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2 êtres brisés, 2 obsessions, 1 histoire horrible... Deux adolescents perdus de vue se retrouvent à l'occasion des vacances d'été. Leurs sentiments seront différents, cependant cela va mal se passer. Peut-être parce que Lui est masochiste et que Elle est obsédée par les couteaux ? Allez savoir...
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Seitenzahl: 367
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Du même auteur :
Duologie « Sujets Tabous »
- Tome 1 : Rancœur (2022)
- Tome 2 : Complicité Macabre (2023)
Brouillard(2023)
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- Facebook : Merlin Lefrancq-Dubois Auteur
Avant-Propos Le Merl’imMonde
Frise chronologique du Merl’imMonde
PROLOGUE: Portraits
Première partie: Exposition
CHAPITRE 1: Rafael
CHAPITRE 2: Sohane
CHAPITRE 3: Retrouvailles
CHAPITRE 4: Aude
CHAPITRE 5: Introspection
CHAPITRE 6: Adieu, innocence
CHAPITRE 7: La musique
Deuxième partie: Développement
CHAPITRE 8: Découvertes sensorielles
CHAPITRE 9: Tentation
CHAPITRE 10: Quiproquos
CHAPITRE 11: Premier conflit
CHAPITRE 12: Volonté
CHAPITRE 13: Bravoure ?
CHAPITRE 14: Rupture
Troisième partie: Bienséance
CHAPITRE 15: Point de non-retour
CHAPITRE 16: Confidences
CHAPITRE 17: Protéger ses arrières
CHAPITRE 18: Mme Cynthia Touillez
CHAPITRE 19: Solution indécente
CHAPITRE 20: Apaisements
CHAPITRE 21: Enquête indépendante
CHAPITRE 22: 1ère fois à 2
CHAPITRE 23: Intimes pensées
CHAPITRE 24: Une visite inattendue
CHAPITRE 25: Aude a la joie
CHAPITRE 26: Cadeau empoisonné
CHAPITRE 27: Cœurs brisés
CHAPITRE 28: Mise en place
CHAPITRE 29: À nouveau : l’espoir
CHAPITRE 30: Intrusion
Quatrième partie: Massacre en trois actes
CHAPITRE 31: Violente découverte
CHAPITRE 32: Murder Party
CHAPITRE 33: En direct
ÉPILOGUE: Cicatrices
Remerciements
Cher lecteur,
Peut-être as-tu lu la duologie Sujets Tabous ou encore Brouillard avant d’ouvrir cet ouvrage ? Que ce soit le cas ou non, laisse-moi te parler de l’univers macabre dans lequel tu as mis les pieds : le Merl’imMonde.
Tu peux voir ce monde immonde comme un univers parallèle au nôtre. Les similitudes y sont nombreuses, qu'elles soient positives… ou négatives. Mon but n’est pas de présenter un monde totalement différent et fantastique, mais plutôt de permettre un regard extérieur à celui dans lequel nous vivons tous, grâce à des parallèles parfois pris avec humour, ou avec une douce amertume.
Car, c’est un triste constat personnel, notre monde est naturellement immonde, dans l’état actuel des choses. J’aurais beau coucher sur le papier les détails les plus sordides en provenance directe de mon imagination malade, je pense que rien n’égalera l’horreur du réel.
Trêve de philosophie. C’est un avant-propos, nom d’un chien.
Plus concrètement, ces lignes t’amènent à la vigilance. Ce roman, ainsi que les précédents et ceux à venir, place son intrigue dans cet univers diégétique, parallèle au nôtre donc, à l’instar des rêves et de l’imagination de chacun. Ainsi, tu vas retrouver des personnages passants d’une histoire à une autre, principalement le détective privé Walter Casterman fortement présent, soit comme simple clin d'œil, soit en tant que protagoniste majeur de l’intrigue.
Mais tu retrouveras également un personnage beaucoup plus sombre et insidieux. Afin de ne pas gâcher le fil rouge qui relie chaque roman, je vais te donner son surnom : l’homme en blanc. Apparition éclair dans la duologie Sujets Tabous, personnage important de Brouillard, cet être abominablement détestable aura une influence extrêmement néfaste sur différents événements. Ta mission, si tu l’acceptes, va être de découvrir son identité dans un premier temps, mais attention : il peut se cacher n’importe où.
À la page suivante, tu trouveras une frise chronologique qui te permettra de te repérer dans l’intrigue. Cependant, sache que chaque texte peut se lire indépendamment, rien ne t’oblige à tous les lire, et encore moins dans l’ordre, pour profiter pleinement de ta lecture.
Maintenant que tu as les clefs de compréhension de ce Merl’imMonde, place à la découverte d´un couple torturé et de leurs Passions morbides.
— Gouzi gouzi, coucou mon joli !
Camille Seguin était penchée au-dessus de la poussette de son fils Rafael, au milieu du parc. Rien qu’avec des sons indéchiffrables, il semblait tenir de profondes conversations avec tout le monde, surtout avec sa mère. Un lien très fort unissait mère et fils, ils se comprenaient mieux que quiconque, mieux que s’ils avaient employé la parole comme deux êtres humains lambda – même si, présentement, Camille utilise des mots, mais ceux-ci ne sont qu’accessoires, conventionnels, inconsciemment influencés par la présence de son mari Pascal à ses côtés.
Le temps était splendide, idyllique : les oiseaux chantaient, le ciel était d’un bleu azur, le soleil brillait et réchauffait l’atmosphère de ses rayons, sans toutefois brûler la peau ou étouffer les promeneurs. Les points d’ombre offerts par les arbres environnants permettaient de courts instants de rafraîchissement très agréables. Tout semblait parfait, autour de la petite famille Seguin comme en son sein.
Quelques mètres plus loin, face à eux et en sens inverse, s’approchait une autre petite famille idéale, constituée d’amis, les Ménard. Pascale et Camille arrivaient avec, dans la poussette promenée par le père, leur fille Sohane de onze mois. À quelques nuances près, notamment le décor, il y avait un réel effet de miroir entre les deux jeunes et petites familles nucléaires.
Tout est-il déjà écrit, ou bien tout n’est que hasard et, parfois, innocentes coïncidences ? Le débat n’est pas tranché, la question reste ouverte. Chacun a sa propre opinion, et je vous épargne la mienne. Quoi qu’il en soit, par un curieux hasard, Sohane et Rafael étaient nés le même jour, durant la même heure mais à quelques secondes d’intervalle, faisant de Sohane la plus âgée des deux, et ceci dans la même maternité, en août dernier. La mise au monde de Rafael avait été très douloureuse ; pas celle de Sohane car sa mère avait choisi la péridurale. Là où la mère de Sohane avait eu besoin d’une césarienne, celle de Rafael lui avait donné naissance sans cette intervention chirurgicale délicate. Hormis ces petites différences, les deux jeunes êtres semblaient unis par des lois qui nous dépassent.
Camille, jeune homme jovial et loyal mais introverti, avait rencontré Camille, jeune femme pétillante et joyeuse mais elle aussi introvertie, à l’Université de Lille. D’abord amusés par leur prénom mixte en commun, ils étaient ensuite devenus les meilleurs amis du monde. Ensemble, ils auraient pu former un joli couple, mais leur cœur ne battait pas de cette manière – eh oui, l’amitié homme-femme c’est possible. En revanche, Camille s’était épris de Pascale, jeune femme à l’opposé de son caractère, tandis que Camille aimait Pascal, un jeune homme manquant d’intelligence – il faut bien le dire – mais sympathique de prime abord. Ces deux Pascals, curieusement, étaient eux aussi de grands amis, deux personnalités extraverties. Les deux couples officiels ensuite formés, le quatuor restait inséparable. Fait surprenant, Camille et Pascale étaient tombées enceintes la même nuit, comme si elles s’étaient donné le mot – il faut dire que les quatre amis avaient partagé un repas aux nombreux ingrédients aphrodisiaques avant de, chacun, rejoindre leur lit respectif.
Des quatre, ce furent les deux Camille qui restèrent les plus proches. Cependant, chacun étant désormais en couple, leur amitié se trouvait un peu étouffée et ils se voyaient moins régulièrement à deux, s’il fallait trouver une ombre au tableau. Mais cela ne leur posait pas de problème particulier, le lien amical qui les unissait était extrêmement bien noué.
Cette fois-ci, pas de hasard : les quatre amis s’étaient en effet donné rendez-vous dans le parc des Argales à Rieulay, voulant profiter de la splendide journée comme il en existait peu dans le nord de la France, même en été, mais aussi fêter l’anniversaire de Camille. Chaque famille était entrée par un côté différent de l’étang pour, finalement et inévitablement, se retrouver. Lorsqu’ils s’aperçurent, ils se firent des signes de la main, un sourire aux lèvres. Les deux Camille avaient la charge de leur enfant respectif, Pascal et Pascale profitèrent d’être libres pour presser le pas et se retrouver les premiers.
— Comment vas-tu ma chérie ?
— Super et toi ? Quelle magnifique journée de printemps.
Ils étaient dans les bras l’un de l’autre, restèrent ainsi à s’échanger des banalités et des débordements d’amour tandis que Camille père et Camille mère les rejoignaient. Puis ce fut d’autres embrassades et échanges niais entre chaque membre du quatuor. Les Ménard souhaitèrent un joyeux anniversaire à Camille. Un bruit d’enfant mit un terme à leurs effusions et attira leur attention sur les tout petits. Chaque couple s’extasia sur le bébé de l’autre, échangeant de beaux compliments. Sohane et Rafael semblaient heureux d’être au cœur de leur attention, ils s’agitaient dans leur poussette, les yeux ronds et rieurs.
— Ce banc est merveilleusement bien placé, indiqua Pascal, comme une invitation déguisée à s’asseoir car il avait déjà mal aux jambes.
Sa compagne approuva et les quatre amis allèrent s’y poser, mettant les poussettes face à eux, côte à côte. Ils étaient situés à l’ombre. Pascale saisit son sac à dos pour y sortir une bouteille d’eau qu’elle proposa à son mari. Prenant exemple sur eux, Camille proposa à son mari Pascal de boire un peu d’eau également.
— Vous avez des projets pour les vacances d’été ? se renseigna Pascal après avoir bu une gorgée d’eau.
— Cette année, nous avons suffisamment économisé pour rejoindre mes parents à la Réunion pendant un mois ! annonça Pascale avec fierté.
— Mais c’est une superbe nouvelle, vous devez être contents !
Même si son mari Camille confirma avec un sourire, cela était faux : il avait beaucoup de mal à supporter sa belle-famille, là où lui n’avait plus de parents, et les îles ne l’avaient jamais spécialement attiré. L’autre Camille lui lança un regard complice, connaissant suffisamment son ami pour savoir qu’il ne voulait pas faire de vague, et que s’il acceptait ces vacances, c’était uniquement pour faire plaisir à sa femme, que lui s’effacerait comme il le faisait souvent.
— Et vous ?
— On va rester dans le coin, plusieurs membres de ma famille veulent passer nous rendre visite et nous n’avons pas les moyens de faire de même.
Nouveau regard complice des Camille : la compagne de Pascal, en froid avec sa propre famille, n’appréciait pas tellement celle de son mari, mais faisait toujours profil bas. Bien entendu, son grand confident au prénom homonyme la connaissait comme sa poche et sut interpréter son manque d’enthousiasme. Surtout qu’il connaissait son goût pour les voyages.
En somme, seuls Pascal et Pascale semblaient réellement épanouis. Les Camille laissaient les choses se faire d’elles-mêmes et restaient là à subir docilement les projets de leurs compagnons respectifs. Toutefois, ils ne s’en plaignaient pas et avaient leurs enfants pour apporter la joie de vivre. À l’inverse des Pascal, les Camille semblaient davantage proches de leurs progénitures.
D’ailleurs, qu’en était-il d’eux ? Ils s’agitaient dans leurs poussettes, réclamant de se dégourdir les jambes. Ainsi on les déposa sur l’herbe, devant les adultes assis sur leur banc, suffisamment à proximité pour qu’il ne leur arrive rien et sous la bonne garde des Camille maman et papa poule. Les deux enfants s’amusaient, gazouillaient et caressaient l’herbe de leurs petites mains, désireux de découvrir leur environnement. Ils avaient envie de s’éloigner, mais leurs parents veillaient. Enfin, les Camille seulement, car Pascale et Pascal se lançaient dans de grandes conversations à propos de leurs vacances à venir.
Sohane et Rafael se rapprochèrent l’un de l’autre. De l’extérieur, il était impossible de dire ce qui pouvait bien leur passer par la tête. En réalité, les deux petits êtres avaient un niveau de conscience supérieur à celui de leurs parents, sans réellement le réaliser eux-mêmes. Ils savaient deux choses, comme autant d’évidences : leur rencontre remontait à des temps lointains ; et dans cette vie qui leur était offerte, comme dans les précédentes, ils seront amenés à sceller un sort commun…
— À quoi penses-tu ?
Rafael était assis sur ce même banc qui avait accueilli ses parents et leurs deux amis seize années auparavant. Évidemment, il n’avait plus aucun souvenir de ce moment. La tête basse entre ses deux genoux, les mains croisées, il fermait les yeux et pensait à sa mère Camille, déprimé. Sa petite amie Aude était assise à côté, contre lui. Sa question le sortit soudain de sa torpeur, mais il ne lui accorda aucun regard. Il s’étira et mit sa tête en arrière, regardant le ciel.
— Oh, à rien, je divague…
— Alors que je suis avec toi ? Sympa…
D’abord confus, il tourna son visage vers elle. Déjà elle s’était décollée de lui de quelques millimètres. Le regard hagard en premier lieu, ses lèvres s’étirèrent finalement en un demi-sourire. Elle ne le vit pas, regardant du côté opposé.
— J’ai beau rêvasser, je sais que l’amour de ma vie est auprès de moi, dit-il en l’entourant d’un bras.
Il la sentit toute crispée, raide comme un piquet. Elle tourna finalement son visage vers lui : ce dernier était inexpressif, froid, comme toujours. Non, juste… comme souvent. Elle se radoucit finalement.
— Bien rattrapé.
Elle se leva, quittant son étreinte. Elle lui proposa, pour ne pas dire imposa, de marcher un peu, uniquement dans le but d’éviter qu’il ne reparte dans ses pensées et sa posture déprimante. Rafael accepta, sachant dans le fond qu’il n’avait pas le choix. Quand Aude voulait quelque chose, mieux valait ne pas la contrarier.
Il faisait beau, la température était douce et agréable. Du moins pour Rafael, puisqu’Aude s’était plainte plusieurs fois du "froid" ambiant. De toute manière, elle avait l’habitude de se plaindre pour un oui, pour un non, tout en disant qu’elle était heureuse de retrouver son amoureux. Il ne faisait jamais assez beau, assez chaud, ils ne se voyaient pas suffisamment, Rafael n’était pas assez démonstratif de son amour, n’entreprenait jamais rien… Bien sûr, elle gardait les plus inavouables reproches pour elle, sauf lors d’excès d’humeur qui se faisaient toujours un peu plus fréquents. Mais Rafael n’était pas dupe.
Depuis qu’il la connaissait, il s’était posé toute une série de questions en fonction des événements et du contexte. Par ordre d’arrivée : Qui est cette fille ? Quels mystères l’entourent ? Estelle malheureuse comme je le suis ? Les on-dit à son propos sont-ils vrais ? Pourquoi ne s’intéresse-t-elle jamais à moi ? Pourquoi prendre ma défense ? Pourquoi s’intéresse-t-elle finalement à moi ? Est-ce la femme de ma vie ? M'aime-t-elle vraiment ? Ne se fiche-t-elle pas de ma gueule ?
Il en était là désormais, à croire qu’elle était sortie avec lui par pitié ou, pire, par défi. Car depuis le décès de sa mère Camille cinq ans plus tôt, Rafael s’était complètement renfermé sur lui-même, devenu solitaire. L’approcher relevait donc d’un véritable exploit, sauf pour ceux qui prenaient un malin plaisir à le martyriser, et Aude avait la réputation d’être une petite garce auprès des autres jeunes, lycéens et même collégiens. Elle lui avait pourtant paru très douce, gentille, un peu comme lui. Il n’avait jamais cru les commérages de ses camarades, mais certains de ses derniers comportements lui offraient quelques soupçons. Toutefois, l’amour qu’il croyait éprouver lui interdisait de douter.
— T’as intérêt à penser à moi, et en bien, déclara-t-elle soudain.
Il réalisa que, dans ses pensées, il avait une nouvelle fois l’air ailleurs. Il reprit racine dans la réalité et lui répondit :
— Mais bien sûr mon amour.
— D’ailleurs, à quoi pensais-tu tout à l’heure, sur le banc ?
Son cœur se serra soudain, lui faisant mal. Pourquoi lui demandait-elle ça ? Elle devait bien s’en douter, non ? Puisqu’il pensait toujours à la même chose ces derniers temps. Était-elle vraiment à l’écoute de son chagrin, les rares fois où il le lui confiait ?
— À maman.
Elle eut un petit rire qu’il trouva très déplacé, ce qu’il exprima en crispant momentanément ses traits.
— Oh ça va hein, c’est que plus personne n’appelle sa daronne "maman" maintenant.
— Ben moi si, répliqua-t-il sèchement.
— Ouhla, décidément t’es pas d’humeur aujourd’hui.
« Elle se fiche de moi ! pensa-t-il. Elle n’a pas arrêté de se plaindre pour un tas de raisons futiles depuis qu’on est là alors que c’est elle qui voulait venir ici, et c’est moi qui ne suis pas d’humeur ? Elle sait pourtant que ce n’est pas une période facile pour moi, un bien triste anniversaire… »
— Désolé mon cœur, c’est un jour difficile pour moi.
— Pourquoi ?
Il s’arrêta de marcher, craqua, tomba en sanglots. Aude fut toute surprise, resta interdite quelques secondes. Elle remarqua ensuite le regard curieux des passants, prit Rafael par la main et lui proposa de s’isoler un peu en le tirant hors du chemin, plus soucieuse du potentiel regard des autres que du bien-être de son compagnon. Un homme qui pleure, surtout en public, c’est la honte. Elle avait une réputation à tenir. Elle le prit dans ses bras, espérant que cela le calmerait.
— Je suis désolée, dit-elle, alors qu’elle ne comprenait toujours pas sa réaction.
— Morte si jeune, le jour de son anniversaire, tu te rends compte ?
Elle comprit enfin. Rafael faisant beaucoup de bruit, elle vérifia que personne ne les voyait tout en murmurant des mots de réconfort.
— Viens, rentrons, demanda-t-elle finalement, une fois qu’il ne pleurait plus.
Incapable de prendre ses propres initiatives, il accepta d’un hochement de tête puis la suivit sur un chemin à l’abri des regards indiscrets. Tout en marchant, elle sortit un mouchoir de sa poche, qu’elle lui tendit. Il s’en saisit et nettoya son visage souillé de larmes et d’un peu de morve.
Ils ralentirent leur marche une fois qu’ils eurent rejoint la route de sortie. Ils se retrouvèrent côte à côte, silencieux. Rafael reniflait parfois pour désencombrer ses nasaux. Il attirait encore quelques regards de piétons ou de conducteurs, avec son visage rougi et ses yeux humides. Aude en était très mal à l’aise. « Pourvu que personne que je connaisse ne passe par là aujourd’hui… ». En effet, un certain nombre de ses potes aimait squatter le parc durant l’été. Par chance pour elle, il n’y eut aucune fâcheuse rencontre.
— Désolé de m’être montré minable comme ça…
Elle ne lui dit pas que ce n’était rien, car pour elle, ce n’était pas rien.
— Ça ne se reproduira plus.
— Tu es sûr de ça ?
Ils avaient quitté le chemin menant au parc, ils se trouvèrent à la ville, bientôt en face de la maison de Rafael à proximité.
— Oui mon cœur.
— J’espère bien… parce que j’en ai marre de te voir déprimé comme ça. Ce n’est pas qu’à cause d’aujourd’hui, ça fait plusieurs jours que ça ne va pas. Tu mets une mauvaise ambiance entre nous, je n’en peux plus.
Au lieu de se défendre, Rafael culpabilisa immédiatement. Il était vrai qu’il était dépressif ces derniers temps, quelque chose n’allait pas et il ne savait pas expliquer de quoi il s’agissait. Il aurait pu reprocher à Aude des faits similaires mais n’en fit rien. Pour souffrir en silence, il ressemblait beaucoup à sa mère.
— Je suis désolé.
— Je sais bien. Bon, on s’appelle ? Je vais prendre mon bus.
— Ok, je te laisse me contacter quand tu veux, toujours rien de prévu pour l’instant.
— Moi j’ai beaucoup de choses de prévues, on se tient au courant pour se revoir. À bientôt.
— À bientôt.
Il s’apprêta à l’embrasser, mais déjà elle lui tournait le dos, se dirigeait vers l’arrêt de bus à l’opposé du chemin menant à sa maison. Rafael resta seul, incapable de bouger, le regard pointé dans sa direction, des larmes aux yeux. Voilà que des problèmes de couples s’ajoutaient à ses moroses pensées… à moins qu’elles n’aient été la cause première de son mal-être ? Il y réfléchissait, parfois.
À dix-neuf heures six, il attendait la réponse à un texto envoyé à Aude dans lequel il s’excusait d’avoir gâché leur moment. Elle n’avait pas encore répondu, il ne savait dire si elle ignorait son message pour l’instant ou bien si elle ne l’avait simplement pas lu. Mais la connaissant, et au vu du temps écoulé entre le moment où il avait envoyé le message et le présent, il penchait plutôt pour la première solution et en fut terriblement contrarié.
S’il essayait de penser à autre chose, c’était pire, car seul le souvenir de sa mère Camille pouvait prendre le relais de ses préoccupations. Il se sentait désespérément seul, abandonné par la fille qu’il aime, orphelin de mère et mal soutenu par un père qui préfère éviter le sujet, s’abrutir de boulot et fuir ce fils qui lui rappelle l’amour de sa vie. Ce dernier n’était pas encore rentré du travail, il n’allait certainement pas tarder. Rafael pleura un bon coup avant de se décider à sortir du canapé pour dresser la table et préparer le dîner. S’occuper était un bon moyen de faire le vide.
Alors qu’il était dans la cuisine en train de couper des légumes sur la planche prévue à cet effet, son mobile vibra dans sa poche arrière. Il lâcha son couteau pour le récupérer, impatient et inquiet de découvrir son message.
C’est rien mon amour, n’en parlont plus. Prend soin de toi, je t’appele vite. Je t’aime.
Malgré ce message relativement rassurant (et contenant trois horripilantes fautes de grammaire), il n’était pas dupe : Aude mettait de plates ponctuations partout lorsqu’elle se montrait distante, une manie inconsciente qu’il avait bien remarquée depuis le temps. Il le lui avait d’ailleurs fait un jour la remarque, et elle avait veillé à ne plus le faire. La présence de points en bout de phrase était maintenant d’autant plus révélatrice de son humeur durant la rédaction.
Plus abattu que jamais, il retourna à la découpe de ses légumes. Plein d’une énergie nouvelle offerte par la colère, il s’appliquait avec force et rapidité. Il était écœuré de la vie, de la tournure que prenaient les récents événements. Une boule lui obstrua la gorge.
Des images de l’accident vinrent hanter son champ de vision, tels des flashs de lumière. La tête à l’envers, l’horrible vision de sa mère aux yeux vides de vie, du sang s’écoulant de sa bouche, les cheveux flottant au-dessus de sa tête, le front sanguinolent. Les airbags ne s’étaient pas enclenchés lorsque le camion avait embouti la voiture, la faisant faire un triple tonneau avant qu’elle n’atterrisse sur le toit. Que Rafael soit encore en vie relevait du miracle, il était donc peu probable que ledit miracle se produise deux fois. Le conducteur à l’arrière, ayant assisté à l’accident, avait sorti Rafael in extremis avant que la voiture n’explose. Même s’il savait qu’elle était morte avant l’explosion, il pleurait le fait que son corps ait péri à tout jamais dans les flammes.
Sa respiration était bruyante, il soufflait plus qu’il ne respirait. Pourquoi la vie était-elle si injuste ? Depuis l’accident, son existence partait en lambeaux, même le modeste bonheur qu’il avait su construire avec Aude. Peut-être qu’il n’avait cherché qu’à combler un vide que l’on ne peut remplir, dans le fond. Eh bien, il ressentait désormais ce vide plus qu’à aucun autre moment.
Un coup maladroit eut vite fait de faire dévier le couteau et lui entailler un petit bout de chair de son auriculaire gauche. Quelques centimètres plus près, il se serait amputé du doigt. Il laissa échapper un cri de douleur amplifié par le chagrin, lâcha le couteau comme s’il s’agissait d’un objet de mort et porta son doigt blessé à sa bouche. Cela faisait bien longtemps qu’il n’avait pas ressenti de douleur, pas depuis l’accident. Il en avait oublié ce que cela faisait.
Cependant, ce qu’il ressentit était tout de même différent de ses souvenirs. Différent en quel sens ? Il n’en savait rien. En revanche, il était certain d’être un douillet depuis sa plus tendre enfance, le moindre petit bobo devenait un danger mortel et une douleur insurmontable. Il n’accueillit pas cette douleur-ci avec cette ampleur qui lui était autrefois caractéristique. Au contraire, ce n’était pas si pénible que ça, peut-être même source de… non, ça ne serait pas logique. Il sortit le doigt de sa bouche pour observer la plaie quelques secondes : elle ne saignait déjà plus. Il resta un certain temps à l’observer, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art.
Il sursauta lorsqu’il entendit la porte d’entrée s’ouvrir. Son père avait terminé sa journée de travail. Pour prendre soin de sa plaie, et surtout pour grappiller encore un peu de temps loin de son paternel, il se faufila rapidement vers la salle de bain, verrouillant la porte derrière lui.
— À quoi penses-tu ?
— À rien du tout, j’ai la tête complètement vide, là.
Accompagnée de sa meilleure amie Tex, Sohane était allongée sur le dos à même le sable de la plage. Sa peau métissée brunissait davantage grâce au bronzage offert par les rayons du soleil. Il se faisait tard, les touristes commençaient à plier bagage, la plage se vidait peu à peu. Les deux amies se trouvaient déjà dans un coin isolé afin d’éviter l’insupportable foule, mais le simple fait de l’entendre disparaître leur donnait l’impression de pouvoir mieux respirer.
— Oh, désolée de t’avoir dérangée.
— C’est rien. T’as une voix agréable. Avec le bruit des vagues au loin, on pourrait croire que tu es une charmante sirène.
— Pff, t’es conne toi, des fois, pouffa Tex.
— Je sais.
— Et tu es très belle aussi, surtout là comme ça, très peu vêtue sur le sable, ajouta-t-elle après l’avoir observée quelques secondes, relevant ses lunettes de soleil pour l’occasion.
— Je sais.
Tex éclata de rire, Sohane sourit légèrement, gardant ses yeux clos, le visage faisant face au ciel bleu.
— Ahlala, pourquoi tu ne ferais pas partie de la communauté LGBT plutôt que de la soutenir ? demanda son amie sur un ton implorant.
— Je te l’ai déjà dit, ce n’est pas une question d’orientation sexuelle, même si je peux t’avouer que je te trouve très belle et séduisante, moi aussi. Mais entre nous, il s’agit d’amitié : c’est tellement plus beau comme ça. Tu nous imagines en couple ? Ce serait la fin de notre superbe relation.
— J’avoue… Tous mes amis célibataires ont beau se plaindre, ils sont beaucoup plus heureux comme ça ! Et puis, avec leurs amis, c’est pas prise de tête.
— Voilà, tu vois. Personnellement, je prends exemple sur la relation qu’entretenait mon père avec sa meilleure amie. Enfin, je prends exemple sur ce qu’il me racontait de cette relation qui paraissait parfaite à ses yeux. La dernière fois que j’ai vu la Camille en question, c’était il y a neuf ans, avant que ma mère ne décide et n’impose que l’on vive définitivement ici. Je m’entendais très bien avec le fils de cette Camille d’ailleurs, je m’en souviens, Rafael il s’appelle. Enfin bref, tout ça pour dire que c’est mieux les amis. Les couples, ça craint. Si mon père avait été célibataire, ok je ne serais pas née, mais lui serait encore en vie… Les amis, c’est mieux, répéta-t-elle pour conclure.
Le ton de sa voix s’était fait plus sombre, prêt à se rompre. Tex comprit que Sohane allait rapidement se mettre à broyer du noir, une fois de plus. Évoquer son père, aujourd’hui décédé, était toujours une épreuve pour elle. Parler de sa mère également, d’une certaine façon. Bien décidée à lui éviter une déprime, elle déclara :
— Tu pourrais peut-être devenir ma sex friend !
Cette fois-ci, elle avait attiré le regard de Sohane qui haussa un sourcil unique.
— T’es grave toi, tu lâches jamais l’affaire ! T’as le feu au cul ou quoi ?
Nouvel éclat de rire de Tex. À cet instant, elles eurent une projection de sable sur le visage. Tex cracha, Sohane grogna. Elles se redressèrent toutes deux et découvrirent deux jeunes adolescents de quatorze ans environ qui riaient bien de la situation. Ils s’enfuirent, complètement hilares, en les traitant de sales gouines. Visiblement, ils avaient discrètement écouté une partie de la conversation.
— P’tits cons ! gueula Tex dans leur direction.
— Voilà que les jeunes ados s’y mettent, c’est pitoyable… Viens on bouge, je t’invite au resto.
— Tout pour ne pas rentrer tout de suite chez toi, hein ?
— Exactement ! Allez, viens.
— C’est à cette heure-ci que tu rentres ? s’emporta Pascale lorsqu’elle vit sa fille arriver. Tu aurais pu au moins m’envoyer un message pour me prévenir, c’est dingue ça !
— J’ai dîné avec Tex, répondit simplement Sohane, blasée.
— Je me doute que tu as encore traîné avec cette fille… Elle a une mauvaise influence sur toi.
Sa fille ne releva pas cette dernière phrase, se contenta de partir en direction du couloir menant à la salle de bain en levant les yeux au ciel. Mais Pascale l’interpella.
— Quoi encore ? souffla-t-elle, agacée.
— J’ai eu Pascal au téléphone tout à l’heure, tu vois qui ? Le père de ton ancien copain Rafael.
— Ouais…
— Eh bien tu vas être contente, toi qui te plains toujours de te sentir piégée sur cette île : j’ai pensé que nous pourrions retourner en France pour les vacances, histoire de changer d’air et de nous remémorer de bons souvenirs.
Pour une fois, Sohane approuvait la nouvelle idée de sa mère, sans même qu’elle n’eut besoin de développer davantage, seul le plaisir de quitter l’île lui suffisait. Cependant, elle ne voulait pas se montrer reconnaissante envers elle alors elle contint sa joie, même si l’illumination sur son visage la trahissait.
— Dis plutôt que tu veux retrouver ton ancien ami. Et on partirait quand ?
— J’ai consulté les sites internet pour nous organiser une vraie fiche de voyage : on partirait mercredi prochain, le 16, pour prendre l’avion de 21h05 qui nous ferait arriver à 05h30 à Paris. On prendrait l'hôtel pour nous remettre tranquillement du long voyage puis, le lendemain ou le surlendemain, ça dépend de si nous avons envie de visiter la capitale, nous pourrons remonter dans le Nord, ton oncle Yohan a gentiment proposé que nous nous installions chez lui autant de temps que nous le désirons, il vit à proximité de Pascal et Rafael. Mais si ça t’embête, on pourra prendre un gite ou encore une location.
— Ok, je vois… bon ben go, hein, c’est parti pour de vraies vacances.
— Je suis heureuse de voir que ça te fait plaisir.
Sohane ne répondit pas à cette remarque, elle reprit le chemin de la salle de bain. Une fois à l’abri des regards, elle se dévêtit intégralement, se frotta légèrement pour faire tomber sur le parquet le sable encore sur elle qui la démangeait, puis entra sous la douche. Elle n’y resta pas longtemps, par souci écologique. Elle était propre après tout, le but était surtout de se débarrasser du sable et de se rafraîchir avec de l’eau tiède, presque froide.
Maintenant toute fraîche, elle entoura sa tignasse bouclée dans une serviette qu’elle noua. Ensuite, enfila son peignoir de bain pour circuler dans le couloir et rejoindre sa chambre. Une fois dans son espace intime, elle s’écroula sur son lit, bras écartés, les yeux fixés sur l’ampoule basse consommation du plafond. Après un coup d'œil sur son ordinateur portable, elle hésita : et si elle consultait sa page YouTube, à l’affût de potentiels nouveaux commentaires ? Non, pas ce soir, elle était fatiguée.
Ainsi allait-elle revoir son ami d’enfance. Cette idée la fit sourire. Ensemble, ils s’étaient toujours bien amusés. Elle avait pas mal de souvenirs précis. Ces derniers étaient heureux, hormis celui peu flatteur des adieux, lorsqu’ils s’étaient vus pour la dernière fois avant son départ définitif vers la Réunion. Il n’y avait pas que les deux enfants qui étaient tristes, le quatuor d’adultes aussi se prêtait à de vives effusions de sentiments. Ils s’étaient promis de se revoir. Ce qui n’était jamais arrivé car, peu de temps après leur emménagement sur l’île, son père Camille était…
Elle pleura tout à coup, sans prévenir. Elle n’aimait pas pleurer, mais c’était inévitable lorsqu’elle pensait à lui et aux circonstances tragiques responsables de son décès. En 2006, soit un an après qu’ils se soient établis à la Réunion, une terrible épidémie de Chikungunya, maladie grave transmise par les moustiques, avait frappé l’île. Sur les 244 000 personnes contaminées, 204 moururent, dont Camille. Sohane avait encore l’affreuse image de son père tordu de douleur, raide et courbé.
Quelques années après, on leur avait appris que Camille Seguin était elle aussi décédée. Du quatuor, ne restaient plus que les Pascal, qui ne s’étaient pas encore revus depuis.
Quand ses larmes furent taries, elle chercha à se changer les idées, tant pis pour la fatigue. Elle échangea quelques petits messages avec Tex, notamment pour lui dire qu’elle aussi allait voyager pendant les vacances alors qu’elle pensait initialement se retrouver seule et malheureuse sur l’île durant tout l’été. Tex plaisantait à propos de sexualité, comme toujours. Sohane parvenait à en sourire, même si ce domaine était encore très mystérieux pour elle et qu’elle ne comprenait pas toutes les allusions étranges de son amie.
Après un échange de « Bonne nuit », Sohane éteignit son portable. Elle se leva de son lit et s’apprêta à appuyer sur l’interrupteur lorsqu’un souvenir émergea. Elle resta immobile quelques secondes, puis alla récupérer un objet qu’elle avait récupéré sur la plage la veille puis planqué sous son matelas. L’admira ensuite. Elle ne savait pas pourquoi elle le dissimulait, comme s’il s’agissait d’un objet de grande valeur ou, et il s’agissait plutôt de cela, interdit.
C’était un couteau de poche pour randonneur, sans doute égaré par un touriste. Le manche en caoutchouc était vert mousse, la lame gris foncé, élégamment taillée et bien affutée. Il était en excellent état. Sohane l’analysa sous tous les angles en y accordant un soin religieux. Elle rangea la lame après en avoir compris le mécanisme puis la déplia, répéta l’opération avec une fascination qu’elle ne pouvait expliquer. Si sa mère la voyait, elle la prendrait certainement pour une folle.
Elle constata que la lame était froide en la plaquant contre le dos de sa main. La sensation provoquée était plutôt agréable. L’idée saugrenue d’établir ce contact avec d’autres parties de son corps émergea dans son esprit. Doucement, elle saisit l’un des coins de son peignoir et découvrit son sein droit. Le plat de la lame glissa doucement, tout d’abord sur le cou, puis petit à petit vers sa poitrine. Le contact froid, paradoxalement, lui donna très chaud. Soudainement confuse par ce qu’elle venait de faire, elle remit convenablement son peignoir tandis qu’elle rougissait.
À nouveau, elle observa le couteau qu’elle trouvait très beau, particulièrement esthétique. Ce type d’objet l’avait toujours fascinée, en quelque sorte. Elle se rappela la collection de couteaux de Tex et se dit qu’elle pourrait peut-être en faire une, elle aussi, et qu’elle tenait là sa première pièce de collection. Cette pensée lui fit plaisir. De plus, à condition que son couteau se situe dans son bagage à soute, elle pourrait l’emmener lui et les éventuels nouveaux avec elle. Elle comptait bien en parler à l’avenir dans une nouvelle vidéo sur sa chaîne.
Une question sortie de nulle part s’imposa d’elle-même, à mesure qu’elle songeait aux couteaux : était-ce jouissif de planter quelqu’un avec un tel objet ? Mystère, qu’elle ne souhaitait évidemment pas percer à jour.
Comme Rafael s’y était attendu, son père Pascal avait tout d’abord fait comme si la journée anniversaire de Camille et sa mort était une journée tout à fait ordinaire, un certain malaise sous-jacent en plus. Il en avait été écœuré mais s’était abstenu de la moindre remarque.
En revanche, une heure après son arrivée, il l’avait surpris en pleine conversation téléphonique, les yeux pétillants. Quand il avait raccroché, il lui avait annoncé la venue prochaine de Pascale et sa fille Sohane, rappelant au passage à quel point les deux enfants étaient proches et s’amusaient bien par le passé. Rafael devait le reconnaître, il n’avait aucun souvenir précis de son amie d’enfance, mais il se rappelait qu’il appréciait grandement jouer avec elle.
À la suite de cette annonce, Pascal l’avait invité à consulter ensemble les vieux albums photos de famille, ce qu’ils n’avaient plus fait depuis bien longtemps. Bien évidemment, Rafael avait accepté avec plaisir. Cela allait être l’occasion de se souvenir un peu mieux de son amie et, surtout, de sa mère et des moments passés auprès d’elle. Comme chaque famille a le don de ne conserver que les photos rattachées à de bons moments, la séance souvenir fut un réel plaisir et même la source de quelques fou-rire entre père et fils, fait suffisamment rare pour être souligné. Rafael avait été ému comme cela n’était plus arrivé depuis que sa mère avait perdu la vie. C´était donc sur une note positive qu’il était parti se coucher.
Les quelques jours qui s’écoulèrent par la suite furent sans réel intérêt. Il n’avait pas encore revu Aude, cette dernière trouvait toujours un prétexte pour ne pas passer un nouveau moment avec lui. Malgré ses tactiques pour que leurs rendez-vous manqués paraissent comme un simple concours de circonstances fâcheuses, Rafael voyait clair dans son jeu et savait parfaitement qu’elle l’évitait. Le début de ses vacances était vraiment pourri, pensait-il. Comme seule occupation, il s’abandonnait à la composition musicale sur téléphone portable à travers une application capable de créer des parties instrumentales, tout instrument de musique confondu. Il n’avait eu qu’une formation éphémère en musique, cependant il avait toujours eu une très bonne oreille musicale. Caractéristiques de son état mental, ses compositions reflétaient une ambiance sombre, déprimante, voire inquiétante. Elles avaient été la source d’un intérêt feint de la part d’Aude au début, durant sa période de séduction.
Il était justement en train de composer en ce dimanche 20 juillet 2014, jour de l’arrivée de Pascale et Sohane chez eux. Il était quinze heures quatre, elles n’allaient pas tarder. Il se dépêcha d’enregistrer sur son ordinateur sa dernière création, reliant son smartphone par un câble adapté.
Rafael attendait les retrouvailles avec un subtil mélange de plaisir, de curiosité, d’appréhension et d’abattement : plaisir de retrouver une amie d’enfance, curiosité de (re)découvrir leurs visiteuses, appréhension du fait de ne plus rien savoir d’elles et abattement d’accueillir du monde. Profondément solitaire, légèrement anthropophobe sur les bords, il avait une sainte horreur des visites, même s’il s’agissait de connaissances proches. Autant dire que les avantages de recevoir Pascale et sa fille étaient bien minces comparés à la corvée que cela représentait.
La sonnette retentit dans toute la maison, le faisant sortir de ses pensées en sursautant. Immédiatement après, son rythme cardiaque s’accéléra violemment, il eut la nausée comme chaque fois qu’il éprouvait un fort stress. Discrètement, il s’approcha de la fenêtre de sa chambre avec son fauteuil mobile de bureau pour essayer de les apercevoir sur le pas de la porte, mais à peine y parvint-il que déjà son père les faisait entrer, ainsi il n’eut pas le temps de bien les apercevoir. Tant pis, même si cela l’aurait modestement rassuré.
— Rafael ? Elles sont là ! l’appela Pascal.
— Oui j’arrive ! cria-t-il, autant pour se faire entendre que relâcher la pression.
« C’est bon, je sais qu’elles sont là, je ne suis pas sourd… quel impatient ». Prenant son courage à deux mains, il se leva de son fauteuil et sortit de sa chambre, sans bruit. Il rejoignit l’escalier et le descendit lentement, veillant à ne pas attirer l’attention. Une fois dans le hall d’entrée, seul, il n’avait plus qu’à ouvrir la porte menant au salon, son père y ayant déjà invité leurs hôtes.
Avant d’entrer, il tendit l’oreille : son père parlait fort, une voix de femme plutôt grave qu’il reconnut vaguement lui répondait avec la même exaltation, mais il n’entendait pas son amie d’enfance. Peut-être était-elle aussi timide et réservée que lui ? Difficile à dire, ses souvenirs étant trop flous. De plus, elle avait peut-être changé depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus. Pour mettre un terme à ses questions, il n’avait qu’à ouvrir la porte, mais quelque chose le bloquait. Il se trouva gêné et stupide à rester derrière la porte sans réagir.
Dans ses pensées, il ne fit pas attention que Sohane demandait le chemin des toilettes. Alors qu’il se décidait enfin à ouvrir la porte et que sa main saisissait la poignée, il fut pris de court car cette dernière s'abaissa toute seule. Dans un élan de panique, il recula brusquement, le cœur bondissant dans sa poitrine. La porte s’ouvrit vers lui et en face apparut Sohane qui tressaillit légèrement lorsqu’elle l’aperçut.
Si elle avait été telle quelle lorsqu’ils s’étaient quittés des années plus tôt, il ne l’aurait certainement pas oublié. Elle ne correspondait pas aux critères d’un canon de beauté et Rafael n’avait pas un "genre" particulier non plus. Mais son apparition lui provoqua le même effet que s’il s’était retrouvé subitement devant une déesse. Il n’était certainement pas le genre d’adolescent à s’attarder sur le physique d’une personne, à la qualifier de "canon" ou de "sexy", mots dont raffolaient ses insupportables camarades en chaleur, futurs machos en puissance. Dans ce cas précis, cependant, son attention était totalement captée par sa peau bronzée, ses yeux verts, ses cheveux brun foncé en coiffure afro, son nez fin et ses lèvres discrètes. Sous son expression étonnée et ses traits déformés par la surprise, elle lui inspirait beaucoup de tendresse. Le visage épuré de tout maquillage, si ce n'était un peu de mascara pour faire ressortir ses yeux, il pouvait l’admirer tel qu’elle était au naturel. La robe bordeaux qu’elle portait lui seyait à merveille et mettait en valeur les courbes et les formes de son corps élancé.
Mais bien au-delà de la simple beauté qu’il lui attribuait, il y avait un étrange sentiment, quelque chose de totalement nouveau pour lui. Son cœur battait toujours aussi fort, mais ce n’était plus désagréable comme autrefois. Il se sentait pétrifié, mais non pas de peur. Le temps semblait s’être arrêté, se trouvait suspendu dans l’air.
Sohane ne s’était certainement pas attendue à tomber sur Rafael ainsi, la seule personne qu’elle souhaitait sincèrement revoir, l’une des principales raisons qui l’avait motivée à accepter la proposition de sa mère, avec celle de quitter son île. Ce qui la frappa principalement, c’était à quel point il entrait en contradiction avec le souvenir qu’elle avait de lui. Il ne s’agissait plus d'un petit garçon chétif, mais d'un jeune homme qui lui parut immédiatement plus mature et rassurant que les autres adolescents de son âge. Il dégageait beaucoup de charme, mais aussi un profond chagrin intérieur dans lequel elle se reconnut pleinement. Sans le savoir, elle ressentit corporellement et psychiquement les mêmes impressions que lui, sans parvenir à les expliquer elle non plus. Il était loin, le temps de leur enfance : ils avaient tous deux bien changé, et étaient prêts à vivre de nouvelles expériences qui leur étaient encore inconnues dans l’innocence de l’enfance.
— Rafael ? fit-elle, étonnée.
— Oui Soh-Soh.
C’était sorti tout seul, une réminiscence soudaine : le surnom par lequel il l’appelait par le passé, histoire de la taquiner gentiment. L’entendre de sa bouche lui procura une joie immense qui la surprit elle-même.
— Tu te souviens de ça ? dit-elle en riant doucement.
— Faut croire, répondit-il timidement.
Ils restèrent un petit temps à se dévisager, le visage illuminé. Avant que le silence ne devienne vraiment gênant, elle se lança :
— Qu’est-ce que tu as changé… Tu vas bien ?
Sans qu’il n’ait le temps de répondre, son père les interpella, les ayant repérés depuis le canapé.
— Mais regardez qui va là ! s’exclama Pascal.
— Mon Dieu, Rafael ! s’écria Pascale. Comme tu as changé.
Timidement, gêné par la remarque de leur invitée, il la salua d’un signe de main en murmurant un « Bonjour » quasi inaudible. Elle ne lui avait pas laissé un souvenir mémorable, mais il la reconnut facilement grâce aux photos consultées la semaine précédente. Physiquement, Sohane avait seulement hérité de sa couleur de peau, mère et fille étaient diamétralement différentes sur tous les autres aspects. Il l’ignorait encore, mais leurs personnalités aussi étaient parfaitement divergentes.
— Après neuf ans, c’est normal, répondit sa fille à la place de Rafael, d’un ton ironique.
— Tu es devenu un beau jeune homme, poursuivit-elle sans prendre en compte la remarque de sa fille.
— Merci…
— Reste pas planté là, rejoins-nous ! l’invita son père en désignant une chaise libre.