Physionomies de saints - Laure Conan - E-Book

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Laure Conan

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Beschreibung

*** Edition Premum Illustrée ***

Laure Conan dresse dans cet ouvrage le portrait de Saints qui ont marqué l'histoire du Christianisme. Elle nous montre ainsi que tous possède un point commun : l'exemplarité.

Cette édition premium est optimisée pour la lecture numérique.

SOMMAIRE :
UNE SAINTE IGNORÉE
SAINT FRANÇOIS SOLANO
SAINTE ZITE
LA BIENHEUREUSE IMELDA
SAINT ISIDORE
SAINTE CATHERINE DE SIENNE
SAINTE ROSE DE LIMA
SAINT JEAN DE DIEU
CE QUI S'EST DÉJÀ FAIT PEUT SE FAIRE ENCORE
LE BIENHEUREUX LUCHESIO
SAINTE AGNÈS
SAINTE PERPÉTUE ET SAINTE FÉLICITÉ
SAINT JEAN L'AUMÔNIER
SAINT CAMILLE DE LELLIS
" BIENHEUREUX LES MISÉRICORDIEUX "
LES DÉBUTS D'UNE SAINTE
LA COURONNE DE LARMES

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Physionomies de saints

Laure Conan

SSEL

Table des matières

1. Une Sainte ignorée

2. Saint François Solano

(Apôtre de l’Amérique du Sud)

3. Sainte Zite

4. La Bienheureuse Imelda

5. Saint Isidore

Le patron des cultivateurs

6. Sainte Catherine de Sienne

7. Sainte Rose de Lima

8. Saint Jean de Dieu

9. Ce qui s’est déjà fait peut se faire encore

10. Le Bienheureux Luchesio

11. Sainte Agnès

12. Sainte Perpétue et sainte Félicité

13. Saint Jean l’Aumônier

14. Saint Camille de Lellis

15. Bienheureux les miséricordieux

16. Les débuts d’une Sainte

17. La couronne de larmes

(légende)

Une Sainte ignorée

Il y a des siècles, dans un monastère de Colmar, vivait une humble sœur converse nommée sœur Agnès.

Très silencieuse, très douce, elle se portait de préférence aux bas emplois de la maison, mais aucun travail ne l’empêchait de méditer la Passion du Sauveur et, à ce souvenir terrible et sacré, les larmes baignaient souvent son visage.

Sa compassion était si vive, si poignante, qu’elle ne pouvait regarder une croix. Devant tous les crucifix, on voyait toujours sœur Agnès fermer les yeux et baisser son voile.

C’était la seule singularité de cette humble vie vouée aux rudes travaux. Cependant, on la signala à l’attention du provincial de l’ordre, quand il fit la visite du monastère.

Le religieux reprit sœur Agnès en plein chapitre.

Un grand crucifix d’un puissant réalisme, était suspendu dans la salle.

Le Dominicain commanda à la sœur d’aller s’agenouiller devant et, voile levé, de le regarder fixement.

La religieuse obéit ; mais, à peine avait-elle fixé les yeux sur le crucifix qu’elle porta les mains à son cœur, et tomba la face contre terre en étouffant un gémissement.

On accourut. On la releva. Mais tous les soins, pour la rappeler à la vie, furent inutiles. Elle n’avait pu regarder, sans mourir, l’image de Jésus crucifié.

On l’ensevelit à l’endroit même où elle avait rendu le dernier soupir, et l’on y éleva un monument.

Le monument restauré subsiste encore, mais le nom de cette touchante fille de saint Dominique n’est pas arrivé jusqu’à nous.

Qui était-elle ? D’où venait-elle ? Quelle route l’avait conduite au cloître ? On n’en sait rien.

Une ombre impénétrable environne cette femme idéale.

Il a plu au Seigneur Jésus de ne pas glorifier, ici-bas, celle qui l’a aimé d’un amour si vrai et si tendre. Devant l’humanité ingrate, oublieuse, il n’a pas voulu qu’elle eût d’autre gloire que la gloire de l’avoir aimé.

Elle repose dans le seul rayonnement de l’amour. Sur le monument renouvelé en 1687, le Père Massoulié, commissaire des Dominicains en Alsace, fit graver l’inscription suivante :

« Dans ce tombeau repose le corps d’une très pieuse sœur dont le nom est inconnu. Elle était forcée de détourner ses regards de l’image du crucifix, craignant de mourir sous l’étreinte de la douleur et de l’amour dont elle était saisie à la vue des plaies du Christ. Le provincial lui ordonna dans le chapitre de fixer son regard sur le crucifix et, en un instant, elle expira, tuée de douleur et d’amour, et elle fut ensevelie au même endroit ».

(D’après les Annales Dominicaines).

Saint François Solano

(Apôtre de l’Amérique du Sud)

Deux ans après la fondation de Québec, François Solano, missionnaire franciscain d’une rayonnante sainteté, s’éteignait à Lima.

La capitale du Pérou s’appelait alors la Cité des Rois — Ciudad de Los Reyes. Elle était fabuleusement riche, effroyablement corrompue. Mais dans le cœur humain, il y a de l’incompréhensible. Et les Espagnols, qui sacrifiaient si cruellement les indigènes à leur cupidité insatiable, s’étaient pris d’enthousiasme pour le P. Solano, en qui semblait revivre l’âme tendre, enivrée du sublime Pauvre d’Assise.

Ils voulurent avoir pour protecteur celui qui, tant de fois, leur avait reproché leurs crimes, et il était à peine mort qu’on lui rendait les suprêmes honneurs. Par la main de ses chefs, Lima vint déposer son blason 1 devant le portrait de l’humble religieux, comme un hommage perpétuel, comme un signe de consécration. Cusco, Panama, Carthagène, Potosi, La Plata et beaucoup d’autres grandes villes le prirent pour patron, et l’amiral de Mandoza mit solennellement sous sa protection la flotte royale.

Tout cela se faisait avec la pompe chère à la vieille Espagne, au milieu des manifestations les plus vives de la joie populaire.

Mais ce n’est pas auprès des conquérants de ces merveilleuses contrées qu’on aime à se représenter le grand missionnaire. C’est auprès des infortunés indigènes, voués à la servitude et à la mort. François Solano fut vraiment pour eux l’envoyé de Dieu, et à travers les ombres lointaines, il apparaît entraînant ces infortunés à l’amour infini, à la joie éternelle.

Chose curieuse, même inexplicable, l’apôtre de l’Amérique du Sud est, chez nous, à peu près inconnu. Dans toute l’étendue du Canada, il n’a pas un autel. Et pourtant, il est le saint par excellence du Nouveau-Monde et Dieu l’a honoré sans mesure.

Son apostolat fut prodigieux. Le P. Solano commandait aux éléments, à la maladie, à la mort. Comme les apôtres, il eut le don des langues. Entré vivant dans la gloire, il inspirait à ses contemporains une vénération sans bornes, et aussitôt après sa mort l’Amérique méridionale demanda à grands cris sa canonisation. Les frais du procès furent votés d’enthousiasme. Mais le culte prématuré rendu au P. Solano tint longtemps suspendues les procédures de l’Église.

Comme l’apôtre des Indes, François Solano était Espagnol et de noble famille. Il naquit en 1549, à Montilla, ville dont son père était gouverneur.

Sa mère l’avait consacré à saint François d’Assise qu’elle honorait d’un culte très tendre. Elle lui donna son nom, et dans l’église paroissiale de Montilla on montre encore les fonts où le saint reçut le baptême.

Jamais il n’en perdit la grâce, et son enfance pleine de promesses, ne fut pas seulement privilégiée, elle fut aussi fort heureuse.

C’est à l’externat du collège des Jésuites, établi à Montilla, que François Solano fit ses études.

Une raison précoce lui donnait un singulier empire sur ses condisciples. Il s’en servait pour rétablir la paix et l’union souvent troublées.

Dès lors, son courage n’était pas médiocre. Un jour, aux environs de la ville, apercevant deux duellistes qui se battaient à l’épée avec une furie sauvage, il courut se jeter entre eux, et au risque d’être sérieusement blessé, les sépara. Son jeune âge, la hardiesse de son élan et la douceur de ses reproches touchèrent ces furieux. Ils se réconcilièrent.

L’Andalousie est le paradis de l’Espagne. François aimait à cultiver cette terre maternelle si riche, si prodigue. C’était son grand délassement.

La beauté des fleurs le ravissait et au lieu de se livrer aux jeux bruyants qui passionnaient ses frères et ses condisciples, il passait ses heures de récréation dans le jardin de son père. Là, tout en travaillant, il priait et chantait.

Sa voix était fort belle. Il avait aussi pour la musique d’admirables dispositions, et bien jeune encore y excella.

Mais — chose rare — dans cette nature de poète et d’artiste, il y avait une énergie et une persévérance extraordinaires. Ses parents le constataient chaque jour avec bonheur ; ils comptaient que ce fils si aimable jetterait un grand éclat sur sa race.

Mais le séraphique François avait pleinement agréé l’offrande de la pieuse mère. De l’enfant commis à sa garde, il allait faire l’un des chevaliers de sa Table Ronde.

J’ai dit que la noble famille fondait sur François les plus hautes espérances. Cependant, quand il annonça qu’il voulait être Franciscain, il n’eut pas de résistance à vaincre, pas de reproches à essuyer.

Profondément croyants, ses parents l’approuvèrent de prendre la voie la plus courte pour aller au ciel. Ils s’oublièrent avec une générosité parfaite. L’excès de son sacrifice ne les alarma point. Ils comprenaient que s’il est dur de tout quitter, il est doux de suivre Notre-Seigneur.

En coûta-t-il beaucoup à François pour se rendre à l’appel divin ? On l’ignore. Il n’en a rien dit, mais le foyer paternel lui avait été délicieux. Il avait la naissance, la richesse, les dons qui font l’artiste et le héros. De l’avenir, il pouvait tout attendre, même la gloire.

C’est dans la splendeur de ses vingt ans que François Solano entra au noviciat des Mineurs. Dans l’hymne qui lui est consacré, on chante :

D’idéale beauté, mais plus beau dans son âme,

Il méprise les joies du monde,

Pour s’unir tout à Dieu

Mais à cette bienheureuse, à cette glorieuse union un mortel n’arrive pas sans un immense labeur. Pour s’envoler et ne vivre, ne respirer plus qu’en Dieu seul, il ne suffit pas d’avoir quitté le monde, d’avoir rompu les liens de famille les plus doux, les plus chers.

Avec la verdeur de son printemps, François Solano emportait au cloître toutes les fiertés, toutes les violences de son sang espagnol. Mais là, dans l’ombre et le silence, il allait prouver ce que peut une grande âme qui veut déployer et employer toute sa foi et toute sa force.

« Ce n’est pas sans effort, disait Turenne, que la carcasse humaine arrive à n’avoir plus peur de la mort ».

Galoper au-devant des boulets, dans l’entraînement de la bataille, n’est pourtant pas ce qu’il y a de plus difficile. La lutte persévérante contre soi-même est bien plus terrible. Pour triompher de son orgueil, de ses appétits, de ses convoitises, de ses sensualités, de tous ses égoïsmes, il en coûte plus à l’homme que pour affronter mille morts.

Mais le jeune novice avait la vaillance, l’ardeur, la générosité. Il savait que pour se sanctifier, — c’est-à-dire se diviniser — il faut le vouloir pleinement, fortement, non d’une volonté languissante, interrompue, à demi-malade. Il comprenait que la sainteté n’est pas seulement une culture de vie, mais aussi une opération de mort. Et tout ce que Dieu nie et réprouve dans l’humanité déchue, il travailla sans relâche à le détruire.

Comment dire la vigilance, la persévérance de sa lutte contre le MOI si vivant, si vivace. L’humiliation et la pénitence semblaient pour lui pleines d’attraits. À la fleur de l’âge, il en embrasse les pratiques les plus amères, les plus sanglantes, avec cette folie héroïque qui fait le scandale du monde. Pour dompter son corps, il se roule dans les épines jusqu’à se mettre tout en plaies.

Il voulait conquérir son âme. Il voulait immoler son ardente jeunesse en toute pureté sur l’autel ; il voulait offrir à Dieu un holocauste entier, parfait, et sur son sacrifice ses intenses supplications appelaient sans cesse le feu sacré, force irrésistible de l’Esprit divin.

« Aimons de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre pensée, de toute notre force, de toute notre intelligence, de toute notre vigueur, de tout notre effort, de toute notre affection, de toutes nos entrailles, de tous nos désirs, de toute notre volonté, le Seigneur Dieu », disait le Séraphin d’Assise à ses fils.

Ce doux commandement, François Solano voulait l’accomplir, et d’une main inexorable, il retranchait tout ce qui lui semblait entraver en lui la flamme sacrée.

Dans le couvent si pauvre, si austère, où Dieu le moulait, l’ombre ardente de François d’Assise lui prêchait la folie de la croix et l’entraînait à Jésus crucifié. Son cœur se fondait au souvenir de la Passion.

Il eût voulu réparer l’ingratitude des hommes, et par tous les moyens, il s’efforçait de participer aux souffrances du Sauveur.

Sa vie, toute de peines, de veilles, de macérations, épouvantait les plus fervents. Lui restait humble et serein. Chargé de la direction du chœur, il étudia la mélodie avec délices et donna aux offices divins un grand charme.

Dans ses veilles solitaires devant le saint Sacrement, souvent il chantait en s’accompagnant d’une petite lyre. Ce trésor qui est au cœur des artistes, il aimait à le répandre en secret aux pieds des autels, et — détail charmant — pour ce terrible ascète, la musique fut, partout et toujours, un secours précieux. Il avait besoin de laisser déborder l’allégresse dont son cœur était plein. Ses austérités qui dépassaient les forces humaines, ne l’assombrirent jamais. Au contraire, la pénitence semblait pour lui une fête mystérieuse. En son âme tendre et puissante, la mortification héroïque faisait jaillir des sources intarissables de joie surnaturelle. Dans l’immolation sanglante, il trouvait l’amour embrasé, l’amour qui béatifie, et toutes les aspirations de son âme se fondaient dans ces mots qui lui étaient habituels : « Que Dieu soit glorifié ».

« L’esprit grandit quand il fait chaud dans l’âme 2 ».

La sainteté doit donc faciliter singulièrement l’étude de la théologie. Aussi, avant même d’être prêtre, François Solano était un grand théologien. Chez lui, la science alimentait une foi de plus en plus ravie et la divine passion d’amour.

Après un an de noviciat, il avait prononcé ses vœux, il s’était pour jamais lié à l’abjecte pauvreté. C’est avec une joie sans bornes qu’il avait sacrifié tout ce que le monde aime, recherche, admire. Mais le sacerdoce lui inspirait un saint effroi. C’est seulement à vingt-sept ans qu’il reçut l’honneur divin de la prêtrise. Il célébra sa première messe dans son couvent de Loretto 3, le jour de la fête de saint François d’Assise, et ce jour-là les auges eurent peut-être la joie de voir un mortel les égaler dans l’humilité et dans l’amour.

Malgré sa jeunesse, le P. Solano réalisait dans sa perfection l’idéal séraphique, et sa famille religieuse le considérait déjà comme la gloire de l’Ordre. On voyait en lui l’un de ces ouvriers puissants qui étendent au loin l’incendie de la charité, le règne de l’éternelle Beauté.

Chargé de former les novices, le P. Solano ne put d’abord se livrer beaucoup à la prédication. L’apostolat était pourtant sa vraie, son unique vocation, et sa parole mit en ébullition les villes où il prêcha.

Plaisirs, affaires, on quittait tout pour entendre le P. Solano. Sa foi emportait les âmes. Son éloquence était de lumière et de feu.

Il n’avait déjà plus cette fleur de beauté et de jeunesse qui charmait autrefois tous les regards. La pénitence où il s’était jeté à corps perdu l’avait prématurément fané, vieilli. Après la mort de son père, quand il obtint d’aller consoler sa mère accablée de douleur, ses anciens serviteurs ne le reconnurent point. Mais sous les traces de la mortification surhumaine rayonnait la splendide beauté intérieure. Tout en lui commandait l’attention, le respect ; et le don des miracles que Dieu lui accorda dès lors ajouta encore au prestige de sa sainteté.

Il fit le premier à Montilla, sa ville natale, en faveur d’un enfant rongé d’horribles et incurables ulcères. On le lui avait présenté pour qu’il lût sur lui un évangile. Le P. Solano fit détacher les bandelettes qui enveloppaient le pauvre petit être… Je n’ose continuer, je n’ose dire ce que la compassion lui inspira. La pensée seule en est insupportable. Mais cet acte incroyable de mortification obtint un miracle. L’enfant recouvra à l’instant une santé parfaite, dit la bulle de canonisation.

Le saint ne devait pas se sacrifier pour les seuls particuliers ; il devait porter le poids écrasant des malheurs publics. En 1583, la peste éclata dans l’Andalousie.

La maladie s’annonçait par des symptômes effrayants, les ravages en étaient aussi rapides qu’affreux, les suites presque toujours mortelles.

C’est dire, hélas ! que très souvent les pestiférés voyaient leurs parents les plus chers les abandonner et s’enfuir épouvantés. La terreur était partout, mais nulle part le fléau ne sévit comme à Montoro.

La ville semblait vouée à la mort et la consternation y était à son comble, quand à force d’instances le P. Solano obtint d’aller assister et servir les mourants.

L’un de ses frères, le P. Bonaventure, voulut partager ses périls, et dans la ville si terriblement frappée grande fut la joie lorsqu’on apprit que le saint arrivait.

Les autorités lui remirent immédiatement la direction de l’hôpital des pestiférés, et à la consolation inexprimable de ces infortunés, il prit possession de ces lieux d’horreur et de mort.

Nuit et jour il est auprès des moribonds. Il les soigne, les console, panse leurs horribles plaies, les prépare à mourir. Il prend sur lui les besognes les plus dégoûtantes, les plus périlleuses. Un espoir, une douceur émane de lui.

Rien ne lui coûte, rien ne le fatigue. Toute la pitié semble en lui, mais rien n’altère la paix céleste de son âme.

Son compagnon d’héroïsme mourut de la peste entre ses bras. Lui-même fut atteint de la contagion et réduit à toute extrémité. Il espérait mourir et ses atroces souffrances n’altéraient pas sa joie. Mais l’heure de la récompense n’était pas venue. « Dieu le guérit, dit la bulle de canonisation, et il reprit son ministère de charité qu’il exerça avec encore plus de zèle jusqu’à la fin de l’épidémie ».

Cet héroïsme avait ému l’Andalousie entière, et partout où le P. Solano passa, en retournant à son couvent, il se produisit un élan irrésistible. On l’acclamait, on le bénissait. C’était à qui l’approcherait de plus près et lui donnerait les marques les plus vives de vénération. La crainte de la contagion n’arrêtait personne. On ne croyait pas que le P. Solano pût la communiquer ; et son retour fut une ovation continuelle.

L’humilité du saint s’en alarmait, et la réception que ses frères lui firent ne fut pas pour calmer ses craintes.

En vain changea-t-il de couvent. Son nom avait retenti dans toute l’Espagne ; la vénération l’accueillait partout, et partout aussi la compassion lui faisait faire des miracles. Ses frères eux-mêmes ne savaient plus dissimuler l’admiration qu’il leur inspirait.

Le P. Solano en souffrait beaucoup. Il voulait continuer sa vie d’immolation, mais à l’abri des vains applaudissements des hommes, et rêvait de solitudes profondes où il pût cacher à jamais ses travaux.

Sa pensée s’arrêta d’abord à la terre d’Afrique. Il écrivit au général de l’Ordre implorant la grâce d’y aller travailler à la conversion des infidèles. Sa demande fut rejetée. La Providence avait sur lui d’autres vues — elle le destinait aux Indiens de l’Amérique du Sud.

C’est en 1589 que François Solano eut permission de se consacrer à ces missions lointaines. Jamais encore il n’avait quitté sa patrie, la belle Andalousie.

Rien n’attendrit le cœur comme l’exil volontaire ou non. Tous les souvenirs dormants, qui attachent au pays, se réveillent à l’approche de la séparation, et malgré sa prodigieuse vertu, le P. Solano ne s’arracha point à la terre natale sans déchirements.

Une dernière fois, il se rendit à Montilla, au foyer ancestral, où ses jeunes années avaient coulé si faciles, si heureuses. Sa vieille mère était devenue aveugle, les infirmités l’accablaient. Mais digne d’avoir donné la vie à un saint, elle n’essaya point de le retenir. Elle sacrifia généreusement la consolation, si souvent rêvée, de mourir entre les bras de ce fils dont l’Espagne entière exaltait la sainteté.

Elle savait que Dieu lui avait communiqué sa puissance, cependant elle ne lui demanda point un miracle pour le revoir encore une fois. S’immolant comme lui à la gloire de Dieu, elle le bénit et le laissa partir.

Le P. Solano s’embarqua à Séville avec d’autres missionnaires et un grand nombre de soldats envoyés au Pérou.

Pendant la traversée qui dura un mois, il s’occupa beaucoup de ces derniers. C’est dire qu’il leur fit un immense bien.

À Porto-Bello, les voyageurs quittèrent le navire et s’acheminèrent vers la ville de Panama. Missionnaires et soldats traversèrent l’isthme à pied, et après un peu de repos à Panama, les religieux prirent le navire Morgana, qui devait les conduire au Pérou.

Il y avait à bord quatre-vingts nègres nouvellement arrivés de Guinée. Le P. Solano vit en eux les prémices de son apostolat parmi les païens. Ces malheureux, arrachés à leur pays pour être vendus à l’enchère, lui inspirèrent une pitié profonde. Il voulut leur donner la connaissance de Jésus crucifié et, avec une industrieuse et infatigable charité, travailla à les instruire.

Cependant une tempête soudaine et terrible surprit le vaisseau voguant à pleines voiles. La manœuvre devint impossible ; le navire, jouet de la mer en furie, finit par être lancé contre un banc de sable, et le choc formidable le démolit presque.

Le capitaine fit aussitôt mettre à la mer l’unique chaloupe du bord. L’embarcation ne pouvant recevoir tout le monde, on décida de n’y laisser descendre que les Espagnols et de sacrifier les nègres.

Mais le P. Solano refusa absolument d’abandonner ses néophytes. C’est en vain qu’on le pressa, qu’on le supplia.

Sur ce navire abandonné, qui menaçait à tout instant de sombrer, il rassemblait les nègres autour de lui et, le crucifix à la main, les préparait au baptême.

Il n’y avait plus d’interprète, mais Dieu accorda au P. Solano d’être parfaitement compris des pauvres noirs. Ils voyaient qu’il leur sacrifiait sa vie ; sa charité leur fit croire à la charité de Jésus-Christ ; ils demandèrent le baptême.

Jamais le sacrement de la régénération ne fut administré dans des circonstances plus terribles. Le saint baptisait encore quand une vague formidable frappant le vaisseau naufragé l’ouvrit. L’avant se détacha, s’abîma avec ceux qui s’y trouvaient… Mais — ô prodige ! l’arrière où était le saint continua de flotter. Les nègres qui y restaient poussaient des gémissements lamentables ; ils se voyaient déjà au fond de l’océan.

Le saint leur dit d’avoir confiance en Dieu — que la chaloupe viendrait les chercher dans trois jours. Mais comment croire que cette moitié de navire tiendrait trois jours durant contre les éléments déchaînés.

Cependant les heures s’écoulaient et l’épave flottait toujours. Le P. Solano se multipliait auprès des pauvres noirs. Il n’avait point de nourriture à leur donner, mais il les encourageait, les faisait prier, et au procès de canonisation de François Solano, plusieurs d’entre eux jurèrent n’avoir point souffert dans cette épouvantable situation. Le troisième jour, une vague jeta aux naufragés un ballot de cierges que la mer avait englouti avec le reste du bagage des missionnaires.