Où es-tu Yazid ? - Claude Raucy - E-Book

Où es-tu Yazid ? E-Book

Claude Raucy

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Beschreibung

Un roman profondément humain

Eliott vit dans une drôle de famille, où on ne s’embrasse pas sur la joue et où on ne fête pas les anniversaires.
Un jour, dans la cabane au fond du potager, Eliott trouve Yazid, un jeune terroriste qui revient de Syrie et se cache de la police.

Yazid supplie Eliott de ne pas le dénoncer...

Ce récit aborde un sujet d'actualité, le terrorisme, d'une manière nuancée et pédagogique.

EXTRAIT

La porte est toujours verrouillée, mais je sais qu’il suffit de soulever un pot où des géraniums achèvent de mourir. La clef est là, qui permet de pénétrer dans cet antre du parfait mauvais jardinier. Depuis la fin de l’été, mon père n’y met plus les pieds et je suis sûr qu’on ne m’y dérangera pas jusqu’à la fin du printemps.
Cette fois, la clef n’était pas sous le pot. Ni à côté. Je l’ai cherchée à terre. Rien. Elle était sur la porte. Étrange. Avais-je oublié de la retirer la dernière fois que j’étais venu ? Non, car la porte n’était pas verrouillée. Bizarre.
Il y avait quelqu’un à l’intérieur. Assis sur un sac, un garçon que je ne connaissais pas.
— Que faites-vous là ?
La question a résonné à mes oreilles comme une phrase de film. Mais que dire quand on est face à quelqu’un qui n’a pas à être là et qui ne justifie pas spontanément sa présence ?
Pas de réponse à ma question. Je me suis approché du garçon. Il m’a regardé avec un air mauvais. Je me suis arrêté. J’attendais.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Claude Raucy est né en 1939. Il a exercé le métier d'enseignant avant de se consacrer entièrement à l'écriture à partir de 1997. Il est membre de l'Association des écrivains belges, de la Société européenne de culture (Venise) et secrétaire perpétuel de l'Académie Royale Luxembourgeoise.
Chez Ker, il est également l'auteur du Violon de la rue Lauriston.

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J’ai mis « Vivre » sur mon drapeau, Vivre toujours à la lumière.

Charles De Coster

Bien sûr, dit le renard. Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais, si tu m’apprivoises, nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde.

Hydravion provisoire

Thomas attendait son bus près du C & A. Il me regardait avancer dans le soleil. Une feuille de marronnier, très jaune, était restée attachée à l’arbre. Nous étions fin avril pourtant et, déjà, les bourgeons réclamaient leur place. Je me suis arrêté. La feuille s’agitait doucement, suivant les caprices de la brise. Puis, comme lassée de ce petit jeu, elle s’est détachée, a fait quelques tours de valse et s’est posée sur mon épaule. Je me suis senti hydravion provisoire du printemps. Destiné à recueillir les retardataires.

Avancer vers quelqu’un qui vous regarde avancer, je connais ça. Je l’ai vécu si souvent. Les hommes qui taillent leur haie, ils nous aperçoivent à l’orée de la rue, ils déposent l’outil et reprennent demeure très vite, inquiets, presque effrayés. Et ils nous attendent derrière la vitre, heureux de constater notre vaine obstination à les rencontrer, à leur parler. Satisfaits de notre mine jamais vraiment résignée.

Oui, je connais ça. D’habitude, c’est celui qui marche vers l’autre qui sent la chaleur rouge envahir ses joues. J’ai vécu ce pourpre qui vous salit, vous fait petit, vous donne envie d’une douche, d’un gant de crin qui gratte la honte. Ou d’un simple baiser sur la joue, qui laverait, comme une rosée. Les baisers sur la joue, chez nous, c’est denrée rare.

Thomas devenait rouge dans le soleil. J’ai chassé d’une pichenette la feuille de marronnier, qui a réussi un atterrissage impeccable entre trois longs mégots et une canette de coca. Voilà ce qui arrive quand on ne tombe pas avec les autres : on tombe seul.

J’ai souri à Thomas. L’angle de ses lèvres a bougé un peu, a hésité, a frémi, et monté à trente degrés. Thomas a rectifié le jumelage des lèvres et a laissé ses dents blanches offrir leur piano.

J’ai tendu la main. Celle de Thomas est sortie d’une veste beige en velours côtelé que je lui envie depuis la rentrée. Elle s’est réfugiée dans la mienne, comme apeurée, comme s’excusant de ne pouvoir s’attarder et elle a fait retour dans la poche, où je suis sûr qu’elle caressait une tablette.

Papa ne veut pas que je m’achète une tablette. Ils ne veulent pas. On ne veut pas. On n’aime pas, en tout cas. Le pouvoir mystérieux de ces êtres terribles qui font ma vie ne veut pas. On ne veut pas : cela devrait me suffire, bien sûr. Cela ne me suffit pas.

— Salut.

— Salut.

Thomas est très rouge. Son velours beige lui éponge le front. Je ne suis pas habitué aux contacts humains près des arrêts de bus, sous les marronniers. Je ne connais que les contacts douloureux avec les gens qui ouvrent leur porte, qui écoutent parfois notre pub.

Un jour, j’ai dit ça : notre pub. Papa ne m’a pas giflé. Nous ne giflons pas. Nous avons, face à l’agressivité des autres, la douceur des biches, la patience des doryphores, l’indifférence des mouches. Nous ne giflons jamais. Papa ne m’a donc pas giflé. Cela signifiait une sorte de pardon, mais aussi que je devrais continuer la pub. J’aurais préféré qu’il me gifle. Qu’il me traite, comme peut-être les autres pères, de raté, de con, de déchet, de honte. Chez nous, on ne traite pas. On est les écolos des rapports humains. On sourit un peu. C’est tout.

J’avais envie de sourire beaucoup à Thomas. Je l’ai fait. Je lui ai dit que j’étais jaloux de sa veste molle, qu’il faisait beau, que les marronniers commençaient à parler du printemps, que mon bus allait arriver, que je n’avais rien compris aux directives de la prof de physique, que mon bus allait arriver.

— Deux fois que tu le dis, Eliott, que ton bus va arriver.

Une grosse dame à perruque paille m’a bousculé. Elle sentait le parfum bon marché. Il restait un tiers de banquette à côté d’elle. Comme le bus allait démarrer, Thomas a fait irruption dans le soleil. Il a crié :

— Demain, c’est mon anniversaire. Tu viendras ? J’aimerais que tu viennes. Tu viendras, Eliott ? D’accord ?

L’accordéon gentil des portes s’est refermé sur ses questions. Thomas utilise mon prénom ! Rare, ça. Dans la classe, je n’ai droit qu’à mon nom de famille. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Parce qu’on ne m’aime pas ? Nous, nous ne connaissons pas tout de suite le nom des gens. Seulement s’ils acceptent le dialogue, s’ils veulent bien qu’on leur débite la pub.

Un jour, papa s’est fait insulter. Il n’a rien dit. Je n’ai rien dit. Je ne savais pas que nous avions sonné à la porte du prof d’anglais. Le prof n’a rien dit le lendemain. Je suis sûr pourtant qu’il m’avait reconnu. J’ai tremblé toute la soirée, j’ai mal dormi. Il avait insulté mon père. Nous étions des nuisances publiques, des calamités sociologiques. Mon père n’avait rien dit. Il ne fallait pas répliquer. Ils ne veulent pas qu’on réplique. Nous ne répliquons pas.

Le prof d’anglais n’a rien dit. Je l’aime bien. Je crois qu’il m’aime bien, lui aussi. Parfois, je me dis que la vie, ce n’est plus que ça : ce qu’on voudrait dire et qu’on ne dit pas, ce qu’on a peur qu’ils disent, ce qu’ils ont peur qu’on dise.

La merde. Ou quelque chose comme ça. Mon langage n’est pas toujours adéquat !

Mais Thomas a parlé. Il a dit :

— Tu viendras à mon anniversaire, demain ? Ce serait chouette si tu venais, Eliott. Très chouette.

Je n’étais pas sûr d’avoir bien retenu les paroles de Thomas. Mais il m’avait invité à son anniversaire. Nous, nous n’allons pas aux anniversaires. Ils ne veulent pas que nous allions aux anniversaires. Mais moi, depuis des semaines, j’avais envie d’anniversaires et de molles vestes beiges en velours côtelé.

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