Petites histoires à faire frémir - II - Mona Lassus - E-Book

Petites histoires à faire frémir - II E-Book

Mona Lassus

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Beschreibung

Un roman et une nouvelle à faire frémir dans ce deuxième tome de mes petites histoires. "l'autre" : les violences faites aux femmes sont intemporelles et ne connaissent ni frontière, ni classe sociale, ni limite d'âge. C'est pourquoi cette histoire aurait pu arriver, peu importe à qui d'autre qu'à Odile Bragard, à quelle époque et dans quel pays. Prisonnière pendant cinq longues années dans une cage de fer, Odile Bragard nous conte ici les événements qui ont bouleversé son existence. "Lucien ou Luciano" a reçu le premier accessit section nouvelles au Concours International 2021 Arts et Lettres de France : "Beau dimanche en perspective", grogna le Docteur Boileau en se baissant pour examiner la dépouille qui, à première vue, avait dû séjourner longtemps dans l'eau. Tous laissait à penser que ces pauvres restes avaient appartenu à une personne de sexe féminin...

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Seitenzahl: 166

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Sommaire

L’AUTRE

PRÉAMBULE

Chapitre I

Chapitre II

Chapitre III

Chapitre IV

Chapitre V

Chapitre VI

Chapitre VII

Chapitre VIII

Chapitre IX

Chapitre X

Chapitre XI

Chapitre XII

Chapitre XIII

Chapitre XIV

Chapitre XV

Chapitre XVI

Chapitre XVII

Chapitre XVIII

LUCIEN OU LUCIANO

Macabre découverte

Sans nouvelles d’une patiente

Un grand ménage

La lettre

Les enfants

Annette

L’acquisition

Une autre vie

L’AUTEURE

L’AUTRE

La violence à l’égard des femmes constitue toujours une violation des droits de l’homme ; c’est toujours un crime, et c’est toujours inacceptable…

Ban Ki-moon (Diplomate et homme politique Sud-Coreéen, Huitième secreétaire geéneéral des Nations Unies).

Les violences faites aux femmes sont intemporelles et ne connaissent ni frontière, ni classe sociale, ni limite d’âge, c’est pourquoi cette histoire aurait pu arriver, peu importe à qui, à quelle époque et dans quel pays.

PRÉAMBULE

L’autre… Depuis longtemps, je ne peux lui donner de prénom, à cet autre qu’un jour le destin, Dieu, la malchance ou ce qui vous plaira, a mis sur mon chemin...

J’allais avoir trente ans dans quelques jours. Assise dans la chapelle du couvent, je ne priais pas ; j’étais incapable de me concentrer sur autre chose que sur les événements qui m’avaient poussée, sept ans auparavant, à m’engager dans cette vie de piété et de dévouement à laquelle rien ne me prédestinait. Pourtant, contre toute attente, j’étais devenue Sœur Marie-Odile de la Rédemption. J’ai prononcé mes vœux, revêtu l’habit et laissé derrière moi ce passé douloureux qui a bouleversé mon existence.

Pendant toutes ces années, j’avais réussi à faire table rase de cette incroyable histoire dont je suis sortie bouleversée et traumatisée, mais les fantômes du passé avaient fini par me rattraper ; les événements m’ont obligée à revivre cette étrange aventure ; les souvenirs m’ont assaillie, ce jour-là, comme si, assise devant un écran de cinéma, je regardais un film d’horreur.

Les années ont passé, je ne suis plus cette jeune femme désespérée que j’étais alors. Je me suis définitivement débarrassée de ces fantômes qui m’ont longtemps hantée, et, bien que les souvenirs douloureux des années passées soient toujours présents, je peux, aujourd’hui, les activer sans crainte. Voici mon histoire.

I

Mes parents étaient de modestes fermiers. Nous habitions un hameau isolé où il ne passait pas grand monde, à part, de temps en temps, le facteur, plus généralement porteur de factures à payer que de bonnes nouvelles. Il était rare que nous recevions des visites ; mes parents n’avaient plus de famille et peu d’amis. Nous n’étions informés que de loin de ce qu’il se passait ailleurs. Lorsque mon père lisait le journal, il s’empressait de le ranger dans la remise, sans commentaire ; nous ne possédions qu’un vieux poste de télévision que nous allumions, parfois, pour regarder un film les dimanches après-midi pluvieux et, de temps en temps, les nouvelles auxquelles nous ne prêtions que peu d’attention ; ces événements se passaient si loin de nous qu’ils nous semblaient irréels.

Nous vivions au milieu de la nature et les préoccupations de mes parents se bornaient à la prochaine récolte, à la vache qui allait bientôt vêler, aux moissons qu’il faudrait terminer avant qu’il ne pleuve, aux exigences de la vie quotidienne. Le temps s’était comme arrêté à notre porte et, si notre maison était pourvue d’un certain confort, nous étions très loin de la modernité actuelle.

Nous étions sept à la maison ; J’étais l’aînée de cinq enfants : trois garçons et deux filles. Mon père, un homme travailleur et bourru, ne faisait preuve d’aucune indulgence. Exigeant autant envers lui-même qu’envers nous, il nous soumettait à une obéissance sans concession. Nous devions participer aux travaux de la ferme. Notre mère s’épuisait à la tâche ; soumise, elle acceptait tout sans se plaindre, les travaux des champs, soigner les bêtes, nettoyer, récurer, aucune corvée ne nous était épargnée.

Malgré tout, nous n’étions pas malheureux. Maman nous entourait de tendresse et le père, parfois, lorsque les soucis lui laissaient un répit, lorsque la récolte avait été fructueuse, avait de ces élans d’affection et de gaieté qui nous faisaient oublier sa rigueur. Certes, nous n’étions pas aussi gâtés que certains de nos camarades ; nous aurions aimé recevoir, pour Noël et pour nos anniversaires, des cadeaux adaptés à notre époque, comme de beaux habits ou tout autre gadget qui nous faisaient envie. Mais le père considérait que tout ceci était inutile et représentait des dépenses que sa situation ne lui permettait pas de faire. Nous devions nous contenter de l’essentiel ; pour ce qui était de l’ordinaire, nous ne manquions de rien.

Nous allions à l’école des sœurs, à deux kilomètres de notre ferme. Nous partions à pied les matins d’hiver alors que le jour se levait à peine. Nous allions en procession, rejoints au passage par les gamins des fermes voisines et, lorsque nous atteignions les premières maisons du village, c’était une ribambelle de gosses qui déferlait dans les rues. Nous animions la place de nos jeux jusqu’à ce que la sœur portière ouvre les deux grands battants de la porte cochère qui donnait accès à la cour de récréation. J’aimais cette ambiance et j’aimais apprendre ; j’étais bonne élève et, malgré des absences dues aux corvées de la ferme, j’obtins mon brevet.

Mon père, partant du principe qu’il ne servait à rien, pour une fille, d’en savoir trop puisqu’elle était faite pour se marier et avoir des enfants, avait décrété que je ne serai pas de trop, en attendant, pour seconder ma mère. Il n’était donc pas question que je poursuive des études. La directrice de l’école, Mère Angèle, ne voyait pas les choses du même œil : elle estimait que tout talent se devait d’être valorisé et qu’une bonne élève devait pouvoir sortir de sa condition en obtenant des diplômes. L’école aurait besoin d’institutrices dans le futur et elle avait déjà tracé mon avenir : j’obtiendrai mon BAC et j’irai à l’université pour devenir professeur. Elle connaissait bien mon père qui craignait depuis toujours son autorité et sur lequel elle avait une forte influence lorsqu’il était question de notre éducation. Elle le convoqua et plaida ma cause, promettant que ça ne coûterait pas un centime et qu’il serait toujours possible de m’employer chaque fois que nécessaire, aux moments des vacances scolaires. Papa céda de mauvaise grâce ; ça lui déplaisait, cette idée de devenir savante alors que je n’étais qu’une fille de fermiers. Il me jugeait inutile par rapport à mes frères, trois garçons mal dégrossis mais qui faisaient ses quatre volontés, et à ma jeune sœur, docile et réservée, poussant comme de l’herbe sauvage.

Quant à moi, j’étais ravie d’envisager cet avenir loin de ce trou perdu, comme je nommais avec un certain mépris notre ferme. J’irai à la ville, j’étudierai, j’obtiendrai mes diplômes, j’aurai un poste dans l’enseignement et j’emmènerai maman, que je regardais avec tendresse et pitié.

Je fus envoyée au lycée de la ville voisine pour y préparer le BAC. Mère Angèle me fit héberger chez l’une de ses amies qui, en échange de ma compagnie et de menus services, me logea et me nourrit. Je fis, pour cette personne et le voisinage, quelques heures de ménage et le peu d’argent que je gagnais, ajouté à la bourse d’études que j’avais obtenue, me permit de ne plus être à la charge de mes parents. Chaque dimanche, je prenais le car pour me rendre dans ma famille à laquelle je ne manquais jamais d’apporter quelques provisions, ce qui semblait tout à fait naturel à mon père qui ne comprenait pas pourquoi je préférais les livres à la bouse de vache.

J’avais atteint la classe de terminale avec succès, j’allais passer mon BAC et, l’année suivante, je serais admise à la faculté de lettres ; un avenir prometteur m’attendait.

Ce dimanche matin, comme d’habitude, j’attendais le bus. Il pleuvait ; j’étais transie, grelottant sous l’averse, mal protégée par mon manteau trop léger pour la saison ; aucun abri n’avait été prévu en ce lieu éloigné du centre-ville. Je désespérais de voir arriver ce car qui, comme souvent, était en retard. Alors que je piétinais sur le trottoir, une voiture s’arrêta devant moi. La passagère, abaissant sa vitre, me demanda où je comptais me rendre. Je lui indiquai le nom de mon village ; elle affirma aller dans cette direction et me proposa gentiment de me déposer. Sans réfléchir, j’acceptai. Je pris place à l’arrière du véhicule, contente de me mettre à l’abri et de me réchauffer.

Il y avait là un couple d’une trentaine d’années et un bébé ; ces gens me parurent sympathiques ; malgré ma timidité, j’engageai la conversation. Mine de rien, je le compris bien plus tard, ils me posèrent des questions sur ma vie et ma famille, auxquelles je répondis naïvement. Ce que je leur appris leur permit d’en savoir assez pour répondre à leur tour à mes questions. Comme je leur demandai par quel hasard ils allaient dans ce coin perdu où habitaient mes parents, l’homme me dit avoir de la famille, justement, au village. Il affirma même connaître mon père, être un ami, ce qui me surprit, car mon père n’avait pas d’amis, ou alors, il les cachait bien. Mais pourquoi pas, après tout ? Il dit aussi connaître mes frères et être un ancien élève de mon école. Mise en confiance, je ne fis pas attention au trajet emprunté par le conducteur. Lorsqu’enfin je réalisai que nous ne nous dirigions pas dans la bonne direction, je fis remarquer à mes hôtes qu’ils se trompaient de route.

« Ne vous inquiétez pas, me répondit la femme, nous devons faire un petit crochet. Ce ne sera pas long. Nous vous déposerons après. »

II

Cela faisait maintenant plus d’une demi-heure que nous roulions en silence. Le couple ne parlait plus et, lorsque, traversant un village, je m’aventurai à demander qu’on me déposât à cet endroit, je ne reçus aucune réponse. Je croisai le regard de l’homme dans le rétroviseur ; son expression me glaça. Inquiète, j’insistai, suppliante. La femme se retourna et me regarda en fronçant les sourcils.

« Silence ! M’ordonna-t-elle sans plus de commentaire.

—S’il vous plaît, suppliai-je encore, laissez-moi descendre. Vous m’emmenez trop loin. Mes parents vont s’inquiéter.

— Chut ! me fit encore la femme. Tais-toi ! »

J’avais entendu parler d’enlèvement, mais je ne pensais pas que cela puisse arriver à une fille aussi peu digne d’intérêt que moi, inconnue et sans fortune. J’essayai d’ouvrir la portière pour sauter hors du véhicule au risque de me rompre le cou, mais elle était bloquée. J’étais sans défense, dans cette voiture dont je ne pouvais pas m’échapper, à la merci de ces gens dont j’ignorais ce qu’ils attendaient de moi.

Je m’enfonçai dans le siège, tremblante au point de ne pouvoir pleurer, de n’avoir plus la force de protester.

J’étouffais, en proie à une crise d’angoisse. La seule chose qui me vint à l’esprit fut de prier, espérant une intervention divine qui me sortirait de cette horrible situation.

Lorsque la voiture stoppa enfin, après un trajet qui me parut interminable, j’étais plus morte que vive. L’homme m’ouvrit la portière pendant que la femme s’occupait de son bébé. Il me saisit par un bras et, sans ménagement, me fit entrer dans la maison devant laquelle il s’était arrêté.

J’étais trop terrorisée pour détailler ce qui m’entourait. L’angoisse me tordait les tripes, j’avais envie de vomir, ma gorge était serrée, j’arrivais à peine à inhaler l’air que mes poumons réclamaient, je suffoquais.

En me traînant par le bras, l’homme me fit pénétrer dans une pièce sombre. Il me lâcha en me poussant brutalement ; je fis une embardée et tombai sur un matelas posé à même le sol pendant qu’il refermait la porte et m’abandonnait dans l’obscurité, sans dire un mot. J’entendis la clé tourner dans la serrure. En proie au désespoir, je m’allongeai, recroquevillée comme un fœtus, la tête dans mes bras serrés sur ma poitrine. J’aurais voulu me fondre dans le matelas, me liquéfier, disparaître ; je fermai les yeux. Vulnérable et sans force, je m’abandonnai à une crise de larmes. Je pleurai longtemps, jusqu’à ce que, à bout de nerfs, le nez bouché, les yeux brûlants, les hoquets qui me secouaient se calment enfin.

Je ne sais combien de temps je suis restée dans cet état, prostrée et sans réaction. Je ne savais plus si j’étais dans cette chambre depuis quelques heures, quelques minutes ou plusieurs jours. J’avais de terribles crampes d’estomac. Un excès d’acidité vint me brûler la gorge qui déclencha une toux douloureuse. Malgré mon désespoir, je ne pus m’empêcher de penser que je devais ressembler aux poules de ma mère lorsqu’elles avaient la pépie : bouche béante et regard flou ! Je m’amusai un instant de cette pensée et retombai dans un état comateux où se mêlaient cauchemars et réalité.

La soif et la douleur me ramenèrent à la raison ; j’essayai de me lever, mais mes jambes refusèrent de me porter ; je retombai de tout mon poids sur le matelas, sans force. Je restai encore un long moment, allongée sur le dos, regardant fixement le plafond. Peu à peu, mes yeux s’habituèrent à la pénombre et je pus distinguer quelques détails de l’endroit dans lequel mon geôlier m’avait enfermée. Un filet de lumière filtrait au travers des persiennes ; apparemment, il faisait encore jour, dehors. Ou bien, la fatigue ayant eu raison de moi, je m’étais endormie et je ne m’étais réveillée que le lendemain ? Je laissai mon regard errer autour de la pièce.

C’était une chambre sommairement meublée. Une couverture de laine était étalée sur le matelas, sans drap. Une chaise était posée dans un coin, la fenêtre était nue, sans rideau. Je cherchai des yeux une lampe, mais je ne vis rien qui puisse me permettre d’avoir un peu plus de clarté. J’essayai à nouveau de me lever ; en titubant, je parvins à atteindre la fenêtre dans l’espoir de l’ouvrir pour m’enfuir, mais la crémone refusa mes sollicitations, bloquée sans doute intentionnellement par mes ravisseurs. Je m’approchai de la porte, elle aussi fermée à double tour. En tâtonnant, mes doigts rencontrèrent un bouton électrique que j’actionnai nerveusement, sans résultat. Une nouvelle crise de larmes me terrassa. Je n’osais pas crier, appeler, de peur de déclencher je ne savais quelles représailles.

Entre pleurs et torpeur, j’étais anéantie par l’incompréhension de ma situation, la crainte du sort qui m’était réservé, la faiblesse de mes membres, la soif et la douleur de mon estomac. Je sombrai à nouveau.

Lorsque je repris conscience, je dressai l’oreille, cherchant à savoir si j’étais seule dans cette maison ou si mes geôliers étaient là, tout à côté, à attendre une réaction de ma part. Aucun bruit ne me parvint. Apparemment, on m’avait abandonnée. Mais pourquoi ? Qu’attendait-on de moi ?

Vaincue par la fatigue et le chagrin, je me rendormis d’un sommeil lourd et paralysant. Une envie pressante me réveilla et me força à bouger ; engourdie, je parvins à grand peine à me lever et, ne sachant comment faire pour me soulager, je me dirigeai à tâtons vers la porte dont je secouai la poignée en criant aussi fort que mes forces me le permettaient. Le désespoir aidant, ma voix voulut bien monter dans les tons les plus aigus qu’il m’ait jamais été donné de pousser. Mes hurlements auraient dû ameuter tout le quartier et j’espérais bien que quelqu’un les entendrait. Je m’épuisai en vain. N’y tenant plus, je m’accroupis dans le coin le plus reculé de la chambre et je fis pipi à même le plancher en pleurant de rage.

Depuis combien de temps étais-je là ? Depuis combien de jours n’avais-je pas mangé ? Allait-on me laisser mourir de faim et de soif ? Pourquoi ?

J’avais beau retourner ces questions dans tous les sens, je n’arrivais pas à comprendre ce que j’avais pu faire pour mériter un tel sort. Je pensais à mes parents, à mère Angèle, à ma logeuse et à mes professeurs. Tous s’inquiétaient certainement de ma disparition. Ils allaient alerter la police, on allait me rechercher. Mais comment pourrait-on me retrouver dans cet endroit ? Je priai, seul recours auquel je pouvais m’accrocher. Je marmonnai des dizaines de chapelet, agenouillée, couchée, assise, dans toutes les positions, j’implorai le ciel, Dieu, la Vierge Marie et tous les saints du paradis de me venir en aide. Je mettais tout mon cœur, toute ma sincérité dans ces prières, mais rien n’y fit. Persuadée que j’étais abandonnée de tous et même du bon Dieu, je tombai dans une sorte d’hébétude où tous mes sens étaient anéantis. Je ne ressentais plus rien, je n’attendais plus rien, la mort pouvait venir me prendre, ça m’était égal. C’est dans cet état de dépression profonde que me trouvèrent mes geôliers lorsqu’enfin ils s’inquiétèrent de moi.

III

J’étais une plume sans consistance, je volais au-dessus du sol, je n’avais plus ni peur, ni espoir, j’étais morte. Une douleur aigüe me ramena à la vie et arracha de ma gorge une plainte rauque. Je voguais dans une brume épaisse. Seule la meurtrissure de mon postérieur, qui se répercutait dans toute ma colonne vertébrale jusqu’à mon cerveau endolori, m’indiquait que j’étais en vie et que j’avais heurté une surface dure. J’étais incapable de faire le moindre mouvement, coincée par la faiblesse extrême de mes membres et l’engourdissement de mes muscles. J’entendis vaguement une voix m’ordonner :

« Lève-toi ! Allez, debout ! »

Je sentis qu’on m’empoignait durement par les épaules et qu’on me forçait à m’asseoir. Les mains me lâchèrent ; je retombai sans pouvoir esquisser le moindre mouvement et sans aucune volonté de bouger. Contrairement à mon corps, mon cerveau fonctionnait à nouveau. J’étais déterminée à ne pas me manifester, à faire la morte.

« Laisse-la, entendis-je. Tu vois bien qu’elle est dans les vaps ! Ça fait trois jours qu’elle n’a rien avalé. Elle n’a plus de force. Il faut lui donner à boire et la nourrir. Sinon, elle va mourir. »

Je reconnus la voix de la femme. Le bébé se mit à pleurer. Je compris que la famille était revenue après trois jours et trois nuits d’absence.

Á travers mes paupières closes, je percevais une clarté. Lumière du jour ou lampe électrique, je n’étais pas pressée de le savoir.

Après m’avoir arrachée à mon lit, l’homme m’avait portée et m’avait lâchée brutalement, provoquant ma chute sur le sol carrelé et la douleur qui m’avait réveillée si durement. Je sentais le froid me pénétrer, mais je ne bougeais pas. D’ailleurs, en étais-je capable ? Mon cerveau, cependant, travaillait à toute vitesse, cherchant une manière de tromper mes ravisseurs et de leur fausser compagnie à la première occasion. J’entendais les discussions du couple qui s’était éloigné dans une pièce voisine. La femme plaidait en ma faveur, essayant de convaincre son compagnon de me permettre de reprendre des forces avant. Je ne sus pas ce que cet avant signifiait, mais j’en conclus que, si j’avais besoin d’être en forme pour cela, on n’allait pas me tuer. En tout cas, pas tout de suite.

J’entendis une porte claquer et un moteur de voiture démarrer. Je me risquai à ouvrir les yeux, pensant que ces gens étaient repartis, m’abandonnant encore. Alors que j’allais faire l’effort de me soulever sur un coude, la femme entra dans la pièce. Je fermai les yeux ; j’espérais qu’elle n’ait pas remarqué que j’étais éveillée. Je la sentis s’agenouiller près de moi ; elle passa une main sous ma tête et la souleva. Je me laissai faire sans broncher. Elle m’ouvrit la bouche et me fit boire. J’avais du mal à déglutir, ma gorge refusait de se desserrer, j’eus un haut le cœur. Elle me soutint en me parlant doucement :

« Là, là, pauvre petite, me disait-elle. Ne t’étouffe pas. Il faut que tu boives. »

Avec patience, presqu’avec tendresse, elle me fit boire une gorgée après l’autre. Lorsque j’eus avalé assez d’eau, elle me saisit sous les bras et me traîna jusqu’à un canapé où elle m’aida à m’allonger.