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"Sémantique de la sensibilisation à l’autisme" propose une immersion dans l’univers de l’autisme, explorant à la fois ses dimensions intime et sociale. À travers l’analyse de trente concepts fondamentaux, cet ouvrage met en lumière des notions clés telles que l’autodétermination, les émotions, les compétences sociales, l’inclusion et la neurodiversité. Chaque terme est étudié à la lumière des avancées contemporaines sur le fonctionnement humain, enrichi par une approche linguistique qui en dévoile les multiples nuances. En explorant diverses cultures et langues, l’auteur interroge l’influence des mots sur notre compréhension des autres et de nous-mêmes. Véritable voyage au cœur du langage et des idées, il invite à repenser notre rapport à la différence et à l’altérité.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Matthieu Lancelot est traducteur et docteur en sciences du langage. Intervenant à des salons et des journées d’étude autour de l’autisme en qualité de linguiste, ses travaux portent sur la sémantique du discours de la sensibilisation à l’autisme en tant qu’objet pluriel. Il y aborde la diversité des formulations et de leurs significations, leurs équivalences entre les langues et la richesse du sens qui en découle.
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Seitenzahl: 254
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Matthieu Lancelot
Sémantique de la sensibilisation
à l’autisme
Essai
© Lys Bleu Éditions – Matthieu Lancelot
ISBN : 979-10-422-6771-1
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Oui, nous ne sommes que partiellement détentrices ou détenteurs du pouvoir des mots, car eux nous parviennent déjà chargés d’histoire et de sens avant que nous intégrions en eux ce que nous voulions promouvoir.
Les mots se cachent, se transforment, se dérobent et se chargent au gré de leur emploi tant par le locuteur qu’au gré de leur perception par le récepteur.
Olivier Bernard,
Sémantique et pouvoir des mots. Ces termes qui nous choisissent, p. 225
L’analyse des discours narratifs peut nous permettre de reprendre une distance critique nécessaire sur ces histoires, qu’elles soient intimes ou extérieures. Et les identifier, en avoir conscience, c’est aussi se donner les moyens de les confronter aux réalités sociologiques…
Laélia Véron, Parole aux chercheurs,
Science & Vie, décembre 2024, p. 56
Comment aborder l’autisme aujourd’hui ? Quand on accompagne au quotidien des personnes autistes, comment rendre compte de ce travail et de ce que ces personnes nous enseignent en étant au plus proche de ce qui se passe pour elles, notamment quand elles n’ont pas la possibilité de l’exprimer ? L’étude des textes scientifiques et cliniques, mais aussi des témoignages de personnes autistes, est nécessaire pour aborder cette question. Dans cet esprit, sensibiliser à l’autisme est essentiel. Parents, enseignants, employeurs, psychologues, accompagnants, etc., peuvent témoigner que sans une connaissance, un certain savoir sur l’autisme, l’accueil ne sera pas le même, voire pas possible pour certains. En effet, dégager un savoir sur la théorie de l’autisme, qu’il soit neurologique, génétique ou clinique, permet de poser des balises et d’envisager un certain système, une grille de lecture des phénomènes qui peuvent s’observer. Ainsi, une maman témoignait du côté salutaire d’avoir pu découvrir ce diagnostic d’autisme, car ainsi, elle ne lisait pas les comportements de son fils comme de purs caprices.
Sensibilisation et usage de la langue
Le langage et la communication permettent ainsi de rendre sensible à certaines dimensions propres à l’autisme. Pour autant, comment rendre sensible, réceptif à ce qu’est l’autisme lorsque l’outil que nous utilisons le plus souvent, le langage, comporte en lui-même une dimension complexe ? En effet, le langage peut définir, ouvrir, voire ouvrir au malentendu et à la polysémie, mais il peut aussi figer le réel. C’est ce qui mena Pyrrhon d’Élis, philosophe de la Grèce antique, considéré comme créateur du scepticisme, à ne pas passer par l’écriture.
Sans verser dans le scepticisme, cette attention au langage qui définit tout autant qu’il peut médire permet une sensibilisation éclairée. L’autisme, même s’il peut s’appréhender par certaines définitions, dans sa manière de s’exprimer chez chacun, ne se réduit pas à une définition, à une suite de symptômes ou, plus largement, à une association de mots qui formeraient cette définition.
La rencontre avec chaque autiste nous enseigne quelque chose de son style. Des tendances peuvent se repérer et il est nécessaire d’être le plus précis sur les signes cliniques, notamment lorsqu’on les accompagne. Néanmoins, chaque chose qui se passe n’est pas à interpréter comme un signe clinique et chaque élément présent ou ressortant chez une personne autiste n’est pas à attribuer d’emblée à l’autisme.
Les mots font société
La question de l’autisme divise le champ du soin, mais aussi celui des associations de familles ou de personnes autistes, alors qu’elle pourrait rassembler les forces. À travers une analyse précise des discours et des termes qui gravitent dans le champ de l’autisme, Matthieu Lancelot parvient à faire entendre la nuance nécessaire lorsqu’on décide de s’intéresser à l’autisme. Ainsi, à partir de 30 termes et concepts, il reprend pour chacun leur champ linguistique et les fait résonner tout en nuance avec l’expérience que chacun peut en faire, à commencer par la sienne.
Cette sémantique de la sensibilisation à l’autisme, en nous faisant mieux approcher l’inscription de ces mots dans le social, prend ses distances avec l’aspect conflictuel que ces mêmes mots peuvent véhiculer, notamment dans les combats militants. Ainsi, ce lexique de termes utilisés dans le champ sémantique de l’autisme, de par l’abord de Matthieu Lancelot tout en nuance et singularité, permet in fine une approche plus rigoureuse de ces concepts. En effet, lorsque les mots sont vidés de leur substance linguistique et utilisés de façon univoque, ils ne font pas résonner la richesse intellectuelle qu’ils peuvent comporter et signent alors un appauvrissement de la pensée.
Cette déconstruction d’un usage rigide des mots et des concepts ajoute de la nuance au service du vivre-ensemble. L’enjeu est de taille ! À partir de son intérêt poussé pour la linguistique, Matthieu Lancelot nous enseigne comment les mots censés définir un point commun peuvent avoir à la fois cette fonction de rassembler et d’inclure la dimension de la diversité. Cet enseignement est contemporain des mouvements de personnes autistes qui veulent faire entendre leur voix tout en préservant la pluralité. Parler de l’autisme sans prétendre parler de tous les autistes, c’est ce que nous enseigne cet ouvrage.
Cette passion pour l’analyse des discours et de la langue en tant que système, Matthieu Lancelot la met au service des personnes autistes, mais aussi de toute personne qui s’intéresse à la cause de l’autisme. En effet, faire cause commune est nécessaire, mais cela perd de son poids si le problème de la subjectivité et de la diversité n’y est pas inclus.
À cet égard, sa sémantique de la sensibilisation à l’autisme n’est pas qu’un simple recueil de mots ; c’est un ouvrage qui permet de tordre l’image binaire de l’autisme et de voir comment cet autisme peut se déplier pour chacun. Ce choix d’opter pour une approche constructiviste plutôt que dénonciatrice répond à une nécessité pour l’auteur : celle de ne pas se perdre dans un militantisme vidé de sa substance et qui divise les gens. Cette optique permet ainsi de faire entendre l’objet de son propos, ce qui parfois s’efface quand le militantisme prend plus de place, puisque seul le côté militant apparaît et non plus le contenu du message.
Outre l’analyse de la sémantique, de la signification et de l’emploi des mots, Matthieu Lancelot fait vibrer son ouvrage avec des extraits de la littérature et du monde cinématographique. Truffé de références à ce qui se dit et s’écrit, il illustre les concepts analysés d’abord sur le plan linguistique. C’est aussi à partir de son expérience personnelle qu’il reprend et illustre les 30 concepts dépliés. Ce faisant, il introduit une distinction capitale entre un diagnostic et ce qu’est une personne. En effet, comme il l’indique de manière très précise, même si certaines tendances communes peuvent se dégager, il n’est pas possible de déterminer une manière d’être ou de vivre les événements communs à tous les autistes.
Prendre conscience des effets des mots, c’est ce que Matthieu Lancelot nous invite à faire au fil des pages. Les mots, la manière de les utiliser, ont un effet et, selon leur usage, permettent de faire société ou, au contraire, peuvent diviser. À l’heure des radicalités, cette plaidoirie pour la linguistique nous invite à plus de précision et nous rappelle la nécessité de réfléchir à la manière dont nous faisons usage des mots pour laisser une place à chacun.
Sueda Senay
Psychologue
ASBL ANAIS
Bruxelles (Belgique)
Quand nous communiquons, nous ne faisons pas qu’échanger plusieurs informations nécessaires à notre compréhension du monde, notre subsistance et notre développement personnel. Derrière les mots que nous employons, il y a des significations et un sens précis, mais aussi des intentions et des effets plus ou moins escomptés. C’est le constat de nombre de linguistes à l’origine de la sémantique (du grec σημαντικός, qui signifie faire connaître) et de la pragmatique du discours (du grec πρᾶγμα, qui signifie action), qui s’intéressent au sens des mots et des énoncés en contexte. En effet, nous cherchons aussi bien à agir sur les choses qui nous entourent, sur les sentiments et la pensée de nos interlocuteurs, qu’à décrire la réalité, et nous prenons conscience de la force du langage.
Dans cette logique, nous entreprenons sur le long terme des actions complexes (ex. bien travailler), faites de plusieurs comportements qui s’enchaînent de façon plus ou moins spontanée (ex. réfléchir par soi-même, prendre son temps, demander de l’aide). La communication est elle-même faite de macro-actes de langage, comme la sensibilisation, constituée de micro-actes qui se succèdent jour après jour, mois après mois, année après année (ex. études scientifiques, témoignages, protestations, réflexions, débats, revendications).
Ce faisant, nous interprétons chaque jour ce que les autres pensent et cherchent à nous faire entendre, non sans avoir de doutes ou d’appréhensions. Le langage a ceci de paradoxal et de si beau à la fois : on a besoin de le décortiquer, et pourtant l’emploi et la réception des mots dans un discours précis ne peuvent pas toujours être expliqués, car il y a tant de façons de le décoder. Aussi la sensibilisation à l’autisme nous occupe ici, dans ce livre, tant le discours en la matière se veut riche d’enseignements sur le plan communicationnel. En effet, elle permet d’appliquer la linguistique au regard porté sur le monde, aussi complexe soit-il.
Il n’est pas rare de lire les mêmes reproches sur les réseaux sociaux : il faut déconstruire les clichés et les fantasmes sur l’autisme (ex. singerie savante, truc de geek, refus absolu de communiquer), non ce n’est pas une maladie, les personnes autistes ne veulent pas forcément être seules, à quand une société inclusive ? La volonté de déconstruire les préjugés, explicitement indiquée dans les posts, peut témoigner d’une colère profonde selon l’expression choisie : tordre le cou aux préjugés, les atomiser ou les éliminer. Tout porte à croire que l’on passe sa vie à déplorer la méconnaissance de l’autisme, à débattre de connaissances dont on n’est pas sûr de la fiabilité, au risque de se heurter à bien des détracteurs ou simplement à des personnes autistes et à des familles qui ne sont pas d’accord.
Mais cela ne deviendrait-il pas meurtrier sur le long terme ? À ce train-là, et voyant que l’histoire se répète, peut-on encore parler de sensibilisation dès lors que l’on est tout le temps dans le combat ? Car la sensibilisation à l’autisme rassemble nombre de raisonnements et d’émotions pour en parler, et la moindre réception négative d’un livre ou d’un film parlant d’autisme peut faire passer de la sensibilisation à la dénonciation (ou encore à la victimisation), de l’inclusion à la dictature de la différence. C’est ce que l’on risque également avec les campagnes associatives et les manifestations dans les rues.
Je me demande souvent si les personnes autistes militantes et les « super-parents », faisant partie ou non d’associations ou de collectifs engagés dans la cause de l’autisme, peuvent réellement être entendus comme ils le souhaitent. Aux yeux de celles et ceux qui nous lisent et qui nous écoutent, voulons-nous seulement chercher notre place dans ce monde ? Ou au contraire, ne risquons-nous pas de passer pour des entrepreneurs de morale ou des entrepreneurs de cause (Vallade, 2016), à force de lutter contre le manque de solutions et de vouloir être actifs dans l’éducation, le respect de la différence et l’inclusion ? Et cela, alors que tout le monde n’apprécie pas que l’on dise aux autres ce qu’ils doivent faire, que l’on se croie meilleur que tout le monde autour de soi.
Sans compter que personne ne saurait prétendre parler au nom de toutes les personnes concernées, résumer leur condition vécue tout au long de leur vie – dans la fiction comme dans la réalité – car chaque personne est limitée à son propre cercle social et à sa propre existence. Et si l’environnement familial ou communautaire était surprotecteur face à un environnement extérieur pas si fermé qu’on le pense ? Les derniers films réalisés avec un personnage autiste peuvent remettre en question la confrontation entre le handicap et le monde réel, encore faut-il le voir par soi-même.
Traducteur et docteur en linguistique, mais aussi rédacteur web, membre d’un jury dans le travail social autour de l’autisme et conférencier à mes heures, j’ai été amené à étudier des concepts et des éléments de réponse autour de l’autisme comme l’autodétermination, la pairémulation, la théorie des cuillères et les environnements qualifiés d’autism-friendly (intraduisible en français, comparé à handi-accueillant). Étant moi-même autiste, suivant de près ou de loin la problématique de l’inclusion, il me tient à cœur d’œuvrer pour la paix avec les autres et avec soi-même.
Dans mon premier livre, Personnes autistes – la dialectique du Même et de l’Autre, j’ai principalement distingué ce qui relève de l’autisme de ce qui relève de la personne dans le récit de son quotidien. Depuis sa publication, d’autres questions me sont parvenues au sujet d’autres mots et syntagmes fréquemment employés, comme autodétermination, pairémulation (ou pairaidance), normal et habiletés sociales, mais aussi des phénomènes tels que l’acculturation et la sensibilisation dans tous ses états. Sachant que les personnes autistes n’ont pas toutes exactement les mêmes besoins, comme le télétravail ou le recours à un établissement médico-social pour la gestion de leurs tâches quotidiennes. Des études sur les préférences lexicales dans la communauté de l’autisme (ex. personnes autistes, avec autisme ou sur le spectre de l’autisme) ont également été publiées.
La première fois que j’ai étudié du vocabulaire relatif à l’être humain en interaction avec son environnement (en anglais et en français), c’était pour mon stage de fin d’études à la Croix-Rouge française en 2014. Il s’agissait de trouver les équivalents de nombreux termes en anglais comme empowerment (autonomisation), coping skills (mécanismes d’adaptation), capacity-building (renforcement des capacités), accountability (redevabilité), due diligence (devoir de diligence), caregiver (aidant ou soignant) et mainstreaming (généralisation) autour de la résilience des populations et de la gestion de crises humanitaires. Plusieurs d’entre eux devaient être disponibles en français afin d’éviter l’abus d’anglicismes. Dix ans plus tard, et trois ans après ma soutenance de thèse, je me vois analyser le sens et la signification de termes relatifs à la sensibilisation à l’autisme (ex. autodétermination, communautarisme, inclusion, identité, métacognition, neurodiversité, normalité, pairaidance/pairémulation, renforçateurs), censé encourager le respect de la différence, la résilience et la maîtrise de soi.
Cependant, je ne saurais me contenter de mes découvertes personnelles sur les mots autour de l’autisme dans ce livre :
Nous racontons notre vie, que ce soit lors d’un rendez-vous amoureux, pendant un entretien d’embauche, dans les pages d’un journal, chez le psy. Mais il serait illusoire de penser que cette autonarration continuelle ne se construit que sur nos seules expériences… Elle est en effet aussi forgée d’autres récits : ce que nous lisons dans des livres, entendons à la radio, regardons sur un écran, etc. Toutes ces histoires qui nous entourent influencent la manière dont nous percevons notre entourage, dont nous nous définissons, dont nous essayons de donner une cohérence aux événements. Certains de ces récits sont psychologiques. Vivre un deuil, par exemple […]. D’autres sont sociaux, comme […] la narration d’un parcours social mêlée à des affects négatifs – sentiment de culpabilité, de ne pas être à sa place… […] Ces récits comportent un intérêt certain : nous offrir des concepts et des catégories narratives dans lesquels nous pouvons nous reconnaître. Mais ils peuvent aussi orienter voire biaiser notre regard et notre discours sans que nous nous en rendions compte…
Véron, 2024
Ici, même des non-linguistes (ex. personnes autistes, familles, professionnels de la santé et de l’éducation) œuvrant pour la cause de l’autisme recherchent activement le sens des mots, tant il gagne à être pris en compte dans l’image que l’on a des personnes atypiques. Par ailleurs, m’en tenir à des critiques de la « mauvaise » traduction des termes relatifs à la santé et au handicap ou de l’emploi jugé abusif du mot autisme au sens figuré relèverait plus d’une dénonciation que d’une analyse scientifique du discours. Aussi mes analyses consignées dans ce livre proviennent aussi bien des points de vue de la communauté de l’autisme sur l’image que les mots lui renvoient que de mon regard de linguiste sur la complexité de cette image.
En engageant la conversation et en donnant des discours, nous partageons des intentions et espérons que nos mots auront un effet sur le comportement de nos interlocuteurs ou de notre auditoire. En outre, les propos que nous tenons constituent des actions parmi tant d’autres : informer, s’étonner, alerter, revendiquer, victimiser, questionner ou encore décider de ce qui est bon ou mauvais, par exemple. C’est tout un continuum d’actes de parole avec des intensités subtilement différentes qui m’a amené à me pencher sur les travaux de John L. Austin autour des actes de langage et ceux de John Searle concernant la force illocutionnaire des propos tenus en fonction de la modalité de nos phrases.
Afin de décortiquer les intentions, la force et les effets des mots au quotidien, nous pouvons recourir à différentes grilles de lecture telles que celles-ci :
J’ai constitué un ensemble d’explications sémantiques et pragmatiques dans cette suite à mon premier livre. Elle consiste à décortiquer 30 notions plus ou moins développées ou synthétiques selon l’analyse et l’interprétation, avec quelques comparaisons interlinguistiques et des questions pour le moins existentielles nécessaires à l’étude de ces notions. Attention : il ne s’agit pas simplement d’énumérer et de définir tout ce qui a trait à l’autisme vu de l’intérieur et de l’extérieur. Car l’analyse approfondie d’un tel vocabulaire vise à réfléchir sur la place de l’individu dans le groupe, celle de l’autisme et de la personne, et la relation de cette dernière à elle-même et aux autres. Leur compréhension est le gage d’une inclusion réussie. Ne dit-on pas à juste titre, en écriture et en traduction, que le tout est supérieur à la somme des parties ?
Tous ces termes et phénomènes de communication (ex. médias, langage approprié, recherche) sont étroitement liés. Certaines choses sont récurrentes d’une notion à l’autre, car elles le sont autant dans la vie quotidienne. Ainsi, l’amitié chez une personne autiste peut être une question d’acculturation et d’habiletés sociales. Les intérêts spécifiques font partie des stratégies de compensation (coping) comme de la thérapie par affinités. Demander conseil relève à la fois des habiletés sociales et de la pairaidance (ou pairémulation), et surmonter ses difficultés fait appel à l’habituation et à la métacognition. Le tout est de donner une tentative d’explication à la vie, de reconnaître une certaine cohérence entre tout ce que l’on vit.
Il ne s’agit pas de faire tout un cours sur l’autisme, de définir le fonctionnement du cerveau des personnes autistes ou d’expliquer la génétique sur le sujet, car bien d’autres l’ont déjà fait et ce n’est pas mon domaine de compétence. Je ne cherche pas non plus à militer à tout-va, car ma fonction de chercheur me l’interdit. J’ai toutefois la possibilité de témoigner de mon vécu – un parmi tant d’autres – pour présenter l’autisme en tant que vécu aussi bien sociétal que social. Les atouts et les difficultés rencontrées, les modèles médical et social du handicap qu’est l’autisme participent d’une représentation plurielle et complexe à appréhender.
Quand on parle de sens objectif, c’est de sens intersubjectif qu’il s’agit en réalité. Le sens […] n’existe en effet que dans et par l’intersubjectivité. La reconnaissance d’une intersubjectivité, donc d’une stabilité sémantique, ne signifie pas l’inexistence de zones d’instabilité, c’est-à-dire de domaines où s’exerce pleinement la subjectivité et où tel ou tel locuteur peut refuser ou accepter l’attribution de telle ou telle propriété à telle ou telle entité […]. Elle ne conduit pas non plus à postuler une « réalité » émergente identique, donc des sens qui soient identiques de langue à langue. […] des interactions différentes, des cultures et des passés linguistiques qui diffèrent selon les communautés amènent tout naturellement à l’émergence de « réalités » qui peuvent varier d’une langue à l’autre.
Kleiber, 2022 : 217
L’emploi du préfixe inter- (ex. dans interactions) m’amène à penser que l’on devrait se considérer non pas comme dépendants ou indépendants des autres, mais interdépendants, que l’on soit en situation de handicap ou non. Ceci dans la perspective de passer d’une logique de la lutte face aux différences à une logique de l’entraide qui se voudrait universelle. Cette pluralité de points de vue se révèle être source de conflits, car d’aucuns visent une représentation à la fois juste et simple, impossible à atteindre dans l’absolu. Mes différentes lectures sur les réseaux sociaux comme dans des livres m’ont permis d’élaborer toute une réflexion sur l’art de la sensibilisation et les risques associés, tels que fermer des portes.
Nous verrons au fil de ces pages qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer la vérité universelle des multiples vérités personnelles autour de l’autisme au quotidien. En d’autres termes : de l’expression de soi à l’accusation de son entourage, de la description d’une situation individuelle ou collective au jugement de la société entière, il n’y a qu’un pas. Chose susceptible de mettre à mal la sensibilisation à l’autisme, et inévitable à force d’engager une lutte pour le respect des droits fondamentaux (vie indépendante, santé, éducation, vie affective, vie professionnelle, participation sociale). Bien sûr, la liste de notions qui méritent d’être étudiées n’est pas exhaustive. Il m’a fallu les sélectionner, quitte à en évoquer d’autres de façon anecdotique au fil des mots.
Ce nouveau livre fait de questionnements, d’analyses et de quelques tranches de vie vise à présenter la psychologie complexe opérée par une personne autiste en territoire neurotypique, et à insuffler une lueur d’espoir. Du moins pour les personnes qui apprennent à vivre avec leur différence depuis l’obtention de leur diagnostic et/ou la transition vers la vie autonome, et sont en mesure de se renseigner et d’en parler. Car ce n’est qu’en approfondissant le sens des mots, en créant une ouverture, que l’on tend à s’activer et maîtriser son existence face à l’adversité.
Toute personne cherche à être acceptée dans son environnement tout au long de son existence. Contrairement à la tolérance, il s’agit d’aimer véritablement la personne quoi qu’elle fasse et quoi qu’elle dise, et non de laisser faire ce que l’on pense être des « bizarreries » qui ne devraient pas se produire devant les autres (ex. s’isoler, trop parler ou faire une crise). Si l’on parle de tolérance zéro pour instaurer des mesures visant le respect, le vivre-ensemble et la sécurité, on parle d’acceptation si l’on s’expose au regard des autres à la place des lois.
Faut-il impérativement avoir un don pour être accepté par les autres avec son handicap ? Avoir les félicitations du jury au baccalauréat, remporter un concours d’éloquence comme c’est arrivé dans l’émission Talenti (en Corse), ou faire des démonstrations phénoménales comme dans l’émission Les Extra-ordinaires, constitue-t-il une revanche sur l’image du handicap en société ? Est-ce une singerie savante ? Ou bien est-ce une victoire personnelle dans un projet qui tient à cœur, comme pour n’importe qui ? J’ajouterais que la perspective d’affronter son handicap avec un talent particulier devant un public est quitte ou double : on peut aussi bien être pris pour une bête de foire que susciter l’admiration en réussissant malgré son handicap, ou avec la force que l’on en tire.
En réalité, si nous voulons que les autres acceptent notre manière d’être, il faut savoir accepter la façon dont les autres viennent vers nous. Sans cette confiance mutuelle que nous sommes censés apprendre tout au long de la vie, la personne atypique n’a pas sa place. Si d’aucuns estiment avoir perdu vingt ans de leur existence à force de se conformer, non sans un sentiment d’incompréhension pendant tout ce temps, ce n’est qu’en grandissant que l’on affirme sa personnalité et, le cas échéant, sa différence. De la même façon qu’imposer un environnement bruyant peut nous gêner, on m’a appris à ne pas m’insurger contre les gens qui parlent mal de l’autisme ou ne respectent pas les besoins des personnes concernées. Pas pour satisfaire le regard des autres, mais par respect sincère pour le vivre-ensemble. Être sur la défensive peut en effet mettre les autres mal à l’aise autant que les faire réagir.
La limite d’un paiement pour un service est de 30, 45 ou 60 jours, et un organisme public met trois mois à nous payer ? Le délai de traitement d’un dossier MDPH doit être de quatre mois, et cela prend huit à dix mois au vu de toutes les demandes qui circulent ? Une livraison des exemplaires d’un livre destinés à la vente est estimée à dix jours, et on met un mois à les imprimer ? Soit. Je suis prévenu que la charge de travail entraîne des délais plus longs, et je n’en fais pas une maladie.
En résumé, l’acceptation va dans les deux sens. Qu’il s’agisse de s’exprimer sans arrière-pensée ou de prendre des nouvelles les uns des autres, de travailler avec endurance et précision tout en gérant les priorités dans l’instant, les personnes neurotypiques et neuroatypiques ont des attentes vis-à-vis de leurs pairs, étant amenées à contribuer ensemble au développement de la vie sur Terre.
Depuis les années 2010, dans le cadre d’actions visant la revendication des droits des personnes handicapées, associations et personnalités engagées soulignent les rapports sociaux suivants (APF France, handicap Lozère, 2014) :
Avant d’étudier les différences concrètes entre exclusion, ségrégation, intégration et inclusion, j’ai découvert le modèle d’acculturation de Berry (1992) au fil de mes recherches pour un cours de culture cinématographique à Cologne, lors de mon semestre Erasmus à l’hiver 2011. Il met en évidence l’attitude d’une personne d’origine étrangère face aux autres sur sa terre d’accueil, plutôt que sa situation :
Lorsque l’on quitte le discours autour de l’autisme, on trouve une autre signification, voire un autre sens au mot intégration : processus dynamique, à double sens, de compromis réciproque entre tous les immigrants et résidents des États membres (Commission des communautés européennes, 2005 : 5) impliquant une démarche de la société et une démarche active des intéressés (Héran, 2020). Il désigne ici une dynamique du vivre-ensemble plutôt qu’une situation dans un environnement donné, une succession d’ajustements mutuels tout au long de la vie plutôt qu’un devoir de faire des efforts que les autres ne feront pas.
Ainsi, est-il plus important d’avoir des amis dans la communauté issue du pays d’origine (ex. turcs) ou originaires du pays d’accueil (ex. allemands) ? Voici ce que cela donne :