Polars et histoires de police - Association Le 122 - E-Book

Polars et histoires de police E-Book

Association "Le 122"

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Beschreibung

Polars et histoires de police Recueil de nouvelles 2023

Das E-Book Polars et histoires de police wird angeboten von Books on Demand und wurde mit folgenden Begriffen kategorisiert:
polar, roman policier, Fleurance, gers, Le 122

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Seitenzahl: 475

Veröffentlichungsjahr: 2023

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Sommaire

- Préface de Ronny Guardia Mazzoleni, Maire de Fleurance, Président du Pays Portes de Gascogne

- Règlement du concours et lauréats du concours 2023

- Gagnant : « En joue », de Matthieu Dosne

- Gagnante : « Les monstrueux tailleurs de pierres », de Christine Sabolo

- Le mystère de la cabane du fleuve, de Philippe Botella

- Le romancier, de Silvio Catanoso

- Rebondissements au château, de Sarita Méndez

- Lettre anonyme, de Sandrine Caruso

- Mal du pays, de Naïma Guermah

- Le vol du Paon-du-jour, de Esther et Pierre Varga

- La malédiction de la momie, de Jean-Michel Béraudy

- Il n’est plus temps de négocier, de Jacqueline Bazalgues

- Mystère au lac des trois vallées, d’Heleen Jansen

- L’ombre des gares, d’Anna Ceccato

- Et une de plus, de Hario Masarotti

- Un cadeau d’enfer, de Bénédicte Binet

- … mais mon amour, de Fabienne Cravero-Aujames

- La disparue, de Monique Broutée

- La chambre des amours maudites, de Martine Bontoux

- De Marciac à Lectoure, de Jean-Claude Mondange

- Les anges du jardin, de Jean-Jacques Roult

- Cerise sur le tombeau, de B. Van Egmond

- En thermes choisis, de B. Van Egmond

- Mais où est-il passé ?, de Claire Mauriès

- Le reflet de la honte, de Bernard Mollet

- Le jeu de l’oie, de Jean-Pierre Bertalmio

- La disparition d’Ernest, de Pierre Bessagnet

- Le barbare sanguinaire, de Victoria Vermeille

- Clic, de Lucas Largeron

- Concours de circonstances, d’Huguette Berthomieu-Lamer

- Les effets de la cure, de Jacqueline Roult

- Auch le 11 novembre 1931, de Jean-Claude Mondange

- Simorre............. six morts , de Florence Vernhet Dabos

- Carpe Diem, de Cécile Mellan

- Sécurité publique, de Pierre Léoutre

- Revue de presse

- L’album photo de Nathalie Glévarec

Préface

Madame, Monsieur,

C'est toujours avec une certaine excitation que je prends ma plume pour écrire la préface du concours de nouvelles policières qu'organise l'association Le 122.

En effet, chaque année, lire les productions littéraires des différents participants est toujours très enrichissant. Ces créations sont non seulement le reflet de l'imagination fertile des esprits mais c'est surtout un moyen d'évasion, de spéculations, de sourire aussi.

Combien de fois suis-je surpris par une chute, parfois amusé car on peut retrouver au fil des lignes des comportements, des gestes, des réflexes d'agir ou pensée de notre quotidien, sans que cela fasse de nous des assassins, des complices ou pire des victimes.

J'y vois plus simplement le signe à tous les âges d'un besoin d'expression, de création, l'envie de partager le goût du suspens, de l'intrigue et des rebondissements.

A l'heure où notre société est profondément tiraillée par les démons de la division sur fond d'intransigeance politique, de communautarisme religieux, voire ethnique, agité par des personnages pour le moins troubles, lire, s'informer, écrire, échanger devient plus que jamais une chance voire une force pour retisser du lien entre les individus et aussi comprendre que la différence n'est pas un désavantage, mais bien un atout nécessaire à l'enrichissement intellectuelle de l'Humanité.

Le succès du style roman policier perdure à travers les décennies jusqu'à devenir un style littéraire à part entière grâce à la verve prolixe d'un Georges Simenon ou d’Agatha Christie, et pas qu’eux ; je pense notamment à Jean-Christophe Grangé et bien d'autres encore.

Avec ce recueil de nouvelles policières, l'association innove et permet aux auteurs de faire entendre et de mettre en lumière d'autres personnages que l'enquêteur. Un choix audacieux mais attrayant.

Aussi je dis un grand bravo à l’équipe qui porte Le 122 !

Je tiens tout particulièrement à saluer le dynamisme de cette structure qui, avec ses bénévoles, anime le territoire et s’inscrit dans la pérennité. Partenaire de la Ville pour l'organisation du Salon du Polar, devenu désormais un rendez-vous annuel incontournable qui allie rencontres d'auteurs, conférences et autres animations, le tout au coeur de notre bastide.

Ronny GUARDIA MAZZOLENI

Maire de Fleurance

Président du PETR Pays Portes de Gascogne

L’association lectouroise « Le 122 » lance son concours de nouvelles policières en langue française dont le cadre est le département du Gers. Le texte doit compter entre trois et neuf pages.

Sujet libre : un crime, un délit, un méfait, une infraction, une vengeance, une tromperie, une fraude, un complot…

Genre libre : énigme, mystère, texte noir, contemporain ou historique.

Ce concours est gratuit et s’adresse à tous.

Les participants concourent en deux catégories :

- jeunes : moins de 18 ans (avec autorisation parentale écrite)

- adultes : plus de 18 ans

Ils ont jusqu’au 30 juillet 2024 pour envoyer leur nouvelle par mail à pierre. [email protected]

Les nouvelles ne doivent pas avoir déjà été éditées ou faire l'objet d'un autre concours en cours. Les nouvelles doivent se passer dans le Gers, et avoir une longueur de 3 à 9 pages ; si ces consignes ne sont pas appliquées, la nouvelle ne sera pas prise en compte. Toutes les nouvelles sélectionnées par le comité de lecture seront éditées dans le recueil de nouvelles 2024.

Les résultats seront annoncés par voie de presse et sur la page Facebook du salon polars et histoires de police (www.facebook.com/salondupolarethistoiresdepolice) organisé par l’association Le 122.

Le 1er de chaque catégorie gagnera un panier gourmand de produits du Gers et le recueil en version papier.

Si les participants souhaitent recevoir un recueil en version numérique et aider l’association « Le 122 » dans son entreprise de « découverte de nouveaux talents littéraires », ils s'adressent par mail à : [email protected] ; un bulletin d’adhésion leur sera envoyé.

À vos claviers, stylos, plumes… Le suspense est entre vos mains !

Les lauréats du concours 2023

- de 18 ans

Gagnant : « En joue », de Matthieu Dosne

Adultes

Gagnante : « Les monstrueux tailleurs de pierres », de Christine Sabolo

En joue

Matthieu Dosne

Ça y est, je l’ai eu. Il est là, par terre, devant moi. Je le tiens en respect avec mon revolver. Il est rapide, j’ai dû tirer plusieurs coups avant de l’avoir. Je l’ai eu au bras gauche. Ça l’a arrêté dans son élan, mais il me regarde salement. Cependant, sa blessure n’est pas mortelle. C’est-à-dire qu’il n’est pas hors d’état de nuire, alors s’il essaye quelque chose, je suis mort. Ça, j’en suis sûr ! S’il tente sa chance, il me tuera, parce que j’ai beau le tenir en joue… J’ai plus de munitions.

Tout ça a commencé ce samedi au crépuscule. Du soleil émanaient les derniers rayons, et la lune apportait un peu de fraîcheur. Une pleine lune, ce soir. Mauvais présage. Mon regard traversait les kilomètres de champs pour admirer le ciel rouge à l’horizon. Le clocher de l’église résonna dans le village, c’était l’heure de fermer boutique.

Il tient son bras avec sa main armée d’un long couteau de chasse. Il l’a déjà utilisé, ce soir. Son regard me perce. Que dois-je faire ? Je regarde furtivement autour de moi, et j’aperçois le téléphone fixe. Je fais un pas en arrière, lentement. Ma main gauche se pose sur la table froide et cherche à tâtons (puisque mon regard est occupé) le combiné. Je compose à l’aveugle le numéro d’urgence. Il ne faut pas que je me déconcentre, sinon c’est la fin. J’attends avec impatience qu’ils décrochent. Mon coeur bat tellement fort, je risque la crise cardiaque. Enfin, la voix de l’opérateur s’échappe du combiné. Je reprends mon souffle, et de mes lèvres sort un « bonjour » maladroit.

...Je rangeais les recettes de ce jour dans le coffre. Je gardais un vieux revolver dedans. Un cinq coups en 38 spécial. Ce n’était probablement pas légal, mais si un problème survenait, je préférais aller en prison qu’être mort. C’était probablement de la paranoïa, d’ailleurs. Je ne risquais sans doute pas grand-chose, ici, à Saint Germé. Ce n’est pas exactement l’épicentre de la criminalité… Enfin, ce n’était plus l’heure de penser à ce genre de choses. Le loquet du coffre se referma silencieusement, et je me dirigeai vers la porte. Une fois dehors, le grand air me caressa le visage. Je retirais la clé de la serrure lorsque j’entendis des cris.

Le combiné trouve enfin sa place au bout d’une recherche aveugle. La brigade de gendarmerie la plus proche sera là bientôt. Combien de minutes ? Combien d’heures ? Tout ce qu’on m’a dit, c’est « bientôt ». Enfin, ils seront là quand ils seront là. Qu’est-ce que je peux y faire ? Attendre. Alors j’attends.

C’est dur d’attendre… Chaque seconde dure une heure. On se plaint que les gens, à l’époque du numérique, ne sont pas assez dans l’instant présent… Mais à ce moment-là j’aimerais être partout sauf dans le présent. Le futur est incertain, il est caché dans un brouillard de mystère. Ma seule lumière dans ce brouillard est le présent. Le futur me ramène au présent, alors, je me réfugie dans le passé. J’essaie, je me remémore les bons moments. Lorsque j’étais enfant, ce billet que j’avais trouvé sur le trottoir… Quelle joie !

Avec cet argent, ma mère m’avait acheté une part de millas, dans la boulangerie au coin de notre rue. Je me rappelle, un beau jour de janvier où il avait neigé. Quelle vue ! Les flocons qui tournoyaient, le sol couvert d’une nappe blanche, la joie qui faisait oublier le froid, le chocolat chaud autour du poêle… Je me souviens de mes premiers amours, de mes amis, de mes fautes, de mes joies et mes peines… Et j’ai mal au coeur. Tout me ramène à ce moment présent. Je ne peux pas me détacher du présent… Mais au final, n’est-ce pas pour le mieux ? Il faut que je reste ici, moi, bien dans mes chaussures. Enfin, à quoi ça me sert ? Je n’ai plus de cartouches ! S’il tente quelque chose, que puis-je faire ? Il fait trois fois ma taille ! Que puis-je faire à part mourir ? … Mon Dieu, qu’ils se grouillent ces gendarmes !

...Les cris provenaient du bâtiment en face. C’était une maison en mauvais état, vide pour la plupart du temps. Je pense que c’était une résidence secondaire pour un citadin, ou quelque chose du genre. L’inquiétude serra mon coeur de sa forte emprise. Ce n’était peut-être rien, mais je préférais être sûr. Peut-être que j’aurai dû fuir, appeler de l’aide, mais je ne savais pas si c’était nécessaire ou non. Et si ce n’était rien ? Alors, je me suis approché discrètement d’une des fenêtres. Mon esprit rechercha mille et une explications rationnelles, et sans doute y en avait-il, mais je n’en trouvais pas à ce moment. Au contraire, je pensais au pire. Si c’était une agression ? Une tentative de vol par effraction qui tourne mal ? Un meurtre ? Ça s’était déjà vu ! Enfin, j’arrivais devant la fenêtre. Aussitôt que mon regard traversa la vitre, je me recroquevillai sur le côté et me couvris les yeux.

C’est étrange. À force d’attendre, je n’ai plus peur. Mon bras se fatigue, le revolver est lourd. Je me suis assis sur un tabouret qu’il y avait tout proche. Mes jambes ne tremblent plus. En quelque sorte, j’ai accepté mon sort : si je meurs, alors je meurs et c’est tant pis. Je m’inquiète plus pour ma mère ; si je meurs, ça lui causera bien des larmes. C’est très étrange, cette sensation. Je ne me préoccupe plus de ma survie, mais de la santé des proches… Enfin, c’est tant mieux. Je préfère ça que d’être au bord du malaise vagal. Pour finir, la mort, ce n’est pas trop grave. Et puis, il faut bien mourir un jour ou l’autre !

Remarque, j’y pense, mais je n’y crois pas, au fond. C’est vrai, il faut mourir un jour ou l’autre. Mais qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? Il y en a plein qui sont morts jeunes : Antoine de Saint Exupéry, Jean Moulin, le juge Michel… Mais on ne se souvient pas d’eux parce qu’ils sont morts. Bien au contraire ! On se souvient d’eux parce qu’ils ont vécu : Saint-Exupéry était un courageux aviateur durant la guerre et un bon écrivain, Jean Moulin était un résistant qui a tenu jusqu’au bout, le juge Michel était un homme de loi qui a lutté contre la mafia et qui en a payé de sa vie. Mais moi ? Moi, si je meurs, on se souviendra de moi pour quoi ? Déjà, se souviendra-t-on de moi ? Si je meurs, jeune comme je le suis, qu’aurais-je accompli dans ma vie ? Pourquoi mes parents ont-ils pris la peine de me mettre au monde, si c’est pour que je vive une vie vide de sens ?

L’inquiétude remonte en moi. Il faut que je me calme, sinon je vais faire un malaise. À l’instant, une image me vient en tête. Hier, je visitais un vieux bâtiment délabré à côté de chez moi. Un lieu poussiéreux, sans vie. Le bois qui pourrit. Sous une table, il y avait un écureuil mort. Son cadavre qui fondait dans le sol, qui se liquéfiait, qui se transformait peu à peu en une tache brunâtre sur le carrelage froid… Voilà l’image qui me vient à ce moment. Alors la peur me saisit. Je me vois mort, en train de fondre sur le tabouret. Une violente et soudaine soif de vivre me fait sauter du siège. Je tremble de partout et je veux reculer, courir, fuir, mais je ne dois pas. Il me rattraperait, je le sais, car il court plus vite que moi. J’ai peur. Mes pensées défilent. Mon Dieu, et s’il savait ? Sait-il ? Sait-il que le revolver est vide ? Non, il ne peut pas savoir ! Comment ? En recomptant les tirs dans sa tête ? Ah ! Mais alors, mais alors il ne pourrait compter que cinq tirs ! Les revolvers sont connus pour en avoir six !

Ah ! Mais le barillet est juste sous son nez ! Il peut compter les chambres ! Non, il ne doit pas savoir. Non, non, il ne peut pas savoir. S’il savait, il m’aurait déjà sauté dessus… Ou peut-être qu’il sait, et qu’il attend ? Mais pourquoi ?

Sait-il ?

...Je ne pense pas pouvoir vous exprimer les émotions qui fusèrent en moi à ce moment. Une scène si abominable, si insensée, qu’immédiatement, je me suis caché les yeux. J’ai détourné le regard. Je ne pouvais plus regarder cette chose abjecte. J’ai failli vomir. À la place, je me suis mis à courir. Courir loin, et vite, car à côté du crime se tenait son auteur. Une grosse bête qui se tenait debout au-dessus de l’atrocité qu’elle avait commise. Mon coeur a bien failli lâcher lorsque mes yeux ont croisé ceux de la bête. J’ai couru comme jamais. Dans ma course, j’entendis un nouveau cri. Celui-là était plus grave, mais inhumain. C’était un cri animal. Je me bouchais les oreilles en courant. J’essayais de me détacher de la situation. Il fallait que j’oublie, au moins pour l’instant, cette vision. L’image restait gravée dans mes yeux comme sur une pierre, mais je n’avais pas le temps. Il fallait que j’appelle à l’aide. Je me mis à crier, mais en vain : les maisons dans ce quartier sont vides, pour la plupart. Certaines sont vacantes, et pour d’autres leurs propriétaires sont en vacances. Enfin, je me débouchais les oreilles, il fallait que j’utilise tous mes sens pour m’en sortir. Arrivé au bout de la rue du H. où j’avais commencé ma course, je tournai à droite dans la route de T. Je connaissais peu cette partie, mais le temps que je me rende compte de mon erreur, puisque tourner à gauche m’aurait été plus familier, c’était déjà trop tard. Alors je naviguais un peu à l’aveugle, dans le noir. Je tournais tantôt à droite, tantôt à gauche. J’essayais de perdre la bête qui me traquait dans cette forêt de maisons. J’étais perdu dans un labyrinthe de béton et de végétation. Au tournant d’une impasse sinueuse, je sautais me fourrer derrière une grosse poubelle dans l’angle d’un mur. L’odeur était horrible, mais je n’y pensais pas. Derrière la poubelle, il y avait deux issues : à gauche et à droite. Je gardais mon regard fixé sur l’issue de gauche, car celle de droite me semblait scellée. Mais j’avais une étrange sensation. Alors, de temps en temps, je lançais mon regard vers la droite. Je maudissais le manque de vie aux alentours : pas une seule âme. Il n’y avait que moi, ce monstre, et plus loin, une vision qu’aucun homme ne devrait voir. J’étais presque aveugle dans ma cachette. J’entendais la bête, qui courait. Son souffle frénétique. Le monstre gueulait, crachait, poussait des grognements et d’autres bruits sourds. Il était proche, mais il ne me voyait pas. Il me cherchait. Il attendait. Je pense qu’il écoutait, pour essayer de m’entendre. Mais sur le moment, j’ai plutôt cru qu’il me sentait, comme un chien. Alors que je luttais contre tous mes instincts qui me criaient de fuir, la rue devint silencieuse. Il n’y avait plus aucuns bruits. Dans le silence, j’entendis une sorte de crissement vers la droite. Alors je me retournai promptement vers le bruit, prêt à bondir aveuglément en arrière. C’était un cafard. J’en fus rassuré. Je me retournai vers la gauche et il était là. La bête me regardait. Immobile, les yeux grands ouverts.

Les secondes passent, je lutte pour ne pas m’évanouir. Mes doigts se resserrent sur le manche du revolver. Je reste immobile, je n’ose pas bouger un muscle. Le sang sur son couteau a déjà séché. Son regard n’a pas bougé d’un cran. Ses yeux lisent dans les miens. Il m’étudie, me jauge. Mon regard n’ose pas croiser le sien. Je fixe son couteau. Si je faiblis, c’est cet objet qui prendra ma vie. Plus tôt, j’avais accepté la mort. J’étais devenu presque serein. Mais maintenant, maintenant… J’y ai pensé et maintenant, je veux vivre. Je vivrais ! Je survivrais, même ! Et je vivrais ma vie comme jamais ! Fini, les soirées solitaires, à regarder le coucher de soleil ! Fini, les week-ends à ne rien faire ! Ah ! Que d’années gaspillées ! Je le jure, devant Dieu s’il le faut, je vivrai !

Il se met à rire. Je tressaillis. Il éclate d’un rire plein et sincère. Quel fou ! Pourquoi rit-il ? Sait-il ? Oh non, ça ne peut être que cela ! Il sait ! Il vient de recompter mes coups ! Il connaît mes cartes ! Il va me sauter dessus, je le sais ! Mon heure est arrivée ! Enfin, il s’arrête. Il en essuie une larme de son oeil, reprenant son souffle. Je me sens déjà partir. Ça y est… Adieu la vie ! Adieu l’amour ! Adieu le…

...Je voulus pousser un cri, mais ma gorge se serra et l’air ne sortit pas. Je voulus courir, mais mon corps était figé. Étrangement, lui non plus, ne bougeait pas. Il me regardait, les yeux toujours grands ouverts, sans aucune expression sur son visage. Je ne saurais dire combien de temps s’est écoulé à ce moment, mais il se mit à pleuvoir. Un orage s’était déclenché. Les froides larmes des nuages qui coulaient sur mon visage me redonnèrent mes sens. Lentement, mon pied recula d’un pas. Puis je m’élançai. Je courus comme jamais ! J’entendais derrière moi les pas de mon agresseur dans les flaques d’eau. Je sentis soudainement le sol quitter mes pieds : j’avais glissé sur la pierre. Ne perdant pas de temps, mon coeur souleva mon corps et je continuai ma course. Au loin, j’aperçus une lueur. Mes yeux se concentrèrent dessus. Plus rien au monde n’existait, rien. Rien à part cette lumière. Cette lumière me sauverait. Elle éclairait la voie. Elle guidait mes pas.

Pourquoi tu ne fais rien ? Pourquoi tu ne me tues pas ? Vas-y ! Ne te fais pas attendre ! …

Mais il ne fait rien. Il me regarde, souriant toujours de son éclat. Je n’y comprends plus rien. S’il sait que je ne suis plus dangereux, alors pourquoi ne m’attaque-t-il pas ? Enfin, il sait que je suis à court, hein ? Il sait ! Sinon pourquoi un rire si sincère ? Enfin, voyons… Qu’est-ce qui fait rire un monstre ? D’ailleurs, comment peut-on rire après ce qu’il s’est passé ce soir ? Rien que la seule image de cette fenêtre, je ne pourrai jamais m’en défaire. Une image écoeurante. Alors pourquoi ? Hormis mon secret, que sait-il que je ne sais pas ? Ah ! Rit-il car il ne se croit pas condamné ? Réfléchit-il du point de vue de la loi ? C’est vrai qu’on a aboli la peine de mort depuis bien longtemps, mais… Ah, mais que sais-je ?

Alors, à ce moment, un bruit résonna dans les rues dehors. … En m’approchant, je compris que la lueur provenait de ma boutique. J’ai dû encore oublier d’éteindre la lumière de l’arrière-boutique. Enfin, je ne m’en plains pas. C’est bien ce qui m’a sauvé. Le revolver dans le coffre me vint à l’esprit. Je sortis le trousseau de ma poche. La porte était fermée à double tour. J’enfonçais la clé dans la serrure, et je la tournai vite. Mais la clé restait bloquée. La bête se rapprochait vite. Je poussai avec force sur la clé, je tournai, je crachai. Diable ! C’était la mauvaise clé ! La bête me sauta dessus au moment où j’éclatais la porte d’un coup de pied. Fort heureusement, la peur me donna la force et la porte fut dégondée. La bête m’avait raté de peu. Je pris une chaise et la confrontai : je n’avais pas le temps d’ouvrir le coffre. Lorsqu’il entra, je brisai la chaise sur sa tête. Il fut projeté au sol. Je m’élançai sur le coffre et le déverrouillai maladroitement. Mes mains tremblaient. Je saisis le revolver et la première cartouche partit aussitôt (j’étais un peu tendu). À ce moment, mes oreilles sonnaient. Le tir m’avait rendu presque sourd. Je me retournai, pensant trouver la bête par terre là où je l’avais laissée. Mais elle n’y était plus. En panique, je regardai autour de moi frénétiquement. Les nerfs à vif. Je crus voir du mouvement vers la fenêtre. Mon revolver détona deux fois. Il n’y avait rien pourtant. Je le sais, maintenant, car la bête était à ma droite. Il courut vers moi, le couteau prêt à l’usage. J’essayai de reculer, mais trop vite et à la place je perdis l’équilibre. En tombant, un coup retentit. Par terre, je me relevai rapidement. C’est alors que je vis la bête étendue devant moi. Une bastos en plein dans le bras ! Mais il se reprit vite. J’armai le revolver et le tins en joue. À ce moment… à ce moment seulement je me suis rendu compte que j’étais à court.

Mon bras est toujours tendu droit devant moi. Mon regard ne bouge pas. Pourtant, c’est fini. Je suis dans la voiture des gendarmes. Ils ont appelé une ambulance pour la bête. Ils sont encore dans la maison. Je n’arrive pas à y croire : je suis vivant. Demain, je verrai le soleil, l’herbe, les fleurs… Mais tout ça, je m’en fiche. Je m’en suis sorti… Mais était-ce grâce à moi ? Ai-je tellement bien feint d’être armé qu’il n’a pas osé, ou savait-il ? Et puis, s’il savait, pourquoi ne m’a-t-il pas tué ? Sûrement, la balle dans son bras ne l’aurait pas gêné autant que ça… Je veux savoir. Non, je dois savoir ! Aurais-je réellement survécu, si ma vie n’est plus qu’une question ? Je sors de la voiture. J’ai du mal à rester debout, mais ma volonté est plus forte que la fatigue. Je me retrouve sur le pas de la porte. Ils sont en train de lui faire les premiers secours. Il est tout de même menotté. Un gendarme me crie de retourner dans la voiture, mais je demeure.

- Tu savais ? Pas vrai que tu savais ? Réponds, sale diable ! M’écriai-je.

Un des gendarmes vint me raccompagner à la voiture. Il m’ordonna de rester dedans et je dus m’y résoudre. L’ambulance arrive, ses lumières éclairent le béton et se reflètent dans les vitres. Je le vois, il sort de la boutique, escorté par les gendarmes. Non, il ne savait pas. Il n’en a pas l’air. C’est mon tour, je me mets à rire comme un dément.

- J’étais à court ! Tu entends, sale chien ? J’avais plus de balles ! Et je ris encore, je suis euphorique.

Il me regarde, droit dans les yeux. Mon éclat s’arrête net. Il sourit.

... Savait-il ?

Matthieu Dosne, lauréat dans la catégorie - de 18 ans, avec sa nouvelle « En joue », pour le concours de nouvelles policières de l'année 2023, a reçu son colis gourmand des Fleurons de Lomagne à Lectoure !

Les monstrueux tailleurs de pierres

Christine Sabolo

Voilà maintenant cinq ans que j’avais suivi mon mari dans sa mutation sur sa terre natale de Gascogne, un poste de policier à Auch, à trente-huit kilomètres d’un village du nom de La Romieu. Passionnée d’histoire, amoureuse de vieilles pierres et affamée de campagne, il ne m’a pas fallu longtemps pour devenir une vraie « romévienne » ! Et pendant que mon cher et tendre s’occupait de petits larcins dans le coin, je découvrais cette ville au double passé, celui de l’imposante collégiale et celui des chats de pierres disséminés un peu partout.

Voilà le cadre est planté mais tout le reste, mon Dieu, comment dire, nous a totalement échappé.

Pour lors je venais de verser nos cafés respectifs dans la fraîcheur d’une belle matinée d’avril, Martin déjà habillé, prêt à prendre la route et moi, le cheveu ébouriffé, en jogging et tee-shirt, sursautant à la sonnerie de son portable placé entre nous deux. Encore dans le sommeil (toujours avant de prendre la première gorgée bienfaitrice), j’ai quand même tendu l’oreille à cet appel inhabituel. À son front soucieux, à son « quoi ? » interrogatif certes mais surtout surpris, j’ai aiguisé mes sens pour reconnaître les mots « victimes » et « église ». Ni une, ni deux, un sourire sur les lèvres, je me suis rapprochée de lui, tartinant sa biscotte avec amour :

- Qu’est-ce qui se passes ?

- Pas le temps de manger. Tu ne le croiras pas, ils ont trouvé un cadavre au pied de la collégiale.

- Ici ?

- C’est le boulanger qui l’a vu. Cédric et le maire sont déjà sur place.

- C’est quelqu’un du coin ?

Il enchaînait les gestes précipités pour attraper sa veste, son portable, ses clefs de voiture et sa dernière gorgée de café.

- M’a rien dit. Je file. À plus tard.

Le lieu du délit se situait juste en bas de la colline, et en sortant sur la terrasse pour finir mon liquide encore chaud, j’apercevais les toits de la bastide médiévale, la collégiale Saint Pierre, cet ensemble de bâtiment massifs qui se regroupaient autour de l’église, protégée de deux tours, attenante au cloître et son jardin fleuri. Quatre portes d’accès autrefois réservées l’une aux chanoines, l’autre au seul cardinal d’Aux, celle de l’arrière pour les religieux qui venaient en pèlerinage et le portail principal qui permet l’entrée dans une grande cour au-devant du parvis de l’église. Si je suis au courant c’est que dès mon arrivée, j’ai assouvi ma soif de savoir devant le monstre qui trône au coeur de la ville. Du coup je sais que seule la porte principale reste ouverte en permanence, le visiteur lambda n’ayant accès qu’à cette cour ombragée, tout le reste demande un ticket de visite pour suivre l’un des deux guides assermentés.

Mais aujourd’hui, tout allait être annulé.

Au bout du chemin qui longeait l’église, un mec s’affairait sur un tas au sol, à deux mètres du mur, une ambulance attendait devant le parvis, et mon homme posait des questions au médecin en blouse blanche et gants de caoutchouc, pendant que je garais mon vélo contre le banc de la placette. Monsieur le Maire m’avait fait signe que je pouvais approcher, deux flics filtrant quand même les badauds qui auraient voulu investir la cour intérieure. Le ventre creusé d’un petit-déjeuner que je n’avais pas pris le temps d’avaler, excitée par la nouvelle, j’avais sauté dans un jeans, enfilé un pull à la hâte, et attrapé mon vélo, électrique, parce que remonter à la maison n’était pas une mince affaire.

Après quelques politesses d’usage, Monsieur le Maire, François pour les intimes, ne cessait de pousser des soupirs. Je me suis rapprochée :

- Tu sais qui c’est ?

Nouveau soupir. Jérémy, le policier d’astreinte, l’avait réveillé dès la découverte du corps, sur les coups de six heures du matin, et il n’avait eu qu’à traverser la grand-place pour s’approcher à distance raisonnable mais suffisamment explicite :

- Non. Juste une forme au sol, désarticulée, défigurée, pas belle à voir, pour autant qu’un mort puisse l’être, mais là…

Son souvenir de ce moment déclencha une moue de répulsion, et il bougea la tête de droite à gauche :

- Il paraît petit, avec de vieilles fringues, comme un clochard sauf qu’on dirait un gosse.

Là, ça s’annonçait mal, et c’était surtout impensable pour un

endroit aussi tranquille que La Romieu, mais bon, la mort n’a que faire des endroits tranquilles.

J’avais reconnu le docteur Cédric Fentin, dépêché pour l’occasion, son regard doux et ses lunettes demi-tarif, juste avant qu’il n’enlève ses gants en latex et fasse signe aux ambulanciers. Mon mari s’est alors reculé pour les laisser travailler et revenir vers nous, quand je dis « nous », le curé de la paroisse venait de nous rejoindre, ne cessant de répéter « quelle histoire » en se passant la main sur le visage.

- Alors ?

Martin a d’abord posé les yeux sur moi, qui, regard implorant, soutenait l’abbé, dont les soixante-quinze ans n’allaient peut-être pas résister à cette horrible aventure.

- J’en saurais plus dans deux heures. Le toubib penche pour un enfant, à première vue cassé de partout, ce qui ferait penser à une chute. Pas d’autres causes de décès.

- Oh, mon Dieu !

Trois fois la même phrase, en écho, parce que nous avions eu tous les trois la même réaction. Cependant, je fus la seule à lever la tête vers la tour octogonale collée à l’église, comme un pilier au premier bâtiment.

- De là-haut ?

- L’enquête le dira.

Une phrase brève, rapide, et un regard sombre pour me signifier que je n’avais rien à faire ici. Mais j’ai survolé ce regard, et fait reculer le curé pour l’aider à s’asseoir sur le banc, idée que le Maire a aussitôt récupéré à son compte. Non loin de nous, la civière emmenait le pauvre corps vers un labo froid et marbré, où le légiste du département allait oeuvrer sur son cas.

Et voilà, La Romieu, pas loin de 700 âmes, l’un des plus beaux villages de France, arrêt incontournable sur les chemins de Compostelle, dominé par sa Collégiale classée au patrimoine de l’Unesco, connu pour être aussi le « village des chats », devenait en quelques secondes matinales, le lieu d’un triste fait divers.

Un quart d’heure plus tard, nous étions attablés dans la petite sacristie, où Mathilda nous préparait un bon café tout en sortant quelques madeleines confectionnées la veille pour son pauvre curé, qu’elle couvait d’un regard attendri.

- Quelle histoire tout de même.

Monsieur le Maire avait tiré trois chaises pour que l’on s’installe et jetait de temps en temps un oeil à la façade du drame, au pied de laquelle un cordon avait été tiré. Les hommes en blancs n’allaient pas tarder à arriver avec leur mallette de recherche pour inspecter tout le secteur que mon homme avait fait sécuriser. Il avala la dernière gorgée de son café, et repoussa sa tasse sur la toile cirée :

- Bon, je vais à la Mairie, il faut que je passe des coups de fil, prévenir le syndicat d’initiative, les deux guides pour…

Je vais prévenir Freddy, c’est lui qui bosse cette semaine. Je vais rentrer aussi et comme je passe devant chez lui…

Freddy, c’était un copain d’école, un ami, un guide touristique et presque un frère pour moi. Il habitait le rez-de-jardin d’une maison au bas de cette fichue montée que je devais emprunter pour rentrer chez moi, alors j’ai acheté des croissants sur la place, et je me suis fait presque une joie (enfin « presque » vu les circonstances) d’aller toquer à sa porte.

- Quoi ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

La mèche rebelle, l’oeil endormi, en short et débardeur, il plissait les yeux en me regardant mettre sa cafetière en route.

- Tu vas bosser ce matin ? Donc tu as les clefs des visites ?

Un énorme trousseau qu’il prenait au syndicat pour ne pas avoir à repasser par les bureaux quand il travaillait.

- Oui à tout. Pourquoi ?

- Alors habille-toi vite, Martin va t’appeler pour ouvrir la grande tour.

La sonnerie est arrivée à la deuxième bouchée du croissant, et cinq minutes plus tard, je revenais avec lui dans l’enceinte de la cour, pour retrouver mon mari à la porte latérale, celle qui accédait aux 33 mètres de la tour par ses 168 marches.

- Ah non, chérie. C’est une enquête, tu ne montes pas avec nous.

Femme de policier depuis dix ans, je connaissais les trucs, et là, j’avais prévu le coup et donné rendez-vous à Freddy au café-restaurant des platanes sur la place, histoire de manger enfin un croissant avec mon troisième café, crème cette fois-ci. Quand il est arrivé un quart d’heure plus tard, son sourire triste a devancé toute conversation :

- J’ai vu la… la tache en bas. L’endroit de…

Il s’était assis à mes côtés, et j’ai cru bon de passer ma main dans son dos :

- Je sais. Qu’est-ce que Martin t’a dit ?

- Je les ai juste guidés jusqu’au sommet. Ils ont mis leur ruban, il m’a dit « le temps d’analyser le parapet et le sol ».

- Scène de crime.

- Quoi ? Tu crois que… ?

- C’est la procédure : ils bloquent les lieux pour que personne ne salisse l’endroit « au cas où ».

- Oui, mais là ?

J’ai haussé les épaules, et éviter de parler le temps qu’il avale son expresso, le front soucieux. Mon regard s’est de nouveau porté vers cette haute tour que je connaissais par coeur, ses marches usées par le temps, la porte en bois avant la dernière volée de marches, en bois elles aussi, avant d’arriver à un belvédère ajouré offrant une vue magnifique sur les environs. On visualisait le toit de l’église dans le prolongement, et sur la droite une vue plongeante sur l’intérieur du cloître et ses jardins, avec du côté de la face nord, l’autre tour, en pierre de taille elle aussi. Au fil du temps, les éléments de la collégiale avaient été transformés en musée, salles d’expos, et quelques bureaux pour gérer tout cela. La dernière partie du bâtiment sud, la plus éloignée des touristes, comportait une dizaine de cellules où des religieux pouvaient venir en pèlerinage quelques semaines dans l‘année.

- À part toi, enfin… le syndicat d’initiative, qui possède les clefs ?

- Il y a un double de l’église au presbytère, et un autre jeu complet à la mairie.

Il a regardé lui aussi les lieux du drame en levant la tête au-dessus des marronniers, et je crois que c’est là que son visage a changé d’expression, quelque chose d’infime mais de différent. Son regard insistait, alors que ses sourcils se fronçaient, accompagnée d’un léger redressement de son buste. J’ai bien jeté un oeil aussi, mais sans rien voir d’anormal :

- Qu’est-ce qui t’intrigue ?

- Il n’y a pas…

Il s’est levé sans quitter la tour des yeux, comme si gagner quelques centimètres lui permettait de mieux voir :

Non, c’est pas possible…

C’était plus un murmure de réflexion intérieur qu’une vraie constatation.

- Dis-moi ?

- Il… Il manque une gargouille.

C’est à partir de cette phrase que le délire a commencé. Enfin… celui que j’ai provoqué.

J’ai utilisé l’heure suivante pour me faire confirmer, photos à l’appui, qu’il manquait effectivement une gargouille de petite taille sur l’une des faces de la tour, juste avant le surplomb du dernier étage, au-dessus du marquage au sol de ce corps tombé. L’avait-il tapé au passage, cassant la pierre usée pour l’entraîner dans sa chute ? Squattant la photocopieuse du syndicat d’initiative, avec l’accord de Freddy, j’ai récupéré des photos en gros plan, des quatre gargouilles que comportait la tour, avant d’aller faire quelques clichés en zoom de « l’absente » avec mon portable.

Et pendant que c’était l‘effervescence à la mairie et dans les hautes instances de la ville, chacun se posant des questions, du « comment » au « qui » , je suis retournée m’installer sur ma terrasse dominant la ville, ordinateur posé sur la table de jardin, à l’ombre de mon catalpa, pour intégrer tout cela dans mon ordi. En toute enquêtrice, amateur certes, qui se respecte, j’ai aussi envoyé l’info et la copie des photos de la gargouille incriminée à mon cher mari, stipulant dans l’objet de l’envoi « Mon petit plus pour ton enquête » accompagné d’un smiley tout sourire.

Une orangeade bien fraîche, mon chat repoussé sur la table à une distance raisonnable parce que, trop près, j’avais déjà ramassé trois fois mes feuilles sur les dalles de la terrasse, j’ai exigé de mon ordi une tonne de réponses, sûrement beaucoup plus facile qu’un prévenu en salle d’interrogatoire. Il a tout craché sans aucune menace.

Tout d’abord ces gargouilles, des statues censées repousser le mal et servir de gardiennes à l’édifice, avaient été installées vers l’an 1315, durant la construction rapide de cet édifice par le cardinal d’Auch qui avait racheté le prieuré à des moines. Ceux-ci s’occupaient de deux hôpitaux crées par des pèlerins allemands qui voulurent bâtirent un sanctuaire sur des terres abandonnées. Oui bon, je suis remontée assez loin dans l’historique, mais de fil en aiguille, on se laisse facilement entraîner, et j’ai appris que l’un des hôpitaux était psychiatrique, ce qui, à cette lointaine époque, n’avait pas la même signification qu’aujourd’hui.

J’en étais là de mes recherches, quand la sonnerie de mon portable m’a fait sursauter. Martin avait reçu mon message :

- C’est quoi cette histoire ?

- C’est Freddy qui s’en est rendu compte. Il faudrait peut-être que tu…

- J’ai envoyé une équipe mais ça ne colle pas ! Aucun débris par terre autour du corps.

- Merde. Ça t’aurait confirmé la chute. On sait qui c’est ?

Oui la question était vague, et le « on », c’était lui, mais nous avions l’habitude de ces échanges, notre couple était fusionnel, et on réfléchit toujours mieux à deux, dans l’échange et le partage.

- Seules les empreintes vont pouvoir nous aider. Pas de disparition et puis…

Je l’imaginais, assis à son bureau, le fauteuil pivotant tourné vers sa haute fenêtre donnant sur les berges de l’Auch, affluent plein de charme de la Garonne.

-… il s’agit bien d’un enfant, plutôt chétif, et sujet à diverses malformations. Debout il devait mesurer moins d’un mètre, bossu, sûrement, une jambe plus courte que l’autre et une déformation de l’os maxillaire qui devait tirer son visage vers le bas.

- À La Romieu ? Il ne serait pas passé inaperçu.

- C’est bien là le problème. D’autant que le toubib a appelé différents confrères du coin, ainsi que les hôpitaux, pas l’ombre d’une trace de ce gamin.

Et il fallait attendre au moins le lendemain pour avoir la réponse d’une partie des empreintes collectées !

Je remerciais mon époux, non sans lui signaler que je l’attendrais pour dîner d’une énorme salade composée, murmurant un « bisou » rapide pour vite me replonger dans l’historique de cette chère collégiale, seule témoin de ce drame.

Tous les édifices avec donc été construits entre 1312 et 1318, autour du cloître, en gardant les deux espèces de manoirs qui avaient fait office d’hôpitaux. Une foule de bénévoles, voulant bâtir une oeuvre de Dieu, s’était portée volontaire ainsi que quelques artisans travaillant la pierre, tous sous les directives d’un architecte du diocèse. Il fut décidé que l’église monumentale serait « surveillée » par deux tours, le clocher ou tour carrée renfermant un impressionnant escalier en double hélice, et celle du délit, l’octogonale, bâtie par des « moines bâtisseurs » appartenant à une confrérie théurgique. Trois ans après la fin du chantier monumentale, ces moines furent condamnés pour sorcellerie, l’ordre dissolu, et on retrouva un laboratoire plutôt curieux dans le sous-sol de l’ancien hôpital qu’ils avaient investi, et qui n’était autre, je vous le donne en mille, que l’ancien institut dit « psychiatrique », entendez par là un mouroir pour dégénérés et autres créatures abandonnées de Dieu.

Je me suis reculée sur ma chaise, étendant mes jambes en soupirant, caressant d’un geste le poil soyeux de Princesse. Face à moi sur l’écran de l’ordi, des photos de pauvres malheureux enfermés à jamais dans ces endroits retirés généralement de toute civilisation. Des êtres difformes, aux allures de… eh bien OUI, de gargouilles ! Stop ! Enfant, petite taille, malformation, gargouille même si tous ces éléments semblaient aller ensemble, il était ridicule de faire un paradoxe de toutes ces infos.

Pourquoi ai-je quand même continué à me plonger dans les méandres de la sorcellerie de Gascogne ? Pourquoi ai-je approfondi la vie de ces fameux moines, installés dans l’aile ouest de la collégiale, occupée par ces enfants sans famille ou rejetés par la leur, moines qui furent finalement accusés d’actes sataniques pratiqués au nom de l’église. Il me fallut une heure de plus, et une citronnade bien fraîche, avant de tomber sur le site d’un historien renommé, dont l’ouvrage consacrait un chapitre entier sur « les Monstrueux Tailleurs de pierres ». Cinq moines encapuchonnés, dont un scientifique, qui pratiquaient des messes noires, soupçonnés de changer en pierre les offrandes dites « vivantes » à leur maître pour qu’elles soient éternelles. Pratique commencée avant la construction des tours… Ajoutons à cela les disparitions inexpliquées de l’orphelinat/hôpital, j’étais à quelque pas seulement des gargouilles réalisées spécialement pour la tour construite par les cinq moines. La tour et ses quatre gargouilles ? Se pourrait-il qu’ils aient réussi à changer en pierres des êtres abandonnés de tous ?

Pouvais-je décemment faire un tel rapprochement ? Il y avait des trous dans mes recherches, que je comblais d’une imagination débordante, sauf que… le temps semblait n’apporter aucune réponse aux questions. Qui était cet enfant inconnu dont les empreintes ne révélèrent rien. Pas de tests ADN concluant, pas de passage au dentiste, pas de fichier de disparition ! L’analyse des restes de vêtements était incompréhensible, du tissu se rapprochant de la toile de jute, usé jusqu’à la corde. Tout cela allait être approfondi mais l‘explication ne remontait-elle pas à la pauvreté du Moyen Âge ? Regards noirs de mon mari, haussements d’épaules et rejet total.

Pourtant il a pataugé plus d’un mois dans un trou noir, perdant l’appétit et s’attirant les foudres des autorités, pourtant moins compétentes que lui. Un foutu mois d’avril et… trois cadavres de plus ! Un trou noir qui se remplissait inexplicablement, une tour cernée de barricades et de cônes, interdite à tous, objet d’interrogations et de frissons, attirant les journalistes de la France entière.

Durant ce laps de temps, mon dossier ramené de la profondeur des siècles passés, s’étoffait d’informations glanées çà et là, jusqu’à la bibliothèque du comté. Un dossier massif qui prenait fin avec la condamnation de quatre moines, reconnus coupables devant une cour d’ecclésiastiques et condamnés au bûcher comme tous les sorciers de l’époque. Le premier d’entre eux, le « scientifique », fut brûlé en place publique un 8 avril 1373 soit 650 ans jour pour jour, avant le premier cadavre de la collégiale. Un tel dossier ne pouvait pas être pris en compte, je l’ai compris en voyant la réaction de mon mari, le soir où j’ai posé ces feuilles devant lui sur la table du jardin. J’ai massé ses épaules pendant qu’il compulsait mon travail, avant de sentir ses muscles se raidir :

- Tu déconnes ? Qu’est-ce que tu veux prouver avec ça ?

Rien. J’apportais des faits, rien que des faits, qui prirent de l’ampleur avec le deuxième cadavre, trouvé au petit matin une semaine après le premier, sur le parvis de l’église en même temps que la disparition d’une autre gargouille. Et si je me référais au passé, la statue de pierre était tombée le jour de la condamnation du deuxième moine, car il avait été décidé de les exécuter, chaque semaine d’avril.

Quatre moines, quatre gargouilles. Les deux qui donnaient sur la cour intérieure du cloître, disparurent les deux dernières semaines du mois, laissant à la police d’aujourd’hui les cadavres de pauvres gosses qui furent trouvés dans les jardins du cloître. Et pourtant mon mari n’a jamais voulu remonter mes recherches au plus haut, même si au fil des jours et des mystères de La Romieu, son esprit commençait à flancher. Il était inconcevable d’apporter de telles réponses !

- D’ailleurs, m’a-t-il souligné un soir, tu cites cinq moines, et il y a quatre gargouilles. Ta théorie en prend un coup, non ?

Pas sûr ! Le père Délukas, le cinquième des frères gascons, a réussi à fuir, jeune recrue au sein de la confrérie, voué seulement aux tâches les plus basses, il a disparu du jour au lendemain. Mais ces recherches-là, je ne les ai pas soumises à mon époux, lui laissant le dernier mot qui lui permettait de fragiliser mes recherches, voire de les annuler.

La vie continua donc à s’écouler, dans cette petite ville à la douceur de vivre, étouffant cette affaire qui dépassait l’entendement, rouvrant dès l’année suivante, la belle collégiale aux touristes, les guides ayant rayé le mot « gargouilles » de leur discours, ainsi que les cartes postales les représentants. Il faisait de nouveau bon vivre au gré des ruelles surveillées par les chats d’Angeline, qui sauva la région de la famine en 1345.

Pour en revenir à la dernière feuille de mon épais dossier, elle retraçait la fuite du cinquième jeune moine, banni de la confrérie quelques semaines avant leur arrestation, pour avoir fauté avec une fille du coin. A-t-il alors fait cavalier seul, sans entrer dans les livres d’histoire, fuyant la peur au ventre mais le coeur en fête avec, sous le bras, un vieux livre de sorcellerie enveloppé dans une couverture ? Faut-il ajouter que sa bien-aimée se prénommait Angeline, et qu’ils vécurent heureux avec leurs cinq garçons ?

Que le grimoire relié de cuir des moines bâtisseurs n’a jamais été retrouvé.

Que quelques années après ce drame, on retrouva deux cadavres de chats dans les ruelles de la ville ? Alors que deux statues des félins de pierre manquaient à l’appel ?

Mais cela fera sans doute l’objet d’un autre dossier…

Christine Sabolo, lauréate dans la catégorie adultes, avec sa nouvelle « Les monstrueux tailleurs de pierres », pour le concours de nouvelles policières de l'année 2023, a reçu son colis gourmand des Fleurons de Lomagne à Lectoure !

Le mystère de la cabane du fleuve

Philippe Botella

Sur les bords de l'Adou – l'Adour, en bon français –, en ce Gers où elle a encore sa tenue de jeune fille et où l'on peut parler d'elle au féminin, comme pour toute rivière qui se respecte, avant que de devenir fleuve et se parer d'attributs masculins, entre Bernède et Barcelonne, s'est déroulée une bien singulière histoire.

La Cabane du Fleuve, table réputée et étoilée qui, depuis sa récente création, n'avait jamais désempli et où il était même difficile de réserver tant les places y étaient courues, la Cabane du Fleuve donc, fut, quasiment du jour au lendemain, désertée. Il faut dire que la série de décès, plus ou moins étranges et la disparition dont se fit largement écho la presse locale et nationale n'y étaient pas pour rien.

Tout avait commencé un mardi matin, lorsque le gérant, normalement le premier arrivé, trouva en son bureau le cadavre encore tout chaud de la femme de ménage qui était censée avoir quitté les lieux une petite heure avant.

Pas de sang, pas de trace de choc sur le visage, une expression sereine, aurait-elle péri de « belle mort » ? L'autopsie confirma : « En fonction des connaissances actuelles, Mademoiselle Claire Cabrera est décédée, en sa trente-troisième année, de mort naturelle. » Affaire classée.

Trois jours après, sa remplaçante, Honorée Lafleur chuta dans le jardin et se fracassa le crâne contre la margelle du puits. L'autopsie constata une toute récente entorse de la cheville, laquelle pouvait suffire à expliquer la chute. On découvrit d'ailleurs un petit dénivelé récemment creusé par un lapin. Affaire classée. Le gérant de l'établissement, comme tout le personnel, fut cependant interrogé par les forces de l'ordre. Aucune mésentente au niveau du personnel et de sa hiérarchie ne fut avancée.

Le lendemain des auditions, le jeune plongeur ne se présenta pas. Son téléphone portable renvoyait systématiquement sur la messagerie. Le lendemain, inquiet, le chef se rendit à sa chambre qui se trouvait, comme toutes celles du « petit personnel » dans les combles. Il ne l'y trouva pas. Toutes ses affaires étaient pourtant là, et notamment son sac banane avec ses papiers, une somme de trente-deux euros et son portable, désormais déchargé. Les recherches engagées par la gendarmerie, les pompiers, et les habitants locaux ne permirent pas de le retrouver. C'est alors que le premier article de presse fut offert en pâture à tous les lecteurs régionaux.

Plus aucune réservation ne fut depuis enregistrée, et celles jusqu'alors inscrites, soit furent annulées, soit firent défaut sans mot dire. Le gérant fut bientôt retrouvé pendu dans le local qui sert de séchoir à jambons. On crut alors que, la coupe étant pleine, le cauchemar était terminé. C'était sans compter les caprices du destin et du fleuve. Un mois après, un terrible orage digne d'une tempête tropicale engendra la plus grande crue jamais enregistrée sur le fleuve et celui-ci se mua en un terrible et immense torrent furieux, emportant tout sur son passage. La Cabane du Fleuve, qui malgré son appellation, était une solide bâtisse construite en dures pierres locales fut balayée comme un fétu de paille.

Lorsque l'eau se retira, on découvrit à son emplacement un gros amas de racines enchevêtrées qui, photographiées par un drone à la verticale laissaient deviner le mot « Vengeance ». Fut-ce le fruit du hasard ou de l'imagination ? Le lendemain de la prise de vue, les racines semblaient s'être déplacées et le drone révélait le mot « Malheur ».

Cela relançait toute cette terrible affaire. Les indices étaient minimes, voire inexistants, mais les faits étaient là. Si les victimes semblaient l'être, tous ces récents drames n'étaient pas, eux, innocents. Mais qui pouvait vouloir ainsi se venger ? Et de quoi ? On rechercha les clients, les fournisseurs, les anciens employés, les voisins, tout le monde fut interrogé, mais aucune piste n'en ressortit. Il fut alors décidé de fouiller dans le passé, car la cabane, du moins sa partie originelle, ne datait pas d'hier.

En 1796, le fleuve, qui n'avait pas encore été légèrement détourné, passait, non pas à trente mètres de la bâtisse, mais en plein sur ce qui allait devenir la salle de restaurant. Et tout juste à côté se trouvait une masure où logeait un curieux personnage, très pauvre, que tous cependant redoutaient car on prétendait qu'il était sorcier. Mais s'il l'avait vraiment été, aurait-il été si pauvre ? Et les sorciers ont-ils réellement existé ailleurs que dans les imaginations ? En ce temps-là et malgré le siècle des Lumières, le peuple était majoritairement constitué d'êtres peu instruits, aux croyances encore envahies de superstitions que l'Église, malgré ses efforts pour les détruire, avait renforcées et l'obscurantisme régnait. Parmi les fondations que la crue avait mises à nu, on trouva une étrange pierre, en forme de triangle, gravée d'une formule cabalistique. Plusieurs clichés en furent tirés et on les adressa à diverses universités en Europe, aux Amériques, Afrique et Asie, sans évoquer le moins du monde les événements qui s'étaient produits.

Et le verdict tomba : toutes, à une exception près, alertaient sur le fait que les inscriptions étaient une requête aux forces naturelles, telluriques, souterraines, aériennes et aquatiques, de ne pas laisser impunie la dépossession par de viles manoeuvres du propriétaire de ces lieux. Cette requête était doublée d'une autre demande : « Qu'il en soit ainsi, mais au dernier vivant de ma lignée. » La prière était signée de Clarius Cabrero. Afin de ne pas effrayer la population, rien ne fut divulgué. J'étais, en ce temps-là, le médecin légiste qui a autopsié les victimes et je peux à nouveau confirmer le résultat de mes autopsies. Il n'y a eu aucun meurtre. Par ailleurs, on n'a, hélas, également jamais pu retrouver le jeune plongeur, dont on doute qu'il se soit enfui, puisque toutes ses affaires étaient restées dans sa chambre. Désormais, l'emplacement est redevenu sauvage. Parfois, par les nuits de grand vent, on croirait entendre des bêlements de chèvre. Mais il doit s'agir d'un mirage auditif car aucun chevrier et aucun troupeau ne s'y trouvent.

Le romancier

Silvio Catanoso

C’était sa dernière chance. La toute dernière. Désormais, plus aucun éditeur ne lui ferait confiance. Il n’avait jamais terminé son dernier livre. Celui d’avant n’avait pas trouvé son public. Les précédents non plus. Il avait eu un certain succès avec le premier mais c'était tout. À l’époque, sa maison d’édition ne tarissait pas d’éloge sur lui. Il avait du talent mais ensuite, il avait déçu tout le monde.

C’était de sa faute. Il s’était enflammé. Au lieu de travailler comme il aurait dû, comme il l’avait fait pour son premier roman, il les avait bâclés. Expédiés en un rien de temps, ses textes manquaient de consistances. Le lecteur ne s’y retrouvait plus. Mal écrits, des phrases trop longues, des personnages sans saveur, des descriptions à n’en plus finir. Son éditeur avait perdu de l’argent, il ne croyait plus du tout en lui.

Il s’était discrètement tourné vers d’autres maisons d’édition mais celles-ci l’avaient rejeté. Il avait pris rendez-vous avec son agent pour qu’il intercède une dernière fois auprès du nouveau dirigeant. Oui, les années étaient passées. Il avait pu vivre quelque temps de sa plume. Il en avait profité mais ces jours étaient révolus. Il était couvert de dettes. Il ne devait pas se louper. Il n’en avait plus les moyens. Il s’approcha de sa table de travail. Il était prêt et cette fois on allait voir ce que l’on allait voir !

Il s’assit sur sa chaise fétiche. Son bureau était bien rangé. Il plaça une feuille dans sa machine à écrire et respira à fond.

Il écrivit le début de la première phrase : Le soleil se lève…

Le soleil se lève mais sur quoi ? Il n’en savait rien. Il devait écrire, ça, c’était une certitude mais il n’y avait pas vraiment réfléchi. La peur de la page blanche l'angoissait constamment depuis qu'il devait absolument trouver une solution à son problème. Il respira un grand coup, fit quelques mouvements d'épaule et tenta de se concentrer un maximum.

- Il faut que je trouve quelque chose de vraiment original. Quelque chose qui n’aurait jamais été abordé. Quelque chose de complètement nouveau. L’histoire d’un homme solitaire, qui n’a peur de rien et que tout le monde craint. Oui, c’est ça, un dur, un… cow-boy. Un cow-boy solitaire. OK, je me lance.

– Le soleil se lève sur le désert de Sonora.

– Ouais !... ça démarre fort !

Il se lève et fait quelques pas dans la pièce. Un cri lui parvient au loin. Les parois de son appartement sont minces. On entend tous les voisins.

– Il faut que je me dépêche, je suis en retard !

Une autre voix se fait entendre :

– Laissez-moi tranquille ! Allez-vous faire pendre.

Tous les matins, c’était la même rengaine. Dès qu’il aurait un peu plus d’argent il quitterait ces lieux et irait s’installer dans un endroit plus calme. Il se penche sur sa machine à écrire et se concentre à nouveau. En quelques secondes tous les bruits parasites disparaissent. Comme son héros, il est maintenant seul au monde.

– Bon, là je tiens quelque chose. Maintenant, il faut que j’accroche mon public. Il faut que je l’impressionne.

Avant d’en écrire plus, il se met à penser tout haut.

– Alors c’est un cow-boy solitaire qui, tout le long du livre, ne rencontrerait personne…

Un vrai solitaire. Les premières pages seraient consacrées à sa traversée du désert. Pendant des jours, il avancerait sous un soleil brûlant. Sa monture le mènerait en se traînant. Tous les deux ne faisant qu’un dans ce monde inhospitalier.

Comme c’est un vrai solitaire, même les animaux le fuiraient. Il verrait bien de temps en temps un coyote, un aigle ou une gerboise mais de trop loin pour rompre sa solitude.

Depuis deux jours, lui et sa monture n’ont pas bu. Ils n’en souffrent même pas. De vrais durs, l’un comme l’autre. Oui, le cheval d’un cow-boy solitaire est aussi un dur.

La nuit, ils s’arrêtent, parce que dans le désert il n’y a aucune lumière. Le cow-boy solitaire allume un feu avec des brindilles. Il mange des haricots en conserve. Il ouvre la boîte avec son couteau. Les cow-boys font toujours ça. Son cheval, attaché à une vieille souche, se contente d’herbes sèches. Après le repas, qui se termine toujours par un café, le cow-boy joue de l’harmonica. Tous les cow-boys savent jouer de cet instrument, tous. Ensuite, il s’allonge sur le dos, rabat son chapeau et s’endort dans l’instant, sans même une couverture pour se protéger du froid.

– Ouais, c’est un bon début, un très bon début. La tête de mon éditeur quand il va lire ces premières lignes. Il va décrocher le téléphone et il va m’appeler pour me demander comment j’ai eu une telle inspiration. Moi, je ferai le modeste :

– Oh, tu sais… il me suffit de m’enfermer dans mon bureau quelques jours et quelques nuits d’affilée et le tour est joué. Il n’y a rien de bien sorcier.

– Bon, maintenant que mon public est accroché, il faut du suspens. Voyons… oui, je l’ai.