Recueil de nouvelles 2022 - Association Le 122 - E-Book

Recueil de nouvelles 2022 E-Book

Association "Le 122"

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Beschreibung

L'association lectouroise "Le 122" lance son concours de nouvelles policières en langue française dont le cadre est le département du Gers. Le texte doit compter entre trois et neuf pages. Sujet libre : un crime, un délit, un méfait, une infraction, une vengeance, une tromperie, une fraude, un complot... Genre libre : énigme, mystère, texte noir, contemporain ou historique. Ce concours est gratuit et s'adresse à tous. Les participants concourent en deux catégories : jeunes : moins de 18 ans adultes : plus de 18 ans Ils ont jusqu'au 30 juillet 2023 pour envoyer leur nouvelle par mail à [email protected] Les nouvelles ne doivent pas avoir déjà été éditées ou faire l'objet d'un autre concours en cours. Les nouvelles doivent se passer dans le Gers, et avoir une longueur de 3 à 9 pages ; si ces consignes ne sont pas appliquées, la nouvelle ne sera pas prise en compte. Toutes les nouvelles sélectionnées par le comité de lecture seront éditées dans le recueil de nouvelles 2023. Les résultats seront annoncés par voie de presse et sur la page Facebook du salon polars et histoires de police (www.facebook.com/salondupolarethistoiresdepolice) organisé par l'association Le 122. Le 1er de chaque catégorie gagnera un panier gourmand de produits du Gers et le recueil en version papier. Si les participants souhaitent receboir un recueil en version numérique et aider l'association "Le 122" dans son entreprise de "découverte de nouveaux talents littéraires", ils s'adressent par mail à : [email protected] ; un bulletin d'adhésion leur sera envoyé. À vos claviers, stylos, plumes... Le suspense est entre vos mains !

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Veröffentlichungsjahr: 2022

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Ähnliche


Sommaire

Préface de Ronny Guardia Mazzoleni, maire de Fleurance

Préface de Xavier Ballenghien, maire de Lectoure

Règlement du concours 2023 et lauréat du concours 2022

Meurtre à la Collégiale, par Hannah Gayrin-Zabe

Du sang sur la rapière, par Cécile Beraudy

Demain, dès l’aube…, par Nicolas Castellan-Dufossé

La Métairie, par Michèle (Mimi) Joly

Le Grîîîne, par Philippe Botella

Tot solet, no pot Aux ! Tot solet, pot Andreu !, par Patrick Chereau

Meurtre pour une palombière, par Gilles Dréanic

Engrenages, par Céline Servat

Série rouge à Samatan, par Sarita Méndez

La fête des voisins, Bernard Mollet

Murder planner, par Fabienne Cravero-Aujames

Les yeux vairons, par Jean Marie Calvet

Black-out Fleurance, par Cécile Houel

Gaston, par Bernard Marsigny

Deux corbeaux pour un poulet, par Nicolas Pellolio

Si j’avais un conseil à vous donner…, par Daniel Raymond

Le capitaine Marchand, par Jean Ader

Chapeau melon et godillots, par Jean Claude Mondange

Non !, par Sébastien Verdier

Vous n’en mangerez pas !, par Bernard Monsigny

L’affaire du musée, par Jean-Michel Beraudy

Les Collectionneurs, par Anna Ceccato

L’affaire Claveran, par Olivier R.

Le noyé de Thoux-Saint-Cricq, par J.-Marc Sereni

L’éleveur à la flûte, par Sylvain Chardaire

La fausse recette de l’amour, par L. Gagnaire

Meurtre à Riscle, par Anne Calvoz

23 ¾ Carats, par Christophe Doncker

Nuit profonde, par Pierre Léoutre

Un meurtre inexpliqué (Nouvelle à coloration policière), par Hario Masarotti

Préface

Après des Journées Européennes du Patrimoine 2022 riches en informations, voire suspens quant à la date exacte de fondation de notre bastide, c'est au cœur de celle-ci que Fleurance accueille une nouvelle fois l'édition du salon du polar.

Pour cela, je tiens à remercier l'association Le 122 qui sait infuser la culture sur notre bassin de vie sous diverses formes. Et avec un talent certain enraciner le polar dans notre ville.

À n'en pas douter, ce style d'écriture a longtemps pâti de dédain des critiques littéraires, le considérant comme une lecture au rabais, un livre de second rang.

Pourtant cet exercice magnifié par Agatha Christie, Georges Simenon ou plus récemment Dan Brown nécessite imagination, inventivité et parfois même une connaissance scientifique des méthodes d'investigation actuelles.

Vous pourrez ainsi en cheminant sous les arcades du cœur de ville découvrir le talent d'écrivains passionnés par l'intrigue, les rebondissements et autres aspects troublants. Tous sont issus des territoires voisins voire sont des auteurs locaux.

Et c'est là un encouragement précieux, un signe d'attractivité et de vitalité pour nos régions rurales. La qualité de vie y est incontestable, la création y est sans nul doute favorisée comme le goût de l'enquête qui est bien présent aussi chez nos jeunes fleurantins. Pour exemple les jeunes sont de plus en plus nombreux à venir démêler les énigmes des escape games conçus et proposés par l'équipe de la médiathèque de notre cité.

C’est ainsi que nous agissons pour développer la culture à Fleurance tout au long de l’année au travers des spectacles, des expositions y compris avec des manifestations telles que le salon du polar afin que nos concitoyens puissent échanger en direct avec les artistes, les acteurs culturels car c’est du dialogue que jailli la lumière et bien souvent la résolution de l’énigme !

Ronny GUARDIA MAZZOLENI Maire de Fleurance

Préface

L’année 2022 est à marquer d’une pierre blanche. La ville de Lectoure a décidé de renouer avec un salon du Polar. La pandémie covidienne avait en effet interdit ce rendez-vous annuel, qui persistait depuis plus de 10 ans. C’est donc avec grand plaisir que j’ai accepté de préfacer le recueil de nouvelles policières publié à cette occasion.

Genre littéraire adapté à notre vie moderne, le polar nous conte ce que la vie humaine a de plus banal, de plus ordinaire et de plus sordide parfois. Il met en lumière la vie quotidienne des policiers, des enquêteurs et de tous ceux qui travaillent à découvrir la vérité, à identifier les coupables et à établir les faits. Pour expliquer, pour comprendre et pour permettre que justice soit rendue. Merci à eux.

Au-delà des intrigues policières magnifiquement orchestrées par les différents auteurs, les nouvelles rassemblées dans cet ouvrage décrivent avec simplicité le monde rural du Gers, ses lieux-dits, ses coutumes, son rythme, ses traditions, son patrimoine, ses paysages et son mode de vie. Elles décrivent ce que les meilleurs livres d’histoire ne vous feront jamais ressentir : comment s’organisent les rapports humains dans notre société occitane campagnarde au XXIe siècle.

Je félicite l’association « Le 122 » et plus particulièrement son président, Pierre Léoutre pour cette belle initiative. Ce recueil est une réussite, j’espère qu’il rencontrera le succès.

Je vous souhaite une bonne Lecture.

Xavier Ballenghien Maire de Lectoure

L’association lectouroise « Le 122 » lance son concours de nouvelles policières en langue française dont le cadre est le département du Gers.

Le texte doit compter entre trois et neuf pages.

Sujet libre : un crime, un délit, un méfait, une infraction, une vengeance, une tromperie, une fraude, un complot…

Genre libre : énigme, mystère, texte noir, contemporain ou historique.

Ce concours est gratuit et s’adresse à tous.

Les participants concourent en deux catégories :

jeunes : moins de 18 ans

adultes : plus de 18 ans

Ils ont jusqu’au 30 juillet 2023 pour envoyer leur nouvelle par mail à [email protected]

Les nouvelles ne doivent pas avoir déjà été éditées ou faire l'objet d'un autre concours en cours. Les nouvelles doivent se passer dans le Gers, et avoir une longueur de 3 à 9 pages ; si ces consignes ne sont pas appliquées, la nouvelle ne sera pas prise en compte.

Toutes les nouvelles sélectionnées par le comité de lecture seront éditées dans le recueil de nouvelles 2023.

Les résultats seront annoncés par voie de presse et sur la page Facebook du salon polars et histoires de police (www.facebook.com/salondupolarethistoiresdepolice)

organisé par l’association Le 122.

Le 1er de chaque catégorie gagnera un panier gourmand de produits du Gers et le recueil en version papier.

Si les participants souhaitent recevoir un recueil en version numérique et aider l’association « Le 122 » dans son entreprise de « découverte de nouveaux talents littéraires », ils s'adressent par mail à : [email protected] ; un bulletin d’adhésion leur sera envoyé.

À vos claviers, stylos, plumes… Le suspense est entre vos mains !

Les lauréats du concours 2022

- de 18 ans

Gagnante : Hannah Gayrin-Zabe (33). Un texte dont l’auteure a 14 ans ! Bravo à elle, nous l’encourageons à continuer dans la voie de l’écriture.

Adultes

Gagnante : Cécile Beraudy (35)

Meurtre à la Collégiale

Hannah Gayrin-Zabe

C’était le 18 avril 1963 vers minuit ; même si c’était il y a maintenant plus de quinze ans, je m’en souviens comme si c’était hier. Tout La Romieu, petit village du Gers, dormait paisiblement lorsqu’un cri strident provenant de la Collégiale retentit. Je me réveillai en sursaut. J’avais trop peur pour rester seule chez moi ; je me vêtis, mis un manteau et descendis donc sur la place. Là, je vis que tous les villageois avaient fait de même. Tous en pyjama, ils étaient descendus et cherchaient tous à comprendre d’où et de qui ce cri provenait. J’aperçus alors mon fidèle ami le détective Delaloupe qui parlait avec les deux brigadiers du village. Je les rejoignais donc.

- Sophie, tu es là ! s’exclama mon ami. Je savais que tu allais arriver ! Nous t’attendions pour aller voir dans la collégiale ce qui s’est passé.

Nous nous précipitâmes vers la collégiale. Ce bâtiment datant de 1318 se dressait au milieu du village. Avec son cloître, son église et ses deux tours, l’une carrée l’autre octogonale, elle était un des endroits où j’aimais le plus aller. Nous entrâmes par le cloître. Là, un des brigadiers resta devant la porte du cloître pour monter la garde. Nous nous dirigeâmes vers l’église. Ici encore il n’y avait rien. Nous allâmes donc dans la sacristie. Il n’y avait rien ici non plus mais nous restâmes quelques instants à admirer les peintures murales. Puis, le deuxième brigadier s’occupa de la tour octogonale. Nous ressortîmes et allâmes dans la tour carrée, celle qui donnait sur le cloître. Nous montâmes. Dans la première salle, une scène d’horreur qui restera gravée à tout jamais dans ma mémoire s’offrait à nous. Une femme que je reconnus tout de suite gisait sur le sol. Mlle Darcy ! La fille du savant M. Darcy. La famille Darcy était connue de tous au village. Ils habitaient un vieux château dans la campagne environnante. M. Darcy avait deux filles. Mathilde Darcy qui aidait le savant dans ces études et de qui provenait probablement le cri et Irène Darcy qui elle était bien moins cultivée que sa sœur et que l’on soupçonnait d’être extrêmement jalouse de celle-ci. Mon ami était tout aussi choqué que moi. Il y avait donc Mathilde Darcy par terre avec une flaque de sang sous sa tête, elle avait dû être agressée par-derrière (pensais-je). Mais pas l’ombre d’un assassin !

- C’est bien clair, Mlle Darcy a été assassinée. Mais ce que je ne comprends pas c’est comment l’agresseur a fait pour s’enfuir ! Nous ne l’avons croisé à aucun moment et pourtant il n’y a pas d’autre sortie que par le cloître et les escaliers, dit mon ami avec la plus grande des logiques.

- Mlle Darcy n’est pas le genre de personne ayant des ennemis. Elle était aimée de tous et elle aimait tout le monde.

À partir de ce moment, je compris que moi et mon ami allions commencer une enquête de plus, ce qui me faisait plaisir au plus haut point car je ne me sentais jamais aussi bien que pendant une enquête.

Le lendemain, moi et mon ami nous retrouvâmes autour d’un bon café pour parler de notre enquête.

- Je pense que l’on devrait se rendre chez les Darcy cette après-midi pour interroger son père et sa sœur, proposai-je.

- Oui, il faudrait leur demander s’il savait pourquoi elle a été dans une des tours à cette heure si tardive et si elle avait potentiellement des ennemis ou des gens qui lui en voudraient, me répondit mon ami.

- A-t-on fouillé la victime ? Elle avait peut-être des indices sur elle.

- Non, mais je pense que si l’on demande la permission au brigadier, il nous le permettra puisqu’il nous a nommés détective de l’affaire.

Le brigadier était devant la porte de l’église, à l’intérieur du cloître. Il nous donna la permission d’entrer et d’examiner le corps de la victime. Arrivés dans la salle du crime, un frisson me parcourut. Mais mon ami était déjà à genou en train de fouiller les poches du manteau de Mlle Darcy. Il se retourna vers moi d’un air triomphant et me tendit un petit papier.

- Lis-le ! me dit-il impatient de savoir si ce papier pouvait nous aider dans notre enquête.

- Je m’empressai donc de lire : Rendez-vous ce soir minuit à la Collégiale dans la première salle de la tour carrée.

- Ce qui veut dire que quelqu’un, je suppose son agresseur, lui avait donné rendez-vous ici ! Cela devait être une personne qu’elle connaissait car sinon pourquoi serait-elle venue sans aucun moyen de défense ?

- Le problème, c’est que dans un village comme La Romieu on connaît tout le monde !

- Passe-moi le papier que je regarde.

Je lui passai le papier et il passa plusieurs minutes les yeux rivés dessus sans rien dire.

- Il y a quelque chose de bizarre dans cette écriture, de différent, dit-il en me le passant.

- Oui c’est vrai tu as raison mais je ne parviens pas à savoir quoi…

La suite de la fouille ne donna rien. Nous redescendîmes donc et mîmes au courant le brigadier de notre découverte.

- Mais il est déjà quatorze heures ! s’exclama mon ami. Il est temps de se rendre chez les Darcy ! Vous nous accompagnez Monsieur le brigadier ?

- J’aurais voulu être là mais c’est malheureusement impossible, je dois garder la Collégiale.

- Nous vous tiendrons au courant, le rassura mon ami.

Nous partîmes donc en direction de chez les Darcy. C’était une balade agréable, il faisait beau et la vue de la campagne gersoise était magnifique. Nous arrivâmes enfin devant l’allée de chez les Darcy. C’était un joli petit chemin bordé de platanes. Nous aperçûmes au loin le vieux château qui n’avait rien perdu de son charme. Nous nous dirigeâmes vers la grande porte quand nous croisâmes le jardinier des Darcy.

- Ho vous venez sûrement pour voir M. Darcy ! Les visites n’arrêtent pas depuis que le malheur est arrivé ! Pauvre fille ! Elle était si gentille, toujours prête à aider son prochain ! Et dire que quelqu’un ait pu l’assassiner ainsi ça me désole ! Et le professeur qui lui est normalement si joyeux ! Il est méconnaissable ! Comprenez bien, perdre son enfant comme ça ! Mais j’arrête de vous embêter avec mes histoires, vous trouverez M. Darcy dans le grand salon, la première porte à droite.

Nous le remerciâmes et partîmes vers le grand salon, soulagés de laisser ce jardinier un peu trop bavard à ces fleurs. Nous arrivâmes enfin devant la porte du château et entrâmes. À l’intérieur il faisait très sombre et ce château, qui était si accueillant de dehors, paraissait presque effrayant à l’intérieur. Nous avançâmes dans le long couloir et tournâmes dans la salle de droite. À l’intérieur, M. Darcy et Irène Darcy étaient assis dans un des canapés. Mon ami entra d’un pas assuré et je le suivis un peu plus gêné.

- Bonjour Monsieur, bonjour mademoiselle, nous serons les détectives de l’affaire jusqu’à ce qu’elle soit résolue et ne vous inquiétez pas, elle le sera ! dit mon ami avec une certitude que je n’avais pas.

- Cela ne vous dérange pas que l’on vous pose quelques questions ? Demandai-je.

- Non ! Allez-y ! si ça peut vous faire avancer dans votre enquête, dit-il en sanglotant.

- Alors, tout d’abord vous avait-elle dit pourquoi se rendait-elle à la collégiale ce soir-là ?

- Non elle ne m’avait rien dit. Je ne savais même pas qu’elle y était !

- Et vous Irène ? demandais-je car son silence m’étonnait, non pas que je la soupçonnasse mais elle n’avait pas daigné dire un mot depuis notre arrivée, même pas un bonjour.

- Non je ne savais pas qu’elle était à la Collégiale ce soir-là ! répondit-elle d’un air énervé. Vous pensez bien que si je l’avais su, je vous l’aurai dit ! répondit-elle d’un air énervé.

Je vis dans le regard de mon ami que lui aussi la manière dont avait répondu Irène l’intriguait. Mais il continua.

- Sauriez-vous si Mathilde Darcy avait des ennemis quelconques ?

- Non, ma fille n’avait pas d’ennemie et elle n’en a jamais eu. Je n’ai donc aucune idée de qui aurait bien pu l’assassiner car ici je crois que tout le monde l’appréciait beaucoup, répondit-il très ému.

- Très bien, merci beaucoup ! Serait-il possible d’inspecter la chambre de votre fille ? Voyez-vous, il y a peut-être des indices à l’intérieur.

- Oui vous pouvez. Mes deux filles logent dans la même chambre. Irène emmène les veux-tu ?

Irène nous conduisit donc jusqu’à leur chambre qui se situait à l’étage. Elle nous ouvrit la porte de manière extrêmement nonchalante et nous fit entrer avant de s’éclipser. C’était une petite pièce avec deux petits lits de chaque côté de la chambre, deux tables de nuit avec des objets personnels dessus, une grande armoire, une table avec un téléphone posé dessus et un bureau dans l’angle, avec un petit encrier et des tas de papier. Mais quelque chose me turlupinait…

- Mais, je ne comprends pas ! Comment se fait-il que Mathilde a pu sortir de la chambre sans qu’Irène ne s’en aperçoive ?

- En effet, c’est un mystère ! Mais commençons à chercher il y aura peut-être des indices !

Mon ami commença à fouiller les tables de nuit et je me chargeai de l’armoire.

- Il n’y a rien de ce côté. J’ai fouillé toutes les poches mais rien, dis-je.

- Moi non plus ! Rien dans la table de nuit de Mathilde, même pas un carnet où elle aurait pu écrire quoi que ce soit concernant la personne qui lui aurait donné le papier. Regardons dans celle d’Irène.

Dans celle-ci, à l’inverse de la première, des multitudes de feuillets étaient dans le tiroir. Tous étaient écrits à la machine à écrire. Je commençai à les lire pour voir de quelle sorte de documents il s’agissait.

- Ce sont des poésies et des histoires toutes écrites par Irène, regarde c’est signé ! M’exclamai-je. Elle est en fait beaucoup plus cultivée que ce que l’on croit !

Remotivés par cette découverte nous nous mîmes à fouiller le bureau. Les papiers étaient, eux, écris à la main. Et là, tout de suite quelque chose me sauta aux yeux.

- Regarde ! Ce sont les textes écrits par Irène avant de les taper au propre ! M’exclamai-je.

Mon ami me regarda, incrédule, il ne comprenait pas pourquoi je manifestais autant d’engouement pour des brouillons.

- Mais tu ne remarques donc rien ? L’écriture ! C’est la même que celle sur le morceau de papier que l’on a trouvé dans la poche de Mathilde ! Il y a la même chose qui cloche impossible à définir.

- Mais oui ! Que suis-je bête ! Tu as raison ! Tout s’explique !

- En effet, c’est bien simple. Irène a passé ce morceau de papier à Mathilde, qui ne s’est pas méfiée puisque c’est sa sœur. Puis le soir, elle est partie vers la Collégiale mais est arrivée avant sa sœur. Elle devait probablement l’attendre quand celle-ci est arrivée par-derrière et l’a assommé. En revanche, pour ce qui est de la manière dont elle s’est enfuie c’est toujours un mystère !

Mon ami s’empara du téléphone et appela les brigadiers pour qu’ils viennent de toute urgence.

- Ils arrivent ! Allons interroger Irène !

Au même moment, nous entendîmes les brigadiers arriver.

- Allons vite éclaircir cette affaire ! M’exclamai-je.

Quelques minutes après, nous étions tous assis dans le grand salon. Moi et mon ami sur un des canapés, en face de nous se trouvait Irène assise entre deux policiers et à notre gauche, M. Darcy totalement désemparé. Mon ami prit la parole :

- Mademoiselle, nous savons désormais que c’est vous la coupable, inutile de contester !

Irène baissa la tête.

- En effet, nous savons que c’est vous qui avez remis un papier à Mathilde lui donnant rendez-vous à la Collégiale et qui par la suite l’avez tué, continuai-je. Mais, ce que nous ne savons pas et que vous allez avoir la gentillesse de nous dire, c’est comment vous êtes-vous échappée de la scène de crime ?

- Vous ne le saurez jamais ! S’écria-t-elle avec rage.

- Dis-nous je t’en supplie ! S’écria M. Darcy en pleurant.

– Très bien ! Cria-t-elle. C’est simple je suis tout simplement descendu par les escaliers !

Nous nous regardâmes tous avec étonnements.

- C’est impossible nous vous aurions vu ! S’écria mon ami.

- Eh bien apparemment pas ! Répliqua-t-elle.

J’essayais de réfléchir un instant : comment avait-elle pu descendre les escaliers sans que l’on ne la croise ?

- Je sais ! Criai-je, tout le monde se retourna vers moi sans comprendre. L’escalier de la tour carrée n’est pas un escalier comme les autres ! C’est un escalier à double sens ! C’est-à-dire que les gens peuvent descendre sans être vu par ceux qui montent ! Voilà pourquoi nous ne l’avons pas croisé !

- Voilà, j’ai entendu le brigadier dire que vu que vous étiez là il pouvait rejoindre l’autre brigadier. J’ai donc descendu les escaliers pendant que vous les montiez et je me suis enfuie en courant par le petit jardin de derrière, explique Irène folle de rage.

- Merci bien Irène. Mais, il me reste une question à vous poser : Pourquoi tuer votre sœur ? Lui demandai-je.

- J’en avais assez que l’on me compare sans cesse à ma sœur et que l’attention ne soit portée que sur elle ! Elle effectuait des travaux scientifiques avec notre père pendant que je devais aider les femmes de chambres à faire de vulgaires taches de ménage, dit-elle avec la voix remplie de haine.

M. Darcy éclata en sanglots. Les brigadiers passèrent les menottes à Irène et l’emmenèrent au commissariat de police de Lectoure, la ville la plus proche. Et, mon ami et moi partîmes pour de nouvelles enquêtes !

Du sang sur la rapière

Cécile Beraudy

C’est inévitable. La sonnerie intempestive du téléphone en pleine nuit lui rappelle qu’être flic n’est pas une sinécure.

« Faut que vous veniez, là, on a trouvé un type saigné dans l’escalier monumental, sous d’Artagnan. Il est mort ». L’escalier monumental, d’Artagnan… Louise émerge de sa couette. Retrouver ses esprits, les clefs de la voiture et sa deuxième chaussette. Un type tué en pleine nuit, à Auch ? Ça sent à plein nez le règlement de compte entre bandes de dealers. Les Toulousains qui contrôlent le quartier nord, et les Marseillais qui tentent une percée vers le sud, mais jusqu’à présent, les affrontements étaient restés discrets et n’avaient pas fait de victime. Auch n’est pas Chicago.

Les clefs sont trouvées, mais pas les lunettes. Tant pis, elle connaît la route et n’a pas besoin d’un œil de lynx pour monter les 374 marches de l’escalier. Même pas ! 270 suffisent pour atteindre la statue de d’Artagnan. Même de nuit, campé sur ses deux jambes, une main sur la hanche et l’autre sur sa rapière, le menton haut, ce d’Artagnan impressionne. L’attitude même du superhéros. Mais l’heure n’est pas à la contemplation.

L’équipe de nuit est là. « On a appelé le légiste, et l’IJ arrive ». Manifestement, ce type n’est pas mort de son plein gré, ni par accident. Deux blessures béantes lui pourfendent le torse. « Il doit baigner dans son sang depuis un moment. Le corps est déjà rigide, grogne le chef de l’équipe de nuit. Pas de papier, ni de carte bleue, ni de portable. Rien. Les types qui ont fait ça en voulaient à son argent. » Louise s’accroupit. Les fringues sont en laine et soie, pompes anglaises probablement sur mesure. Ce type n’est pas du genre à travailler de nuit pour gagner sa vie. Elle penche son visage très près de celui du mort. Forcément, sans lunettes. « Je le connais ! s’écrit-elle. Je l’ai vu à la télé ! C’est Édouard Rinponi. Il est passé à la Grande Librairie pour parler de son bouquin sur d’Artagnan. Oui, c’est un universitaire, un érudit pas très brillant devant la caméra, mais qui possède la force de conviction d’un timide exalté, vous voyez ? ». Selon lui, d’Artagnan n’était pas un héros si exemplaire, mais plutôt un butor qui trucidait son prochain sans état d’âme, bien loin de l’ami loyal et l’amant chavirant de Dumas.

« Il a tué un mythe, pense Louise, et le mythe s’est vengé ». La torche braquée sur la statue, elle scrute le visage de bronze du fier Gascon. L’idéal de virilité romanesque. Elle se redresse, fait le tour du monument, braque le faisceau lumineux sur la rapière. Une tache sombre ? Elle approche son visage à quelques centimètres : Du sang ! La rapière est souillée de rouge sur vingt centimètres au moins ! Mise en scène macabre ou… Louise n’ose pas énoncer à haute voix ses pensées qui se bousculent. Elle est devenue flic pour construire des murs contre son imaginaire débridé et envahissant, qui lui donnait parfois l’impression que les êtres du Petit Peuple, ou les anges des neuf rangs présidaient plus à sa vie que les lois de la physique ou de la raison. L’excitation le dispute à l’effroi : une statue vengeresse, ça s’est déjà vu… dans les bouquins. D’Artagnan aurait lavé dans le sang les ignominies que l’universitaire a déversées sur son compte. Louise, franchement mal à l’aise, regarde alternativement le fier visage de bronze et l’homme étendu à ses pieds. Un de ces types sans âge, gris de cheveux, de veste et de teint. Même son regard mort, figé par l’épouvante, est gris.

Le légiste arrive enfin : « L’IJ fera un prélèvement sur la rapière… faudra vérifier, n’est-ce pas, mais la cause du décès semble évidente : blessures à l’arme blanche, probablement une lame longue et effilée. Deux coups portés, chacun d’eux est mortel. Je t’en dirai plus quand j’aurai causé avec lui dans mon labo.

- Tu penses, ne ris pas, qu’une rapière un peu comme celle-ci pourrait être l’arme du crime ? demande Louise en désignant celle de la statue.

- Comme celle-ci ? Tu t’imagines que d’Artagnan a brandi son épée ou que l’assassin l’a descellée, tel Arthur s’emparant d’Excalibur ? répond le légiste, le ton goguenard et le sourire en coin. Tu es encore dans les vapeurs du sommeil, non ? Mais sinon, oui oui, c’est ce genre d’arme qui a été utilisée, ou un long couteau de cuisine effilé.

- Ne te fous pas de moi. Notre tueur a soigné la mise en scène. Il y a du sang sur la rapière.

- Mouais, encore un dingue qui lit trop de romans policiers. »

Louise ne répond rien. On ne lit jamais trop de romans policiers. Le problème, c’est quand on s’imagine héros de roman policier. Il en faut peu alors pour plonger dans le bizarre et le répréhensible. Elle jette à nouveau un œil sur la victime : elle veut en savoir plus sur ce type. Si elle a souvent confiance en ses intuitions, elle a encore plus foi en son équipe. 4 heures du mat., inutile de songer à continuer sa nuit.

L’équipe au grand complet et au petit matin est convoquée. « Olivier, tu épluches ses comptes et internet pour récupérer des infos sur la victime. Marilyne, tu me cherches témoins, voisins, famille. Hervé, tu pars avec moi en perquiz. »

L’appartement d’Édouard Rinponi donne sur la cathédrale d’Auch. Le lieu, un élégant désordre de livres, de magazines, de plantes, de vinyles, est plus séduisant que l’homme. Aux murs, quelques belles épées de Tolède. Seul le bureau semble échapper à la saturation anarchique du lieu. À droite, trois bics noirs, soigneusement alignés, à gauche, des dossiers numérotés, les recherches historiques de l’auteur. Sur le sous-main, un cahier d’écolier ouvert. Il s’agit manifestement du manuscrit du fameux ouvrage polémique. « D’Artagnan dévoilé. Charles de Batz, antihéros. » Faut dire qu’il y est allé un peu fort. L’époque est au déboulonnage de statues.

« Je vais prendre son bouquin, on ne sait jamais, je trouverai peut-être une piste, dit Louise, le regard brillant.

- Pas de trace de présence féminine, affirme Hervé, et crois-moi, j’ai l’œil pour ce genre de détails. Pas de gamin non plus, ou alors plus ici. Je vois mal des enfants trouver leur place entre ces piles de bouquins et ces plantes. Un chat, peut-être, et encore. »

De retour au bureau, Louise contourne précautionneusement la pile chancelante des dossiers à traiter et feuillette le bouquin de la victime. « L’arme principale utilisée par les Mousquetaires, et qui leur a donné leur nom, est le mousquet, sorte d’ancêtre imprécis et encombrant du fusil. Gene Kelly incarnant d’Artagnan est une hérésie de studios hollywoodiens. On ne peut guère imaginer Charles de Batz virevoltant, le fleuret à la main, autour des gardes du cardinal. En effet le mousquet exigeait… »

Louise referme le bouquin. Ce Rinponi lui était déjà fort peu sympathique, mais voilà qu’en plus il se permet de critiquer le film qui a enchanté son adolescence. Danseur de claquettes, rapière… Louise ne juge pas indispensable d’écumer les cours de tapdance. Rien ne prouve que le meurtre ait été perpétré en dansant. Mais qui sait encore manier une rapière de nos jours ? Il faut chercher dans les salles d’escrime, et à Auch, il n’y en a qu’une « Les joyeux Mousquetaires ». Si quelqu’un a appris à pourfendre son prochain, c’est bien là-bas. La pile de dossier attendra.

« Olivier, décolle ton nez de ton écran et conduis-moi à la salle d’armes.

- Tu as besoin d’un chauffeur maintenant ?

- J’ai perdu mes lunettes. »

Dans le flou de sa myopie, les pieds sur le tableau de bord, Louise écoute le compte rendu de son collègue. « Son bouquin lui a peut-être rapporté du fric, mais franchement, il n’en a pas besoin, de ce pognon, pour payer l’ISF. Un richard, ce mec. Je te promets qu’à la place de son héritier, j’aurais eu des envies de meurtres. J’ai épluché ses comptes : une maison à Monaco qu’il loue à prix d’or, des actions dans la high-tech, un appart dans le marais et même un buron vers Allanche.

- Un quoi ?

- Un buron.

- Ah, et où ?

- Vers Allanche, nord Cantal.

- Et ça vaut cher ?

- Euh, non, pas encore, mais le type semble savoir comment placer son fric ; ça va grimper, l’immobilier, par là-bas.

- Et ses héritiers, justement ?

- Pas trouvé. Pas de gamins, pas de femme ni d’ex-femme. Mais je vais continuer à fouiller.

- Dépose-moi, je rentrerai à pied. »

Quand elle pénètre dans la salle d’armes, la jeune femme est saisie par la tension extrême de l’endroit. Peu de bruits, quelques halètements et cliquetis, chaque geste semble être un concentré de violence contenue. Un moustachu tout en muscles vient à sa rencontre. Son regard goguenard (Qu’est-ce qu’elle veut, la petite dame ?) vire au coup d’œil inquiet quand elle sort sa carte (Merde, un flic. C’est quoi, cette embrouille ?).

« Monsieur… ?

- Lapaluche, Hubert Lapaluche. Je suis le responsable de cette salle.

- Voilà Monsieur Lapaluche, dans le cadre d’une enquête, je voudrais consulter la liste de vos adhérents. Et si vous pouviez, en plus, m’indiquer quels sont les meilleurs bretteurs du groupe, cela me serait très précieux. » Muscles et moustache font demi-tour en grognant. Lapaluche revient bientôt, et comme s’il assénait des coups d’estoc à une quintaine, il biffe d’un large trait de stylo rouge quelques noms sur une longue liste.

« Dites donc, c’est amusant, vous avez-là un type qu’il s’appelle Darmagnan. On dirait un pastiche de d’Artagnan.

- Vous ne croyez pas si bien dire. C’est un gamin, sympa du reste, Léo, mais un peu… exalté ! Il est persuadé d’être le descendant de d’Artagnan. Je le laisse à ses illusions, c’est la seule chose qui le fait vibrer. Une épée à la main, c’est un vrai virtuose, vif, incisif, plein de ressources et de sagacité, agressif même. Sans son arme, c’est un ado lambda. Non, pas lambda. Il est la quintessence de l’adolescent. Tiens, d’ailleurs, le voilà. »

Plissant les yeux, Louise distingue une tache jaune vif, un bonnet probablement. Il s’approche. Ce n’est pas un bonnet, c’est une tignasse teinte en « bouton d’or », peut-être en hommage à la jument jaune du d’Artagnan de Dumas.

« Monsieur Darmagnan ? Connaissez-vous Édouard Rinponi ? »

Le jeune homme soulève une paupière lourde pour darder un regard vacillant entre ses mèches jaunes.

« Rinponi ? J’connais. J’déteste. Ce type est un vrai clébard. Quand j’entends son nom, j’ai les poings serrés. Il me file des envies de meurtres.

- C’est un aveu ?

- Hein ?

- On l’a retrouvé poignardé, justement. » L’adolescent, dont la peau semble ne pas avoir vu le soleil depuis des mois, pâlit davantage. « Merde, Rinponi a été planté ? Vous n’allez pas imaginer que… J’ai dit ça, mais c’est une figure de style, quoi, un euphémisme, un chiasme, chais plus, mais c’est une façon de parler, quoi.

- Et qu’est-ce que vous reprochez tant à la victime ?

- Ce teckel a prétendu que d’Artagnan n’avait pas de descendant, mais je sais, moi, que c’est du flan. D’Artagnan, Darmagnan, ce n’est pas un hasard, quand même ! Et mon père a fait des recherches généalogiques. Je suis le dernier descendant de Charles de Batz. J’ai voulu le dire à cet abru…, euh à Rinponi, mais il n’a jamais voulu me rencontrer, ni répondre à mes lettres. Chercheur de mes…

- Merci, Monsieur Darmagnan. Je vois ce que vous voulez dire. C’est bien embêtant, tout ça, car vous voilà en tête de ma liste de suspects, répond Louise. Restez dans les parages, pour un interrogatoire plus poussé. »

Mais ses pensées hurlaient dans sa tête « Ce gamin ? Assassin ? Avec ses cheveux jaunes et son sweat Pokémon ? » Les épaules de Damagnan s’affaissent encore davantage, et tout son être semble subir une attraction encore plus terrestre.

Pourtant les paroles de Lapaluche lui reviennent « incisif, agressif ». Se méfier des apparences, c’est son boulot finalement. Louise n’est plus sûre de rien. Marcher lui fera du bien. Arpenter les rues et les chemins dérouille le corps tout autant que les pensées, et elle sourit en se disant que décidément, elle fait bien partie de ces penseurs marcheurs qui se gaussent des culs de plomb.

Sauf, bien sûr quand le cheminement est interrompu par une sonnerie de téléphone. C’est Marilyne, son limier le plus habile qui sait entendre les mensonges derrière les confessions naïves et saisir le trouble d’un regard qui se compose. Autant en profiter pour boire un café, la conversation risque d’être longue et la nuit écourtée pèse sur les cervicales de la jeune femme.

« Notre homme était un solitaire, Louise. Peu d’amis, la plupart sont des universitaires parisiens qu’il ne fréquente que de loin en loin. Certains sont jaloux de sa réussite, mais je n’imagine aucun d’eux en assassin. Ce sont des intellectuels, et ils ne se battent qu’à fleurets mouchetés, par épigrammes interposés. Quant aux femmes, Rinponi semble avoir peu d’intérêt pour elles depuis qu’il a passé quarante ans. Aucune liaison suivie et sérieuse. Pas de famille proche. Ses parents sont morts et son frère unique semble s’être dissous dans l’air à ses dix-huit ans. Il a quitté la maison dès qu’il a pu, et n’a jamais donné signe de vie. Personne n’a cherché à en savoir plus.

- Mais Rinponi parlait bien à quelqu’un, quand même, des voisins, des collègues ?

- Les voisins le trouvent formidable. Tu vois ce que c’est, un voisin formidable. C’est un type dont on oublie l’existence, qui ne fait pas de bruit et qui descend ses poubelles. Sinon, il a bien un assistant, un jeune type plutôt pas mal, look de chanteur de Frantz Ferdinand, avec un léger accent britannique. Je crois que cet accent est feint, il va bien avec le parapluie anglais dont il ne se sépare jamais. Le type est rentré à son service il y a quelques mois. C’est une sorte d’attaché de presse, de secrétaire, de chauffeur. Je le vois mal tuer sa vache à lait. Enfin il reste Noémie Laline, une étudiante qui vient faire le ménage deux fois par semaine chez Rinponi. Elle est partie en Australie pour deux mois faire une formation de yoga. C’est un d’alibi solide, le yoga en Australie, non ? Je continue mes recherches. Avec un peu de chance, je trouverai un amant secret ou une maîtresse délaissée folle de jalousie ou de dépit.

- Crois-tu vraiment que ce type peut rendre fou d’amour quelqu’un sur cette terre ?

- Relis Platon. Chacun de nous cherche sa moitié, dans sa nostalgie de l’hermaphrodite originel. »

Louise raccrocha, en se demandant bien s’il y a beaucoup de collègues qui citeraient Platon dans une affaire de meurtre.

Et si elle repassait par l’appartement de la victime ? Elle découvrirait peut-être un indice, une trace, une idée. Et puis c’est à deux pas. Elle monte quatre à quatre les marches jusqu’à l’appartement. Le café était serré, et elle se sent pleine d’énergie. La porte s’entrouvre ! Les scellés ont sauté. Louise sort son arme de service. Peut-être l’intrus est-il toujours sur les lieux ! Ne pas faire de bruit surtout et rester à l’affût du moindre frôlement, sinon, sans lunettes, elle n’a aucune chance. Des claquements de tiroir, des froissements de feuilles… De sa main libre, elle envoie un SMS très approximatif à ses collègues, demandant du renfort. Courageuse, oui, elle l’est, mais pas dans ce demi-brouillard et face à l’assassin présumé ! Le bruit a cessé. Louise, plaquée contre le mur du couloir, glisse quelques pas furtifs. Soudain un bras se pose sur son bras, celui qui tient le calibre !

1,60 contre 1,80, 48 kg contre 80. Rien n’est perdu, il suffit d’utiliser la force de l’adversaire. La main se resserre comme un étau sur le poignet de la jeune femme. Utiliser la force de l’adversaire, ou… son parapluie, posé là juste à l’angle du mur, à sa gauche. En une fraction de seconde, elle lâche son portable, s’empare du parapluie et assène un coup qu’elle pense formidable sur l’oreille de l’homme. Étonné, il lâche prise et agrippe la toile du parapluie. Mais Louise s’arc-boute sur la poignée en roseau et tire de toutes ses forces. Le parapluie se démonte et révèle une lame effilée, acérée, meurtrière, et c’est elle qui l’a en main. « D’Artagnan, aide-moi, prie-t-elle intérieurement. Je t’innocente, tu me dois bien ça ! » Le mousquetaire, ou Cyrano, ou Lagardère semble en effet l’avoir inspirée : l’homme se retrouve collé au mur, comme un papillon, épinglé par son propre parapluie. La lame n’a fait que l’égratigner, mais elle est là, entre ses deux yeux, et la main de Louise ne tremble pas. L’homme, figé, sent une goutte de sang couler le long de son nez. Damned ! Elle lui a fait le coup de la botte de Nevers ! Il n’ose plus faire un geste, louchant alternativement sur la lame effilée et sur le visage de Louise, où passent en vagues successives l’étonnement, l’incrédulité, la fierté, et la peur. Un pin-pon retentit dans la rue, les collègues se précipitent dans la cage d’escalier. « Mais c’est l’assistant de Rinponi ! s’exclame Maryline

- Fuck off, éructe-t-il.

- Son accent ne me semble pas plus surjoué que ça, constate Louise, baissant enfin la garde.

- C’est du pur british, affirme Olivier. En fouillant dans les réseaux sociaux, j’ai trouvé trace du frère évaporé, Antoine Rinponi. Il a refait sa vie au pays de Galles. Enfin, refait sa vie, c’est vite dit. Il a tenté de survivre en se livrant à des activités plus ou moins licites. Et il s’est retrouvé avec un gamin, Eliott, qu’il a élevé dans la haine de sa famille française. Manifestement, nous voilà donc face à Eliott Rinponi, unique héritier d’Edgar Rinponi.

- Bastard, crache Eliott, qui tient désormais plus du punk incontrôlable que du gentleman fair-play.

- Allez, on embarque, soupire Louise. Merde, il pleut. C’est moi qui prends l’arme du crime, alors. »

Demain, dès l’aube…

Nicolas Castellan-Dufossé

La vieille Renault 5 avançait en cahotant sur les petites routes de campagne. Alice avait quitté Paris très tôt ce matin pour aller rendre visite à son père qui vivait seul dans une bastide du Gers. La musique de Dire Straits peinait à couvrir le bruit du moteur ; il faudrait qu’elle songe un jour ou l’autre à se séparer de sa guimbarde. Mais Alice souffrait d’un attachement maladif aux objets qui l’entouraient ; et puis sa voiture, même ancienne, ne lui avait jamais fait faux bond.

Depuis le décès de sa mère, il y a un peu plus de dix ans, elle revenait régulièrement voir son père. Enfin, si on peut qualifier de régulière, cette visite semestrielle à laquelle elle s’astreignait avec parfois plus ou moins de plaisir ; non qu’elle n’éprouve d’affection pour son père, mais ces voyages étaient souvent pour elle source de souffrance, surtout lorsqu’elle se rappelait la vie d’avant. Bref, elle avait l’impression de faire son devoir et avait un peu honte de cela.

Le week-end du 15 août était traditionnellement le moment de la fête communale dans cette magnifique bastide ronde de Fourcès. Vide-grenier, feu d’artifice et concerts allaient animer le bourg médiéval trois jours durant.

Alice se gara à l’écart de l’agitation et se dirigea vers la maison familiale. Les géraniums faisaient éclater leurs couleurs vives sur les murs de pierres claires. Elle frappa à une porte. Comme à chaque fois, son cœur faisait des bonds dans sa poitrine. « Quelle imbécile je fais, ma propre maison d’enfance », pensa-t-elle. Sans réponse, elle entra et longea le frais couloir qui donnait sur le jardin. Elle savait que, par ces chaleurs, son père se réfugiait souvent sous la tonnelle qui bordait la rivière. Et, en effet, celui-ci se reposait dans le vieux fauteuil en osier qui avait traversé les générations. À l’approche d’Alice, il ouvrit les yeux.

- Bonjour ma fille.

- Bonjour papa.

- Tu as fait bonne route ?

- Oui, pas mal, mais toujours beaucoup de camions. Bon, je vais installer mes affaires dans ma chambre.

- Vas-y, j’ai fait ton lit ce matin.

Curieusement, ils étaient, comme à chaque fois, un peu gênés tous les deux, parents mais étrangers l’un pour l’autre.

Alice prit son sac à dos, monta le vieil escalier en pierre qui suintait, fit craquer le vieux parquet en bois et entra dans sa chambre d’enfant. Ses posters d’ado étaient toujours accrochés aux murs. Elle attendait avec impatience le moment où, ce soir, elle rentrerait dans les draps frais.

Elle prit une douche fraîche, mit des vêtements plus appropriés et sortit, sans plus de regard vers le jardin. Elle se rendit dans le centre du village et entra dans la vieille épicerie qui vendait des produits locaux afin de préparer le repas du soir.

Repas vite avalé, conversations garnies de lieux communs, petit tour sous les arcades et retour au bercail. Alice, épuisée par son voyage, se glissa dans son lit et ne tarda pas à s’endormir.

Sa nuit fut pourtant agitée, peuplée des mille pensées qui l’assaillaient à chaque fois qu’elle revenait dans son pays.

Au matin, elle fut réveillée par la sonnerie du téléphone portable. Des rais de soleil passant par les persiennes faisaient des traces sur le plancher.

- Allo, Lieutenant Rossi ? Capitaine Berlan de la Gendarmerie d’Auch. Désolé de vous déranger à une heure si matinale.

- C’est à quel sujet ? répondit Alice avec un ton sec qui l’étonna elle-même.

- Voilà, d’après nos informations, vous vous trouvez actuellement chez votre père. Nous avons un petit problème, enfin « petit ». Un corps a été découvert ce matin dans la bastide et comme vous connaissez bien la région, nous avons pensé que vous pourriez nous aider.

- Mais je ne suis pas habilitée pour ça.

- Ne vous inquiétez pas, nous nous sommes arrangés avec votre hiérarchie.

Le cerveau d’Alice était en ébullition : refuser et avoir des remords, participer et dire adieu à son séjour détente ? Tout de même, elle était plus encline à choisir la deuxième solution. Et puis cela lui éviterait de se retrouver en tête à tête avec son père ; jolie manœuvre d’évitement !

- Vous êtes toujours au bout du fil ?

- Oui, oui, je réfléchissais.

- Et… ?

- D’accord, je veux bien.

- Alors on se rejoint sur place, je suis en route.

Alice s’habilla rapidement et descendit l’escalier. La maison semblait vide. En sortant, le soleil, déjà chaud, l’a cueillie sur le pas de la porte. Lunettes de soleil enfilées pour masquer l’absence de maquillage, elle traversa la première ligne de maisons pour entrer sur la place. Elle vit tout de suite un attroupement dans la rue qui menait au château. Les gyrophares faisaient clignoter leurs lumières bleues sur les murs. Avant de rentrer dans la foule, elle mit son brassard marqué « Police ».

Arrivée devant le clocheton qui marquait l’entrée de la bâtisse, elle se figea.

L’homme, qu’elle reconnut d’abord, était attaché dans une position peu orthodoxe : une sorte d’Homme de Vitruve à la Léonard de Vinci, les quatre membres écartés et attachés par des cordes épaisses sous le porche, entièrement dévêtu, et qui arborait un gros « PORC » inscrit grossièrement à la peinture rouge sur le torse. Le manche d’un poignard pointait à son côté gauche.

Une main lui tapa doucement sur l’épaule.

- Bonjour Lieutenant, Capitaine Berlan, mais appelez-moi François.

- Moi, appelez-moi Lieutenant, dit Alice en se retournant.

La personne qui lui faisait face avait vraiment belle allure, tout à fait son style d’ailleurs, et elle ne tarda pas à regretter sa relative froideur du moment.

- Excusez-moi, vous m’avez fait peur.

- Ne vous excusez pas. Alors, prête à travailler avec moi et à dépasser la vieille concurrence Police-Gendarmerie ?

- Avec plaisir, minauda Alice, qui maintenant en faisait trop dans l’autre sens. « Toujours mon sens développé de la mesure ! », pensa-t-elle.

- On y va ? tenta François pour se reprendre et se donner une contenance, le rouge n’ayant pas tardé à lui monter aux joues. Au fait, on pourrait peut-être se tutoyer, non ?

- D’accord, si vous… tu veux.

Ils s’approchèrent du corps.

- Au moins, la cause du décès est claire, ironisa François. Tu le connaissais ? demanda-t-il.

- Ici tout le monde le connaît. C’était le type même du grand propriétaire terrien qui régnait en maître sur la région. On peut dire qu’il ne manquait pas d’ennemis, ce qui va nous faire beaucoup de suspects sur les bras. Remarque, cela nous changera un peu de nos enquêtes criminelles habituelles où tout le monde pleure la perte de l’être cher, souvent hypocritement d’ailleurs.

Alice se retourna pour un regard en panoramique sur la foule massée derrière le ruban jaune marqué « Police », à la recherche de visages connus. Et à la fin de son tour d’inspection, elle le vit, le visage blême : Vincent, le fils du défunt, son premier amour de jeunesse, qu’elle n’avait pratiquement plus revu depuis qu’elle était partie à Paris. Elle s’avança doucement vers lui, tandis que les gendarmes décrochaient la dépouille, puis la recouvraient d’un drap afin de la soustraire au regard des curieux.

- Salut Vincent, ça me fait drôle de te revoir dans de pareilles circonstances.

- Moi aussi, ça me fait drôle. Toujours aussi belle, à ce que je vois.

- Arrête, ça me gêne, surtout devant lui.

- Au moins, il ne peut plus rien nous dire maintenant.

- Quel cynisme ! Mais tu lui connaissais des ennemis ?

- Je ne connaissais même que ça.

- Mais, en ce moment, tu sais s’il était en conflit avec quelqu’un en particulier.

- Ni plus ni moins qu’habituellement, avec toutes ses magouilles.

- Quelles magouilles ?

- Tu sais bien, il a ruiné une bonne partie des petits agriculteurs de la région afin de racheter leurs exploitations à bas prix.

- Comment s’y prenait-il ?

- Tout simplement, lorsqu’un exploitant s’était trop endetté afin de moderniser sa ferme, il se proposait de racheter ses crédits, lui demandant de rembourser plus tard, mais à des taux éhontés. Beaucoup s’y sont laissés prendre. Et puis, s’il n’y avait que ça.

- Quoi d’autre ?

- Et bien, je me suis laissé dire, par des gens bien intentionnés, qu’il profitait de sa position dominante pour passer du bon temps avec les femmes de ses victimes. Tu vois, cela fait un paquet de personnes qui pouvaient lui en vouloir.

- Je vois, je vois. Bon, je te laisse, je vais rejoindre mon collègue. À plus tard.

Alice tourna les talons, encore plus troublée qu’elle n’osait se l’avouer par tout ce qu’elle venait d’entendre. Elle rejoignit François qui faisait les premières constatations.

- Alors, tu as découvert quelque chose ?

- Pas beaucoup plus que ce que je savais déjà. Ah si, en plus des propriétaires ruinés, on va devoir se coltiner les mêmes propriétaires, mais trompés cette fois.

- C’était un chaud lapin ?

- Plutôt une personne sûre de son emprise sur les autres et qui prenait un malin plaisir à appuyer sur la tête des gens qui étaient déjà en train de se noyer. Une sorte de seigneur des temps modernes, mais avec un esprit qui, lui, en était resté au Moyen Âge.

- En effet, ça promet !

Le reste de la matinée fut consacré à la collecte des noms des « victimes » de Jean Terral.

Le courant semblait très bien passer entre François et Alice : une complicité professionnelle, leur donnant l’impression d’avoir de tout temps travaillé ensemble, mais il y avait aussi autre chose ; des gestes, des paroles, des regards qui laissaient peut-être entrevoir le début d’une relation amoureuse. Eux n’y pensaient pas, pour l’instant. Ainsi, comme deux personnes qui se sont enfin trouvées, une sorte de complicité animait leur association ; une évidence.

Ils déjeunèrent ensemble à midi, se racontèrent leurs vies respectives sans trop de tabous, et passèrent une grande partie de l’après-midi à interroger les premiers suspects.

Déjà, Alice ne pensait plus aux vacances. Elle était tout entière concentrée sur sa mission et sur ce que l’on pouvait appeler sa relation naissante avec François.

Les jours suivants furent consacrés aux interrogatoires. Mais là encore, rien de bien nouveau sous le soleil ; pourtant le personnage de Jean Terral se dessinait de plus en plus clairement. Au niveau de l’enquête, les suspects foisonnaient et si « abondance de biens ne nuit pas » en temps normal, dans ce cas-là, cette profusion représentait évidemment un frein à un dénouement rapide. Et François et Alice, ça leur était d’ailleurs déjà arrivé, commençaient à prendre fait et cause pour les victimes : une position pas très confortable en tant qu’enquêteurs.

Concernant leur relation, tout évoluait pour le mieux, et François semblait tout aussi accroché que sa collègue. Mais aucun des deux n’était pressé : un peu comme s’ils avaient tout le temps ; leur attachement était vraiment très solide.

Alice rentrait tard chez son père ; lui était souvent déjà couché, ce qui permettait aussi à l’enquêtrice de ne pas se confronter à lui, de limiter au maximum leurs interactions : elle avait un peu honte de cette forme évitement qui ne lui correspondait pas, elle qui avait toujours affronté les problèmes courageusement, de face.

Même si tous deux faisaient leur travail sérieusement, leurs tournées permettaient aussi à la gersoise de faire découvrir sa région à François. Lui semblait émerveillé, tant par la beauté des douces collines que par les villages qui les couronnaient ; l’agencement régulier des champs de sorgho et de maïs cassé çà et là par les plantations de kiwis. Les chemins en terre qui menaient aux fermes qu’ils visitaient dans le cadre de leur enquête étaient souvent bordés de pruniers sauvages : ils s’arrêtaient parfois pour déguster ces fruits gorgés de soleil, éclatant soudain d’un rire complice, comme des enfants.

Ce jour-là, dans la voiture qui les ramenait, François brisa ce bel agencement.

- Tu penses quoi de notre affaire ?

- Franchement, je crois que la piste des petits propriétaires lésés est un puits sans fond. Nous nous retrouvons comme deux Sisyphe de pacotille à rouler notre rocher en haut de la colline. Un peu absurde, tu ne trouves pas ?

- Peut-être, mais en tout cas ça ne fait pas beaucoup avancer le Schmilblick. Je te demandais ce que tu en pensais concrètement.

- Concrètement, j’ai l’impression que plus on avance et plus on s’éloigne. Que les interrogatoires ne donneront rien, simplement à affiner l’image d’un Jean Terral qui était déjà suffisamment claire pour moi. Au fond, je crois que la vérité est ailleurs.

- Comment ça ?

- Mettons peut-être ça sur le dos de la fameuse intuition féminine, c’est sans doute un peu réducteur, mais tu ne penses pas que le meurtre aurait pu être commis par un proche de la victime ? Je sais, c’est idiot, mais c’est trop simple et je trouve que tout est parfaitement agencé dans cette affaire, que nous nous retrouvons guidés, comme sur des rails et je n’aime pas ça. On a cherché à nous embrouiller pour que le meurtre reste impuni ; il y a trop d’évidences. Tu me diras, que même si c’était le cas, ce ne serait peut-être pas si dramatique, mais, je ne peux me résoudre à abandonner la recherche du meurtrier. Tu me comprends ?

- Bien sûr, je suis comme toi, lui dit François en arrêtant la voiture.

Il ne pouvait, à cet instant, s’empêcher de fixer sur Alice, un regard empli d’admiration. Elle sentit un étau lui enserrer la poitrine et, sans un mot, pour la première fois, dans un élan virtuose, François l’embrassa.

Ils passèrent la nuit ensemble dans la chambre d’hôtel de François, dont les fenêtres donnaient sur la place du village. Donc, Alice découcha ; mais elle le fit le plus naturellement du monde, pour une fois sans se poser trop de questions et sans aucun remords vis-à-vis de son père.

Le lendemain matin, en ouvrant les volets, elle ne put faire autrement que de tomber sur l’arcade sous laquelle le corps avait été découvert. Elle ne pouvait quitter des yeux cet emplacement morbide ; il était comme un rappel que leur enquête n’était pas terminée.

Et tout d’un coup, cela lui vint, comme ça, lui arrivait d’ailleurs assez souvent. Elle se précipita pour réveiller François et tout excitée :

- Nous avons été bêtes.

- Parle pour toi.

- Non, je ne plaisante pas. Nous avons cherché uniquement en direction des gens qui avaient été spoliés par Charles Berlan, mais d’autres personnes ont aussi souffert de son attitude.

- Tu veux parler de sa femme et de son fils ?

- Bien sûr ! Tous deux ont assisté aux exactions du « monstre » et si ses coucheries ont fabriqué des maris trompés, elles ont aussi amené à ce qu’une femme et un fils se retrouvent bafoués. Il y a toujours deux côtés dans une pièce, si tu vois ce que je veux dire, dit Alice en souriant avec, déjà, une sorte de tendresse, mais aussi des airs de midinette énamourée, ce qui l’énerva un peu tout de même.

Leur enquête prenait ainsi un nouveau tournant.

Bon, le problème, maintenant, allait être de trouver une justification pour aller fouiller dans la vie familiale de la victime. Et c’est Alice qui trouva une brèche dans laquelle s’engouffrer. Elle donna rendez-vous à Vincent, son amour de jeunesse, dans les anciennes ruines d’un château, lieu de leur premier baiser d’adolescents. Et le fils du défunt, « par l’odeur alléché », pensant à un subit retour de flamme, ne se douta pas un seul instant du piège dans lequel Alice l’avait expédié.

Ainsi, le jour du rendez-vous, il arriva un peu en avance afin de préparer tout ce qu’il avait à lui dire.

En sortant de sa voiture, Alice avait le cœur qui battait, mais pour d’autres raisons que Vincent. Elle sentait qu’elle était proche du dénouement et comme à chaque fois en pareil cas, en éprouvait une sorte de plaisir, mêlé tout de même au regret de devoir quitter bientôt la vie des personnes qu’elle avait côtoyées durant plusieurs jours.

Le lieu n’avait pas trop changé. Comme dans son souvenir, les murs démolis de cette ancienne forteresse laissaient passer çà et là des arbres au tronc noueux, et même un figuier qui avait dû, à une époque lointaine porter des fruits et qui maintenant vivait sa vie tranquille de retraité.

Vincent attendait, assis sur une des pierres d’angle tombée au sol, se tordant les mains dans une sorte de tic nerveux. Il se leva à son arrivée, arborant un sourire de premier communiant. Pourtant, le ton des premières paroles d’Alice le glaça et il regretta aussitôt de s’être fait des idées.

- Vincent, il faut que je te pose une question.

- Vas-y, dit-il, la voix chevrotante.

- Voilà, je te parlerai franchement. Nous avons interrogé de nombreuses personnes et cela nous a bien aidés à dessiner les contours de la personnalité de ton père. Mais, même si les gens avaient tous de bonnes raisons pour faire cesser les exactions de Jean, je n’en ai vu aucune capable de passer à l’acte. Aussi, avec mon collègue, nous avons pensé… mais cela me gène un peu.

- Allez, ne prends pas trop de gants avec moi, dit-il d’un air énervé.

- Sais-tu si ta mère aurait été capable de commettre ce meurtre ?

- Non, mais ne te fatigue pas trop ; je pense que tu ne voudras jamais que l’on revienne ensemble.

- Mais Vincent, nous n’avons jamais été ensemble. Nous avons simplement échangé un baiser d’enfants.

- Plus d’un.

- Oui, si tu veux, mais je suis désolée que tu te sois fait des illusions.

- Tu ne peux pas savoir à quel point. Je t’ai attendu pendant des années et je crois que je t’attends toujours.

- Tu aurais dû m’en parler plus tôt, cela aurait évité que tu souffres tout ce temps. Et puis moi, je te voyais plutôt comme un grand frère, celui que je n’ai jamais eu.

- Tu ne crois pas si bien dire.

- Pourquoi me dis-tu cela ?

- Oh tu sais, on ne connaît pas toujours très bien l’intimité de nos parents.

- Parce que toi, tu connais celle des miens ?

- J’ai appris certaines choses lorsque j’ai saigné le gros porc.

Il avait sorti cela comme ça et Alice avait maintenant les mains tremblantes et une sorte de creux à l’estomac.

- Ce sont des aveux ?

- Appelle ça comme tu veux. En tout cas, lui si malin, je peux te dire que la peur de mourir l’a rendu assez bavard.

- Mais, comment en es-tu arrivé là ?

- Je ne supportais plus les malhonnêtetés de mon père et je crois que de voir ma mère à ce point résignée après des années de brimades a augmenté mon ressentiment envers lui. Tu vois, je me devais de le faire : j’ai été inhibé trop longtemps pour pouvoir agir un jour de façon mesurée.

- Mais, la question de mon frère ?

- Juste avant de mourir, mon père – tu vois, j’ai du mal à dire ce mot – m’a avoué, voyant que j’étais toujours amoureux de toi et sans doute pour me blesser une dernière fois, avoir forcé ta mère un jour de fête du village. Tu es née pratiquement neuf mois plus tard ; il y a donc une possibilité pour que je sois ton demi-frère.

Alice claquait des dents, comme si un froid polaire avait soudain envahi la campagne gersoise.

- Et malgré tout cela, tu as tout de même continué à espérer que nous puissions être un jour ensemble ?

- Pourquoi pas, après tout ? J’avais bien droit, moi aussi, à ma part de bonheur.

En disant cela, il venait de se saisir du bras d’Alice et sentit aussitôt un élément incongru sous le tissu du tee-shirt. Il remonta la manche et, horrifié, aperçu le fil du micro que la fille avait caché sous ses vêtements. Voyant qu’il avait été trahi, il sortit un couteau de sa poche de pantalon et en menaça Alice avec des yeux de fou. Pourtant, il arrêta aussitôt son geste car il venait de deviner sur sa nuque le froid du canon d’un pistolet. François se tenait derrière lui. Il prit fermement la main qui tenait le couteau, retourna le bras dans le dos et fit tomber l’arme au sol. Tout cela s’était déroulé en une fraction de seconde. Vincent, menotté, baissait la tête ; il était à présent résigné.

François, caché dans le coffre de la vieille Renault 5 avait entendu que la conversation prenait un mauvais tour et avait instantanément décidé d’intervenir.

Ils ramenèrent alors leur prisonnier, maintenant muet, à la Gendarmerie d’Auch.

En sortant, côte à côte, ils soufflèrent tous les deux en même temps, se regardèrent et s’embrassèrent dans un ralenti cinématographique.

François ramena Alice à Fourcès. En rentrant dans sa maison, elle courut aussitôt vers le jardin, trouva son père qui semblait l’attendre et le serra dans ses bras sans dire un mot.

Le lendemain matin, sa voiture chargée était prête à regagner Paris.

Son père la regardait depuis le pas de la porte.

- À bientôt, Alice.

- À très bientôt papa, c’est promis, lui répondit-elle, la voix emplie d’une tendresse nouvelle.

La Métairie

Michèle (Mimi) Joly

Je me plais ici en pays gersois, j’aime la campagne assoupie en cette saison ; la Commanderie, le domaine familial, me retient peut-être un peu prisonnier mais cela me convient. Il paraît que le froid n’a jamais été aussi vif que cette année, celle de mon retour sur les lieux de mon enfance. La Métairie, cette bâtisse perdue dans un univers neigeux, à quelques centaines de mètres de chez moi, m’intrigue beaucoup : l’hiver qui blanchit le toit de la maison, la fumée gris pâle qui monte verticale dans le ciel glacé, tout cela stimule mon imagination. Ce n’est pas le spectacle de la végétation frangée de givre qui me fascine, mais ce sont les volets qui restent fermés à toute heure du jour et de la nuit. La cheminée qui fume signale une présence cependant. Est-ce une personne malade, handicapée, alitée en permanence ? J’ai bien envie de m’aventurer un soir aux abords de cette ferme.

Madame Lamazère qui vient faire le ménage une fois par semaine, et m’apporte aussi des provisions, habite le hameau de Castéra ; elle se déplace à pied quel que soit le temps. Elle connaissait bien mes grands-parents et cela lui fait plaisir qu’une personne de la famille revienne habiter au pays. Jeudi prochain, elle m’apportera un alicuit de canard, des endives braisées et une croustade aux pommes qu’elle réussit fort bien. J’apprécie les produits du terroir qu’elle cuisine à mon intention. Elle n’est pas bavarde mais elle est très efficace et attentionnée. Mon bureau est toujours fleuri. Hier, comme elle déposait quelques branches de houx en forme de couronne dans une assiette en porcelaine blanche, j’en ai profité pour lui demander si elle connaissait les propriétaires de la Métairie. Elle a haussé les épaules sans répondre. Je n’ai pas insisté. Je ne suis pas