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Nous sommes un dimanche de 2029... La pluie n'en finit pas de tomber et le monde se noie dans la technologie. Pour l'inspecteur Bastien, c'est encore un week-end de gâché ! Un type a décidé de lui pourrir son dimanche en tombant du haut d'un château d'eau. Cependant Bastien était loin de penser que cette banale affaire d'accident allait le propulser dans l'univers des hackers et de la surveillance électronique. Il s'arrêta net. L'oeil du cyclope le fixait. La petite lumière rouge au-dessus crépitait indiquant que le scanner était actif. Il resta le plus immobile possible, non parce qu'il craignait ce petit drone de surveillance, mais parce qu'il n'avait aucune confiance aux cinq autres qui l'entouraient et qui ressemblaient à s'y méprendre à ceux utilisés par les militaires... Au moindre mouvement mal interprété par ces volatiles, il serait pulvérisé.
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Seitenzahl: 328
Veröffentlichungsjahr: 2023
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Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Chapitre 21
Chapitre 22
Chapitre 23
Chapitre 24
Chapitre 25
Chapitre 26
Chapitre 27
Il était déjà tard ce soir-là et le bâtiment s’était vidé depuis belle lurette. Cependant au troisième étage, les néons inondaient encore de leur lumière froide toute la salle de rédaction. Deux, trois personnes travaillaient encore à peaufiner leur texte. Les petites mains invisibles de l’entretien, venaient de commencer leur service. Elles ignoraient ces retardataires qui perturbaient leur routine quotidienne et c’était réciproque. Personne ne semblait se soucier de l’infatigable pluie qui tombait au dehors et qui tambourinait aux fenêtres.
Au milieu de l’open-space, il y avait une pièce, à la fois bureau et salle de réunion, sorte de cage de verre que tout le monde appelait « l’aquarium ». À l’intérieur, deux hommes discutaient plutôt vivement. Le plus jeune marchait de long en large en agitant par moment les bras tandis que son interlocuteur restait plutôt calme enfoncé dans son fauteuil devant un grand bureau inondé de papiers.
— Enfin, Julian, je ne peux pas publier ça !
— Et pourquoi donc ?
— Et bien tu le sais... Tu...
— Ils nous mentent, ils mentent à tous le monde, tout ça ce ne sont que des problèmes de gros sous et tu le sais !
— Oui mais si je le publie tel quel on va s’attirer des ennuis, crois-moi, il vaut mieux que tu mettes un peu de beurre dans tout ça !
— Un peu de beurre ? Un peu de beurre ! T’en as de bonnes ! Il en va de la vie des gens !
— Comme tu y vas ! Toutes les études montrent qu’il n’y a rien d’avéré... D’ailleurs c’était déjà le cas pour la 4G et la 5G !
— Arrête veux-tu ! Tu sais comme moi que les enquêtes sont financées par les industriels et qu’elles ne sont pas objectives. Ce sont des histoires de gros sous et de trafic d’influences.
— Pfff...
— Rappelle-toi du scandale des souris !
— Des souris ?
— Oui ces laboratoires pharmaceutiques qui utilisaient des souris génétiquement modifiées pour tester leurs médicaments... Sur le papier on ne se doutait de rien si on ne le savait pas, mais cela orientait les résultats des études dans la direction qu’ils voulaient...
— Hum moui.... et alors ?
— Tu sais bien que les études ne sont plus menées par des organismes publics ou indépendants... alors quant à la neutralité des cabinets d’études...
— Oui, oui... je sais tout ça ! Mais quand même, là, tu vas trop fort ! Tu écris, et je te cite, « l’utilisation des technologies modernes, notamment celle de la 5G et maintenant de la 6G n’avait pour seul objectif que d’être le prélude à une surveillance de masse, en asservissant les populations à un besoin inutile, pour finalement servir des intérêts anti-démocratiques et militaires et d’éliminer les opposants... ».
— Et alors ? C’est vrai ! Les recherches qu’ils mènent actuellement sont du domaine militaire et le public devrait le savoir ! C’est son droit !
— Tu n’as aucune preuve de ce que tu avances !
— Parce qu’elles sont difficiles à trouver pardi !
— Enfin tu es journaliste, Julian, tu sais très bien qu’on ne peux pas publier ce genre d’affirmations sans un minimum de preuves. Ça risque de faire de toi un complotiste !
— Ça y est, je m’y attendais, les grands maux... complotiste !
— Ne commence pas, Julian ! Tu es un pro, tu sais très bien qu’il faut borner ton travail et avoir des sources fiables, surtout quand on affirme ce genre d’élucubrations.
Le plus jeune des deux, Julian, la trentaine naissante, s’apaisa subitement et vint s’asseoir au bureau. Le plus âgé, certainement le rédacteur en chef, reprit alors lui aussi sur un ton plus amical.
— Écoute, Julian, tu fais partie des bons, des très bons même, mais tu conviendras qu’il me faut quelque chose de plus solide, sinon on va se faire démolir.
— Oui, oui je sais...
— Tu te souviens la dernière fois lorsqu’on avait osé dire qu’il pouvait y avoir d’autres alternatives au sacerdoce du gouvernement. On n’était passé pas loin de la fermeture...
— Justement... Il ne faut pas les laisser faire !
— Oui mais ce n’est pas en les braquant qu’on va réussir à changer les choses. Il faut que nous soyons inattaquables et l’opinion suivra...
— Elle suivra peut-être mais elle se fera démolir à la moindre manif à coup de gaz lacrymogènes, de matraques ou je ne sais quoi encore... Jusqu’à ce que plus personne ne veuille plus faire de manif et donc s’opposer à toutes ces dérives.
— Tu parles comme les extrémistes...
— Les activistes ! Ils n’ont rien d’extrémistes ! Ils veulent simplement remettre les choses à leur place.
— J’en ai rien à faire de ce qu’ils veulent nous ne donnons pas dans ce genre là, je te le rappelle ! « Technological » est un journal honnête et indépendant qui se fait fort de mener des études sérieuses sur des sujets techniques pointus ! Point final ! Alors la politique, je ne veux pas en entendre parler ici ! Suis-je clair ?
— Très clair mon commandant !
Le plus âgé des deux affichait la cinquantaine bien tassée. La bedaine débordante, les boutons de sa chemise rayée résistaient tant bien que mal, ce qui en disait long sur les faiblesses de ce personnage. Il se retourna et ouvrit la porte du petit secrétaire derrière lui pour en sortir deux verres et une bouteille de scotch qu’il posa devant Julian.
— Tout en remplissant les verres d’une bonne dose du breuvage écossais, il poursuivit.
— Écoute, je te propose de remanier ton texte, de sorte que tu réorientes tout ça, sur le ton de l’enquête, de la supposition et non comme une dénonciation.
— Hum...
— Tu atténues tout ça et fais en sorte que les éléments les plus fumeux comme « anti-démocratique, militaire et éliminer des opposants » disparaissent de ton article et alors je te promets de le publier.
— Mais cela n’aura plus de sens...
— Tant que tu n’as rien pour étoffer tes accusations, enfin tes dires, cela ne vaut rien, sinon des calomnies.
— Et pourtant, il y a bien eu des prémices avec les événements de la Havane en 2016 et le projet Médusa.
— Mais tu ne peux rien prouver, bon Dieu ! Fais ton boulot de journaliste, apporte-moi des faits avérés, des documents, des preuves... et alors seulement, on pourra aller plus loin !
— Tu veux dire que si je te trouve tout ça, tu publieras un nouvel article ?
— Même un dossier complet si tu veux !
— Ok ! Laisse-moi deux, trois mois et je te ramène le scoop du siècle !
Julian empoigna son verre et le cogna contre celui du rédacteur en chef qui l’avait levé. Il le bu d’un trait... Pas très fan des alcools en général, Julian s’était senti obligé d’accepter ce verre de whisky mais il le regrettait déjà. Il sentait le liquide couler le long de son œsophage, faisant passer de vie à trépas tout ce qu’il rencontrait sur son passage, à grands coups de lance flammes. La grimace qu’il fit, amusa son rédacteur en chef qui esquissa un sourire.
— Tu as une photo qu’on puisse publier avec l’article ?
— Oui mais je ne sais pas si c’est bien, dit-il en sortant un cliché de son dossier.
— Ouais, pourquoi pas ! fit-il en l’inspectant. Où ça a été pris ?
— Aucune idée, c’est un centre de recherche d’OMP...
— Et les personnes devant ?
— Un groupe de chercheurs et de techniciens... Je sais seulement que parmi eux figure un certain Thorensen... Il serait le chef du projet...
— Et c’est lequel sur la photo ?
— Je n’en sais rien, c’est une photo prise au téléobjectif par une de mes sources... Et pour l’instant on est resté bloqué sur l’identité de ces personnes...
— Bon... Comme on ne sait pas qui ils sont, on va avoir du mal à leur demander leur consentement. Ta source est fiable ?
— Pour l’instant je n’ai pas à m’en plaindre...
— Ok, je te propose de la publier comme ça, sans nommer qui que ce soit, ni OMP, même si tu arrives à en identifier un. On est d’accord ?
— Oui, oui...
— Bon et au pire, on floutera l’ensemble et on aura l’impression d’une photo volée par un paparazzi.
— Comme tu veux, du moment que l’article est publié.
— Bon, on fait comme ça ! Mais je veux ton article remanié demain matin, avant midi ! Sinon je ne publie rien !
— Pas de problème tu l’auras !
Julian avait rapidement rangé ses dossiers dans son porte-document en cuir bousculant un peu l’ordinateur portable dont il ne se séparait jamais. Il avait déjà la main sur la poignée de la porte de l’aquarium quand son rédacteur en chef l’interpella à nouveau.
— Et comment va ta sœur ?
— Le jeune homme regarda machinalement sa montre, une vieille Kelton à aiguilles, certainement l’héritage d’un parent.
— Ma sœur ? Elle va mieux... Elle se remet à son rythme mais c’est difficile pour elle, je te remercie de t’en soucier.
— C’est bien normal !
— C’est une battante, je suis confiant !
— Je te le souhaite, Julian... Je te le souhaite...
— Au revoir boss...
— Au revoir, Julian, et n’oublie pas, demain avant midi... sinon...
— Niet... je sais... Salut !
Julian disparut dans le corridor. Il n’y avait à présent plus personne à la rédaction. Le personnel d’entretien avait lui aussi disparu, certainement affairé à un autre étage.
Le rédacteur en chef se servit une nouvelle rasade du liquide doré qu’il avala aussi sec. Péniblement il décrocha son téléphone et composa un numéro qui avait été griffonné sur un post-it collé devant lui.
— Allo ?
— ...
— Oui, c’est moi...
— ...
— Bien, bien...
— ...
— Oui. Il vient de sortir d’ici ! C’est pour ça que je vous appelle !
— ...
— Non je ne peux pas faire mieux, si je ne le publie pas, il va avoir des soupçons.
— ...
— Je peux en faire la maquette, oui... Après je pourrais toujours stopper l’impression.
— ...
— Non... Je trouverai bien une raison.
— ...
— Hein ? Non, bien sûr que non ! Il n’a rien... Rien du tout !
— ...
— Non aucune preuve, aucun document, je vous dis... Au mieux il passera pour un complotiste !
— ...
— Quoi ? Non ! Je n’en sais rien à vrai dire, c’est un bon journaliste !
— ...
— Oui c’est... c’est aussi un bon enquêteur, je vous l’accorde...
— ...
— Quoi ? L’article sur les institutions européennes et les collusions d’intérêt ? Oui c’est lui l’auteur... Il avait été en infiltration pendant un an !
— ...
— À vrai dire je n’en sais rien, c’est possible, il a trois mois pour trouver des preuves.
— ...
— Certes... Les élections... L’eau aura coulé sous les ponts d’ici là...
— ...
— Oui oui... Je vous tiens au courant... Au revoir !
Il raccrocha le combiné téléphonique et dans la foulée empoigna la bouteille de Scotch. Cependant au lieu de s’en verser un peu dans le verre, il vida directement au goulot la moitié de son contenu, puis il la rangea dans le petit secrétaire derrière lui.
La voiture traversait à vive allure les paysages d’aquarelle du district campagnard et de grandes gerbes d’eau venaient asperger par moments les arbres du bas-côté. Les yeux encore embrumés par une nuit trop courte, Bastien fixait la route tout en absorbant les couleurs brouillées de l’horizon, mélange fade que seul Monet aurait pu sublimer. Il essayait de se rappeler la dernière fois qu’il avait vu un peu de bleu au milieu de cette grisaille sans fin… Des spectres filandreux surgissaient de temps à autre à la lueur des phares et venaient rompre la monotonie de cette vieille départementale dans la fraîcheur du petit matin.
Le véhicule de service qu’on lui avait refilé ne tenait pas la charge, aussi il n’avait pas eu d’autre choix que de couper le chauffage et de faire fonctionner ses essuie-glaces par intermittence malgré la pluie battante. Il ne parvenait pas à se réchauffer et l’humidité ambiante lui mordait les chairs jusqu’à l’os. Il avait hâte d’arriver. Enfin, au loin, des flashs bleus et rouges se délitaient sur la route et créaient de drôles de reflets sur les troncs de la forêt domaniale. La voix synthétique du GPS lui confirma son arrivée imminente, il ralentit puis se gara sur l’accotement détrempé.
Le château d’eau se tenait là, proue blanchâtre d’un énorme brise-glace haut de 40 mètres, fendant la houle végétale. Bien isolé de toute civilisation, son implantation au milieu de la forêt posait question.
En travers du parvis boueux, l’ambulance était encore là, portes ouvertes et deux voitures de police garées à la va-vite, masquaient la porte du château d’eau. Les longues silhouettes qui dansaient langoureusement sur les parois délavées du bâtiment, s’évaporèrent subitement lorsqu’il coupa le contact.
Bastien sortit de la voiture et se dirigea vers les deux personnes qui discutaient entre-elles, engoncées dans leur imperméable très réglementaire, un gobelet de café à la main. Un type en combinaison blanche, se mouvait devant eux, faisant par moment crépiter le flash de son appareil photo.
— De quoi s’agit-il ? demanda-t-il.
— Vous êtes ? répondit un jeune policier boutonneux.
Bastien sortit son badge de la poche intérieure de sa parka et le lui présenta.
— Inspecteur Bastien, police criminelle !
— La criminelle ?
— Oui, la criminelle ! Ça vous étonne ?
— Oui quand même… En plus un dimanche…
— Que voulez-vous dire ?
Le jeune flic se rendit compte que la conversation s’engageait bien mal et tenta de rectifier le tir.
— Oui… Un dimanche, c’est pas de chance !
— Précisez, je vous prie ! bougonna Bastien qui manifestement ne semblait pas de bonne humeur.
— Euh… Eh bien, un technicien est tombé de là-haut ! fit-il en désignant le haut du château d’eau. C’est un accident alors je pense que vous vous êtes déplacé pour rien, ça doit pourrir votre week-end, non ?
Bien sûr que son week-end était fichu ! Mais ce n’était pas cela qui le mettait en rogne. Ce maudit temps y était pour quelque chose. Ces longs mois gris et cette sempiternelle pluie avaient eu raison de sa bonne humeur depuis belle lurette. Quant au froid ! Ce froid si incisif, il ne supportait plus ! Mais pire que tout, c’était ce sentiment d’inutilité… Oh non pas que la criminalité avait baissé ! Certes non ! Mais le métier n’était plus le même. Il était à l’image du temps, froid, glacial, gris, sans âme !
Tout était digitalisé, le moindre QR-code scanné remontait une foule de renseignements sur la personne : ses derniers achats, ses relevés bancaires, ses assurances, son dernier rendez-vous chez le coiffeur, les vidéos des derniers endroits où elle était allée… Et pas de bol ! Si ça ne suffisait pas, son smartphone caftait tout le reste, les derniers moments de son intimité, ses dernières paroles… Tout ça, sans bouger de sa chaise, ni voir personne ! Cerise sur le gâteau, si la personne était un imbécile qui avait opté pour la monnaie numérique, d’un simple clic, elle ne pouvait plus retirer d’argent, ni payer nulle part. Depuis la grande pandémie tout s’était accéléré, la technique avait envahi tous les espaces de liberté qu’il restait. La démocratie reculait dans tous les pays et le contrôle était devenu plus facile, il était numérique et il s’était généralisé. La peur et l’ignorance dominaient la raison, l’intelligence s’était éteinte, quant à l’esprit critique, il était qualifié de complotiste, chose immonde et illégale. Le métier avait bien changé, il ne l’aimait plus et cela déteignait sur son rapport avec les gens. À ce moment, les mots du jeune flic le ramenèrent à une réalité plus humaine.
— Désolé… Sans café je ne vaux rien ! répondit-il en lui tendant la main pour le saluer. Ce petit geste de cordialité des plus élémentaires, sembla apaiser son interlocuteur.
— Ce sale temps porte sur le système, n’est-ce pas inspecteur ? On n’y peut rien ! Mais pour le café, demandez donc aux ambulanciers, je suis certain qu’il leur en reste encore un peu.
— Ah sympa ! Je verrai ça tout à l’heure… Mais qu’est-ce qui vous fait croire que je me suis déplacé pour rien ?
— Pour moi, il s’agit clairement d’une chute ! Demandez à Gilles, là-bas ! Le type qui prend des photos là ! Il est de la scientifique, il vous en dira plus !
Bastien se dirigea prudemment vers le corps qui gisait dans la boue, en prenant soin de ne pas piétiner l’endroit ni de s’enfoncer dans ce sol spongieux.
— Vous pouvez vous avancer sans crainte mon ami ! J’ai fini ! lui lança Gilles sans quitter l’œilleton de son appareil photo.
— Vous êtes de la scientifique ?
— Et vous de la criminelle ?
— Euh… Oui comment savez-vous ?
— Y’a que les flics de la criminelle qui avancent avec précaution sur une scène de crime. C’est pas comme ces deux bourrins, là !
— Eh Gilles ! Il fallait bien constater que le type était mort ! râlèrent les deux policiers à l’unisson.
— Vous pouviez le faire autrement !! Bande de crétins ! leur lança-t-il.
— Et comment voulais-tu qu’on fasse ? Tu as vu la merde que c’est !
Bastien regarda par terre et remarqua les sillons de boue laissés par les bottes des deux policiers ruraux. Le sol était complètement détrempé, aucune chance de trouver le moindre indice !
— C’est un accident selon vous ?
— Ça m’en a tout l’air ! Regardez la position du corps.
La victime était allongée sur le ventre, légèrement de côté, les bras en croix. Une bosse sur la partie latérale du dos laissait deviner une dislocation de l’épaule certainement due à la chute. La tête était penchée d’une drôle de manière, à coup sûr la marque d’une rupture cervicale. Mais, hormis cela, le corps paraissait intact, le sol spongieux avait dû amortir la chute et limiter les dégâts corporels. La face à moitié enfoncée dans le sol laissait apparaître un œil marron injecté de sang qui fixait le néant. 40 mètres de chute, ça ne pardonne pas !
Le pauvre type devait avoir une quarantaine d’année. Il portait la combinaison brune des techniciens du téléphone et avait sans doute été dépêché là pour régler un problème important. Au milieu de toute cette bout, Bastien aperçu l’éclat d’une alliance. Tout de suite il imagina toute la douleur de la femme du type lorsqu’elle allait recevoir le SMS officiel la convoquant à la morgue pour identifier son mari. Même si jadis il détestait annoncer ce genre de nouvelle aux familles, avec un peu de chaleur humaine c’était quand même mieux que trois lignes de texte dans un message électronique !
— Oui vous avez raison. Ça laisse peu de doutes. Il nous reste quand même l’éventualité d’un suicide.
— Oh vous savez bien, ajouta Gilles, généralement ils nous laissent des petits mots. Ici à première vue ce n’est rien qu’un malheureux accident !
— Vous avez pris des photos des alentours, je suppose ?
— Oui ! Oui ! J’ai pris tout ce que je pouvais. Ne sachant pas qu’ils allaient envoyer un type de la criminelle j’ai préféré arroser au cas où…
— Et les traces là ? Ce sont celles des collègues ?
— A priori oui… Ce n’est pas la première fois qu’ils me font le coup ! J’ai beau leur dire mais rien n’y fait, il faut absolument qu’ils piétinent TOUT ! tempêta-t-il pour mieux se faire entendre des deux autres policiers...
— Donc s’il s’était passé quelque chose d’autre ici, il serait impossible de le savoir !
— Mais vous avez vu ce sol ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on trouve là-dedans. Une troupe d’éléphants nains en tutu bleu aurait dansé « Casse-noisette » qu’on ne le verrait même pas !
— Et les caméras ?
— Vous plaisantez !
— Non pourquoi ?
— Depuis qu’ils ont tout privatisé, il n’y a plus aucun château d’eau qui ne soit sérieusement entretenu ! Alors pour les caméras de sécurité, vous pouvez repasser !
— Vous avez vérifié ?
— Si on veut !
— Comment ça ?
— À l’extérieur elles sont factices… Quant aux deux autres à l’intérieur, elles ne sont pas connectées… Et sur la plateforme, il n’y en a pas ! Ou plutôt elle a été arrachée !
— Comment ça arrachée ? Vous voulez dire qu’on l’a détériorée ? Que la victime l’a entraînée dans sa chute ?
— Rien de tout cela, inspecteur ! Vu l’état de rouille et de calamine, je pense qu’une rafale de vent a dû l’arracher, il y a déjà bien longtemps et personne ne l’a remplacée. De toute façon, si on regarde l’état général de l’installation, il y a fort peu de chances de trouver un truc en état de marche… à part leurs fichues antennes en haut.
— Ça ne va pas arranger mes affaires !
— Et oui mon brave… Nous sommes bien peu de choses face au règne du pognon !
— Je suppose que vous avez pris des photos de là-haut ?
— Tout je vous dis ! L’entrée, l’extérieur, le couloir, les escaliers, la trappe, la plateforme… J’ai même fait un panoramique du sol !
— Ah bien… Et quand pouvez-vous me faire parvenir les clichés ?
— Dès que j’aurai reçu votre numéro de dossier, je vous mets tout ça sur la plateforme internet.
— Parfait… Vous êtes efficace !
— Merci… À propos, sa voiture est garée dix mètres plus loin dans le chemin derrière la rangée d’arbres là-bas, si ça vous intéresse !
— Ah ! Merci, je n’y avais pas encore pensé… et pour les photos de la voit…
— C’est déjà fait ! Ne vous inquiétez pas… J’ai tout pris, je vous dis ! Tout !
Le technicien sortit un émetteur radio d’une poche de sa combinaison et appela les ambulanciers pour enlever le corps.
— Bon, mon cher… mon cher ?
— Pardon ! Bastien, Inspecteur Ange Bastien !
— Ange ? Comme c’est original ! Eh bien, mon cher Ange je vous laisse avec vos collègues, moi j’en ai terminé ici. Je rentre me faire un bon chocolat chaud et profiter de ce qu’il reste de mon dimanche. Vous aurez tout dès lundi sur le site.
— Merci beaucoup... Gilles... Gilles ?
— Ah oui pardon Gilles Merles !
— Vous avez une idée de l’identité de cette personne ?
— Non ! Je n’ai pas touché le corps... S’il a des papiers sur lui, je verrai ça au labo.
— Bien, bien, merci...
Bastien retourna voir ses collègues qui, un peu plus loin, pestaient encore à propos des remarques du technicien de la police scientifique.
— Vous avez appelé une dépanneuse pour enlever la voiture ? demanda-t-il.
— Oui ! Chef ! C’est fait ! Elle ne devrait plus trop tarder maintenant ! répondit le jeune flic de tout à l’heure.
— Et vous ? Vous n’avez rien noté d’anormal ?
— Non, non… Lorsque nous sommes arrivés sur place, nous avons vu le corps… J’ai pris son pouls immédiatement mais il était trop tard.
— Qui vous a signalé le corps ?
— Personne ! Nous étions en patrouille !
— Et avec cette purée de pois cassés et cette maudite pluie vous avez quand même réussi à apercevoir le corps depuis la route ?
— Non... Ce qui a attiré notre attention c’est la porte ouverte… à l’intérieur c’était allumé !
— Ah ! Je comprends mieux…
— En fait ce qui nous a paru bizarre c’est qu’il n’y avait pas de véhicule sur le parvis malgré la porte ouverte.
— Oui, surenchérit le deuxième policier resté jusqu’ici silencieux. Si nous avions vu le véhicule de cette personne, nous ne nous serions sans doute jamais arrêtés.
— Hum ! Et le véhicule ? On peut le voir ?
— Oui ! Oui bien sûr, je vous montre…
Les deux policiers remontèrent vers la route et marchèrent sur l’accotement une petite dizaine de mètres jusqu’à un chemin caché par les arbres. Une petite camionnette blanche portant le logo de la société « Up Services » stationnait là.
— Bastien entreprit d’ouvrir la portière puis se ravisa.
— Vous l’avez ouverte ?
— Pas du tout !
— Et vous avez les clefs ?
— Elles sont sur le contact… voyez par vous-même inspecteur !
Bastien tira de sa poche une paire de gants caoutchoutés qu’il s’empressa d’enfiler puis ouvrit la porte. Effectivement les clefs étaient encore enfoncées dans le contact.
— Il est bien imprudent ce technicien !
— Oh… Il a dû penser que personne n’irait voler une camionnette qui porte le nom et le numéro de téléphone d’une entreprise, inspecteur ! Et puis par chez nous… C’est un peu désert vous savez.
— Enfin quand même ! Le matériel à l’arrière coûte une fortune !
Les deux policiers effacèrent immédiatement de leur visage le sourire stupide qu’ils arboraient. Ange Bastien s’engagea alors dans l’inventaire de la boîte à gants : un peigne, une boîte de chewing-gum, un badge de l’entreprise totalement anonyme et quelques papiers d’intervention. Une pêche bien maigre, pensa-t-il. Il regarda le reste de l’intérieur du véhicule. Tout était bien en ordre, bien rangé à l’arrière dans des boîtes en carton et le siège passager semblait quasi neuf. D’ailleurs tout le véhicule était d’une propreté impeccable et un léger parfum de rose flottait dans l’habitacle. Ça lui changeait des odeurs de frites grasses et des mélanges d’arômes de vapotage que l’on trouve généralement dans les véhicules de service. Il tourna la clef de contact et le tableau de bord s’illumina. La voix mécanique du GPS se fit entendre pour réclamer une mise à jour.
L’indicateur de batterie n’était guère plus loquace et indiquait à peine 5% d’autonomie… Juste de quoi faire 10 ou 20 kilomètres… et encore sans chauffage, ni lumière. Il coupa le contact et commença à regarder le véhicule de l’extérieur.
— Vous recherchez quelque chose en particulier, inspecteur ? demanda le jeune policier qui était fasciné par la manière avec laquelle l’inspecteur s’y prenait.
— Non, non… Je regarde juste l’état général du véhicule !
Comme pour l’intérieur, la camionnette semblait parfaitement entretenue et s’il n’y avait pas eu cette pluie incessante, il était certain qu’il y trouverait une carrosserie shampouinée et lustrée sans la moindre rayure.
— Bon, je crois qu’on a fait le tour ! soupira Bastien.
— Je vous l’avais dit, inspecteur, vous vous êtes déplacé pour rien !
— Oui, certainement, enfin c’est le job !
— Pouvons-nous poser les scellées maintenant ?
— Oui, oui, s’il vous plaît ! N’oubliez pas de me baliser le périmètre du corps et de sceller les portières de la camionnette ! Enfin je suppose que vous connaissez la routine ?
— Ne vous en faites pas, inspecteur, on a visionné la procédure sur la tablette tout à l’heure pour être plus sûr !
— Oui bien sûr… Euh… Je serai dans ma voiture pour initialiser le dossier, si vous avez besoin de moi !
— Oui, oui ! Pas de problème !
— De toute façon je ne partirai pas sans vous saluer !
Il n’obtint pas de réponse des agents qui s’étaient déjà éloignés en direction de leur véhicule, certainement à la recherche du matériel de scellé. Bastien avança le long de la route en se remémorant tout ce qu’il avait vu. Il entra dans sa voiture, prit le micro du terminal et commença sa dictée.
— Création « Dossier 768X-24 » ; date « 25 novembre 2029 » ; état « en cours » ; éléments : « Découverte du corps d’un personnel technique sur le district 28 » ; cause : « accident du travail » ; état : « clôture demandée » …
Soudain on toqua sur le pare-brise… Bastien fit descendre la vitre. C’était encore le jeune policier boutonneux.
— Nous avons terminé inspecteur ! Il n’y a plus personne sur le site.
— Déjà ? Et la camionnette ?
— La dépanneuse sera là dans cinq minutes tout au plus. Nous allons rester pour l’attendre et après nous rentrons.
— Ah bien ! Je termine les bricoles administratives et je vais faire comme vous !
— Bien alors au revoir inspecteur !
— Au revoir…
Le jeune flic s’apprêtait à retourner vers le château d’eau lorsque Bastien l’interpella par la fenêtre.
— Dites-moi, collègue…
— Oui, fit le jeune homme en se retournant.
— Savez-vous s’il y a une borne de rechargement dans le coin ?
— Vous êtes en panne ?
— À vrai dire il me reste 21% pour le retour… Et je me les gèle…
— Ah je vois ! Je suis désolé inspecteur, mais vous allez devoir continuer à vous les geler encore un peu. La borne la plus proche est à 32 kilomètres, si elle fonctionne encore.
— Pourquoi elle ne fonctionnerait pas ?
— À cause des activistes !
— Vous voulez dire qu’elle a été détériorée ?
— Oui, le mois dernier. Normalement ils auraient dû la réparer, mais c’est à vous de voir si vous voulez prendre le risque !
— Pourquoi cela ?
— C’est à l’opposé de votre direction ! Sur la route 14 !
— Et il n’y en a pas d’autres ?
— Non, désolé !
— Je vais voir… Merci quand même !
— À votre service, inspecteur ! dit le jeune homme en lui adressant un salut réglementaire avant de tourner les talons à nouveau.
— Décidément… Ce n’est pas mon jour, murmura Bastien en remontant la vitre avant que toute la voiture ne se remplisse d’eau.
Les maths n’étaient pas non plus son truc ! Pourtant il n’était pas compliqué de comprendre que soit il allait continuer à se geler tout le long du trajet retour, soit il devait prendre le risque de tomber en panne si la borne ne fonctionnait plus… 60 kilomètres de plus, s’il comptait le retour, il était certain de ne pas y arriver ! Il maugréa un instant contre cette fichue loi qui prônait le tout électrique sur les véhicules. Quelle hypocrisie pensait-il. Puis il eut un flash…
— Comment le type avait-il prévu de rentrer ? Avec 5% d’autonomie il n’aurait jamais pu arriver jusqu’à la borne ! Et puis son véhicule… Tout était soigneusement rangé… Il était organisé ce type ! Il n’a pas pu partir avec un véhicule vide sans savoir où faire le plein !
Bastien tapota quelques instants sur le volant avec ses doigts comme pour mieux se concentrer... L’habitacle était envahi par le bruit sourd et régulier que faisait la pluie sur la carrosserie mais cela ne le dérangeait pas. Il ne l’entendait même plus… Il pensa tout haut.
— Hum… Non ! C’est dimanche… Il a dû partir en urgence pour faire son intervention et il n’a pas remarqué que la batterie était vide. Voilà tout ! Ou alors son véhicule n’a pas eu le temps de faire le plein de charge... Décidément ce ne devait pas être son jour à lui non plus, pauvre gars !
L’inspecteur actionna la clef et le tableau de bord s’illumina…
— GPS, commande vocale ! Direction route 14, borne de rechargement ! Allez ! ordonna-t-il à la machine.
L’écran du GPS dessina un trajet sur l’écran… Arrivée estimée dans 20 minutes. Bastien prit le pari… De toute façon, son week-end était fichu alors quitte à être définitivement fichu, autant tenter le coup de la borne ! pensa-t-il. Et puis au pire… Il appellerait une dépanneuse. Il aurait au moins quelqu’un à qui parler sur le chemin du retour.
Il appuya sur l’accélérateur et entama son trajet à la pleine vitesse. La pluie tombait inexorablement et la route était toujours aussi déserte... Au bout de vingt minutes, comme l’avait prédit le GPS, il aperçut le voyant orange de la borne de recharge sur un terre-plein bétonné en lisière de bois. Il orienta son véhicule de sorte que les phares puissent l’éclairer et il constata les dégâts ! Le clavier avait été entièrement tagué tout comme le reste de l’automate. Une grande tache verte en forme de boucle, signature des activistes, couvrait le reste du capot métallique du distributeur. Par contre, le câble d’alimentation semblait intact ! Il avait seulement été déboîté mais pas sectionné !
— Des activistes responsables ! Quelle chance ! pensa-t-il…
— Ah ces écolos ! Jamais contents ! Un coup, ils veulent de l’électrique partout et un coup, ils râlent contre la fabrication des batteries, pfff ! pesta-t-il.
Une fois le câble en place, il connecta la voiture, pour faire le plein. Le terminal de paiement semblait pleinement opérationnel malgré l’absence de chiffres lisibles sur le clavier. Il introduisit sa carte bancaire dans la fente et frappa à l’aveugle son code. L’écran de la borne s’alluma et malgré l’absence d’affichage tout indiquait que la charge était en cours. Un petit bruit strident caractéristique de la mise en marche se fit entendre et Bastien fut rassuré.
Il retourna se mettre à l’abri dans la voiture. Le tableau de bord confirmait que la charge était en cours. Encore trente minutes et la batterie serait à 100%. Il reprit alors le micro de son terminal pour terminer son rapport.
— Dossier « 768X-24 » : cause « accident du travail » ; préconisation « vérifications de base effectuées – investigations inutiles » ; état… Mais pourquoi cet idiot ne s’est-il pas garé devant la porte ? Par ce temps !
Il laissa vagabonder son esprit encore quelques minutes puis reprit.
— … Préconisation « vérifications de base effectuées ; investigations supplémentaires probables » ; état « dossier en cours d’investigation », Enregistrez !
Il faisait noir, mais la lueur blafarde des écrans permettait quand même de circuler sans devoir se cogner aux meubles. La pièce n’était pas très grande mais ils avaient réussi à y faire entrer une dizaine d’ordinateurs et du matériel électronique dont les LEDs crépitaient par moment. Un mince filet de lumière traçait une ligne au plafond, depuis une fente dans le volet de la fenêtre.
— Alors ?
— Alors quoi ?
Deux silhouettes s’affairaient sur leur clavier.
— Moi je ne trouve aucune trace sur le Darknet !
— Oui je te le confirme … J’ai combiné les stations mais même le signal GPS a disparu !
— Tu crois qu’ils l’ont localisé ?
— Ça ne fait aucun doute…
— C’est fichu maintenant !
— Mais, non calme-toi ! Il lui est arrivé de ne pas donner de nouvelle pendant plusieurs jours, il est prudent tu sais !
— Ton frère a beau être prudent, n’empêche que ces gens-là ne plaisantent pas !
— Hé ! Ce n’est pas à moi que tu vas l’apprendre, tu sais combien de temps il m’a fallu pour effacer mes traces sur le Web ?
Un silence pesant s’installa comme si l’un des deux occupants avait touché là un point sensible.
— Oui je sais, je sais… C’est quoi ça ?
— Quoi ?
— Ce qu’on voit sur cet écran, là !
— Ah… c’est le 21178 !
— Quoi, tu as mis sous surveillance leurs planques ?
— Bien oui !
— Mais tu vas finir par nous faire tuer !
— Enfin, j’ai juste dérivé le signal ! Mais je peux aussi leur envoyer une image qui tourne en boucle si tu veux… Je t’ai connu moins froussard !
— Écoute, depuis qu’il a remis l’article, tu as vu comment ils ont réagi ?
— Oui, ils sont en train de paniquer ! Et ça c’est pas bon ! Pas bon du tout !
— Si au contraire ! Ils vont sans aucun doute faire un faux pas et tout va leur exploser à la figure !
— Ou c’est nous qui allons en prendre plein la tête !
— Enfin, ils ne peuvent pas faire disparaître toutes les traces ! On laisse toujours des traces aujourd’hui...
— C’est bien ça qui me fait peur !
— Qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Tu as mal dormi ?
— Non… Non j’ai juste un mauvais pressentiment.
— Mais regarde… Hier j’ai placé le cheval de Troie chez OMP, et le virus que j’ai injecté a déjà moissonné 22 téraoctets de données, tu te rends compte ! 22 téraoctets ! En à peine 6 heures ! Tout roule ! On va bientôt pouvoir tout balancer !
— Si ton frère arrive à mettre la main sur les preuves…
— J’ai confiance en lui !
— Moi aussi… mais s’il n’y arrive pas, qu’est qu’on fait ?
— On triera les infos, on croisera les données et on balancera tout ce qui pourra être utile…
— Mais c’est un boulot colossal !
— Bien c’est pour ça qu’avec des preuves se serait mieux !
— Au fait, où en es-tu pour les nouvelles identités ?
— Presque fini… j’ai plus qu’à te créer une nouvelle vie et un numéro de sécurité sociale et tu seras intraçable.
— Ah ? Et pourquoi une nouvelle vie ?
— Et bien, disons qu’il vaut mieux être prudent… Si on passe à l’étape suivante…
— Et j’habite où cette fois ?
— Secteur 5 ou 6… pour ne pas attirer l’attention.
— Parfait ! Le téléphone ?
— Tu garderas le même, il est sécurisé et relié à ton ADN… Mais j’en ai préparé d’autres.
— Et le réseau ?
— Sous contrôle… J’ai accès à toutes les forces de police et tout ce qui touche à la Défense ou au Ministère de l’intérieur.
— Tu as aussi réussi à infiltrer les Ministères ?
— Oui c’était facile !
— Facile ?
— Ils sont trop bêtes !
— Trop bêtes à la Défense ?
— Non pas eux mais nos couillons de politiciens… à trop vouloir plaire aux amerloques ils finissent par leur donner les clés de la maison !
— Que veux-tu dire ?
— Tu as sans doute remarqué que tout passe par le Cloud et que les logiciels proviennent tous des GAFAM…
— Euh oui, oui… Où veux-tu en venir ?
— Et bien selon la loi américaine, tout ce qui est installé sur du matériel américain subit les lois américaines… Leur fichue extraterritorialité !
— Et alors ?
— Bien avec leur « Cloud Act », ils nous pompent toutes nos données… Les GAFAM récupèrent tout et balancent au Pentagone selon leurs désirs… avec la bénédiction de nos gouvernements.
— Arrête tes délires complotistes !
— Du complotisme ? Et qu’est-ce que tu penserais si je te disais que les américains n’ont jamais totalement aboli l’esclavagisme !
— Je dirais que tu délires…
— Bien… vas-y vérifie ! C’est dans le 13e amendement de leur constitution !
La silhouette s’activa sur le clavier et après quelques secondes l’écran afficha le 13e amendement de la constitution américaine :
— “Neither slavery nor involuntary servitude, except as punishment for crime where of the party shall have been duly convicted, shall exist within the United States, or any place subject to their jurisdiction.”
Le jeune homme écarquilla les yeux. Tout le sens de l’amendement se situait dans le « except as punishment »… L’esclavagisme était effectivement aboli sauf pour toute personne condamnée !
— Alors tu penses toujours que c’est du complotisme ?
— Mais, mais… donc lorsque tu es condamné tu perds tes droits humains ?
— C’est un peu le sens de cet amendement, oui !
— Donc les prisonniers sont des esclaves là-bas ?
— Eh bien, comme les prisons sont privées… et que les prisonniers sont privés de leurs droits, pourquoi les nourrir ? Pourquoi leur fournir de quoi se vêtir ? Pourquoi pas les obliger à travailler sans les payer ? C’est très économique ! Enfin rentable… Les actionnaires de ces prisons doivent être aux anges… Et puis légalement c’est bien pratique, regarde Guantánamo !
— Mais c’est dégueulasse !
— Oui… Mais avec leur Cloud Act… Tes données personnelles ne t’appartiennent plus, elles deviennent des marchandises qui viennent enrichir leurs poches !