elle, la transformant alors en une entité pouvant être apparentée à une sangsue du sensible, une créature avide des phéromones propres à ce charmant dandy. Il devenait sa proie, celui que son regard ne lâcherait plus, celui sur lequel son nouvel et surpuissant instinct charnel avait verrouillé le désir. Elle se trouvait soudain dénuée d'autre intérêt, d'autre but à atteindre, d'autre ambition, d'autre rêve, d'autre passion, que cet homme. Il occuperait chaque instant qu’elle vivrait. Son corps n'aspirerait plus qu'à le respirer, le sentir, le caresser, le saisir, le goûter, s'en gorger et pouvoir enfin savourer cet intense délice empreint de gourmandise et de férocité dont l’impatiente promesse s’était dès lors posée sur ses lèvres. Nicole vivait une révélation, une véritable épiphanie : devant ses yeux l’essence même du beau venait soudain d’apparaître.
Même s’il l'avait regardée, lui ne l’avait pas vraiment vue avant de l'entendre. Comme Nicole avec l'accent anglais de Jason, de toute évidence son accent de petite frenchie avait fait son effet sur la star. Il déclara trouver cette manière de parler « very cute », de la même façon qu'il aurait sans doute trouvé mignons les jappements émis par un petit bichon passant près de lui. Puis ses yeux avaient trouvé la source de ces sons et s'étaient posés sur elle.
Nicole était très grande, elle dépassait le mètre quatre-vingt. Physiquement, on la comparait autant à l’actrice Katie Holmes (qui occupait alors tous les écrans avec son rôle de Joey Potter dans la série Dawson’s Creek) qu'à la version juvénile de l’éternel leader des Rolling Stones, Mick Jagger. Une androgyne angélique aux longs cheveux et cils châtains, au regard d'amande verte, aux saillantes pommettes, au nez court et à l'immense bouche enserrée dans une large mâchoire carrée. Une beauté simple aux dimensions plus élevées que la moyenne. Elle allait bientôt avoir vingt-sept ans, c’est-à-dire à peine quelques années de moins que lui et pourtant déjà beaucoup trop âgée pour les critères de chasse habituels du garçon. Mais, ce soir-là, ce fut bel et bien avec Nicole que Jason quitta la fête.
Une fois dehors il l’abandonna soudain en lui demandant de l’attendre, puis fila à nouveau dans le club un très long moment, la laissant là comme une pauvre poire devant le perron…Pourquoi l’avait-elle attendu au lieu de partir pendant qu’elle le pouvait encore ? Pourquoi ne pas avoir déguerpi avant que cette féroce ivresse sensuelle n'ait eu la chance de s'accrocher pour de bon à sa bouche en y déposant sa délicieuse et indélébile empreinte ? Eh bien, parce qu’elle n’avait pas su reprendre ses esprits et réagir. Parce qu’elle n’avait pas eu ce petit sursaut de lucidité qui lui aurait permis de fuir avant que ce toxique béguin ne finisse par la détruire.
Elle avait attendu sur ce trottoir, pile sous les lettres en néon rouge au halo nébuleux. Elle n'avait pas bougé d'un iota jusqu’à la réapparition de son fantasme dans un épais brouillard de fumée blanche. Le chanteur plaqua le creux de sa main sur la pointe du coude replié de Nicole, puis de ses doigts saisit le bras de cette énième conquête d’un soir. Emboîtant le pas de son idole, elle se laissa ainsi conduire vers l'assouvissement de cette si soudaine et brûlante attraction, lorsqu’elle fut parcourue d'un frisson de bien-être cotonneux, qui lui flanqua la chair de poule et projeta son esprit dans les nuages.
La jeune femme comprit alors que tout était perdu, qu'elle n’aurait plus aucune maîtrise sur rien. Dorénavant, seuls les plaisirs découlant de sa passion pour le corps de cet homme dirigeraient son existence. Ces besoins charnels allaient soumettre sa raison à une résignation à la fois apathique et éclatante, qui démolirait peu à peu toute sa force de volonté, qui conduirait à la fin de son libre arbitre avant d’atteindre son inévitable mort intellectuelle. Son être allait être empoisonné par une ivresse d’abord lucide puis euphorique et il n'y aurait rien à faire pour la sauver.
À quoi aurait bien pu ressembler cette histoire si mes satanées jambes avaient bien voulu déguerpir ? Impossible de le savoir… J’aurais sans doute regretté de ne pas être restée, broyant du noir seule dans mon lit, en me maudissant de n’avoir pas osé profiter un peu de la vie. Et j’aurais tout tenté pour le revoir, mais sans succès. Une chance comme celle-là ne se présente jamais deux fois. Jason m’aurait rayée de la liste de ses potentielles conquêtes, il ne m’aurait plus jamais envisagée dans ses bras…
Mais peu importe les terribles tourments qui auraient pu prendre place dans mon esprit pendant un temps. Si je n’étais pas restée à attendre Jason ce soir-là, il est certain que quelques hommes auraient eu la vie sauve.
Ils arrivèrent dans une des chambres de l’hôtel d’à côté. Enfin, plutôt dans la plus grande suite d’un des plus prestigieux palaces de Londres. Mais quelle importance où ils se trouvaient quand Nicole savait qu’elle pourrait bientôt non voir, mais aussi toucher cet incroyable corps !
Soudain pris d'une faim de loup, Jason se jeta sur le téléphone afin de dicter son menu au room-service… Pendant ce temps, la Française se tenait debout sur la moquette écarlate au seuil de la chambre à coucher. Les paupières baissées, elle écoutait sa voix. Après le club, après la rue, la merveilleuse voix du chanteur était, dans ce refuge silencieux, la seule à se faire entendre. Il s’agissait d’une voix claire et douce, tout en étant puissante. Une voix de ténor pop au timbre chaud, pouvant déraillée en un coup de glotte vers le plus brut des accents cockneys. Une voix de professionnel de l’émission de sons et, plus pour être plus précis, de l’émission de sons funk. Il s’agissait de la voix la plus sensuelle entendue à ce jour par la jeune femme.
Toujours sans image de la scène, mais captivée par les mots résonnant dans ses oreilles, Nicole sursauta lorsque, juste avant de raccrocher, le chanteur lui demanda sa commande. Elle ne s’attendait pas à voir ses potentielles envies incluses avec celles de la star. Et puis, comme de toute façon elle n’avait envie que de lui, sa réponse fut : « Juste un peu d’eau, merci. » On fit monter une bouteille d’Evian pour elle, une de vodka pour lui, ainsi qu’un Fish n‘chips qui ne fut jamais mangé et empesta la chambre d’une écœurante odeur de graillon de luxe. Sa boisson à peine déposée, le chanteur enchaîna trois shots, puis se déshabilla en s’approchant de Nicole et, en moins de trois pas, arriva près d’elle nu. Incontrôlables, les mains de la Française se ruèrent sur cet exquis spécimen de corps masculin.
Ce premier contact, trop précipité, s’avéra plutôt décevant. De navrantes caresses, de fébriles baisers, ne contenant aucune des merveilleuses sensations que Nicole avait imaginé ressentir en les exécutant. Elle devait se ressaisir avant de perdre tout contrôle. Elle décida alors de juste se concentrer sur le contact de sa bouche avec la peau du garçon. Ses lèvres et sa langue rencontrèrent l’humidité d’un épiderme saturé d’une surprenante amertume. Mais, loin de s’en détourner, la demoiselle prit vite goût à la saveur de cette sueur poivrée. Elle s’en gorgea avec délice dans une avalanche de baisers, partant des lèvres du chanteur puis déviant sur ses joues, sur son cou et s’arrêtant net à ses épaules lorsqu’il la fit tomber sur le lit, étant pour sa part occupé à la découverte de son corps à elle.
Jason se montra être un amant charmant et attentionné, mais sans perdre de temps en préliminaires inutiles. Cela ne dérangea Nicole en aucune façon, puisque son moment favori de la nuit fut celui où, la petite mort résultant de leurs ébats, combinés aux impressionnantes doses de narcotique et d'alcool ingérées par le chanteur, parvinrent enfin à le mettre K.O., le privant pour un temps de l'incroyable énergie qui ne le quittait sinon jamais. Et lorsqu’il fut allongé comme cela, un sourire satisfait sur le visage, Nicole put enfin assouvir ses propres envies.
Quel bonheur de le savoir à sa merci durant cette séance de bécotages post-coïtale et semi-inconsciente ! La boutique des douceurs était ouverte, alors pourquoi s’en serait-elle privée ? Cette sculpture d’art concret lui appartenait, ce chef d’œuvre du charnel était tout à elle et rien qu’à elle. Dans cette chambre, la star ne lui faisait pas l’exclusivité d’un concert, mais lui proposait son corps en exploration.
Elle enfouit d’abord sa tête sous le menton du chanteur, puis appuya son nez dans le creux de son cou, juste entre l'oreille et la nuque. Elle s’emplit ensuite les narines de ses incroyables phéromones. Elle embrassa ses épaules, son torse, puis poursuivit par celui dont elle avait jusque-là été privée et qui la rendait déjà folle : son ventre. Un ventre parfaitement sculpté afin de maintenir l’artiste dans un constant équilibre de glisse, que ce soit sur un skate ou sur le flow de sa musique… Quelle beauté ! Quel délice ! Elle enchaîna par ses mains longilignes qu’il savait manier avec l’élégance et la sensualité d’un fabuleux dandy. Après, il n’y eut plus d’ordre à suivre, tout y passa : son cou, ses bras et encore son ventre, ses joues, ses tempes, son nez et bien sûr ses lèvres… Il dormait, mais parfois, dans son sommeil, il lui rendait ses baisers.
La dégustation se prolongea jusque tard dans la nuit. Nicole se resservit souvent et avec gourmandise jusqu’à l’instant où, une fois rassasiée, une incroyable jouissance hérissa tout son corps d’un onctueux frisson. La joue posée sur la roche chaude et polie d’un abdomen endormi, mais encore humide, elle se sentit partir dans un trip poétique qui la laissa kiffer à volonté dans les bras d'une béatitude des plus glorieuses.
Nicole planait, transportée par un souffle qui dans son esprit n’avait plus rien d’humain. Un souffle tantôt marin, tantôt aérien qui la berçait au rythme d’une paisible cadence. Fin prêtes à reprendre leurs fonctions d'exploratrices en chef, ses mains se mirent à courir sur un carré de gazon couvert de rosée, puis gravirent une bonne dizaine de petites collines avant de s’attaquer à l’ascension de côtes lisses et escarpées. Côtes au cœur desquelles l’on percevait l’incessant parcours d’un courant. Un courant doté d’une force de vie telle que l’intégralité de son lit s’en trouvait sans cesse secoué de pulsations vigoureuses et rapprochées.
Un vent se leva, fouettant le visage de l’aventurière. Un vent si violent et si fort qu’il en devenait sonore. Impossible de voyager face à lui, Nicole devait se résoudre à changer de cap et lui tourner le dos. Elle pivota avec douceur la tête et ses cheveux furent les premiers à s’envoler. S’ensuivirent son crâne, son cou, ses épaules puis son dos, et bientôt tout son corps se laissa porter par de hurlantes bourrasques. Nicole volait dans leur flux, mais les rafales, d’une rare violence, accompagnaient son ascension de nombreuses turbulences. À cet instant, la jeune femme comprit qu’elle n'avait pas à subir tout cela. C’était elle en ce pays qui faisait la loi. Elle n'était pas ici une simple exploratrice, elle jouait surtout le rôle d’impératrice. Sultane en son palais, prêtresse en son temple, toute-puissante déesse, amazone, conquérante, ou bien souveraine régnant sur son domaine en unique gouvernante. La reine devait reprendre les choses en main, dompter cette tempête et en sonner la fin. Elle atteint la source de ce souffle, le fit dévier sa course, et reprit ainsi sa position d’astre unique dans la douce volupté de son univers chimérique.
Arrivée au crépuscule de son extase, Nicole accosta puis déposa de sa bouche son sceau sur le cuir de son sol. Juste après cela, comme l’avait fait un peu plus tôt la tour sud du plus torride de ses continents, Nicole tomba de fatigue. Elle ne voulait plus de couronne, elle ne souhaitait plus gouverner ce monde de beauté. Rien ni personne ne lui avait jusque-là procuré des sensations d’une telle intensité, mais pour l'heure elle était comblée. Elle s’était bien assez enivrée de sa splendeur, elle n’avait plus besoin de lui. Satisfaite, elle s’endormit.
Le téléphone de la chambre la réveilla. Au bout du fil, une voix féminine l'informait qu'il était près de dix heures et qu'elle devrait avoir l’obligeance de bien vouloir libérer les lieux au plus vite si elle ne désirait pas rester au sein de l’établissement an extra night… Nicole émergea au ralenti, l'esprit empêtré dans une brume intrusive lui brouillant chaque tentative de raisonnement. Elle se racla la gorge, afin de rassembler plus ou moins ses idées, puis bredouilla d'une petite voix endormie qu’elle ne comptait pas rester une nuit de plus et que la chambre serait bientôt libérée.
Jason n’était plus là. Elle l’avait vaguement entendu se lever dans la nuit, ou dans la matinée. Elle inhala l’odeur laissée au creux de l’oreiller voisin et fut aussitôt propulsée dans l’état d’extase bienheureuse de la veille, avec en prime un petit supplément de quiétude dû à son demi-sommeil du moment. Malgré tout, Nicole fut soulagée de ne pas trouver le chanteur auprès d’elle à son réveil. Elle ressentait même la merveilleuse impression d’en être guérie, de ne plus jamais avoir à le revoir.Elle profita des cinq dernières minutes à passer dans cette fabuleuse suite, dont elle était désormais à même d’apprécier tout le luxe et le prestige. Puis la Française quitta l’établissement en reine, escortée par une délicieuse euphorie engourdissante, transformant son parcours jusque chez elle en un merveilleux sentier débordant de vie.
Le monde extérieur dans son ensemble semblait en effet jouir, ce jour-là, d'un trop-plein d’énergie. Tout vivait plus fort et avec plus d’intensité qu'à l'accoutumée : à Saint James Park, le chant des oiseaux était plus sonore et plus mélodieux ; les tons changeants de l'automne dans la végétation arboraient des couleurs plus riches et plus précieuses que la veille ; le ballet de la circulation routière défilait avec une incroyable fluidité et à un rythme joyeux ; de Victoria à Brixton, le métro aussi portait dans sa déambulation une vibration plus vigoureuse ; et même la réunion d'une dizaine de mouettes se battant avec férocité autour d'un tas d'ordures avait quelque chose d’à la fois élégant et fascinant à voir. Nicole avait l'impression de découvrir le monde au travers du regard d'une enfant, ou celui d'une extra-terrestre venant tout juste de poser le pied sur notre planète.
Cet état d'émerveillement naïf la poursuivit jusque chez elle. Puis, son esprit s’embruma peu à peu et Nicole décida de s’allonger un peu… À son réveil, un quart d’heure plus tard, une torpeur écrasante avait effacé en elle la plus infime trace d’allégresse. Son crâne lui faisait mal, son estomac se tordait de crampes abominables, et il y avait aussi ce goût de bile lui remontant bien trop souvent à la bouche. Elle éprouvait soudain un terrible manque, affaiblissant son corps et paralysant sa raison.
La cause de son affliction n'avait rien de mystérieux. Il s'agissait d'un besoin vital de posséder Jason. Un besoin encore plus intense et violent que sa folle pulsion de la nuit passée. Et, comme le jeune Proust aux émois bouillonnants, fou d’impatience d’enfin posséder l’objet de son désir du moment, pour Nicole l’attente d’un plaisir, qu’elle avait désormais la certitude d’atteindre dans les bras de Jason, fractionnait la fluidité de son temps en tranches aussi menues que ne l’aurait fait l’angoisse.
Elle mourrait d’envie d’être à nouveau éblouie par la grandeur de sensations que seul le corps de ce garçon pouvait lui offrir. Les souvenirs d’une jouissance à reconquérir, dont elle n’était plus que la misérable esclave, la réduisaient à l’agonie. Il lui faudrait à jamais garder ce merveilleux ventre à portée de main, la chaleur de son corps près du sien, sentir les douces vibrations de ses cordes vocales expulsées par ses lèvres jusqu'au creux de son oreille dans un souffle des plus torrides…Leur rencontre datait de tout juste quelques heures et pourtant cette nuit avec lui semblait être le plus grand accomplissement de toute son existence. Ses études, avec leur jadis si précieux diplôme, puis l'achèvement de son manuscrit suivi de sa publication, enfin tout ce qui avait jusque-là compté à ses yeux, ne valait plus rien comparé à cet instant.
Elle ne travaillait pas, c’était dimanche. Ainsi Nicole passa une grande partie de son après-midi à essayer de comprendre comment elle en était arrivée là. Comment il était possible de devenir dépendante au corps d’un homme en à peine une nuit. Cependant, comme aucune explication rationnelle ne se présentait aux portes de sa pauvre caboche endolorie, la jeune femme coupa court à son investigation sur le pourquoi du comment pour s'atteler à trouver un moyen de soulager cette subite et effroyable addiction.
Heureusement, son idolâtrie portait sur une célébrité dont il était facile de se procurer les albums ainsi que quelques vidéos de concerts. Mais il ne s’agissait bien sûr qu’une drogue de substitution. De pauvres patches achetés au drugstore du coin pour l’aider à supporter son manque. Parce que, bien plus encore que sa voix et que son image,le bien-être de Nicole dépendait surtout d'un contact avec la peau du chanteur. Les disques ne lui apportèrent donc aucune assistance. La vidéo d’un concert, toutefois, eut son petit effet. Sa sortie était toute récente, elle datait d’à peine une semaine. Il s’agissait de l’enregistrement d’un concert quelque part en Italie, lors d’une nuit d’été orageuse.
Seul à l'avant-scène sous une pluie battante, Nicole découvrit un Jason au plus près de son fantasme. Une coiffe argentée vissée sur la tête le rapprochait encore un peu plus de cette autre idole à la captivante beauté manga : Haru Glory. Les yeux écarquillés devant l'écran, Nicole se gorgeait de l'irrésistible sex-appeal du chanteur. Les gouttes scintillant sur sa nuque et ses sublimes abdominaux dévoilés lors de cette trop courte, mais exquise seconde où, d'un geste doux et sensuel, il souleva le bas de son haut pour s'essuyer le front. Et puis, il y avait l’incroyable façon qu’avait l’artiste de s’approprier le plateau en skateur des rues. Gardant un constant équilibre sur une planche à roulettes invisible collée aux semelles de ses flashy sneakers, il enchaînait les tricks au centre d’une scène envahie d’eau ou bien glissait le long de rampes ruisselantes au cœur d’un décor transformé sous ses pas en skate park.
Sur le petit écran, Jason reproduisait inlassablement ses figures. Non pas avec l'acharnement perfectionniste d'un skate rider voltigeur, mais sous l'impulsion du pouce droit d'une demoiselle qui, depuis son lit, possédait un contrôle télécommandé sur le moindre de ses mouvements scéniques… La main ainsi mise sur l'évolution de son idole, Nicole s’endormit et se mit à rêver de détenir une semblable emprise sur un Jason de chair et d'os…