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Extrait
| I
En dépit de la brûlante lumière du dehors, il faisait presque frais dans la grande salle où don Alberto Farnella s’éveillait de la sieste accoutumée. À travers les vitres sales de la porte vitrée apparaissait un coin de jardin très ombragé, laissé au complet abandon. Les branches d’un vieux figuier arrivaient jusqu’à cette fenêtre et achevaient d’intercepter presque toute la vive clarté de ce jour d’été. Mais don Alberto n’en avait cure. Sa vue affaiblie ne lui permettait plus la lecture et le laissait indifférent à la triste incurie où se complaisait son unique et très rustique serviteur.
Il s’éveillait en bâillant doucement. Sa main brune, mais effilée, chassa machinalement une mouche posée sur ses cheveux grisonnants, très clairsemés. Puis, elle passa lentement sur le visage amaigri, osseux, dont la teinte bronzée, acquie au soleil du Brésil, disparaissait pour faire place à la pâleur de la maladie.
Au seuil d’une porte ouverte sur le vestibule voûté, dallé de marbre en partie brisé, parut un petit homme roux, voûté, boiteux, enveloppé dans une sorte de tablier-sac couvert de taches.
– Un étranger est entré dans le jardin et demande à voir le signor comte, dit-il d’une voix de crécelle.
Don Alberto se souleva un peu sur son vieux fauteuil, aussi boiteux que le serviteur.
– Un étranger ?... A-t-il dit son nom, Luca ?
– Il a donné sa carte... Ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Il a un drôle d’accent...
Luca avançait en parlant. De ses doigts maculés de terre, il tendit la carte à son maître, qui essaya vainement de déchiffrer le nom.
– Je n’y vois pas, dit-il avec impatience. Quel genre a ce visiteur ?
– Il est bien, signor comte !... Quelqu’un de très bien certainement. Il est habillé comme personne ne l’est ici, et...
– Fais-le entrer ! interrompit don Alberto, coupant court aux considérations généralement interminables de Luca.
Il se redressa dans son fauteuil, tira un peu, dans l’intention de la défriper, la vieille robe de chambre dont il était vêtu. Puis, il murmura : – Je me demande qui peut venir me voir, moi qui n’ai plus d’amis... plus personne...|
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Veröffentlichungsjahr: 2020
PREMIÈRE PARTIE
I
II
III
IV
V
VI
DEUXIÈME PARTIE
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
Série 4: Cœurs ennemis |2|
ORIETTA
Ce roman fait suite et fin à : Laquelle ?
DELLY
Série 4: Cœurs ennemis |2|
ORIETTA
roman
Raanan Edition
Livre 623 | édition 1
En dépit de la brûlante lumière du dehors, il faisait presque frais dans la grande salle où don Alberto Farnella s’éveillait de la sieste accoutumée. À travers les vitres sales de la porte vitrée apparaissait un coin de jardin très ombragé, laissé au complet abandon. Les branches d’un vieux figuier arrivaient jusqu’à cette fenêtre et achevaient d’intercepter presque toute la vive clarté de ce jour d’été. Mais don Alberto n’en avait cure. Sa vue affaiblie ne lui permettait plus la lecture et le laissait indifférent à la triste incurie où se complaisait son unique et très rustique serviteur.
Il s’éveillait en bâillant doucement. Sa main brune, mais effilée, chassa machinalement une mouche posée sur ses cheveux grisonnants, très clairsemés. Puis, elle passa lentement sur le visage amaigri, osseux, dont la teinte bronzée, acquie au soleil du Brésil, disparaissait pour faire place à la pâleur de la maladie.
Au seuil d’une porte ouverte sur le vestibule voûté, dallé de marbre en partie brisé, parut un petit homme roux, voûté, boiteux, enveloppé dans une sorte de tablier-sac couvert de taches.
– Un étranger est entré dans le jardin et demande à voir le signor comte, dit-il d’une voix de crécelle.
Don Alberto se souleva un peu sur son vieux fauteuil, aussi boiteux que le serviteur.
– Un étranger ?... A-t-il dit son nom, Luca ?
– Il a donné sa carte... Ce n’est pas quelqu’un de chez nous. Il a un drôle d’accent...
Luca avançait en parlant. De ses doigts maculés de terre, il tendit la carte à son maître, qui essaya vainement de déchiffrer le nom.
– Je n’y vois pas, dit-il avec impatience. Quel genre a ce visiteur ?
– Il est bien, signor comte !... Quelqu’un de très bien certainement. Il est habillé comme personne ne l’est ici, et...
– Fais-le entrer ! interrompit don Alberto, coupant court aux considérations généralement interminables de Luca.
Il se redressa dans son fauteuil, tira un peu, dans l’intention de la défriper, la vieille robe de chambre dont il était vêtu. Puis, il murmura :
– Je me demande qui peut venir me voir, moi qui n’ai plus d’amis... plus personne...
Un pas ferme, décidé, résonnait sur les dalles du vestibule. Don Alberto tourna la tête vers la porte et, entrevoyant une haute et svelte silhouette, dit avec courtoisie :
– Vous m’excuserez, signor, de ne pas me déranger pour vous recevoir. Mais la maladie m’oblige à l’immobilité.
– C’est moi qui vous prie de m’excuser pour ce dérangement, répondit une voix au timbre harmonieux, en un italien très pur, mais avec un accent anglais prononcé.
Don Alberto tressaillit. En se penchant vers l’étranger, il demanda sur un ton de défiance :
– Vous êtes anglais ?
– Mais oui, signor... Ma carte a dû vous l’apprendre.
– Je n’ai pu la lire, j’y vois trop peu...
– Je suis lord Walter Falsdone, marquis de Shesbury.
– Lord Walter Falsdone ?... Le fils de... de lord Cecil ?
Une crispation passait sur le visage altéré.
– Oui, don Alberto. Je viens savoir si, décidément, il n’y a pas moyen d’identifier ces deux jeunes filles, Orietta et Faustina.
– Ah ! c’est pour cela ?... Moi, je n’ai pu autrefois. Mais peut-être reste-t-il un espoir...
Le regard de Walter étincela.
– Un espoir, dites-vous ?
– Oui... Prenez une chaise... Y en a-t-il encore une qui soit solide ? Voyez vous-même, my lord... Tout est ruine, abandon, ici...
Un pli d’amertume crispa sa lèvre, tandis qu’il ajoutait :
– En moi comme autour de moi.
Walter, ayant découvert un escabeau à peu près en bon état, vint s’asseoir près du malade. Et, aussitôt, il demanda :
– De quel espoir parlez-vous donc, don Alberto ?
– La mère de Bianca Darielli – de lady Bianca Falsdone, puisqu’elle a droit légitimement à ce nom – devint folle après la mort de sa fille. Le saviez-vous ?
– Oui, je le sais.
– Elle est encore dans l’asile où je la fis interner à ce moment-là. Jusqu’ici, aucune amélioration ne s’était produite dans son état. Mais on vient de m’informer qu’elle est mourante, d’une pneumonie, et que son cerveau malade paraît se dégager.
– L’adresse de cet asile ? dit vivement lord Shesbury. Je vais m’y rendre aussitôt... Car, dans la lettre que vous écriviez à mon père, vous disiez, n’est-ce pas, que donna Paola se trouvait seule près de sa fille, quand celle-ci mit au monde l’enfant ?
– Je le crois, du moins... Car je ne pus découvrir si quelqu’un d’autre l’avait assistée... Peut-être, au cas où elle aurait une période de lucidité avant de mourir, pourriez-vous savoir si elle a remarqué un signe quelconque... par exemple, ce cercle rouge sous le bras qui existait encore chez l’enfant que nous avons au hasard nommée Faustina, peu de temps avant que je les envoie toutes deux à votre père.
– Oui, c’est un espoir... le seul, n’est-ce pas ?
– Le seul, et bien faible. Donna Paola, dans l’émoi et l’agitation de ces moments, peut n’avoir rien remarqué. Mais enfin, pour ne se faire aucun reproche, l’essai est à tenter. Moi, je ne puis plus rien maintenant. Je suis un être à demi mort qui, personnellement, ne tient plus à connaître la vérité à ce sujet.
– Quoi ! vous ne souhaitez pas savoir laquelle de ces deux enfants est votre fille ? Cependant si, comme je le soupçonne, elle est celle que nous nommons Orietta, vous auriez lieu d’en être fier.
Don Alberto secoua la tête. Un sourire amer entrouvrait ses lèvres sèches, ombragées d’une épaisse moustache grisonnante.
– Il est trop tard. J’aurais pu aimer ma fille, autrefois... Mais dans la crainte d’aimer la fille de lord Falsdone, je n’ai voulu m’attacher à aucune de ces enfants. Et maintenant, il est trop tard ! répéta-t-il avec une profonde tristesse.
Après un court silence, lord Shesbury demanda :
– Voulez-vous me donner l’adresse de cet asile ?
– La Casa Santa-Anna, tout près de Pérouse.
– C’est à Pérouse que je suis descendu.
– Eh bien ! rien ne vous sera plus facile. Vous direz que vous venez en mon nom... Il serait en effet désirable, pour ces enfants, que la situation fût éclaircie. Bientôt, elles seront en âge de se marier... Vous n’avez rien trouvé, dans leur physionomie, dans leurs manières, qui pût vous mettre sur la voie ?
– Parfois, il me semble découvrir, chez Faustina, des gestes, des jeux de physionomie qui me rappellent mon père et ma sœur.
– Se ressemblent-elles toujours ?
– Oui, mais Faustina n’est qu’un pâle reflet d’Orietta, au point de vue beauté, au point de vue caractère. Cette dernière est ardente, orgueilleuse, capable, je le crois, de fervents dévouements comme de longs ressentiments.
Avec un sourire léger, lord Shesbury ajouta :
– J’en ai eu la preuve personnellement. Quand elle arriva autrefois à Falsdone-Hall, je me montrai pour elle peu accueillant, je fus même violent et peu courtois. Or, elle m’en veut toujours de cela. Tout au contraire, elle se montre pour ma sœur, de caractère généralement peu agréable pourtant, une amie affectueuse et dévouée.
Don Alberto passa la main sur son front
– Béatrice était ainsi, murmura-t-il. Elle eut grand-peine à pardonner... Elle ne le fit qu’en voyant sa cousine revenir malheureuse, abandonnée. Alors, elle demanda à Dieu le courage de répondre, quand Bianca, malade, lui fit demander de venir : « Oui, je serai chez elle tout à l’heure. » Elle aussi avait une vie ardente, concentrée, sous une apparence orgueilleuse...
– Je crois qu’Orietta est votre fille, don Alberto.
– Qu’importe ! Qu’importe ! Mon cœur est desséché, mon cœur est mort. Béatrice le tua, quand je compris qu’elle n’avait jamais cessé d’aimer cet homme, ce... Pardon, lord Shesbury, je ne veux pas oublier qu’il fut votre père.
– Il s’est amèrement repenti dans les dernières années de sa vie, don Alberto.
– Que Dieu ait pitié de lui ! dit sourdement le malade. Je suis à mes derniers jours, j’essaye de ne plus tant haïr, avant de paraître devant notre souverain juge. Mais la tâche est difficile... Dites aux enfants de prier pour moi. Orietta m’a écrit, vous le savez, sans doute ?
– Oui, elle m’en a informé, en me faisant parvenir le billet que vous lui aviez envoyé. C’est une fière nature, don Alberto, une nature comme je n’en vois guère d’autre semblable parmi les femmes de ma connaissance, ajouta Walter avec un demi-sourire sarcastique.
– Tant mieux ! Si elle est ma fille, elle tient cette qualité de ma mère et de moi. Bianca avait une nature plus faible, plus influençable... Irez-vous à Feruzia, my lord, pour voir les actes d’état civil, certifiant le mariage de votre père et la naissance de sa fille ?
– Peut-être, mais seulement après ma démarche à la Casa Santa-Anna.
– Est-ce votre père qui a fait demander autrefois – il y a environ dix ans – des renseignements au sujet de ces enfants ?
– Oui, ce fut lui.
– Mais les mêmes démarches furent faites l’année suivante.
– Comment cela ? À quelle époque ? Mon père mourut en mars 1870.
– Attendez que je me souvienne... Le curé de Faletti m’a parlé de cela l’autre jour. Un individu, une sorte d’homme d’affaires venu de Florence, se présenta chez lui en demandant à voir les actes d’état civil concernant la naissance de ces deux enfants. Le curé le renvoya à Feruzia, où Bianca et Béatrice s’étaient mariées et où étaient nées leurs filles. C’est un homme doué d’une mémoire étonnante, malgré son grand âge ; il se rappelle très bien la date : septembre 1870.
– Donc, ce ne fut pas mon père qui agit en cette circonstance.
– Plus tard, il reçut un mot du curé de Saint-Paul, à Aberly, lui demandant un extrait des actes de baptême d’Orietta et de Faustina Farnella. Il les envoya, en expliquant l’impossibilité d’attribuer à l’une plus qu’à l’autre l’un quelconque de ces deux actes. J’ignore comment votre curé, là-bas, s’en tira...
– Je l’ignore comme vous. Il faudra que je m’en informe... Mais le cas des renseignements demandés peu de temps après la mort de mon père ne s’explique pas. Je n’en ai jamais été avisé... C’est une chose singulière...
– Oui, qui pouvait avoir intérêt à cela ? Du côté Farnella et Darielli, elles n’ont plus de parenté... Serait-ce quelqu’un de votre famille, poussé par la curiosité, my lord ?
– Je le saurai, dit brièvement lord Walter.
Il se leva, en s’excusant d’avoir peut-être fatigué le malade.
– Bah ! cela n’a plus d’importance ! Ce qui me reste à vivre n’en sera guère abrégé... Vous me mettrez au courant du résultat de votre démarche, my lord ? Car je serais heureux d’apprendre que ces enfants sont sorties d’une situation bien étrange... et gênante. Les souhaits sont tout ce que je puis pour elles. Soyez bon à leur égard, lord Shesbury. Du reste, ce que vous faites en ce moment me prouve que vous vous intéressez très sérieusement à elles.
– Le plus sérieusement du monde, don Alberto. J’irais aux extrémités de la terre, si je savais y trouver la solution de cette énigme.
Sur ces mots, lord Shesbury serra la main brune, décharnée, et quitta la pièce.
Don Alberto demeura immobile, écoutant le bruit des pas qui s’éloignaient. Puis il murmura :
« Il n’a pas la voix de son père... J’aime la sienne, nette, impérieuse, mais où je sens la loyauté... Son pas annonce une nature volontaire, décidée... Lord Falsdone était un faible, Bianca aussi, donna Paola aussi. Et Béatrice... Béatrice n’a pas eu la force de chasser la passion de son cœur. Moi aussi, je suis faible... Je n’ai pas su dominer la haine et la douleur... Seigneur Dieu, je ne suis qu’un orgueilleux ! »
Ses mains se froissaient, se crispaient l’une contre l’autre. Il courba la tête et, sur sa joue creusée, des larmes coulèrent, signes amers du repentir.
La Casa Santa-Anna était un asile destiné aux bourses très modestes. Ancienne maladrerie, on l’avait, vaille que vaille, adaptée à sa nouvelle destination. Les murs sombres, percés d’étroites fenêtres grillées, ne lui donnaient pas un engageant aspect, en dépit de la beauté du paysage environnant. Mais les déments jouissaient du grand air pur, et les moins atteints d’entre eux passaient des heures dans le jardin ombreux qu’ils entretenaient eux-mêmes, le budget de l’établissement ne permettant pas la dépense d’un jardinier.
Lord Shesbury fut reçu dans un parloir garni de sièges en paille par la directrice, grande et maigre personne à mise négligée, à l’abord méfiant, mais qui se fit aimable aussitôt devant la haute mine et l’élégance aristocratique du visiteur. La signora Darielli était très mal, mais elle avait encore l’usage de la parole. Depuis quelques jours, elle cessait de déraisonner et, plusieurs fois, elle avait parlé de sa petite-fille en demandant ce qu’elle était devenue. Si le signor marquis voulait la voir, c’était le moment, car, dans quelques heures peut-être, elle ne serait plus en vie.
Le long d’un couloir sombre, aux relents de cuisine, lord Shesbury suivit la directrice jusqu’à la grande pièce qui servait de dortoir. Un rayon de soleil, pénétrant par les fenêtres étroites et haut placées, arrivait jusqu’au lit où se mourait donna Paola.
Walter vit un menu visage ridé, coiffé d’un bonnet d’où s’échappaient des mèches de cheveux gris. Les paupières closes s’ouvrirent, découvrant des yeux foncés, qui s’arrêtèrent avec quelque effarement sur l’étranger.
– Chère signora, voici une visite pour vous, dit la directrice avec un sourire amène. Le marquis de Shesbury, qui vient au nom de don Alberto Farnella...
– Don Alberto Farnella ? répéta la malade. Elle parlait difficilement. Mais le regard que rencontrait lord Walter était très lucide.
– Veuillez nous laisser, signora, dit-il à la directrice, qui s’empressa de disparaître avec une révérence.
Lord Shesbury s’assit près du lit étroit et se pencha vers la vieille dame.
– Je désire vous faire parler le moins possible, donna Paola. En quelques mots, je vous mettrai au courant du motif qui m’amène ici. Puis, je vous adresserai une question...
En écoutant le jeune homme, donna Paola laissa voir l’émotion, la surprise, l’agitation la plus vive... Et, tout à coup, l’interrompant, elle bégaya entre deux suffocations :
– Mais je... la reconnaîtrais, ma petite-fille... Un cercle... un cercle rouge sous le bras...
– Ah ! vous aviez remarqué ? dit lord Shesbury avec un accent de triomphe. Une des enfants avait ce signe, d’après le témoignage de la nourrice. S’il existe encore, rien ne sera plus facile que d’identifier Faustina Falsdone... ma sœur.
– Votre sœur ? Oui... la fille de cet homme, qui tua ma fille...
Les traits de la mourante se contractèrent, une lueur douloureuse passa dans le bleu foncé des yeux.
– Ma Bianca !... Si belle et qui l’aimait tant ! J’aurais voulu connaître son enfant... Mais c’est fini pour moi...
Elle ferma les yeux en murmurant :
– Vous direz à ma petite-fille que je la bénis... Le cercle rouge... c’est le cercle rouge qu’il faut voir...
– Êtes-vous seule à l’avoir remarqué, donna Paola ?
– Non... Il y avait là une jeune servante à qui je l’ai montré... Elle est partie le soir même pour son village, où ses parents se mouraient de la fièvre... Rosa Martino à... Portalla...
Ce furent les derniers mots que put prononcer la pauvre femme, saisie d’étouffements. Une garde arriva à l’appel de lord Shesbury qui, sortant du dortoir, alla rejoindre la directrice. Il lui dit de donner à ses frais tous les soulagements possibles à la mourante, et, quand elle aurait quitté ce monde, de lui faire faire des obsèques très convenables, pour lesquelles il déposerait une somme chez un banquier de Pérouse. Après quoi, s’étant informé où se trouvait le village de Portalla, il s’y fit conduire en voiture le jour même. Rosa Martino était mariée, mère de famille. Lord Shesbury la trouva dans sa pauvre demeure et obtint facilement d’elle la confirmation de la remarque faite par donna Paola.
– Oui, c’était un assez grand cercle rouge, signor. Il ressortait bien sur la peau très blanche de l’enfant. Oh ! je m’en souviens tout à fait !
Elle reçut avec stupéfaction et ravissement les pièces d’or que lui remettait ce beau seigneur, en échange du renseignement obtenu, qui semblait le satisfaire grandement.
Le lendemain, Walter se rendit à Feruzia pour voir les actes d’état civil concernant les deux enfants. Le curé lui donna confirmation de la seconde demande de renseignements faite sept ans auparavant par un homme d’affaires de Florence – au nom d’un parent des enfants, avait-il dit.
Lord Shesbury alla ensuite informer don Alberto du résultat de sa démarche près de donna Paola. Puis, ayant appris que celle-ci était morte deux heures après sa visite, il décida d’assister aux obsèques, comme représentant de Faustina, petite-fille de la défunte.
Après quoi, il reprit la route d’Angleterre.
Lord Shesbury, avant son départ pour l’Italie, avait donné à Mrs Rockton des instructions précises au sujet de ses pupilles. La dame de compagnie devait, sans tarder, leur choisir les meilleurs professeurs en musique, dessin, littérature – sans oublier l’équitation. Elle leur procurerait les distractions compatibles avec leur âge, mais il ne serait pas question pour elles des plaisirs mondains de la saison.
– Il a l’air de prendre son rôle de tuteur au sérieux, avait fait observer lady Paméla à Mr Barford.
– Je vous ai dît, chère amie, que Walter avait une tout autre nature que son père... une nature qui peut nous réserver des surprises. Tenez-vous bien à son retour, pour faire l’ignorante, au cas où il aurait été se renseigner là-bas sur ces jeunes filles... Tenez-vous bien, car il faudrait peu de chose pour lui faire soupçonner que vous étiez déjà au courant
Rose, de fort mauvaise grâce, avait suivi sa mère à Londres. Elle était retombée dans son humeur maussade, très atténuée par l’influence d’Orietta, et la faisait même parfois sentir à son amie. Mais celle-ci avait une patience inépuisable pour l’enfant malade et, bientôt, elle la décida à prendre sa part de quelques-unes des leçons que venaient donner aux pupilles de lord Shesbury les professeurs les plus réputés de Londres.
– Mais, chère petite, ils demandent des cachets exorbitants ! dit lady Paméla, quand sa fille lui exposa ce désir. Avec les revenus que me donne lord Shesbury, j’arrive juste à tenir le train de vie convenable pour notre situation. Tu sais que ton frère est assez peu généreux pour nous... alors qu’il prodigue l’argent pour l’éducation de ces petites étrangères...
– Il a bien raison ! s’écria impétueusement Rose. Mais vous avez certainement de quoi me payer ces leçons, maman ! La moindre de vos toilettes vaut plus que cela...
– Ma fille va-t-elle me reprocher mes toilettes, maintenant ? dit lady Paméla avec humeur. Apprends, Rose, qu’en ces dernières années j’ai dû retarder le paiement de nombreuses factures pour pouvoir te faire suivre des traitements coûteux. Lord Shesbury, à qui je me suis adressée pour obtenir un supplément de revenus, m’a répondu que la somme autrefois fixée par son père lui paraissait très suffisante. II a donc fallu que je m’arrange seule... Et maintenant, il me reste encore quelques anciennes notes à solder. Donc, mon enfant, je suis dans l’impossibilité de te donner les professeurs que tu désires.
Rose, blessée par l’allusion de sa mère aux soins qu’avait nécessités sa santé, eut une crise de colère, après laquelle se manifesta un fort accès de fièvre. Lady Shesbury, sous le coup de l’inquiétude, l’assura qu’elle lui ferait donner toutes les leçons dont elle avait envie. Mais Rose déclara qu’elle ne se souciait pas du tout de l’entendre lui reprocher quelque jour ce qu’elle dépensait pour sa fille. Elle demanderait à Orietta de lui répéter les leçons des professeurs que ne pouvait se payer la sœur du plus opulent seigneur d’Angleterre.
Là-dessus, lady Paméla s’en prit, non à Rose, mais à Orietta, en lui faisant plus grise mine que jamais. Encore tenait-elle en bride sa malveillance, par crainte du mécontentement de lord Walter. Car, s’il semblait indifférent à la beauté de sa pupille, en tant que tuteur il portait un certain intérêt à elle et à Faustina, comme le prouvait l’éducation qu’il leur faisait donner.
Faustina montrait une grande joie de ce séjour à Londres, et Orietta, bien qu’elle aimât Falsdone-Hall, avait éprouvé quelque soulagement à le quitter à la suite du dramatique incident qui avait failli lui coûter la vie, Elle se réjouissait aussi de pouvoir travailler à l’achèvement de son instruction, perspective qui n’enchantait pas le moins du monde Faustina. Dès les premiers jours, les professeurs déclarèrent à Mrs Rockton que miss Orietta Farnella était une des natures les plus richement douées, au point de vue intellectuel et artistique, qu’ils eussent jamais rencontrées.
L’existence, dans la magnifique résidence londonienne du marquis de Shesbury, s’annonçait pour les deux jeunes filles assez différente de celle qu’elles venaient de mener à Falsdone-Hall. Tandis que lady Shesbury se lançait avec délices dans le grand courant mondain, Orietta et Faustina restaient à l’écart de celui-ci. Elles se promenaient à pied ou en voiture avec Mrs Rockton, assistaient à des concerts, à quelque spectacle approprié à leur âge, visitaient des galeries de tableaux. Mais elles ne paraissaient pas dans le monde, ni aux petites réceptions que donnait deux ou trois fois par semaine lady Shesbury. Telles avaient été les instructions de lord Shesbury, que suivait scrupuleusement la dame de compagnie.
Faustina en montrait quelque dépit. Orietta le regrettait un peu. Non qu’elle ne se fût plu, dans les premiers temps surtout, aux distractions de Falsdone-Hall et n’eût pris quelque complaisance aux discrets hommages des hôtes masculins de lord Shesbury. Mais elle sentait en son âme une inquiétude, un trouble, un malaise indéfinissables, qui lui faisaient désirer le calme d’une vie réglée, plus sérieusement occupée.
L’absence de lord Shesbury lui causait aussi un singulier soulagement. Mais elle ne se prolongea pas plus de quinze jours... Et Orietta laissa échapper un « déjà » quand Rose, un matin, lui annonça que son frère était arrivé la veille, dans la soirée.
– Eh bien ! ma chérie, il ne serait pas flatté, s’il vous entendait ! dit en riant la fillette. Lui, devant qui toutes ces dames, jeunes, moins jeunes et mûres, sont en dévote admiration, comme vous avez pu le constater à Falsdone-Hall ! Décidément, il y a toujours entre vous la mauvaise impression d’autrefois !
Orietta rougit un peu, en répliquant avec impatience :
– La sympathie n’existe pas, en effet. Cependant, je dois être reconnaissante de ce que fait pour nous lord Shesbury. Un autre, à sa place, aurait pu ne pas accorder d’importance aux désirs de son père, en faveur de petites étrangères... ou, du moins, il l’aurait pu faire avec moins de générosité... Oui, certainement, lord Shesbury est très généreux...
Les lèvres écarlates, d’un beau rouge ardent, frémissaient, comme si quelque pénible émotion agitait Orietta. Celle-ci se leva en ajoutant :
– Je vais maintenant dessiner un peu, si vous n’avez pas besoin de moi, Rose.
– Non, allez, ma chère Orietta. Mais revenez après le lunch pour me donner ma leçon d’italien.
Orietta mit un baiser sur le front de son amie et se dirigea vers la porte. Au moment où elle l’ouvrait, le petit chien de lady Rose, qui vaquait dans le salon, se faufila dans cette ouverture et disparut.
– Oh ! Fifi est parti ! s’écria Rose. Pourvu que Walter ne le trouve pas sur son passage ! Il serait capable de le faire tuer, s’il était en mauvaise disposition !... Tâchez de le rattraper, Orietta I... vite, vite !
Orietta s’élança dans les corridors, dans le grand escalier aux balustres de chêne sombre, admirablement sculptés. Elle traversa le hall immense à la suite du chien, qui disparut dans le salon de la Reine.
Ainsi nommait-on cette pièce, à cause d’un beau portrait de Marie Tudor, donné par cette reine au lord Shesbury d’alors. Les plus somptueuses tapisseries de Bruxelles, des meubles dus aux plus grands artistes de l’époque, cent objets réalisés par le patient labeur d’autrefois, et dont le moindre était un chef-d’œuvre, en faisaient un véritable musée. Elle ouvrait sur le jardin par deux portes cintrées, larges et basses, décorées de vitraux qui étaient la copie des précieuses verrières du XVIe siècle, ornant les étroites et hautes fenêtres. Une boiserie de chêne, fouillée comme une dentelle, et derrière laquelle retombait une tenture de soie ancienne brochée d’or et de pourpre, séparait cette salle du magnifique jardin d’hiver dont les arômes se répandaient jusqu’à elle.
Quand Orietta en eut franchi le seuil, elle aperçut, près d’une des portes ouvertes sur le jardin ensoleillé, lord Shesbury qui fumait, nonchalamment enfoncé dans un fauteuil au bois précieusement travaillé. Le chien courait vers lui et vint se blottir contre son pied. Orietta s’élança, les mains tendues, pour saisir l’imprudent. Walter se redressa vivement, se pencha, prit la petite bête et la présenta à la jeune fille qui s’en empara avec des mains un peu frémissantes. Puis il se leva et, jetant sa cigarette dans un cendrier voisin, dit avec un sourire teinté d’ironie :
– Vous aviez peur, je gage, que je lui torde le cou ?
– Il me semble, my lord, que j’avais quelque raison de craindre...
Le saisissement avait fait venir un peu de sang aux joues d’Orietta... Puis, tout à coup, l’orage montait en son âme, allumait une lueur dans le bleu sombre des yeux qui rencontraient ceux de lord Shesbury, éclairés de leurs plus ardents reflets d’or.
– Quoi, encore cette vieille histoire ?... J’étais presque un enfant alors, Orietta, et vous aviez un tel air de me braver... comme en ce moment, tenez !...
Elle baissa les yeux, avec un singulier petit frisson. Qu’elle détestait ce regard !... Qu’elle le détestait ! Elle le préférait encore quand il se moquait... mais quand il l’éblouissait, alors, vraiment, c’était insoutenable !
Et pourquoi lord Shesbury l’appelait-il ainsi Orietta tout court, en supprimant le « miss » dont il s’était servi jusqu’alors ? Pourquoi prenait-il ce ton d’aimable indulgence, cette voix aux intonations si chaudement ensorcelantes ?
– Je n’ai pas du tout l’intention de vous braver, my lord...
Elle s’efforçait de parler avec calme, de maîtriser le trouble, la bouillante agitation de son âme.
– ... Mais je considère que cette « vieille histoire », comme il vous plaît de l’appeler, a fait beaucoup souffrir l’enfant trop sensible que j’étais. D’ailleurs, je reconnais volontiers que mon pauvre Nino avait les premiers torts... mais la punition fut trop dure... et trop prompte.
– J’en conviens maintenant... et je vous offre tous mes regrets, Orietta. Oublions, voulez-vous, que je fus trop vif, trop... violent à votre égard. Oui, je désire vous le faire oublier...
Était-il possible que cette voix, qui savait prendre des intonations si durement impératives, ou si froidement railleuse, pût devenir tellement enchanteresse ?
– ... Car il ne me conviendrait pas que nous fussions indéfiniment ennemis. Mais nous reparlerons de cela. Aujourd’hui, j’ai beaucoup de choses à vous apprendre... et à Faustina aussi. Puisque vous voilà, je vais vous les dire, et vous les répéterez à celle que vous croyez votre sœur.
– Faustina n’est pas ma sœur ?
– Non, mais votre cousine et ma sœur à moi.
– Que signifie cela ? murmura Orietta, visiblement abasourdie.
Puis, voyant que Walter lui avançait un fauteuil, elle objecta :
– Il faut que j’aille reporter le chien chez lady Rose... Puis, je pourrais dire à Faustina de venir, puisqu’elle est aussi intéressée à...
– C’est inutile, j’aurai tout à l’heure un entretien avec elle. Quant à ce chien, gardez-le. J’ai, il est vrai, peu de sympathie pour cette sorte de bestiole ; mais je résisterai très facilement au désir d’étrangler celle-ci, tout ogre que je sois à vos yeux.
Ces mots furent dits avec une gaieté légèrement moqueuse. Orietta s’assit, en tenant le chien sur ses genoux, et lord Shesbury prit place dans le fauteuil voisin. Alors, en atténuant les torts de son père, en laissant de côté l’abandon de donna Béatrice, il fit le récit du mariage de lord Cecil Falsdone et de la singulière situation faite aux deux cousines par la faute de la nourrice.
Orietta l’écoutait sans interrompre. Sa vive surprise, son émotion profonde, se manifestaient seulement par le regard attaché sur lord Walter. Quand il eut achevé, elle murmura :
– Quelle étrange chose !... quelle étrange chose ! Puis elle demanda, avec de l’anxiété dans la voix :
– Mon père ne vous a pas dit qu’il serait heureux de me voir, my lord ?
– Non, Orietta. Votre père est un misanthrope... un homme qui a beaucoup souffert et s’est complu dans cette souffrance. Maintenant, il ne pense qu’à la mort assez proche et ne désire plus rien en ce monde.
– Cependant, il devrait trouver une consolation à voir sa fille près de lui dans ses derniers jours... Et, moi, je n’ai que lui...
Elle luttait contre les larmes. Elle ne voulait pas laisser paraître toute sa pénible émotion devant lord Shesbury.
– Que lui ? Que dites-vous là ? Faustina et moi, ne comptons-nous pas, Orietta ?
Il se penchait et posait sa main sur celle que la jeune fille enfonçait dans le poil soyeux du chien endormi. Elle entrevit le chatoyant éclat de ses yeux et, aussitôt, détourna les siens.
– J’ai toujours considéré Faustina comme ma sœur et je lui suis attachée. Quant à vous, my lord... vous n’êtes pour moi qu’un étranger...
– Pas très sympathique ?... Et moi qui comptais vous traiter en cousine... puisque vous êtes celle de Faustina ! Ne pourriez-vous tout d’abord supprimer ce cérémonieux « my lord » ?
– Oh ! non, je ne le pourrai jamais ! dit-elle avec un vif mouvement qui réveilla le chien et fit glisser la main de Walter.
Il sourit, en répliquant :
– Mais si, vous le pourrez.
Elle secoua la tête, en signe de doute. Pendant quelques instants, l’un et l’autre gardèrent le silence. Orietta, les paupières à demi baissées, caressait machinalement le petit chien. Son corps svelte, d’une grâce harmonieuse, entouré des plis sombres d’une robe de cachemire blanc, s’enfonçait dans le fauteuil profond, contre le haut dossier duquel s’appuyait la tête coiffée des boucles aux admirables tons d’or foncé, qui tombaient sur la blancheur satinée du cou délicat. Mais, bien qu’elle ne vît pas le regard de lord Shesbury, la jeune fille le sentait sur elle... et, bientôt, ce silence lui parut intolérable.
– Lady Rose est donc aussi la demi-sœur de Faustina ?
Elle se forçait à regarder Walter – car, en vérité, c’était une chose ridicule d’éprouver cette sorte de vertige, une chose tout à fait ridicule.
– Certainement... Dites-moi donc si vous avez remarqué sous le bras de Faustina un cercle rouge !
– Mais oui, il est très distinct.
– Donc, pas de doute sur son identité... Allez lui apprendre la nouvelle, puis envoyez-la-moi, je vous prie.
Il se leva en même temps qu’Orietta. Sa main, en un geste à la fois impératif et doux, se posa sur le bras de la jeune fille.
– Votre père, à ma seconde visite, m’a donné toute autorité pour continuer près de vous mon rôle de tuteur. Il faudra donc rester ma pupille pendant trois ans encore... Cela vous paraît sans doute bien long ?
– Très long !... Et encore, heureusement, ce n’est pas moi qui suis votre sœur, my lord !
– Vous en auriez été vraiment fâchée ?
– Très fâchée ! Car il me semble que je n’aurais jamais été indépendante.
– Quoi ! avez-vous donc un si grand amour de la liberté ? Mais, alors, comment le concilierez-vous avec le mariage ?
– Je ne saurais l’expliquer...
Une secrète impatience la gagnait, en voyant le léger sourire sarcastique de lord Shesbury. Elle fit quelques pas vers la porte, tandis que la voix doucement railleuse de Walter disait :
– Eh bien ! voyez comme tout s’arrange à notre gré ! Moi aussi, j’aime beaucoup mieux être simplement votre tuteur... Oui, j’aurais été désolé que Faustîna ne fût pas ma sœur...
Il ouvrit devant elle la porte du salon, la regarda s’éloigner dans le hall, puis revint s’asseoir, la mine pensive, en murmurant :
« Elle devient chaque semaine, chaque jour, plus merveilleusement belle... et ses yeux sont expressifs au-delà de tout ce qu’on peut rêver. »
Lady Shesbury se levait fort tard, en cette période des soirées presque quotidiennes, et arrivait tout juste à être prête pour le lunch. Ce matin-là, quand elle descendit, fraîchement fardée, vêtue d’une délicieuse toilette mauve, elle fut abordée dans le hall par le serviteur hindou de lord Shesbury. Sa Seigneurie, expliqua Ram-Sal, la priait d’entrer un instant dans le salon de la Reine.
Lady Paméla sentit un petit frisson lui courir dans le dos. Elle redoutait la clairvoyance de son beau-fils, elle craignait ses ironies glacées... elle tremblait, à chacune de ces convocations, assez rares d’ailleurs, d’avoir encouru son déplaisir et de se voir privée des revenus laissés par lord Cecil à sa discrétion.
Néanmoins, elle était assez forte en dissimulation pour se composer un visage calme et souriant, dès l’entrée dans la pièce où l’attendait lord Shesbury.
– Vous avez fait un agréable voyage, mon cher Walter ?
– Ce n’était pas un voyage d’agrément...
Walter effleurait de ses lèvres la main que lui tendait sa belle-mère. Puis il ajouta :
– J’ai une simple question à vous adresser... Est-ce vous qui avez fait demander, il y a neuf ans, des renseignements, à Feruzia, sur l’origine des petites Farnella ?
Si préparée que fût lady Paméla, par les soins d’Humphrey, à entendre cette question, elle eut peine à ne pas se troubler. Quel regard il avait, ce Walter, pour chercher à pénétrer la pensée ! Mais elle sut répondre, avec un calme apparent et une surprise très bien jouée :
– Moi ? Que voulez-vous dire, Walter ? Je n’ai jamais demandé le moindre renseignement !
– Alors, ce doit être Humphrey ?
– Humphrey ? Et à quel propos, Seigneur ?... Quel besoin avait Humphrey de se renseigner sur ces petites étrangères ?