Personnes autistes - Matthieu Lancelot - E-Book

Personnes autistes E-Book

Matthieu Lancelot

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Beschreibung

Le discours de sensibilisation à l’autisme surprend par la diversité des mots et des formulations pour présenter l’autisme autour de soi. Vaut-il mieux dire personnes autistes ou personnes avec autisme ? Est-ce que l’on est autiste ou que l’on a une forme d’autisme ? Les personnes autistes ne vivent-elles pas les mêmes choses autrement ? Personnes autistes – La dialectique du Même et de l’Autre aborde toutes les facettes de l’autisme au quotidien – soins, identité, handicap – qui sont souvent opposées et, pourtant, forment un tout.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Matthieu Lancelot est traducteur et docteur en sciences du langage de l’université Paris Cité. Intervenant à des salons et des journées d’étude autour de l’autisme en qualité de linguiste, ses travaux portent sur la sémantique du discours de la sensibilisation à l’autisme en tant qu’objet pluriel. Il y aborde la diversité des formulations et de leurs significations, leurs équivalences entre les langues et la richesse du sens qui en découle.

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Seitenzahl: 213

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Matthieu Lancelot

Personnes autistes

La dialectique du Même et de l’Autre

© Lys Bleu Éditions – Matthieu Lancelot

ISBN : 979-10-377-8251-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

Autisme et neurodiversité : du texte institutionnel à la médiation linguistique. [Thèse de doctorat, Université Paris Cité], 2021. https://www.theses.fr/2021UNIP7117.

Postface. In KOCHKA. (2021). Le Chant de Loon. Flammarion jeunesse, 2021, p. 189-191.

Préface. In TREESE-DAQUIN, C. (2020). Autisme et travail : un défi. Le parcours de la personne autiste, de l’enfance à l’âge adulte ; L’Harmattan, 2020, p. 9-13.

Du littéralisme à la scène. La traduction de chansons de l’anglais vers le français pour le spectacle Les Franglaises. Tradução em Revista, 2019.

https://www.maxwell.vrac.puc-rio.br/45931/45931.PDF.

La traduction musicale, ou l’art de recréer le texte : l’exemple des chansons d’Abba traduites en français. In Des mots aux actes N° 7 – Sémantique(s), sémiotique(s) et traductologie, Classiques Garnier, 2019, p. 667-680.

Autisme et intégration en entreprise. Des pays, des personnes et des mots. In NAVARRO, É. & BENAYOUN, J.-M. (éd.), Langues, diversité et stratégies interculturelles. Michel Houdiard Éditeur, 2017, p. 163-179.

La médiation thérapeutique : une étude de cas. In NAVARRO, É. & BENAYOUN, J.-M. (éd.) (2015). Interprétation et médiation, volume 2. Migrations, représentations et enjeux socioréférentiels. Michel Houdiard Éditeur, 2015, p. 105-115.

Tensions surrounding the language of autism are attributable, in part, to the very different ways that autism touches people’s lives; some experience it personally, others through their children and others still might only encounter autism in some aspects of their lives [...]. Whatever the cause, the language that we use has the power both to reflect and to shape people’s perceptions of autism.

Lorcan Kenny et al., 2015, p. 1

... there is no universally accepted way to describe autism.Ibid., p. 121

Préface

Être autiste ou « avoir » un autisme ?Nombreuses sont les expressions pour désigner la population autiste. Les mots pour la décrire sont le reflet de nos conceptions, peut-on croire. Et ces termes sont nombreux ! Alors on peut penser que nos représentations sont tout autant diversifiées. Au-delà de cette diversité lexicale, il est possible d’observer que les mots autour de l’autisme diffèrent généralement selon deux perspectives. Dans la première, l’utilisation du verbe avoir sous-entend le diagnostic d’autisme. Il est alors fréquent d’entendre personnes avec autisme, de personne avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA), ou même de personnes TSA. Dans la deuxième, il est davantage question de l’autisme en tant que dimension de l’individu – présenté telle une facette identitaire – comme des personnes autistes. Ces deux approches font écho aux modèles conceptuels les plus mobilisés dans la recherche en autisme, à savoir le modèle médical et le modèle social du handicap. Certains individus (autistes, alliés ou non-autistes) préfèrent l’une ou l’autre de ces positions, souvent présentées comme deux opposés.

Les représentations sous-entendues

Indépendamment des formulations employées, il y a toujours lieu de réfléchir à ce qu’elles sous-entendent. Peut-on « avoir » l’autisme comme on a un vêtement, une maison ou un diplôme universitaire ? Il est possible d’avoir un diagnostic d’autisme, d’où l’expression « avoir un autisme » dans certaines langues (to have autism, tener autismo). Toutefois, le verbe avoir peut être critiqué, puisque l’autisme n’est pas un objet dont la personne peut se dissocier. Jusqu’à preuve du contraire, on ne peut arrêter d’être autiste : une personne l’est ou ne l’est pas.

Alors, comment peut-on « être autiste » ? Nous pouvons nous demander si utiliser l’autisme comme caractéristique est représentatif d’une personne. En effet, il ne peut être le seul élément qui la définit : cette dernière est un éventail de facettes qui ne s’illustrent pas dans l’une ou l’autre des expressions choisies. Les personnes autistes sont avant tout des personnes, qui, par nature, sont différentes les unes et des autres. À cette étiquette s’ajoute un lot d’attributs : le genre, l’origine, la classe socio-économique, l’éducation. En ce sens, il ne faudrait pas réduire les personnes au fait d’être autistes ou à leurs traits autistiques, mais plutôt faire preuve de prudence quant aux généralités à leur sujet. Certes, on n’est pas autiste de la même manière. Ces personnes se différencient par leurs caractéristiques associées à l’autisme2 et par leurs traits individuels3. Il n’y a pas un type d’autisme, mais une infinité dans sa diversité. Ainsi, l’utilisation de l’expression personnes autistes ne peut réellement mettre en valeur la complexité et l’individualité de chacun. Comme n’importe quel groupe, l’attribut qu’est l’autisme dans ce cas précis vise à être rassembleur et à unir plutôt qu’à diviser selon les différences de chaque membre.

Sachant qu’aucune expression ne peut embrasser la diversité du spectre de l’autisme, il semblerait inadéquat de prescrire une formulation ou de hiérarchiser les termes entre eux. Tout comme l’autisme, ces expressions ne sont pas quantifiables et se positionnent différemment et qualitativement sur un spectre lexical et compréhensif de l’autisme. Sans aucun doute, ces manières de décrire l’autisme reflètent la diversité de conceptions qui ne peuvent être réduites à une seule. En jetant un regard sur ce spectre lexical et compréhensif, il ne serait pas possible d’avoir une « police de la langue », à savoir une entité qui viendrait encadrer à la fois le discours et les manières de penser l’autisme. Une telle proscription serait également à éviter dans la hiérarchisation des modèles conceptuels en autisme.

Le modèle médical et le modèle social du handicap

La conception médicale se caricature par la perception de l’autisme comme une déficience, qui responsabilise une personne pour ses obstacles. Par exemple, les « déficits » seront mis en avant pour poser un diagnostic, comme dans les difficultés de communications et d’interactions sociales ainsi que des comportements répétitifs et restreints. Ainsi, la personne autiste serait perçue en tant que déviance : la médication et les interventions devraient servir à la rapprocher d’une « norme idéale ».

Dans les faits, cette conception peut être davantage nuancée, alors que l’identification des attributs d’une personne autiste – plutôt que d’une étiquette en particulier – peut aider à la soutenir en fonction de ses besoins. En effet, l’obtention d’un diagnostic qui découle de cette perspective est nécessaire pour accéder à du soutien en milieu scolaire ou professionnel. Ainsi, la conception médicale peut adopter une position qui ne fait pas l’unanimité, mais reste indispensable, qu’on le veuille ou non, afin d’être reconnu(e) et soutenu(e) dans certains contextes.

Évidemment, il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de l’évaluation de l’autisme en comparaison à une certaine « normalité ». À vrai dire, comparer une personne à une « norme » neurotypique semble être un exercice irréaliste. Il est de plus en plus question de neurodiversité pour parler de la richesse des profils : autiste, surdoué, dyslexique, neurotypique, etc. Dans les autres formes de diversité (culturelle, linguistique, sexuelle), la notion de norme est-elle mise en relief ? Il est davantage question de groupes privilégiés que de normes ou de marges. La même logique peut être appliquée à la neurodiversité. Les personnes neurotypiques sont privilégiées dans les divers contextes, mais ne représentent pas nécessairement une référence, qui tend à être contestée à la lumière de la neurodiversité ou du modèle social du handicap.

La conception sociale du handicap souligne l’(in)adéquation entre l’individu et l’environnement, imaginée pour une « norme » et la plaçant dans une situation de participation sociale ou de handicap. En effet, la personne, ses caractéristiques et ses aptitudes interagissent au sein de l’environnement, qui possède également ses propres attributs. Dans certains cas, une personne autiste peut être soutenue dans un environnement encadrant, comme cela peut être le cas lorsqu’elle demande des services de soutien et qu’elle est entendue par son entourage. On dit alors qu’il y a une adéquation entre les deux parties. Dans d’autres cas, la personne autiste peut avoir d’autres aptitudes, mais l’environnement n’est pas en mesure d’y répondre : il existe une inadéquation entre l’individu et son environnement. Ainsi la personne posséderait des caractéristiques propres à elle et le milieu peut, ou non, y être adapté. Ce modèle, comparé au modèle médical, précise alors le rôle de l’environnement dans la situation de vie d’une personne autiste.

L’hybridation pour un modèle médico-social

Comment concevoir une réalité dans laquelle à la fois l’individu et son milieu doivent s’adapter l’un à l’autre, tout en reconnaissant l’existence de limitations chez cette personne afin de mieux la soutenir ? Une vision divisée entre les approches médicale et sociale ne semble pas prendre en compte ce cas de figure.

Peu de voix s’élèvent pour parler d’une hybridation de ces deux visions perçues comme étant « opposées ». D’un côté, le modèle médical est fortement critiqué par plusieurs communautés autistes et alliées, alors que la responsabilité de l’environnement semble écartée. Autrement dit, le regard se dirige davantage sur l’individu que sur l’interaction avec son milieu. D’un autre côté, le modèle social semblerait incomplet, surtout lorsqu’il est question d’évaluer les limitations personnelles. En d’autres mots, le regard porte sur une vision d’ensemble, en se penchant peut-être moins sur l’individu. L’hybridation se veut un mélange des deux visions : à la fois du portrait et de la totalité du tableau.

Et si ces deux modèles étaient en fait complémentaires dans la compréhension de l’autisme ? C’est ce que propose cet ouvrage : créer un pont entre des perspectives généralement présentées comme étant incompatibles.

Marie-Ève Lefebvre

Doctorante en sciences de l’éducation

Université de Montréal, Québec, Canada

Introduction

Les mots forgent nos croyances concernant le monde qui nous entoure. Et ces croyances elles-mêmes motivent le choix des mots pour le décrire tel qu’on le perçoit. Ces mots ne servent pas uniquement à décrire l’Autre avec une certaine objectivité. Ils mettent en évidence le regard que l’on porte sur lui au quotidien. En outre, qu’il soit sélectif ou diversifié, le lexique élaboré pour un sujet donné n’est jamais employé exactement de la même façon d’un groupe social à l’autre. C’est le cas de la sensibilisation à l’autisme, dont il est question dans ce livre.

L’autisme, qui concerne environ 1 % de la population dans le monde (Autisme Info Service, s.d.), fait partie de ces sujets de société qui invitent à prendre conscience des mots pour nommer les gens concernés, et ainsi les remettre en question. S’agit-il d’autistes ? De personnes autistes, avec autisme, porteuses d’autisme, ou encore du spectre de l’autisme ? L’autisme est-il une pathologie ? Un handicap ? Une différence ? Une forme de personnalité, voire une communauté ? Ou alors n’est-il pas tout cela à la fois, au point qu’un seul terme ne suffit pas à désigner le mode de fonctionnement complexe qui se manifeste en société de diverses manières ? Ne porte-t-il pas en lui aussi bien une série de réponses aux exigences de notre environnement qu’une « déficience » dans le fonctionnement des personnes qui en sont porteuses ? Enfin, qu’entend-on par personne et que met-on derrière l’autisme au sujet de ces personnes ?

La connaissance de ce trouble neurodéveloppemental a fortement évolué en plus d’un siècle. En effet, de sa première définition en tant que symptôme de la schizophrénie, donnée par Eugen Bleuler en 1911, jusqu’à l’entrée du trouble du spectre de l’autisme dans la 5e édition du Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM-5) en 2013 (en français en 2016), on assiste à la transition d’un modèle médical jugé culpabilisant vers un modèle social qui se veut « dépathologisant », porteur d’un message d’acceptation de soi et de l’Autre. On insiste aussi davantage sur le fait que chaque personne autiste est unique, même si elle porte en elle des traits communs aux personnes diagnostiquées autistes en général. Deux personnes autistes ne se ressemblent pas en termes d’hypersensibilité sensorielle, de résilience et de gestion des émotions, par exemple. Mais ne faut-il vraiment parler que du (trouble du) spectre de l’autisme dans la vie courante, au détriment de tous les profils regroupés sous ce terme, comme le voudrait la classification actuelle contenue dans le DSM-5 ?

L’autisme se fait de plus en plus connaître dans le champ du handicap depuis les années 1990, lorsque les familles et les associations de parents d’enfants autistes se sont opposées à la toute-puissance du monde médical sur la prise de décision et l’avenir des principaux concernés. Empowerment, pairémulation et neurodiversité sont devenus les maîtres mots du respect d’autrui et de la vie autonome, dans la mesure où ils évoquent respectivement la capacité à prendre sa vie en mains, l’entraide entre pairs et la coexistence de modes de pensée différents en société.

La représentation sociale de l’autisme a évolué en plus d’un siècle. Des différences de fonctionnement entre les garçons et les filles ont d’abord été révélées en 1925 dans les travaux de la psychiatre russe Grunya Efimovna Sukhareva4. Une fois l’autisme séparé de la schizophrénie par l’Américain Leo Kanner et l’Autrichien Hans Asperger dans les années 1940, devenant ainsi une entité clinique à part entière, les enjeux sociétaux ont gagné du terrain de décennie en décennie avec :

– Le Mouvement pour la Vie Autonome (Independent Living) en soutien aux personnes en situation de handicap dans les années 1960 ;
– L’autisme étudié en tant que spectre, entre autres par la chercheuse britannique Lorna Wing dans les années 1970 – « the distribution of the variables among the subgroups suggested that they formed a continuum of severity rather than discrete entities » (Wing & Gould, 1979 : 26)5 ;
– Le mouvement pour les droits des personnes autistes dans les années 1980, avec comme première autobiographie Emergence : Labeled Autistic (Ma vie d’autiste) de Temple Grandin (1986) ;
– La traduction vers le français d’ouvrages majeurs sur l’autisme dans les années 1990, mais aussi une certaine défiance vis-à-vis du monde médical par les associations de familles, en plus de la reconnaissance de l’autisme en tant que handicap par la loi Chossy en 1996 ;
– La promulgation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, ainsi que la première autobiographie française (Qui j’aurai été de Joffrey Bouissac, 2001).

Les actions de sensibilisation se veulent encore plus marquées depuis que l’autisme s’est vu décerner en France le label de Grande Cause nationale en 2012.

Toutefois, si les regards portés par la société sur les personnes autistes sont sujets à bien des critiques, faut-il pour autant reprocher à la société de se construire au travers d’une norme – notamment médicale – censée faire vivre dans un monde ? Le modèle médical (ou la déficience inhérente à la personne) et le modèle social de l’autisme (ou les obstacles au sein de son environnement) sont-ils réellement ennemis, ou gagnent-ils à être jugés complémentaires dans la représentation de l’autisme dans sa complexité au quotidien ? Moi-même diagnostiqué autiste, je constate régulièrement des tensions et de la colère au sujet des mots pour parler de l’autisme, de la stigmatisation, de l’apprentissage des règles de vie et de l’adaptation de notre environnement aux personnes neurodivergentes.

Traducteur de profession et docteur en linguistique de l’Université Paris Cité, je me suis interrogé sur la nécessité de recourir à plusieurs termes pour nommer les personnes autistes au quotidien, mais également sur la « traduction » de la personne et de l’autisme en d’autres mots dans le discours à ce sujet. Dans ma thèse, soutenue le 25 novembre 2021 après 6 ans de recherches, c’est-à-dire 2 ans de travail préparatoire en plus des 4 ans d’inscription en doctorat, j’ai été amené à confronter les discours scientifique, journalistique et institutionnel.

Il m’a fallu rassembler 624 textes en un corpus de 1 200 000 mots (400 000 mots par discours) et compter les occurrences de plusieurs mots comme personne(s), sujet(s), individu(s), environnement et difficulté(s), ainsi que des formulations telles que personne(s) autiste(s) et personne(s) avec autisme, entre autres. Je me suis également attaché à étudier les équivalences sémantiques avec la personne et l’autisme et les remises en question de ce que l’on pense être les comportements autistiques ou l’attitude du grand public à l’égard des personnes autistes. Le comportement langagier de la communauté engagée autour de l’autisme en dit long sur sa vision des choses, que l’on suive ou s’écarte des tentatives de normalisation de la terminologie en évolution permanente.

Aussi j’ai souhaité créer des ponts entre le spectre de l’autisme et ses profils distincts, le modèle médical et le modèle social de l’autisme, mais aussi la recherche et la société, afin de montrer combien le discours autour de l’autisme est complexe, mais légitime.

Forte d’une multitude de disciplines passionnantes, dont la sémantique, la traductologie, la linguistique de corpus et l’analyse du discours, la linguistique a un atout considérable selon moi : celui de réunir dans un discours des notions qui semblent contradictoires, mais s’avèrent complémentaires. En effet, il ne s’agit pas d’exclure le modèle médical, souvent jugé culpabilisant, au nom du modèle social du handicap que constitue l’autisme. Par ailleurs, un discours collectif est fait d’une multitude de discours individuels comportant des remises en question. Ainsi, une personne autiste n’est-elle pas désireuse aussi bien d’aller vers les autres – non sans un certain effort – que de s’affirmer en tant que personne à part entière ? On peut considérer, d’une certaine façon, que la linguistique rejoint la philosophie, car elle invite à réfléchir au sens des mots que l’on emploie, et ainsi à être en quête d’authenticité en termes de communication.

Parmi les disciplines qui ont contribué à ma réflexion, il y a l’analyse du discours, souvent mobilisée dans l’étude des discours politiques et du phénomène de la médiatisation. Fort heureusement, il ne s’agit pas que de souligner les stratégies manipulatrices des personnalités qui prennent la parole. Il y a toujours des significations différentes selon les groupes ou les partis politiques (ex. la liberté ou les libertés), dont la coexistence met en lumière tout un environnement complexe à appréhender. Et dans cette mesure, le monde de l’autisme n’échappe pas à la règle.

En outre, la linguistique de corpus permet de déceler en un discours une multitude de formulations récurrentes (ex. personne autiste, personne avec autisme), mais aussi une multitude de perspectives, que ce soit dans la recherche, la presse ou les recommandations dans divers contextes (ex. école inclusive, sport adapté, santé, culture). Aucune forme de militantisme omniprésent et à sens unique, telle que la lutte contre l’exclusion et pour le respect, n’a sa place dans la démarche scientifique – exigée d’entrée de jeu chez un chercheur – qu’est l’étude d’un discours à l’aide d’un corpus assez vaste pour le représenter. Si j’ai dû m’en tenir à des textes en français pour faire mon corpus pour la thèse, j’ai tenu à fournir des exemples aussi bien multilingues qu’unilingues dans ce livre. La traductologie, à savoir la psychologie du travail de traduction, contribue en effet à l’appréhension de l’autisme en tant qu’objet riche de sens.

Si l’on prend la peine d’étudier les multiples facettes de l’autisme tel qu’il se manifeste en société (ex. médicale, sociale, identitaire, communautaire), on peut voir combien le discours de sensibilisation est riche de sens, et non une représentation binaire du type « handicapés victimes » et « handicapés héros ». La sémantique m’a permis de repérer ces micro-ajustements que constituent les choix terminologiques autour des personnes autistes. Même des définitions issues de quelques dictionnaires de référence sont utiles, comme nous le verrons tout au long de ce livre.

C’est tout ce travail réalisé à travers mon doctorat, des observations linguistiques plus récentes et mon expérience personnelle que je souhaite transcrire en conseils pour la sémantique et la terminologie de la sensibilisation à l’autisme. Le but est de trouver les mots qui correspondent à chaque facette et d’opérer une prise de recul face au besoin de décrire les choses avec justesse, mais également de s’écouter les uns les autres sans jugement tout en respectant la singularité de chacun(e) et l’environnement tel qu’il se construit.

Partie I

Nuances lexicales autour de l’autisme

Sensibiliser à une cause telle que l’autisme invite à se demander ce qu’il convient de bien connaître en premier lieu. S’agit-il de l’autisme ou des principaux concernés ? De la science en la matière ou du contact avec les personnes lors d’interventions ? De la communauté autiste ou les individus au parcours unique avec des traits qu’ils partagent avec d’autres ?

On parle au quotidien de personnes autistes, avec autisme, ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA), etc. La notion de personne, dont il est question ici entre autres, ne saurait prendre son sens sans l’intervention d’autres concepts rassemblés dans le discours de sensibilisation à l’autisme. Du diagnostic à la neurodiversité, en passant par l’intégration, l’inclusion, le handicap et l’environnement, la place de la personne face aux traits autistiques qui la caractérisent se verra remise en question à tout moment, selon ce que l’on met derrière chacun des mots employés. Nous verrons que cette notion traduit une certaine prise de conscience sur qui l’on est et un certain recul sur la place de l’individu au sein d’un groupe.

Afin de comprendre comment l’autisme est abordé dans le discours, il convient de s’intéresser aux différences de significations entre les mots qui y sont employés, ainsi qu’à l’impact de leur formation. D’autres mots que ceux qui servent à nommer les personnes concernées par l’autisme peuvent également en dire long sur ces dernières. Outre une part de témoignage et de réflexion personnelle, cette partie contient des comparaisons entre termes équivalents en français, en anglais et en allemand – mes langues de travail – avec des définitions trouvées dans quelques dictionnaires de référence.

Ce livre a pour but de présenter la complexité du discours de sensibilisation à l’autisme et de faire comprendre – considérations et analyses à l’appui – que la diversité des mots et des formulations peut être plus réconciliatrice que génératrice de conflits.

1

Personne : du général au particulier

Le mot personne a le double avantage de faire appartenir au genre humain et de supposer un parcours unique à chaque membre d’un même groupe social défini. La personne humaine est censée être reconnue comme un « être biologique, moral et social » à part entière, avec les droits et les devoirs qui lui incombent comme toute autre personne dans son entourage. La personne est aussi « défini[e] par la conscience qu’il a d’exister » (CNRTL, s.d.), donc par une conscience du monde qui lui est propre, mais également comme un « individu considéré en lui-même » (Larousse, s.d.) pour la singularité de son éducation, de son parcours et de ses choix.

L’autisme se trouve alors pris entre ces deux composantes de la notion de personne, dans la mesure où il constitue un groupe social au sein de l’ensemble des êtres humains, et que chaque individu qui en fait partie est en mesure de se distinguer de ce groupe. Paradoxalement, on trouve à la fois l’autisme dans la personne et la personne dans l’autisme. D’une certaine façon, cela déjoue la tendance à mettre des étiquettes sur les gens, comme diraient certains, car en enchaînant les défis et les interactions, la personne remet en cause l’autisme en tant qu’étiquette au fil de son parcours.

La personne et l’identité

Il est intéressant de comparer l’expression française personne(s) autiste(s) à son équivalent anglais autistic person (ou people). Sachant qu’en anglais, l’adjectif épithète est placé avant le nom, d’aucuns peuvent avoir le sentiment que l’on fait passer l’autisme avant la personne qui en est porteuse. Cela nous amène à comparer deux écoles de pensée en matière d’appellation des principaux concernés :

– Le langage centré sur la personne(person-first language) : il s’agit des « mots, syntagmes et phrases qui sont employés de manière à mettre l’accent sur la personne et à la séparer de sa déficience, son état, sa maladie, son trouble, notamment son trouble mental » (OQLF, 2020). Les adjectifs qualificatifs autiste et handicapé peuvent paraître trop connotés dans ce sens.

Le langage centré sur la personne est préconisé par un grand nombre d’organismes, de regroupements et d’associations, qui affirment qu’une personne n’est pas définie par sa déficience, son état, sa maladie, son trouble ou son trouble mental. L’utilisation de ce langage permettrait notamment, selon ces organisations, de réduire la stigmatisation et d’humaniser les soins de santé. On dira, par exemple, personne ayant une déficience intellectuelle et personne atteinte de la maladie d’Alzheimer au lieu de personne déficiente intellectuelle et personne démente ; on parlera d’usage de substances psychoactives plutôt que d’abus de drogues... » (OQLF, 2020)

Jugé politiquement correct, il explique l’alternative lexicale person (ou people) with autism, ou personne(s) avec autisme en français – le nom est placé en premier. On retrouve la même logique en allemand avec Person (Mensch(en) ou Leute) mit Autismus ;

– Le langage centré sur l’identité (