Pas à pas - K.C. Wells - E-Book

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K.C. Wells

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Beschreibung

Jamie Stevens est criblé de dettes, mais en se rendant à la bibliothèque ce jour-là, il ne s'attendait absolument pas à tomber sur un bon samaritain lui proposant comme par magie de régler tous ses problèmes d'argent. Au début, bien sûr, Jamie est méfiant, qui ne le serait pas ? Mais très vite, il réalise que Guy, son bienfaiteur, est simplement un homme riche et foncièrement bon, qui s'est fait la promesse d'aider son prochain. Il s'avère également que Guy est gay, mais cela n'a pas d'importance, et de toute façon, Jamie n'est pas intéressé. Du moins… c'est ce qu'il croit. De son côté, Guy est simplement heureux de pouvoir venir en aide au jeune Jamie, d'autant plus que le courant passe tout de suite très bien entre eux. Mais à mesure qu'ils passent du temps ensemble, le regard de Guy sur le jeune homme commence à changer, et petit à petit, ce qui était censé n'être qu'une bonne action prend des airs de romance… 

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Veröffentlichungsjahr: 2018

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Table des matières

Résumé

Remerciements

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

XII

XIII

XIV

XV

XVI

XVII

XVIII

XIX

XX

XXI

XXII

XXIII

XXIV

XXV

Epilogue

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Biographie

Par K.C. Wells

Visitez Dreamspinner Press

Droits d'auteur

Pas à pas

Par K.C. Wells

Jamie Stevens est criblé de dettes, mais en se rendant à la bibliothèque ce jour-là, il ne s’attendait absolument pas à tomber sur un bon samaritain lui proposant comme par magie de régler tous ses problèmes d’argent.

Au début, bien sûr, Jamie est méfiant, qui ne le serait pas ? Mais très vite, il réalise que Guy, son bienfaiteur, est simplement un homme riche et foncièrement bon, qui s’est fait la promesse d’aider son prochain. Il s’avère également que Guy est gay, mais cela n’a pas d’importance, et de toute façon, Jamie n’est pas intéressé. Du moins… c’est ce qu’il croit.

De son côté, Guy est simplement heureux de pouvoir venir en aide au jeune Jamie, d’autant plus que le courant passe tout de suite très bien entre eux. Mais à mesure qu’ils passent du temps ensemble, le regard de Guy sur le jeune homme commence à changer, et petit à petit, ce qui était censé n’être qu’une bonne action prend des airs de romance…

Remerciements

COMME TOUJOURS, un immense merci à mon équipe de relecteurs :

Jason, Bev, Debra, Helena, Mardee et Lara.

Vous êtes les meilleurs !

I

CETTE JOURNÉE ne pourrait pas être pire.

Aussitôt après avoir pensé cela, Jamie Stevens jeta un regard méfiant aux cieux. J’espère que tu ne prends pas ça pour un challenge, toi là-haut.

Mais peu importait ce que Dieu avait en réserve pour lui, Jamie savait pertinemment que le grand homme ne risquait pas de le mettre dans la confidence.

— Jamie, tu m’écoutes au moins ?

Il dut se faire violence pour ne pas user d’une réponse sarcastique. De toute façon, son père était imperméable au sarcasme.

— Oui papa, je suis toujours là, et je t’écoute toujours.

Non pas qu’il risquait d’apprendre quoi que ce soit de nouveau.

— Je suis désolé gamin, mais il va falloir que tu prennes sur toi et que tu trouves un emploi.

— Que je trouve un emploi ? répéta Jamie ahuri en collant le téléphone plus près de sa bouche.

La seule raison pour laquelle il n’osait pas hausser la voix était qu’il se trouvait dans une bibliothèque, mais il se demanda sincèrement si son père prêtait ne serait-ce qu’une once d’attention à ce qui se passait dans sa vie. Il serra les poings, ferma les yeux, et compta lentement jusqu’à cinq sans sa tête.

— Papa, je te rappelle que j’ai déjà trois emplois.

Techniquement, plus que deux. Il fulminait encore en songeant au coup de fil qu’il avait reçu le matin même, l’informant très froidement que ses services n’étaient plus requis. Visiblement, il ne lui restait plus qu’à retrouver un troisième emploi pour satisfaire son père.

— Trois emplois ? répéta son père dans un reniflement moqueur. Mais tu dois rouler sur l’or avec tout ça, pourquoi diable aurais-tu besoin d’argent ?

Jamie inspira calmement en se répétant pour la énième fois que ce n’était pas la faute de son père. Ni lui ni sa mère n’avaient eu la chance de faire des études supérieures, et ils n’avaient pas la moindre notion des dépenses que cela pouvait engendrer. D’autant plus que son pauvre père n’avait sans doute pas la tête à ça en ce moment.

Le divorce était devenu sa seule préoccupation.

— Écoute, Jamie, reprit son père d’une voix plus douce. Tu sais que c’est compliqué en ce moment. Les honoraires d’avocats me coûtent les yeux de la tête. Si j’avais su que ça me coûterait si cher de redevenir un homme libre, j’aurais peut-être souffert en silence.

C’était peu probable. Jamie avait vécu l’enfer pendant quatre ans sous le même toit que ses parents : les cris, les insultes, les portes qui claquent et les reproches amers, sans qu’aucun d’eux n’accepte jamais d’endosser la moindre part de responsabilité dans l’échec de leur mariage. Il était même sincèrement surpris que son père ait tenu si longtemps avant de partir.

— Je sais, soupira Jamie, conscient que cette conversation tournait en rond et qu’elle ne les mènerait nulle part. Je suis désolé de t’avoir dérangé au travail, papa, je vais te laisser tranquille.

— Attends une minute.

Jamie, qui était sur le point de raccrocher, recolla le téléphone contre son oreille.

— Qu’y a-t-il ?

— Tu me le dirais, si tu avais vraiment des gros problèmes ?

Son père avait l’air sincèrement inquiet, et l’espace d’un instant, Jamie se sentit faiblir. Dis-lui. Dis-lui que tu t’apprêtes à te faire expulser de ton petit studio miteux parce que tu n’as pas pu payer le loyer depuis plus de trois mois. Dis-lui que tu n’as pas les moyens de payer l’inscription à l’université pour le prochain semestre. Dis-lui que tu es dans les ennuis jusqu’au cou.

Mais avant qu’il puisse répondre quoi que ce soit, son père laissa échapper un petit rire fatigué.

— Bien entendu que tu me le dirais. Tu es un gamin intelligent. Plus intelligent que ton vieux père, ça c’est sûr. Quand je pense que tu es entré à l’université. Je ne te dis sans doute pas assez souvent à quel point je suis fier de toi. Ta mère et moi sommes très fiers de toi. Notre petit Jamie qui va devenir avocat.

La fierté et l’émotion dans sa voix étaient presque palpables. Jamie ravala toutes ses plaintes et contracta les muscles de sa mâchoire.

— Je n’en suis pas encore là, papa, lui rappela Jamie.

Et vu comme c’est parti, je n’en serai peut-être jamais là.

— Il faut que je retourne réviser, dit-il rapidement.

Il fallait qu’il raccroche avant de craquer.

— Pas de souci, gamin. Tu passes à la maison, ce weekend ?

— Comme convenu, répondit Jamie d’une voix monocorde.

Il savait déjà qu’il trouverait une excuse vendredi soir afin de ne pas avoir à venir. Il n’avait pas la force d’aller chez son père, de s’asseoir sur son canapé et de l’entendre se plaindre pendant des heures de la longueur et du coût des procédures de divorce, ou de l’attitude de sa mère.

Il mit donc rapidement un terme à la conversation et raccrocha sans attendre. Il s’apprêtait à remettre son téléphone dans sa poche lorsqu’il reçut un texto. Il l’ouvrit, et fixa le message affiché avec une expression stupéfaite.

Je crois avoir été assez patient, c’est terminé. J’ai trouvé un nouveau locataire. Vous avez jusqu’à dimanche soir pour quitter les lieux. Laissez vos clés sur la table. Je vous rappelle également que vous me devez encore trois mois de loyer. Je vous recontacterai ultérieurement afin de décider de la façon dont vous me paierez.

L’estomac de Jamie se contracta, et une fine pellicule de sueur froide recouvrit son visage. Il n’arrivait pas à croire ce qui était en train de lui arriver. Il n’avait qu’une envie : oublier le fait qu’il était un jeune adulte responsable de vingt ans, se rouler en boule quelque part dans un coin, et pleurer toutes les larmes de son corps. Il avait l’impression d’être un gamin qui ne savait pas nager et qu’on venait de pousser sans ménagement dans le grand bassin.

Il était en train de se noyer.

Il se pencha en avant et cala son visage entre ses bras croisés. La chaleur de son souffle créa de la buée sur la surface brillante de la table.

Pas étonnant que Dieu ait préféré ne pas le prévenir, cette nouvelle épreuve était plus qu’il était capable de supporter.

Jamie ferma les yeux en se concentrant pour ravaler ses larmes, parce que les adultes n’étaient pas censés pleurer, et encore moins dans un lieu public.

Sauf qu’à cet instant, il n’avait pas l’impression d’être un adulte. Il n’était qu’un petit garçon terrorisé qui avait besoin d’un câlin, d’une épaule sur laquelle pleurer. D’une bouée de sauvetage.

Un toussotement poli le sortit du tumulte de ses pensées, et Jamie réprima un grognement hostile. Si cette personne s’apprêtait à lui faire remarquer que son attitude n’était pas convenable, elle allait avoir de ses nouvelles. Il releva la tête, le menton en avant dans un geste de défi, prêt à l’attaque.

Assis dans la chaise juste en face de lui, se tenait un homme d’une trentaine d’années, brun, les yeux marron, barbu. Il avait le torse large et musclé, il portait un polo noir avec un col en V, et une veste en cuir par-dessus. Il le fixait avec une expression indéchiffrable.

Jamie n’était pas d’humeur à rester là sans bouger et à laisser un inconnu le dévisager. Il se redressa, puis saisit son téléphone et son sac à dos.

— Excusez-moi, l’interpella l’étranger.

Il avait la voix douce et profonde. Jamie ne répondit rien, mais lui rendit son regard. L’homme l’étudia en silence pendant un long moment.

— Vous avez l’air d’avoir passé une très mauvaise journée.

S’il en avait eu le courage, Jamie lui aurait rétorqué la réponse qui lui brûlait les lèvres : « Non, c’est vrai ? Je ne vois vraiment pas ce qui vous fait dire ça. » Mais sa mère l’avait bien élevé, et il répondit simplement :

— Si on veut.

— Écoutez, je sais bien que ce ne sont pas mes affaires, et vous avez tous les droits de m’envoyer promener, mais… je m’apprêtais à aller boire un café. Voulez-vous m’accompagner ? Ou un thé, un jus de fruit, même de l’eau, ce que vous voudrez, ajouta-t-il en souriant. Cela pourra peut-être vous aider de parler de ce qui vous tracasse à quelqu’un que vous ne connaissez pas.

Jamie le dévisagea, incrédule. À quoi jouait ce type ?

L’homme sourit de nouveau.

— Je ne sais même pas pourquoi je vous ai proposé cela. Croyez-moi, je n’ai pas pour habitude d’inviter de parfaits inconnus à prendre un café. Mais vous avez l’air d’avoir besoin de parler. Et je suis prêt à vous écouter, si vous en avez envie. C’est tout.

Jamie hésita. L’idée d’un café était réconfortante. Une grande tasse d’un bon café fumant, à l’arôme riche. Mais prendre un café avec un inconnu sorti de nulle part ? Il ne comprenait pas ce que l’homme attendait de lui au juste, et il avait encore beaucoup de mal à se concentrer après le texto qu’il avait reçu.

Mu par un vieux mécanisme de défense, il plongea ses yeux dans celui de l’inconnu.

Il répétait toujours à ses camarades de classe que selon lui, le meilleur moyen de savoir si une personne était secrètement un psychopathe serial killer, c’était de la regarder dans les yeux. Après tout, ne disait-on pas qu’ils étaient les fenêtres de l’âme ? Jamie était persuadé qu’on ne pouvait pas cacher des tendances psychopathes, que le regard trahirait forcément quelque chose. Dans le fond, il savait que ce n’était qu’un ramassis d’âneries. Il n’avait jamais croisé le chemin d’un psychopathe serial killer (à sa connaissance), et donc aucun moyen de vérifier sa théorie.

Le regard de l’inconnu était chaleureux. Plus que ça même, sincère. Il regardait Jamie comme s’il comprenait parfaitement ce qu’il traversait. Comme s’il était passé par là, lui aussi.

Ce fut suffisant pour le convaincre.

— D’accord. Je veux bien un café, répondit-il en hochant lentement la tête.

— Fantastique, conclut l’inconnu dans un immense sourire.

Il quitta sa chaise, fit le tour de la table et offrit une poignée de main à Jamie.

— Je m’appelle Guy.

— Moi, c’est Jamie, répondit le jeune homme en acceptant sa poignée de main.

— Nous y allons ? demanda Guy en indiquant le chemin de la sortie d’un geste du bras.

Jamie hocha la tête et suivit Guy à travers la bibliothèque, le cerveau en ébullition.

Mais qu’est-ce que je suis en train de faire ?

Il n’en avait pas la moindre idée, mais vu l’état dans lequel il était, rien ne pourrait être pire que de rester à pleurer au beau milieu de la bibliothèque.

JAMIE FIXA intensément le grand tableau sur lequel étaient listées toutes les boissons proposées. Il les parcourut du regard sans vraiment les lire, encore trop préoccupé par le texto de son propriétaire. Qu’était-il censé faire à présent ? Il passa mentalement en revue tous les amis auxquels il pourrait demander de l’héberger quelques jours. Il détestait faire ça, mais il n’avait plus vraiment le choix.

— Qu’est-ce qui vous fait envie ? demanda Guy, qui se tenait debout à ses côtés.

— Pardon ? demanda distraitement Jamie en battant des paupières et en se tournant vers lui. Oh, je suis désolé, j’étais perdu dans mes pensées. Pourrais-je avoir un… mokaccino tesora, s’il vous plaît ? demanda-t-il en scrutant de nouveau la liste.

— Bien sûr, répondit Guy en souriant. Le plus grand possible, j’imagine ?

Jamie aurait voulu lui sourire en retour, mais il n’en avait pas la force. C’est alors que, dans le silence, son estomac gronda bruyamment. Humilié, Jamie baissa les yeux en priant pour que le sol s’ouvre sous ses pieds et le fasse disparaître. À son grand soulagement, Guy ne fit aucun commentaire. Il se contenta de le guider jusqu’à une table vide, au fond du café.

— Je vous propose de m’attendre ici et de garder nos places, pendant que je vais chercher nos boissons ?

Jamie hocha la tête et s’installa en se demandant à nouveau dans quoi il s’était fourré. Un inconnu venait de l’inviter à boire un café, et il avait tout simplement répondu oui ? Comme ça, sans poser de question ? C’était sans doute le stress accumulé pendant la journée qui avait eu raison de lui. Après les cours, il avait pris le chemin de la bibliothèque afin de faire des recherches sur les financements existants pour entrer en faculté de droit.

Il avait accepté l’invitation de Guy parce qu’il lui avait semblé plutôt normal.

Il réprima un reniflement d’autodérision. Mais à quoi était censée ressembler une personne normale, au juste ?

Guy revint avec entre les mains un plateau sur lequel étaient posées deux énormes tasses blanches. L’une d’elles était couverte de crème chantilly, avec du cacao saupoudré par-dessus. L’autre tasse exhalait un délicieux parfum de pain d’épices. Et juste à côté de leurs tasses, se tenaient deux énormes parts du brownie le plus appétissant que Jamie ait vu de toute sa vie. Il leva curieusement la tête en direction de Guy, qui se contenta de hausser les épaules.

— J’avais envie de quelque chose de sucré, et selon moi, il n’y a rien de mieux que le chocolat. Je n’allais pas me contenter d’en acheter un seul pour que vous me regardiez me goinfrer. Vous ne voudriez quand même pas me faire passer pour un goinfre ? le taquina Guy en plissant les yeux.

C’était un peu infantilisant, mais ça partait d’un bon sentiment. Et cela confirmait la première impression de Jamie : Guy était un chic type.

— Merci, répondit-il sincèrement en inspectant sa part de brownie avec avidité. Est-ce que ce sont des noix de pécan ? demanda-t-il en se léchant les lèvres.

— Quelle question, il n’y a pas de bon brownie sans noix de pécan, répondit Guy en haussant un sourcil et en réprimant un sourire évident. Allez-y, attaquez.

Jamie ne se fit pas prier.

Son mokaccino était délicieux, avec exactement la quantité de chocolat qu’il aimait. Il fit de son mieux pour boire sans se retrouver avec une moustache de lait. La boisson chaude le réchauffa lentement, et le brownie remplit son estomac.

Lorsqu’il ne resta plus qu’un peu de miettes dans son assiette, Jamie se laissa lentement aller contre le dossier de sa chaise.

— C’était super bon, s’extasia-t-il en serrant entre ses mains la tasse dans laquelle il restait encore la moitié de sa boisson.

Guy savoura son brownie beaucoup plus lentement. Il en mangea un petit morceau, puis observa Jamie, l’air songeur.

— Et si vous me racontiez ce qui s’est passé aujourd’hui pour vous mettre dans un état pareil ?

— Si seulement ce n’était qu’aujourd’hui, répondit Jamie avec un reniflement ironique.

— D’après ce que j’ai compris, et croyez-moi, mon intention n’était absolument pas d’épier votre conversation, mais vous aviez l’air tellement désespéré… Vous essayez de gérer trois emplois en même temps, c’est ça ?

Jamie hocha silencieusement la tête, et plongea le nez dans sa tasse pour humer le parfum divin de sa boisson. Puis, soudain, il se souvint.

— Plus que deux pour être exact. J’ai été renvoyé de mon troisième emploi ce matin, ils avaient soi-disant trop d’employés. Il ne me reste plus qu’à en retrouver un.

— J’en déduis que soit, vous aimez énormément travailler, soit, vous n’avez pas le choix. Et quelque chose me dit que c’est plutôt une question de choix.

Jamie hocha de nouveau la tête.

— Vous voulez bien tout me raconter depuis le début ? J’ai une grande capacité d’écoute.

Jamie l’observa attentivement pendant plusieurs secondes, incertain. Il ne savait même pas par où commencer.

Guy dut percevoir son hésitation, car il ajouta aussitôt :

— Je sais, c’est étrange, vous ne savez même pas qui je suis et je vous demande de me raconter votre vie. Je vous propose d’équilibrer les choses : je m’appelle Guy Bass, j’ai trente-huit ans, je suis célibataire, mais j’ai été marié, j’ai vécu à San Francisco toute ma vie. J’ai deux enfants, qui ont à peu près le même âge que vous, ce qui signifie que j’ai l’expérience parentale qui m’a permis de les accompagner et de les guider. Vous avez l’air de quelqu’un qui aurait vraiment besoin d’un ami, alors je vous offre simplement une épaule sur laquelle pleurer, ou un exutoire pour faire sortir tout ce qui vous tracasse, prenez-le comme vous voulez.

Il retira sa veste en cuir et la plaça sur le dossier de sa chaise, puis il posa ses coudes sur la table et se pencha vers lui.

— Il y a de fortes chances pour que nous ne nous recroisons jamais, et parfois c’est libérateur de parler à un parfait inconnu. Qui sait, peut-être que je verrais les choses sous un angle tellement nouveau que je pourrais vous proposer des solutions ?

— Vous n’étiez pas obligé de dire ça, dit Jamie en souriant. J’étais déjà convaincu lorsque vous m’avez dit avoir une grande capacité d’écoute.

Il prit une grande gorgée de son mokaccino pour se donner contenance, puis inspira profondément.

— Je ne pensais pas que faire des études supérieures serait aussi compliqué.

— Académiquement, ou financièrement ?

— Financièrement. Mes parents m’ont toujours dit qu’ils avaient de l’argent de côté pour m’aider, et lorsque j’ai obtenu une bourse pour entrer à l’université, ils ont accepté de payer la somme restante. Nous avions convenu que si j’avais besoin de quoi que ce soit d’autre, il faudrait que je trouve un travail, et j’étais entièrement d’accord avec ça. Le piège, continua-t-il en fronçant les sourcils, c’est que lorsqu’on est étudiant, les banques se marchent dessus pour nous offrir des prêts.

À sa grande surprise, Guy esquissa une grimace compatissante.

— Ce business du prêt étudiant est une honte, il pousse les jeunes à entrer dans la vie active déjà criblés de dettes.

Jamie le fixa avec des yeux ronds, peu habitué à ce que quelqu’un de cet âge abonde dans son sens. Guy haussa nonchalamment les épaules.

— Il y a encore une quarantaine d’années, tous les jeunes trouvaient un petit boulot pour payer leurs études, c’était normal, mais le coût de la vie a tellement changé… Les gens de cette génération n’ont plus du tout la moindre notion de ce que représente une année d’études en termes d’argent.

— Exactement, acquiesça Jamie, surpris par la ferveur de son soutien. Mes parents ne se rendent absolument pas compte.

— Et l’argent qu’ils avaient mis de côté pour vos études ?

— Parti en fumée. Ils ont décidé de divorcer, et l’argent a servi à financer leurs avocats respectifs.

— Je suis désolé d’entendre ça, répondit Guy avec un air sincèrement attristé. Désolé que vous ayez des problèmes d’argent, et de surcroit que vos parents se soient séparés. Même si parfois, c’est la meilleure solution pour un couple.

— Vous êtes divorcé ? s’enquit Jamie, décelant comme une pointe de mélancolie dans le ton de Guy.

— C’était il y a longtemps, répondit Guy en hochant la tête. Je n’avais que vingt ans à l’époque.

Jamie écarquilla les yeux, et Guy poussa un long soupir.

— Je sais, c’est jeune. Et cela n’a pas duré longtemps. Mais ce n’est pas le sujet, dit-il en se secouant légèrement et en souriant gentiment à Jamie. Il vous reste donc deux emplois, avec lesquels vous essayez désespérément de couvrir les frais de votre éducation.

— Ouaip, répondit brièvement Jamie en jetant un regard sombre aux quelques miettes dans son assiette. Il ne me reste plus qu’une année préparatoire, et après ça, j’avais le projet d’entrer en faculté de droit. J’étais en train de regarder les aides financières existantes lorsque vous m’avez trouvé à la bibliothèque.

— C’est une bonne stratégie. Vous voulez faire du droit, alors ? Où voulez-vous aller étudier ?

— Ici, à San Francisco.

— C’est un excellent choix, commenta Guy en souriant. Vous savez que c’est ici que notre procureur a fait ses études ?

Jamie hocha la tête. Il connaissait très bien l’histoire du procureur Cole Daniels, c’était l’une de ses idoles. Mais il ne l’aurait jamais avoué à personne.

— Et c’est tout ? demanda Guy.

Jamie secoua tristement la tête.

— Je pensais qu’entre la bourse et les prêts que j’avais contractés, je finirais par m’en sortir, mais plus le temps passait, plus la situation s’aggravait, et puis…

Jamie inspira nerveusement, le souffle tremblant.

— Hé, appela Guy d’une voix douce. Buvez donc le reste de votre chocolat avant qu’il soit complètement froid. Prenez tout votre temps. Vous avez du temps devant vous, au moins ?

Jamie acquiesça.

— Parfait alors, vous allez pouvoir me raconter tout cela à votre rythme. Ne vous brusquez pas, dit-il en le fixant de ses grands yeux bruns chaleureux.

Jamie termina sa tasse et se passa la langue sur la lèvre supérieure pour chasser jusqu’à la dernière goutte de mokaccino. Guy l’observa avec bienveillance, les mains posées sur ses jambes croisées.

Après avoir rassemblé ses forces, Jamie releva les yeux vers ceux de Guy.

— Ces derniers mois, j’ai eu l’impression d’accumuler les ennuis, et chacun d’eux semblait nécessiter de payer quelque chose.

— Comme quoi ?

— J’ai eu une rage de dents terrible, alors le dentiste a décidé de me faire arracher les dents de sagesse.

— J’imagine que ce n’était pas donné, dit Guy en grimaçant.

— La mutuelle de mes parents a pu couvrir la moitié des frais, mais il restait encore huit cents dollars à payer, huit cents dollars qui ne pourront pas servir pour mes études. Sans parler de mon absence en cours et au travail pour les opérations et ma convalescence. C’est sans doute pour cela que je me suis fait renvoyer ce matin.

— J’imagine que vous devez maintenir vos notes à un certain niveau pour garder votre bourse.

— Je n’ai pas le droit à l’erreur avec ça, confirma Jamie en secouant misérablement la tête. J’ai enchaîné les nuits blanches pour rattraper mon retard et garder le niveau. Et bien entendu, comme j’avais manqué beaucoup de jours de travail, mes salaires ne suivaient plus, alors je me suis dit que la solution était de quitter la résidence étudiante et d’essayer de trouver un logement moins cher en ville.

— Cela me semble logique.

— Mais dans la foulée, le restaurant et le café dans lesquels je travaille ont changé et réduit mes heures, ce qui signifiait encore moins de rentrées d’argent. Et puis mon ordinateur portable m’a lâché, alors j’en ai racheté un parce qu’il n’est même pas envisageable de faire une prépa de droit sans un ordinateur. Enfin, l’inscription à l’examen du LSAT est tombée, et j’ai découvert qu’elle coûtait trois cent cinquante-cinq dollars.

— L’examen du LSAT ? C’est l’examen pour entrer en faculté de droit, c’est ça ?

— Je… Oui, c’est ça, répondit Jamie, encore une fois surpris par la perspicacité de Guy.

En remarquant son expression de surprise, Guy sourit avec indulgence.

— Disons simplement que je côtoie quelques avocats, expliqua-t-il. Quand devez-vous le passer ?

— Au mois de juin. C’est la première session, et la date butoir pour le paiement était au mois d’avril, ajouta Jamie en soupirant. Ce semestre à lui tout seul a engouffré toutes mes économies, mais cet examen est ma priorité, alors je me suis dit que ce n’était pas très grave si je prenais un peu de retard sur mon loyer.

— Quelque chose me dit que ça s’est révélé plus grave que vous le pensiez…

— Le texto que j’ai reçu à la bibliothèque et qui m’a mis dans cet état, c’était mon propriétaire, pour m’annoncer que j’avais jusqu’à dimanche pour quitter les lieux, expliqua Jamie, avant de laisser échapper un rire désabusé. Alors voilà, c’est moi, Jamie Stevens, bientôt SDF, je dois encore trois mois de loyer à mon propriétaire, je n’ai plus un sou pour financer ma deuxième année de prépa, et à la vitesse à laquelle ma situation professionnelle se dégrade, je ne suis même plus certain de gagner suffisamment d’argent pour survivre à ce semestre.

Il plongea la tête entre ses mains et ferma les yeux.

— Je commence sérieusement à me demander quel était l’intérêt de me donner autant de mal au lycée pour décrocher une mention très bien, si pour finir je ne peux même pas réaliser mon rêve.

Il se força à respirer lentement en se concentrant pour retenir ses larmes.

Je refuse de rester assis là en face de cet homme en pleurant comme un bébé.

Guy se racla la gorge.

Jamie redressa lentement la tête dans sa direction. Guy le fixait de ses grands yeux sombres, et pour la seconde fois depuis qu’ils s’étaient rencontrés, Jamie perçut dans ce regard l’éclat d’une émotion indéchiffrable.

Guy pencha la tête sur le côté.

— Et si…

Il s’interrompit, attrapa sa tasse de café, la termina d’une seule gorgée, s’essuya soigneusement la bouche et fixa intensément Jamie.

— Et si je vous disais que j’avais le moyen de vous aider ?

II

JAMIE FIXA Guy du regard pendant un long moment, puis laissa échapper un reniflement ironique.

— À moins que vous ayez une baguette magique cachée dans une poche et que vous puissiez remonter le temps, je vois difficilement ce que vous pouvez faire pour moi.

— Si seulement c’était aussi simple qu’un coup de baguette magique, murmura Guy avec un regard vulnérable.

Il rapprocha sa chaise de la table et joignit ses mains.

— Je vais vous raconter quelque chose, et lorsque j’aurai fini, c’est vous qui déciderez s’il y a encore un intérêt à discuter avec moi, d’accord ?

— D’accord, répondit Jamie hésitant, mais intrigué.

— Je ne rentrerai pas dans les détails, commença Guy en fixant ses mains nouées. Mais lorsque j’avais vingt ans, ce qui est à peu près votre âge j’imagine… ?

— Presque vingt et un.

— C’est bien ce que je pensais, dit Guy en lui souriant. Eh bien, lorsque j’avais votre âge, j’étais moi aussi dans une situation financière très compliquée. Pour des raisons complètement différentes, mais finalement, le résultat était le même. J’étais fauché. Et si je n’avais pas fait la bonne rencontre au bon moment, ma situation aurait pu très mal tourner.

Jamie ne pouvait plus détacher son regard du visage de Guy. La première fois qu’il l’avait aperçu, à la bibliothèque, Guy lui avait semblé un peu brusque, avec sa mâchoire carrée et ses larges épaules, le genre d’homme qu’on s’attendait à voir sur un chantier de construction. Mais à présent, perdu dans ses souvenirs, il y avait presque quelque chose de doux, de tendre dans son expression.

— Il s’appelait Stephen, et il a décidé de me venir en aide. Il avait eu la chance d’avoir un mentor qui l’avait guidé sur le droit chemin lorsqu’il était plus jeune, et il voulait faire la même chose à son tour. Il m’a pris sous son aile, m’a offert un logement et m’a aidé à financer mes études universitaires. Sans son aide, jamais je ne serais arrivé là où j’en suis aujourd’hui.

— Il a l’air d’être quelqu’un de bien, remarqua Jamie.

— Il l’était, précisa Guy avec un sourire triste. Il est mort il y a de ça six ans maintenant.

— Vous étiez très proches.

La question ne se posait même pas. La réponse était évidente dans le regard de Guy, la douleur profonde du deuil faisant briller ses grands yeux sombres. Mais il y avait autre chose. Plusieurs pensées traversèrent alors l’esprit de Jamie. Pourquoi quelqu’un se donnerait tant de peine pour aider quelqu’un sans avoir rien à y gagner ? Cela allait bien au-delà d’un simple élan d’altruisme. Une alarme se mit à sonner quelque part dans sa tête et il ne put s’empêcher de penser à l’article qu’il venait de lire en ligne sur cette nouvelle vague d’étudiants qui se cherchaient un « sugar daddy » pour financer leurs études. Oh. Guy est-il en train de suggérer ce à quoi je pense ?

— Stephen était quelqu’un de très solitaire lorsque nous nous sommes rencontrés, mais cela a vite changé, expliqua Guy, avant de se racler la gorge. Ce qui nous amène à votre situation. Toute ma vie, j’ai veillé à aider ceux qui sont dans le besoin : je fais des dons à des œuvres de charité, j’aide à récolter de l’argent pour des causes qui me tiennent à cœur, mais votre situation m’offre la possibilité de faire une bonne action encore plus personnelle. J’aimerais vraiment vous aider, de la même façon que Stephen m’a aidé à l’époque. Dites-moi simplement de quoi vous avez besoin, qu’il s’agisse d’un endroit pour vivre, d’argent pour vos études, de conseils d’un mentor…

— Je… Vous… bredouilla Jamie, la bouche entrouverte. Vous êtes sérieux ?

C’était trop beau pour être vrai, il y avait forcément un piège quelque part.

— Mais qu’est-ce que…

— Laissez-moi finir d’abord, vous voulez bien ? Ensuite, je répondrai à toutes vos questions.

— D’accord, acquiesça Jamie en fronçant les sourcils.

Il avait une vague idée de la direction qu’allait prendre l’histoire de Guy, et il n’était pas certain d’avoir envie d’entendre la fin.

Guy inspira profondément.

— Je ne travaille plus, expliqua-t-il. J’ai fondé ma propre société, et elle a très bien fonctionné. Je l’ai revendu l’année dernière et avec l’argent que j’ai gagné, je n’ai plus à m’inquiéter jusqu’à la fin de ma vie. J’ai quelques projets annexes qui me rapportent régulièrement de l’argent. Ce que j’essaie de vous expliquer, c’est que je suis en position de vous venir en aide, dit-il en souriant. Peut-être que nous pourrions nous aider mutuellement.

Oh mon Dieu.

— Vous et ce fameux Stephen… vous étiez comme une sorte de compagnon pour lui ?

C’était la façon la plus polie qu’il avait trouvée de poser la question.

Guy hocha la tête, et le cœur de Jamie manqua un battement. Il aurait tellement préféré avoir tort. Il existait encore une infime possibilité pour qu’il ait mal compris, peut-être que ce n’était qu’un malentendu ?

Il n’y a qu’une seule façon d’en avoir le cœur net.

— Est-ce que… Est-ce que je peux vous poser une question indiscrète ? demanda-t-il prudemment.

Guy pencha la tête sur le côté avec une expression sérieuse.

— Vous pouvez toujours la poser, et je peux décider de ne pas y répondre.

— Très bien, dit-il en inspirant et en prenant son courage. Est-ce que vous êtes… gay ?

— Je croyais que c’était évident, répondit Guy en clignant lentement des yeux, puis son regard s’agrandit. Oh, mais pas vous, c’est ça ?

Jamie secoua lentement la tête et Guy poussa un long soupir.

— Ça m’apprendra à faire des suppositions. J’aurais pourtant juré…

— Vous avez cru que j’étais gay ? demanda Jamie, étonné.

— Visiblement, j’ai mal interprété les signes.

Vu le tournant que prenait cette conversation, Jamie aurait préféré que ce soit lui qui interprète mal la situation. Mais il n’y avait plus de doute possible.

— Quand vous dites que vous étiez le compagnon de Steven, c’est un euphémisme, pas vrai ? Votre relation était… sexuelle. Un soutien financier, en échange de faveurs sexuelles, dit-il en contractant les muscles de sa mâchoire. Peu importe comment vous voulez appeler ça, il s’agit toujours de prostitution.

Guy écarquilla les yeux.

— Quoi ? Oh mon Dieu, non. Enfin, je veux dire, ce n’était pas sexuel du tout au début. Stephen n’était pas ce genre de personne, souligna-t-il avec insistance. Avec le temps, nous nous sommes rapprochés, Eh oui, notre relation est devenue… physique, expliqua-t-il en baissant le regard. Je suis sincèrement désolé, Jamie. J’ai simplement reconnu en vous le jeune homme gay égaré que j’ai été. Je dois admettre que je vous ai trouvé séduisant et je me suis dit que je pouvais peut-être vous aider. Je n’aurais pas dû faire de conclusions hâtives.

À sa grande surprise, Jamie réalisa qu’il était lui aussi désolé. Pas qu’on l’ait pris pour un jeune homme gay – il n’avait aucun problème avec ça –, mais désolé d’avoir osé espérer. D’avoir pu penser pendant l’espace d’une seconde qu’un parfait inconnu pourrait se soucier de lui, pour la simple beauté du geste. C’était trop beau pour être vrai.

L’offre de Guy avait donc bien une raison cachée. Il ne l’avait peut-être pas clairement explicitée, mais Jamie n’était pas naïf, il pouvait lire entre les lignes.

— Je suis désolé aussi, dit-il enfin. J’imagine que dans ces conditions, votre offre ne tient plus ? soupira-t-il. C’était gentil de votre part, mais à l’évidence, je ne suis pas ce que vous croyez, continua-t-il en se levant. Merci pour la boisson chaude et le brownie. J’ai été heureux de faire votre connaissance.

— Attendez.

Jamie s’immobilisa, baissa les yeux sur Guy et se sentit rougir.

— Rasseyez-vous, je vous en prie, l’invita Guy en désignant la chaise, et lorsque Jamie resta résolument debout, il l’implora. S’il vous plaît ?

Jamie se rassit, et Guy l’observa attentivement, les lèvres pincées. Pris dans le faisceau de son regard intense, Jamie se sentit presque mal à l’aise. Puis, Guy se pencha dans sa direction.

— Et si ma proposition tenait toujours ?

— Je ne comprends pas, répondit Jamie en fronçant les sourcils.

— La situation est toujours la même, expliqua Guy en souriant. Vous avez toujours besoin d’argent, et j’ai toujours les moyens de vous aider. Et je pensais sincèrement ce que j’ai dit, je veux pouvoir aider quelqu’un, tout comme Stephen l’a fait pour moi. Voilà ce que je vous propose : je peux vous proposez un logement qui sera forcément plus vivable que le trou à rat duquel vous venez probablement de vous faire expulser. Je paierai votre prépa, et je vous aiderai à entrer en faculté de droit. Pour être exact, je financerai même vos études de droit.

— En échange de ? demanda aussitôt Jamie, méfiant.

— Rien du tout. Pas de contrepartie. Enfin si, juste une toute petite. En retour, vous devez me promettre de travailler d’arrache-pied et de devenir le meilleur avocat de ce pays. Je sais déjà que vous êtes un jeune homme brillant, Jamie, et je pense que vous avez la motivation nécessaire.

— Et cela ne vous fait rien que je sois hétéro ? demanda Jamie, le cœur battant.

— C’est votre handicap, pas le mien, plaisanta Guy avec un grand sourire et un clin d’œil. Non, je vous assure que ce n’est pas important, répondit-il plus sérieusement.

Jamie l’étudia pendant un long moment.

— J’imagine que le jour où je deviendrai avocat, je serais à mon tour en position d’aider un jeune dans le besoin.

C’était une pensée réconfortante.

— C’est exactement la philosophie que j’essaie d’appliquer, acquiesça Guy. Que diriez-vous si je vous montrais le logement dont je vous parlais dès maintenant ? Comme ça, vous pourrez prendre votre décision tout de suite.

— À vous entendre, on croirait que ce logement a le pouvoir de me convaincre à lui seul, remarqua malicieusement Jamie.

— Attendez un peu de le voir, et vous comprendrez, répondit Guy avec un sourire mystérieux.

Jamie prit le temps d’y réfléchir sérieusement. Malgré la conversation qu’ils venaient d’avoir, sa première impression n’avait pas tellement changé. Guy semblait être quelqu’un de bien. Il avait dit sans contrepartie. Jamie prit sa décision.

— Très bien, je veux bien voir ce fameux logement dont vous me parlez.

Cela ne l’engageait à rien, après tout.

— Fantastique, s’exclama Guy en souriant. Allons-y, dit-il en se levant et en enfilant sa veste en cuir. Comment êtes-vous venu jusqu’à la bibliothèque ?

— À pied. Mon appartement est au-dessus d’un restaurant dans Chinatown.

— Ma voiture est garée dans la rue en face de la bibliothèque. Je vous ramènerai après la visite, ça vous va ?

— Vous n’êtes pas obligé de faire ça, je peux rentrer en transports en commun.

— Pas depuis Brisbane, non, se moqua gentiment Guy. Il n’y a pas vraiment de liaison entre Chinatown et Brisbane. Cela ne m’embête pas de vous ramener, ne vous inquiétez pas. Je n’habite qu’à une vingtaine de minutes de route.

Il lança un regard songeur au jeune homme.

— Je réalise que je vous en demande beaucoup et que cette situation est très étrange. Vous venez seulement de me rencontrer, et je vous propose de monter en voiture avec moi pour vous emmener Dieu sait où. Je comprendrais si vous vouliez d’abord contacter un ami ou un proche pour leur dire où vous êtes et où vous allez. Pour être honnête, je vous y encourage même. Il faut toujours être prudent.

Il n’avait pas tort.

Jamie hocha pensivement la tête et sortit son téléphone de sa poche. Ryan lui poserait sans doute un milliard de questions après ça, mais il savait que le conseil de Guy était en fait excellent.

— Vous voulez toujours venir ?

Jamie prit une grande inspiration, rangea son téléphone et répondit :

— Toujours.

Puis il suivit Guy jusque dans la rue, l’esprit en ébullition.

Jamais je n’aurais imaginé vivre un truc pareil en me levant ce matin, songea-t-il, ahuri.

Il avait presque hâte de découvrir où cette drôle d’aventure allait le conduire.

À EN juger par son aspect extérieur, Jamie comprenait mieux pourquoi Guy avait laissé entendre que la maison à elle seule réussirait à le convaincre. Elle était à l’angle d’une rue calme, avec des murs de briques et un toit en ardoise sur lequel se découpaient trois grands velux. Sur la gauche, on pouvait apercevoir une porte de garage et, sur la droite, une petite cour pavée, délimitée par des barrières blanches.

C’était, à n’en pas douter, une très jolie maison.

L’intérieur en revanche… l’intérieur était tout simplement époustouflant. La décoration et l’aménagement de l’espace finirent de le séduire.

— Je peux vous offrir le tour du propriétaire, proposa Guy en retirant sa veste, avant de la poser sur le dossier de l’un des deux larges fauteuils en fer forgé dans le gigantesque hall d’entrée. Je n’utilise pas vraiment cet espace, expliqua-t-il en désignant le hall, mais je dois reconnaître que c’est pratique lorsqu’on reçoit du monde.

— Vous recevez beaucoup de monde ? demanda curieusement Jamie en posant son sac au dos et en retirant sa veste à son tour.

— De temps à autre, répondit vaguement Guy. Il y a longtemps que ce n’est pas arrivé.

— J’aime beaucoup la courbe des murs, avoua Jamie en laissant son regard s’attarder autour de lui. J’aime aussi que les grandes baies vitrées suivent les courbes et baignent l’espace de lumière naturelle.

— L’escalier sur votre droite conduit au sous-sol. Autant commencer par là et faire la visite de bas en haut, expliqua Guy en s’engouffrant dans ledit escalier.

Arrivé en bas, Jamie découvrit une immense pièce avec un gigantesque écran blanc sur le mur du fond. Plusieurs canapés et fauteuils étaient positionnés devant.

— Une salle multimédia, dit-il avec un grand sourire. Vous avez votre propre salle de cinéma.

— J’organise des soirées film assez régulièrement avec des amis, expliqua Guy en hochant la tête. Chacun ramène quelque chose à grignoter, ce qui est toujours la solution la plus pratique pour gérer les allergies des uns et des autres.

Jamie devait admettre que l’idée d’une soirée ciné dans une salle comme celle-ci était séduisante.

Guy remonta l’escalier et désigna une petite pièce sur la droite.

— La buanderie, avec machine à laver et sèche-linge.

Ils regagnèrent le hall, et c’est alors que Jamie remarqua quelque chose de curieux.

— Il n’y a aucune porte nulle part.

Chaque pièce était reliée à la suivante par une simple arche en arrondie.

— Non, en effet. L’architecte qui a dessiné la maison est réputé pour ses grands espaces ouverts, confirma Guy en le guidant jusqu’à une large cuisine en U avec des meubles en bois de cerisier.

Juste derrière la cuisine s’ouvrait le salon, en partie occupé par une impressionnante table avec huit chaises autour. Sur le mur du fond, de larges baies vitrées donnaient sur un jardin bien entretenu.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Guy en se tournant vers lui.

— Votre maison est magnifique, soupira Jamie.

Elle n’était pas seulement agréable esthétiquement, elle avait l’air confortable et habitée. Il y avait des photos encadrées sur les murs, des tableaux dans des genres artistiques différents, et le plancher en bois miel sur lequel coulait la lumière du jour donnait aux pièces un halo chaleureux, qui offrait un contraste agréable avec les murs couleur crème. Jamie s’imaginait parfaitement un soir d’hiver, pelotonné devant un feu ronflant dans l’une des cheminées du rez-de-chaussée.

— Le premier étage n’est pas aussi impressionnant, mais je peux vous le montrer quand même, si vous voulez, dit Guy en s’engageant dans l’escalier. Il y a trois chambres, dont deux suites parentales avec salle de bain et baignoire. La troisième possède malgré tout des toilettes et un lavabo, mais il y a toujours les deux grandes salles de bain du rez-de-chaussée en cas de besoin.

Le seuil du premier étage s’ouvrait également sur un grand pallié lumineux avec trois portes. La plus petite des trois chambres ne comportait qu’une seule fenêtre, mais elle était largement assez spacieuse pour accueillir le grand lit deux places qui trônait au milieu. La chambre suivante était plus grande, avec deux fenêtres, et une salle de bain.

— Ce sera votre chambre si vous acceptez mon offre, annonça Guy.

La chambre était magnifique, Jamie l’aimait déjà beaucoup. Elle était lumineuse, et le lit était encore plus grand que dans la chambre précédente. Sous l’une des fenêtres, il y avait un grand fauteuil à l’air confortable, et sous la seconde, un impressionnant bureau en chêne avec une chaise à dossier.

— On dirait déjà une chambre d’étudiant, fit remarquer Jamie en souriant.

— Bien vu, répondit Guy en riant doucement. C’était ma chambre à l’époque où j’ai emménagé avec Stephen.

— Attendez un peu, dit Jamie en fronçant les sourcils. Vous voulez dire que nous sommes dans la maison de Stephen ?

— C’est compliqué, c’est une longue histoire, soupira Guy. Et si je vous montrais la dernière chambre avant que nous redescendions ? Ensuite, je nous préparerai du café et je tâcherai de vous expliquer.

— D’accord, acquiesça Jamie incertain.

La troisième chambre était la plus grande, avec une salle de bain incroyable et un dressing adjacent. Guy ouvrit les portes vitrées qui donnaient sur un large balcon, et sortit. Jamie le suivit et découvrit la vue qui donnait sur le flanc gauche de la maison, après le garage. Il pouvait apercevoir l’immense jardin, et au beau milieu, une tonnelle en fer forgé, dont les piliers étaient recouverts de végétation. Jamie plissa les yeux en l’examinant, et se mit à sourire.

— Est-ce un jacuzzi que je vois sous la véranda ?

— Je voulais garder le meilleur pour la fin, répondit Guy en souriant malicieusement.

Jamie était plus qu’impressionné, mais il ne pouvait pas se défaire du sentiment de malaise qui l’étreignait à l’idée que cette maison ait appartenu à Stephen. Que cela signifiait-il ? Que s’était-il passé ?

Ils rentrèrent à l’intérieur, et Guy referma le balcon.

— Allez, venez, dit-il avec un sourire rassurant. Je crois que je vous ai promis un café.

Jamie le suivit jusqu’au rez-de-chaussée en ruminant toutes les informations qu’il avait engrangées depuis sa rencontre avec Guy. Il était évident qu’il ne lui avait pas tout dit. Ils entrèrent dans la cuisine, et Guy l’invita à s’asseoir à la petite table en bois ronde au milieu de la pièce.

— Installez-vous pendant que je prépare le café.

Jamie s’assit sans rien dire et le regarda remplir le réservoir d’eau de la cafetière. Il aimait vraiment beaucoup l’ambiance de la maison. Elle était calme et silencieuse, deux qualités qui n’avaient pas de prix pour Jamie. Il se souvenait encore des cris incessants de ses parents et de l’angoisse qui le prenait au ventre chaque fois qu’il devait rentrer à la maison après l’école. Puis son père était parti, et Jamie avait cru que les choses s’arrangeraient, mais pas du tout. Une fois seule, sa mère avait réalisé que le quotidien de la maison sans son mari était difficile à gérer.

Jamie savait pertinemment que son angoisse venait de la situation et non pas de la maison familiale en elle-même. Il se sentait parfois coupable d’être parti et d’avoir abandonné sa petite sœur de quatorze ans dans cet environnement toxique. En comparant l’atmosphère chez ses parents et celle qui régnait chez Guy, il réalisa que pour la première fois depuis des semaines, il était enfin détendu.

Jamie avait toujours fait confiance à son instinct.

— Ma réponse est oui, dit-il résolument.

— Votre réponse ? répéta Guy en se tournant vers lui, les sourcils froncés. Est-ce que… Vous voulez dire que vous acceptez ma proposition ?

— Oui, confirma Jamie en souriant.

À sa grande surprise, Guy ne lui rendit pas son sourire.

— Pourquoi ? demanda-t-il très sérieusement.

Jamie ne s’était pas du tout attendu à cette réaction.

— Pourquoi accepter si soudainement ? insista Guy en l’observant avec attention. Ne vous méprenez pas, mon offre tient toujours, je veux simplement être certain que vous acceptez pour les bonnes raisons. Dites-vous oui simplement parce que votre propriétaire vient de vous mettre à la porte et que vous êtes désespéré ? demanda-t-il en se tournant de nouveau vers la machine à café. Si c’est le cas, je dois vous mettre en garde, je pense sincèrement que prendre une décision en désespoir de cause est une très mauvaise idée.

Il y avait quelque chose de presque rassurant dans le fait que Guy ne veuille pas le laisser faire n’importe quoi.

— Je suis désespéré, c’est vrai, concéda-t-il en se laissant aller contre le dossier de sa chaise. Mais ce n’est pas pour ça que j’accepte.

Il prit une grande inspiration en réfléchissant soigneusement à ses prochains mots.

— Je vous crois.

— Vraiment ? demanda Guy, la cafetière à la main.

— Je vous crois quand vous dîtes que vous cherchez simplement à m’aider, acquiesça Jamie en haussant les épaules. Et puis, je ne sais pas… j’ai un bon pressentiment à votre sujet.

Guy le fixa intensément pendant un long moment, puis esquissa un sourire en coin.

— C’est le jacuzzi qui vous a convaincu, admettez-le.

— Vous m’avez percé à jour, répondit le jeune homme en levant les yeux au ciel. C’est le jacuzzi qui m’a séduit.

Guy éclata de rire. Il servit deux mugs de café bien remplis, et les apporta sur la table avant de s’asseoir en face de Jamie.

— Bon, puisqu’il semble que nous voilà colocataires, j’ai une autre suggestion à vous faire.

Jamie haussa les sourcils et écarquilla les yeux dans une expression exagérée d’inquiétude.

— Détendez-vous, se moqua gentiment Guy. Rien de scandaleux. Si vous n’avez rien d’autre de prévu ce soir, pourquoi ne pas rester dîner ? Cela nous donnera l’occasion de commencer à apprendre à nous connaître.

Jamie prit le temps d’y réfléchir. Guy venait de lui ôter une grosse épine du pied, et pour être parfaitement honnête, l’idée d’un bon repas chaud était alléchante.

— C’est une très bonne idée.

— Vous êtes bien conciliant, le taquina Guy. Vous ne savez même pas ce qu’il y a au menu.

Jamie éclata de rire.

— Première chose à savoir à mon sujet : ma mère m’appelle la poubelle de table. Elle dit que je mangerais sans doute n’importe quoi.

— En voilà un sacré challenge, répondit Guy en haussant un sourcil.

Plus le temps passait, et plus l’intuition de Jamie se confirmait. Il avait fait le bon choix.

III

JAMIE PROFITA du fait que Guy soit aux fourneaux pour explorer un peu le rez-de-chaussée et regarder de plus près les innombrables photos qu’il avait aperçues pendant la visite. Il y avait beaucoup de clichés de Guy avec deux jeunes enfants, un petit garçon et une petite fille, mais elles avaient l’air de dater. Guy devait être à peine plus vieux que Jamie sur ces photos. Lorsqu’il tomba sur un cliché de Guy accompagné d’un homme plus âgé, il sut aussitôt qu’il s’agissait de Stephen. Il scruta la photo avec attention. Stephen était séduisant. Il avait les cheveux argentés et un visage doux. Il était installé dans un large fauteuil, et Guy était assis à ses pieds. Ils étaient en train de se regarder, et le plus étonnant sur ce cliché était sans doute l’expression sur leurs visages, comme si la photo avait capturé quelque chose de trop intime. En la regardant, Jamie eut la sensation gênante d’être un voyeur.

Il ne pouvait s’empêcher de se demander à quoi ils pensaient, ce dont ils étaient en train de discuter. Il n’était pas dupe, il savait très bien que le regard qu’ils échangeaient sur cette photo était un regard d’amour. Même si ses parents n’en avaient plus partagé depuis très longtemps, il se souvenait encore de ce à quoi l’amour ressemblait.

— C’est Stephen.

Jamie sursauta. Il était tellement perdu dans sa contemplation qu’il n’avait pas entendu Guy approcher. Il était juste derrière lui et regardait le cliché par-dessus son épaule avec une tendresse flagrante.

— Comment vous êtes-vous rencontrés ? demanda Jamie.

— Dans une librairie. J’étais venu acheter des livres pour l’école, mais une fois à la caisse, j’ai réalisé que je n’avais pas assez d’argent, raconta Guy en souriant. Stephen était juste derrière mois dans la file d’attente. Il a offert de les payer pour moi. J’ai refusé, mais il a insisté en disant que c’était sa bonne action de la journée. Je n’allais quand même pas l’empêcher de réaliser une bonne action.

— Ça a l’air d’être un type bien, commenta Jamie en souriant.

— C’était quelqu’un d’extraordinaire. La première fois que je l’ai vu, je me suis tout de suite dit qu’il était incroyablement séduisant. Il était évident qu’il avait des moyens et qu’il prenait grand soin de son apparence. Il m’a proposé d’aller boire un café, et j’ai dit oui, dit-il en haussant les épaules. J’étais intrigué, je voulais en savoir plus à son sujet.

Guy n’ajouta rien, et retourna en cuisine, Jamie sur les talons.

— Comment était-il ?

Guy reprit place derrière le comptoir pour continuer à couper les légumes.

— La première impression que j’ai eue, c’est qu’il était très seul. Il n’avait plus aucune famille et c’était un célibataire endurci. Je crois qu’il était séduit par l’idée de simplement avoir une autre présence à ses côtés au quotidien, expliqua Guy en faisant glisser les légumes de la planche jusque dans le plat en céramique avec la lame de son couteau. Il y a du thé glacé dans le réfrigérateur, cela ne vous embête pas de nous en servir deux verres ? Les verres sont dans le placard juste à côté.

— Vous m’avez dit que vous étiez dans le même genre de galère financière que moi quand vous avez rencontré Stephen, dit Jamie en s’exécutant. Puis-je savoir comment vous en étiez arrivé là, ou est-ce trop personnel ?

Guy hésita un instant, la bouteille d’huile d’olive suspendue au-dessus des légumes.

— Si vous vous installez ici, il y a de fortes chances pour que vous fassiez la connaissance de Carla, ma fille, alors autant vous dire toute la vérité, conclut-il en versant un filet d’huile sur les poivrons, l’aubergine, la courgette, les champignons et les oignons rouges.

Il glissa le plat dans le four, puis ils s’installèrent de nouveau tous les deux à la table de la cuisine. Guy but une grande gorgée du thé glacé que Jamie venait de lui servir.

— Je ne sais même pas par où commencer… Vous connaissez le cliché du gamin de dix-sept ans qui se saoule le soir de son bal de fin d’année en Terminale et qui finit par coucher avec sa meilleure amie ? C’était moi. Et quelques mois plus tard, nous avons découvert qu’elle était enceinte.

— Mais… Je croyais que vous étiez gay ?

— J’étais encore si jeune, soupira Guy. À l’époque, je commençais seulement à comprendre que je préférais les garçons. Miranda était la seule personne à connaître mes doutes.

— Et elle a quand même couché avec vous ? Je suis désolé, mais je trouve ça un peu… malsain.

— Elle croyait sans doute que mes doutes n’étaient pas sérieux, et qu’elle réussirait à me convaincre d’être hétéro. Pour être honnête, je suis encore étonné d’avoir réussi à aller jusqu’au bout.

— Vous n’aviez pas de préservatifs ? Elle ne prenait pas la pilule ?

— Coupables à tous les niveaux, répondit Guy en levant les mains en signe d’impuissance. J’avais beaucoup trop bu pour réfléchir et Miranda pensait qu’elle réussirait à me convaincre de me retirer avant la fin. Elle était élevée dans une famille très catholique, et elle croyait sincèrement que c’était une méthode viable, ajouta-t-il en fronçant les sourcils. La preuve que non, puisque les jumeaux que nous avons conçus cette nuit-là continue de faire de ma vie un enfer vingt ans plus tard, plaisanta-t-il en souriant tendrement. Bon, d’accord, peut-être pas Carla, c’est un ange. Elle va se marier au mois de juin. Mais Patrick, c’est une autre histoire…

— Que s’est-il passé ensuite ? A-t-elle avoué à ses parents qu’elle était enceinte ?

Guy s’appuya contre le dossier de sa chaise.

— Elle le leur a dit, et ils ont insisté pour que je me comporte « honorablement », et que je l’épouse sur-le-champ. Mon Dieu… Je n’avais même pas encore dix-huit ans, je m’apprêtais à entrer à l’université, et ils nous ont forcés à nous marier.

— Qu’en ont pensé vos parents ?

— Au début, ils étaient sous le choc, mais très vite ils ont été excités à l’idée de devenir grands-parents, même si c’était un peu plus tôt que prévu. C’est comme ça que je me suis retrouvé marié et papa de jumeaux, à la veille de commencer mes études supérieures. Miranda est restée vivre chez ses parents avec les enfants, dit-il avec une pointe de rancœur dans la voix. Ce n’était pas vraiment la meilleure façon de se lancer dans la vie, mais je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Et peut-être un peu à la tequila.

— J’imagine que votre mariage n’a pas duré.

Guy laissa échapper un reniflement amusé.