Oser le monde - Richard Werly - E-Book

Oser le monde E-Book

Richard Werly

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  • Herausgeber: Nevicata
  • Kategorie: Lebensstil
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2024
Beschreibung

Dix ans. Près de 80 livres publiés, dont beaucoup ont été salués par la critique. La collection "L’âme des peuples" est aujourd’hui une aventure éditoriale reconnue. Grâce à nos auteurs, tous spécialistes des pays, régions et villes qu’ils ont choisi de raconter, une communauté unique est née, passionnée du monde et résolue à comprendre les autres : ceux qui nous entourent, ceux qui sont loin, ceux que l’on oublie trop...Dix ans. Et une volonté résolue de poursuivre cette aventure ! Rien de tel, pour s’en convaincre, que ce hors-série, recueil inédit de voyages et de découvertes qui ont transformé les auteurs réunis ici. Ceux qui aiment "L’âme des peuples" trouveront dans ce petit livre de quoi creuser et cultiver un peu plus notre sillon de découverte et de compréhension mutuelles.


À PROPOS DE L'AUTEUR  

Directeur de la collection "L’âme des peuples", Richard Werly est éditorialiste chargé de la France et de l’Europe au quotidien suisse "Blick", après avoir été correspondant du "Temps" à Bruxelles et Paris.

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Seitenzahl: 126

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Couverture

Page de titre

AVANT-PROPOS Le sillon des âmes

Richard Werly

Brosser le portrait d’un pays comme celui d’une personne. Peindre le visage d’une ville. Dessiner les contours d’une région, d’un estuaire, d’un fleuve, d’un massif montagneux ou d’un lieu pour nous le rendre familier et nous le donner à voir. Tel est, depuis dix ans, la première consigne que reçoivent tous nos auteurs, avant de nous livrer leur manuscrit pour L’âme des peuples. L’écriture comme peinture : colorée, tantôt épaisse, rugueuse et chatoyante, tantôt pastel, matinée de quelques coups de crayon, tendance fusain. Les mots à la place du pinceau. Le goût des autres et le choix de tout faire pour les comprendre, en guise de cadre dans lesquels viennent s’insérer ces fresques.

Voici dix ans que notre collection vous transporte d’un bout du monde à l’autre. J’utilise à dessein le verbe « transporter », car il symbolise bien l’esprit de nos petits livres aux couvertures si reconnaissables. Lire L’âme des peuples, c’est accepter d’emblée la différence. C’est se dire que les peuples, justement, tirent leur culture, leurs habitudes, leurs envies et leurs passions, tristes ou joyeuses, de l’environnement qui les entoure. Sans une intime connaissance des paysages, pas de compréhension possible des rythmes, de la vie économique, des choix de société. Sans une plongée dans la littérature et la musique locale, pas de compréhension des peurs, des désirs, des illusions et des rêves de ceux qui vous reçoivent et vous racontent leurs vies. Parce que pour connaître les peuples, peut-on lire sur nos quatrièmes de couverture, il faut d’abord s’efforcer de les comprendre.

Une passion en héritage

Cette passion de l’autre et de la différence, L’âme des peuples l’a en quelque sorte reçue en héritage. Avant la nôtre, d’autres collections légendaires comme Petite Planète, aux éditions du Seuil, ou Monde, aux éditions Autrement, creusèrent avec brio ce sillon de l’esprit et du voyage qu’ont emprunté à leur tour, depuis 2014, nos quelque quatre-vingts livres et hors-série. Qui aurait cru cela possible ? Petite maison d’édition belge basée à Bruxelles, forte d’une solide expérience en littérature de voyage, Nevicata a pourtant tenu bon dans l’aventure. Chacun de nos ouvrages est, dès lors, à la fois le fruit de cette belle détermination et un hommage rendu à cette conviction éditoriale devenue trop rare : celle que la curiosité, la vraie, sera toujours récompensée par le public et les lecteurs.

Les textes qui suivent sont autant de petits cailloux posés sur le sentier que nous avons, depuis dix ans, entrepris avec vous de défricher, puis de baliser. Vous y découvrirez, côte à côte, les lieux que nos auteurs retrouvent toujours avec passion, dont ils ont choisi de vous faire partager les saveurs ou les larmes. Laissez-vous, par eux, transporter au Népal, au Japon, en Afghanistan, en Arménie, sur les rivages des Caraïbes ou du Léman, et bien sûr aussi en France.

Parce que seule la découverte a le goût infini de l’envie. Et parce que le sillon des âmes nous offrira toujours la plus belle récolte de la terre : l’émerveillement du monde.

Richard Werly dirige la collection L’âme des peuples depuis sa création. Il est l’auteur, aux Éditions Grasset, de La France contre elle-même (2022) et, avec François d’Alançon, du Bal des illusions (2024).

EN ARMÉNIE Le prix de la vie

Tigrane Yégavian

« Échangerais histoire grandiose contre meilleur emplacement géographique. » Jamais cette remarque n’aura eu autant d’acuité dans le cas arménien : à y voir de plus près, la petite Arménie, exsangue et épargnée de justesse de l’élimination définitive en 1915 et en 1920, renoue tragiquement avec la géopolitique des empires. Entourée d’ennemis mortels (l’Azerbaïdjan et la Turquie) et abandonnée par un vieux « faux ami » (la Russie), son territoire est plus que jamais menacé. Et dans cet environnement hostile, les Arméniens osent encore revendiquer leur droit à l’insouciance.

Adolescent, je placardais les murs de ma chambre de cartes physiques et politiques de l’Arménie et du Haut-Karabagh. Conscient de l’étroitesse du territoire arménien, je trompais ma frustration en collectionnant ces cartes à grande échelle. Ma passion pour la géopolitique est née de la contemplation d’un tracé frontalier indécis, d’un intérêt prononcé pour une étroite bande montagneuse, le Syunik, verrou stratégique empêchant la jonction panturquiste, et voie de passage, sur l’Araxe, des routes de la soie du passé et peut-être du futur. Je me refusais de croire que l’Arménie pourrait davantage se rétrécir encore, telle une peau de chagrin.

Depuis 2020 l’Arménie se resserre, par la taille d’abord, les Azerbaïdjanais ayant pris possession du cadastre que le droit lui certifie autour de l’enclave de l’Artsakh (Haut-Karabagh en arménien) qui, bien que balafrée et réduite à sa portion congrue, avait tenu bon. Une écharde à éliminer.

Une guerre hybride de trois ans, suivie d’un blocus impitoyable, aura eu raison en 2023 de la résilience des 120000 irréductibles Artsakhiotes qui se sont accrochés à leurs racines jusqu’au bout, bravant la faim, les maladies, l’angoisse et la peur. Le coup de grâce et l’irréparable ont rappelé à la face du monde combien ce peuple était infiniment seul. La hantise de tout un patrimoine menacé de destruction, les chiffres des morts, des disparus, des kidnappés, des torturés alimentent une statistique macabrement banalisée ; de quoi réaliser des petits graphiques à relayer sur les réseaux sociaux, généralement likés et relayés par des utilisateurs aux noms finissant par un –ian.

Afflux Russe

Dans le centre d’Erevan, les bars et restaurants ne désemplissent pas ; des bailleurs d’appartements se remplissent les poches face à l’afflux des Russes et de leurs capitaux. Reebok Armenia, un ultramoderne complexe sportif de luxe, a ouvert ses portes où des jeunes au teint nordique surfent à l’envi sur leurs planches portées par des grosses vagues artificielles.

L’été dernier, il faisait chaud, une insouciance trompeuse soufflait dans ce parc de l’avenue Bagramian où les concerts en plein air se succédaient dans la chaleur d’un été sec et ventilé, comme ce vin exquis de Touchpa. J’aime sentir le temps suspendu sur cette goutte de blanc glacé, savourer le matin calme, rue Abovian, langoureusement assis à la terrasse du café Artbridge où l’on trouve les meilleurs ouvrages sur l’histoire de l’Arménie. De là, je me plais à croire que la guerre n’est qu’une vue de l’esprit. Non, rien ne peut arriver dans mon cocon. Pourtant l’ennemi empiète sur plusieurs parcelles de hauteurs stratégiques, à quelques encablures de la capitale et ses lumières. La question n’est pas de savoir si une nouvelle offensive aura lieu, mais quand ?

Le pays se rétrécit à l’échelle physique, mais aussi humaine. Il y a cinq ans déjà, nous voulions croire que derrière Nikol Pachinian, ce petit bonhomme aux traits rustiques, à la voix nasillarde, vêtu d’une tenue moulante kaki, pouvait se dessiner une nouvelle Arménie libre et souveraine. En ce printemps 2018, il y a si longtemps déjà, un vent nouveau chargé d’espoirs fous semblait souffler sur Erevan enivrée par le succès d’un mouvement de désobéissance civique aux accents de révolution de velours. Une centaine de milliers de jeunes et de moins jeunes « dégageaient » un régime corrompu et de plus en plus autoritaire. Cette jeunesse n’avait pas connu les rigueurs du communisme, mais elle avait souffert du mépris ahurissant des élites successives pour le bien commun. Une Arménie nouvelle débarrassée des scories du post-soviétisme pouvait donc se projeter. Il en a été autrement…

Cortège mortuaire

La guerre de 2020 a englouti dans son cortège mortuaire tant de jeunes qui avaient battu le pavé pour ce président et sa révolution de velours. Je pense aux absents qui jonchent le cimetière militaire de Yerablur, leur destin terrassé par la violence du réel. Ce petit bonhomme est toujours là, bravant ses opposants qui peinent à se présenter en alternative crédible. Leurs dirigeants n’ont peut-être pas une voix nasillarde mais leur amateurisme, leur complaisance flagrante vis-à-vis d’un Vladimir Poutine coupable de non-assistance à un allié en danger ou, pire, de complicité avec l’ennemi, ne rassure guère. Décidément, il n’est point de de Gaulle en mesure de ramasser le tronçon du glaive, d’exprimer en peu de mots les raisons de croire aux vertus de l’Espérance, quand tout n’est que tragédie et humiliation.

Mon espérance à moi, je la trouve dans le cœur de mes amis. À défaut de posséder leur nationalité, je jouis de leur estime et surtout de leur amitié. Aghavni et Ani, mes amies des jours heureux et des soirs de deuil, demeurent fidèles à leur poste. Elles ont travaillé avec des jeunes propulsés par la force des événements aux commandes du pays. Seule la poésie d’un Tcharents et d’un Terian masque leur mélancolie. Elles restent à leur poste, débordées, dans cette Erevan au tuf rose. « Ma sœur est à Moscou, mon frère en Californie, moi je reste. Si je pars, qui va prendre soin de mon pays ? » Cette phrase médicale, je l’entends de la bouche de tant d’amis désabusés et d’une lucidité clinique.

Dans son bureau, un ami poète a décidé qu’il ne voulait (ou ne pourrait ?) plus écrire : « J’ai peur de ce qui peut sortir. » J’ai envie de lui parler de ces femmes arméniennes qui ne jouissent plus, qui n’ont jamais vécu la joie de l’étreinte, feignant un plaisir artificiel, conventionnel et hypocrite. Je n’ose aller plus loin. Mais cette question me hante encore aujourd’hui. Et si c’était vrai ? Que ce peuple était condamné à ne porter que le poids d’un devoir sacré, dépouillé de sa chair mystique ? Je devrais en parler à mon ami le journaliste Christian Makarian, pour qui les Arméniens ne devraient jamais renoncer à leur « droit inaliénable à l’insouciance »…

Être ou ne pas être

Simon Abkarian, lui, promène son élégance diasporique au gré des rencontres et d’une parole qu’il magnifie par son talent d’acteur. Je le sais meurtri et blessé, je le sais aussi debout et confiant. « La diaspora est un empire qui s’ignore » me dit-il. Son regard – pacifique et révolté – m’interpelle et me réconforte. Si je le pouvais, je recollerais les fragments éparpillés de mon âme en un tout cohérent. Presque harmonieux. En serais-je plus heureux ? Rien n’est moins sûr. Que pouvons-nous y faire, si tel est le fruit de l’Histoire ? L’idée d’une Arménie patrie de tous les Arméniens peine à faire son chemin. Dans son logis parisien, mon parrain, l’archevêque Norvan, ne croit pas à cette chimère ; la lecture matinale des Psaumes et l’écriture d’une théologie de l’exil lui suffisent pour retrouver la paix et le réconfort du Très Haut. « Se convertir, c’est la seule voie ! Il est écrit que les premiers seront les derniers et les derniers seront les premiers. Nous sommes devenus païens. »

Un geste, un faux pas et tout s’écroulera. Les miens sont tiraillés entre l’Arménie réelle et l’Arménie spirituelle. L’Arménie survivante et l’Arménie posthume. Je nous sais séparés par un abîme, mais aujourd’hui l’urgence demande que je me pose cette question existentielle : être ou ne pas être ? Le droit de vivre ou de survivre ?

Retour à Erevan. Je repense à ce que me dit Simon, la phrase de Hamlet qui l’habite. Derrière la majesté du mont Ararat, je cesse de fantasmer sur une terre perdue où j’ai cru entrevoir la vie éternelle, tel un pèlerin amoureux. De l’autre côté des barbelés, le Premier ministre exhorte ses administrés à ne plus regarder la montagne sacrée, il propose de regarder plutôt l’Arménie dans sa réalité temporelle, voire passagère. L’Artsakh se vide de ses âmes en 48 heures, les cartes du pays sont réimprimées à la va-vite, l’historiographie gomme les noms des hommes et des femmes qui ont eu l’audace de s’opposer aux bourreaux du passé. Un peu trop vite. La terre se dérobe sous mes pieds, mais je ne perds rien du goût de l’abricot, ni du sang sucré de la poésie et des grenades. Et ce n’est pas ce chauffeur de taxi cuistre et indifférent au sort des siens qui me fera perdre le moral.

La vie malgré tout

Le pays – où Noé fut le premier vigneron à planter un cep –ne renonce pas à son goût pour la vie. Je déambule dans un festival du vin à Dilidjan. Tout n’est que luxe, calme et volupté. J’apprends qu’en Arménie, il existe 240 variétés endémiques de vignes. Des vignes anciennes qui n’ont jamais été touchées par le phylloxéra. Une foule bigarrée, à laquelle se mêlent de jeunes urbains et des Russes enjoués, croise mon regard furtif.

La jeunesse a autre chose à vendre que de la mémoire du génocide ; elle mise sur le high-tech avec force ; certains voient plus loin. Plus haut. Comme le grand astrophysicien Garik Israélian qui, en inaugurant le Youth Forum de la diaspora, invite son public à regarder plus souvent le ciel sans ignorer que l’ennemi n’attend qu’une occasion pour attaquer.

En cet été agonisant, l’Artsakh est en train de tomber comme un fruit mûr, de faim, de soif, de stress et d’angoisse. Mais à Erevan, les restaurants et les bars ne désemplissent pas. Je marche rue Sarian avec mon ami C. Il me cite Mordechaï Anilewicz, 24 ans, chef de l’Organisation juive de combat au printemps 1943, qui disait : « Nous nous battons, non pour la vie, mais pour le prix de la vie ; non pour éviter la mort, mais pour la manière de mourir. » Les nostalgiques d’un choc de civilisation entre islam et chrétienté l’ignorent peut-être : les Arméniens ne veulent plus entendre le mot résilience. Ils le connaissent trop bien. L’Arménie avance sur le fil du funambule, d’aucuns voudraient en faire une réserve indienne, d’autres un parc d’attractions mémoriel pour touristes diasporiques.

Ici, au pied du mont Ararat, nous connaissons tous le prix de la vie.

Tigrane Yégavian est journaliste et chercheur. Il a publié Arménie. À l’ombre de la montagne sacrée (L’âme des peuples, Nevicata).

À TEL-AVIV (ISRAËL)Demain, le printemps

Aude Marcovitch

Un samedi soir de fin novembre, Kikar ha Hatufim, la place des otages, ainsi qu’a été renommée l’esplanade devant le musée d’art de Tel-Aviv. 100000 Israéliens sont là, venus se serrer les coudes, soutenir ces familles dont les leurs ont été capturés 50 jours plus tôt par le Hamas et emmenés à Gaza. L’atmosphère est lourde, intense, les visages tendus. Les portraits de ceux arrachés aux bras aimés sont brandis par la foule qui scande ahshav ! ahshav !, « maintenant ! maintenant ! » Des mots adressés au gouvernement comme aux responsables militaires pour qu’ils n’oublient pas, selon ce qu’annoncent des affiches : « Il n’y a pas de victoire jusqu’à ce qu’ils reviennent ». Les mois précédant le cataclysme qui a frappé Israël, ce funeste 7 octobre 2023, les habitants de Tel-Aviv s’étaient largement mobilisés pour un autre combat, politique et social, les opposant au gouvernement et à sa majorité religieuse. Mais le shabbat noir, le pays a basculé dans l’horreur : celle des images provenant d’une gigantesque rave party près de Re’im, puis des kibboutzim proches de la barrière de séparation avec Gaza, des ultimes appels désespérés de ceux appelant à l’aide.