Sujets Tabous, tome 2 - Merlin Lefrancq-Dubois - E-Book

Sujets Tabous, tome 2 E-Book

Merlin Lefrancq-Dubois

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Beschreibung

Enterrez le passé, et il vous revient en pleine tronche avec violence. Conrad Nash se croyait définitivement débarrassé de son épée de Damoclès : il n'en est rien. Le Jardinier est ressorti de terre, plus hargneux et impitoyable que jamais, prêt à révéler les jardins secrets de ses derniers ennemis... de la pire des manières. Mais les ennuis ne s'arrêtent pas là. Une complice, jusque-là restée dans l'anonymat, sort de l'ombre munie d'une panoplie de Bricoleuse afin de devenir active dans l'entreprise criminelle de son amant. Et il se pourrait qu'elle se révèle bien plus cruelle que lui...

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Seitenzahl: 457

Veröffentlichungsjahr: 2023

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AVERTISSEMENT

Attention, chers lecteurs : ce second tome des Sujets Tabous, suite directe du premier, monte d’un cran certain dans la violence et le gore. Votre humble serviteur narrateur lui-même a eu l’estomac retourné par les mésaventures d’un personnage de passage, c’est peu dire !

En effet, le Jardinier a encore à en découdre avec ses anciens bourreaux. D’autres jardins secrets seront déterrés, plus sombres et enfouis que les précédents, et il ne sera plus seul dans cette entreprise macabre... Le résultat s’annonce sanglant.

Vous voilà prévenus !

Sommaire

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Epilogue

Prologue

Le début de la fin

Samedi 10 septembre, vingt-et-une heures deux.

Walter le sauveur ne pourrait pas le sortir du bourbier dans lequel il se trouvait cette fois-ci, car il demeurait lui-même en très mauvaise posture. Tout comme Adam et ses deux parents. Heureux pouvaient se considérer les personnages féminins loin de cette fâcheuse affaire, mais plus heureux encore était celui attendant de dévoiler son identité, déguisée comme son complice.

Le Jardinier dans sa panoplie complète se tenait debout et immobile au milieu du demi-cercle de chaises occupées, bien visible par l’intégralité de ses futures victimes. Il était également silencieux, comme muet. Pourtant, lui n’était pas bâillonné comme les autres. Conrad l’avait déjà connu plus loquace. À quoi jouait-il ? Sans doute savourait-il la panique naissante chez ses parents qui reprenaient peu à peu connaissance. Moins effrayé que la dernière fois qu’il s’était trouvé dans une telle situation — peut-être avait-il acquis une certaine expérience depuis, ou bien était-il plus lassé qu’autre chose — il put remarquer que le Jardinier respirait, le son déformé par les filtres lui conférant une aura terrifiante, contrairement aux précédentes fois où ils s’étaient retrouvés face à face. Ce détail l’intrigua beaucoup. Il ne l’avait pourtant pas remarqué lors de leur dernière altercation, datant d’il y a deux jours. Son âme était-elle plus ancrée dans son corps, désormais ? Cela allait pourtant en contradiction avec ce qu’il avait pu apprendre de la nécromancie auprès d’Abelle. À moins que...

Et si c’était elle qui venait de débarquer de la petite pièce voisine, traînant une longue et lourde masse derrière elle, dans son propre accoutrement ? Son déguisement était celui que l’on attribuait à la complice du Jardinier, Conrad avait déjà été amené à la voir à deux reprises : en photo et depuis la fenêtre de sa chambre. Sa combinaison intégrale gris anthracite, ses chaussures noires de chantier aux semelles si épaisses qu’elles lui offraient une carrure imposante et effrayante, mais surtout sa cagoule de soudage en cuir et peinte comme un crâne humain, camouflaient totalement la personne sous le costume.

Cela pouvait être n’importe qui, à condition qu’il s’agisse d’une femme, seule chose dont Conrad était sûr pour le moment : Abelle donc, pas plus qu’une autre, mais peut-être également Mademoiselle Loiseau, l’amante de son père, Manon ou sa mère Déborah Malokrane, Violette, Capucine ou Fanny, options de plus en plus improbables en fonction de ce que dictaient sa conscience et surtout ses espoirs. S’ajoutait également Soo La-combe à la liste, une suspecte dont seuls Walter et Adam avaient connaissance. Tout cela dans l’éventualité qu’il connaissait déjà la complice, ce qui restait incertain.

Dans le cas où il s’agirait d’une personne de son entourage, il aurait pu la distinguer à sa taille, mais son esprit embrumé par la peur et le costume particulièrement imposant de la Bricoleuse brouillaient ses repères. Il lui semblait même que le Jardinier avait rapetissé, il était en tout cas plus petit qu’elle... En résumé, émotions mises à part, toutes les femmes appartenant à son entourage proche faisaient de potentielles suspectes, même si les tout récents événements incriminaient plus directement une personne en particulier...

Il fit le point sur sa nouvelle séquestration, cette fois-ci dans une pièce dont il ignorait l’existence jusqu’à ce soir. Avec horreur, il avait découvert tout ce petit monde autour de lui, à la merci de deux individus dangereux, déterminés et prêts à en découdre avec lui. Les nombreux avertissements avaient été bien clairs : le principal pour le couple tueur était qu’il souffre un maximum. L’assassinat d’un membre de sa famille ayant bien fonctionné, pourquoi se gêneraient-ils à reproduire l’expérience ? Il espéra qu’un nouveau miracle se produise et vienne les libérer. Un regard vers ses parents, lui faisant découvrir la détresse dans leurs yeux, lui fit extrêmement mal au cœur. Trois chaises vides placées dans le demi-cercle lui faisaient craindre l’arrivée d’autres captifs.

Quelle belle manière de célébrer son anniversaire...

Justin et sa complice se placèrent côte à côte, toujours sans mot dire, et scrutaient leurs victimes réduites à l’état d’impuissants spectateurs, seuls leurs yeux étant encore capables de mouvements. Par précaution de la part de leurs bourreaux, les liens étaient nettement plus serrés qu’à sa dernière séquestration, impossible de s’enfuir par soi-même. Rien n’avait été laissé au hasard.

Elizabeth et Gérald avaient très bien compris qu’ils se trouvaient devant l’assassin de leur fils aîné, mais ignoraient encore la raison de leur présence ici. Ils auraient voulu crier, appeler du secours, mais ne pouvaient qu’émettre des gémissements plaintifs. Pour seule réponse, ils entendaient la respiration bruyante qui s’échappait du masque à gaz. Hormis ce son, aucun bruit, pas même celui de la fête se déroulant à proximité. Le silence des meurtriers les rendait plus inquiétants que jamais, bien plus que s’ils avaient proféré une quelconque menace. Un frisson général parcourut les captifs.

Adam et Walter restaient eux aussi silencieux et immobiles, professionnalisme aidant. Ils préféraient tous deux analyser les événements plutôt que de gémir et s’agiter inutilement sur leurs chaises. Leur devoir leur réclamait de trouver une échappatoire au plus vite. Rien de ce qu’ils virent dans la pièce ne semblait utile à leur libération à tous. Même leurs armes de service étaient introuvables. Comme il était de coutume chez le Jardinier, et désormais avec sa complice, des outils de jardinage et de bricolage traînaient sur une table, comme on ferait une exposition d’engins de torture. Car ces objets du quotidien étaient bien là à cette fin : les torturer.

Une minute passa, puis une deuxième, une troisième... Jusqu’à ce que la personne à la cagoule de soudure ne s’anime et s’approche de Conrad, traînant là encore sa masse sur le sol et faisant crisser le plancher, pour finalement se placer devant lui. Elle lâcha son arme, le manche tomba lourdement sur le sol en un bruit sourd.

— Joyeux anniversaire, conard.

Sur ces mots, elle saisit sa cagoule à deux mains et la souleva sans perdre de temps.

Chapitre 1

Un c’est bien, deux c’est mieux

Elle s’avançait dans ces bois qu’elle commençait maintenant à bien connaître. Son destin y avait été rattaché, irrémédiablement, après que son grand amour y ait trouvé la mort. Ce tragique accident lui avait tout d’abord déchiré le cœur, provoqué l’une des pires douleurs qu’elle n’ait jamais ressenties. Puis très vite lui était venue l’idée d’utiliser ses modestes connaissances en nécromancie piochées dans le grimoire Soho, très vite enrichies par quelques obscurs informateurs, avec l’espoir qu’elle parviendrait à ses fins.

Seulement deux jours après son enterrement clandestin, elle avait récupéré son cadavre à l’endroit où il avait été déposé pour le ramener dans un repère, après avoir pris soin de se munir des éléments nécessaires à sa petite entreprise et de récolter de plus amples informations sur la procédure à suivre. Après quelques gestes simples qui pourraient paraître anodins pour le commun des mortels, l’ingurgitation d’une substance à base de plantes, des signes cabalistiques dessinés sur le corps, ce dernier disposé dans une position et une orientation bien précises, puis la récitation dans une langue étrange de phrases au pouvoir colossal et insoupçonné, elle était parvenue à faire retourner l’âme torturée de Justin dans son corps. Avec lui était venu quelque chose de très sombre, dangereux, et une terrible soif de vengeance — on peut parler ici d’effets secondaires.

Par la suite, elle l’avait assisté dans son plan, lui apportant une aide précieuse avec une infinie dévotion. C’était grâce à elle qu’il avait un abri où il pouvait se cacher avec ses outils de jardinage et sa voiture, l’endroit même où elle l’avait réanimé. Ce fut elle qui avait aidé son enveloppe charnelle à éviter les effets indésirables de cette magie, à essayer de le rendre à nouveau totalement vivant. Pour lui, elle avait pris des renseignements sur ses victimes tels que leur emploi du temps, leurs habitudes, leurs coordonnées. Ensemble, ils avaient élaboré leur stratégie de mise à mort. Elle avait elle-même customisé son masque à gaz. Bref, elle l’avait servi comme un bon petit soldat, restant dans son ombre sans que cela ne la dérange outre mesure. Il était tout pour elle, et lui qui l’aimait d’un amour puissant et sincère — ce qui est un peu le comble, quand on sait que « amour » signifie littéralement « contre la mort » , et qu’il était capable des pires atrocités en parallèle —, n’en abusait pas.

Une seconde fois, elle avait assisté impuissante à sa mise à mort, non accidentelle celle-ci. Cependant, elle ne s’en était pas particulièrement inquiétée au départ : elle avait bien fait son travail d’apprentie nécromancienne selon les instructions de ses informateurs, et ce n’était certainement pas en reproduisant les circonstances de sa mort initiale qu’ils allaient réussir à se débarrasser de lui, n’en déplaise à ces abrutis... Même si, toutefois, un risque restait envisageable. Voilà la raison pour laquelle le temps d’attente avant qu’il ne se réanime avait commencé à sérieusement l’angoisser. Tel fut son soulagement lorsqu’elle se rendit une nouvelle fois sur la tombe improvisée de son amant pour l’y découvrir à l’extérieur, entouré de trois cadavres sanguinolents.

— Oh Justin, quel soulagement !

À ces mots, il se tourna vers elle, ne l’ayant pas entendu arriver, trop absorbé par ses pensées. Son visage de cadavre s’illumina. Il laissa tomber sa faucille par terre et accourut dans sa direction, après avoir enjambé le corps qui lui barrait le chemin. Ils se prirent vivement dans les bras et elle pleura contre son épaule terreuse.

— Je commençais à croire qu’ils m’avaient encore séparée de toi.

— Chut, rassure-toi mon amour. Je suis solide, et ce grâce à Toi.

— Je t’aime, soupira-t-elle.

— Je t’aime, répondit-il avec tendresse et sincérité.

Elle décolla son visage afin de pouvoir embrasser ses lèvres gercées et bleutées. Elle s’était faite depuis bien longtemps au contact macabrement froid de sa peau, mais surtout au goût de pourriture qui la saisissait lorsque leurs langues s’entremêlaient, en avait même développé une certaine délectation. Son cœur si triste se réchauffa d’un coup. Leur baiser se prolongea au point de faire monter le désir. Ils se serraient fort l’un contre l’autre, mais finirent par se séparer.

— C’est qui ? demanda-t-elle en désignant les corps, curieuse.

— Aucune idée. Ils étaient au mauvais endroit au mauvais moment, tant pis pour eux. C’était très bizarre, deux d’entre eux ont voulu discuter avec moi malgré le fait que je venais de tuer le troisième sous leurs yeux. Ils me regardaient avec un subtil mélange d’admiration et de crainte et se déclaraient chanceux de se trouver devant le Jardinier. De vrais tarés, leur mort ne représente certainement pas une grande perte. Ça fait longtemps que je suis de retour sous terre ?

— Trop longtemps : plus de deux semaines.

— Ah oui, quand même... je les ai vécues un peu comme un rêve, mais un rêve douloureux. Je ressentais les courbatures provoquées par la voiture de ce conard de détective privé, j’aurais dû me méfier davantage de lui. Je devais sans doute avoir besoin de beaucoup de temps pour me rétablir, si je suis resté inconscient aussi longtemps.

— En tout cas, ta disparition momentanée en aura fait, du remous ! L’enquête des flics est au point mort, ça a été l’occasion pour beaucoup de spéculer sur des théories en tout genre te concernant. Certains te vouent un véritable culte, c’est dingue ! Ceux-là (elle désigne les corps de son index) font certainement partie de ton fan-club, d’ailleurs... Tous les jours je venais voir si tu étais revenu à toi, eh bien je suis tombée parfois sur des personnes présentes uniquement dans l’espoir de t’apercevoir, voire même te rencontrer.

— Les hommes sont des putains de barjos, conclut-il. Je n’ai aucune raison de culpabiliser de mes actes, mes victimes l’ont toutes bien cherché.

— Ce n’est pas moi qui vais te dire le contraire...

— Et toi, comment te sens-tu depuis ? s’inquiéta-t-il soudainement, saisissant son menton avec pouce et index.

— Comme je te l’ai dit, j’ai fini par devenir très inquiète, mais ça va mieux maintenant. Je regrettais aussi que notre plan ne se soit pas déroulé comme on l’avait imaginé et je me demandais comment la situation nous avait échappé...

— Ne t’inquiète pas pour ça, ce n’est que partie remise. Ils paieront tous, fais-moi confiance.

— Ma confiance, tu l’as toujours eue, mon amour.

Sur ce, ils s’embrassèrent à nouveau, plus longuement, mais moins intensément que la dernière fois. Même les psychopathes étaient capables de niaiserie. À nouveau séparé, Justin poursuivit :

— Je les place en dernier sur ma liste désormais, avec ce conard de Conrad tout au bout. Ils deviennent tous les personnes pour qui j’éprouve le plus de haine, surpassant même celle que j’éprouve pour mon père, c’est peu dire. L’accomplissement de ma vengeance ne peut se terminer que par Conrad. Lui et les autres auront droit à une mise à mort digne d’être inscrite dans les annales du crime, une mise à mort dont tout le monde se souviendra comme étant la plus spectaculaire et horrible que le monde ait connue.

— Perspective très excitante, fit-elle en jubilant. Le plus beau jardin secret de ta composition.

— Dommage pour eux, ils auraient dû accepter le sort que je leur réservais au départ. Qu’est devenu Conrad depuis mon sommeil prolongé, dis-moi ?

— Je n’en sais pas grand-chose, il était parti en vacances avec sa famille, histoire de changer d’air. Difficile de le surveiller dans ces circonstances. Puis à son retour, il n’a rien fait de bien intéressant.

— Je comprends.

— Dis-moi, Justin ?

— Oui, mon amour ?

— Je sais qu’il s’agit de ta croisade personnelle, si je puis m’exprimer ainsi, mais j’aurais une faveur à te demander.

— Tout ce que tu veux, mon amour.

— Eh bien voilà : je suis amoureuse de toi, c’est pour cela que je te suis et te soutiens à cent pour cent dans cette aventure depuis le début. Nous sommes liés, même par-delà la mort. Mais désormais, j’aimerais contribuer plus activement, et non plus être uniquement la spectatrice passive, mais bien sûr admirative, de tes exploits. Concrètement, j’aimerais t’accompagner lors de tes séances de jardinage, voilà.

Elle était gênée, les mains derrière son dos, attendant sa réponse avec une impatience mêlée à la crainte d’un éventuel refus. Pour le moment, il se contentait de plonger son regard dans le sien, lui permettant d’admirer ses yeux violets, effet secondaire sans gravité de sa réanimation. Ils restèrent ainsi pendant un temps qui lui sembla interminable.

— Tu ne pouvais pas me faire plus plaisir.

— Sérieusement ? demanda-t-elle, ne parvenant pas à y croire.

— Mais bien sûr que oui mon amour ! Tu imagines un peu ? Je serai accompagné de la plus merveilleuse femme au monde dans le projet de ma vie, ou de ma mort si on veut faire de l’humour. Comment cela pourrait-il me contrarier ?

C’est impossible. Tu m’as déjà offert une exceptionnelle preuve d’amour en me ramenant à la vie, eh bien tu m’en offrirais une seconde en participant activement à une mission qui me tient presque autant à cœur que toi.

— Si j’avais su avec quel engouement tu allais prendre la nouvelle, je t’aurais proposé mes services d’apprentie tueuse plus tôt, avoua-t-elle. Cette idée n’est pas nouvelle dans mon esprit, elle mûrit depuis longtemps déjà.

— Les choses sont ce qu’elles sont, inutile d’avoir des regrets. Quelle idée fabuleuse, vraiment ! On va faire un binôme de choc, les nouveaux Bonnie And Clyde, mais en mieux ! Le Jardinier et la... la quoi ? Il te faut un nom de scène, tout de même. La Jardinière ?

— Hum, trop prévisible. Non, mais comme j’en suis aux confidences, et que visiblement tu accueilles plutôt bien mes idées, continuons sur cette belle lancée en t’avouant que j’ai déjà pensé à un surnom : la Bricoleuse. On reste dans les travaux manuels, mais je me démarque tout de même, et je bricole du mieux que je peux les dégâts causés par nos victimes.

— Franchement, j’adore l’idée ! dit-il en riant de plaisir. Le Jardinier et la Bricoleuse dans une complicité macabre et sanglante, c’est tellement excitant ! Quand est-ce qu’on commence ?

Elle rit aussi puis l’embrassa encore une fois. Dans les bras l’un de l’autre, ils tournoyaient ensemble, hilares. Un sentiment de folie émanait de ce spectacle pour qui y assisterait. Finalement, Justin trébucha sur la jambe de l’un des corps et entraîna sa partenaire dans sa chute. Les deux s’étalèrent sur le sol, à proximité du cadavre encore frais. Ils rirent de plus belle. Puis ils s’embrassèrent encore avec fougue, nullement gênés par la présence des corps sans vie les entourant, tels des spectateurs involontaires.

— On s’occupe de Conrad en dernier alors ? les interrompit-elle soudain. Dommage, ça me démange de lui exploser les jambes avec une masse, à ce petit merdeux.

— Tout vient à point à qui sait attendre, la vengeance est un plat qui se mange froid... Tu connais ces maximes, eh bien je peux te dire qu’elles sont véridiques, je parle par expérience. Il faut le préparer avant. Là, il se croit certainement sorti d’affaire, alors profitons-en. Il faut le détruire complètement, pousser le vice le plus loin possible. Je vais d’ailleurs avoir besoin de toi.

— De moi ?

— Oui. Il est désormais au courant que j’ai une complice, j’ai eu le temps de le lui dire lorsqu’il était encore à ma merci, donc il va de soi qu’il va chercher qui peut bien être cette mystérieuse femme que tu es, à plus forte raison que le Jardinier prépare son come-back. Alors je veux que tu tournes autour de lui, afin de jouer avec sa probable psychose.

— Ouh, c’est vicieux.

— C’est bien pour cela que c’est fun. Ah, et il me faudra une voiture aussi, j’imagine qu’ils ont récupéré celle que l’on avait louée la première fois.

— Effectivement. Cette fois, on ne peut plus donner ton identité, alors je te propose qu’on récupère le véhicule de notre première victime à deux. D’ailleurs, qui est le prochain sur ta liste ?

Ainsi, Justin lui fit part de son idée. Puis ils mirent au point une stratégie, un planning à respecter afin de faire souffrir Conrad et de se venger des dernières personnes ayant gâché leur vie. Il ne leur restait plus qu’à passer à l’action.

Chapitre 2

Retour insoupçonné...

Dernier jour avant la rentrée, de quoi faire déprimer Manon. Même si le premier jour servait davantage à leur faire prendre connaissance du professeur principal et de l’emploi du temps, avec un ou deux cours seulement l’après-midi, c’était sa portée symbolique qui lui mettait le moral dans les chaussettes. Elle se résolut cependant à ne pas se laisser abattre et à profiter au maximum de sa dernière journée de liberté.

Abelle les avait invités, son père et elle, pour le déjeuner. Walter, toujours tiraillé entre sa fille et son amour naissant, n’avait pas su s’il devait accepter ou refuser la proposition. Manon avait rapidement pu le rassurer sur ce point, car la perspective de lui rendre visite lui plaisait beaucoup : elle appréciait Abelle. Elles deux s’amusaient à mettre Walter en boîte, Manon était ravie. Hormis cela, elle profitait de ses bons petits plats et des nombreux cadeaux qu’elle lui faisait, puis surtout elle la trouvait très gentille et généreuse. Sa jalousie, premier sentiment qu’elle avait ressenti en apprenant son existence, avait fait place à une forme d’amour. Inconsciemment, Abelle prenait peu à peu la place de la mère qu’elle n’avait jamais eue. Elle représentait en tout cas la vision que Manon avait toujours fantasmée.

Assise à la place du mort, elle observa son père au volant, visiblement fébrile. C’était toujours ainsi lorsqu’il s’apprêtait à rejoindre sa bien-aimée. Le découvrant dans ce sale état de nerfs alors que les circonstances ne s’y prêtaient pas, un fou rire lui prit.

— Quoi ? lâcha-t-il, tout penaud.

— Mais enfin, déstresse papa ! Si je ne savais pas où on allait, je croirais que tu m’emmènes à la morgue.

— À ce point ? Je suis juste un peu nerveux, c’est tout.

— Et pourquoi ?

Elle connaissait, bien entendu, la réponse. Sauf que son père ne lui avait jamais avoué clairement ses sentiments, bien qu’il les cachait très mal. Elle se disait qu’il était peut-être temps qu’ils en discutent sérieusement, plutôt que de remettre constamment la conversation. Les tabous n’ont parfois aucune raison d’être et ne traitent pas nécessairement de sujets graves, alors à quoi bon les entretenir ?

— Eh bien...

— Inutile de répondre, t’inquiète. Je sais bien pourquoi. Mon papa amoureux, je commençais à croire que ça n’arriverait jamais.

Il se permit de décrocher son regard de la route deux petites secondes afin de l’observer, un seul sourcil en l’air comme lui seul savait le faire.

— Moi, amoureux ? Pff...

— Ahlala papa, c’est moi l’ado hein, pas toi ! Tu aurais peut-être peur que ça ne me dérange ? D’un, c’est ta vie et je n’ai pas mon mot à dire sur tes fréquentations. Et de deux, si ça peut te rassurer, je l’aime bien, Abelle, je l’aime même beaucoup. J’ai assez manqué de modèles féminins dans ma vie, tu ne trouves pas ?

— Tu oublies que ton père est plutôt efféminé, plaisanta-t-il. Blague à part, je suis heureux de voir que tu prends la nouvelle de cette façon.

— Quelle nouvelle ?

— Bah, tu sais bien ! À quoi tu joues ?

— Je veux te l’entendre dire de vive voix, insista-t-elle uniquement pour le charrier.

— Bon, bon, si tu insistes... Je suis amoureux, voilà.

— Ah bah voilà, ce n’était pas si difficile, tu vois !

— Ça me fait quand même drôle de le dire, insista-t-il, très gêné. J’ai moi-même du mal à m’en rendre c...

Son téléphone se mit soudain à vibrer. Il était surpris qu’on le contacte comme cela un dimanche matin. Une urgence ? Il ne l’espérait pas, ce n’était pas le jour. Il comptait bien offrir sa présence à sa fille pour sa dernière journée de vacances d’été. La manœuvre de récupération de son téléphone portable dans la poche arrière de son jean durant la conduite fut périlleuse. Sa fille le sermonna d’ailleurs sur la dangerosité de sa manœuvre, lui qui était pourtant si prudent au volant habituellement. Il fallait dire que depuis l’affaire du Jardinier, chaque coup de fil l’angoissait. Sans toutefois prendre le risque de lire le nom de l’appelant, il décrocha.

— Allô ?

— « Water » ? C’est Adam.

Pour une double raison, son cœur fit un bond. D’abord, il craignait de découvrir ce que le lieutenant de police pouvait bien lui vouloir. Ensuite, il culpabilisa du fait de se rendre chez Abelle alors que le frère et la sœur étaient en très mauvais termes. Manon, de son côté, ne fit pas attention à la conversation.

— Salut, « pomme » . Comment vas-tu ?

— Bof, comme d’habitude on va dire. Je ne te dérange pas.

— Non, pas du tout.

— Tu es au volant pourtant, ce n’est pas prudent. Tu veux que je vienne te verbaliser ? ironisa-t-il.

— Oh ça va hein, on m’a déjà fait la morale, répliqua-t-il en jetant un bref regard à sa fille qui lui tira la langue, finalement attentive à la conversation. Je ne peux malheureusement pas mettre le haut-parleur parce qu’il ne fonctionne plus, et j’avais peur qu’il n’y ait une urgence.

— Eh bien, effectivement, il y a une urgence...

Nouveau bond dans sa poitrine, car la voix d’Adam avait pris un ton grave et sérieux. Une urgence, vraiment ? En rapport avec l’affaire du Jardinier ? Le corps et la faucille déterrés ? Un ou plusieurs cadavres retrouvés ?

— Quoi, que se passe-t-il ? demanda-t-il en bafouillant, les traits crispés par l’angoisse.

— Je m’ennuie.

— Pardon ?

— Bah écoute, ça ne m’arrive jamais, je ne sais pas comment faire face à cet état et ça m’inquiète sérieusement.

Son ton était railleur. Il avait réussi sa petite plaisanterie et en éprouvait une certaine fierté. Walter, quant à lui, se remettait peu à peu de sa frayeur, un certain mécontentement prenant la relève. L’humour d’Adam l’avait toujours dépassé. Il se demandait parfois pourquoi il le considérait comme son ami, alors même que ce n’était pas réciproque. Refusant de montrer à quel point sa plaisanterie avait fonctionné, il répondit d’un ton très sérieux et posé :

— Ça arrive à tout le monde, tu sais. Ce n’est pas bien grave.

— Eh bien pour moi si ! Alors je me suis dit « Tiens, et si je proposais à WC de me rejoindre pour le déjeuner, on ne le fait jamais et ça pourrait être sympa, et surtout m’aider à vaincre mon ennui » . Qu’en dis-tu ?

— Alors, c’est très gentil d’avoir pensé à moi pour te rendre ce service, mais c’est le dernier jour des vacances pour ma fille... alors j’aimerais qu’on en profite à deux, tu vois...

— C’est bon, c’est bon, inutile de t’en formaliser, je comprends. Puisque vous êtes en voiture, je me permets de te demander ce que vous allez faire pour profiter de cette journée ensoleillée.

— On va pique-niquer en forêt, puis on se fera une petite randonnée, baratina-t-il, sous le regard surpris que sa fille lui lança à l’entente de ce mensonge, prononcé si naturellement qu’il avait l’air vrai.

— Ah oui je vois, je préfère vous laisser dans ce cas. Les activités sportives, c’est pas mon truc.

— Tu exagères, la randonnée ce n’est pas du... mais qu’est-ce qu’elle fout celle-là...

— Un problème ?

— Oh, rien, il y en a une devant moi qui semble ne pas savoir conduire. Plus personne ne sait conduire de nos jours.

— Effectivement, on en sait quelque chose...

Tandis que Walter se fit des réflexions sur cette phrase diablement connotée, lui et la conductrice d’en face arrivaient à proximité d’un feu tricolore, pour le moment au vert.

— T’es obligé de me faire penser à ces mauvais souvenirs ?

— Bah quoi, je n’ai rien dit... ironisa-t-il.

— Tu vois très bien de quoi je parle, fais pas l’imbécile. Il y a prescription maintenant, il vaut mieux vite oublier cette affreuse hi...

Adam éloigna brusquement son téléphone portable de son oreille quand il entendit Manon hurler « Attention ! » comme si sa vie en dépendait, lui décochant un sursaut. S’ensuivit le son d’un crissement de pneus sur la chaussée, potentiellement un choc de carrosseries, puis d’autres bruits incompréhensibles. Ces mêmes bruits s’expliquaient par la manœuvre chaotique de Walter avec son téléphone en main, essayant alors d’éviter d’emboutir la voiture de devant s’étant brusquement arrêtée lorsque le feu était passé au orange. L’impact, bien que léger, avait malheureusement été inévitable. Manon restait la main accrochée à la poignée de maintien au-dessus de sa fenêtre, la ceinture de sécurité lui avait écrasé la poitrine.

— Walter ? Walter ? Qu’est-ce qu’il se passe ? répétait Adam, inquiet.

Le téléphone était tombé aux pieds de Walter, mais ce dernier entendait tout de même, comme un lointain écho. Encore sous le choc cependant, il ne s’en préoccupa pas. Plus de peur que de mal pour le père et la fille, fort heureusement. Visiblement, l’impact n’avait pas eu de grandes conséquences, la carrosserie en face semblait intacte. Même s’il était fautif, le premier réflexe du détective fut d’en vouloir à la conductrice pour son freinage brutal.

— Tout va bien ma chérie ?

— Un peu secouée, mais ça va, merci.

— Désolé pour cet incident, je ne prendrai plus jamais mon téléphone au volant... Je vais aller voir ce qu’il en est.

Oubliant même Adam de plus en plus inquiet qui essayait toujours d’obtenir une réponse, il détacha sa ceinture puis sortit du véhicule. Ce fut donc Manon qui se chargea de récupérer le portable pour répondre, même si elle ne connaissait que peu le lieutenant à l’autre bout de la ligne.

Une fois à l’extérieur, il eut le réflexe de regarder derrière lui.

Le conducteur à l’arrière, ayant assisté à la scène, exprimait son mécontentement et le jugeait du regard. Walter n’en tint pas compte et se dirigea assez vite vers le véhicule accidenté. Tandis qu’il s’approchait, angoissant à l’avance de la conversation qu’il allait avoir, la conductrice sortit et leurs regards se croisèrent.

Walter avait toutes les raisons de craindre cette entrevue, mais aucunement celles qu’il avait initialement imaginées. Devant lui se trouvait, tel un fantôme ressurgi du passé, Déborah Malokrane, la mère de Manon. Comme par effet miroir, les deux parents rassemblés après dix-sept longues années sans aucune nouvelle l’un de l’autre eurent le visage figé dans une expression de stupeur intense. Leurs souvenirs étant restés intacts, ils s’étaient reconnus immédiatement malgré les changements liés à l’âge. Leurs cœurs respectifs semblèrent s’être arrêtés de battre au même instant.

C’est pendant quelques longues secondes qu’ils s’observèrent, immobiles, à se demander s’ils n’étaient pas en plein rêve. Le choc de cette rencontre était bien plus violent que celui d’origine entre les deux voitures. Déborah fut la première à rompre ce lourd silence.

— Eh bien ça, pour une surprise.... Comment vas-tu, Walter ?

Il ne répondit pas tout de suite. Il aurait aimé lui répliquer « Qu’est-ce que tu fais là ? Pourquoi revenir ici, maintenant ? » , mais s’abstint intelligemment. Il était inutile de l’agresser, cela ne pourrait qu’aggraver les choses. Avec plus de difficulté qu’il n’aurait voulu laisser paraître, il lui répondit :

— Je vais bien... et toi ?

— Moi aussi, ça va.

Sur ces mots, son regard se posa sur Manon, alors en train de discuter avec Adam au téléphone, cherchant comment pouvoir arrêter cet appel qui semblait l’ennuyer lourdement. Comprenant où son attention était focalisée, Walter renchérit très vite, attirant à nouveau toute son attention.

— Je suis désolé pour la voiture.

— Oh, ne t’excuse pas, j’ai freiné trop violemment. J’ai déjà songé à arrêter de prendre le volant, je n’ai jamais été très douée. Je m’en suis pris, des chocs, des coups de klaxon et des menaces, si tu savais.

— C’est vraiment par hasard que tu te trouvais là ?

Le ton était humoristique, mais c’était pour camoufler son emportement à lui poser cette question qui lui brûlait les lèvres. Elle parut si indignée par cette remarque qu’il se dit qu’elle exagérait délibérément.

— Mais bien sûr Walter. N’a-t-on pas idée de suivre quelqu’un en se plaçant devant lui.

Elle n’avait pas tort. Mais par intuition, ou par simple méfiance, il était convaincu que le hasard ne pouvait pas être total, le sort ne pouvait pas se montrer aussi cruel — mais l’écrivain sadique, par contre... – sauf que voilà, il n’avait pas envie de s’attarder ici avec elle et chercher à comprendre maintenant, surtout que Manon allait commencer à se poser des questions s’il traînait trop.

Trop tard, elle les avait repérés et se demandait ce qu’il se passait. Elle souhaitait également aider son père au cas où la conductrice ferait des histoires. Alors elle sortit de la voiture, attirant le regard de ses deux parents sur elle.

— Tout va bien ? se renseigna-t-elle, inquiète.

— Bonjour mademoiselle, répondit Déborah, au grand dam de Walter qui lui fit les gros yeux, lui interdisant mentalement de lui dire quoi que ce soit.

Mais il fut rassuré par la suite.

— Vraiment monsieur, ce n’est rien, n’en parlons plus, lui dit-elle. Et c’est de ma faute aussi, en grande partie. Inutile de faire un constat, ma voiture n’a presque rien.

Elle disait cela sans même l’avoir vérifié de ses propres yeux.

— Très bien alors, si vous insistez.

— Vous êtes sûre, madame ? intervint Manon.

Walter craignait par-dessus tout qu’elles discutent ensemble. Son regard passait de l’une à l’autre, plein d’angoisse. S’il voulait être discret, c’était raté. Il ne souhaitait qu’une chose : que cette affaire se règle au plus vite. Il ne savait comment s’y prendre pour faire avancer les choses sans que sa fille ait de fâcheux soupçons.

— Oui mademoiselle, pas de soucis. J’aimerais juste une chose : que votre père regarde un peu plus la route, dit-elle d’un ton complice, faisant même un clin d’œil dans sa direction, ce qui le fit imperceptiblement frissonner.

— J’y veillerai ! C’est qu’il doit me donner l’exemple. Mais comment savez-vous que je suis sa fille ?

— Simple déduction. Ravie de vous avoir rencontrée, ajouta Déborah, phrase que Manon reçut avec surprise et difficulté d’interprétation.

Sur ce, elle retourna derrière son volant. Face à ce spectacle, Walter se demandait quel effet la vision de sa fille avait produit sur elle, première chose qui le préoccupa. Ensuite, il appréhenda l’avenir avec angoisse : risquaient-ils de croiser à nouveau sa route ? Avait-elle des intentions précises et douteuses les concernant ? Sa présence était-elle purement le fruit du hasard ? Seul l’avenir pourrait lui répondre.

Manon, de son côté, sentait bien que quelque chose d’étrange venait de se produire. L’ambiance était tendue, et elle ignorait pourquoi pour le moment. L’idée de tomber sur sa mère par pur hasard ne lui traversant pas l’esprit, elle ne la reconnut pas du tout. Cela faisait quelques mois qu’elle n’avait pas vu de photos de sa mère, qui avait de toute manière bien changé depuis son adolescence. Et ça ne serait pas les ressemblances physiques qui lui feraient se douter de quoi que ce soit puisqu’il n’y en avait tout bonnement aucune, Manon ayant plutôt pris les traits de son père. Elle observa ce dernier qui ne décollait pas son regard de la voiture redémarrant et s’éloignant, maintenant que le feu était au vert. Un coup de klaxon derrière lui le fit revenir à la réalité puis il remarqua que sa fille le fixait.

— Je crois qu’ils s’impatientent, dit-il en ricanant, gêné.

Elle ne répondit pas, trop préoccupée pour cela, se contenta de le rejoindre dans la modeste Twingo. Son absence de réponse l’angoissa temporairement, mais il fut rassuré lorsqu’elle s’exprima enfin :

— Très gentille, la dame, heureusement pour toi.

— Oui, très gentille... elle a reconnu son tort, même si je dois admettre que je suis le principal fautif, surtout aux yeux de la loi.

— N’en parlons plus, sinon tu vas encore être déconcentré ! Adam te demande de lui envoyer un petit message pour lui signaler que tu es toujours en vie.

— Toujours très drôle celui-là. OK, je lui écrirai... demain ! Allons d’abord retrouver Abelle.

— Oui, allons vite la retrouver, histoire d’oublier rapidement ce petit incident.

Chapitre 3

Rentrée scolaire...

Conrad ouvrit les yeux, couvert de sueur. Ce n’était pas le fait de réaliser qu’il se trouvait au premier jour de la rentrée qui l’angoissait, mais le souvenir encore frais de son cauchemar de la nuit. Bien qu’il se sentait désormais en sécurité, ses nuits étaient autant d’occasions de le replonger dans les terribles événements de son passé dans autant de variantes possibles, néanmoins toujours moins épouvantables que la réalité. De nombreuses fois, il avait cru ne jamais se réveiller, tué par une serpe, une pelle, une tronçonneuse, une tondeuse ou, et ça, c’était le pire, une faucille. Heureusement que le Jardinier n’était pas Freddy Krueger, même si les deux personnalités avaient l’existence surnaturelle comme point commun.

Cette fois, il s’agissait justement de la terrible faucille comme arme de mort, la même qui aurait pu l’achever cette effroyable journée du mercredi 17 août 2011. Physiquement, de ce jour n’étaient restées que quelques petites cicatrices dues aux attaques de Justin, mais rien de bien sérieux. Pour le reste, il avait ces cauchemars récurrents qui ne semblaient pas vouloir cesser. Il se demandait à partir de quand il pourrait enfin passer une nuit paisible, sans interruption.

Il se sentait essoufflé, comme s’il avait réellement été coursé par son bourreau dans la forêt. Lorsqu’il s’y trouvait, sa course folle de la nuit semblait ne jamais se terminer. Pourtant, à chaque regard lancé vers l’arrière, il voyait Justin le zombie toujours un peu plus proche de lui, alors que ce dernier avançait bien plus lentement, presque clopinant, la faucille à la main. Son corps était dans un état de décomposition encore plus avancé qu’il ne l’avait réellement été. Après un ultime coup d’œil en arrière, il avait disparu, pour finalement se retrouver devant Conrad. Les deux jeunes hommes s’étaient emboutis, Conrad était tombé à terre. Sans crier gare, Justin était à califourchon au-dessus de lui. De plusieurs mouvements de va-et-vient avec son arme, il lui avait ouvert le ventre comme l’aurait fait le pendule tranchant d’Edgar Allan Poe. Conrad voyait la scène d’en haut, son âme au-dessus et observant tout, ressentant toute la douleur, criant sans qu’aucun son ne se fasse entendre. Il voyait ses propres entrailles sortir de son ventre à mesure que celui-ci s’ouvrait sous les coups répétés de la lame courbe, se répandre partout et être projetées sur les côtés dans une giclée de sang.

Eh bien, malgré l’horreur de ce cauchemar, il s’y était senti plus à l’aise que lors de sa confrontation réelle avec Justin Villette.

L’adolescent jeta un coup d’œil à son radio-réveil. Au même moment, ce dernier sonna : il était l’heure de se lever. Il coupa l’alarme avant de sortir de son lit, fut immédiatement frappé par la fraîcheur de l’air ambiant, frissonna. Le changement brutal de température par rapport à la veille l’avait pris au dépourvu et expliquait sa sensation de froid, car il faisait tout de même vingt-deux degrés, température tout à fait tolérable en septembre dans le nord de la France. Cependant, les météorologues prévoyaient une nouvelle vague de canicule pour le lendemain. Il repensa aux nombreux discours écologistes et alarmistes de sa jumelle Fanny à propos du dérèglement climatique, dont il en avait là la preuve flagrante. Il n’était pas sceptique à ce propos, pas comme son père...

Non, je n’ai pas envie de penser à papa, pas maintenant.

Normal : ce dernier l’avait déçu, profondément. Il déplorait son comportement envers sa mère et sa façon de gérer les choses dans le foyer depuis que le tabou avait été brisé. Enfin, pas tout à fait : tout le monde évitait le sujet le plus possible, encore aujourd’hui. Disons plutôt qu’il ne s’agissait plus d’un secret exclusivement parental. Paradoxalement, maintenant que tous avaient connaissance de son adultère, et malgré le deuil qu’ils portaient, Gérald retrouvait de plus en plus fréquemment sa maîtresse depuis le retour de leurs vacances écourtées, de moins en moins discrètement. Depuis son altercation directe avec son père, ils n’avaient plus abordé le sujet entre eux, mais Conrad avait surpris une énième dispute avec sa mère (elles aussi plus fréquentes et moins discrètes) durant laquelle il avait dit qu’il « l’aimait ». La belle affaire. Pourquoi ne pas se séparer de sa mère dans ce cas, plutôt que de faire prolonger une situation exécrable pour toute la famille ?

Conrad vit son reflet dans la glace. Il n’eut pas à détourner le regard, comme il avait pu le faire bien des fois depuis l’accident mortel responsable de la série d’événements terribles. Il apprenait à vivre avec cette culpabilité, qui se métamorphosait peu à peu en responsabilité et pardon intérieur. Il n’était plus question de s’apitoyer sur son sort, mais de prendre conscience de ses erreurs, d’améliorer les choses du mieux qu’il pouvait et de se pardonner. Il s’agissait d’un processus qui se déroulerait certainement jusqu’à sa mort, un certain prix à payer pour sa faute qu’il assumait désormais avec courage.

Il se devait de choisir avec soin ses vêtements pour la rentrée, autant pour se faire bien voir des autres lycéens et de ses professeurs que pour lui-même. Il profita de la température plus douce pour se munir de son plus beau gilet resté dans son armoire depuis bien trop longtemps, prit les vêtements, chaussettes et chaussures assortis. S’habilla. Ouvrit la porte de sa chambre.

Au même instant, il se retrouva devant Fanny qui s’était apprêtée à toquer. Connaissant son frère, elle était persuadée qu’il dormirait encore à cette heure, surtout qu’il s’agissait du jour de la rentrée. Frère et sœur ouvrirent de grands yeux de surprise.

— Oh t’es là ! s’exclama-t-elle.

— Eh oui, après bientôt dix-sept ans j’ai fait des progrès.

— Il était temps ! Tu n’as plus besoin que je vienne te réveiller alors ?

— Restons prudents, rien n’est moins sûr.

D’abord, elle lui sourit. Puis, instinctivement, elle le prit dans ses bras, heureuse de le voir alors qu’ils s’étaient simplement quittés la veille. Il accepta son câlin avec plaisir, n’eut même pas le goût de se moquer d’elle et de son élan d’amour niais. Peu après, comme d’un commun accord, Esther et Léonard sortirent de leur chambre simultanément. Ensemble ils s’échangèrent le bonjour avec une joie non contenue avant de rejoindre le rez-de-chaussée, avec le sentiment surnaturel d’avoir Arnold à leurs côtés.

Elizabeth était partie déposer les deux plus jeunes à leur collège, tous les deux heureux de retrouver leurs amis et beaucoup moins d’entamer une nouvelle année scolaire — ce qui fut le cas de la plupart d’entre nous, à condition d’avoir des amis à retrouver et de suivre une scolarité traditionnelle. Les deux jumeaux, en revanche, avaient pris la route de leur lycée à pied, préférant marcher et ayant un trajet beaucoup plus court. Ainsi ils purent discuter tranquillement, principale raison de ce choix.

Ils abordèrent différents sujets succinctement : Arnold qui leur manquait énormément, les réactions déplorables de leur père (même si Fanny était plus encline à lui chercher des excuses) , le retour à la vie normale après ces longs mois de vacances, plutôt sombres malgré le soleil qui avait tapé continuellement, ne remplissant pas leur rôle premier d’offrir du repos et de la détente... Comme pour oublier les drames, ils étaient tous deux impatients de retrouver leurs amis et le contexte scolaire qui accapareraient toutes leurs préoccupations et pensées. Séparément, l’un étant dans une filière scientifique, l’autre dans une filière littéraire. Le fait qu’ils soient jumeaux, surtout des faux, n’était pas la garantie qu’ils aient les mêmes goûts.

Il y avait du beau monde devant la grille du lycée, un certain nombre de personnes attendaient les deux adolescents avec impatience. Du côté de Fanny, il y avait Fabrice et sa meilleure amie Hélène, elle aussi membre du groupe de musique qu’ils formaient avec Violette, ne leur manquait plus qu’à trouver un nouveau batteur. D’ailleurs, Violette discutait avec eux, en attendant que Fanny et, surtout, Conrad arrivent. De son côté à lui, Violette n’était pas la seule à l’attendre : il y avait aussi Manon et Florentin, les deux adolescents constituant son cercle restreint d’amis persistant depuis le collège. Ces derniers s’apprêtaient à accueillir Conrad qui se dirigeait vers eux, attirant par la même occasion le regard de Violette qui resta d’abord en retrait.

— Vous êtes arrivés tôt !

— Dis tout de suite que ça te dérange de me revoir ? ironisa Florentin.

— On est juste plus en avance que toi, comme toujours ! l’enfonça Manon.

Après avoir répondu à leurs provocations par un grognement, ils se firent leur salut codé, à base de signes rapides avec leur main droite et leurs doigts. Ce petit rituel pouvait faire penser à une succession rapide de parties de pierre/papier/ ciseaux, à mal y regarder. À leur âge, ce salut était un peu ridicule, ils l’admettaient volontiers, mais continuaient tout de même. Conrad s’empressa ensuite de demander de plus amples détails concernant le long voyage estival de Florentin.

— Eh bien, comme je le disais à Manon, c’était réellement des vacances de rêve ! Elle en crève de jalousie, pas vrai ?

— Moâ ? Jamais de la vie !

— Ouais c’est ça, on te connaît Manon, quand même.

— Tu peux parler Conrad, t’es pas le dernier à éprouver de la jalousie...

— Moâ ? Jamais de la vie ! la singea-t-il.

— Attends un peu d’avoir les détails ! Je vous raconterai tout à la fin de notre journée. On pourrait peut-être se rejoindre au skate park, qu’en dîtes-vous ?

— Très bonne idée, comme au bon vieux temps ! Excusez-moi un instant.

Conrad prit congé d’eux pour s’approcher de Violette, qui s’était isolée dans son coin à attendre depuis que Fanny avait rejoint les membres du groupe. Elle avait un regard triste et songeur. Conrad éprouva un petit pincement au cœur en la voyant ainsi.

— Hey, Conrad, ça va ?

— Très bien, merci ! Qu’est-ce que tu fais là ?

— Comme mes cours à la fac ne reprennent pas avant mi-septembre, j’étais disponible pour venir te souhaiter en face bon courage pour cette rentrée.

— C’est gentil, ça me fait plaisir de te voir ! On ne s’est pas trop donné de nouvelles ces derniers temps.

— Je suppose que c’est mieux ainsi, dit-elle, morose. Il faut parfois laisser le temps guérir nos blessures. Après tout ce que nous avons vécu...

Il aurait eu envie de l’interrompre et de lui demander de ne plus en parler, de ne pas remuer de désagréables souvenirs. Mais cela serait reproduire les erreurs du passé, alors il s’abstint. Si son amie avait besoin de parler, il se devait d’être là pour l’écouter, comme elle était présente pour lui.

— C’est sûr, Violette... Tu te remets de tes émotions ?

— Oui oui, ne t’en fais pas pour ça. J’espère que toi aussi. En tout cas, tu as l’air de t’en sortir. Personnellement, je m’accroche à l’idée que tout est fini, je suppose que c’est pareil pour toi. Le temps fera son œuvre et cicatrisera nos plaies. Bon, je ne vais pas te prendre plus de temps, ça va être l’heure et je te laisse rejoindre tes amis.

— N’oublie pas que tu es mon amie aussi, rappela-t-il en se disant lui-même qu’il aimerait qu’elle soit plus que ça.

— Je le sais, Conrad, ne t’en fais pas. On se tient au courant au plus vite, tu me diras comment ça se passe pour toi !

— Compte sur moi ! À bientôt Violette.

Sur ce, elle s’en alla sans se retourner. Conrad l’observa s’éloigner, songeur. Puis son regard se dirigea vers ses deux amis qui l’observaient en retour, une certaine méfiance passant dans leurs yeux. Manon et Florentin voyaient d’un mauvais œil cette relation avec cette fille étrange et ayant déjà une vie d’adulte, le décalage les surprenait un peu et ils ne comprenaient pas ce que Conrad pouvait lui trouver. Ok, elle était très belle, mais cela ne faisait pas tout. Pour un cœur d’artichaut comme Conrad peut-être. D’un autre côté, ils ne savaient rien de leur histoire commune.

Conrad répondit à leurs regards par une expression du visage semblant dire « Ben quoi ? » avant de les rejoindre. En parallèle, on ouvrit les grilles. Ensemble, ils pénétrèrent dans l’enceinte du lycée, se frayant un chemin dans la foule de lycéens de toute nature, faisant une bande à part de celle de Fanny.

— C’est quoi qu’c’te blague ?

Conrad se retrouva devant son casier défoncé, au milieu de ceux restés intacts de ses deux amis. Les trois jeunes avaient l’habitude de réserver des casiers qui se suivent, toujours les mêmes depuis qu’ils se trouvaient dans ce lycée, et il avait fallu que l’on enfonce la porte du sien. Pourquoi cet acte de vandalisme, avant même la reprise des cours ? Il ne fut pas le seul à ne rien y comprendre.

Après leur rassemblement dans la cour principale, on les avait séparés en classes et donné rendez-vous avec leur professeur principal, Monsieur Brieuc, pour dix heures. Fort heureusement pour eux, ils appartenaient à la même classe. Ce fut en attendant leur rendez-vous qu’ils avaient convenu de se réunir à leurs casiers afin d’y déposer leurs affaires.

— Bon ben tu vas devoir en avoir un autre, au moins temporairement ! résuma Florentin.

— Sans blague... ça fait chier.

— Estime-toi heureux que ce soit arrivé avant que tu n’y mettes tes affaires ! Si on a voulu te voler, eh bien le voleur en herbe n’est vraiment pas fut fut.

— Ah non, je confirme ! Bon ben je n’ai plus qu’à trouver le concierge... ah bah justement le voilà, ça tombe bien.

Un homme d’une cinquantaine d’années, cheveux courts plaqués en arrière et barbe de trois jours grise, s’approcha du casier avec une boîte à outils. Sans doute avait-il déjà connaissance du problème et devait-il démonter la porte.

— Salut Marcel ! s’écria Florentin avec qui le courant était toujours bien passé.

— Salut les jeunes ! T’as vu ça Conrad ? Il n’y a plus aucun respect de nos jours, je suis désolé, mais on va devoir t’attribuer un autre casier en attendant d’avoir réparé celui-là, ça ne devrait pas être trop long, environ une semaine, tout au plus, je suis désolé, débita-t-il rapidement comme à chaque prise de parole, comme s’il désirait rivaliser avec la vitesse de ses pensées, de peur de les oublier.

— Une semaine, mais c’est beaucoup trop ! Non en vrai, t’en fais pas Marcel, il n’y a pas le feu au lac, dit-il autant en référence à la porte qu’à son débit de parole.

— J’ai déjà prévenu, ton casier est de l’autre côté, dans l’aile est du bâtiment. Tu as le numéro 88, je vais t’y conduire si tu veux, ça sera plus simple que de t’expliquer le chemin à suivre, je ne voudrais pas que tu te perdes dans ces couloirs que tu ne fréquentes jamais. C’est vraiment pas de chance qu’ils t’aient mis là en attendant, dans l’aile réservée aux BTS et où donc tu ne vas jamais.

— Ok, ok, Marcel, je viens. Désolé les amis... s’excusa-t-il en s’adressant à ses compagnons.

— Boh, on se retrouve en cours, c’est pas la mort ! Et si tu récupères ton casier la semaine prochaine, c’est parfait.

— À tout de suite, Conrad, conclut Manon.

D’un signe de main, il prit congé d’eux pour suivre le concierge qui était déjà en route, pressé comme il était. Conrad dut piquer un petit sprint pour arriver à sa hauteur. Pendant leur trajet à travers les différents couloirs, Marcel discutait, ne laissait pas l’adolescent placer un seul mot. Il exprimait sa joie de voir la vie s’animer à nouveau dans les locaux, racontait que pour la première fois son fils étudiait ici, et d’autres sujets débités si vite qu’il ne semblait jamais respirer. Conrad n’écoutait que d’une oreille, par ennui. Le concierge était sympa, il devait bien l’admettre, mais un poil lourd sur les bords.

Le trajet lui avait paru interminable, mais il vit enfin apparaître le numéro 88 , juste à côté d’un autre casier cachant ainsi un·e lycéen·ne qui semblait ranger ses affaires. Le concierge, lui, continuait de marcher, n’ayant même pas réalisé qu’il avait dépassé le bon numéro.

— Eh Marcel, c’est ici, je crois !

— Ah oui c’est vrai, excuse-moi, j’étais concentré sur ce que je disais, se justifia-t-il en le rejoignant. Voilà la clef, Conrad.

L’adolescent récupéra l’objet sans un mot. Il eut à peine le temps de remercier le concierge qui retournait à ses occupations dès qu’il eut lâché la clef. Conrad pouffa, amusé par le Speedy Gonzales du lycée.

— Sacré Marcel, murmura-t-il.

Au même instant, la porte du casier d’à côté se referma, dévoilant l’identité de la personne qui se trouva être une jeune femme que Conrad n’avait encore jamais vue. Ses cheveux châtain clair étaient très longs, légèrement frisés et ondulés. La peau visible de ses épaules nues révélait la présence conséquente de grains de beauté, mais son visage en était totalement dépourvu. Elle portait des lunettes de soleil de teinture orange voilant modérément ses yeux. Elle pressait contre sa poitrine son sac à dos, comme s’il s’agissait d’un bouclier la protégeant d’une quelconque menace. Conrad eut du mal à croire qu’elle était lycéenne, ses traits étant plutôt ceux d’une jeune adulte. Peut-être avait-elle redoublé une ou deux classes ? Ou était-ce une toute nouvelle enseignante ? Non, sa présence aux casiers ne collait pas à cette dernière théorie. Il finit par réaliser qu’elle devait simplement être une étudiante en BTS, ayant momentanément oublié où il se trouvait.

Se produisit chez Conrad un effet qu’il connaissait bien pour en avoir fait l’expérience de nombreuses fois par le passé. Un mélange de curiosité, de fascination, d’emballement hâtif produit par la beauté de la personne, surtout si cette dernière avait un côté mystérieux. Son petit cœur fit un bond et il détourna le regard, gêné, le sang lui montant aux joues.

L’inconnue libéra l’une de ses mains pour fermer son casier à clef. Puis elle se retrouva à nouveau avec ses deux bras autour de son sac tandis qu’elle empruntait le couloir, la tête légèrement penchée en avant. Elle ressentit le regard de Conrad sur elle alors qu’elle lui tournait le dos, analysant sans doute sa démarche, son style, son apparence.

Conrad retourna à ses occupations. Il ouvrit son casier provisoire puis déposa ses affaires, tout en pensant à l’étudiante présumée. Il laissa le nécessaire de la journée dans son sac à dos qu’il referma puis enfila sur son dos, se disant que c’était plus pratique que de le porter à bras comme avait pu le faire la belle inconnue. Puis il emprunta le même couloir qu’elle quelques secondes plus tôt, l’esprit bien occupé.

Très vite, elle se retrouva devant lui, sa marche étant plus lente et hésitante. Comme il avançait plus rapidement, il n’allait pas tarder à la devancer. D’un autre côté, il avait bien envie d’admirer ses cheveux qu’il trouvait sublimes. Il eut également ce genre de remarques intérieures, propres aux jeunes comme aux vieux hommes, qu’elle avait de belles formes. Toutefois, il ressentait cette gêne et ce refus de s’attarder sur ces détails comme un voyeur, eux propres aux personnes sensibles et respectueuses. Ainsi, il pressa même le pas pour rapidement la dépasser et qu’elle ne soit plus une source d’observation abusive de sa part.

Il entendit qu’elle marchait un peu plus vite maintenant qu’elle était derrière, histoire d’attraper une allure identique. Il se demanda sérieusement pourquoi, avec curiosité et crainte, mais n’osa pas un regard vers elle.